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traduction juridique anglais-français

Ces mots et expressions qui font la loi...

Bulletin sur la terminologie juridique anglais-français
par Frédéric Houbert, traducteur


Septembre - Octobre 2000

Liste des bulletins

Le présent bulletin, destiné initialement aux traducteurs juridiques, intéressera également toute personne désireuse de se familiariser avec la terminologie juridique anglo-saxonne et de mieux comprendre certaines expressions propres au droit français dont le sens est souvent méconnu. Les auteurs étant spécialisés dans le droit commercial et le droit civil, les termes et expressions abordés dans le bulletin relèvent principalement de ces deux domaines, ce qui n'exclut toutefois pas la présence ponctuelle de termes émanant d'autres spécialités.





IT IS THE LEGAL DUTY OF THE ASSURED TO...

Cette phrase, extraite d'une police d'assurance, est intéressante dans la mesure où elle pose la question de l'inversion dans la traduction et de la réorganisation de la phrase dans le texte cible. En effet, parmi ses traductions possibles, on peut notamment envisager : " L'Assuré a pour obligation légale de…". A propos de cette traduction, on remarque que l'accent n'est plus mis, comme dans la phrase originale, sur l'obligation qui revient à l'Assuré, mais sur l'Assuré lui-même. Ce choix de traduction pose le problème du choix de la place des mots dans la traduction : en effet, est-il légitime de modifier l'ordre des mots par rapport à l'original ? Ne risque-t-on pas, ce faisant, d'attirer l'attention du lecteur cible sur un élément qui n'était pas mis en exergue dans le texte original ? Ces questions montrent combien il est indispensable d'examiner le contexte dans lequel apparaît la phrase. Ici, il est à noter que la phrase s'inscrit dans un article intitulé " Obligations in the event of loss or damage " : il est donc évident que ce sont les obligations qui sont mises en avant, et non les parties elles-mêmes, comme c'est le cas dans la traduction française " L'Assuré a pour obligation…". Cette traduction serait donc contestable si le premier paragraphe de l'article ne commençait pas par : " The Assured is required to report each loss…", stipulation qui redonne toute sa légitimité à la traduction de la première phrase puisqu'ici aussi, c'est l'Assuré qui est mis en avant.

Il faut donc relativiser l'importance d'une inversion éventuelle de l'ordre des mots dans le passage du texte original à la traduction. Précisons d'ailleurs, à ce propos, qu'il est presque toujours possible, lorsque cela s'avère indispensable, d'avoir recours à des traductions qui permettent un respect scrupuleux de l'ordre original (dans le cas présent, on pourrait notamment dire : " Il incombe (par la loi) à l'Assuré de…", qui reprend la structure de l'anglais).

STATUTORY

Ce terme figure parmi les principaux faux amis rencontrés dans la traduction des documents juridiques. Il signifie le plus souvent non pas " statutaire ", comme on pourrait l'imaginer, mais " légal ", " prévu par la loi ". Ainsi, statutory holiday, par exemple, se traduit par fête légale, statutory provisions par dispositions légales, statutory requirements par prescriptions légales, statutory texts par textes législatifs, etc. Lorsque le contexte indique que le document ou le concept en question provient non pas du pouvoir législatif (parlement) mais plutôt de l'exécutif (gouvernement, administration), on utilisera alors " réglementaire " au lieu de " légal " ou " législatif ". Dans certains cas, le terme peut toutefois être rendu par " statutaire ", lorsque des obligations par exemple (statutory obligations = obligations statutaires) découlent d'un certain statut.

L'adjectif statutory découle en fait du terme statute, qui désigne tout texte adopté par un organe législatif ou exécutif. Statutory apparaît dans bon nombre de cooccurrents dont certains peuvent surprendre par leur concision et leur caractère elliptique. Statutory rape, par exemple, ne doit bien entendu pas être rendu par viol réglementaire ou viol légal, comme on peut le voir parfois ! Cette expression d'origine américaine fait en fait référence à des relations sexuelles avec un(e) mineur(e), que celui-ci ou celle-ci soit consentant(e) ou non d'ailleurs. Il est à noter que l'âge de référence pour la définition de " mineur " dépend, aux États-Unis, de l'État concerné, ce qui peut avoir son importance pour la traduction, par exemple si l'on veut préciser " mineur de moins de 15 ans ". Le concept de statutory rape se rapproche donc plutôt du détournement de mineur en droit français, " infraction par laquelle son auteur soustrait un mineur de l'un ou l'autre sexe à l'autorité ou à la direction de ceux auxquels il était soumis ou confié " (Lexique Dalloz).

LIABILITIES AND RESPONSIBILITIES

Ces deux termes, pris séparément, ont un sens très différent ; en effet, liabilities renvoie généralement à la responsabilité pour ce que l'on a causé, notamment un dommage, alors que responsibilities renvoie à la responsabilité pour ce dont on a la charge. Dans l'expression liabilities and responsibilities toutefois, les deux termes recouvrent le même concept et peuvent se traduire simplement par responsabilités, comme dans la phrase suivante, où le cooccurrent performance interdit toute autre interprétation de liabilities (terme qui, dans un autre contexte, pourrait désigner des dettes ou une autre forme d'engagement, par exemple) : "...may delay the performance of its obligations, liabilities or responsibilities under the Contract." : "…susceptible de retarder l'acquittement de ses obligations et de ses responsabilités aux termes du Contrat."

Si l'on tient à faire une distinction dans la traduction, une autre possibilité existe qui consiste à traduire l'expression par " responsabilité civile ou autre ". Cette solution présente l'avantage non négligeable de laisser la porte ouverte à tous les autres types de responsabilité, dont la responsabilité pénale : " ADP assumes no responsibility or liability for any material that may reside in any other Web site accessed through ADP's Web site." : " ADP n'assume aucune responsabilité civile ou autre en ce qui concerne toute documentation qui pourrait se trouver sur tout autre site auquel vous pourriez avoir accès par le biais de notre site." (extrait d'un site Web).

Pour comprendre la raison d'être de cette expression et, par voie de conséquence, des autres redondances qui fleurissent dans les textes juridiques, il faut s'arrêter sur les motivations qui guident les juristes lorsqu'ils rédigent des contrats ou d'autres documents. Il existe en effet toujours, chez le juriste, la crainte de ne pas être assez complet et surtout, de laisser des brêches dans lesquelles pourra s'engouffrer l'adversaire en cas de litige.

Ainsi, si l'on n'écrit que liabilities, un juriste pourra essayer d'arguer que cela ne couvre pas les responsibilities. Même si un juge lui donne tort, il aura eu la possibilité de créer des problèmes, de retarder éventuellement l'exécution du contrat. Si le premier juriste précise les deux mots, même si ce n'est en principe pas nécessaire, il empêche le second d'utiliser cet argument. Bien sûr, le second juriste utilisera alors un autre argument, par exemple en disant que obligations n'est pas couvert par liabilities and responsibilities, encourageant ainsi le premier juriste à ajouter ce mot également lors de la rédaction de son contrat suivant, et ainsi de suite...
Merci à Nathalie Riksten-Tramblin.

TO THE SATISFACTION OF

Cette expression, qui équivaut à satisfactory to, est souvent traduite par " à la satisfaction de " (" L'Assemblée nationale adoptait, le 20 octobre dernier, à la satisfaction du Barreau, le projet de loi 443." - Journal du Barreau du Québec). Ce n'est pas à proprement parler une erreur, même si l'on peut légitimement contester cette traduction, qui ressemble fort à un calque.

Parmi les autres traductions possibles, on peut notamment envisager " de façon satisfaisante pour ", comme dans la phrase suivante : " The Contractor shall demonstrate, to the Company's satisfaction, that the Contractor has used its best endeavours to..." : " Le Contractant démontrera, de façon satisfaisante pour la Société, que le Contractant...". Il est préférable d'éviter ici " Le Contractant apportera à la Société la preuve que…". En effet, d'un point de vue juridique, la Société pourra toujours arguer qu'elle n'a pas obtenu satisfaction, même si le Contractant a apporté la preuve demandée. Il est d'ailleurs toujours difficile, dans un contrat, de savoir exactement ce que veut dire l'expression to the satisfaction of ; en effet, cette notion reste très subjective et ce qui peut être " satisfaisant " pour une partie ne l'est pas nécessairement pour l'autre. En règle générale, on estime qu'une partie obtient satisfaction dès lors que l'autre partie lui a apporté ce qu'elle était " raisonnablement " en droit d'attendre : " Where a contract provides that it is to be performed in a manner "satisfactory" to one of the parties, the provision must be construed as meaning that the performance must be such that the party, as a reasonable person, should be satisfied with it." (Black's Law Dictionary).

AT LAW OR IN EQUITY

Si, dans la plupart des cas, le terme Equity ne doit pas se traduire (il désigne en effet, l'ensemble des règles élaborées aux 15ème et 16ème siècles pour compléter le système de la Common law, qui était devenu insuffisant et défectueux), il est des cas où une traduction est possible.

Ainsi, dans l'expression at law or in equity, le terme doit être pris au sens du terme français, c'est-à-dire dans celui de " justice fondée sur l'égalité ". Par exemple, dans la phrase " The parties shall be entitled to injunctive relief and any and all remedies available at law or in equity ", at law fait référence au droit positif, écrit, formel, tandis que equity fait référence à la justice, aux principes généraux non écrits. On peut donc traduire l'expression, dans ce cas précis, par " en droit ou en équité ".

Il n'est en effet pas rare, dans les contrats internationaux, de voir les parties autoriser spécifiquement, dans le cadre de la clause d'arbitrage (dite aussi " clause compromissoire "), les arbitres à decider " en équité ", plutôt que d'appliquer tel ou tel droit écrit. Cette pratique relève directement de la Lex mercatoria, qui représente d'une certaine façon le droit commercial non écrit, fondé sur des principes généraux reconnus internationalement. Les parties conviennent ici qu'en cas de litige, elles pourront bénéficier de tous les recours possibles, que ce soit en droit (donc, généralement devant des tribunaux) ou en équité (devant des arbitres ou autres médiateurs).

On retrouve notamment cette notion dans le texte de la Constitution américaine (Article III - Section 2) : " The judicial power shall extend to all cases, in law and equity, arising under this Constitution, the laws of the United States, and treaties made, or which shall be made, under their authority." : " Le pouvoir judiciaire s'étendra à tous les cas de droit et d'équité ressortissant à la présente Constitution, aux lois des États-Unis et aux traités déjà conclus, ou qui viendraient à l'être, sous leur autorité."

Notons, pour conclure, que l'expression " available to X at law or in equity " peut se traduire par " dont X peut se prévaloir en droit ou en équité ".


Principales caractéristiques de la langue juridique anglaise et française et spécificités de la traduction juridique



II. Les locutions latines

Malgré les différentes tentatives de modernisation de la langue juridique, celle-ci reste truffée de locutions et d'expressions latines. Cela s'explique principalement par l'influence qu'a eu, à partir du Moyen-Age, le latin sur l'anglais. Le français n'est en effet pas la seule langue à avoir influencé l'anglais comme langue du droit.

Si, comme le note Jean Kerby dans son article La traduction juridique, un cas d'espèce (Langage du droit et traduction, Linguatech, 1982, p. 9), " il fut un temps où l'on pouvait penser que l'usage d'expressions latinesdonnait de la gravité au style et même du poids aux arguments ", cela n'est plus vraiment le cas aujourd'hui où la tendance, en France comme au Canada, est à l'élimination du latin de la langue juridique, comme le confirment ces quelques lignes, extraites du Guide de la traduction appliquée (G. Vitale, M. Sparer et R. Larose, Presses de l'Université du Québec, 1978, p. 205) : " Signalons aussi que la présence des expressions latines dans les lois et autres textes juridiques ne se justifie plus en français. La Charte de la langue française, loi québécoise sanctionnée le 26 août 1977, a par exemple remplacé le sempiternel "mutatis mutandis" par l'expression française "compte tenu des changements nécessaires" ou "compte tenu des adaptations nécessaires"."

Il n'en reste pas moins que de nombreux termes et expressions d'origine latine subsistent dans la langue juridique moderne, que ce soit en français ou en anglais. Citons les exemples suivants, extraits pour le premier d'un jugement de tribunal de commerce et pour le second, d'une assignation à comparaître : " Attendu que X conteste que le contrat de consignation maritime est un contrat conclu "intuitus personae" prenant fin par la révocation du mandataire au bon vouloir du mandant " ; " X est donc fondé à solliciter la condamnation de Y, in solidum avec son assureur, le Groupe Z, au paiement de la somme ci-dessus ". Citons encore, pour le français, casus belli, locution moderne formée à partir de mots latins signifiant " cas de guerre " et qui désigne une circonstance de nature à provoquer une déclaration de guerre, in casu (en l'espèce, dans le cas envisagé), post nuptias (postérieurement à la célébration du mariage), ou encore exequatur, terme qui désigne un " ordre d'exécution, donné par l'autorité judiciaire française, d'une décision rendue par une juridiction étrangère " (Lexique Dalloz).

Comme leurs homologues français, les textes anglais (surtout) et américains (dans une moindre mesure) ont eux aussi encore recours au latin. En témoignent les deux phrases suivantes, extraites des statuts d'une société britannique : " The meetings and proceedings of any such Committee of the Board of Directors shall, mutatis mutandis, be governed by the provisions contained in these Articles for regulating the meetings of the Board of Directors " ; " The office of a Director shall be vacated, ipso facto, upon his death, or if he be found lunatic or become of unsound mind " (italiques dans l'original).

Sans nécessairement témoigner d'une connaissance approfondie de la langue latine, il est tout à fait impératif de connaître les locutions et expressions les plus fréquemment rencontrées dans les textes anglais et américains. Citons à titre d'exemple : in camera (à huis clos), prima facie (à première vue, de prime abord), ultra vires (au-delà de la compétence de), corpus delicti (le corps du délit), stare decisis (principe du respect des précédents judiciaires), amicus curiae (littéralement " ami de la cour ", terme désignant l'auteur d'un mémoire remis à la cour ; locution existant aussi en français), subpoena (littéralement " sous peine d'amende " : convocation d'un individu en qualité de temoin ; ce terme est d'ailleurs passé dans la langue anglaise en tant que verbe, et il n'est pas rare de rencontrer les formes subpoenaed, subpoenable, ou encore le gérondif subpoenaing), caveat emptor (maxime signifiant que l'acheteur doit prendre à sa charge les risques résultant des défauts éventuels des objets vendus), habeas corpus, etc. On pourrait encore ajouter à cette liste l'expression inter alia (entre autres), que l'on trouve notamment dans la phrase suivante, extraite d'un connaissement : " General Average and charges shall be adjusted at any port or place whatever selected by the Carrier […], provided always that the Consignees or Owners of the goods shall contribute (inter alia) to the payment of any sacrifices, losses or expenses of a General Average nature […]." Il est intéressant, ici, de noter la distinction faite par Bryan Garner dans son Dictionary of modern legal usage (Oxford United Press, 1995, p. 501) à propos des latinismes, qu'il classe en deux grandes catégories : " Legal readers often encounter Latin in modern texts — some of it necessary and some of it not. In legal writing we must distinguish between terms of art [ex. prima facie], for which there are no ordinary English equivalents, and those terms that are merely vestigial Latinisms with simple English substitutes [ex. sub silentio]."

Il reste entendu que dans l'immense majorité des cas, les locutions latines présentes dans le texte anglais doivent être traduites dans le texte d'arrivée, et non conservées en l'état, à l'exception bien sûr des expressions pour lesquelles il n'existe pas de traduction consacrée : c'est le cas, par exemple, d'habeas corpus, expression signifiant littéralement " tu dois présenter le corps ", qui désigne une réalité du droit anglais inconnue en droit français et que l'on ne traduira pas (writ of habeas corpus : ordonnance d'habeas corpus). Les locutions latines présentes dans les textes anglais qui n'ont pas de traduction française, comme habeas corpus, sont le plus souvent ancrées dans un contexte historique bien particulier et sont liées à l'évolution du droit anglo-saxon : ce sont en fait des termes " culturels ", ce qui explique l'absence de traduction en français.

Dans certains cas, on observera toutefois que des locutions sont communes aux deux langues et que leur traduction n'est par conséquent pas indispensable, même si celle-ci est possible et fortement recommandée par certains : ce sera le cas notamment d'ipso facto (cf. phrase citée plus haut : " Le poste deviendra vacant ipso facto…").

A propos des rémanences du latin dans la langue juridique, il est intéressant de signaler la distinction faite dans le Black's Law Dictionary à propos des différents " types " de latin juridique : " There are three sorts of law Latin : (1) Good Latin, allowed by the grammarians and lawyers; (2) false or incongruous Latin (…); (3) words of art, known only to the sages of the law, and not to grammarians, called "Lawyers' Latin"."

Enfin, en ce qui concerne les maximes latines à proprement parler, elles ne sont guère plus usitées et on ne les rencontre que rarement dans les documents juridiques modernes. Ceux que le sujet intéresse trouveront néanmoins une liste des maximes les plus connues à la fin du Vocabulaire juridique de Gérard Cornu, qui en répertorie un nombre relativement conséquent.




Merci à : René Meertens, Tom West, Françoise Degenne, Nathalie Riksten-Tramblin, Jill Williams, Anneke de Haan-Couzy, Judyth Mermelstein et à tous les autres qui font vivre la liste de diffusion Interlang.



© 2000-2001 - Frédéric Houbert

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