juripole information juridique
informatique juridique droit de l'informatique


traduction juridique anglais-français

Ces mots et expressions qui font la loi...

Bulletin sur la terminologie juridique anglais-français
par Frédéric Houbert, traducteur


Novembre - Décembre 2000

Liste des bulletins

Le présent bulletin, destiné initialement aux traducteurs juridiques, intéressera également toute personne désireuse de se familiariser avec la terminologie juridique anglo-saxonne et de mieux comprendre certaines expressions propres au droit français dont le sens est souvent méconnu. Les auteurs étant spécialisés dans le droit commercial et le droit civil, les termes et expressions abordés dans le bulletin relèvent principalement de ces deux domaines, ce qui n'exclut toutefois pas la présence ponctuelle de termes émanant d'autres spécialités.



Le verbe 'TO MEAN' dans les définitions contractuelles

Les contrats anglo-saxons débutent souvent par une liste plus ou moins longue de définitions qui permettent au rédacteur de préciser le sens qui devra être donné aux termes les plus fréquemment rencontrés dans le document. Ces définitions, introduites par une phrase type (cf. " In this Agreement, the following words and expressions shall have the meanings hereby assigned to them unless the context otherwise requires "), sont en règle générale rédigées de la manière suivante : " "Contract" means the contract to be entered into with the Customer.", " "Leader" means the Member appointed by all the other Members to act as leader of the Consortium.", etc. Le verbe " to mean ", tel qu'il est ici utilisé, peut se traduire de multiples façons. Si la manière la plus " directe " de rendre le terme consiste vraisemblablement à utiliser en français le verbe " signifier " (" "Contrat" signifie le contrat…"), cette solution n'apparaît pas très idiomatique et un juriste français ne l'utiliserait sans doute pas spontanément. Certains dictionnaires, comme Les Mots du droit, le lexique juridique de Louis Beaudoin (Éditions Yvon Blais Inc., 2000, p. 89), proposent de rendre " to mean " par " s'entendre de ", comme dans la phrase suivante : " In this agreement, "goods" means…" : " Dans le présent contrat, "marchandises" s'entend de…". Une troisième solution, assez proche de la précédente et tout aussi " naturelle ", consiste à utiliser l'expression " Par ("Contrat"), il faut entendre le contrat devant être conclu avec le Client…", ou " ("Contrat") désigne…". Cette derni ère tournure semble assez fréquente dans les contrats rédigés en français, comme en témoignent ces deux définitions, extraites d'un Cahier des clauses générales d'achat : " "Prestation" désigne la fourniture de tout matériel ou équipement, la réalisation de tout ouvrage ou l'exécution de tout service." ; " "Contrat" désigne toute convention régissant les obligations respectives de la Société et de l'Entreprise, quelle que soit son appellation."

Il est toutefois à signaler qu'il est relativement rare de trouver, dans les contrats français, des listes de définitions en début de document, même si certains textes, sous l'effet peut-être de l'influence anglo-saxonne, dérogent à la règle. D'ailleurs, il faut préciser que le Cahier des clauses cité plus haut émane en fait de la filiale française d'une société américaine, ce qui explique peut-être la présence de définitions dans le texte en français.

A COMPANY ORGANISED AND EXISTING UNDER THE LAWS OF …

Cette formule figée, que l'on trouve, au début des contrats anglais et américains, dans la présentation des parties au contrat (paragraphe souvent introduit par les mots " Between (the undersigned) "), permet d'indiquer de quel droit relève la société en question. Comme souvent dans de pareils cas, le traducteur ne doit pas se laisser " aveugler " ni impressionner par la formulation anglaise. L'expression " a company organised and existing under the laws of…" comprend en fait deux éléments : " organised under the laws of " signifie simplement que la société en question a été constituée conformément à la législation de tel ou tel pays, autrement dit qu'il a été satisfait aux conditions préalables à la reconnaissance de son existence juridique dans le pays concerné (en France, par exemple, toute création de société doit faire l'objet d'une immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés). La deuxième partie de l'expression, " existing under the laws of ", signifie que la société est soumise à la législation conformément à laquelle elle a été constituée : autrement dit, il faut comprendre par là que la société relève du droit français, du droit allemand, etc.

Plutôt que de s'évertuer à conserver la distinction entre les deux notions en français, il faudra préférer, dans la traduction, une formule plus courte et plus directe, comme par exemple " société de droit…", qui est l'équivalent français le plus proche et le plus naturel. Cette expression permet non seulement une certaine économie de mots mais elle a de plus l'avantage de recouvrir les deux idées de l'original anglais : ainsi, " Inco Inc., société de droit américain, …" signifie que ladite société a été constituée conformément au droit américain et qu'elle y est soumise dans toutes ses opérations (ce qui peut avoir son importance, notamment en cas de liquidation).

Il est à noter que cette expression, dont il existe un certain nombre de variantes (comme " organised and existing under and by virtue of the laws of "), est souvent suivie de la formule " whose registered office is at ", qui permet de préciser l'adresse du siège social de la société (en français, " dont le siège social est situé à " ou " ayant son siège social à ").

"CONDITION" et "WARRANTY"

Ces termes sont deux parfaits exemples de " faux amis partiels ", appellation qui désigne les faux amis qui peuvent aussi se traduire de manière " littérale ". Ainsi, il est tout à fait possible de traduire condition par condition en français, lorsque le terme prend le sens de " modalité d'un acte juridique faisant dépendre l'existence d'un droit d'un événement futur dont la réalisation est incertaine " (Lexique des termes juridiques Dalloz). De la même façon, warranty peut très bien se traduire par garantie lorsque ce terme désigne une garantie commerciale dont est assortie un produit (" this product has a one year warranty ", par exemple). Cela étant, dans le contexte des contrats, le terme condition peut également faire référence à une clause essentielle (essential term) et warranty peut prendre le sens de clause accessoire (collateral term), les deux termes fonctionnant alors " en duo ". La prise en compte de cette deuxième acception, très rarement mentionnée dans les dictionnaires bilingues, y compris juridiques, est d'autant plus essentielle que le recours auquel pourra prétendre la partie lésée en cas d'inexécution du contrat dépendra de la nature de la clause qui n'aura pas été respectée, condition ou warranty. Ainsi, le non-respect d'une warranty n'ouvrira droit, pour la partie lésée, qu'à des dommages et intérêts, tandis que le non-respect d'une condition pourra motiver la résolution pure et simple du contrat.

Cette précision étant apportée, il faut toutefois remarquer que dans les contrats, les rédacteurs parlent plus souvent de terms que de conditions lorsqu'ils font référence aux clauses du contrat, ce afin d'éviter tout malentendu. Il est toutefois intéressant de constater que cela ne les empêche pas d'utiliser à tour de bras l'expression terms and conditions, dont la traduction n'a pas fini de prêter à controverse.

'TO SUE' et 'TO PROSECUTE'

Même si ces termes peuvent tous deux se traduire par poursuivre en justice, intenter un procès contre, ou encore, attaquer en justice, il existe encore entre eux une distinction importante ; en effet, le verbe to sue ne s'emploie théoriquement que dans le cas de procédures civiles, tandis que to prosecute s'utilise exclusivement dans le cas de poursuites pénales (ces dernières sont d'ailleurs le plus souvent engagées, en Grande-Bretagne, par le Crown Prosecution Service, l'équivalent anglais du Parquet). Il faut remarquer que cette distinction tend actuellement à disparaître avec l'usage (on trouve ainsi, dans les définitions que propose le Merriam-Webster Dictionary of Law du verbe to prosecute, " to institute and carry on a civil or criminal action "), mais elle reste toutefois bien réelle, pour preuve ce passage extrait de The Law Machine, l'ouvrage de référence de Marcel Berlins et Clare Dyer (Penguin, 1989, p. 19, italiques dans l'original) : " In a criminal case, someone is prosecuted for behaviour which is considered harmful to society as a whole […]. Civil cases are between private interests. One individual — or possibly a firm, a local authority or some other body — sues another, usually for some harm caused to him personally, or for money owed to him."

À propos des traductions possibles de ces deux verbes, il est important, comme le souligne Louis Beaudoin dans son ouvrage Les mots du droit (Éditions Yvon Blais Inc., 2000, p.101), de " ne pas confondre "poursuivre" et "intenter" ou "introduire" (une instance, une demande). On "poursuit" une instance après la suspension de celle-ci."


Principales caractéristiques de la langue juridique anglaise et française et spécificités de la traduction juridique



III. Les mots courants qui ont acquis un sens juridique

" Dans leur immense majorité les termes du vocabulaire juridique ont également un sens dans le langage commun. À la vérité, ce peut être le même. Mais, dans la plupart des cas, il s'agit d'un sens différent. Lorsque cela est, un même terme est, par la pluralité de ses sens, à cheval sur le langage du droit et sur le langage courant." (Gérard Cornu, Linguistique juridique, Domat droit privé/Montchrestien, 2000, p. 74)

La langue juridique apparaît souvent, à juste titre, comme une langue difficile à appréhender pour le non-initié. Des termes comme exequatur, mise en mandat de dépôt, ou usufruit peuvent en effet provoquer un sentiment de perplexité chez celui ou celle qui n'a pas suivi d'études de droit ni bénéficié d'une initiation à la langue juridique.

Parallèlement aux termes techniques, qui font de la langue du droit une langue de spécialiste, il faut aussi remarquer que le juriste fait constamment appel à des termes qui nous semblent beaucoup plus proches, à des termes que nous avons l'impression de comprendre pour la bonne et simple raison qu'ils sont aussi employés dans la vie de tous les jours. Or, il ne faut surtout pas se méprendre, car ces termes prennent dans le contexte juridique un sens très différent de celui qui leur est reconnu dans la langue courante.

Il est d'autant plus important de connaître le sens juridique de certains termes courants que ceux-ci sont souvent employés dans le cadre de procédures susceptibles de concerner tout un chacun. Ainsi, lorsqu'un juge d'instruction annonce à une personne interpellée qu'il va être procédé à une confrontation contradictoire en présence du substitut du procureur, il est important de savoir que le terme contradictoire, dans le contexte juridique, qualifie " une opération (judiciaire ou extrajudiciaire) à laquelle tous les intéressés ont été mis à même de participer, même si certains n'y ont pas été effectivement présents ou représentés, mais à la condition que tous y aient été régulièrement convoqués de telle sorte que le résultat de cette opération leur est, à tous, opposable." (Vocabulaire juridique Cornu). Nous sommes donc bien loin ici du sens que prend contradictoire dans la langue courante.

Outre contradictoire, les exemples de termes courants ayant acquis un sens juridique ne manquent pas. Jean Darbelnet, dans son article Niveaux et réalisations du discours juridique (Langage du droit et traduction, Linguatech/Conseil de la langue française, 1982, p. 56), évoque ainsi l'adjectif réputé en ces termes : " Sans complément, se dit entre autres d'un bon vin. Suivi d'un attribut, c'est un terme juridique équivalent à considéré (comme). Ainsi, un témoin peut être réputé de bonne foi ". Il est à signaler, à propos de ce terme, qu'il peut aussi être suivi d'un verbe à l'infinitif : " Passé ce délai, l'Entreprise sera réputée accepter le Contrat et ne formuler aucune réserve sur ses termes ". Le verbe succomber (que l'on retrouve, dans la langue courante, dans des cooccurrents tels que succomber à la tentation) prend lui aussi un sens bien particulier dans les textes juridiques : il y signifie en effet supporter les frais afférents à une procédure. On parlera ainsi de la partie succombante (ou qui succombe) ou encore de succombance.

La procédure civile est un domaine du droit où l'on trouve de nombreux termes courants prenant un sens spécifique : ainsi, l'expression exploit d'huissier désigne non pas un acte de bravoure mais l'acte (au sens de document) rédigé et signifié par un huissier de justice. L'expédition, qui évoque l'image d'aventuriers partis explorer des contrées lointaines, désigne en fait dans le contexte juridique la " copie d'un acte authentique délivrée par l'officier public dépositaire de l'original " (Lexique Dalloz des termes juridiques). De la même façon, le dispositif d'un jugement est la partie de celui-ci qui contient la solution du litige et à laquelle est attachée l'autorité de la chose jugée. Toujours en droit civil, la minute est " l'original d'un acte rédigé par un officier public, ou d'un jugement conservé au greffe, et revêtu de la signature du président et du secrétaire-greffier " (Lexique Dalloz), tandis que la grosse, qui, dans d'autres contextes, ne serait pas sans évoquer l'image d'une dame d'une certaine corpulence, est en droit le " nom donné dans la pratique à l'expédition (d'un jugement ou d'un acte) revêtue de la formule exécutoire " (Vocabulaire juridique Cornu).

Certains verbes courants prennent eux-mêmes un sens bien particulier dans le contexte juridique : justifier par exemple, a, dans la langue courante, le sens de rendre légitime, tandis que justifier de signifie, en droit, apporter la preuve de ce que l'on avance (" justifier de la nationalité française ").

Pour compliquer encore davantage les choses, certains termes courants peuvent, dans le contexte juridique, prendre non pas un mais plusieurs sens distincts en fonction du domaine du droit concerné. Un très bon exemple est celui que constitue le terme ordonnance, relevé par Christine Schmidt dans son article La langue juridique : maux et remèdes (in Dictionnaire des difficultés de l'anglais des contrats, La Maison du Dictionnaire, 2000, p. 122) : " Une ordonnance est dans le vocabulaire courant l'écrit comprenant les prescriptions faites par un médecin ; une ordonnance juridique est un acte fait par le gouvernement ayant valeur de loi si l'on se situe en droit constitutionnel, mais est également une décision prise par un juge unique en droit privé."

Il convient également de remarquer que certains termes courants employés dans la langue juridique couvrent parfois une surface sémantique beaucoup plus importante dans ce deuxième contexte : c'est notamment le cas de meuble, terme qui, dans la langue courante, se limite aux chaises, aux tables, etc. mais qui, en droit, prend plusieurs sens : les juristes font en effet la distinction entre les meubles meublants (qui sont les meubles que nous connaissons dans la vie de tous les jours), les meubles par anticipation (cf. récolte sur pied destinée à être vendue coupée), et les meubles par nature (biens corporels pouvant se déplacer par eux-mêmes, comme les animaux par exemple, ou pouvant être déplacés).

Parallèlement aux mots de la langue courante qui ont acquis un sens juridique spécifique, il faut aussi citer le cas des expressions courantes qui prennent leur origine dans la langue du droit : tout le monde connaît par exemple l'expression aux dépens de mais ne sait pas nécessairement qu'en droit, on appelle dépens " la part des frais engendrés par le procès que le gagnant peut se faire rembourser par le perdant, à moins que le tribunal n'en décide autrement " (Lexique Dalloz). Parmi les autres cas d'expressions courantes d'origine juridique, citons aussi obtenir gain de cause, métaphore passée dans le langage commun pour signifier obtenir satisfaction, l'emporter sur son adversaire dans une quelconque controverse, mais qui, en droit, signifie plus précisément gagner le procès, se voir adjuger le bénéfice de ses conclusions. Autre expression courante d'origine juridique, en tout état de cause équivaut, dans le vocabulaire courant, à dans tous les cas mais signifie, dans la langue juridique, " aussi bien en appel qu'en première instance ". De nombreuses autres expressions juridiques devenues des locutions familières mériteraient une étude approfondie : s'inscrire en faux, à tour de rôle, séance tenante, être sur la sellette, les tenants et les aboutissants, etc.

Le langage courant et le langage du droit entretiennent donc, depuis fort longtemps, des rapports très étroits sur lesquels il est tout à fait intéressant, voire indispensable, de se pencher. Il est particulièrement intéressant de constater que les " allers et retours " entre ces deux langages sont constants et que ces derniers continuent encore aujourd'hui de s'influencer réciproquement.

Les quelques exemples cités plus haut suffisent à démontrer combien il est important de connaître le sens juridique pris par certains termes courants, sous peine de commettre de graves erreurs de compréhension et donc, de traduction. Il va sans dire que les remarques faites dans ce texte s'appliquent également à l'anglais, où de nombreux termes courants prennent aussi un sens juridique : discovery, par exemple, terme dont le sens courant est découverte, a en droit le sens de communication ou de production de pièces, comme dans la phrase " the judge ordered the discovery of several documents " (" le juge a ordonné la production de plusieurs pièces " ; il est d'ailleurs à noter que ce terme a récemment été remplacé, dans la procédure anglaise, par le terme disclosure). De la même façon, loin des acceptions qui lui sont reconnues dans le vocabulaire courant, le terme ground est aussi un terme juridique qui signifie moyen (" grounds stated by the parties " : " moyens articulés par les parties ").

Pour finir, il peut sembler intéressant de revenir sur le titre de cet article, titre dont le bien-fondé peut légitimement être remis en question. En effet, dans quelle mesure peut-on affirmer, dans l'étude des termes dont il a été jusqu'ici question, que ce sont les mots courants qui ont acquis un sens juridique et non les mots juridiques qui sont devenus des mots de la langue courante ? Pour répondre à cette question, citons Gérard Cornu qui, dans son ouvrage Linguistique juridique (op. cité, pp.75 et 80), reconnaît certes l'existence de " termes dont il est certain qu'ils ont un sens juridique principal et un sens extrajuridique dérivé " (il est alors question des " termes d'appartenance juridique principale "), mais n'en établit pas moins que ce sont les " termes qui, comme les précédents, appartiennent à la fois au lexique général et au vocabulaire juridique, mais qui, à la différence des précédents, paraissent avoir été empruntés par celui-ci à celui-là " qui constituent la catégorie la plus importante, état de fait que l'on retrouve dans le titre du présent article.


© 2000-2001 - Frédéric Houbert

Liste des bulletins

Retour au sommaire du JURIPOLE

droit informatique droit de l'informatique
formation contrats informatiques