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traduction juridique anglais-français

Ces mots et expressions qui font la loi...

Bulletin sur la terminologie juridique anglais-français
par Frédéric Houbert, traducteur


Juillet - Août 2000

Liste des bulletins

Le présent bulletin, destiné initialement aux traducteurs juridiques, intéressera également toute personne désireuse de se familiariser avec la terminologie juridique anglo-saxonne et de mieux comprendre certaines expressions propres au droit français dont le sens est souvent méconnu. Les auteurs étant spécialisés dans le droit commercial et le droit civil, les termes et expressions abordés dans le bulletin relèvent principalement de ces deux domaines, ce qui n'exclut toutefois pas la présence ponctuelle de termes émanant d'autres spécialités.





CONDITION PRECEDENT

Une "condition precedent", "condition suspensive" en français, est une condition dont l'accomplissement fait figure de préalable à l'exécution du contrat par la partie à laquelle est due ladite condition. En d'autres termes, si la condition en question n'est pas remplie, le contrat sera réputé "suspendu" et n'être jamais entré en vigueur. Ce type de condition fait partie des conditions expresses, qui sont mentionnées en toutes lettres dans le document de référence, au contraire des conditions tacites, qui sont sous-entendues.

Voici un exemple de condition suspensive, tiré du contrat de travail d'un joueur de basket-ball (Article 1 – Engagement) : "Cet engagement est conclu sous la condition expresse de la délivrance par la Ligue Nationale de Basket-ball, au profit du club, de la licence du joueur et du certificat d'aptitude délivré suite à la visite médicale d'embauche. Si cette condition n'est pas réalisée, le présent engagement sera réputé n'avoir jamais été conclu ; aucune indemnité à quelque titre que ce soit ne peut de ce fait être réclamée au club par le joueur".

On peut noter ici que deux conditions doivent être réunies : la délivrance par la Ligue de la licence du joueur et la délivrance du certificat d'aptitude physique.

Lorsque la nature de la "condition precedent" est précisée à l'aide de la postposition "to", il s'avérera parfois délicat de rendre l'idée, comme dans la phrase suivante : "It shall be a condition precedent to the Company's entitlement to be paid any amount in respect of the Contract that the Work has been performed in accordance with these instructions". Parmi les traductions possibles : "Le droit de la Société de percevoir des paiements au titre du Contrat sera subordonné à la réalisation de la condition suspensive que constitue l'exécution des Travaux conformément aux présentes instructions".

"TERM" ET "TERME"

Ces deux "termes" doivent être maniés avec la plus grande précaution. En effet, si le premier désigne généralement, en anglais, la durée de validité d'un acte ou d'un contrat ("contract term" : "durée du contrat"), "terme" désigne en français le moment où l'acte, ou le contrat, arrive à échéance ou plus généralement, l'expiration d'un délai. On dira ainsi d'un contrat qu'il "arrive à (son) terme". On trouve parfois "l'échéance du terme" ("toute rupture du contrat avant l'échéance du terme"), qui n'est pas correct si l'on tient compte du fait que "terme" et "échéance" ont le même sens. On utilisera donc de préférence "avant l'arrivée du terme", ou même, plus simplement, "avant terme".

Il est à signaler que le mot anglais "term" peut aussi avoir le sens d'échéance, même s'il est assez rare de trouver cette acception dans les documents contractuels, où il prend plutôt le sens mentionné ci-dessus de "durée de validité".

Enfin, aussi bien en anglais qu'en français, le mot "terme" prend un sens bien différent s'il est utilisé au pluriel : il ne faut ainsi pas confondre l'expression "au terme du présent contrat", qui signifie comme indiqué plus haut "à l'expiration du contrat", avec "aux termes du présent contrat", qui signifie "selon les clauses du contrat".

UNENFORCEABLE CONTRACT

On dit d'un contrat qu'il est "unenforceable" lorsqu'il est impossible, pour des raisons diverses, de le faire valoir en justice, autrement dit, lorsque le contrat n'a pas force exécutoire. On peut donc traduire cette expression par "contrat inexécutoire", ou "contrat non exécutoire", qui en constituent les traductions les plus "directes". D'autres dictionnaires proposent "contrat inapplicable", "contrat privé d'effet" (qui n'est ni plus ni moins que la traduction de la définition donnée par le Black's Law Dictionary : "(an unenforceable contract is) a contract having no legal effect)", ou encore, "contrat insusceptible d'exécution" (cette dernière étant proposée par le Dictionnaire juridique Dahl).

JURIDICTION

Ce terme, que l'on retrouve dans de nombreuses expressions, se traduit le plus souvent par "compétence" ou "ressort". Citons quelques exemples : "to fall within the jurisdiction of" : "relever de la compétence de" ou "être du ressort de" ; "clause conferring jurisdiction" : "clause attributive de compétence" ; "lack of jurisdiction" : "incompétence" ; "to entertain jurisdiction over" : "connaître de" (autrement dit, avoir compétence pour juger). Il est à noter que "ressort" désigne aussi l'étendue territoriale de juridiction.

Le terme français de "juridiction" peut aussi être utilisé, à condition de prendre les précautions nécessaires : en effet, si ce terme désigne le pouvoir de juger, de rendre la justice, et l'étendue et la limite de ce pouvoir, auquel cas il est synonyme d'autorité ou de souveraineté ("On dit par exemple qu'une entreprise relève de la juridiction fiscale de tel ou tel État pour signifier que cet État a le pouvoir de l'imposer", Lexique Dalloz), il peut aussi être synonyme de tribunal, comme dans l'expression "juridiction de droit commun" ou dans "porter une affaire devant la juridiction compétente".

AID AND ABET

Dans cette expression idiomatique, les deux verbes ont un sens assez proche mais toutefois distinct. Ils correspondent en fait aux deux éléments essentiels de la complicité : d'une part (to aid), la fourniture de moyens, l'aide effective avant, pendant et/ou après la commission d'une infraction ; d'autre part (to abet), l'incitation, l'encouragement à commettre une infraction, un acte délictueux. Deux traductions sont possibles : si l'on ne tient pas à traduire trop littéralement, on peut rendre l'expression par "être complice de" quelqu'un ou quelque chose. Si l'on veut rester le plus près possible du texte d'origine, il faut alors dire "aider et encourager" (quelqu'un / à la commission d'un délit), ou encore "inciter (quelqu'un à commettre une infraction, selon le contexte) et lui prêter main forte". L'expression substantivée "aiding and abetting", pour sa part, est en général rendue par "complicité" tandis qu'"aider and abettor" peut se traduire par "complice".


Principales caractéristiques de la langue juridique anglaise et française et spécificités de la traduction juridique



Le texte qui suit est le premier d'une série d'articles sur les principales caractéristiques de la langue juridique et les spécificités de la traduction juridique d'anglais en français. Après les termes obsolètes et les archaïsmes, il sera notamment question, dans cette rubrique, des locutions latines, des mots courants ayant acquis un sens juridique ("réputé", "contradictoire", etc.), des connecteurs ("hereby", par exemple), des caractéristiques syntaxiques de la langue juridique (en mettant l'accent sur les différences entre l'anglais et le français et sur les problèmes pratiques de traduction), des tautologies, des séries et énumérations de noms et de verbes dans les textes juridiques, des faux amis, des problèmes de polysémie, etc. L'objectif de cette série de textes est double : permettre au non-initié de se familiariser avec la langue juridique tant anglaise que française et fournir au traducteur francophone des outils pratiques, sous la forme notamment de conseils méthodologiques, susceptibles de l'aider dans la traduction de textes juridiques variés

I. La présence de termes obsolètes et archaïques dans la langue juridique

"Lawyers have two common failings. One is that they do not write well and the other is that they think that they do." (Carl Felsenfeld, Canadian Business Law Journal, vol. 6, 1981-82)

La langue juridique est souvent qualifiée, à tort ou à raison, de langue obsolète et archaïque. Dans son ouvrage intitulé Legal writing and drafting (Blackstone Press Ltd, 1994, p. 46), Paul Rylance fustige en ces termes l'archaïsme de la langue juridique : "Lawyers often use archaic phrases quite needlessly. This is largely a result of the traditional training system and the unquestioning habit of lawyers. […] When used in drafting, these expressions create a false impression of precision when in reality they conceal lazy thinking". Il est vrai que les archaïsmes sont encore souvent légion dans les textes juridiques, qui s'adressent pourtant au grand public. L'archaïsme de la langue juridique anglaise et française est principalement dû à la place très importante qu'accorde en général le droit à la tradition et aux principes établis. Il ne faut pas oublier, par exemple, que le français est resté, jusqu'au 17ème siècle, la langue officielle des tribunaux en Angleterre, ce qui a eu une influence considérable sur la terminologie juridique anglaise. Cette influence, malgré le passage des siècles, est encore très sensible aujourd'hui : l'anglais juridique moderne comprend en effet de nombreux temes directement issus du français ("lien", "plaintiff", "tort", "demurrer","estoppel") et nombre des tautologies, ensembles composés de deux ou trois termes proches par leur sens, encore utilisées aujourd'hui dans le domaine juridique sont symptomatiques de la lutte d'influence qui a autrefois opposé le français et l'anglais, à une époque où la domination politique et économique passait aussi par la domination linguistique. Par exemple, dans l'expression "last will and testament", le premier terme est d'origine anglaise, tandis que le second est d'origine franco-latine.

Les devises "Honi soit qui mal y pense" et "Dieu et mon droit", qui figurent sur les armoiries de la famille royale d'Angleterre, sont elles-mêmes on ne peut plus révélatrices de l'influence prépondérante qu'a eu, en Angleterre, le français comme langue du droit. La formule impérative "Oyez", prononcée notamment par les huissiers, dans les tribunaux, à l'ouverture d'un procès pour recueillir l'attention des personnes présentes, témoigne elle aussi de cette influence. On retrouve d'ailleurs ce dernier terme dans l'expression "oyant compte", qui désigne en français la personne à laquelle on rend compte (par opposition au "rendant compte" lui-même).

Lorsqu'il s'agit d'archaïsmes et de formules obsolètes, l'anglais et le français sont à peu près logés à la même enseigne. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les mentions qui figurent sur certains documents de procédure. Sur les jugements délivrés par les tribunaux français, par exemple, figure encore la vieille formule exécutoire : "En conséquence, la République française mande et ordonne : à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre la présente décision à exécution ; aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d'y tenir la main ; à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu'ils en seront légalement requis." Sur les "writs" (actes introductifs d'instance) anglais, on peut encore trouver en introduction la formule suivante, qui peut prêter à sourire : "Elizabeth the Second, by the Grace of God, of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and of Our other realms and territories Queen, Head of the Commonwealth, Defender of the Faith."

Il faut remarquer ici que les documents de procédure, qui sont a priori des documents à fort contenu historique, contiennent en général davantage d'archaïsmes et de formules obsolètes que les documents relevant du droit privé, comme les contrats, par exemple. Cela n'empêche toutefois pas les juristes d'avoir encore recours, dans la rédaction des contrats notamment, à des termes comme "aforesaid", "heretofore", ou "witnesseth" (forme vieillie de la troisième personne du singulier du verbe "to witness", qui annonce un préambule dans un contrat), qui semblent tout droit sortis d'un roman de Dickens. Il est vrai que les adverbes et l'ancienne terminaison de la troisième personne "th" adjointe à certains verbes ("doth", "hath", et surtout "witnesseth", cité plus haut) sont sans doute les deux types d'archaïsmes les plus persistants. Au niveau syntaxique, les formes emphatiques et redondantes telles que "do hereby grant…" n'ont pas non plus dit leur dernier mot. Citons aussi le célèbre et néanmoins amusant "Know all men by these present", qui introduit souvent le texte d'une procuration ("power of attorney"). Dans le cas spécifique des contrats, la tendance est toutefois à la modernisation et on peut remarquer que les formules archaïques qui subsistent encore sont souvent celles qui introduisent le texte ou le concluent ("In witness whereof, the parties have hereunto set their hand and seal on the date first above written"). Les textes fondateurs, comme la constitution des États-Unis par exemple, font eux-mêmes souvent figure d'"ovnis" dans le paysage linguistique moderne, pour des raisons évidentes liés à la faculté de chaque texte de durer dans le temps.

Dans tous les cas, il ne faut pas oublier, lorsque l'on parle de langue juridique, qu'il n'existe pas une seule et unique langue juridique : la langue des contrats et des polices d'assurances n'a pas grand-chose à voir avec celle des textes de loi, la langue parlée dans les tribunaux n'est pas la même que celle à laquelle ont recours les recueils de jurisprudence, qui contiennent les décisions rendues par les juges dans telle ou telle affaire, etc. Une deuxième différentiation doit être faite entre la langue du législateur, à savoir celle des institutions qui formulent les lois, et la langue du pouvoir judiciaire, celle des tribunaux et des juges qui interprètent et qui appliquent les textes de loi.

Remarquons pour conclure que la tendance actuelle est à la simplification et au "dépoussiérage" des textes juridiques, perçue comme de plus en plus nécessaire. C'est ainsi qu'est apparue en Europe, dans le courant des années 1970 (et dès les années 1950 aux Etats-Unis), la "Plain English Campaign", mouvement dont les partisans préconisent la simplification des textes juridiques. Ce mouvement, auquel se sont associés des personnalités de premier plan ainsi que des juristes de renom, connaît aujourd'hui un certain succès et il est facile de trouver, dans les librairies anglaises et américaines, des ouvrages sur la rédaction juridique fondés sur les principes préconisés par les partisans du "Plain English" (voir Legal writing and drafting, cité plus haut).




Merci à : René Meertens, Tom West, Françoise Degenne, Nathalie Riksten-Tramblin, Jill Williams, Anneke de Haan-Couzy, Judyth Mermelstein et à tous les autres qui font vivre la liste de diffusion Interlang.



© 2000-2001 - Frédéric Houbert

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