Les conditions de la clause de non-concurrence

en droit du travail allemand et en droit du travail français


par Maître EISELE, avocat au barreau de Metz







PARTIE II

LA PRESERVATION DE
L'INTERET DU DEBITEUR DE NON-CONCURRENCE







169- L'intérêt du créancier de l'obligation de non-concurrence à limiter la possibilité d'action concurrentielle future du salarié débiteur a pour corollaire l'intérêt du salarié à avoir une connaissance exacte de la portée de son engagement, qu'il souhaitera voir aussi limité que possible, et à percevoir la juste rétribution de son abstention.

Intérêt de l'employeur et intérêt du salarié forment les panneaux extérieurs d'un triptyque juridique qui encadrent la liberté contractuelle des parties à la clause de non-concurrence. Ils s'équilibrent l'un l'autre. Mais le créancier de l'obligation de non-concurrence doit justifier de son intérêt qui constitue une condition de validité préalable de la clause de non-concurrence alors que le débiteur peut se référer à son intérêt pour préciser, limiter ou compenser la perte de liberté professionnelle qu'il subit. Dans la partie II, la préservation de l'intérêt du salarié sera tout d'abord étudiée au regard de l'engagement qu'il souscrit (chI), puis sous l'angle de la compensation qu'il perçoit (chII).




CHAPITRE I

L'ENGAGEMENT DU SALARIE






170- Des deux parties au contrat de travail le salarié est, le plus souvent, celui dont la situation requiert protection en raison de sa relative faiblesse économique et de la difficulté à laquelle il peut être confronté pour retrouver un emploi correspondant à ses aptitudes. C'est lors de la conclusion du contrat de travail que le besoin de protection se fait plus particulièrement ressentir puisque le candidat à un emploi est exposé à devoir accepter d'éventuelles atteintes à ses droits et libertés. Or c'est précisément à ce moment que dans la plupart des hypothèses il est demandé au salarié de souscrire une clause de non-concurrence. Cet engagement peut cependant aussi être réclamé en cours d'exécution du contrat de travail, peu avant sa fin et même après la rupture dans le cadre d'une transaction.

La question de la protection du salarié s'est tout naturellement posée. Le droit y apporte une première réponse en soumettant l'accord de non-concurrence au respect de règles destinées à garantir un engagement clair et non équivoque, donné en pleine connaissance de cause par une personne apte à contracter. Les conditions susceptibles de conférer la sécurité juridique à la convention de non-concurrence seront étudiées dans une section 1. Mais les intérêts du salarié commandent aussi que son engagement soit circonscrit de manière à ne pas lui interdire d'exercer ultérieurement une activité professionnelle conforme à sa formation ou aux compétences qu'il a acquises. Les conditions destinées à limiter la portée de l'engagement du salarié seront étudiées dans une section 2. Ces préoccupations sont communes aux droits allemand et français qui y apportent dans la plupart des cas une réponse très proche à défaut d'être identique. L'approche comparative permettra d'éclairer les mérites et inconvénients de chaque solution.


SECTION 1. - LA VALIDITE DE L'ENGAGEMENT DU SALARIE


SOUS-SECTION 1. - EN DROIT ALLEMAND


171- En droit allemand, les §§ 74 et s. HGB posent des exigences spécifiques à la clause de non-concurrence quant au respect de certaines règles de forme et édictent des nullités de fond spéciales destinées à protéger le salarié. Nous consacrerons le § 1 à leur étude. L'exigence d'un consentement du salarié dépourvu de vice, la validité d'un engagement conditionnel et l'absence de contrariété de l'engagement de non-concurrence avec les bonnes mœurs doivent par contre être appréciées au regard du droit positif allemand général, et plus particulièrement des dispositions du BGB. Nous examinerons ces questions dans les §§ 2, 3 et 4.


§ 1. - LES NULLITES


172- Le § 74, al. 1er HGB dispose qu'"une convention conclue entre un Prinzipal (employeur) et un Handlungsgehilfe (salarié commercial) qui apporte des restrictions à l'activité professionnelle du salarié (interdiction de concurrence) pendant la période postérieure à la cessation du rapport de travail doit faire l'objet de la rédaction d'un écrit et de la délivrance par l'employeur au salarié d'un acte signé par lui en contenant les clauses ". La sanction du non-respect de cette règle est la nullité.

La Nichtigkeit (nullité) constitue la sanction la plus grave envisagée par le droit allemand. Selon C. Witz, "est nul un acte juridique inefficace à tous égards et appelé à le rester. Telle est la sanction de droit commun des conditions de validité des actes juridiques " 1.

Cette sanction joue de plein droit sans que le moindre acte particulier soit nécessaire. Toute personne peut s'en prévaloir et, au cours d'un procès, le juge a l'obligation de la soulever d'office si elle résulte des éléments du dossier 2.

Une difficulté particulière est susceptible de se présenter pour déterminer les conséquences de la nullité d'une clause de non-concurrence sur le contrat de travail dans son ensemble quand elle en est un élément constitutif. Le droit allemand connaît en effet la Teilnichtigkeit prévue par le § 139 BGB 3 en cas d'un einheitliches Rechtsgeschäft (acte juridique unitaire) divisible, c'est-à-dire que " ce qui demeure après amputation doit pouvoir constituer un acte juridique efficace " 4. Pour H. Buchner, en règle générale, la nullité de la clause de non-concurrence n'affecte pas la validité du contrat de travail à moins qu'à raison d'un besoin particulier de protection des intérêts concurrentiels de l'employeur, la clause de non-concurrence ait constitué une condition essentielle à la passation du contrat de travail 5.

La nullité sanctionne le non-respect des règles de forme, mais également cinq vices de fond déterminés par la loi et la contrariété aux bonnes mœurs. La jurisprudence allemande n'est pas très abondante et la doctrine allemande ne consacre pas de longs développements à cette matière qui ne se singularise pas par rapport à l'exigence générale de formalisme que connaît le droit allemand. Nous étudierons tout d'abord les nullités pour vice de forme (A) avant d'envisager ensuite les autres causes de nullité (B).


A. - Nullités pour vice de forme


1. - Absence d'établissement de la clause de non-concurrence par écrit


173- Le § 74 HGB impose la rédaction d'un écrit ; le § 126 BGB précise les modalités de l'obligation et dispose que :

" (1) Si la loi impose la forme écrite, le document doit soit être signé de la propre main de son auteur qui y apposera également son nom, soit signé au moyen d'un paraphe notarié.

(2) Les signatures des parties doivent être apposées sur le même document s'il s'agit d'un contrat. Si plusieurs documents conformes sont établis pour le même contrat, il est alors suffisant que chaque partie appose sa signature sur l'exemplaire destiné à l'autre partie.

(3) L'authentification notariée remplace la forme écrite ".

H. Buchner 4 et W-R. Janert 6 déduisent de la formulation du § 126, al. 3 BGB qu'une authentification judiciaire est possible ; les auteurs ajoutent ainsi au texte une mention qu'il ne comporte pas mais qui correspond tout à fait à son esprit.

Ne sont pas constitutives d'un écrit au sens du texte les signatures reproduites par moyen mécanique, cachet ou griffe y compris, ou encore celles retransmises par télex, télégramme ou télécopie 7.

En principe, la clause de non-concurrence doit être signée par les deux parties. Cependant, quand plusieurs copies conformes du contrat sont dressées, il est satisfait aux exigences du texte si chaque partie appose sa signature sur l'exemplaire destiné à l'autre partie 8. Un échange de lettres n'est toutefois pas suffisant 9.

174- Le non-respect de l'exigence d'un écrit imposé par le § 74, al. 1er HGB entraîne la nullité de la clause de non-concurrence conformément au § 125 BGB 10.

Certains auteurs interprètent le texte de façon stricte. C'est ainsi que pour Schlegelberger et Schröder, le salarié qui n'a pas apposé sa signature sur un contrat de travail assorti d'une clause de non-concurrence, ne peut valablement confirmer son engagement par une lettre postérieure qui ferait référence audit contrat 11. Cette prise de position est sévère pour l'employeur et peut entraîner des conséquences extrêmement graves puisque se croyant à tort protégé par une clause de non-concurrence, il ne l'est pas.

Elle pourrait aussi être étendue à des situations voisines, par exemple celle où une clause de non-concurrence n'est pas insérée dans le contrat de travail proprement dit, mais fait l'objet d'un avenant ou d'un complément par acte séparé. Le BAG, amené à se prononcer dans l'hypothèse où un document annexe, matériellement détaché du contrat de travail, n'avait pas été signé comme le veut le § 126(2) BGB, a adopté une position libérale. Par arrêt du 30 octobre 1984, il a jugé qu'une clause de non-concurrence qui n'a pas été signée satisfait aux exigences de forme posées par le § 74, al. 1er HGB quand des liens étroits l'unissent au contrat de travail signé qui y fait référence12. En l'espèce, une clause de non-concurrence établie par acte séparé avait été signée par un fondé de pouvoir qui n'avait pas reçu d'habilitation spéciale pour représenter seul l'employeur en violation du § 48, al. 2 HGB et du § 49 HGB. Le BAG a estimé que le texte de la clause de non-concurrence faisait partie d'une Gesamturkunde (document global) satisfaisant aux exigences légales. Par contre, la simple référence à une gedankliche Verbindung (communauté d'idées) n'est pas suffisante 13, pas plus que la référence à une clause de non-concurrence qui n'existe pas encore au moment de la conclusion du contrat de travail 14.

Certains LAG, à l'instar de celui de Cologne, avaient dans le passé fait preuve de plus de sévérité 15. C'est ainsi que le LAG de Hamm avait estimé qu'était insuffisant au regard de la loi l'envoi d'une lettre de confirmation ou la remise d'une annexe au contrat de travail 16. Cette jurisprudence doit être nuancée depuis l'arrêt du BAG du 30 octobre 1984.

Le BAG lui-même avait précisé à l'occasion de deux litiges que les exigences de forme posées par le § 74, al. 1er HGB remplissaient une fonction de protection 17, voire de prévention et avaient pour but d'empêcher le salarié d'hypothéquer son avenir professionnel par une décision précipitée, peut-être lourde de conséquences, le respect d'un certain formalisme permettant aussi d'éviter la survenance d'un litige sur l'existence et l'étendue de la clause de non-concurrence 18. Par étendue, certains auteurs comprennent tant la nature de l'activité interdite que la portée et la durée de l'interdiction 19, mais d'autres en déduisent la nécessité d'indiquer qu'une contrepartie pécuniaire a été promise 20. La référence au texte des §§ 74 et s. HGB, voire la promesse du versement d'une contrepartie correspondant au minimum légal sont préférables à la fixation d'une somme libellée en Marks qui peut ne plus correspondre au minimum légal au moment où la clause de non-concurrence entre en vigueur 21.

La formulation employée par les rédacteurs de la clause de non-concurrence doit être précise car la simple promesse faite par l'employeur de verser au salarié des Versorgungsleistungen (prestations d'entretien) ne respecte pas l'exigence légale 22.

H. Buchner s'interroge sur la possibilité de soumettre aux exigences de forme du § 74, al. 1er HGB l'interdiction de concurrence qui résulte directement d'une convention collective ou d'un accord d'entreprise pour répondre par la négative car le droit du travail collectif est soumis à des règles de forme différentes de celles du HGB 23.

175- Le formalisme est parfois assoupli. C'est ainsi que la transmission à un tiers d'une clause de non-concurrence partie intégrante d'un contrat de travail est possible sans forme particulière si la consistance du rapport de travail n'en est pas modifiée 24. De même les parties à un contrat de travail peuvent à tout moment suspendre oralement une clause de non-concurrence sans violer pour autant l'exigence de formalisme posée par le § 125 BGB si elles sont toutes d'accord 25. L'arrêt se situe dans la ligne de la jurisprudence du BAG qui dispense les parties à un contrat de travail de la rédaction d'un écrit au moment de la modification du contrat 26. Il se trouve aussi en harmonie avec la jurisprudence du BGH (Cour suprême fédérale) qui n'impose aucun acte positif pour dispenser d'un formalisme, se contentant d'un accord unanime même tacite 27.

Certains juges du fond maintiennent cependant l'exigence d'un écrit. Un LAG a ainsi imposé à un salarié qui prétendait que son employeur avait renoncé au moment de l'embauche à pratiquer l'imputation de ses gains sur la contrepartie pécuniaire, de le prouver par la production d'un écrit 28. Le caractère confus de la jurisprudence ne contribue pas à la sécurité juridique.

Pour assurer la parfaite information du salarié sur ses devoirs et droits, le § 74, al. 1er HGB impose sous la même sanction, la remise du document comportant la clause de non-concurrence signé par l'employeur.


2. - Non remise au salarié de l'écrit comportant le texte de la clause de non-concurrence


176- La remise de l'écrit répond à la même préoccupation que la rédaction de l'écrit. En effet, l'exigence du § 74, al. 1er HGB a pour but de garantir la connaissance par le salarié soumis à obligation de non-concurrence du contenu de la clause à laquelle il s'est obligé et des sujétions qui en résultent. Ceci n'est bien évidement possible que si le salarié dispose du texte de la convention limitative de concurrence signée par l'employeur ou par son représentant dûment habilité. La clause de non-concurrence ne peut pas avoir d'effet avant la remise de ce document 29.

Aux termes du § 74, al. 1er HGB, l'employeur doit remettre au salarié le document original comportant la clause de non-concurrence signée de sa main. La délivrance d'une copie certifiée conforme par une autorité publique ne satisfait pas à cette obligation 30. Si, par contre, la clause de non-concurrence a fait l'objet de l'établissement d'un acte notarié ou si elle a été passée par-devant un tribunal, la délivrance d'une expédition de l'acte ou de la décision est régulière 31.

Dans l'hypothèse où l'employeur retarde indûment la remise du document, la clause de non-concurrence ne prend effet que si le salarié l'accepte explicitement ou implicitement 32. Mais à l'opposé, dans le cas où le salarié rend impossible la délivrance du document en opposant un refus ou en indiquant une adresse inexacte, il est alors traité comme si la remise était effectivement intervenue 33.

Quand l'interdiction de concurrence résulte directement de la convention collective, il est parfois affirmé en doctrine que l'employeur a l'obligation d'en remettre un exemplaire au salarié 34. Toutefois d'autres auteurs expriment des réserves quant à l'efficacité de cette procédure en rappelant que le caractère personnel de l'interdiction de concurrence impose un accord spécial entre employeur et salarié 35.


3 - Mise en oeuvre de la nullité


177- Les deux parties au contrat de travail peuvent se prévaloir de la nullité pour non-respect des formes légales sans que ce comportement soit dolosif ou attentatoire au principe de bonne foi 36.

Dans l'hypothèse où le salarié soulève la nullité, l'employeur ne peut pas lui faire grief d'user abusivement d'un droit ; il n'est pas plus fondé à lui reprocher de ne pas avoir attiré son attention en temps utile sur le vice de forme affectant la convention 37, sauf à établir un agissement dolosif 38. Pareillement, l'employeur est irrecevable à se prévaloir d'un vice de forme qu'il a lui-même provoqué ou qui est imputable au mandataire qui l'a représenté dans la négociation 39.

La nullité pour non-respect des règles de forme profite par priorité au salarié puisqu'elle est susceptible de lui garantir une entière liberté contractuelle pour l'avenir alors qu'il a peut-être précisément obtenu l'emploi qu'il quitte en se soumettant à non-concurrence. Certaines nullités spécifiques sont aussi destinées à protéger le salarié (B).


B. - Nullités pour vice de fond


178- La clause de non-concurrence peut dès l'origine être affectée d'un certain nombre de vices de fond qui entraînent sa nullité ; l'employeur ne pourra pas exiger le respect de l'obligation de non-concurrence, et le salarié ne pourra pas réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire, quand bien même observerait-il la clause de non-concurrence. Ces nullités concourent, tout comme celles qui affectent les règles de forme, à la protection du débiteur de l'abstention de concurrence puisqu'il est présumé qu'au moment où le salarié souscrit l'engagement, sa situation ne lui permet pas d'en mesurer exactement les conséquences.

Seront successivement étudiées les hypothèses de nullité qui résultent de la minorité du salarié, de l'existence d'un rapport de formation professionnelle, de la faiblesse de la rémunération versée, d'un engagement sur l'honneur ou d'un engagement pris par un tiers pour le compte du salarié.

Ces cas de nullité constituent une protection spécifique de la personne qui souscrit une obligation de non-concurrence quand un état de vulnérabilité particulier est présumé en raison de son âge, de la dépendance dans laquelle elle se trouve pour sa formation, voire de la faiblesse de sa rémunération ou des conditions dans lesquelles l'engagement a été obtenu. Il en résulte indiscutablement une moralisation des relations entre salarié et employeur qui mérite considération.


1. - Nullité de la clause de non-concurrence quand la partie qui s'oblige est mineure


179- Aux termes de la seconde phrase du § 74a, al. 2 HGB et du § 133f, al. 2 GewO, une convention de non-concurrence est entachée de nullité si le salarié est mineur au moment où il contracte l'engagement. La sévérité de la loi s'explique parce que quand il s'oblige le salarié ne peut, le plus souvent, pas pleinement mesurer l'étendue des conséquences de son engagement.

L'autorisation préalable du représentant légal du mineur est dénuée de toute portée juridique 40, même s'il participe à la négociation qui aboutit à la clause de non-concurrence 41. De même, l'acquiescement ultérieur donné par le représentant légal à une convention de non-concurrence souscrite par le mineur seul ne corrige pas la nullité encourue 42.

La Bestätigung (confirmation) ultérieure de l'engagement d'abstention de concurrence par la personne mineure au moment de la signature de la clause de non-concurrence n'est jamais possible, même après sa majorité. Il s'agit ici en effet d'une convention nouvelle régie par le § 141, al. 1er BGB 43 ; pour les auteurs le formalisme imposé par le § 74, al. 1er HGB doit être respecté 44. Cette doctrine est conforme à la jurisprudence du BGH (Cour fédérale de Justice) pour qui la confirmation d'un acte soumis à forme particulière impose aux parties de respecter cette forme même si la nullité de l'acte provient d'un motif de fond 45.


2. - Nullité de la clause de non-concurrence quand les parties sont liées par un rapport de formation professionnelle


180- Le principe de l'interdiction est posé par le § 5, al. 1er BBiG 46 et par le § 19 BBiG qui sanctionnent de nullité la convention limitant la liberté d'action professionnelle du bénéficiaire d'une formation professionnelle pendant la période postérieure à la fin de cette formation. Sont concernés par ces dispositions les contrats d'apprentissage, d'adaptation à un emploi et de stage 47.

La seconde phrase du § 5, al. 1er BBiG apporte une exception au principe puisque ce texte autorise dans deux hypothèses la conclusion, pendant les trois derniers mois d'une formation professionnelle, d'une clause de non-concurrence avec une personne qui bénéficie d'une formation quand :

- l'employeur s'engage à conclure une relation de travail à durée indéterminée avec la personne qui bénéficie de la formation professionnelle.

- l'employeur s'engage à conclure une relation de travail à durée déterminée d'un maximum de cinq ans avec la personne qui bénéficie de la formation professionnelle, ainsi qu'à supporter les frais d'une formation professionnelle complémentaire différente de la formation initiale dans une limite raisonnable eu égard à la durée de l'engagement.

La seconde phrase du § 5, al. 1er BBiG permet ainsi d'assurer un équilibre entre l'intérêt du bénéficiaire de la formation professionnelle à ne pas être entravé dans son développement professionnel ultérieur et l'intérêt de l'employeur à faire fructifier l'investissement en temps et en capital qu'il a consenti dans le cadre de la formation professionnelle. Le § 19 BBiG étend l'application de ces règles aux personnes engagées pour acquérir des connaissances et capacités ou une pratique professionnelle en dehors d'une relation de formation professionnelle 48.


3. - Nullité de la clause de non-concurrence quand la rémunération perçue par le salarié est inférieure à un certain seuil


181- Aux termes de la première phrase du § 74a, al. 2 HGB, une clause de non-concurrence est nulle si la rémunération contractuelle versée annuellement au salarié ne dépasse pas 1.500 Marks 49.

Une partie importante de la doctrine 50 estime que la nullité de la première phrase du § 74a, al. 2 HGB a cessé d'être une norme de droit depuis que le BAG a jugé " injustifiable ", et donc anticonstitutionnel 51, le seuil salarial imposé par la seconde phrase du § 75b HGB aux personnes percevant une rémunération élevée.

En tout état de cause, seule la rémunération perçue par le salarié au moment où il contracte l'engagement de non-concurrence doit être prise en considération pour déterminer s'il atteint ou non le seuil légal 52 ; l'évolution ultérieure de son salaire est sans intérêt.


4. - Nullité de la clause de non-concurrence quand l'engagement du salarié est donné sur l'honneur


182- Aux termes de la seconde phrase du § 74a, al. 2 HGB, l'interdiction de concurrence est nulle si l'employeur en fait promettre le respect sur l'honneur ou par tout autre engagement analogue.

Pour F. Grüll et W-R. Janert, l'eidliche Bekräftigung (affirmation sous serment) et la Beteuerung (protestation solennelle) entrent dans la catégorie des autres engagements analogues 53 ; G. Schaub et Schlegelberger y intègrent la déclaration tenant lieu de serment 54. D'autres auteurs, tels H. Buchner, W. Röhsler et H. Borrmann ainsi que W. Grunsky n'abordent pas le problème de la définition de l'autre engagement analogue. La question n'a pas non plus fait l'objet d'une prise de position jurisprudentielle, ce qui permet de penser que la pratique n'a pas été confrontée à une difficulté à ce propos.

Il importe peu que l'employeur ait réclamé l'engagement sur l'honneur ou que celui-ci ait été spontanément proposé par le salarié 55. Dans ce dernier cas, il appartient en effet à l'employeur de refuser cet engagement sur l'honneur tout en prenant soin de se ménager un mode de preuve.

Mais seul l'engagement sur l'honneur donné par le salarié au moment où il contracte la clause de non-concurrence est frappé de nullité. Ultérieurement, il peut valablement affirmer sous serment qu'il entend respecter la clause de non-concurrence qu'il a contractée 56.


5. - Nullité de la clause de non- concurrence quand l'engagement est donné par un tiers pour le compte du salarié


183- Aux termes de la troisième phrase du § 74a, al. 2 HGB, est frappée de nullité la convention par laquelle un tiers prend aux lieu et place du salarié l'engagement de limiter son activité professionnelle à l'issue de la relation de travail. A priori, une telle convention ne devrait pas rentrer dans le champ d'application des §§ 74 et s. HGB puisque le salarié n'y est pas partie 57. Le législateur a cependant voulu éviter que les dispositions protectrices des intérêts du salarié soient purement et simplement écartées grâce à l'intervention d'un tiers disposant sur lui d'une influence, (par exemple conjoint, père ou mère, représentant légal) alors qu'elles auraient dû être respectées si le salarié s'était personnellement engagé.

H. Buchner élargit le domaine d'application du texte en avançant qu'une convention par laquelle un tiers se porte garant vis-à-vis de l'employeur des conséquences d'un éventuel comportement concurrentiel du salarié est également nulle 58. W. Röhsler et H. Borrmann, G. Schaub enfin Schlegelberger et Schröder estiment toutefois qu'un tiers peut valablement se porter garant vis-à-vis de l'employeur du respect de la convention de non-concurrence souscrite par le salarié si celle-ci respecte les dispositions des §§ 74 et s. HGB 59.


§ 2. - LA CONTESTABILITE DE LA CLAUSE DE NON-CONCURRENCE


184- L'Anfechtbarkeit (contestabilité selon la traduction de C. Witz) est la sanction propre aux vices du consentement ; " à la différence de l'acte nul, l'acte juridique susceptible d'être contesté est valable à l'origine et le restera si la personne que le législateur a voulu protéger ne conteste pas l'acte dans les délais prévus " 60. Dans l'hypothèse inverse, l'acte est rétroactivement nul en application du § 142 al. 1er BGB 61.

L'existence d'une rencontre de volontés entre employeur et salarié portant sur l'abstention de concurrence à laquelle s'oblige le salarié constitue une condition essentielle à l'efficacité d'une clause de non-concurrence. L'auteur d'une déclaration de volonté viciée par une erreur, une tromperie dolosive ou une menace illicite peut la contester ; s'il est fait droit à son argumentation l'acte sera rétroactivement considéré comme nul.

Ceci est tout d'abord vrai pour le contrat de travail lui-même. En raison des liens étroits qui existent entre contrat de travail et clause de non-concurrence, il pourrait être soutenu qu'une clause de non-concurrence perd son efficacité quand le contrat de travail qui la soutend est "contesté" pour vice du consentement 62. H. Buchner adopte toutefois un point de vue différent et souligne qu'il n'est pas exceptionnel qu'une clause de non-concurrence résulte d'un avenant au contrat de travail initial, ce qui interdit la référence à un lien indissociable et ne justifie ni la nullité, ni la perte d'efficacité de la clause de non-concurrence 63.

Mais la clause de non-concurrence peut aussi être directement "contestée" à raison d'un vice du consentement propre, ce qui devrait normalement être sans incidence sur le contrat de travail lui-même puisqu'elle n'en constitue pas un élément essentiel 64. Dans quelques très rares hypothèses cependant, quand l'acceptation de la clause de non-concurrence a été déterminante dans l'établissement du contrat de travail, il est admis qu'en application du § 139 BGB le contrat de travail dans son ensemble perd toute efficacité 65.

L'étude de l'erreur, de la tromperie dolosive et de la menace illicite appliquées à la clause de non-concurrence n'est pas sans poser problème. Jurisprudence et doctrine spécifiques font en effet défaut. Ceci impose la recherche de références plus générales dans les conditions de formation du contrat de travail pour raisonner ensuite par analogie. Ces questions seront abordées dans l'ordre du BGB.


A. - L'erreur


185- Pour C. Witz, "il ne peut y avoir erreur que lorsque ce qui a été déclaré ne coïncide pas avec ce qui a été effectivement voulu par le déclarant " 66.

Parmi les erreurs consacrées par le BGB 67, l'erreur sur les qualités essentielles de la personne est susceptible d'être commise dans le cadre d'un contrat de travail quand une des parties se trompe sur la formation, la compétence professionnelle, l'état de santé, la conscience professionnelle ou la correction de son cocontractant 68.

Ce type d'erreur devrait pouvoir être invoqué par l'employeur pour contester une clause de non-concurrence conclue suite à méprise sur la compétence du salarié puisque cette qualité a un lien direct avec le contenu de l'acte juridique 69, mais le § 75a HGB qui autorise l'employeur à renoncer à la clause de non-concurrence par une déclaration écrite faite avant la fin du contrat de louage de services et le libère de l'obligation de payer une contrepartie pécuniaire après une année, fait souvent disparaître l'intérêt pratique du recours à l'erreur et explique vraisemblablement l'absence de jurisprudence en la matière.

La doctrine écarte le recours à la notion d'erreur pour contester un contrat et par conséquent une clause de non-concurrence, dans des hypothèses qui n'ont pas été consacrées par le BGB mais où il aurait pu être envisagé d'y faire référence, par exemple l'apposition d'une signature sur un document qui n'a pas été préalablement lu et la signature d'un document en blanc 70. Il est vrai qu'en la matière le formalisme imposé par le BGB constitue déjà en soi une protection efficace.


B. - La tromperie dolosive


186- Aux termes du § 123, al. 1er BGB, "quiconque a été déterminé par des manoeuvres dolosives ou par des menaces illicites à faire une déclaration de volonté, peut contester cette déclaration. " 71.

Les manoeuvres dolosives supposent un comportement positif (réponse inexacte à une question), ou une abstention (omission en présence d'une obligation de renseignement, voire silence sur une maladie chronique qui rend impossible l'exécution du travail) 72. Selon C. Witz, par " tromper " le BGB entend le fait de provoquer ou d'aggraver une erreur ou encore de maintenir quelqu'un dans une opinion erronée 73.

La tromperie doit être illicite, et tel n'est pas le cas quand le candidat à un emploi répond faussement à une question portant sur ses antécédents pénaux à partir du moment où il s'agit de condamnations radiées du Registre fédéral central, voire de sanctions qui auraient dû l'être 74. La notion de tromperie dolosive est entendue de manière stricte ; le salarié signataire d'un contrat de travail est en droit de donner une réponse inexacte à une question concernant l'appartenance syndicale ou politique 75, voire à un état de grossesse 76. L'employeur n'est en droit d'exiger une réponse exacte que si la question est licite, c'est-à-dire en rapport avec l'activité envisagée par le candidat à l'emploi ou avec la durée de la collaboration 77, voire si l'exigence d'une réponse exacte n'a pas perdu de son importance en raison de l'évolution postérieure aux faits dont s'agit 78.

Quand une clause de non-concurrence est en cause, il est concevable que l'employeur reproche au salarié d'avoir fait état d'une compétence spécifique dont il est dépourvu et l'ait ainsi amené à le soumettre à une obligation de non-concurrence injustifiée en lui imposant abusivement le paiement de la contrepartie pécuniaire légale. A l'inverse, il serait tout aussi possible d'imaginer que le salarié conteste la clause de non-concurrence à laquelle il s'est obligé en reprochant à l'employeur de lui avoir à tort laissé entendre être en mesure de lui assurer une formation de qualité pour le persuader d'accepter de limiter sa liberté professionnelle après la fin du contrat de travail.


C. - La menace illicite


187- Comme la tromperie dolosive, ce vice du consentement est également envisagé par le § 123, al. 1er BGB. La menace est généralement définie en doctrine comme la perspective d'un mal dont la réalisation dépend de la volonté de l'auteur de la menace 79, voire de son influence 80. L'auteur doit avoir eu pour but d'inciter la victime à émettre la déclaration de volonté attaquée 81. L'illicéité de la menace résulte du caractère illicite du moyen utilisé ou du but poursuivi, mais aussi de l'inadéquation entre moyen utilisé et but poursuivi 82.

Il est en toute hypothèse plus facile d'imaginer qu'un employeur ait recours à une menace illicite pour amener un salarié à se soumettre à une clause de non-concurrence, en avançant par exemple la menace d'un licenciement, que l'inverse.

188- La réglementation qui sanctionne les vices susceptibles d'affecter le consentement du salarié qui s'engage à ne pas faire concurrence trouve sa source dans le BGB et s'intègre dans le droit général des contrats. Elle a vocation à s'appliquer parallèlement aux §§ 74 et s. HGB et constitue ainsi une protection supplémentaire pour le salarié. L'absence de publication d'une jurisprudence spécifique à la clause de non-concurrence conduit à penser que la question n'a été soulevée qu'à titre exceptionnel devant les juridictions allemandes et que par conséquent les §§ 74 et s. HGB remplissent suffisamment leur fonction de protection.


§ 3. - LA PORTEE D'UN ENGAGEMENT CONDITIONNEL


189- La question a pendant longtemps constitué une originalité du droit allemand par rapport au droit français qui semble maintenant suivre avec retard un schéma comparable.

La clause de non-concurrence peut être dépourvue de caractère obligatoire pour le salarié quand son engagement est soumis à une condition.

Le coût de la contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence est lourd pour l'entreprise puisque le § 74, al. 2 HGB contraint l'employeur à payer au minimum au salarié la moitié du salaire qu'il a perçu en dernier lieu. En plus, le § 128a AFG impose à l'employeur l'obligation de rembourser au Bundesanstalt für Arbeit (Office fédéral du travail) les prestations chômage versées à l'ancien salarié qui voit contractuellement limitée sa liberté d'action professionnelle. Ces prestations chômage représentent aux termes du § 112 AFG de 63% à 68% du salaire d'activité. Leur poids est donc considérable pour l'employeur mais est allégé par l'imputation des prestations chômage sur la contrepartie pécuniaire versée à l'ancien salarié. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que certains employeurs aient cherché à éviter le paiement automatique de la contrepartie pécuniaire du § 74, al. 2 HGB en soumettant la prise d'effet de la convention prohibitive de concurrence à une condition. Il peut aussi être parfois particulièrement difficile à l'employeur de déterminer au début de la relation de travail si, au moment de la rupture, le salarié sera ou non en mesure de lui causer un préjudice concurrentiel.

Le salarié peut de son côté être enclin à refuser une clause de non-concurrence pendant l'exécution de son contrat de travail car au fur et à mesure du déroulement de cette relation, il apprécie mieux ses chances de succès indépendamment de son employeur.

Les §§ 158 et 163 BGB sont venus au secours des employeurs.

Le § 158 BGB dispose que :

1) Si un acte juridique est accompli sous une condition suspensive, ses effets, tels qu'ils dépendent de la condition se réalisent en même temps que se réalise ladite condition (so tritt die von der Bedingung abhängig gemachte Wirkung mit dem Eintritt der Bedingung ein).

2) Si un acte juridique est passé sous condition résolutoire, les effets de cet acte juridique prennent fin par la réalisation de la condition ; à partir de ce moment, l'état de droit antérieur retrouve ses effets".

Le § 163 BGB édicte que :

"Si la prise d'effet d'un acte juridique a été contractuellement assortie d'un terme suspensif ou d'un terme extinctif, les dispositions des §§ 158, 160 et 161 pour autant qu'elles régissent dans le premier cas la condition suspensive, et dans le second cas la condition résolutoire, trouvent respectivement application".

La clause de non-concurrence conditionnelle est une convention dont l'objet est de faire dépendre d'une décision ultérieure de l'employeur tant son obligation au paiement d'une contrepartie pécuniaire, que l'obligation du salarié au respect d'une interdiction de concurrence 83. Pour U. Brune, la clause de non-concurrence post-contractuelle est, par essence même, compatible avec la stipulation d'une condition 84. Cependant, eu égard à la complexité de la matière, les solutions proposées sont tout naturellement divergentes. Dans certains cas, pour la jurisprudence, la condition stipulée s'imposera au salarié si l'employeur en décide ainsi (A) et, dans d'autres cas, elle ne présentera aucun caractère obligatoire (B). Ces décisions de justice font tout naturellement l'objet d'études doctrinales favorables ou critiques. Nous les signalerons au fur et à mesure de l'analyse de la jurisprudence. Le rôle de la doctrine allemande consiste également à formuler des propositions variées et subtiles qui dépassent le cadre des commentaires de jugements ou d'arrêts ; nous terminerons ce paragraphe par leur étude (C).


A. - Validation jurisprudentielle de l'obligation de non-concurrence conditionnelle


190- Une clause de non-concurrence assortie d'une condition peut être convenue sans susciter de critique quand elle est justifiée par un événement rattachable au déroulement et à la fin de la relation de travail.


1. - Condition suspensive


191- a) Une condition suspensive peut a priori être stipulée sous réserve de la prise effective du travail.

Il convient cependant que cette mention soit expressément précisée pour prémunir les parties de tout risque de dénaturation de leur accord. En effet, par arrêt du 3 février 1987, le BAG a jugé qu'une clause de non-concurrence peut prendre effet dans l'hypothèse où le salarié n'a pas commencé le travail envisagé s'il a déjà été affecté à sa nouvelle mission avant le début de toute activité, et a ainsi pu accéder à des renseignements commerciaux ou à des informations en rapport avec la vie de l'entreprise que la clause de non-concurrence a précisément pour but de protéger 85. En l'espèce, était en cause un directeur de succursale qui avait eu connaissance de renseignements confidentiels avant toute prise effective de fonctions.

Les parties peuvent décider dans l'esprit de l'arrêt du 3 février 1987 que la clause de non-concurrence prendra effet même si le salarié ne commence pas effectivement son travail. Dans cette hypothèse, le salarié pourra toujours se prévaloir de la clause et réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire. De son côté, pour pouvoir tirer des droits de la clause, l'employeur devra établir l'existence d'un intérêt commercial légitime. Selon U. Brune, s'il rapporte cette preuve, l'employeur peut toujours exiger le respect de la clause de non-concurrence quand le salarié ne prend pas ses fonctions, même si cette hypothèse n'a pas été expressément envisagée 86.

Mais le BAG a aussi reconnu le droit aux parties à un contrat de travail de décider qu'une clause de non-concurrence ne s'imposera que sous condition de la prise effective de l'activité par le salarié 87. En l'espèce, un contrat comportant une clause de non-concurrence avait été signé le 28 août 1989 et le début du travail fixé au 15 octobre 1989. Par lettre datée du 25 septembre 1989, c'est-à-dire antérieurement à toute prestation de travail, l'employeur avait donné congé au salarié pour le 30 novembre 1989 et l'avait libéré de tout engagement. Soutenant que la validité de la clause de non-concurrence litigieuse était tout autant indépendante d'une durée minimale de travail que de la prise effective du travail, le salarié demandait paiement de la contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence pour les mois de décembre 1989 à avril 1990. Le jugement qui avait fait droit à la demande avait été réformé en appel. Pour rejeter le pourvoi en révision, le BAG a souligné la fréquence avec laquelle les parties à un contrat de travail subordonnent une clause de non-concurrence à la prise effective du travail, et a approuvé le LAG de ne pas avoir reconnu l'existence d'un intérêt de nature différente qui seul aurait permis de stipuler une interdiction de concurrence plus vaste.

192- b) C'est de la même façon que la prise d'effet d'une clause de non-concurrence peut être conditionnée par le déroulement satisfaisant de la période d'essai. Le BAG a, par arrêt du 27 avril 1982, expressément admis la validité d'une telle convention 88. La clause de non-concurrence ne produit alors pas d'effet si la relation de travail entre les parties ne se poursuit pas au-delà de l'essai, ou si elle est interrompue au cours de cette période.

193- c) Une autre hypothèse de condition suspensive peut par contre poser problème quand il est stipulé que la clause de non-concurrence prendra uniquement effet si, en cours de collaboration, le salarié se voit confier une nouvelle mission impliquant la possibilité d'avoir accès aux secrets de l'entreprise.

Une telle stipulation permet de contourner la règle posée par le § 75a HGB selon lequel "avant la fin du contrat de travail, l'employeur peut renoncer à l'interdiction de concurrence par une déclaration écrite qui le libère de l'obligation de payer l'indemnité à l'expiration du délai d'un an faisant suite à ladite déclaration". En effet, le risque est grand de voir l'employeur affecter le salarié à un secteur d'activité "sensible" l'année précédant la rupture pour se réserver ainsi la possibilité de le soumettre à une clause de non-concurrence, sans cependant avoir l'obligation de verser la contrepartie pécuniaire s'il ne lui attribue pas de mission rentrant dans le champ d'application de la clause de non-concurrence.

Selon U. Brune et H. Buchner, cette crainte devient sans objet si les parties prévoient expressément que la clause de non-concurrence ne prendra effet qu'en cas de poursuite de la relation de travail pendant une année au minimum après l'affectation du salarié à ses nouvelles fonctions 89. De la sorte, si le salarié prend l'initiative de la rupture, il n'a plus à appréhender que son employeur lui impose une clause de non-concurrence peu avant la fin de la relation de travail alors qu'il a déjà en vue une activité concurrente.


2. - Condition résolutoire


194-a.Départ en retraite du salarié

Il est de l'intérêt des parties au contrat de stipuler par écrit si la clause de non-concurrence doit ou non ressortir ses effets après un départ en retraite car en cas de doute le risque existe qu'elle continue à s'imposer.

Dans deux arrêts, le BAG a jugé que la stipulation d'une clause limitant la concurrence sous la condition résolutoire du départ en retraite du salarié peut être théoriquement rechtlich möglich (juridiquement possible) 90 si telle est la commune intention des parties, voire rechtlich wirksam (juridiquement efficace) puisqu'il est admis depuis l'origine que la convention de non-concurrence perd ses effets à partir d'un moment déterminé 91. Ces solutions jurisprudentielles sont cohérentes ; en effet le salarié n'est pas surpris par une décision inattendue de son employeur, mais sait dès l'origine à partir de quand il a la possibilité de lui faire concurrence.

L'intérêt de l'employeur lui commande de poser une condition résolutoire à la prise d'effet de la clause de non-concurrence pour éviter d'être tenu au paiement simultané d'une contrepartie pécuniaire et d'une pension de retraite. Il conserve cependant toujours la possibilité de stipuler l'imputation de la première sur la seconde.

195-b. Retrait du secteur d'activité concurrentiel

L'employeur qui a soumis le salarié à non-concurrence parce que ses fonctions rendaient nécessaires la protection du capital technique ou de la clientèle de l'entreprise, est confronté à une difficulté s'il lui confie ultérieurement de nouvelles attributions qui ne justifient pas le maintien de la clause de non-concurrence. Il ne peut pas invoquer utilement la disparition de son intérêt commercial légitime si le salarié lui fait savoir qu'il entend respecter la clause de non-concurrence car le § 74a, al. 1er HGB protège uniquement le salarié 92 et la possibilité de renoncer à la clause de non-concurrence dans l'espoir d'être dispensé du paiement de la contrepartie pécuniaire du § 75a HGB sous respect du délai d'un an avant la rupture, ne le met pas à l'abri de la démission du salarié avant l'expiration de ce délai.

Dans cette hypothèse, le salarié serait délié de l'obligation de non-concurrence, mais l'employeur n'en resterait pas moins tenu au paiement de la contrepartie pécuniaire jusqu'au terme du délai d'un an posé par le § 75a HGB. Il serait ainsi doublement pénalisé. Pour tenter d'obvier à cet inconvénient, l'employeur peut assortir d'une condition résolutoire la clause de non-concurrence et stipuler que la période de carence ne commencera à courir qu'à partir du moment où le salarié aura cessé ses fonctions. Si le salarié quitte le service de l'employeur avant la fin du délai de carence, il reste soumis à l'obligation de non-concurrence jusqu'à la fin de la période. Si, par contre, la rupture se produit à l'issue de la période de carence, chaque partie redevient libre de toute contrainte. Avant la rupture, le salarié est en effet de plein droit tenu à l'obligation de non-concurrence du § 60 HGB.

Une solution identique est envisageable, non par la stipulation d'une condition résolutoire, mais par la fixation d'une date de caducité à la clause de non-concurrence. Cette pratique est conforme au § 163 BGB et présente un intérêt dans l'hypothèse où la durée des fonctions du salarié qui légitiment la non-concurrence peut être déterminée à l'avance. .

Mais, il est également concevable de fixer une date de prise d'effet de la clause de non-concurrence postérieure au début de la collaboration entre les parties si les modifications susceptibles d'intervenir au sein de l'entreprise dans un futur prévisible le justifient 93.

Cependant, le souci de l'employeur est parfois différent, ne peut être rattaché à l'exécution ou à la fin de la relation de travail et tend exclusivement à se réserver la possibilité d'imposer une clause de non-concurrence au salarié en fonction de son seul bon vouloir, sans bourse délier, en évitant le paiement de la contrepartie pécuniaire. Cette pratique n'est pas tolérée par le droit allemand.


B. - Invalidation jurisprudentielle de l'obligation de non-concurrence conditionnelle


196- Le BAG a considéré qu'étaient constitutives d'une interdiction de concurrence prohibée certaines clauses faisant dépendre de la seule décision de l'employeur la possibilité de concurrence future du salarié. Par exemple : 
Le BAG a également soumis à la réglementation des conventions conditionnelles un avant-contrat par lequel le salarié s'oblige "à convenir d'une interdiction de concurrence à la requête de la société" 96.

Dans d'autres hypothèses, le BAG a plus précisément analysé comme constitutives d'une condition résolutoire les stipulations suivantes :

 - "En cas de rupture, et sans qu'il soit nécessaire d'en rechercher l'auteur, E... peut renoncer à la clause de non-concurrence. La contrepartie disparaît de ce fait (§ 75b HGB)" 97.

Et,

 - "La société en commandite G... est autorisée à renoncer à la convention de concurrence sans l'accord de M. S... et ce, avant ou après la fin de ce contrat" 98.

Le BAG a aussi reconnu une entfernte Ähnlichkeit (lointaine ressemblance) avec l'interdiction de concurrence conditionnelle à la stipulation prévoyant qu'une clause de non-concurrence doit entrer en vigueur si l'employeur donne un congé ordinaire au salarié. Dans cette hypothèse, le BAG refuse tout caractère obligatoire à la stipulation qui permet de faire échec au détriment du salarié au § 75, al. 2 HGB selon lequel "une clause de non-concurrence n'est pas obligatoire quand l'employeur prend l'initiative de la rupture, à moins qu'il existe un motif important tenant à la personne du salarié, ou que l'employeur se déclare au moment du licenciement prêt à garantir au salarié congédié l'intégralité des prestations salariales contractuelles perçues en dernier lieu pendant toute la durée de l'interdiction de concurrence" 99.

197- Amené à se prononcer sur des clauses prohibées susceptibles de provoquer sa censure, le BAG a d'abord décidé d'imposer en toute hypothèse à l'employeur le paiement de la contrepartie pécuniaire avant de considérer que la clause de non-concurrence irrégulière était dépourvue de force obligatoire puis, dans le souci de préserver les intérêts du salarié, de lui laisser le choix de respecter ou non l'obligation de non-concurrence à laquelle il s'était soumis.

198- Dans un premier temps, le BAG a jugé que la clause de non-concurrence conditionnelle contrevient au § 75a HGB applicable à la renonciation à la clause de non-concurrence par l'employeur au moment de la fin de la relation de travail. L'employeur qui y recourt doit payer au salarié une contrepartie pécuniaire pendant une année pour se conformer au § 75a HGB 100.

199- Dans un second temps, le BAG a modifié son analyse et décidé que la clause de non-concurrence conditionnelle est dépourvue de caractère obligatoire pour le salarié conformément au § 74a, al. 1er HGB puisqu'elle peut être comparée à une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie pécuniaire et viole ainsi le § 74, al. 2 HGB 101. Force est d'admettre que si, d'un point de vue purement théorique, au niveau des principes juridiques, cette solution semble satisfaisante, il n'en va pas de même sur le plan pratique. Il est en effet peu probable qu'un salarié sache que le caractère conditionnel de la clause de non-concurrence lui enlève tout caractère obligatoire. Au contraire, il y a lieu de penser qu'il sera enclin à respecter la clause de non-concurrence pour éviter le risque d'une action ultérieure en dommages-intérêts sans avoir pour autant la possibilité de réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire.

La doctrine a sévèrement critiqué le BAG 102. Il lui est apparu choquant que, tout en reconnaissant que la clause de non-concurrence conditionnelle fait échec à l'obligation au paiement de la contrepartie pécuniaire prévue par le § 74, al. 2 HGB, le BAG refuse d'étendre au profit du salarié l'application de la troisième phrase du § 90a, al. 1er HGB qui impose précisément au commettant de verser en toute hypothèse à l'agent commercial une indemnité appropriée pendant la durée de la clause de non-concurrence. W. Röhsler, qui a été magistrat au BAG, fournit une explication d'initié  : le BAG pensait alors qu'il était possible de remédier à une situation injuste par la Rechtsfortbildung (perfectionnement du droit) et refusait d'empiéter sur le domaine de compétence du législateur qui envisageait de reformuler les §§ 74 et s. HGB dans le cadre du Arbeitsrechtsbereinigungsgesetz 103.

200- Enfin dans un troisième temps, après avoir constaté que la réforme législative attendue n'intervenait pas, le BAG a, par arrêt en date du 19 janvier 1978 104, offert au salarié l'option entre une abstention de concurrence avec paiement d'une contrepartie pécuniaire et un libre exercice d'une activité concurrente sans paiement par l'employeur.

Nous nous trouvons ici en présence d'une évolution de la jurisprudence du BAG qui permet dorénavant au salarié de décider s'il entend ou non respecter la clause de non-concurrence conditionnelle. Dans la première hypothèse, il peut réclamer le paiement de la contrepartie pécuniaire même si l'employeur ne s'est pas expressément prévalu de la clause de non-concurrence. Dans la seconde hypothèse, il peut se référer comme auparavant à l'absence de caractère obligatoire de la clause de non-concurrence conditionnelle pour justifier le libre exercice d'une activité concurrente.

Selon H. Buchner, le BAG est parti de l'idée que le paiement d'une contrepartie pécuniaire conforme au § 74, al. 2 HGB, dépend toujours de la seule décision de l'employeur qui est imprévisible pour le salarié. De ce fait, une clause conditionnelle viole les dispositions légales relatives au paiement de la contrepartie pécuniaire, pratique sanctionnée par le § 74d HGB qui dispose que :

"L'employeur ne peut invoquer une convention qui déroge aux dépens de l'employé de commerce aux prescriptions des §§ 74 à 75c.

Tel est également le cas des conventions qui ont pour but de passer outre aux dispositions légales relatives au montant minimum de l'indemnité par le jeu d'une compensation ou de toute autre manière" 105.

L'arrêt du BAG du 19 janvier 1978 ne remet pas en cause la jurisprudence antérieure qui déclarait non obligatoire pour le salarié la clause de non-concurrence conditionnelle contraire au § 74, al. 2 HGB ; il la complète en sa faveur. Le salarié, s'il se conforme à l'abstention de concurrence imposée par l'employeur, est en droit de prétendre au paiement d'une contrepartie pécuniaire quelques aient été ses motivations. Il est alors de peu d'importance que la condition suspensive ait été réalisée, ou que la condition résolutoire ne l'ait pas été.

Le BAG a cependant ultérieurement posé une date butoir à la faculté d'option du salarié qui doit avoir fait connaître sa décision quant au respect de la clause de non-concurrence avant le début de la période de carence, c'est-à-dire au plus tard à l'expiration de la relation de travail. Cette jurisprudence a souvent été confirmée 106.

Un arrêt du BAG du 22 mai 1990 est venu apporter une précision intéressante sur l'absence de formalisme en la matière, jugeant suffisant qu'un salarié respecte une interdiction de concurrence zu Beginn der Karenzzeit (au début de la période de carence) pour pouvoir prétendre au versement de la contrepartie pécuniaire et estimant toute déclaration supplémentaire à l'employeur inutile 107. Le droit au paiement d'une contrepartie pécuniaire trouve sa source dans la prestation accomplie par le salarié, en l'espèce l'abstention de concurrence, et non pas dans une manifestation d'intention car le manque de clarté d'une clause de non-concurrence dépourvue de caractère obligatoire ne doit en aucun cas préjudicier au salarié.

Par souci d'équilibre, le BAG a admis dans le même arrêt l'intérêt légitime de l'employeur à apprendre rapidement la décision du salarié-créancier de l'option et lui a reconnu le droit d'impartir un délai au salarié pour faire connaître sa décision (le § 264 II 1 BGB permet au débiteur qui a mis le créancier en demeure de faire connaître son choix en matière d'exécution forcée).

En l'absence de prise de position du salarié à l'issue du délai, l'employeur-débiteur bénéficie du droit d'option (§ 264 II 2 BGB). Le BAG reconnaît à l'employeur dans l'arrêt du 22 mai 1990 la possibilité de fixer le délai d'option à trois semaines car il n'apparaît pas fondé de le faire bénéficier d'un délai supérieur à celui applicable à l'introduction de l'action en annulation d'un licenciement (§ 4 KSchG). Mais le salarié conserve la possibilité d'exercer son droit d'option jusqu'à la décision judiciaire s'il a introduit une procédure en contestation du caractère obligatoire d'une clause de non-concurrence assortie d'une contrepartie pécuniaire insuffisante 108.

La doctrine adopte une position critique vis-à-vis de la jurisprudence et propose des solutions propres pour régler le conflit d'intérêts résultant d'une clause de non-concurrence conditionnelle.


C. - Propositions doctrinales


201- 1. Positions de C-W. Canaris et de H. Buchner

C-W. Canaris et H. Buchner suggèrent d'imposer en toute hypothèse à l'employeur le paiement d'une contrepartie pécuniaire en raisonnant par analogie avec la troisième phrase du § 90a, al. 1er HGB. Cette proposition suscite la critique d'autres auteurs. U. Brune insiste sur la différence de statut entre les salariés et agents commerciaux. W. Grunsky conseille au salarié de réclamer des dommages-intérêts qu'il qualifie de " valeur de remplacement " en réparation du préjudice que lui cause le comportement fautif de l'employeur, mais U. Brune fait ressortir les difficultés de mise en œuvre pratique de cette solution. I. Koller développe la théorie  " modifiée du droit à option ". Enfin, U. Brune propose de soumettre au même régime clauses de non-concurrence sous condition suspensive et clauses de non-concurrence sous condition résolutoire en s'appuyant sur les §§ 75a et 75d HGB pris conjointement.

202- C-W. Canaris 109 et H. Buchner 110 proposaient déjà au début des années 1970 le recours par analogie à la troisième phrase du § 90a, al. 1er HGB pour résoudre les problèmes posés par la clause de non-concurrence conditionnelle. Le texte impose au commettant de payer à l'agent commercial indépendant une contrepartie pécuniaire appropriée pendant la période de restriction de concurrence alors que le § 74 HGB ne prévoit pas un tel automatisme. C-W. Canaris estime que la divergence de régimes entre le § 74, al. 2 HGB et la troisième phrase du § 90a, al. 1er HGB revêt une importance telle qu'elle est inconciliable avec l'art. 3 GG. En tant que lex prior, le § 74, al. 2 HGB serait inconstitutionnel et devrait être écarté. Le vide juridique en résultant serait alors comblé par la troisième phrase du § 90a, al. 1er HGB. Les règles d'indemnisation posées par le § 74, al. 2 HGB continueraient toutefois à être appliquées pour la détermination du montant de la contrepartie pécuniaire.

Mais le BAG a rejeté ce raisonnement dans ses arrêts des 27 juin 1973 111 et 19 janvier 1978 112 en soulignant d'une part que le concept de contrepartie appropriée posé par la troisième phrase du § 90, al. 1er HGB demandait à être clarifié au cas par cas, entraînant un manque de sécurité juridique, et d'autre part qu'il convenait de respecter l'appréciation différente faite par le législateur de la situation des agents commerciaux indépendants et des salariés, sans chercher à remettre en cause par la voie judiciaire les solutions spécifiques données aux conflits d'intérêts en résultant.

- La position adoptée par C-W. Canaris et H. Buchner provoque elle-même la critique d'une autre partie de la doctrine.

203- 2. Critiques

U. Brune reproche à ces auteurs d'isoler de son contexte l'avantage résultant de l'obligation de payer une contrepartie pécuniaire et de passer sous silence que l'agent commercial qui, à l'opposé du salarié ne dispose d'aucun droit d'option, et est en toute hypothèse toujours lié par la clause de non-concurrence. Elle souligne aussi que le domaine d'application de la clause de non-concurrence de l'agent commercial est plus vaste que celui de la clause de non-concurrence du salarié puisque son caractère obligatoire n'est soumis ni à l'exigence d'un intérêt commercial légitime, ni à l'interdiction d'aggraver injustement l'avenir commercial de l'agent commercial. U. Brune qualifie l'approche sélective de C-W. Canaris et de H. Buchner de Rosinen Theorie (théorie des raisins secs) 113.

204- Pour s'opposer à toute référence à la troisième phrase du § 90, al. 1er HGB, W. Grunsky rappelle que l'agent commercial indépendant ne bénéficie d'aucune protection en cas de rupture de contrat et l'explique par sa liberté d'action plus grande que celle du salarié 114.

L'auteur privilégie une théorie d'inspiration civiliste pour justifier le paiement d'une contrepartie pécuniaire en présence d'une clause de non-concurrence conditionnelle. Il suggère de fonder la réclamation en dommages-intérêts du salarié qui, ignorant l'absence de caractère obligatoire d'une clause de non-concurrence conditionnelle, s'y est conformé, sur la culpa in contrahendo ou violation positive du contrat. W. Grunsky propose d'autoriser le salarié à demander la remise d'une valeur de remplacement puisque selon le § 818, al. 2 BGB, en cas d'enrichissement sans cause, "si la restitution de ce qui a été obtenu (sans cause) est par nature même impossible, ou si le destinataire n'est pas en mesure pour une autre cause d'effectuer cette restitution, il lui appartient alors d'en remplacer la valeur".

Selon U. Brune, la solution avancée par W. Grunsky est conforme au droit des obligations et respecte le cadre défini par les §§ 74 et s. HGB (le salarié ne peut pas tirer d'une clause de non-concurrence qui ne s'impose pas plus de droits qu'elle lui a conférés) 115. Les questions que suscite la théorie de la culpa in contrahendo tiennent à des problèmes de mise en œuvre pratique 116. La première difficulté concerne la preuve de la connaissance par l'employeur de l'illécéité de la clause de non-concurrence, ou à tout le moins de la possibilité d'en avoir connaissance dont il n'a pas fait usage par négligence. La seconde difficulté consiste à établir l'importance du préjudice subi par le salarié qui ne peut plus rien exiger à partir du moment où l'employeur l'a renseigné sur ses droits. La troisième difficulté réside dans la détermination du manque à gagner du salarié qui respecte la clause de non-concurrence, plus particulièrement quand il avait envisagé de s'établir à son compte.

Enfin, toujours selon U. Brune, le recours à la théorie de la remise d'une valeur de remplacement ne protège pas suffisamment le salarié et suscite des interrogations quant au fondement juridique et à l'estimation de la valeur à affecter à l'abstention de concurrence.

- Détermination du fondement juridique :
- Fixation de la valeur à affecter à l'abstention de concurrence : le problème provient de l'absence d'instrument de mesure objectif pour chiffrer la valeur de la non-concurrence. Le recours au § 74, al. 2 HGB est d'un d'intérêt limité car si le texte peut servir au calcul de la contrepartie pécuniaire, il ne permet pas de fixer la durée pendant laquelle le salarié sera en droit de prétendre à versement. La détermination de la valeur de l'abstention de concurrence présente un caractère subjectif. L'employeur qui renonce à une clause de non-concurrence sous condition suspensive, ou qui s'abstient de recourir à une clause de non-concurrence sous condition résolutoire, prouve qu'il en évalue l'intérêt comme quasiment nul 117. Dans de telles conditions, la détermination d'une valeur est pratiquement impossible, ce qui ne manque pas d'affecter la protection des intérêts du salarié.

205- I. Koller, qui a développé la théorie " modifiée " du droit à option 118, accepte la solution dégagée par le BAG dans l'arrêt du 19 janvier 1978 mais y apporte certaines propositions de correctifs. Selon l'auteur, le droit d'option du salarié devrait, par référence au délai de renonciation du § 75a HGB, totalement disparaître s'il a connaissance un an au moins avant la fin du rapport de travail, de l'absence de caractère obligatoire de l'interdiction de concurrence. La preuve de la connaissance par le salarié de l'absence de caractère obligatoire de la clause de non-concurrence peut être difficile à rapporter. Dans les autres hypothèses, la contrepartie pécuniaire devrait être ajustée au montant minimum déterminé par le § 74, al. 2 HGB, c'est-à-dire selon les circonstances augmentée ou diminuée.


Il apparaît cependant difficile de suivre I. Koller quand il suggère de réduire la contrepartie pécuniaire au minimum prévu par le § 74, al. 2 HGB car rien ne permet d'exclure qu'elle ait été volontairement fixée à un niveau plus élevé eu égard à l'étendue de la clause de non-concurrence dans le but d'éviter le reproche d'aggraver injustement l'avenir du salarié. Au demeurant, le système des §§ 74 et s. HGB ne permet pas de modifier la contrepartie pécuniaire promise.

Sur un point précis, I. Koller s'oppose au BAG puisqu'il reconnaît au salarié le droit de se prononcer sur le respect de la clause de non-concurrence après le début de la période de non-concurrence. Pour U. Brune, cette proposition, destinée à favoriser les intérêts du salarié, pourrait cependant aboutir à la solution inverse car si dans un premier temps le salarié viole l'obligation d'abstention sans avoir préalablement indiqué à son ancien employeur son intention de ne pas s'y conformer, avant de la respecter ensuite, l'ancien employeur serait en droit de lui réclamer des dommages-intérêts 119. Cette solution est incompatible avec les §§ 74 et s. HGB.

206- 3. Propositions d'U. Brune

U. Brune procède à un examen détaillé des conséquences de l'insertion d'une clause de non-concurrence sous condition résolutoire ou suspensive et ne se contente pas de critiquer les thèses doctrinales en présence mais formule également des propositions. Dans l'hypothèse d'une clause de non-concurrence sous condition résolutoire, U. Brune propose la substitution d'une Verzichtsvorbehalt (réserve de renonciation) en faisant référence conjointe aux §§ 75a et 75d HGB, solution qui ne nécessite aucun perfectionnement jurisprudentiel du droit. Le texte du § 75d HGB est en effet très protecteur des intérêts du salarié puisque, sous le titre Unabdingbarkeit-inaliénabilité-, il dispose que " l'employeur ne peut invoquer une convention dérogeant aux dispositions des §§ 74 à 75c au préjudice du commis. La règle s'applique aussi aux conventions qui ont pour but d'échapper aux dispositions légales sur le montant minimum de l'indemnité à l'aide de comptes ou d'autres moyens ". L'insertion d'une clause de non-concurrence sous condition résolutoire faisant perdre au salarié la protection du § 75a HGB, U. Brune estime normal de restaurer la protection en se référant au § 75d HGB. La renonciation à la condition résolutoire devra intervenir par écrit avant la fin de la relation de travail et aura, le cas échéant et en fonction du moment où elle est prononcée, pour conséquence de limiter le paiement de la contrepartie pécuniaire à une année sans jamais la supprimer totalement 120.

Selon U. Brune, la clause de non-concurrence sous condition suspensive doit être soumise aux mêmes règles que la clause de non-concurrence sous condition résolutoire puisque leur opposition n'est que de pure forme. Il est en fait peu important que l'employeur se réserve la possibilité de renoncer à une clause de non-concurrence qui a déjà été imposée au salarié ou la possibilité de soumettre le salarié à une clause de non-concurrence. La substitution conjointe par analogie des §§ 75a et 75d HGB à la clause de non-concurrence sous condition suspensive a pour conséquence que la clause ne peut plus être valablement imposée au salarié après la fin de la relation de travail. Si néanmoins l'employeur soumet le salarié à non-concurrence après la fin du contrat de travail, celui-ci peut soit accepter cette décision, considérer que la clause de non-concurrence est obligatoire conformément au § 75d HGB, et réclamer paiement de la contrepartie pécuniaire, soit se référer au § 75a HGB, estimer que la clause de non-concurrence est dépourvue de caractère obligatoire, et entreprendre librement une activité concurrente. L'employeur resterait devoir la contrepartie pécuniaire au salarié en vertu du § 75a HGB s'il ne l'informait pas par écrit, une année au moins avant la fin de la relation contractuelle, de sa décision de ne pas se prévaloir de la clause de non-concurrence. Pareillement, si l'employeur n'avait pas demandé au salarié avant la fin du contrat de respecter la clause de non-concurrence, il n'en resterait pas moins devoir le paiement de la contrepartie pécuniaire pendant une année car la situation ne serait pas différente de celle du salarié dont l'employeur renonce à la clause de non-concurrence le dernier jour de la relation de travail 121.

207- Les solutions proposées face à l'engagement conditionnel du salarié de ne pas faire concurrence à l'ancien employeur témoignent d'une approche différente par la jurisprudence et par la doctrine. Les juges sont plus favorables que les auteurs aux intérêts de l'employeur puisqu'ils admettent la validité de la condition qui affecte une clause de non-concurrence quand sa réalisation ne dépend pas exclusivement de la décision de l'employeur. Le souci de nombreux auteurs est d'éviter qu'une condition susceptible de pénaliser le salarié affecte l'obligation de non-concurrence ; ils imposent à l'employeur en toute hypothèse, et sur des fondements juridiques différents, d'avoir à proposer une contrepartie pécuniaire au salarié.

Certains employeurs préfèrent au demeurant éviter tout risque et versent automatiquement une contrepartie pécuniaire comme le révèle l'exemple suivant : une clause de protection de clientèle avait été acceptée par un conseiller fiscal dans ces termes : "il est convenu que Monsieur P... ne pourra exercer, directement ou indirectement, une activité postérieure à la rupture du lien de travail auprès des clients de B. qu'avec l'accord de la gérance. Cette convention est valable deux ans. Pendant la durée de la clause de non-concurrence, B. versera en contrepartie à Monsieur P ... la moitié des salaires perçus en dernier lieu ". Le BAG a pris en considération une situation particulière puisque l'employeur était allé jusqu'à s'obliger au paiement d'une contrepartie pécuniaire dans l'hypothèse où il autorisait son salarié à faire concurrence et n'a pas analysé ladite stipulation comme une clause de non-concurrence conditionnelle 122.

208- La nature contractuelle de la clause de non-concurrence conduit à admettre que l'obligation qui en résulte peut être soumise à une condition suspensive ou résolutoire. La liberté de choix de la profession reconnue au salarié par la Loi fondamentale pouvant être affectée par une obligation de non-concurrence conditionnelle, il convient de s'assurer, pour préserver l'équilibre des intérêts en présence, que la réalisation de la condition ne dépend pas de la seule décision de l'employeur.


§ 4. - CONTRARIETE AUX BONNES MOEURS


209- Le § 74a, al. 3 HGB rappelle expressément que les actes juridiques contraires aux bonnes moeurs tombent sous le coup des dispositions du § 138 BGB, et sont de ce fait frappés de nullité. La jurisprudence a depuis longtemps défini le critère des bonnes moeurs comme das Anstandsgefühl aller billig und gerecht Denkenden (le sentiment de bienséance de toute personne pensant de manière juste et équitable) 123. Le § 74, al. 2 HGB et le § 74a HGB réduisent cependant considérablement en pratique le domaine d'application du § 138 BGB puisque ces textes constituent une lex specialis applicable à toutes les catégories de salariés depuis 1969 124.

La recherche d'une délimitation entre les domaines respectifs des §§ 138 BGB d'une part, 74, al. 2 et 74a HGB d'autre part, peut être d'importance car les sanctions prévues en cas de non-respect sont de nature différente, nullité dans un cas, défaut de caractère obligatoire dans l'autre. Par un arrêt déjà ancien, le BAG a exclu le double contrôle et précisé que " toutes les circonstances qu'il convient d'examiner dans ce cadre en vertu des dispositions particulières expresses du § 74a, al. 1er HGB ne doivent normalement pas être prises en compte à l'occasion du contrôle de la contrariété aux bonnes mœurs de l'interdiction (de concurrence) au regard du § 138 BGB " 125. Ultérieurement, le LAG de Munich s'est prononcé en faveur de l'application du § 138 BGB à une interdiction de concurrence convenue dans le cadre d'une transaction judiciaire entre ancien employeur et ancien salarié 126 ; le contrat de travail ayant pris fin, §§ 74 et s. HGB ne pouvaient pas trouver application et le § 138 BGB n'était de ce fait pas confronté à une disposition spéciale.

Certains auteurs estiment que le § 138, al. 2 BGB qui sanctionne l'usure pourrait trouver application cumulativement avec les §§ 74 et s. HGB 127, voire que les Knebelungsverträge (contrats strangulatoires) seraient également contraires aux bonnes mœurs 128. Le BAG donne de son côté une interprétation restrictive des conditions d'application du § 138, al. 2 BGB 129. En tout état de cause, la contrariété aux bonnes mœurs doit s'apprécier au moment où la clause de non-concurrence est convenue ; les éléments ultérieurs sont sans incidence 130.

210- Quelles que soient les difficultés d'application du § 138 BGB, elles ne font pas grief aux intérêts des salariés car les dispositions des §§ 74 et s. HGB, droit commun de la clause de non-concurrence, assurent déjà suffisamment leur protection.

A l'issue de l'étude des conditions destinées à protéger le salarié qui souscrit une clause de non-concurrence, il apparaît que le droit allemand remplit sa mission de façon satisfaisante tant au niveau des exigences qu'il pose qu'à celui de la sanction de leur non-respect. Dans les domaines traditionnels de la forme de l'engagement, d'un besoin particulier de protection, de la sanction des vices du consentement ou de la contrariété aux bonnes mœurs, la loi commerciale ou civile assure cette fonction. Quand la question concerne la validité d'un engagement de non-concurrence conditionnel, où le droit allemand précède de beaucoup le droit français, ce sont alors la jurisprudence et la doctrine qui proposent des solutions. Dans une sous-section 2, nous allons procéder à l'examen de la question en droit français et rechercher si l'arsenal juridique offert peut être jugé suffisant.


SOUS-SECTION 2. - EN DROIT FRANÇAIS


211- En l'absence d'une réglementation légale, il n'est possible en droit français que de se référer à des normes juridiques de portée générale. Pour l'essentiel, l'analyse rejoint celle du droit allemand. Ici aussi se posent la question du respect des exigences de forme (§1), la question des conditions d'âge et de capacité imposées pour la régularité de l'engagement du salarié (§2), la question de la compatibilité d'une clause de non-concurrence avec un rapport de formation professionnelle (§3), la question des conséquences d'une condition sur la validité de l'engagement de non-concurrence (§4) et enfin la question de l'incidence des vices du consentement sur la clause de non-concurrence (§5).


§ 1. - LES CONDITIONS DE FORME


212- L'absence d'encadrement légal de la clause de non-concurrence en droit français conduit à s'interroger sur l'obligation de respecter un formalisme en la matière. Si la nécessité d'une manifestation expresse de volonté est généralement reconnue à raison de l'atteinte aux principes de liberté du travail et de concurrence imposée au salarié 131, aucune forme n'est théoriquement exigée puisque contrairement à ce qui est quelquefois affirmé, la directive adoptée par le Conseil des communautés européennes le 14 octobre 1991 n'impose pas aux parties à un contrat de travail de rédiger un contrat écrit 132.

Aux termes de l'art. L.121-1 du Code du travail en effet, un contrat de travail dont la durée n'est pas déterminée ou qui ne répond pas à un régime spécial " peut être constaté dans les formes qu'il convient aux parties contractantes d'adopter ". Pour la Cour de cassation, l'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur 133.

Le législateur français va très loin dans le sens du consensualisme puisque selon l'art. L.751-4 du Code du travail, la rédaction d'un écrit n'est pas exigée pour qu'un salarié puisse prétendre bénéficier des dispositions spécifiques applicables aux représentants V.R.P. statutaires à partir du moment où le mode d'exercice de la profession remplit les critères posés par l'art. L.751-1 dudit code. C'est ainsi que même sans contrat de travail écrit, le représentant V.R.P. est présumé satisfaire aux conditions du statut 134.

La clause de non-concurrence accessoire à un contrat de travail peut donc théoriquement être verbale en l'absence d'une disposition contraire analogue à celle que connaît le droit allemand, et être valable. L'établissement d'un écrit n'est en principe pas obligatoire. L'absence d'écrit sera cependant source de difficultés considérables pour administrer la preuve de l'existence et du contenu de la clause de non-concurrence, difficultés qu'une disposition contractuelle claire et précise permettrait d'éviter. La question de l'utilité de la remise de l'écrit aux deux parties à la convention de non-concurrence doit également être envisagée.


A. - La preuve de l'existence et de l'étendue de l'obligation de non-concurrence


213- Comment l'employeur peut-il, en l'absence d'écrit, prouver de façon certaine, conformément à l'art. 1341 du Code civil, qu'à l'issue du contrat de travail le salarié n'a pas retrouvé une pleine et entière liberté puisque seul le consentement du salarié est à l'origine de l'obligation ? 135 Comment l'employeur peut-il établir la nature exacte des activités interdites et l'étendue de l'obligation de non-concurrence dans le temps ou dans l'espace ? Ces précisions sont capitales si la validité de la clause de non-concurrence est contestée par le salarié puisque l'existence ou la nullité de son engagement en dépend et qu'aux termes de l'art. 1161 du Code civil " dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation ".

Il est envisageable d'appliquer à la clause de non-concurrence le principe dégagé par la Chambre sociale de la Cour de cassation selon lequel c'est à la personne qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail d'en rapporter la preuve 136. C'est ainsi sur l'employeur qui souhaite interdire toute concurrence à l'ancien salarié que pèsera la charge de la preuve de l'existence et de l'étendue de la clause de non-concurrence. De même, le salarié qui demandera le versement de la contrepartie pécuniaire aura à établir l'existence de la clause de non-concurrence et de la contrepartie. Ceci est conforme à l'art. 1315 du Code civil selon lequel " celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ".


B. - Conséquences de l'absence d'écrit


214- S'il n'existe pas de convention collective, l'employeur ne pourra pas prouver l'existence d'une obligation de non-concurrence en l'absence d'une manifestation expresse de volonté dans la lettre d'engagement, le contrat de travail ou tout document ultérieur. Dans l'hypothèse inverse, il sera tenté de se référer à la convention collective applicable si celle-ci impose une obligation de non-concurrence à charge du salarié. Il cherchera ainsi à démontrer qu'à l'issue de la relation de travail, le salarié est tenu à une obligation de non-concurrence. J. Amiel-Donnat qualifie cette problématique de " report du consentement du niveau individuel au niveau collectif " 137.

215- Dans la plupart des cas, les conventions collectives n'envisagent la prévision d'une clause de non-concurrence que comme une simple éventualité destinée à régler les modalités d'aménagement de l'interdiction de concurrence imposée au salarié à l'issue du contrat de travail 138 et exigent parallèlement l'insertion d'une mention expresse dans la lettre d'engagement ou le contrat de travail 139. L'absence de stipulation précisant la portée d'une interdiction de concurrence interdit alors de déduire l'existence d'une clause de non-concurrence " de la seule référence à la convention collective dans le contrat de travail " 140.

L'art. 29 de la convention collective nationale de l'industrie des panneaux à base de bois étendue par arrêté du 6 mars 1985 est un modèle de clarté. Ce texte dispose que "toute clause de non-concurrence doit faire l'objet d'une disposition dans la lettre d'engagement ou dans un accord spécial et écrit entre les parties. Elle ne peut résulter d'un accord verbal ou d'un contrat collectif" 141. Le souci de précision manifesté par les auteurs de cet article permet d'écarter toute discussion ultérieure puisque si la clause de non-concurrence est stipulée par écrit dans un document dont le salarié a eu connaissance elle s'impose à lui, et que par contre il est dégagé de toute obligation de non-concurrence dans les autres hypothèses.

Dans un arrêt du 5 décembre 1974, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir jugé qu'un salarié n'était pas lié par une obligation de non-concurrence puisque son contrat de travail n'en faisait pas mention en soulignant que la convention collective en cause " réservait seulement à l'employeur la faculté d'imposer au salarié une obligation de non-concurrence ", sans que celui-ci en ait usé 142.

En 1993, la Cour de cassation a eu à connaître d'un problème proche relatif au concours d'une convention d'établissement qui imposait directement une obligation de non-concurrence à un salarié en précisant les limitations dans le temps, dans l'espace et quant à la nature de l'activité professionnelle mais sans stipuler de contrepartie pécuniaire, et d'une convention collective nationale qui n'envisageait que la possibilité pour l'employeur d'incorporer au contrat de travail une clause de non-concurrence avec les mêmes limitations que la convention collective nationale, mais toujours sans prévoir de contrepartie pécuniaire. La Cour de cassation a donné raison aux juges d'appel d'avoir décidé que la convention d'établissement comportait une clause obligatoire moins favorable au salarié que celle facultative prévue par la convention collective nationale, et ne devait donc pas recevoir application 143 en vertu de l'art. L.132-23, al. 1er du Code du travail 144. En l'espèce, un centre de gestion, ancien employeur d'un salarié engagé en qualité de comptable qui avait démissionné au mois de janvier 1989, cherchait à l'empêcher par voie judiciaire d'exercer une nouvelle activité contraire à l'interdiction de concurrence qui pesait sur lui en vertu d'une convention d'établissement du 30 décembre 1988. En imposant directement une obligation de non-concurrence, la convention d'établissement était moins favorable que la convention de branche qui ne prévoyait que la possibilité d'introduire une clause de non-concurrence dans le contrat de travail.

216- Cependant, certaines conventions collectives qualifiées d'autoritaires 145 imposent l'existence d'une obligation de non-concurrence à charge de l'ancien salarié sans en subordonner l'efficacité à quelque mention que ce soit dans le contrat de travail.

Pour la Cour de cassation "l'absence d'un contrat de travail conclu par écrit entre les parties ne pouvait faire échec à l'application de la convention collective qui régissait nécessairement leurs rapports, (qu')en outre et dès lors que cette convention imposait une obligation de non-concurrence au salarié, c'est à ce dernier qu'il appartenait éventuellement d'établir qu'il y avait été dérogé par une convention particulière plus favorable " 146. Il était ainsi opéré un renversement de la charge de la preuve au profit de la partie au contrat de travail présumée la plus forte : l'obligation de non-concurrence procédant directement de la convention collective, c'est au salarié qu'il appartenait d'établir que son employeur y avait renoncé.

Certains juges du fond ont maintenu leur position en refusant d'adopter le point de vue de la Cour de cassation et certains auteurs se sont montrés critiques.

Deux cours d'appel différentes ont ainsi estimé en des termes identiques qu'une convention collective, dans l'hypothèse qualifiée " d'autoritaire " par J. Amiel-Donat, " ne saurait, en vertu des principes du droit des conventions collectives dont l'objet essentiel est d'améliorer la condition des salariés, mettre directement à la charge de ceux-ci une obligation de non-concurrence alors que rien dans leur contrat de travail n'avait été prévu à cet effet " 147. Une autre cour a jugé " qu'une convention collective n'est opposable à un salarié qu'autant qu'elle est insérée dans son contrat de travail ou que ce dernier fait expressément référence à l'application de la clause de non-concurrence inscrite à la convention collective régissant l'activité salariale dans le cadre de laquelle s'exécute le contrat de travail " 148.

Y. Serra qualifie d'orthodoxe la position de la Cour de cassation qui aboutit à faire jouer le classique effet automatique de la convention collective dont les dispositions sont substituées à celles non conformes du contrat individuel de travail ou à ses lacunes, mais émet des doutes quant à son bien-fondé et à son opportunité. Il rappelle tout d'abord qu'en vertu de l'article L. 132-4 du Code du travail, la convention collective ne peut comporter que des dispositions plus favorables au salarié. Poursuivant sa critique, il s'interroge sur la nécessité de soumettre tous les salariés de la branche professionnelle régie par la convention collective à une obligation de non-concurrence, ce à quoi aboutit le raisonnement suivi par la Cour de cassation. Enfin, insistant sur le fait qu'une obligation de non-concurrence constitue par essence une limitation des libertés essentielles du salarié, il en déduit l'impérative nécessité de la faire figurer au contrat de travail 149.

De son côté, J.Amiel-Donat adopte la même position critique qu'Y.Serra vis-à-vis de l'arrêt de la Cour de cassation du 9 juillet 1976. Citant un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, elle rappelle la hiérarchie des normes nées de la loi, de la convention collective applicable et du contrat individuel de travail pour en déduire qu'une clause de non-concurrence figurant dans une convention collective mais ne faisant pas l'objet d'une stipulation expresse du contrat de travail ne doit pas trouver application. En conclusion l'auteur indique que la disposition de la convention collective nationale des techniciens de laboratoire dentaire du 27 juin 1967 qui était en cause a été supprimée de la nouvelle convention signée le 24 septembre 1983 150.

217- Récemment, reprenant une jurisprudence relative à la période d'essai 151, la Cour de cassation a confirmé l'opposabilité des limitations de concurrence mises à la charge d'un salarié par une convention collective en l'absence de mention au contrat de travail sous la réserve que le salarié ait été informé de l'existence de la convention collective applicable et mis en demeure d'en prendre connaissance 152.
Etait en cause une clause de non-démarchage qui, aux termes de l'art. 41 de la convention collective nationale de travail des cadres et employés salariés des cabinets de courtage d'assurances et/ou de réassurances, interdit formellement au salarié " de démarcher, directement ou indirectement, la clientèle appartenant à l'employeur qu'il vient de quitter " 153. La convention collective interdisait parallèlement toute clause de non-réembauchage quelle que soit son étendue ainsi que le démarchage de la clientèle du salarié dans des termes identiques à ceux de la clause stipulée dans l'intérêt de l'employeur. Il était ainsi équitablement tenu compte des intérêts divergents des deux parties même en l'absence d'une contrepartie pécuniaire.

Pour la Cour de cassation, ce n'est pas au salarié qu'il appartient de prouver que l'employeur a entendu renoncer à l'obligation de non-démarchage, mais à l'employeur d'établir que le salarié a été sommé de s'informer. La différence est d'importance puisque le salarié ne peut être victime que de sa propre carence s'il ne prend pas connaissance des termes de la convention collective à laquelle il est soumis. Encore convient-il que la preuve de la mise en demeure soit indiscutable : émargement sur le texte de la convention collective, délivrance d'un reçu, lettre recommandée avec avis de réception.

La solution, qui ne concerne que le démarchage de la clientèle de l'ancien employeur, apparaît facilement transposable à la clause de non-concurrence. Elle n'est cependant pas satisfaisante puisque le salarié n'acquiert pas une connaissance directe de l'engagement de non-démarchage (non-concurrence) qu'il souscrit par le contrat de travail et doit prendre l'initiative d'une démarche positive qu'il peut négliger en partant de l'idée que la convention collective ne lui sera pas moins favorable que le contrat de travail.

Ce faisant, il renonce à une liberté individuelle fondamentale sans l'avoir souhaité, ce qui interdit de considérer que la clause de non-concurrence trouve sa source dans la manifestation expresse de volonté du salarié. La solution est également difficilement conciliable avec l'art. L.122-39-1 du Code du travail qui dispose que " tout document comportant des obligations pour le salarié ... doit être rédigé en français ". Il est vrai que ce texte est inséré dans une sous-section consacrée au règlement intérieur.


C. - La formalité du double original


218- Si on prend exemple sur le droit allemand qui impose la remise d'un exemplaire signé de la clause de non-concurrence au salarié, il est permis de s'interroger sur la nécessité de respecter en droit français la formalité du double original de l'art. 1325 du Code civil. La Cour de cassation a déjà eu à connaître de cette question sans pouvoir y apporter de réponse, s'agissant en l'espèce d'un moyen nouveau 154.

Selon la jurisprudence, une distinction est à effectuer :

- soit aucune contrepartie pécuniaire n'a été stipulée au profit du salarié soumis à l'obligation de non-concurrence. Il y a alors un engagement unilatéral du salarié inséré dans le contrat synallagmatique de travail qui ne nécessite pas la rédaction d'un double original. Pour la Cour de cassation, " l'inobservation des dispositions de l'art. 1325 du Code civil n'entraîne pas la nullité de l'acte dont elle n'affecte pas la force probante " 155.

- soit une contrepartie pécuniaire a été prévue au bénéfice du salarié astreint à l'obligation de non-concurrence. Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 17 février 1993, il est clairement établi qu'une telle clause de non-concurrence est "instituée non seulement dans l'intérêt de l'employeur, mais également dans celui du salarié, qui d'après les énonciations du jugement attaqué, recevait, en application du contrat, une contrepartie financière ... " 156, et présente donc un caractère synallagmatique. Les dispositions de l'art. 1325 du Code civil qui imposent le double original devraient être normalement respectées mais la Cour de cassation se montre parfois plus conciliante quant à l'application de ce principe. C'est ainsi qu'elle n'a pas censuré les juges du fond qui, appréciant la commune intention des parties, ont condamné l'employeur à payer la contrepartie pécuniaire à la clause de non-concurrence après avoir estimé que " le contrat verbal qui s'était substitué aux rapports contractuels définis par un acte écrit signé le 2 août 1988, prévoyant une clause de non-concurrence, en avait repris les conditions " 157. Le salarié profite ici de la position adoptée par la Cour de cassation, ce qui est normal puisque l'obligation de non-concurrence porte atteinte à sa liberté du travail.

219- Il semble à nouveau que droit allemand et droit français se rejoignent en pratique bien que le premier, contrairement au second, soit en théorie seul respectueux d'un certain formalisme. En effet, comme en droit français les parties sont confrontées à la difficulté de rapporter la preuve de leurs accords, ceci les conduit souvent à conclure par écrit leur convention 158. La jurisprudence allemande n'a pas eu à connaître comme son homologue française des problèmes suscités par l'imposition d'une clause de non-concurrence dans une convention collective. On retrouve cependant en doctrine la même controverse que dans la jurisprudence française quant au caractère suffisant ou insuffisant de l'insertion de l'obligation de non-concurrence dans la convention collective. Par ailleurs, le droit français devrait logiquement se rapprocher du droit allemand quand la clause de non-concurrence revêt un caractère synallagmatique puisque ceci requiert l'établissement d'un second original.

La directive n°91/533 du Conseil du 14 octobre 1991 159 impose la rédaction d'un ou de plusieurs documents écrits comportant obligatoirement " les éléments essentiels du contrat ou de la relation de travail " 160 à l'occasion de toute embauche. Mais le ministère français du travail estime qu'entre les mentions du bulletin de paye et celles du document remis à l'embauche, les obligations issues de la directive européenne sont remplies et qu'il n'y a pas lieu de modifier le droit interne pour le mettre en conformité avec la directive 161. Cette prise de position confirme l'opinion exprimée par un auteur pour qui c'est " uniquement dans des cas particuliers que l'employeur est aujourd'hui tenu par la loi de rédiger par écrit le contrat de travail " 162 comme en témoigne le contrat du médecin salarié régi par l'art. 462 du Code de la santé publique où il s'agit de permettre le contrôle du Conseil de l'ordre des médecins. Tel devrait également être le cas en droit français du contrat de travail comportant une clause de non-concurrence alors qu'en droit allemand l'écrit est bien obligatoire.


§ 2. - LES CONDITIONS DE CAPACITE DU SALARIE


220- Le droit français ne connaît pas de réglementation spécifique à la clause de non-concurrence quant à la capacité de la personne qui s'engage ; il convient donc de se référer aux règles de portée générale qui régissent le contrat de travail tant quant à l'âge que quant à la capacité stricto sensu.


A. - L'âge


221- Aux termes de l'art. L. 211-1 du Code du travail, les enfants ne peuvent être admis au travail avant d'être régulièrement libérés de l'obligation scolaire. L'ordonnance du 6 janvier 1959 a prolongé cette obligation jusqu'à l'âge de seize ans 163. Cependant, l'art. L. 117-3 du Code du travail autorise les jeunes gens âgés d'au moins quinze ans qui justifient avoir effectué la scolarité du premier cycle de l'enseignement secondaire à entrer en apprentissage. D'autres dérogations sont prévues par la loi, mais il est peu probable que les bénéficiaires puissent être concernés par une clause de non-concurrence puisqu'il s'agit des élèves qui suivent un enseignement alterné (art. L. 211-1, al. 2 et 3 du Code du travail) et des adolescents de plus de quatorze ans qui effectuent des travaux légers pendant leurs vacances scolaires (art. L. 211-1, al. 1er du Code du travail). Seul, peut-être, à titre exceptionnel, un enfant employé dans une profession du spectacle ou dans une profession ambulante pourrait-il être confronté à une interdiction de concurrence si sa renommée était telle que son départ puisse faire courir un risque concurrentiel à l'employeur.

Force est de constater que dans toutes ces hypothèses le droit français n'interdit pas le principe de l'assujettissement du jeune salarié à une clause de non-concurrence. Il n'adopte pas toujours la même réserve puisqu'en cas de travail temporaire, l'art. L. 124-3 du Code du travail réputé non écrite " toute clause tendant à interdire l'embauchage par l'utilisateur du salarié temporaire à l'issue de sa mission ". Il semble que le salarié ou l'apprenti mineur peut en théorie s'obliger à ne pas faire concurrence à son employeur à l'issue de leurs rapports contractuels, ce qu'admet Y. Tassel qui souligne sur ce point la différence avec d'autres droits européens 164. Se pose alors la question de la capacité du salarié.


B. - La capacité


222- Avant d'avoir atteint l'âge de seize ans, le mineur est frappé d'une incapacité de jouissance qui lui interdit de contracter; il s'agit d'une incapacité spéciale 165.

Le mineur âgé de seize ou plus, s'il n'est pas émancipé, doit normalement être autorisé à souscrire un contrat de travail par ses parents ou par le conseil de famille 166. En raison du caractère personnel du contrat de travail, la jurisprudence a substitué la notion d'assistance à celle de représentation, ce qui a pour conséquence que le mineur doit intervenir dans la conclusion du contrat de travail 167.

J. Savatier s'est demandé si la conclusion d'un contrat de travail ne fait pas partie des hypothèses prévues par l'art. 389-3 du Code civil où " l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes " 168. P-H. Antonmattei admet que l'autorisation du représentant légal peut être tacite et, qu'à défaut d'autorisation, seule la réscision pour lésion est reconnue 169.

Pour la Cour de cassation, l'exécution du contrat après la majorité du salarié emporte confirmation 170. Une clause de non-concurrence régulière, souscrite pendant la minorité du salarié, devrait ainsi pouvoir être validée après sa majorité.

La comparaison avec le droit allemand souligne un déficit de protection en droit français. Les règles libérales qui viennent d'être exposées semblent difficilement acceptables en présence d'une clause de non-concurrence car l'avenir professionnel du mineur dépourvu d'expérience et de prise avec la réalité peut être gravement hypothéqué sans que les art. 1109 et 1117 du Code civil viennent efficacement à son secours 171.


§ 3. - LA COMPATIBILITE D'UNE CLAUSE DE NON-CONCURRENCE AVEC UN RAPPORT DE FORMATION PROFESSIONNELLE


223- Il serait conforme à l'essence d'une formation professionnelle 172 d'interdire l'insertion d'une clause ayant pour conséquence la limitation de la liberté professionnelle de la personne qui en est bénéficiaire, limitation susceptible de la pénaliser dans la recherche d'un emploi qui sera directement en phase avec la formation qu'elle vient de recevoir.

Plusieurs cas de figure différents semblent devoir être distingués en l'état actuel du droit français.

- La clause de non-concurrence accessoire à un contrat d'apprentissage est jugée régulière alors qu'elle interdisait à un apprenti coiffeur de s'embaucher pendant un an dans une entreprise concurrente située dans la même ville ; tel est aussi le cas d'une clause qui interdisait à un courtier en sucres de s'embaucher pendant dix ans chez un concurrent localisé dans la même ville 173.

L'administration a repris cette position dans une réponse ministérielle où elle a indiqué qu'une clause de non-concurrence n'est admissible que " pour des emplois de grande qualification nécessitant une formation particulière et susceptible d'entraîner une réelle concurrence " 174.

- La clause de non-concurrence insérée dans un contrat de formation (toilettage canin) est licite dans la mesure où le salarié présente un risque sérieux pour l'employeur car il a bénéficié, pendant la période de formation, de conditions propres à l'aider à développer une activité concurrentielle à son détriment après la cessation du contrat 175.

- Par contre, pour la Cour d'appel de Lyon, en imposant à un jeune salarié " aux termes de son contrat une interdiction de concurrence d'une année sur les départements où il était intervenu pendant sa formation, la société l'a privé de la possibilité de mettre en application la qualification qu'il avait acquise ". En outre, la cour conteste le droit à l'employeur de "soutenir valablement que la formation assurée dans ce cadre contractuel suffisait à rendre légitime l'engagement de non-concurrence, alors que le contrat de qualification qui est assorti d'avantages non négligeables pour l'employeur, a pour premier objet d'assurer la formation du jeune et sa préparation à un emploi futur " 176. En l'espèce, l'employeur avait bénéficié d'une aide de l'Etat puisqu'en contrepartie à la formation qu'il dispense, il avait été exonéré des charges patronales de sécurité sociale.

Le droit allemand ne connaît pas de problème comparable puisque par principe la loi y sanctionne de nullité la convention limitant la liberté d'action professionnelle du bénéficiaire d'une formation professionnelle pendant la période postérieure à la fin de cette formation, et coupe ainsi court à toute discussion autour du point de savoir si l'interdiction de concurrence constitue ou non la contrepartie de la formation professionnelle reçue.


§ 4. - L'INTEGRITE DU CONSENTEMENT DU SALARIE


224- La clause de non-concurrence, comme tout autre contrat de droit commun, est nulle si le consentement du salarié qui s'engage a été vicié par l'erreur, le dol, la violence ou la lésion. En l'absence de jurisprudence spécifique à la clause de non-concurrence, un raisonnement par analogie s'impose à partir des règles régissant le contrat de travail.


A .- L'erreur


225- Aux termes de l'art. 1110 du Code civil, " l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ".

Elle n'est point une cause de nullité lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contacter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ". C'est ainsi que l'erreur commise par un salarié sur l'étendue de ses obligations et l'importance des tâches qui lui incombent 177, voire sur " la condition substantielle du contrat constituée tant par la qualification que par le mode de rémunération " 178, lui permet de demander l'annulation de son engagement.

L'erreur doit cependant porter sur une condition substantielle et ne met pas automatiquement obstacle à l'application du contrat de travail si elle n'a pas vicié le consentement de l'une des parties ou porté atteinte à l'ordre public 179. L'erreur sur la convention collective qui régit le contrat de travail n'affecte pas la validité de l'engagement dès lors qu'elle n'a pas vicié le consentement des parties 180. Qu'en est-il quand le contrat de travail comporte une clause de non-concurrence ? La solution inverse devrait alors être logiquement adoptée si le salarié a contracté une obligation de non-concurrence dans la fausse croyance que la convention collective applicable la lui impose tant est déterminante la méprise quant à l'étendue des obligations souscrites.

En tout état de cause, en se soumettant à une clause de non-concurrence, le salarié court le risque d'être ultérieurement confronté à des difficultés imprévisibles quand la situation économique et les conditions de travail initiales auront été modifiées. En l'état actuel du droit français, il ne pourra cependant ni se référer à la notion d'erreur, ni demander au juge de modifier les obligations des parties.


B. - Le dol


226- Il est peu vraisemblable que le vice de dol puisse être relevé en relation avec une clause de non-concurrence puisqu'un employeur n'a, a priori, aucune nécessité d'avoir recours à des manoeuvres pour surprendre le consentement du salarié et obtenir un engagement de non-concurrence. En tout état de cause, la preuve d'un éventuel dol sera très difficile à rapporter à raison du caractère confidentiel des pourparlers précédant la conclusion du contrat de travail.

A notre connaissance, la jurisprudence est rare en la matière. Tout au plus, peut-on relever un arrêt ancien de la Cour de cassation refusant d'annuler une clause de non-concurrence souscrite par un salarié sur la promesse par l'un des associés qu'il s'agissait d'"une clause de style inscrite dans tous les contrats du personnel de la société, mais qu'elle ne lui serait pas appliquée ". Pour la haute juridiction il ne s'agit pas ici de manoeuvres dolosives 181.


C. - La violence


227- C'est à la violence morale qu'ont été confrontés les tribunaux. Pour en apprécier la gravité, ils prennent en considération la situation de faiblesse relative dans laquelle se trouve le salarié au moment où il accepte de se soumettre à une clause de non-concurrence pour obtenir un emploi.

Aux termes de l'art. 1112, al. 2 du Code civil, la " condition des personnes " doit être prise en compte pour apprécier la violence morale. C'est ainsi que constitue une violence morale viciant le consentement du salarié lors de la conclusion d'un nouveau contrat aux clauses très défavorables et même injustes, la circonstance que l'employeur refusait d'exécuter les obligations du contrat initial et ne laissait à ce salarié, qui avait un pressant besoin d'argent en raison de sa situation familiale, que l'alternative d'un procès ou d'une acceptation 182. De même, a été annulé un acte de mutation-rétrogradation, signé par un salarié handicapé âgé de cinquante ans sous la menace d'un licenciement 183. Par contre, la violence a été écartée quand la victime prétendue était un salarié apte de par ses fonctions à apprécier les conséquences de son consentement 184, voire un salarié d'âge raisonnable disposant d'une grande expérience professionnelle 185.

Un auteur résume parfaitement la situation en écrivant " parce qu'il doit agir d'une contrainte " exercée ", l'état de nécessité, bien que susceptible de réduire à néant la liberté du contractant, ne peut justifier l'annulation du contrat. C'est la raison pour laquelle on ne connaît pas de décision annulant un contrat de travail au seul motif que les circonstances avaient contraint le salarié à contracter. La situation est bien évidemment différente en présence de pressions illégitimes sur le travailleur ... " 186.

Cette jurisprudence serait aisément transposable à la clause de non-concurrence. Un candidat-salarié peut en effet être facilement soumis à des pressions " amicales " pour l'amener à renoncer à sa liberté d'entreprendre pendant la période postérieure à l'expiration du lien de travail. Sauf circonstance exceptionnelle, il n'est pas possible d'assimiler la contrainte économique à la violence. Dans une espèce ancienne, la Chambre civile de la Cour de cassation a refusé de considérer comme constitutive d'une contrainte morale la crainte personnelle que pouvait avoir le salarié de ne pas obtenir l'emploi proposé s'il n'acceptait pas la limitation de concurrence 187. Dans le même esprit, une cour d'appel a refusé d'annuler une clause de non-concurrence pour vice du consentement après avoir souligné que " la concomitance du contrat de travail et de l'engagement joint, qui portent la même date, démontre que ce dernier n'a pas été " arraché " après coup ; qu'au surplus aucun des deux actes n'est, dans son contenu, léonin, mais au contraire usuel ; qu'en définitive F. (le salarié) s'est lié de sa propre volonté, consciente et libre " 188. Mais, en cours d'exécution du contrat de travail, il est concevable qu'un employeur impose une clause de non-concurrence à un salarié sous la menace d'un licenciement ; dans ce cas il y aurait violence.


D. - La lésion


228- L'art. 1305 du Code civil 189 n'autorise pas l'action en rescision pour lésion contre un contrat de travail à l'exception de l'hypothèse où le contrat engage un mineur. La jurisprudence d'application contribue à protéger le mineur contre une limitation excessive de sa liberté professionnelle future 190.

229- En droit français, la réglementation applicable aux vices du consentement trouve sa source dans le Code civil. La jurisprudence spécifique à la clause de non- concurrence y est très rare, ce qui permet ici aussi de penser que la question n'a été débattue qu'à titre exceptionnel devant les tribunaux.


§ 5. - VALIDITE DE L'ENGAGEMENT CONDITIONNEL


230- Puisque'il est admis en droit français qu'un contrat de travail peut être conclu sous condition suspensive 191 ou résolutoire 192, certains employeurs ont fait usage de cette possibilité et l'ont appliquée à l'obligation de non-concurrence. Mais alors une vigilance particulière s'impose pour éviter qu'une clause de non-concurrence conditionnelle porte gravement atteinte à la liberté du travail du salarié placé dans l'incertitude quant à ses possibilités futures d'emploi. En son état actuel, la jurisprudence française condamne la conclusion d'une clause de non-concurrence sous condition suspensive (A) ou sous condition résolutoire (B).


A. – Clause de non-concurrence sous condition suspensive


231- En 1982, la Cour de cassation avait admis l'analyse en une interdiction de concurrence de la clause par laquelle l'employeur d'un vendeur " se réservait le droit de lui interdire de s'installer dans la même profession ou de travailler pour la concurrence dans le secteur qui lui était donné en exclusivité " 193.

Ultérieurement en 1995, la Cour de cassation a, avec une motivation double, approuvé l'annulation de la clause de non-concurrence annexée au contrat de travail d'une salariée dont l'employeur se réservait discrétionnairement la possibilité de faire application jusqu'à la rupture du contrat. D'une part, l'art. 16 de l'avenant cadre de la convention collective nationale des industries chimiques, applicable en l'espèce, qui réglemente les conditions d'insertion ou de suppression d'une clause de non-concurrence dans le contrat de travail, autorise uniquement l'employeur à prendre une décision unilatérale pour supprimer la clause si le salarié n'est pas licencié dans le délai d'un an. D'autre part, l'application de la clause de non-concurrence dépend de la seule manifestation de volonté de l'employeur, c'est-à-dire qu'elle est subordonnée à une condition purement potestative interdite par l'art. 1174 du Code civil 194.

Le souci de protection de la partie salariée apparaît clairement quand la Cour de cassation souligne que " l'employeur avait maintenu la salariée dans l'incertitude en ce qui concerne ses possibilités de reclassement " en insérant au contrat de travail une " clause dont seule une procédure judiciaire a permis de constater le caractère illicite ", pratique qui constitue une faute ouvrant droit à dommages-intérêts.

J. Savatier critique l'analyse de la Cour de cassation en rappelant que l'art. 1174 du Code civil condamne seulement " la condition potestative de la part de celui qui s'oblige ", en l'espèce le salarié et non l'employeur, ce qui " conduirait à admettre la validité d'une obligation de non-concurrence souscrite par un travailleur, mais soumise au pouvoir du créancier, c'est-à-dire de l'employeur " 195.

C. Pizzio-Delaporte suggère " que la spécificité de la relation de travail exclut une application systématique de la théorie civiliste " en présence d'une contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence puisque " l'employeur devient alors débiteur de l'obligation : s'il fait application de la clause de non-concurrence, il devra payer le salarié. Employeur et salarié sont à la fois créanciers et débiteurs de la non-concurrence. Dans ce cas, à partir du moment où le déclenchement de la clause dépend de la volonté unilatérale de l'une ou l'autre des parties, la condition potestative existe car l'équilibre du contrat synallagmatique est rompu " 196. Cette analyse est conforme à la doctrine qui estime " qu'un contrat synallagmatique peut se former bien que l'engagement du débiteur soit subordonné à une condition potestative de sa part puisque ce débiteur est en même temps créancier " 197 et à la jurisprudence qui applique explicitement l'art. 1174 du Code civil aux contrats synallagmatiques 198.

La décision de la Cour de cassation est à approuver. Le caractère synallagmatique des engagements réciproques du salarié et de l'employeur parties à la convention de non-concurrence permet d'écarter l'objection tirée de l'art. 1174 du Code civil. La question du caractère purement potestatif de la condition qui affecte l'obligation de non-concurrence se pose exclusivement quand le salarié est en droit de prétendre au paiement d'une contrepartie pécuniaire. En effet, dans l'hypothèse inverse en présence d'un engagement unilatéral du salarié, l'employeur n'a aucun intérêt à faire dépendre d'un événement futur la prise d'effet de la clause de non-concurrence.


B. – Clause de non-concurrence sous condition résolutoire


232- La Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé la nullité d'une clause de non-concurrence qui prévoyait une interdiction limitée à deux ans tout en ajoutant " qu'au terme de deux années d'application, l'employeur aurait toujours la faculté de libérer l'intéressé de ses obligations, à tout moment, et en respectant un préavis de six mois ". La cour d'appel en avait déduit que l'employeur se réservait par-là, à son seul gré, la faculté d'étendre la portée de la clause de non-concurrence dans l'espace et dans le temps, ce qui est illicite 199. En l'espèce en effet, la salariée était dans l'incertitude sur l'étendue de son obligation au-delà du moment de la rupture du contrat de travail. L'introduction d'une condition résolutoire affectant la clause de non-concurrence tendait à faire échec aux dispositions prévues par la convention collective applicable (délai, indemnité de dédit) en cas de renonciation par l'employeur au bénéfice d'une clause de non-concurrence.

233- La validité d'un engagement conditionnel de non-concurrence ne fait pas encore l'objet en droit français de développements aussi importants qu'en droit allemand et ce en dépit du caractère crucial de la question puisque la condition remet en cause l'économie même de l'accord. Ceci s'explique vraisemblablement parcequ'en droit français le paiement d'une contrepartie pécuniaire ne revêt pas de manière générale un caractère obligatoire. Cependant, en raison du coût élevé de l'indemnité de non-concurrence pour l'employeur quand celle-ci s'impose, l'évolution future devrait rapprocher les deux droits puisqu'il sera de l'intérêt du créancier de non-concurrence de chercher à en éviter le paiement.

234- Les différentes techniques décrites dans cette sous-section contribuent de façon non insignifiante à la sécurité juridique de l'engagement du salarié et par-là même à la préservation de son intérêt puisqu'elles permettent de s'assurer que son consentement n'a pas été vicié et qu'il n'est pas contraire aux bonnes mœurs. Cependant, le droit français ne connaît pas un formalisme comparable à celui du droit allemand, et n'admet pas que certains salariés ont un besoin spécifique de protection. Par ailleurs, même si le droit français cherche, tout comme le droit allemand, à éviter que l'employeur place sans bourse délier le salarié dans l'incertitude quant à sa liberté concurrentielle future en affectant d'une condition la clause de non-concurrence qu'il lui impose, la nature juridique de la somme allouée au salarié est différente, contrepartie pécuniaire en droit allemand, dommages- intérêts en droit français. Mais la jurisprudence française est encore trop peu abondante sur ce point pour considérer qu'elle est fixée.

La préservation de l'intérêt du salarié est-elle suffisamment assurée ? L'existence d'une réglementation d'origine légale complétée par une jurisprudence et une doctrine abondantes sur certains points appelle une réponse affirmative en droit allemand. La prise de position sera plus nuancée en droit français où, dans certaines hypothèses, la protection offerte à la partie qui s'oblige apparaît insuffisante ; citons à titre d'exemple le cas de l'engagement de non-concurrence contracté par un mineur âgé de seize ans ou plus qui sera toujours nul en droit allemand, mais uniquement rescindable pour lésion en droit français. Enfin, en l'absence de disposition législative en droit français, le régime de la clause de non-concurrence conditionnelle devra impérativement être précisé par la jurisprudence pour aboutir à une construction accomplie, comparable à celle qui existe en droit allemand.


SECTION 2.- LA LIMITATION DE LA PORTEE DE L'ENGAGEMENT DU SALARIE


235- A l'issue de la relation de travail, le salarié retrouve normalement une totale liberté d'action concurrentielle que seule l'interdiction de faire une concurrence déloyale à l'ancien employeur vient limiter. L'obligation de non-concurrence contractuelle remet en cause cette situation au détriment du salarié puisqu'elle impose une restriction à sa liberté d'entreprendre. Les droits allemand et français ont chacun cherché à circonscrire la portée de l'engagement souscrit par le salarié ; tel sera l'objet de deux sous-sections.


SOUS-SECTION 1. - EN DROIT ALLEMAND


236- Le droit allemand impose deux limitations temporelles à l'obligation de non-concurrence ; leur non-respect fait disparaître le caractère obligatoire de la clause de non-concurrence pour le salarié.

La première disposition, à savoir la seconde phrase du § 74a, al. 1er HGB, interdit de causer un tort injuste à l'avenir commercial du salarié, ce qui se produit si la durée de la clause de non-concurrence est jugée excessive au regard de l'intérêt commercial légitime à protéger, ou si l'intérêt commercial légitime est inexistant 200. Le second texte, à savoir la troisième phrase du § 74a, al. 1er HGB, dispose que " l'interdiction (de concurrence) ne peut pas porter sur une durée supérieure à deux années à partir de la fin du rapport de travail ".

La combinaison des seconde et troisième phrases du § 74a, al. 1er HGB a comme conséquence qu'une clause de non-concurrence n'est jamais obligatoire pour le salarié en tant qu'elle dépasse deux années 201 (§ 1), mais aussi qu'une clause de non-concurrence d'une durée inférieure à deux années peut être dépourvue de caractère impératif si elle cause un tort injuste à l'avenir du salarié (§ 2).


§ 1. - LIMITATION MAXIMALE DE L'INTERDICTION DE CONCURRENCE A DEUX ANNEES


237- La limite maximale de deux ans fixée par la loi est absolue ; la règle d'autonomie des conventions collectives ne permet aucune dérogation puisque tous les salariés bénéficient maintenant des dispositions protectrices des §§ 74 et s. HGB 202. Indiscutablement, cette sévérité contribue à la sécurité juridique bien qu'elle aille à l'encontre de la liberté contractuelle. D'autres législations européennes connaissent aussi une limitation 203.

En République fédérale d'Allemagne, la limitation à deux années est également applicable aux agents commerciaux indépendants. La réforme de 1989 n'a pas modifié cette règle 204. Elle s'impose normalement aussi, sauf circonstance particulière, aux associés d'une société commerciale 205.

Le délai de deux ans commence à courir à compter de l'expiration normale du contrat de travail. Cependant, si un salarié commercial conclut avec l'ancien employeur à l'issue du contrat de travail un freies Mitarbeiterverhältnis (contrat de collaboration libre) et poursuit son activité initiale d'une façon proche, le délai d'interdiction de concurrence ne commencera pas à courir à compter de la fin du contrat de travail, mais à partir de la fin du contrat de collaboration libre 206.

W. Grunsky insiste sur les difficultés qui peuvent se présenter quand le salarié introduit un procès à fin de protection contre le licenciement 207. Dans l'hypothèse où le salarié a continué à travailler pour l'employeur pendant la durée de la procédure et a été débouté de sa demande, le délai maximum de deux années ne commence à courir qu'à compter de la fin effective du contrat de travail. Une solution différente conduirait à ne soumettre le salarié à aucune interdiction de concurrence ou à une interdiction considérablement réduite. Si, par contre, la demande du salarié est accueillie, le jugement met fin à la relation de travail (§§ 9 et 10 KSchG). Tel est également le cas s'il est apporté un terme au contrat de travail par voie d'accord. La période postérieure à la réception du congé et pendant laquelle le salarié n'a pas travaillé doit alors être imputée sur la durée de l'interdiction de concurrence.

Quand l'employeur a, à tort, prononcé un licenciement extraordinaire à effet immédiat, la période d'interdiction de concurrence commence à courir à compter de ce jour et non pas à partir de la date où un licenciement ordinaire avec préavis aurait pu intervenir 208.

La durée de deux ans apparaît suffisante pour protéger l'employeur de la concurrence d'un salarié qui quitte des fonctions commerciales. Pendant cette période, le salarié cessera tout contact avec la clientèle ; il lui sera difficile ultérieurement de compenser le temps perdu. Les intérêts de l'employeur seront souvent encore mieux protégés si le salarié exerçait des fonctions techniques à raison de l'évolution rapide de la recherche et du développement qui, dans de nombreux domaines, rend rapidement obsolètes les connaissances acquises. La durée de deux ans est, aux termes mêmes de la loi, un maximum puisqu'une clause de non-concurrence plus longue est dépourvue de caractère obligatoire pour la période qui dépasse ce seuil. Elle apparaît tout à fait adaptée à la fonction de la clause de non-concurrence et s'intègre harmonieusement dans la recherche d'un équilibre entre les intérêts divergents des deux parties au contrat de travail.


§ 2. - INTERDICTION DE CAUSER UN TORT INJUSTE A L'AVENIR DU SALARIE


238- La dernière phrase du § 74a, al. 1er HGB dispose qu'une clause de non-concurrence n'est obligatoire que pour autant qu'elle ne cause pas un tort injuste à l'avenir du salarié commercial, après prise en considération de l'indemnité stipulée et à raison du lieu, du temps et de l'objet auquel elle s'applique. Le souci de la recherche d'un équilibre entre les intérêts des deux parties est clairement exprimé par le législateur puisqu'il met en parallèle l'interdiction imposée au salarié et la contrepartie pécuniaire versée par l'employeur.

Le § 133f, al. 1er GewO répond à la même préoccupation sans envisager le paiement d'une contrepartie pécuniaire. Selon ce texte, une convention entre un exploitant industriel et un salarié mentionné au § 133c, qui restreint l'activité professionnelle dudit salarié, n'est obligatoire que dans la mesure où elle n'excède pas les limites au-delà desquelles un tort injuste sera causé à l'avenir du salarié à raison du lieu, du temps et de l'objet auquel elle s'applique.

Il est significatif que le législateur ait placé cette condition après l'exigence d'un intérêt commercial légitime. La protection de l'intérêt commercial légitime de l'employeur, nécessaire au caractère obligatoire d'une clause de non-concurrence, pourrait être insuffisante si la formulation de la clause cause un tort injuste à l'avenir du salarié. Le législateur invite le juge à une appréciation concrète de la situation puisqu'il lui appartient de rechercher si l'indemnisation versée au salarié est suffisante au regard des contraintes imposées. Plus l'interdiction sera contraignante, plus la contrepartie versée devra être élevée pour éviter que l'atteinte à la liberté du salarié soit qualifiée d'injuste 209. La loi allemande impose ainsi le respect du principe de proportionnalité.

La recherche d'un équilibre porte également sur les éléments constitutifs de l'interdiction de concurrence. Pour décider si l'étendue dans l'espace d'une clause de non-concurrence cause un tort injuste à l'avenir du salarié, il convient d'en analyser l'objet. Si, par exemple, l'interdiction de concurrence s'étend à tout le territoire de la République fédérale d'Allemagne, le domaine des activités concernées devra être suffisamment restreint pour permettre au salarié de travailler dans son Berufsfeld  (branche professionnelle) en se consacrant, le cas échéant, à de nouveaux secteurs. Selon la doctrine dominante, une interdiction de concurrence qui, à raison de son étendue géographique et de son objet, interdirait toute activité professionnelle à l'intérieur de la République fédérale d'Allemagne, serait injuste 210, et ce quelle que soit la contrepartie payée au salarié 211. L'interdiction de concurrence ne doit en effet jamais aboutir à une interdiction professionnelle 212. La limitation géographique, estime F. Grüll, doit être définie de façon claire pour le salarié. C'est ainsi qu'une interdiction portant sur le secteur prospecté sans autre précision serait dépourvue de caractère obligatoire, l'employeur pouvant toujours le modifier à sa guise 213.

L'histoire rejoint parfois le droit. L'intégration de l'ancienne République démocratique allemande dans la nouvelle République fédérale d'Allemagne par la création de cinq nouveaux Länder amène R. Reinfeld à estimer que les clauses de non-concurrence qui couvrent l'intégralité de la nouvelle Allemagne ont à satisfaire à des critères particulièrement sévères. Pour l'auteur, eu égard à la situation économique et sociale des nouveaux Länder où esprit d'entreprise et goût pour l'innovation sont particulièrement recherchés, il est important d'éviter de bloquer inutilement un salarié motivé et compétent par l'interdiction de concurrencer son ancien employeur 214.

La deuxième phrase du § 74a, al. 1er HGB constitue un élément essentiel à la protection du salarié puisqu'elle impose de moduler très précisément l'étendue de l'obligation de non-concurrence en fonction de l'importance de la contrepartie pécuniaire pour trouver le point d'équilibre entre les intérêts divergents de l'employeur et du salarié. Il convient maintenant de rechercher si le droit français connaît une construction juridique équivalente.


SOUS-SECTION 2. - EN DROIT FRANÇAIS


239- La clause de non-concurrence est par définition attentatoire à la liberté individuelle de celui qui s'y soumet, liberté du travail ou liberté du commerce et de l'industrie ; à partir du moment où la validité de principe en est admise, c'est-à-dire quand la licéité de la restriction à ces libertés est reconnue, il existe un risque sérieux d'aboutir à leur suppression. Consciente du caractère peu satisfaisant de la situation, la jurisprudence a tout d'abord cherché à définir un critère général de limitation dans le temps et dans l'espace de la portée des clauses de non-concurrence puis, en s'efforçant de " coller " au plus près à la réalité, a dégagé ensuite un critère plus souple qui prend en compte la possibilité pour le salarié de continuer à exercer normalement son activité professionnelle. Nous étudierons successivement ces critères qui semblent aujourd'hui revêtir une importance moindre qu'hier, ce qui autorise un auteur à soutenir que les trois limites traditionnelles sont passées au second plan 215.


§ 1. - DE LA LIMITATION DANS LE TEMPS ET DANS L'ESPACE VERS LA LIMITATION DANS LE TEMPS OU DANS L'ESPACE


A. - Aperçu historique


240- La Cour de cassation a été amenée à se prononcer pour la première fois sur la clause accessoire à un contrat de louage de services le 11 mai 1858 dans une espèce où un salarié avait souscrit à une interdiction illimitée dans le temps et dans l'espace qui avait été annulée par la Cour d'appel de Metz. La Cour de cassation a confirmé cette décision au motif du caractère perpétuel de l'engagement en violation de l'art. 1780 du Code Napoléon qui interdit d'engager ses services à perpétuité 216. Le débat était alors placé au niveau de la limitation dans le temps de l'interdiction de concurrence.

Le 28 février 1865, la Chambre des requêtes de la Cour de cassation jugeait cependant que la convention de non-concurrence " n'est illicite qu'autant qu'elle est générale et absolue et quant au lieu et quant au temps " 217 avant que la Chambre civile ne casse un an plus tard un arrêt de la Cour de Metz qui avait annulé une clause limitée dans l'espace, mais illimitée dans le temps 218. La motivation de la décision est très claire puisqu'on lit que " quelque respectable que soit le grand principe de la liberté du travail et de l'industrie ... ", il peut être restreint dans son application " même dans un intérêt privé, par la convention des parties, une telle convention, ne devenant illicite que si elle entraîne pour l'un des contractants, l'interdiction de son industrie d'une manière générale et absolue ... ".

Quelques années plus tard, la Chambre civile de la Cour de cassation précisait sa position en reconnaissant comme valable la convention " quand la renonciation à l'exercice d'un certain commerce ou d'une certaine industrie, bien que perpétuelle est restreinte à un lieu déterminé, ou que, lorsque s'étendant à tous les lieux, elle est renfermée dans un certain laps de temps " 219, puis en indiquant que " la liberté de faire le commerce ou d'exercer une industrie ne peut être restreinte par des conventions particulières que si ces conventions n'impliquent pas une interdiction générale et absolue, c'est-à-dire illimitée tout à la fois quant au temps et quant au lieu ... " 220.

Analysant cette jurisprudence, Y. Serra souligne que toutes les clauses de non-concurrence qui ont été validées du fait de leur limitation quant au lieu étaient accessoires à des ventes de fonds de commerce, ce qu'il explique par la volonté d'interdire la concurrence du vendeur dans le rayon d'action du fonds cédé et par l'influence de l'art. 1780 du Code civil 221.

Par un arrêt du 26 mars 1928, la Chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé la licéité de la clause de non-concurrence limitée dans le temps ou dans l'espace au regard du principe de la liberté du travail et du commerce 222. Pour la Cour de cassation, les limitations de temps et de lieu sont des conditions alternatives et non cumulatives et, dans les deux hypothèses, " la convention est pleinement obligatoire si elle a été librement consentie ".

Parfois cependant, la formulation adoptée par la haute juridiction pouvait amener à se demander si elle ne cherchait pas à introduire à nouveau une limitation cumulative dans le temps et dans l'espace. C'est ainsi qu'à deux reprises au moins, elle a énoncé que " la liberté du travail peut être licitement restreinte par les conventions des parties pourvu que ces conventions n'impliquent pas une interdiction générale et absolue, c'est-à-dire illimitée dans le temps et dans l'espace et quant à la nature de l'activité de l'intéressé " 223.

Ultérieurement cependant, la Cour de cassation a jugé avec grande régularité que " la clause de non-concurrence ne doit pas, pour être valable, être limitée à la fois dans l'espace et dans le temps, mais comporter seulement l'une ou l'autre de ces limitations " 224.


B.- Application jurisprudentielle des critères de limitation de la clause de non-concurrence


241- En l'absence de critère légal fixant les limites à l'intérieur desquelles une clause de non-concurrence est valable, ce qui différencie le régime français de celui de nombreux autres pays européens 225, la jurisprudence a été amenée à valider des clauses de non-concurrence très dissemblables.

Les situations extrêmes sont traitées de manière différente en droit français selon que l'absence de limitation de la clause de non-concurrence porte sur l'élément temporel ou l'élément spatial. C'est ainsi que la clause de non-concurrence d'une durée illimitée est entachée d'irrégularité puisqu'elle conduit à la suppression définitive de la liberté du travail du salarié 226 et, qu'à raison de son caractère perpétuel, elle est contraire à l'ordre public 227. Par contre, la clause de non-concurrence illimitée dans l'espace a été jugée valable par deux chambres différentes de la Cour de cassation 228. Entre ces deux hypothèses, les tribunaux s'octroient une large liberté d'appréciation en partant de l'idée qu'il leur appartient de s'assurer qu'en fait l'objet de l'obligation de non-concurrence est limité. C'est ainsi que la Cour d'appel de Douai a jugé illicite la clause de non-concurrence d'une durée de huit mois, interdisant au salarié d'entrer au service d'un établissement travaillant dans le même secteur d'activité ou dans la même branche sur tout le territoire français 229.

Ceci ne fait cependant pas obstacle à ce que des clauses de non-concurrence fort étendues soient validées puisque les juges ont à se prononcer en fonction de situations de fait très différentes, ce qui les conduit à valider des clauses de non-concurrence de portée variable, parfois très vaste. Par un arrêt ancien, la Cour de cassation a donné effet à une interdiction de concurrence d'une durée de dix ans qui ne faisait l'objet d'aucune limitation géographique en prenant en considération que le salarié avait accompli son apprentissage chez l'employeur 230. Peu de temps après, la haute juridiction s'est toujours montrée aussi peu exigeante quant à la limitation dans le temps d'une clause de non-concurrence en estimant à nouveau qu'une durée de dix ans n'était pas excessive 231.

Pour valider une interdiction de concurrence d'une durée de six ans, la Cour de cassation souligne que la clause permettait au salarié d'exercer une profession non concurrente dans le cadre de ses capacités 232, faisant ainsi application du critère subjectif qui sera étudié dans le §2. La même juridiction a validé une clause de non-concurrence d'une durée de cinq ans pour un représentant de commerce 233 ou pour un cadre de direction 234. Dans d'autres espèces par contre, elle a jugé suffisante une durée nettement inférieure, deux années 235, voire même une année 236. L'interdiction d'une clause de non-concurrence illimitée tout à la fois dans le temps, dans l'espace et quant à l'activité concurrente prohibée reste toujours d'actualité 237, sans que les conditions de limitation dans l'espace et dans le temps soient nécessairement cumulatives 238.

Un exemple récent a vu la Cour de cassation admettre la validation par une cour d'appel de la clause de non-concurrence acceptée par un VRP, lui interdisant de s'intéresser à toute affaire " concurrente sur le secteur de travail de son ancien employeur ", sans aucune précision quant à la limitation géographique de ce secteur. La haute juridiction a estimé qu'une telle clause ne porte pas atteinte à la liberté de travail du salarié en soulignant qu'elle a été souscrite pour une durée de deux ans seulement 239. L'imprécision tolérée par la Cour de cassation peut être source de litige car l'intérêt de l'employeur lui commande de considérer de façon extensive le secteur prospecté par le VRP, solution que celui-ci contestera vraisemblablement.

En sens contraire, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir réduit le champ d'application géographique de la clause de non-concurrence acceptée par un ingénieur technico-commercial sur tout le territoire national, avec une portée très large puisque visant toute activité similaire, et interdisant au salarié de prendre contact et de traiter avec tout concurrent, client ou fournisseur pendant une durée de deux ans. Ladite clause constituant une atteinte à la liberté du travail, son champ d'application a été réduit aux seuls départements dans lesquels le salarié a effectivement exercé ses fonctions 240.

Dans un autre arrêt du même jour, la Cour de cassation a approuvé une cour d'appel d'avoir réduit de dix à deux ans la durée de validité d'une clause de non-concurrence jugée excessive 241.

Quel enseignement tirer de ces arrêts contraires selon que la haute juridiction estime ou non être en présence d'une clause de non-concurrence qui porte atteinte à la liberté du travail ? Vraisemblablement uniquement qu'il convient pour les rédacteurs des clauses de non-concurrence d'être extrêmement prudents dans le libellé des stipulations qu'ils imaginent en évitant tout débordement et en se limitant aux stricts besoins de l'entreprise. Les limites de la clause dans le temps et dans l'espace constitueront alors pour eux des indices permettant de mesurer le caractère raisonnable de la protection de l'entreprise 242.

242- Certains commentateurs ont reproché aux critères de limitation dans le temps et (ou) dans l'espace de constituer seulement une exigence formelle 243, insuffisante pour protéger efficacement le salarié. La critique est fondée puisque " la plupart du temps les tribunaux ne sanctionnent pas l'absence de limitation ou la prévision d'une étendue excessive d'une obligation de non-concurrence, mais procèdent à une révision de la clause de non-concurrence qui subsiste en définitive " 244. Il n'est pas étonnant dans ces conditions qu'un critère différent soit apparu en jurisprudence.


§ 2. - L'OBLIGATION DE PERMETTRE AU SALARIE D'EXERCER NORMALEMENT SA PROFESSION


243- Depuis longtemps la jurisprudence a pris conscience de l'insuffisance des critères objectifs puisqu'en 1938 déjà la Cour de cassation décidait qu'une clause de non-concurrence n'était licite que si elle autorisait " à l'employé qui l'avait souscrite la faculté de se créer des moyens d'existence par l'exercice normal de son activité professionnelle " 245, avant de préciser en 1952 que " pour être valable, une clause de non-concurrence doit laisser au salarié la possibilité d'exercer normalement l'activité qui lui est propre " 246. En aucun cas, la clause de non-concurrence ne doit constituer une atteinte à la liberté du travail, ce qui se produirait en présence d'une interdiction générale d'activité 247.


A. - La formulation du critère


244- Pour déterminer si le salarié peut, en dépit de la clause de non-concurrence à laquelle il est soumis, exercer normalement son activité professionnelle, les tribunaux recherchent si la nouvelle activité correspond à sa formation et à son expérience professionnelle 248. Ceci n'est pas sans poser problème et exige une analyse extrêmement concrète de la situation du salarié qui conduit à juger la validité des clauses de non-concurrence, in concreto, en raison de leur retentissement sur l'activité professionnelle de l'intéressé 249.

La possibilité laissée au salarié d'exercer normalement sa profession permet de valider une clause de non-concurrence 250 mais aussi, en sens contraire, de l'annuler. Citons à titre d'exemple :

- L'annulation de la clause de non-concurrence souscrite par un polytechnicien, ingénieur-conseil en organisation et en gestion, spécialisé dans cette branche d'activité depuis sa sortie de l'Ecole Polytechnique, qui lui interdisait toute activité concurrente pendant trois ans en France et dans les pays limitrophes parce que ce salarié se trouvait du fait de la clause de non-concurrence dans la nécessité soit de s'expatrier, soit d'envisager une reconversion aléatoire, c'est-à-dire dans l'impossibilité absolue d'exercer de façon normale la seule activité conforme à sa formation professionnelle 251.

- L'annulation de la clause de non-concurrence qui faisait interdiction à l'attaché de direction d'une entreprise de vins et spiritueux de s'intéresser directement ou indirectement à une entreprise concurrente pendant cinq ans sans limitation dans l'espace, le salarié concerné étant titulaire du seul certificat d'études primaires et ayant accompli toute son activité professionnelle dans ce seul domaine 252.

- L'annulation pour atteinte à la liberté du travail de la clause de non-concurrence dont l'application, étendue à l'ensemble du territoire métropolitain aurait pour résultat de faire perdre aux deux salariés, âgés de quarante ans environ, le bénéfice de quinze ans ou plus d'expérience professionnelle dans le secteur de la radiologie ou de les obliger à s'expatrier hors d'Europe pour retrouver un emploi conforme à leur formation et aux connaissances qu'ils avaient acquises 253.

L'étendue de la clause de non-concurrence dans le temps et dans l'espace contribue certainement à interdire au salarié l'exercice normal de sa profession. Les critères objectifs initialement dégagés par la jurisprudence sont ainsi utilisés ici comme éléments d'appréciation mais la " simple entrave à la liberté du travail " est insuffisante pour annuler une clause de non-concurrence 254. D'autres arrêts pourraient être encore cités dans le sens de l'annulation 255. Pour la plupart, ils ont été prononcés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, mais parfois aussi par la Chambre commerciale 256.

Si on limite l'étude de la jurisprudence aux possibilités d'activité professionnelle laissées au salarié après la rupture du contrat de travail, force est de reconnaître que le paramètre déterminant en la matière est constitué par sa qualification professionnelle 257, c'est-à-dire par sa formation et son expérience. Dans l'hypothèse où le salarié a acquis une qualification pointue, la possibilité qui lui est offerte d'exercer son activité professionnelle dans un domaine différent de celui interdit par la clause de non-concurrence est faible. Si, par contre, le salarié bénéficie d'une qualification professionnelle polyvalente, ses chances de pouvoir continuer à travailler dans des conditions normales seront plus grandes. Bien entendu, plus les compétences d'un salarié sont spécialisées, plus l'employeur a intérêt à limiter sa liberté concurrentielle.

Pour tenter de préciser la " dimension de la qualification professionnelle ", Y. Serra retient les différents emplois occupés par le salarié, la durée de son séjour et ses fonctions au sein de l'entreprise, les stages et diplômes obtenus et se demande si la jurisprudence reconnaît au salarié un droit à la qualification professionnelle ou si elle tolère qu'il soit obligé de se reconvertir dans un secteur d'activité autre que celui interdit par la clause de non-concurrence 258. Citant trois arrêts prononcés par la Cour de cassation en 1984, Y. Serra décèle un courant majoritaire favorable au salarié qui annule la clause de non-concurrence interdisant à celui qui s'y soumet de reprendre son activité dans sa spécialité 259, alors qu'une tendance jurisprudentielle minoritaire ne reconnaît pas au salarié le droit à qualification professionnelle, mais simplement la possibilité d'entreprendre une nouvelle activité conforme à ses aptitudes et connaissances générales 260.

La question reste donc ouverte en jurisprudence en dépit de l'ancienneté du débat comme le soulignent les deux espèces suivantes.

- Le 4 décembre 1990, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Nîmes du 9 janvier 1989 261, et validé une clause de non-concurrence qui interdisait au salarié d'une société aéronautique d'exercer une activité dans une entreprise concurrente pendant dix ans sur tout le territoire national. Le salarié concerné, de nationalité allemande, parlait trois langues, était titulaire d'un B.T.S. aéronautique-mécanique obtenu auprès d'une école de Hambourg et avait travaillé depuis 1974 dans des entreprises de dimension européenne (Airbus Industrie, Snias, Lufthansa).

Les juges ont estimé que les pièces qu'il avait versées aux débats (certificats de résidence et de fréquentation scolaire) n'étaient pas suffisantes pour établir son enracinement sur le territoire français. Ils en ont déduit que l'interdiction du territoire national ne le mettait pas en difficulté, et ont souligné par ailleurs que le diplôme auquel il se référait lui ouvrait l'accès à diverses professions autres que celle très spécifique d'agent commercial. Les magistrats ont également tenu compte de ce que par le passé, l'intéressé avait participé à des projets au niveau de l'organisation du travail et qu'il avait travaillé dans des services après-vente et de pièces détachées, tant dans l'industrie aéronautique que dans l'industrie navale.

En définitive, pour la Cour de cassation, le salarié concerné conservait la possibilité d'exercer des activités correspondant à sa formation en dépit de la clause de non-concurrence.

- Le 13 octobre 1993 262, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d'appel de Bourges du 12 mai 1989 qui avait déclarée nulle la clause de non-concurrence d'une durée de deux ans pour toute activité en relation directe ou indirecte avec la "Formule 1" insérée dans le contrat de travail d'un salarié, engagé par une société de sport automobile en qualité de directeur technique chargé de la responsabilité technique des véhicules de "Formule 1" et licencié en raison des mauvais résultats de ses voitures en course.

Les juges d'appel avaient motivé leur décision en soulignant que l'intéressé, possédant une qualification certaine et non contestée dans le domaine particulier de la "Formule 1", la clause de non-concurrence lui interdisait de rechercher la moindre place correspondant à sa spécialité dans le monde entier.

Pour censurer cet arrêt, la Cour de cassation indique que les juges d'appel avaient relevé que le salarié concerné, ingénieur diplômé de l'Ecole technique d'aéronautique et de construction automobile avait, avant d'être engagé en 1984 par la société en cause, travaillé depuis 1963 dans diverses entreprises de construction de véhicules automobiles prototypes, de rallye ou de "Formule 1", ce dont il résultait que la clause de non-concurrence, d'une durée limitée à deux ans, n'empêchait pas le salarié d'exercer dans le secteur de la construction automobile autre que la "Formule 1" des activités correspondant à sa formation et à son expérience professionnelle.


B. - Les adaptations du critère


245- 1. Incidence de la formation professionnelle

La formation professionnelle dont a bénéficié le salarié de la part de l'employeur autorise traditionnellement la validation de la clause de non-concurrence.

C'est ainsi que la Cour de cassation a admis la licéité de l'interdiction imposée au chef du département boucherie d'un établissement de la société Casino, d'occuper un emploi en boucherie dans un supermarché dans tous les départements où la société possède des succursales. La Cour de cassation a relevé que le salarié, qui avait été engagé en qualité de boucher, avait été promu chef de service par contrat comportant une clause de non-concurrence "après avoir reçu une formation professionnelle et technique particulière et avoir acquis l'expérience des méthodes spéciales au libre service ...  " 263.

Dans d'autres espèces, la jurisprudence s'est encore montrée plus libérale. La Cour de cassation a reconnu la validité d'une clause de non-concurrence imposée à un vendeur de sucre "  ... en contrepartie de l'apprentissage dont il avait bénéficié ... " 264. La Cour d'appel de Pau a retenu qu'un employeur avait engagé un " investissement professionnel " au profit d'un salarié vendeur de voitures qui n'était pas amorti à son départ au bout de trois ans et demi de collaboration mais a fait abstraction des avantages fiscaux dont il avait bénéficié en application de la loi dite du " 1 % " sur la formation continue 265.

En appliquant a contrario le même critère, la Cour d'appel de Paris a annulé la clause de non-concurrence qui interdisait à son débiteur d'exercer pendant dix ans en région parisienne la profession de chauffeur-ambulancier car en contrepartie de l'engagement qu'il exigeait de son salarié, l'employeur n'avait consenti aucun sacrifice financier, notamment par la prise en charge de frais de formation professionnelle 266.

La même juridiction a aussi tenu compte de la spécialisation acquise par le salarié au service de l'employeur pour en déduire l'impossibilité d'exercer une autre activité, et, de ce fait, la nullité de la clause de non-concurrence 267. La formulation de l'arrêt est claire : " ... considérant aussi que Gardelle, après avoir exercé antérieurement des emplois d'ajusteur, d'outilleur et de représentant, est entré en mars 1961 au service de la société des Pompes funèbres générales alors qu'il était âgé de vingt-six ans ; que l'intéressé a travaillé sans interruption pour le compte de cette société jusqu'au 15 janvier 1970 ; que le 28 octobre 1969, date du dernier contrat, il était âgé de trente-cinq ans et occupait depuis plus de huit ans un emploi exclusivement dans une entreprise de pompes funèbres ; qu'en raison du temps écoulé, il lui était impossible d'envisager de reprendre l'une des activités qu'il avait exercées dans sa jeunesse, dans le cas où il quitterait la société des Pompes funèbres générales ; que compte tenu de sa spécialité déjà ancienne et de son âge, il se trouvait pratiquement dans l'obligation de travailler dans un service de pompes funèbres, qu'ainsi son remplacement éventuel n'était possible qu'à la condition que l'interdiction énoncée dans la clause de non-concurrence figurant dans son contrat ne soit pas trop astreignante en étant trop étendue dans l'espace et dans le temps ... ".

246- 2- Incidence de la faible durée de la relation de travail

La brièveté de la relation de travail peut ne pas justifier le niveau de l'atteinte à la liberté du travail résultant de la limitation de concurrence. Tel est le cas de la clause de non-concurrence d'une durée d'application d'un an, étendue géographiquement à tout le territoire national et illimitée quant aux activités exercées alors que le contrat de travail a duré moins de deux ans 268.

247- 3- Le non-respect du principe de proportionnalité entre la défense d'un intérêt particulier et l'atteinte à une liberté qui en résulte appelle une sanction judiciaire

248- a- Position de la Chambre commerciale de la Cour de cassation

La Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé un arrêt de la Cour d'appel de Versailles qui avait déclaré licite une clause de non-concurrence d'une durée de trois ans dans un rayon de trente kilomètres à vol d'oiseau à partir de la mairie de Versailles, souscrite par un chauffeur de véhicule de petite remise au profit d'une société exploitant un central-radio pour pouvoir être autorisé à utiliser les services de cet équipement. Le pourvoi soutenait que la clause litigieuse risquait d'entraver ou d'empêcher le jeu de la concurrence, visant à créer une situation de quasi-monopole au profit d'une activité annexe de la société bénéficiaire de l'obligation de non-concurrence. La haute juridiction a reproché aux juges d'appel de ne pas avoir recherché si la clause de non-concurrence, même limitée dans le temps et dans l'espace, n'était pas disproportionnée au regard de l'objet du contrat 269. Ceci revient à faire application du principe de proportionnalité reconnu en droit communautaire 270 qui aboutit à un résultat très proche de la possibilité d'un exercice normal de la profession.

Y. Serra situe le débat à un autre niveau, celui de l'intérêt légitime, puisque pour lui l'arrêt réalise "la synthèse entre la vérification de la légitimité de l'intérêt du créancier de non-concurrence et la protection de la liberté économique individuelle du débiteur de non-concurrence car il s'agit de mettre concrètement en relation l'intérêt légitime du premier et l'atteinte à la liberté du second " 271. Mais un autre auteur, C. Pizzio-Delaporte, juge " surabondante " la recherche de la proportionnalité quand un salarié s'oblige à ne pas faire concurrence puisque le critère de la légitimité des intérêts de l'entreprise parait alors plus protecteur 272.

Ultérieurement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé son analyse et rejeté un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui avait jugé disproportionnée par rapport à l'objet du contrat liant le membre du directoire à la société, la clause de non-concurrence empêchant le dirigeant d'exercer, tant en métropole que dans les départements et territoires d'outre-mer, l'activité d'importation et de vente de fruits exotiques qui avait été la sienne pendant 20 ans 273.

Poussant son raisonnement plus avant, la jurisprudence commerciale se réfère parfois aussi au " caractère illusoire " de la limitation d'une clause de non-concurrence 274. Il s'agissait en l'espèce de l'obligation faite lors de la cession de ses actions au président du conseil d'administration d'une société anonyme, âgé de cinquante-cinq ans, de ne pas entreprendre une activité susceptible de concurrencer ladite société dans un délai de dix ans à compter de la cession. Cette interdiction de concurrence était illimitée dans l'espace. Dans sa motivation, la Cour d'appel de Rouen a relevé que la clause avait d'autant plus pour effet d'anéantir la liberté du cédant que celui-ci s'était fait une spécialité du traitement des matériaux thermodurcissables, activité qui lui était interdite puisque la S.A. avait pour objet "la mécanique générale, la fabrication d'outillages de toutes natures et pour tous usages".

On mesurera le chemin parcouru en rapprochant l'arrêt précité de la Cour d'appel de Rouen de deux autres arrêts anciens impliquant des salariés. En 1898, la Cour d'appel de Paris avait jugé que "l'interdiction stipulée ne devant durer que vingt-cinq ans, elle ne saurait être considérée comme perpétuelle en raison de l'âge du promettant, puisque celui-ci étant âgé de quarante-six ans au moment où il contractait cette obligation, peut être à juste titre présumé devoir vivre dix ou quinze ans au moins après l'expiration du délai d'interdiction" 275. Le second arrêt avait été prononcé en 1910 par la Cour d'appel de Limoges 276 qui avait décidé qu'une interdiction de cinquante ans souscrite par un homme de trente ans n'était pas illimitée dans le temps et, de ce fait, était licite.

249- b- Position de la Chambre sociale de la Cour de Cassation

La Chambre sociale de la Cour de cassation semble décidée à suivre la même voie et à contrôler la proportionnalité des clauses de non-concurrence puisqu'en présence d'une stipulation étendue à tout le territoire français ayant une portée très large, constitutive d'une entrave à la liberté du travail pour un salarié dont la formation et les diplômes étaient peu importants et qui avait perdu le bénéfice de l'expérience acquise précédemment par lui dans d'autres activités, elle admet la réduction par la cour d'appel du champ d'application géographique de la clause aux seuls départements dans lesquels le salarié avait effectivement exercé ses fonctions 277. R. Vatinet y décèle l'émergence d'un principe qui " commande au juge de mettre en balance les différents intérêts en présence pour contrôler la validité des clauses, et pour les interpréter afin d'en mesurer la portée exacte " 278.

Si cette tendance jurisprudentielle devait se confirmer, un mode de raisonnement économique, comparable à celui suivi en droit de la concurrence 279 s'imposerait en droit du travail et autoriserait, sauf excès trop patent, une prise de décision au cas par cas, sans qu'un véritable contrôle soit possible.

250- Par sa souplesse d'application, le critère de la possibilité d'exercice normal de la profession permet un examen concret de toutes les situations de non-concurrence mais autorise également des appréciations divergentes en raison de leur caractère éminemment subjectif. De la sorte il contribue certainement moins à la sécurité juridique que l'interdiction de causer un tort injuste au salarié imposée par le HGB qui s'appuie sur des paramètres objectifs. En l'état actuel du droit français, la solution allemande ne serait cependant pas transposable car la validité d'une clause de non-concurrence n'y est pas soumise au paiement d'une contrepartie pécuniaire et seul le contrôle de la proportionnalité entre la défense d'un intérêt de l'employeur et l'atteinte à une liberté du salarié peut être envisagé.

Les mesures impératives qui viennent d'être exposées tendent à interdire les abus les plus patents, susceptibles de porter préjudice à la partie qui s'engage à ne pas faire concurrence ; elles remplissent ainsi la fonction protectrice inhérente à tout système juridique. Il n'est pas surprenant que pour l'essentiel elles présentent des analogies en droit allemand et en droit français qui prennent tous deux en compte les rapports de force entre les parties en protégeant le salarié au moment où il souscrit l'engagement de non-concurrence et en limitant pour l'avenir la portée de cet engagement ; les règles qui en résultent sont très proches.

Le respect de l'intérêt du salarié impose aussi d'avoir à envisager la compensation à laquelle il est en droit de prétendre ; tel sera l'objet du chapitre II.




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