Les conditions de la clause de non-concurrence

en droit du travail allemand et en droit du travail français


par Maître EISELE, avocat au barreau de Metz






PARTIE I:

LA LEGITIMITE DE L'INTERET DU CREANCIER

DE NON-CONCURRENCE







75- La clause restrictive de concurrence porte atteinte aux libertés du travail et du commerce et au libre choix de l'activité professionnelle. De manière plus générale, elle s'oppose à la liberté fondamentale pour tout être humain d'assurer sa subsistance grâce à son travail. Dans ces conditions, cette stipulation doit faire l'objet d'une interdiction de principe et seule, à titre exceptionnel, la prise en compte d'un besoin spécifique de protection de l'employeur pourrait être susceptible d'autoriser une amputation de la liberté du salarié. La mise en balance des intérêts divergents s'imposant, la justification d'une clause de non-concurrence à charge du salarié ne devrait être possible qu'à condition qu'existe un intérêt légitime de l'employeur. Que faut-il entendre par-là ? Droit allemand et droit français ont pendant longtemps divergé à plusieurs égards dans leur appréciation de cet intérêt.

En Allemagne, l'exigence d'un intérêt commercial légitime découle de la loi ; en effet le § 74a, al. 1er HGB dispose que l'interdiction de concurrence n'est pas obligatoire si elle ne vise pas à assurer la protection d'un intérêt commercial légitime de l'employeur. L'application des §§ 74 et s. HGB qui ne concernait à l'origine que les employés commerciaux a été progressivement étendue à tous les salariés par le BAG.

En France, seuls la doctrine, la jurisprudence et le droit des conventions collectives sont intervenus dans la construction de la notion d'intérêt légitime de l'entreprise puisqu'il n'existe aucun texte légal régissant la matière. La doctrine française a été conduite à s'interroger sur la licéité des clauses de non-concurrence. Les réponses données sont divergentes. Contrairement à G. Lyon-Caen qui, après avoir procédé à une analyse juridique et rappelé " que le véritable principe est en cette matière la liberté du travail ; toute mesure qui a pour effet de la restreindre pourrait en bonne logique être considérée comme illicite ... " 1 semble pencher pour l'illicéité, Y. Serra observe que la limitation apportée à la liberté de concurrence résulte d'une convention, et en déduit que la liberté de contracter suffit à légitimer l'interdiction faite à un individu d'exercer une activité professionnelle déterminée. Mais se pose alors la question de la conciliation de cette validité avec le principe d'ordre public de la liberté du travail. Une double condition est à remplir : répondre à l'intérêt légitime du bénéficiaire de la non-concurrence, et ne pas supprimer, mais simplement restreindre, la liberté économique individuelle 2.

La limitation de liberté concurrentielle consentie peut apparaître particulièrement choquante si le salarié a perdu son emploi sans que ses compétences, son sérieux ou sa correction aient été mis en cause ; ce sera le cas dans l'hypothèse d'un licenciement pour motif économique.

A raison de l'existence de la clause de non-concurrence, le salarié sera contraint de rechercher un nouvel emploi dans une activité ou une région qui lui sont étrangères sous peine de se voir condamné au chômage. Aussi, la caractérisation effective d'un intérêt légitime apte à justifier la restriction mise à la charge du salarié apparaît-elle indispensable. L'art. L. 120-2 C. trav., introduit par la loi du 31 déc. 1992 qui dispose que "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché " impose de manière générale à l'employeur de justifier la limitation qu'il entend apporter aux droits et libertés du salarié. Ce texte a une portée générale 3. A ce jour en France, suite aux positions contrastées successivement adoptées par la Cour de cassation, on vient seulement de cesser de débattre de la nécessité d'imposer un intérêt légitime au bénéficiaire de l'obligation de non-concurrence, alors qu'en Allemagne la discussion judiciaire porte depuis longtemps essentiellement sur la définition de la notion d'intérêt commercial légitime.

76- La comparaison du régime de l'intérêt légitime dans les systèmes allemand et français de la clause de non-concurrence est délicate.

Une première différence mérite d'être soulignée; alors que le droit allemand fait référence à l'intérêt commercial du Prinzipal (l'employeur), le droit français se détermine par rapport aux intérêts de l'entreprise 4. La notion d'employeur utilisée en droit allemand est déterminée et déterminable, claire et précise. Par contre, ainsi que l'écrit D. Corrignan-Carsin, "il n'existe pas en droit français de définition légale de l'entreprise, notion complexe et discutée, "ambiguë" et "hétérogène", qui a suscité un vaste mouvement d'idées et des études doctrinales substantielles" 5. L'appréciation de A. Supiot est encore plus tranchée puisque pour l'auteur, "notion toujours employée et jamais définie, l'entreprise n'est donc pas un concept juridique, mais un instrument de référence se prêtant à toutes les conjugaisons" 6. La situation se complique encore car un phénomène de dissociation impose tout d'abord de distinguer l'intérêt de l'entreprise de l'intérêt de l'entrepreneur, mais aussi des intérêts particuliers de ses divers composants. Selon G. Couturier, une option existe entre l'affirmation que l'entreprise a un "intérêt propre qui transcende tous les intérêts catégoriels pris isolément, réunis ou combinés" et une démarche passant par l'"appréhension directe des intérêts catégoriels" et leur combinaison selon la "méthode du bilan" utilisée par la jurisprudence administrative 7. Pour A. Supiot, "l'idée d'un intérêt de l'entreprise, commun à ses membres et transcendant l'opposition de leurs intérêts particuliers est un rejeton de la notion de bien commun hérité de Thomas d'Aquin et actualisée par les encycliques sociales de l'Eglise catholique" 8.

Sans chercher à en définir précisément le contenu, force est de reconnaître que l'expression d'intérêt légitime ne recouvre pas dans les deux droits des notions absolument identiques :

- La conception allemande qui impose un intérêt de nature commerciale est plus étroite que la conception française qui ne connaît pas cette restriction.

- En droit allemand le § 74a, al.2 HGB sanctionne de nullité une clause de non-concurrence dans l'hypothèse où le salarié perçoit une rémunération qui ne dépasse pas 1.500 Marks par an. La référence à la notion d'intérêt légitime n'est pas toujours expresse en droit français, par exemple quand le juge déclare inapplicable une clause de non-concurrence imposée à un salarié à faible rémunération qui n'est pas en mesure de causer un tort à son ancien employeur. Dans un cas comme dans l'autre la solution adoptée peut s'expliquer par l'absence d'intérêt légitime. Si une disposition légale spécifique à la rémunération insuffisante n'avait pas existé en droit allemand, il aurait été parfaitement possible de déclarer non obligatoire la clause de non-concurrence concernée en faisant application du § 74a, al. 1er HGB. En droit français, l'absence de loi a conduit la jurisprudence et la doctrine à formuler une classification des salariés ; elles distinguent les salariés auxquels peut être imposée une clause de non-concurrence de ceux à qui, en raison de la modestie de leur catégorie professionnelle, elle ne peut s'appliquer. L'intérêt légitime de l'entreprise est seul en mesure d'expliquer une telle différence de régimes.

- En Allemagne, la loi, outre l'existence d'un intérêt commercial légitime, impose qu'une clause de non-concurrence ne cause pas un tort injuste au salarié (seconde phrase du § 74a, al. 1er HGB). alors que les cours d'appel françaises exigent l'adéquation entre l'étendue de l'interdiction imposée au salarié et l'intérêt à protéger et veillent à ce que le salarié qualifié ne soit pas "bloqué " par la clause de non-concurrence.

- La sanction de l'absence d'intérêt légitime est différente. En droit allemand, le § 74a, al. 1er HGB déclare non obligatoire la clause de non-concurrence quand l'intérêt légitime de l'employeur fait défaut ; en droit français, l'illicéité de la clause entraîne sa nullité 9. La différence qui est théoriquement d'importance vient d'être atténuée par la Cour de cassation qui a supprimé une conséquence traditionnelle de la nullité en admettant que " faute par lui de démontrer que les deux salariés avaient violé la clause litigieuse pendant les deux années durant lesquelles elle s'était effectivement appliquée avant que la nullité n'en soit judiciairement constatée, l'employeur n'était pas fondé à solliciter la restitution des sommes versées au titre de la contrepartie financière de l'obligation qui avait été respectée " 10.

En toute hypothèse, en droit français, l'employeur est irrecevable à soutenir l'illicéité d'une clause de non-concurrence en avançant qu'elle ne serait pas indispensable à la protection des intérêts de son entreprise 11.

77- Dans les deux pays, la jurisprudence est appelée à donner une solution concrète aux problèmes pratiques en faisant référence à l'intérêt légitime ; les juges recherchent ainsi l'incidence de la formation reçue par le salarié au sein de l'entreprise et celle de son ancienneté. Bien que juridictions allemandes et juridictions françaises aient eu à se pencher sur des difficultés proches, certaines questions sont apparues en droit allemand à raison du fondement législatif de l'intérêt commercial légitime de l'employeur, notamment la détermination du moment où doit exister l'intérêt légitime et la charge de la preuve de l'existence de cet intérêt ;  sous une forme un peu différente, la première de ces deux questions se retrouve également en droit français. Enfin, il ne faut pas perdre de vue les solutions offertes en France par certaines conventions collectives.

L'étude de l'intérêt légitime du créancier de non-concurrence se doit d'être progressive. Nous soulignerons tout d'abord le caractère obligatoire de l'intérêt légitime (ch. I), avant d'analyser la notion (ch. II) et enfin d'adopter une approche temporelle dans la recherche de l'existence de l'intérêt légitime (ch. III).




CHAPITRE I

L'EXIGENCE D'UN INTERET

LEGITIME




78- L'imposition d'un intérêt légitime à charge de l'employeur résulte en droit allemand de la lettre du texte et ne peut être discutée, sauf à remettre en cause la constitutionnalité de la loi. Cet intérêt légitime est commercial, ce qui exclut l'intérêt moral mais ne surprend pas puisque le texte qui l'impose est le Code de commerce.

En droit français, du fait de l'absence de loi réglementant la clause de non-concurrence, la référence à la jurisprudence, aux conventions collectives et à la doctrine est inévitable. L'analyse de la jurisprudence qui, en quelques années, a adopté des positions situées aux antipodes l'une de l'autre, suscite la plus grande réserve et conduit à regretter l'incertitude juridique qui en découle. Le rôle positif des conventions collectives et de la doctrine doit par contre être souligné.


SECTION 1.- LA CLAIRE DETERMINATION DU DROIT ALLEMAND


79- Si le § 74a, al 1er HGB qui dispose : "Das Wettbewerbsverbot ist insoweit unverbindlich, als es nicht zum Schutze eines berechtigten geschäftlichen Interesses des Prinzipals dient", (L'interdiction de concurrence n'est pas obligatoire dans la mesure où elle ne sert pas à protéger un intérêt commercial légitime de l'employeur), exige de l'employeur un intérêt commercial légitime pour rendre obligatoire la clause de non-concurrence, il ne définit pas cette notion . Il incombera aux juges de dire si l'employeur a un intérêt commercial légitime quand, à raison de son activité spécifique, il peut craindre la concurrence de l'ancien salarié. Les tribunaux prennent particulièrement en compte le risque de transmission des secrets d'affaires et des méthodes de travail ou le risque de voir utilisées des connaissances acquises au service de l'employeur précédent pour s'approprier ses clients et accéder à ses fournisseurs12.

Le caractère pragmatique de la jurisprudence allemande est indéniable, et sa lecture donnerait vraisemblablement satisfaction aux auteurs français qui, tel G. Lyon-Caen, estiment qu'il serait souhaitable d'inviter "les juges à une analyse concrète des faits qui devrait échapper au contrôle de la Cour de cassation" 13. Bien entendu, il convient de s'assurer préalablement que l'activité exercée par l'employeur est licite et, par conséquent, digne de protection 14. Cette condition posée par le BAG est complétée par le § 74a, al. 3 HGB qui rappelle les dispositions du § 138 BGB sanctionnant de nullité les actes juridiques contraires aux bonnes mœurs en ces mots : "Unberührt bleiben die Vorschriften des Paragrafes 138 des Bürgerlichen Gesetzbuchs über die Nichtigkeit von Rechtsgeschäften, die gegen die guten Sitten verstossen", soit "Le tout sans préjudice des dispositions du § 138 du BGB relatives à la nullité des actes juridiques contraires aux bonnes moeurs".

La conformité des §§ 74 et s. HGB vis-à-vis de la Loi fondamentale ayant été sans succès contestée, le régime de la clause de non-concurrence est déterminé par ces textes en droit allemand. La situation se présente d'une façon radicalement différente en droit français.


SECTION 2. - LA LENTE EVOLUTION DU DROIT FRANÇAIS



80- Comparée à la position allemande qui exige un intérêt commercial légitime de l'employeur, l'attitude du droit français a été pendant longtemps très en retrait. Ceci tient essentiellement au rôle déterminant de la Cour de cassation dans l'édifice judiciaire français que vient amplifier l'absence de loi. Les nombreux revirements de jurisprudence n'en sont que plus regrettables. En effet, au gré de l'évolution de ses arrêts, la Cour de cassation impose ou non l'intérêt légitime de l'entreprise comme condition de validité de la clause de non-concurrence. Par opposition, les juges du fond, la doctrine et le droit des conventions collectives sont beaucoup plus attachés à cette condition.

Les auteurs qui ont analysé la jurisprudence des cours et tribunaux antérieure à 1991 ont fréquemment adopté une attitude critique. P. Bronnert relevait "l'insuffisance du contrôle jurisprudentiel" en la matière 15. C. Frère jean-Journès faisait ressortir l'absence de contrôle de l'intérêt légitime par les tribunaux 16. J. Amiel-Donat, constatant la fréquente absence de référence à la notion d'intérêt légitime dans les décisions de justice, concluait au "caractère superflu de l'existence d'une cause légitime pour la validité de la clause de non-concurrence" 17.

Cependant elle contestait cette situation en estimant comme P. Bronnert que la notion d'intérêt légitime avait progressé au point de tendre à devenir une condition "nécessaire à la validité de ces interdictions" 18.

De son côté, le ministre du travail, refusant une solution législative, pensait en 1977 que les tribunaux étaient seuls qualifiés pour apprécier si une clause de non-concurrence, insérée dans un contrat de travail sans qu'une contrepartie pécuniaire ait été stipulée en faveur du salarié, a "bien été prévue en vue de sauvegarder un intérêt légitime de l'employeur ... " 19.

Nous étudierons tout d'abord la position de la jurisprudence française (§ 1), avant d'aborder celle des conventions collectives (§ 2), ce qui permettra de mesurer le chemin parcouru en vingt ans.


§ 1. - LES HESITATIONS DE LA JURISPRUDENCE


A. - La Cour de cassation


81- De façon constante la Cour de cassation s'est, jusqu'à 1991, référée à l'art. 1134 du Code civil en rappelant ainsi que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elle en a déduit qu'une clause de non-concurrence "insérée dans un contrat de travail est licite, si elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace, et compte tenu de la nature de l'activité du salarié" 20. Cette formulation déjà ancienne qui remonte à 1960 a été régulièrement reprise .

Elle répond à une inspiration purement civiliste puisque le débat est placé sur le terrain de la convention entre les parties 21. En 1989, Y. Serra pouvait écrire : "les règles du droit civil sont appliquées par les tribunaux
lorsqu'elles sont défavorables au salarié, leur application est en revanche écartée lorsqu'elles pourraient être secourables à ce même salarié" 22. En d'autres termes, la validité des clauses de non-concurrence est reconnue en vertu du principe de la force obligatoire du contrat, mais le recours à la notion de cause, fonction de protection individuelle et instrument de protection sociale, se trouve écarté. Est écartée par-là même la notion d'intérêt légitime.

82- La Chambre sociale de la Cour de cassation a cependant déjà dans le passé parfois pris en compte le concept d'intérêt légitime.

C'est ainsi que le 4 mars 1970 elle énonçait : "Vu les articles 1134 Code civil, 7 du décret des 12-17 mars 1791 et 7 de la loi du 20 avril 1810 23.

Attendu qu'en application des deux premiers de ces textes, une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de louage de services pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur est licite, si elle ne porte pas gravement atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace, compte tenu de la nature de l'activité du salarié, et n'est illicite que dans la mesure où elle le fait" 24.

L'intérêt légitime de l'employeur semblait alors avoir été élevé au rang de condition de validité d'une clause de non-concurrence. C'est du moins ce que l'on pouvait penser bien que la Cour de cassation ne l'ait pas écrit expressément. La seule restriction posée était que l'atteinte à la liberté du travail soit dépourvue de gravité.

Peu de temps après, la Cour de cassation adoptait cependant une position plus nuancée en rejetant un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Paris qui reconnaissait la validité d'une clause de non-concurrence ; elle précisait : "La cour d'appel qui pouvait déduire de ces seuls éléments la validité de la clause, a observé au surplus qu'elle correspondait à un intérêt légitime de l'employeur du fait que Porc était en contact direct avec les clients chez lesquels il effectuait des travaux et auxquels il donnait des conseils ... " 25. Une partie de la doctrine déduisit de l'emploi du terme "au surplus" le caractère facultatif de l'intérêt légitime pour la Cour de Cassation 26 ; d'autres auteurs au contraire contestèrent l'importance donnée à cet arrêt en soulignant qu'il s'agissait d'un arrêt de rejet et que les termes "au surplus" et "seul" n'avaient aucune signification particulière en droit 27.

En 1974, la Cour de cassation visa à nouveau la notion d'intérêt en énonçant dans un arrêt : "Attendu que la clause litigieuse prévoit le maintien, dans l'intérêt de l'entreprise et à la charge du salarié de l'obligation de non-concurrence ..." 28. Il pouvait être déduit de cette formulation que l'intérêt de l'employeur était, pour la Cour de cassation, une condition de validité de l'engagement pris par le salarié. Telle a été l'opinion de certains auteurs. C'est ainsi qu'en 1988, on lisait sous la plume de G-J. Virassamy : " ... cet intérêt légitime tiré de l'utilité de la clause pour la protection du secret des affaires de l'entreprise est la condition première de sa validité. La jurisprudence, celle au moins de la Cour de cassation, est en ce sens ... " 29.

83-Il a pu être considéré que l'arrêt Furlani du 13 octobre 1988 (visé ci-avant sous note 295) tendait à écarter ou à atténuer la référence à la notion d'intérêt légitime. La Cour de cassation n'a-t-elle pas estimé qu'une cour d'appel " ... ne pouvait substituer son appréciation de l'utilité pour l'employeur de l'obligation à imposer au salarié à la force obligatoire de la convention des parties ..." 30 ? Furlani, conducteur de travaux au service d'une entreprise de nettoyage industriel, la société Asnets, avait été licencié pour insuffisance professionnelle un an après son embauche. L'employeur invoquait une clause de non-concurrence interdisant au salarié de se faire réembaucher par une entreprise concurrente. Furlani ayant contesté la licéité de cette clause, la société Asnets y avait renoncé en cours de procédure. Furlani réclamait de ce fait réparation du préjudice qu'il estimait avoir subi pendant la période où il avait respecté la clause. La Cour de Versailles avait admis le caractère illicite de la clause et fait droit à la demande en dommages-intérêts au motif que l'absence de qualification professionnelle de Furlani rendait inutile la protection de l'employeur, qui n'était pas susceptible de subir un préjudice, contre la concurrence que l'ancien salarié pouvait exercer. Il ne pouvait donc légitimement porter atteinte à la liberté du travail de Furlani.

La Cour de cassation a censuré l'arrêt déféré en soulignant que les juges d'appel avaient relevé que l'absence de qualification spécialisée du salarié était de nature à lui permettre une embauche en qualité de conducteur de travaux durant la période et dans le secteur géographique prévus par la clause de non-concurrence.

J. Amiel-Donat critique l'argumentation des magistrats d'appel qui "ne pouvait pas être efficace car l'intérêt légitime de l'employeur à l'obligation de non-concurrence du salarié ne se trouve pas dans la nature de l'activité confiée à ce dernier pendant la durée du contrat de travail. C'est du risque que fait courir cette même activité, développée au profit d'un concurrent, que l'employeur tire son besoin de protection. Peu importe dès lors le caractère spécialisé ou non de l'activité, le risque existant notamment dans le cas d'un vendeur sans spécialisation aucune en raison du contact dans lequel il était avec la clientèle de l'entreprise ..." 31.

Dans une espèce postérieure, la Cour de cassation a cassé un arrêt qui avait annulé une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail à durée déterminée de huit mois, renouvelable une fois. La cour d'appel avait estimé qu'une clause de non-concurrence devait être justifiée par l'intérêt légitime de l'employeur et proportionnée à cet intérêt, puis avait jugé qu'en l'espèce une clause de non-concurrence d'une durée de trois ans ne répondait pas à cette condition 32. La Cour de cassation s'est référée à l'art. 1134 du Code civil, confirmant ainsi son refus de considérer une clause de non-concurrence autrement que comme un contrat civil.

84- Cependant une rupture s'est produite après que par arrêt du 25 septembre 1991, la Chambre sociale de la Cour de cassation, revenant sur sa position antérieure, réintroduise la référence à la notion d'"intérêts légitimes" et décide qu'"une clause de non-concurrence, insérée dans un contrat de travail pour protéger les intérêts légitimes de l'entreprise, est licite si elle ne porte pas atteinte à la liberté du travail en raison de son étendue dans le temps et dans l'espace compte tenu de la possibilité pour le salarié d'exercer des activités correspondant à sa formation et à son expérience professionnelle" 33.

Cet arrêt suscite un certain nombre d'observations :

- la Cour de cassation se réfère aux "intérêts légitimes" en utilisant le pluriel comme en 1970, et non pas à l'"intérêt légitime" comme en 1973 et 1974. Comment interpréter ce recours à une ancienne formulation qui avait été entre-temps écartée ? Recouvre-t-il une différence d'appréciation de la notion d'intérêt légitime ? S'agit-il de l'expression de la volonté de restreindre la portée d'une nouvelle condition de validité en autorisant le bénéficiaire de la clause de non-concurrence à se référer selon les cas à diverses légitimations ? L'intention des juges est-elle au contraire de limiter l'admissibilité d'une clause de non-concurrence en exigeant la conjonction de différentes justifications ?

- la Cour de cassation prend, comme en 1974, l'entreprise comme élément d'application des intérêts légitimes. Elle paraît ainsi renoncer à faire référence à l'employeur. Un commentateur considère que, de la sorte "la Cour de cassation semble bien abandonner sa jurisprudence de 1988 et donne l'impression qu'elle entend dorénavant inviter les juges du fond à vérifier que l'interdiction de concurrence a bien pour fondement la protection des intérêts légitimes de l'entreprise" 34.

85- Etait-on alors en présence d'un revirement de la Cour de cassation, à tout le moins du signe annonciateur d'une évolution de jurisprudence ? Une réponse affirmative s'impose puisque, par arrêt du 14 mai 1992, la Chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé, en la précisant, la position adoptée en 1991, et a rejeté un pourvoi dirigé contre un arrêt de la Cour d'appel d'Agen du 19 septembre 1989 au motif "qu'ayant fait ressortir qu'en raison des fonctions du salarié, la clause de non-concurrence n'était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, la cour d'appel a pu décider que l'employeur ne pouvait se prévaloir de cette clause ... " 35. Le salarié concerné ici était laveur de vitres.

J. Amiel-Donat 36 et Y. Serra 37 approuvent le revirement opéré par la Cour de cassation et le situent au niveau de l'arrêt du 14 mai 1992 et non de l'arrêt du 25 septembre 1991 38. Y. Serra parle de "nouvelle et heureuse orientation de la jurisprudence" et estime que "désormais les juges du fond, pour apprécier la validité d'une clause de non-concurrence souscrite par le salarié, ont la possibilité et le devoir de rechercher si cette restriction à la liberté du salarié correspond à un impérieux besoin de protection de l'entreprise en raison de l'activité passée et des fonctions exercées par ce salarié au sein de l'entreprise ; la nature de l'emploi et le niveau de responsabilité du salarié devant jouer un rôle déterminant à cet égard". Pour J. Amiel-Donat, en "opérant un revirement spectaculaire et presque inespéré, la Chambre sociale retient pour la première fois de manière explicite, la légitimité de la clause de non-concurrence en tant que condition de validité".

D. Corrignan-Carsin souligne que "l'existence d'un "intérêt légitime" devient une condition de licéité de la clause de non-concurrence" 39.

86- Le pouvoir d'appréciation laissé par la Chambre sociale de la Cour de cassation à l'employeur dans l'arrêt du 14 mai 1992 est cependant sensiblement plus réduit que celui qu'elle lui avait reconnu le 25 septembre 1991 puisqu'elle n'exigeait pas alors qu'une clause de non-concurrence soit "indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise".

En 1994, la Cour de cassation nuançait sa position de 1992 puisque, saisie d'un pourvoi contre un arrêt ayant ordonné l'application d'une clause pénale pour violation d'une clause de non-concurrence au motif que le juge du fond n'aurait pas recherché si la clause de non-concurrence était ou non indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise dès lors que l'employeur n'avait pas démontré la réalité de son préjudice, elle s'était contentée d'énoncer que "la clause de non-concurrence, conforme aux intérêts de l'entreprise, était licite" 40. Cette formulation rappelait celle déjà utilisée dans l'arrêt du 25 septembre 1991.

87- En 1995, en à peine plus de deux semaines, la Cour de cassation prononçait deux arrêts où l'intérêt légitime (les intérêts légitimes) de l'entreprise se voyait attribuer une importance différente. Le 14 février 1995, elle admettait la licéité d'une clause de non-concurrence dont les juges du fond avaient "caractérisé l'intérêt légitime que présentait pour l'employeur son application", et rejetait le pourvoi du salarié qui soutenait qu'ayant exercé des fonctions de maintenance en qualité d'électro-mécanicien itinérant sans percevoir le moindre intéressement, ses fonctions n'étaient pas de nature commerciale et qu'il n'avait la possibilité ni de constituer ou de capter une clientèle, ni de divulguer les secrets d'entreprise, d'où il s'évinçait que la clause de non-concurrence n'était pas indispensable à la défense des intérêts légitimes de l'entreprise. La Cour de cassation soulignait que "le domaine d'activité de la société Puma était spécialisé et que le salarié y avait acquis, après quatorze ans d'activité professionnelle, un savoir-faire technique qu'elle entendait protéger" 41.

Le 1er mars 1995, la Chambre sociale de la Cour de cassation autrement composée faisait cette fois, tout comme en 1992, explicitement référence au caractère "indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise" de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail d'un serveur de café en retenant que ses fonctions le mettaient en contact direct avec la clientèle 42.

Dans un arrêt prononcé le 20 juin 1995, la Chambre sociale de la Cour de cassation déclarait valable la clause de non-concurrence "qui correspondait à la défense des intérêts légitimes" de l'employeur 43.

88- Puis dans un arrêt du 24 octobre 1995, renversant la formulation de 1970 "la clause n'est illicite que si ... ", la Cour de cassation jugeait qu'une "clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail n'est licite que dans la mesure où la restriction de liberté qu'elle entraîne est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise" 44.

89- Semblant atténuer sa rigueur, la Cour de cassation énonçait le 18 décembre 1997 "qu'une clause de non-concurrence peut valablement interdire toute activité dans une entreprise concurrente dès l'instant qu'elle est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ... " 45, avant de décider à nouveau le 7 avril 1998 que "pour être valable, la clause de non-concurrence doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise qui en bénéficie " et de reprocher à la cour d'appel d'avoir laissé sans réponse les conclusions qui soutenaient que, du fait qu'elle était accompagnée d'une clause de rachat conférant au salarié la faculté d'être libéré de son obligation, avec l'accord de l'employeur, moyennant le versement d'une somme forfaitaire, la clause de non-concurrence ne pouvait être considérée comme indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'employeur 46.

90- Que penser de cette jurisprudence ?

La valse-hésitation entre des formulations susceptibles de varier en fonction des moyens invoqués dans le pourvoi est porteuse de risques car elle prête à confusion (31 mars 1994 : clause de non-concurrence conforme aux intérêts de l'entreprise alors que le pourvoi du salarié faisait reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché si la clause de non-concurrence était ou non indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; 14 février 1995 : intérêts légitimes caractérisés alors qu'ici aussi il était soutenu dans le pourvoi l'absence de caractère indispensable de la clause de non-concurrence à la défense des intérêts légitimes de l'employeur ; 1er mars 1995 : clause de non-concurrence indispensable à la défense des intérêts légitimes de l'entreprise ; 20 juin 1995 : clause "qui correspondait à la défense des intérêts légitimes" de l'entreprise). Elle pourrait donner à penser que la Cour de cassation a cherché à instituer une gradation dans la nécessité de la clause de non-concurrence en prenant en considération les éléments de fait du litige qui lui est soumis 47. Comment statuera alors la juridiction saisie d'un litige où l'employeur est en mesure d'établir que la clause de non-concurrence contestée est conforme aux intérêts légitime de l'entreprise sans pour autant prouver un caractère indispensable ? Cette remise en cause du principe de sécurité juridique serait encore aggravée par le fait que la matière de la clause de non-concurrence en droit du travail est très largement une construction jurisprudentielle.

En 1992, la Cour de cassation exige que la clause de non-concurrence soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; en 1995, elle adopte une rédaction différente et impose que la restriction de liberté découlant de la clause de non-concurrence soit indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise. De la sorte, elle souligne implicitement qu'une clause de non-concurrence ne devrait être qu'exceptionnelle puisqu'elle porte atteinte à une liberté avant de prononcer la cassation en estimant qu'il ne pouvait y avoir d'intérêt légitime pour une maison de retraite dont l'activité est "d'assurer l'accueil, l'hébergement et la fourniture de diverses prestations aux personnes âgées, et non pas l'exercice de la médecine", à interdire l'installation de l'ancien médecin de l'établissement à proximité en qualité de médecin généraliste.

Le 19 novembre 1996, exposant qu'une clause de non-concurrence apporte "une restriction au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, posée par l'art. 7 de la loi des 2-17 mars 1791, et à la liberté du travail garantie par la Constitution", la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle qu'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail n'est licite que dans la mesure où la restriction de liberté qu'elle entraîne est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise ; tel n'est pas le cas d'une clause interdisant à un salarié dont les fonctions de magasinier "ne correspondaient pas à une qualification spéciale et n'exigeaient pas qu'il soit en contact avec la clientèle" une activité qui ne correspond "qu'indirectement et de manière accessoire" à celle de l'employeur 48.

Pour G. Couturier, l'arrêt du 19 novembre 1996 s'inscrit dans la ligne d'une jurisprudence de plus en plus restrictive et "fonde cette position jurisprudentielle réitérée sur une assise juridique plus explicite et il en éclaire les conséquences concrètes" 49 puisque la Cour de cassation ne vise plus uniquement la liberté du travail mais se réfère à nouveau comme en 1970 à la liberté du commerce établie par la loi des 2-17 mars 1791.

En visant l'art. 7 de la loi des 2-17 mars 1791 et le "principe constitutionnel de la liberté du travail", la Cour de cassation valide le 18 décembre 1997 une clause de non-concurrence simplement nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise … et retient sa validité de principe puisque dès l'instant où cette condition est remplie, "la clause de non-concurrence peut valablement interdire toute activité dans une entreprise concurrente". Enfin, le 7 avril 1998, la Cour de cassation se montre à nouveau exigeante en imposant à la clause de non-concurrence d'être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise.

Il se dégage cependant de cette jurisprudence l'impression confuse de jeu du chat et de la souris aux dépens du justiciable, salarié ou employeur, qui ne peut pas prendre appui sur une règle de droit confirmée. La Cour de cassation perçoit-elle le caractère insatisfaisant de la situation ? Cela n'est pas certain. En effet, présentant d'une manière générale la jurisprudence de la Chambre sociale sans s'intéresser plus particulièrement à la clause de non-concurrence, le conseiller doyen écrit : "La Chambre sociale est également liée par sa jurisprudence. Elle est consciente, plus que tout autre, qu'une règle doit être posée de manière stable et générale. Les revirements de jurisprudence, qui n'interviennent que pour des motifs exceptionnels et impérieux, doivent rester rares" 50, alors qu'en l'espèce la Cour de cassation semble toujours chercher sa voie, induisant en erreur jusqu'aux commentateurs les plus réputés 51.

La jurisprudence de la Cour de cassation se rapproche à petits pas du droit allemand en suivant un parcours riche en méandres et bras morts. Elle s'en différencie cependant toujours par le recours aux notions différentes d'"employeur" et d'"entreprise". Nous tenterons de préciser maintenant l'exigence d'un intérêt légitime en prenant appui sur la jurisprudence des juges du fond 52. Nous constaterons alors que ceux-ci, juges du droit mais aussi juges du fait, ne peuvent éviter dans leurs décisions d'aborder les éléments caractérisant l'intérêt légitime.


B. - Les cours d'appel et tribunaux


91- 1. Avant le revirement de 1991-1992


Certaines cours d'appel rappelaient déjà qu'une clause de non-concurrence, limitée dans le temps et dans l'espace, pouvait être valable si elle avait pour but la protection d'intérêts légitimes 53.

Des tribunaux, assez rares cependant imposaient dans le passé que l'employeur puisse se référer à un intérêt légitime. C'est ainsi que le Tribunal de commerce de la Seine a résilié dans un jugement du 10 novembre 1931 la clause d'une durée d'une année, souscrite par l'employé d'une maison de haute-couture, en relevant que son maintien était devenu sans intérêt pour l'employeur. La durée d'emploi avait été très brève, et les modèles créés à l'époque du travail du salarié avaient déjà été présentés à la clientèle. La commune intention des parties ayant été de garantir la maison de haute-couture contre les indiscrétions et plagiats de ses modèles, la clause litigieuse se trouvait de ce fait, selon le tribunal, résiliée de plein droit 54.

Dans un jugement du 25 octobre 1959, le Tribunal de grande instance de la Seine avait estimé qu'une interdiction d'activité de cinq ans pour un géophysicien aboutirait, étant donné les progrès rapides de la technique dans le domaine où il exerçait, à transformer un utilisateur de techniques actuelles en dépositaire de techniques périmées. Elle dépassait donc l'intérêt légitime de l'employeur qui est de ne pas voir un concurrent bénéficier de ses techniques en cours, et aboutissait, au bout de peu de temps, à l'inutile protection de techniques devenues sans application. Ce jugement a été censuré par la Cour de cassation au motif que le tribunal ne s'était pas expliqué "sur le point de savoir si le fait par Laire d'entrer au service de son nouvel employeur moins de deux mois après avoir quitté l'ancien n'allait pas à l'encontre de l'intérêt par lui reconnu, qualifié de légitime, qu'avait ce premier employeur de ne pas voir un concurrent bénéficier de ses propres techniques en cours" 55.

92- Plus récemment, mais avant la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation de 1991-1992, certaines cours d'appel avaient été amenées à justifier l'obligation de non-concurrence par l'intérêt légitime de l'employeur, ce qui les amenait parfois à en rechercher les composantes.

La Cour d'appel de Reims avait estimé, dans un litige opposant une société de travail intérimaire à un ancien salarié, que le respect d'une clause de non-concurrence était fondé parcequ'au cours de ses fonctions, un adjoint au chef d'embauche industrie de l'agence de Reims avait pu se pénétrer des méthodes de la société Bis et avait eu accès à ses fichiers de personnel et de clientèle 56.

La Cour d'appel de Rennes, sur appel d'une ordonnance de référé ayant condamné un vendeur à cesser son activité à la demande du précédent employeur, une société exploitant un garage, avait décidé que l'ancien employé se bornait à une appréciation personnelle des intérêts légitimes de l'employeur, alors qu'il est constant qu'il exerçait dans le secteur délimité par la clause, et de surcroît dans un garage très proche de celui de son ancien employeur, l'activité qualifiée de façon générale de "vente automobile" 57.

Dans un arrêt commenté par Y. Serra, la Cour d'appel de Poitiers avait déclaré que "s'il est admis que l'employeur puisse imposer à un salarié une obligation de non-concurrence après la cessation des relations de travail, encore faut-il que le salarié soit détenteur d'un savoir technique ou de contacts commerciaux d'un niveau tel que son embauche par une entreprise de même nature dans le même secteur géographique soit de nature à lui occasionner un préjudice" 58.

La Cour d'appel de Bordeaux voyait l'intérêt légitime du créancier de l'obligation de non-concurrence dans le fait de ne pas voir le nouvel employeur bénéficier des techniques commerciales acquises chez lui par le salarié 59.

La Cour d'Appel de Paris, dans un procès opposant ici aussi une société de travail intérimaire à un ancien attaché commercial, avait retenu l'intérêt légitime de l'ancien employeur "dans la mesure où Monsieur Simon avait bénéficié d'informations confidentielles sur l'activité de la société, et notamment sur le fichier de sa clientèle ; que compte tenu de sa formation et de son expérience dans le secteur bancaire, Monsieur Simon n'était nullement privé de la possibilité d'exercer, même dans une région proche de Juvisy, une activité de cette nature qui n'était pas susceptible de porter préjudice à la société Crit Intérim" 60.

Ultérieurement, la même cour avait jugé que l'intérêt légitime "évident" de l'employeur consistait à éviter le débauchage par les sociétés concurrentes de transports de fonds, dans un secteur où cette concurrence est particulièrement vive, de salariés, même modestes, qui pourraient fournir au nouvel employeur des renseignements sur la clientèle, ou les méthodes de travail du concurrent 61.

De même, la Cour d'appel de Rennes avait interprété de façon très extensive la notion d'intérêt légitime dans un litige opposant un animateur radio chargé de production et une société exploitant une radio locale. Elle avait jugé que l'ancien employeur avait un intérêt légitime "à se protéger contre les conséquences prévisibles du passage à la concurrence locale directe" d'un animateur radio ayant acquis "des méthodes et un style auxquels certains auditeurs pouvaient être tout naturellement attachés" 62. Voici somme toute l'intuitus personae promu au rang d'intérêt légitime ! En effet, n'est-ce pas en raison de ses qualités propres que le salarié s'était vu interdire de faire courir le risque d'une concurrence à son ancien employeur ?

Cet arrêt, sans nier formellement la nécessité d'un intérêt légitime, semblait annoncer l'arrêt de la Cour de cassation du 13 octobre 1988, pour le moins quant à ses conséquences concrètes pour les plaideurs. Il était permis de se demander si la cour d'appel n'inclinait pas à assimiler la notion d'intérêt légitime à celle d'intérêt économique. L'activité professionnelle concernée est en effet fort rémunératrice pour l'employeur. D'autre part, le taux
d'écoute révélé grâce aux sondages permet de fixer les tarifs publicitaires ; il dépend grandement de la popularité des présentateurs. Le départ d'un animateur à succès chez un concurrent peut avoir de très graves répercussions sur l'avenir de la radio concernée. D'où l'intérêt de le rendre impossible, ou sensiblement plus difficile, au moyen d'une clause de non-concurrence.


93- 2. Le revirement


La jurisprudence de la Cour de cassation a bien entendu été suivie par les juridictions de second degré qui rappellent que l'interdiction contractuelle de concurrence souscrite par le salarié doit correspondre aux intérêts légitimes de l'employeur, souvent sans chercher à les définir plus avant 63.

94- Tout en manquant de clarté, l'évolution récente de la jurisprudence française va dans le bon sens. Elle contribue à moraliser les rapports entre le créancier et le débiteur de l'obligation de non-concurrence puisqu'en cas de litige sur la licéité de la clause de non-concurrence, l'employeur a l'obligation de prouver la légitimé de la limitation apportée à la liberté concurrentielle de l'ancien salarié et ne peut plus agir à sa guise. Les abus seront plus facilement évités bien que "les tribunaux retiennent une conception très compréhensive de cette nouvelle exigence" 64. De son côté, le comparatiste ne manquera pas de relever avec satisfaction le rapprochement des droits allemand et français sur la question capitale de l'intérêt légitime.


§ 2.  L'APPORT DES CONVENTIONS COLLECTIVES


95- L'objet de ce § est l'inscription du concept d'intérêt légitime en droit positif au travers des conventions collectives. L'absence de réglementation légale et les incertitudes jurisprudentielles ont conduit les partenaires sociaux à tenter d'assurer l'équilibre souhaitable entre la protection nécessaire de la clientèle de l'employeur contre la concurrence de l'ancien salarié et la liberté d'entreprendre que celui-ci retrouve normalement à l'issue de son contrat de travail en ayant recours à des notions différentes présentant un degré d'exigence croissant à charge de l'employeur.

C'est ainsi que certaines conventions collectives rappellent que le salarié est soumis à une obligation de loyauté, ce qui implique "de ne pas faire bénéficier une maison concurrente de renseignements provenant de l'entreprise qui l'emploie". En conséquence, un employeur garde la faculté de prévoir qu'un salarié qui le quitte volontairement ou non, ne peut apporter à une entreprise concurrente les connaissances qu'il a acquises chez lui et lui interdire de se placer dans une maison concurrente 65.

D'autres conventions collectives préfèrent se référer à la notion de secret professionnel. Tel est le cas de la convention collective nationale du caoutchouc qui, dans son art. 17, stipule que : "L'ingénieur ou cadre est tenu au secret professionnel à l'égard des tiers pour tout ce qui concerne l'exercice de ses fonctions et, d'une façon générale, pour tout ce qui a trait à l'activité de l'entreprise qui l'emploie. Il a en particulier l'obligation de ne pas faire profiter une entreprise concurrente de renseignements propres à l'entreprise qui l'emploie ou qui l'a employé et qu'il a pu recueillir à l'occasion de ses fonctions ou du fait de sa présence dans l'entreprise" 66.

De nombreuses conventions collectives stipulent que la restriction de l'activité professionnelle d'un salarié après la cessation de son emploi ne doit pas avoir d'autre but que de sauvegarder les légitimes intérêts professionnels de l'employeur 67.

Enfin d'autres conventions collectives sont encore plus exigeantes puisqu'elles disposent que "les clauses de non-concurrence ne doivent viser que les situations qui les justifient" 68.

La référence répétée à la notion d'intérêt légitime dans les conventions collectives démontre l'importance que lui accordent les milieux professionnels 69.

Les conventions collectives sus-visées ne précisent pas quelle est la sanction de l'absence d'intérêt légitime alors qu'on admet qu'une exigence spécifique peut parfaitement être imposée à fin de validité de la clause de non-concurrence 70. Cependant, il apparaît au regard de la jurisprudence que l'intérêt légitime doit maintenant être considéré comme une condition de validité de la clause de non-concurrence et que le silence de la convention collective sur la nature de la sanction du non-respect de cette condition est sans emport.

96- La jurisprudence récente de la Cour de cassation enlève une partie de son intérêt à l'exigence d'un intérêt légitime de l'entreprise imposée par certaines conventions collectives pour justifier l'interdiction de concurrence. Cependant, en l'absence de loi, les fluctuations de la jurisprudence depuis trente ans n'autorisent pas, tout au moins en théorie, à exclure un éventuel revirement. La référence à l'intérêt légitime dans les conventions collectives continue donc à constituer une garantie pour le salarié.

97- A ce jour le droit français semble avoir rattrapé un retard de près d'un siècle par rapport au droit allemand et impose à son tour l'intérêt légitime comme condition pour que la clause de non-concurrence puisse lier le salarié. Une réglementation de la matière par voie législative comme la connaissent un grand nombre d'autres droits aurait permis d'éviter un cheminement pénible.

Le principe du caractère obligatoire de la référence à l'intérêt légitime de l'entreprise étant maintenant acquis, il convient de rechercher ce que recouvre la notion. Tel sera l'objet d'un chapitre II.



CHAPITRE II

LA NOTION D'INTERET LEGITIME





98- La clause de non-concurrence porte atteinte à la liberté professionnelle du salarié au moment où son intérêt commanderait de le laisser disposer de la plus grande latitude dans la recherche d'une nouvelle situation. Cette restriction importante aux initiatives du salarié ne peut trouver sa justification que dans l'intérêt supérieur de l'autre partie au contrat de travail. Cet intérêt dépassera le cadre des rapports bilatéraux et prendra en compte la défense de l'entreprise-employeur face aux attaques dont elle peut faire l'objet de la part d'autres intervenants économiques 71. Une analyse économique sera alors nécessaire qui conduira à rechercher si, après son départ, le salarié peut causer à son ancien employeur un préjudice concurrentiel en plaçant ses compétences et connaissances au service d'un tiers ou en les mettant lui-même en valeur.

Un tel raisonnement impose de cerner la notion de situation concurrentielle qui soutend l'intérêt légitime (section 1) ; puis de déterminer le contenu de l'intérêt légitime (section 2) ; avant de rechercher si, particulièrement en droit français, il constitue la cause de l'obligation de non-concurrence du salarié (section 3).


SECTION 1. - LA NOTION DE SITUATION CONCURRENTIELLE


99- La rivalité, propre à toute société humaine ou animale, se traduit au niveau économique par la concurrence. Mais, de même que les sociétés, pour survivre, sont parfois obligées de limiter voire de chercher à rendre impossibles les tensions découlant de cette situation de rivalité, de même sont-elles aussi conduites à édicter une réglementation, soit pour éviter des désordres majeurs, soit encore pour garantir la loyauté des rapports entre agents économiques, soit enfin pour interdire les abus de prix ou de tarif susceptibles de découler d'ententes entre les producteurs ou leurs agents voire de l'exploitation d'une situation particulière de puissance. Dans son principe, et sous réserve d'abus toujours possibles, cette réglementation de la concurrence vise à protéger le jeu normal de la concurrence elle-même.

Bien qu'issue de l'autorité publique et destinée à s'appliquer hors le cas des relations de travail à des acteurs économiques importants par leur chiffre d'affaires et/ou leur place sur le marché, cette réglementation a dégagé certains concepts utiles à la compréhension de la notion d'intérêt légitime. Plus précisément, elle permet de cerner la composante essentielle d'une situation concurrentielle, le marché sur lequel la clientèle court le risque d'être détournée 72. Pour déterminer s'il y a violation de la clause de non-concurrence, le droit du travail pourra être amené à suivre un raisonnement proche de celui du droit économique et rechercher s'il y a ou non concurrence entre deux entreprises. Telle est la raison pour laquelle cette section sera consacrée à la recherche par le droit des éléments constitutifs d'une situation concurrentielle.

Nous suivrons tout d'abord un cheminement historique (§1), avant d'étudier l'approche des notions de concurrence et de marché à laquelle se livre le droit en vigueur (§2). Un autre éclairage de la question eut été concevable au moyen d'une interprétation de la portée de la clause de non-concurrence vis-à-vis des activités interdites, interprétation stricte ou respectueuse de l'intention des parties. Le lien avec la notion d'intérêt légitime aurait été moins étroit ; cette analyse a donc été écartée.


§ 1. - EVOLUTION HISTORIQUE


100- Les sociétés anciennes, tout comme la société moderne, ont connu des situations de rivalité qu'elles ont résolues par des réglementations qui s'apparentent aux nôtres, même si elles émanent de législateurs différents. En effet, de nos jours, la source de cette réglementation réside, sauf accord collectif, dans l'Etat ou dans une autorité supra-nationale. Tel n'a pas toujours été le cas.


A. - En droit romain


101- Il est impossible de retrouver l'origine de la réglementation de la concurrence en droit romain. La séparation entre hommes libres et esclaves avait comme conséquence que les seconds, au service des premiers, ne pouvaient pas leur faire concurrence ; la différence d'états l'interdisait. Mais un esclave venait-il à être affranchi, il pouvait alors exercer librement toute activité de son choix car le droit romain ne connaissait pas de limitation à la liberté d'entreprendre.


B. - En droit médiéval et en ancien droit


102- La société médiévale n'admettait pas la liberté professionnelle. Toute activité artisanale ou commerciale était impossible en dehors des guildes et des corporations. Les maîtres n'avaient ainsi en principe pas à craindre la concurrence de leurs compagnons et apprentis. Cependant au moyen-âge une réglementation abondante s'est développée dans le cadre de l'organisation des corporations, voire des communautés urbaines, sans qu'il soit possible d'y trouver la trace d'un échange de consentements entre maîtres et compagnons ou apprentis. Les interdictions étaient purement et simplement imposées. La conséquence pratique était d'assurer un monopole sans partage aux maîtres. A Strasbourg, le premier statut de la corporation des orfèvres octroyé en 1362 disposait dans son article quatre que "s'il arrive qu'un apprenti prenne la fuite pendant son apprentissage et s'il revient ici, aucun autre orfèvre ne doit l'employer avant qu'il ne se soit accordé avec le maître qu'il a quitté. Si quelqu'un fait autrement, et autant de fois qu'il le fera, il paiera une amende de cinq sous deux deniers " 73. A Cologne en 1371 et 1489, pour assurer la loyauté des rapports entre maîtres et entre maîtres et compagnons, la corporation des peintres édictait un règlement professionnel concernant le débauchage des compagnons. Aux termes de ce règlement, le maître ayant engagé un compagnon avant la fin de son contrat avec son précédent employeur, était passible d'une pénalité de cinq Marks. Ces dispositions, en réglementant la corporation, avaient pour objet d'en assurer l'exercice et la survie.

La concurrence était parfois aussi purement et simplement éliminée. C'est ainsi que l'Empereur Rodolphe II, tout en faisant bénéficier le système de la poste impériale des avantages du droit régalien, n'hésita pas à interdire dans l'Empire et dans ses domaines héréditaires toute messagerie concurrente 74.

Cette situation s'est poursuivie jusqu'aux bouleversements apportés tout d'abord par la révolution française, puis par la révolution industrielle.


§ 2. - ETAT ACTUEL


103- Dans l'économie européenne moderne, libérale, industrielle et post-industrielle, les organes communautaires, tout comme les Etats nationaux, ont cherché à protéger la libre concurrence et ont été préalablement contraints de définir le concept de situation concurrentielle. Les art. 85 et 86 du Traité de Rome en sont l'exemple particulièrement net 75, mais les raisonnements ne sont pas très différents en droit allemand et en droit français.


A. - Le concept de situation concurrentielle en droit communautaire de la concurrence


104- La politique de la concurrence dans laquelle s'intègrent les art. 85 et 86 n'est pas une fin en soi, mais fait partie intégrante de la politique économique de l'Union. Répondant à des réalités économiques mouvantes, la notion de concurrence devient alors difficile à définir 76.

La détermination du secteur concurrentiel est d'une importance primordiale pour décider de l'applicabilité de l'art. 85 puisque cette disposition ne concerne que les entreprises. A cet égard la position de la Cour de justice des Communautés européennes est d'élargir le champ d'application du texte. La Cour va jusqu'à considérer que la Caisse nationale d'assurance vieillesse mutuelle, organisme à but non lucratif, gérant un régime d'assurance vieillesse institué par la loi à titre facultatif destiné à compléter un régime de base obligatoire, qui fonctionne selon le principe de la capitalisation dans le respect des règles définies par le pouvoir réglementaire notamment pour les conditions d'adhésion, les cotisations et les prestations, est une entreprise 77.

La détention d'une position dominante exigée pour que l'article 86 soit applicable est toujours appréciée par rapport à un marché. Pour chercher à caractériser le marché, la Commission des Communautés européennes et la Cour de justice des Communautés européennes ont analysé la notion tant sous l'angle géographique que de celui des produits ou services concernés. Il incombe en effet à la Commission, autorité chargée de l'application de l'art. 86 du Traité de Rome, de prendre garde que la portée du texte ne soit pas limitée ; en d'autres termes, de veiller à éviter toute possibilité d'élargissement du marché de référence qui aurait corrélativement pour conséquence de réduire l'importance relative qu'y occupe l'entreprise et, partant, de permettre la remise en cause de la position dominante. Il n'est ainsi pas étonnant dans ces conditions que le débat ait tout d'abord porté sur la définition des produits substituables, c'est-à-dire susceptibles d'être concurrents.

Dans une décision Continental Can Company de 1971, la Commission en adoptant une conception large avait admis que le marché de référence ou relevant market était celui des emballages légers pour conserves de viande et de poisson ainsi que celui des bouchages métalliques pour bocaux de verre. La Cour de justice, saisie d'un recours contre cette décision, l'annula en 1973 au motif qu'elle n'avait pas délimité de manière suffisamment précise le marché de référence 78. Dans l'arrêt, la Cour relève que : "La délimitation du marché en cause est d'une importance essentielle, les possibilités de concurrence ne pouvant être appréciées qu'en fonction des caractéristiques des produits en cause en vertu desquelles ces produits seraient particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et seraient peu interchangeables avec d'autres produits". La Cour de justice fait grief à la Commission de ne pas avoir précisé par quelles particularités les trois marchés qu'elle avait retenus dans sa décision se distinguaient l'un de l'autre, et devaient en conséquence être considérés séparément. Elle reproche également à la Commission de ne pas avoir indiqué les spécificités qui permettent de distinguer les trois marchés retenus du marché général des emballages métalliques légers qui comprennent les emballages destinés à contenir des conserves de fruits et légumes, du lait condensé, de l'huile d'olive, du jus de fruit, des fruits et des produits technico-chimiques.

Il s'évince de l'arrêt de la Cour que pour former un marché distinct, les produits en cause doivent s'individualiser non seulement par leur utilisation pour l'emballage de certains produits, mais aussi par des caractéristiques particulières de production les rendant spécifiquement aptes à cette destination. Cette individualisation n'ayant pas été établie par la Commission, la Cour n'a pas admis que les trois marchés considérés étaient distincts et a conclu qu'ils faisaient partie d'un même marché, à savoir globalement celui plus large des emballages métalliques légers.

105- Ultérieurement, en 1996, la Cour de justice a admis que pour définir le marché des produits concernés, il convient de définir au préalable les produits qui, sans être substituables, sont suffisamment interchangeables avec les produits proposés par l'entreprise en cause 79. La méthode pourrait également être utilisée dans un litige prud'homal pour établir si un salarié s'intéresse ou non à des produits concurrents de ceux de son ancien employeur quand l'interdiction de concurrence en cause porte sur des marchandises ; elle profiterait alors à l'employeur par l'élargissement de la notion de produits concurrents.

Cette quête de la situation de concurrence en droit communautaire, droit de la concurrence par excellence, pourrait a priori apparaître étrangère à l'obligation de non-concurrence en droit du travail. Il est en effet tentant d'opposer le " grand droit de la concurrence " dont l'objet est d'assurer la régulation du marché et le maintien de la concurrence aux règles d'inspiration " microéconomique " dont le but est de protéger les concurrents. Cependant, comme l'énonce Y. Serra, " l'obligation de non-concurrence appartient à part entière au droit de la concurrence qui est intéressé non seulement par le bon fonctionnement du marché et le maintien du libre jeu de la concurrence, mais aussi par l'exercice individuel de la liberté de concurrence par les opérateurs économiques qui n'est pas étranger à l'équilibre général du marché " 80.

La même recherche d'une situation concurrentielle pourrait être effectuée dans les droits de la concurrence allemand et français. La démarche à suivre serait identique à celle qui a été menée en droit communautaire, ce qui ne présente pas un grand intérêt. C'est pourquoi, le concept de situation concurrentielle sera exclusivement recherché en droit allemand et en droit français en prenant appui sur des décisions de justice qui concernent le droit du travail.

B . – Le concept de situation concurrentielle en droit allemand

106- La jurisprudence allemande a cherché à cerner le concept de concurrence et le BAG s'est employé à le dégager avec une certaine précision. Dans le cadre d'un litige soumis au § 60 HGB, c'est-à-dire concernant la période d'exécution du contrat de travail et non pas l'après-contrat 81, il a jugé qu'une activité commerciale ne peut être interdite à un employé de commerce dans la branche de son employeur qu'à la condition qu'employé et employeur soient concurrents. L'interdiction ne peut donc pas concerner les relations d'affaires que le salarié est amené à nouer avec son employeur en qualité de fournisseur ou de client 82. Le LAG de Brême a jugé qu'un employeur est sans droit de prétendre à dédommagement si le salarié n'exerce pas son activité dans la même branche que lui et que, de ce fait il ne peut lui infliger un préjudice concurrentiel 83.

Les critères retenus par le BAG pour décider si deux employeurs successifs sont en situation de concurrence et, partant si le premier employeur a un intérêt légitime à limiter la concurrence du salarié, répondent au même esprit que ceux admis en droit communautaire. En présence d'une activité industrielle, le BAG estime en effet qu'il faut rechercher si les programmes de production des employeurs correspondent, à tout le moins dans une mesure non insignifiante 84. Approuvant cette position, un auteur souligne que des rapports de concurrence peuvent exister dans l'hypothèse où le nouvel employeur, sans proposer à la vente la même production que le précédent, fournit des articles de substitution qui peuvent être utilisés aux lieu et place des produits du premier employeur 85.

En présence d'une activité de prestations de services, le BAG s'emploie aussi à déterminer si les entreprises sont concurrentes ; tel n'est pas le cas quand elles n'appartiennent pas à la même branche professionnelle et que la première entreprise, établie dans toute l'Allemagne, propose à une clientèle d'entreprises de vente de véhicules automobiles la préparation des voitures d'occasion et le nettoyage de la cire protectrice enveloppant les voitures neuves alors que la seconde entreprise, cliente de la première qui lui avait détaché le salarié, est négociant en véhicules automobiles 86.

107- La détermination des entreprises objet de l'interdiction de concurrence peut présenter des difficultés en raison des imbrications complexes qui existent en Allemagne au sein des Konzerne 87. L'application de la clause limitative de concurrence est dans ce cas, tout comme en droit communautaire, subordonnée à la délimitation du marché de référence. En l'absence d'autre élément, il sera déterminant que l'employeur concurrent au profit duquel le salarié envisage d'exercer son activité professionnelle soit présent sur le même marché que le premier employeur et que leurs domaines d'activité se recouvrent au moins partiellement.

Si le salarié entre dans une entreprise non concurrente de son précédent employeur qui appartient à un groupe, une interdiction d'embauche peut-elle se justifier parce qu'une autre entreprise du groupe est en concurrence avec l'ancien employeur ? Bien que dans certains cas une atteinte aux intérêts concurrentiels du précédent employeur ne soit pas à exclure, l'interdiction d'accès à certaines entreprises membres du groupe est-elle pour autant fondée ? Ne convient-il pas de partir de la présomption que les différents entreprises du groupe sont indépendantes, sauf à prouver explicitement le contraire ? Non répond le LAG Stuttgart qui relève l'atteinte à la clause de non-concurrence quand le salarié est engagé par une entreprise dont la filiale est concurrente de l'ancien employeur alors que le nouvel employeur lui-même ne l'est pas directement 88.

Un autre LAG admet l'action préventive destinée à faire interdiction à un salarié de travailler pour une entreprise concurrente liée au second employeur par une communauté de locaux, de personnel et d'organisation après avoir cependant exigé de l'ancien employeur qu'il étaye par des éléments objectifs sa crainte de voir violée l'obligation de non-concurrence 89.

H. Buchner souligne que la première phrase du § 74a, al.1er HGB n'exige pas que la concurrence concerne exclusivement l'entreprise de l'ancien employeur pour porter atteinte à ses intérêts et estime que le § 74 HGB autorise en principe la protection d'une entreprise tierce liée économiquement ou juridiquement à celle de l'ancien employeur si elle exerce son activité sur le même marché que le nouvel employeur 90.


C. – Le concept de situation concurrentielle en droit français


108- Après avoir rappelé que Littré définit le mot "concurrence" comme la "prétention de plusieurs personnes à un même objet", Y. Serra opère une distinction entre les attitudes économique et juridique vis à vis de la concurrence. Au point de vue économique, la notion de concurrence correspond à une définition de résultat ; l'auteur considère que "la concurrence parfaite n'est qu'une hypothèse de travail", et admet que la notion de concurrence imparfaite est représentative de la vie économique.

Par opposition, la conception juridique de la concurrence est une conception de moyens ; si la liberté n'est plus le seul moyen d'atteindre une situation de concurrence, elle en demeure l'essentiel 91. Doctrine et jurisprudence essaient de cerner la notion d'entreprises concurrentes.


1. Analyse doctrinale


109- Pour P. Bronnert, sont concurrentes les entreprises qui luttent pour satisfaire les besoins identiques ou semblables d'une clientèle déterminée. Il importe peu que les procédés de fabrication ou l'aspect des produits fabriqués soient différents. A partir du moment où leurs produits tendent à répondre aux mêmes besoins, les entreprises sont susceptibles de se causer réciproquement préjudice, ce qui est caractéristique d'une situation concurrentielle 92. L'auteur se réfère à la définition de la concurrence d'un juriste italien : "sont en concurrence deux entreprises qui, dans une période déterminée, offrent (ou demandent), ou bien peuvent offrir (ou demander), des biens ou des services susceptibles de satisfaire, même en tant que produits de remplacement, le même besoin ou des besoins semblables ou complémentaires, dans le même circuit de marché actuel ou immédiatement potentiel" 93.

Pour Y. Tassel, il ne peut y avoir concurrence que si les entreprises poursuivent une activité assez proche pour que les connaissances acquises dans l'une puissent profiter à l'autre, ce qui a pour conséquence que "c'est légitimement qu'une branche d'activité sera visée plutôt qu'une activité identique" 94.

Pour J. Amiel-Donat l'existence de relations étroites entre le premier employeur et une entreprise tierce ne saurait en aucun cas légitimer l'interdiction faite à l'ancien salarié du premier d'exercer une activité concurrente de celle déployée par la seconde 95.


2. Analyse jurisprudentielle


110- La jurisprudence a tout naturellement eu à se prononcer. Le plus souvent la recherche a concerné les entreprises en cause.

La notion de situation concurrentielle est parfois entendue de façon extensive. Enfreint la clause de non-concurrence qui interdit l'exercice d'une activité similaire chez un autre employeur en profitant des méthodes enseignées et de la connaissance de la clientèle, l'expert conseil de direction stagiaire qui est engagé en qualité de directeur financier par la société auprès de laquelle il avait été détaché alors qu'il avait démissionné de son premier emploi peu de temps après la fin de la période d'essai 96. Dans cette espèce les deux employeurs successifs n'étaient théoriquement pas concurrents puisqu'initialement le second était client du premier. Mais la clause de non-concurrence dont il a été fait application envisageait l'exercice d'une activité similaire "chez un autre employeur", ce qui se justifie en raison des fonctions du salarié. Le risque couru par l'employeur d'un expert est en effet autant de voir son salarié débauché par un client que par un concurrent, avec pour conséquence ultime dans les deux cas la perte du "marché".

Devant les difficultés d'une détermination judiciaire de l'activité concurrente, les parties sont parfois amenées à la définir d'un commun accord. Le principe de cette définition conventionnelle a, au moins à une reprise, été validé en jurisprudence 97.

111- La reconnaissance d'une situation concurrentielle n'est cependant pas automatique et une interprétation plus stricte prévaut parfois. En l'absence de preuve de concurrence entre deux employeurs successifs, la Cour de cassation estime qu'une demande en dommages- intérêts dirigée par l'ancien employeur à l'encontre d'un représentant de commerce pour non respect d'une clause de non-concurrence ne peut prospérer 98.

De même, la Cour de cassation juge dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement d'un ingénieur en informatique qui n'a pas été étranger aux activités d'une autre firme où il a travaillé épisodiquement de façon bénévole : la seconde entreprise, de faible importance, n'était en fait pas concurrente de la première 99.

En tout état de cause, l'existence d'une "situation réelle de concurrence" entre les deux entreprises est exigée pour l'application de la clause de non-concurrence. Cette condition fait défaut quand les deux entreprises "appartiennent au même groupe économique" et que "le passage du salarié de l'une à l'autre est le résultat d'une entente entre lui et ses deux employeurs successifs". Pour la Cour de cassation, l'application de la première clause de non-concurrence doit être gelée pendant l'activité du salarié au service de la seconde société et la clause doit reprendre ses effets normaux après la rupture de la relation de travail avec la seconde société 100.

112- La portée d'une clause de non-concurrence qui conditionne sa validité doit s'apprécier par rapport à l'activité réelle de l'entreprise et non par rapport à la définition statutaire de son objet 101. La solution ne peut qu'être approuvée puisqu'un salarié ne portera pas préjudice à son ancien employeur en exerçant une activité différente de celle à laquelle celui-ci se livre effectivement, quant bien même aurait-elle été prévue par les statuts. Il est en effet bien connu que les rédacteurs de statuts choisissent toujours un objet social large, susceptible de ne pas freiner le développement ultérieur de la société.

Pour la Cour de cassation, la clause de non-concurrence "doit s'appliquer à l'activité de l'employeur telle qu'elle est exercée au moment de la rupture du contrat" 102.

113- La clause de non-concurrence qu'un employeur introduit dans un contrat de travail ne devrait viser que l'hypothèse où, à l'issue de la relation de travail, le salarié décide d'exercer une activité concurrente de celle de l'employeur, ce qui exclut la concurrence vis à vis d'un tiers. Le développement des groupes de sociétés confère un intérêt pratique à la question puisqu'il est concevable qu'une entreprise, membre d'un groupe qui n'a pas contracté elle-même directement avec le salarié en cause, cherche à se prévaloir de la clause de non-concurrence stipulée par une autre entreprise faisant partie du même groupe. L'absence d'intérêt légitime de la seconde entreprise, tout comme l'effet relatif des contrats consacrés par l'art. 1165 du Code civil, devraient permettre de faire échec à sa prétention.

La jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation a évolué en la matière. Par un arrêt du 23 janvier 1974, elle avait jugé que la clause de non-concurrence insérée au contrat de travail du salarié d'une entreprise appartenant à un groupe est censée stipulée dans l'intérêt du groupe tout entier, et qu'elle peut être invoquée par toute autre entreprise membre de ce groupe 103. Puis, dans un arrêt du 22 mai 1995, elle a considéré que viole l'art. 1134 du Code civil, une cour d'appel qui condamne un salarié du chef de la violation d'une clause de non-concurrence en retenant que la stipulation joue à l'égard de toutes les sociétés du groupe alors que, le salarié n'ayant contracté qu'avec une société, la clause ne peut concerner que cette société 104.

114- A partir du moment où l'existence d'une situation de concurrence a été établie, la clause de non-concurrence peut "valablement interdire toute activité dans une entreprise concurrente dès l'instant qu'elle est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et qu'elle n'empêche pas le salarié de retrouver un autre emploi, compte tenu de sa formation et de son expérience professionnelle" 105. Cette extension de la clause de non-concurrence à des emplois autres que celui exercé par le salarié interdit toute manœuvre du salarié et du futur employeur visant à détourner la clause en procédant à une embauche à un poste présenté comme différent.

La preuve de violation de l'obligation de non-concurrence en sera d'autant facilitée. Pour la Cour de cassation, la simple embauche dans une entreprise concurrente est constitutive d'un acte de concurrence. Encourt la cassation l'arrêt de cour d'appel qui se borne, pour écarter la violation de la clause acceptée par un chef de vente régional d'une entreprise commercialisant des aliments pour animaux, à constater qu'il n'était pas établi que le salarié ait participé à une vente d'aliments pour ruminants, sans rechercher quelle était la nature de l'activité de l'intéressé dans l'entreprise concurrente 106. Par contre, le seul acte de candidature a un emploi similaire à celui précédemment occupé, proposé par une société concurrente, ne suffit pas à violer la clause de non-concurrence 107.

115- Parfois la recherche d'une possibilité de concurrence et d'un risque de confusion porte sur les produits ou services qui sont offerts. Quand la comparaison des produits de deux sociétés d'édition différentes établit qu'ils s'adressent à des clientèles distinctes, elles ne se font pas concurrence 108.

Un employeur spécialisé dans l'informatique des transports ne peut interdire à un salarié de travailler dans une entreprise de transports 109.

116- L'exigence d'un intérêt légitime susceptible de permettre la limitation de la liberté concurrentielle de l'ancien salarié a la même justification en droit allemand et en droit français. Droit allemand et droit français se rejoignent aussi dans leur conception de la notion de situation concurrentielle sous l'influence d'un environnement économique presque identique dans les deux pays, ce qui conditionnera bien entendu la portée de la clause de non-concurrence.

La question se pose maintenant tout naturellement de savoir ce que recouvre dans les deux droits la notion d'intérêt légitime.


SECTION 2. -  LE CONTENU DE L'INTERET LEGITIME


117- Droit allemand et droit français divergent en la matière. Le premier se contente d'appliquer l'exigence du § 74a HGB alors que le second doit préalablement tenter de définir la notion d'intérêt légitime. Il n'est pas étonnant dans de telles conditions que l'étude consacrée au droit français (§2) nécessite des développements sensiblement plus approfondis que celle vouée au droit allemand (§1).


§ 1. - EN DROIT ALLEMAND


118- En droit allemand, le débat se trouve circonscrit. L'exigence d'un intérêt commercial légitime y étant posée par la loi, jurisprudence (A) et doctrine (B) se sont bornées à en cerner les contours.


A- La jurisprudence



119- 1. Analyse concrète du BAG


Le BAG s'emploie à différencier l'intérêt commercial légitime de l'employeur de la simple volonté de limiter la concurrence 110.

Dans un arrêt du 22 novembre 1965, le BAG a jugé que n'était pas conforme à l'intérêt commercial légitime de l'employeur, l'interdiction faite à un chauffeur salarié par un exploitant de taxis de se faire réembaucher dans les trois mois suivant son départ de l'entreprise par un entrepreneur exploitant de taxis membre de l'association des propriétaires de taxis de Dortmund, ou par cette association elle-même. Relevant que la clause de non-concurrence autorisait le salarié à s'engager chez un exploitant de taxis non affilié à l'association, ou de s'installer à son propre compte, le BAG en a déduit que la finalité de cette clause était moins d'empêcher une activité de l'ancien salarié, que de combattre le débauchage de chauffeurs par les exploitants de taxis organisés en association. Un tel but ne mérite pas protection 111.

Dans une espèce opposant un Metallschleifer (polisseur de métaux) à une Werkzeuggrossschleiferei und Schärferei (employeur aiguiseur d'outils) le BAG a, par arrêt du 9 septembre 1968, approuvé un LAG d'avoir estimé que la simple possibilité offerte à l'ouvrier d'acquérir une vue d'ensemble sur la clientèle de l'employeur, sans qu'aucun élément concret vienne étayer l'éventualité d'un détournement, ne constitue pas l'intérêt commercial légitime. Le BAG a rejeté la thèse de l'employeur qui soutenait que le salarié avait eu un aperçu de sa clientèle par la consultation des ordres de mission qui lui étaient remis avant toute intervention. Il a par contre admis l'argumentation du salarié qui prétendait s'être intéressé uniquement au travail indiqué sur les documents remis, mais pas au nom des clients. En conclusion, le BAG a souligné qu'il résultait des propres explications de l'employeur qu'il avait cherché à éviter un renforcement de la concurrence par son salarié112.

Enfin, en 1995 le BAG a rappelé que le danger concurrentiel susceptible de provenir du salarié ne permet pas à lui seul de caractériser l'intérêt digne de protection de l'employeur. Le litige concernait un cuisinier-démonstrateur qui développait occasionnellement une activité préparatoire à la vente pour le compte d'un producteur d'autocuiseurs. Ces produits n'étaient pas susceptibles de renouvellement pendant la durée de la non-concurrence (deux ans). Le salarié était passé au service d'un nouvel employeur vendant partiellement des produits identiques au précédent, mais s'était vu attribuer la responsabilité de produits différents de ceux directement concurrents. Pour le BAG, en l'absence de secret d'entreprise ou d'élément laissant supposer une appropriation de clientèle, la simple volonté de limiter la concurrence ne correspond pas au höherrangiges Interesse (intérêt supérieur) exigé par le législateur 113.


120- 2. Exigences requises


Les relations d'affaires nouées par le salarié dans le cadre de l'activité qu'il a développée au service de l'employeur ne suffisent pas à caractériser l'intérêt commercial légitime ; il est nécessaire que la connaissance de la clientèle qu'il a pu acquérir présente un danger concurrentiel concret, par exemple qu'elle soit à l'origine d'un risque de perte de clientèle. Une solution identique serait justifiée si l'employé créait un danger concurrentiel pour son employeur à raison de la dextérité et de l'adresse acquises à son service 114.

Il ne peut y avoir intérêt commercial légitime si l'employeur poursuit à titre exclusif ou principal le dessein de rendre plus difficile un changement d'emploi et de tenir pour un temps le salarié éloigné du marché du travail 115. De même l'intérêt légitime fait défaut quand la nouvelle activité du salarié est limitée à un domaine où il n'a pas travaillé auparavant 116 ; en d'autres termes, il doit exister une relation concrète entre ancienne activité du salarié et interdiction de concurrence 117. Bien entendu il convient de veiller au respect des intérêts divergents des deux parties en présence en vue d'atteindre à un certain équilibre.

Il est normalement exigé qu'un salarié ait exercé des fonctions impliquant une possibilité ultérieure de concurrence pour que l'exercice d'une activité concurrente puisse lui être interdit après son départ de l'entreprise 118. Cependant, le BAG a jugé que violait une clause de non-concurrence un employé technique qui avait repris des fonctions commerciales au service d'une entreprise concurrente parce que les expériences et connaissances qu'il avait acquises chez son ancien employeur présentaient un intérêt pour le nouvel employeur et justifiaient l'interdiction de leur transmission 119. Dans cette espèce, la clause de non-concurrence litigieuse d'une durée de six mois après la rupture du contrat de travail, faisait interdiction au salarié de s'intéresser à toute entreprise concurrente située dans le Marché Commun (les six premiers Etats signataires du Traité de Rome), mais aussi en Grande-Bretagne, en Autriche, en Suisse et en Espagne, tant en qualité de salarié, que de propriétaire ou de détenteur de tout ou partie du capital social. Le BAG a pris ici en considération la quasi impossibilité pour l'employeur de contrôler la nature de la nouvelle activité du salarié et a peut-être aussi voulu sanctionner une tentative de détournement de la clause de non-concurrence de sa part.


121- 3. Cas de l'employé dirigeant


La notion d'intérêt commercial légitime est cependant interprétée de manière large par la jurisprudence quand la clause de non-concurrence s'applique à un leitender Angestellte (employé dirigeant) qui, à raison de sa position hiérarchique, peut avoir connaissance de tous les dossiers de l'entreprise y compris ceux qui devraient normalement échapper à sa compétence. En effet, l'employeur sera dans l'impossibilité pratique de prouver si le salarié respecte ou non l'interdiction de concurrence puisque celui-ci peut avoir eu connaissance d'un secret étranger à son ancienne activité 120. Que recouvre la notion d'employé dirigeant pour l'obligation de non-concurrence ? La loi du 20 décembre 1988 a apporté un certain nombre d'éléments de définition puisque, selon ce texte, est employé dirigeant tout salarié qui, aux termes de son contrat de travail et eu égard à sa position dans l'entreprise, peut valablement procéder de son propre chef à l'embauche ou au licenciement de salariés ; c'est également celui qui dispose d'un pouvoir de représentation globale ou qui exerce d'autres fonctions d'une certaine importance pour l'existence et le développement de l'entreprise nécessitant à la fois une expérience et une compétence particulières. Pour le législateur allemand, l'employé dirigeant prend seul des décisions à appliquer sans autre directive et a toute latitude pour faire exécuter les instructions qu'il a reçues 121. Selon O. Kaufmann, les employés dirigeants constituent à plus d'un titre à côté des ouvriers et des employés "une troisième catégorie de salariés, très proches de l'employeur".

Ils ne représentent guère plus de 1,5 % des salariés allemands, mais disposent d'une compétence et d'un pouvoir de direction étendus dans l'entreprise, ce qui leur confère des intérêts spécifiques différents de ceux des autres salariés et les conduit à remplir, au moins partiellement, des tâches qui relèvent de la compétence de l'employeur. Ils ne sont pleinement soumis ni à la loi portant constitution sociale de l'entreprise, ni à la loi sur la protection contre le licenciement. Ils ne votent pas aux élections pour les conseils d'entreprise et sont exclus du bénéfice de la réglementation sur la durée du travail.


B.- La doctrine


122- Aux termes d'une théorie ancienne très large, une interdiction de concurrence est suffisamment légitimée par toute possibilité de développement de concurrence du chef d'un ancien salarié après son départ de l'entreprise 122.

Selon une conception restrictive plus récente, il ne peut y avoir intérêt légitime que si l'ancien salarié a acquis, dans le cadre de l'activité au service de l'employeur, des connaissances ou des aptitudes particulières, ou a pu créer ou consolider des relations d'affaires susceptibles de présenter un intérêt pour la concurrence sans que l'ancien employeur soit en mesure de se protéger autrement que par l'effet d'une clause de non-concurrence contre la transmission des secrets d'affaires à la concurrence, ou contre son intrusion auprès des clients ou des fournisseurs 123.

Un auteur pousse le raisonnement jusqu'à déduire de la nécessité de protéger l'emploi des salariés de l'entreprise celle d'assurer sa position face à la concurrence sur le marché 124. Rappelons que le BAG exige de surcroît un rapport entre l'activité anciennement exercée par le salarié et la concurrence objet de l'interdiction 125.

La doctrine reste toutefois libérale pour l'employeur quand la clause de non-concurrence s'applique à un salarié expatrié dans un pays en voie de développement. En effet, à raison des conditions de travail particulières, seule une interdiction de concurrence générale portant sur l'ensemble de l'activité de l'entreprise peut correspondre à l'intérêt commercial légitime de l'employeur 126.

Certains auteurs préfèrent cependant, plutôt que d'adopter une conception libérale de l'intérêt légitime dans le seul cas d'une expatriation dans un pays en voie de développement, se référer à l'idée plus large de "spécificité du marché en cause" 127.

123- L'approche allemande telle qu'elle peut être perçue à travers les décisions de justice est résolument concrète. Le droit allemand s'appuie sur des éléments de fait précis pour décider si l'employeur a ou non un intérêt commercial légitime à limiter la liberté concurrentielle du salarié. Pour comprendre cette façon de procéder qui est à l'opposé de la jurisprudence de la Cour de cassation et souvent très éloignée de la formulation des arrêts des cours d'appel françaises, il convient de conserver présent à l'esprit que dans la composition de toutes les juridictions du travail allemandes figurent, aux côtés de magistrats professionnels, des échevins, représentants les employeurs et les salariés qui sont en contact direct avec les problèmes du monde du travail. La confrontation des acquis professionnels différents de ces deux catégories de magistrats se révèle extrêmement profitable dans une matière où les considérations économiques sont très présentes.

124- L'interprétation restrictive donnée par le droit allemand à l'intérêt légitime correspond à la fonction de cette condition. Tout intérêt de l'employeur n'est pas admissible pour autoriser une restriction à la liberté professionnelle du salarié ; il est indispensable que cet intérêt soit justifié par le bon droit.

Certains auteurs allemands estiment cependant que la notion d'intérêt commercial légitime est un unbestimmter Rechtsbegriff (concept juridique vague) dont la définition pose de grands problèmes pratiques 128. La jurisprudence et la doctrine françaises ne permettent pas en leur état actuel d'infirmer totalement cette opinion.


§ 2. - EN DROIT FRANÇAIS


125- La définition de l'intérêt légitime est le fait tant de la jurisprudence (A), que de la doctrine (B).


A. - Approche jurisprudentielle


1. Recherche du juge en l'absence de clause de non-concurrence


126- Le recours à la notion d'intérêt de l'entreprise n'est pas étranger au droit du travail français 129. Dans les rapports collectifs de travail il permet de déterminer le caractère licite ou illicite d'une cessation de travail au regard du droit constitutionnel de grève. La Cour de cassation autorise la censure des arrêts de travail qui témoignent de la volonté de désorganiser l'entreprise elle-même et non pas uniquement sa production ; en fait il s'agit des arrêts de travail répétés puisque "la grève entraîne nécessairement une désorganisation de la production" 130. Le même critère devrait être appliqué au lock-out 131.

Mais ceci est également vrai dans les rapports individuels de travail. En effet, les tribunaux qui avancent encore aujourd'hui l'intérêt de l'entreprise pour justifier la mutation d'une attachée commerciale avec réduction de son secteur de prospection 132 ou le pouvoir d'individualisation des mesures disciplinaires de l'employeur 133, y ont aussi pendant longtemps fait référence en cas de rupture par l'employeur d'un contrat de travail en l'absence de grief contre le salarié. L'arrêt Fertray 134 et les nombreux arrêts postérieurs 135 qui posent le principe qu'un licenciement pour une cause inhérente à la personne du salarié doit être fondé sur des éléments objectifs, ce qui exclut par voie de conséquence la perte de confiance, remettent en cause cette jurisprudence. Elle conserve cependant un intérêt scientifique d'ordre historique car elle retrace clairement l'affirmation par certains juges du fond de la nécessité de prendre en compte l'intérêt de l'entreprise pour légitimer une atteinte aux droits du salarié.

La référence à l'intérêt de l'entreprise peut être utilisée au détriment du salarié, par exemple quand l'employeur invoque la clause de mobilité contractuelle à l'appui d'une décision de mutation 136, mais parfois aussi à son avantage pour limiter l'exercice du pouvoir de l'employeur.

Le recours à l'intérêt légitime correspondait au besoin d'équilibre entre les intérêts des deux parties en présence tout comme le juge appelé à se prononcer sur la validité d'une clause de non-concurrence doit " rechercher l'adéquation entre la sauvegarde des intérêts fondamentaux de l'entreprise et la possibilité laissée au salarié d'exercer normalement sa profession " 137. Il apparaissait qu'on ne pouvait exiger d'un employeur de conserver à son service un salarié susceptible de porter préjudice à l'entreprise s'il pouvait légitimement craindre de voir des renseignements confidentiels communiqués à la concurrence 138. La seule limite posée à la liberté d'appréciation de l'employeur était la légitimité de sa décision qui se devait d'être conforme à l'intérêt de l'entreprise et de ne pas constituer un abus de droit. Ceci étant, à partir du moment où aucune obligation de s'appuyer sur des éléments objectifs ne pesait sur l'employeur, sa décision de se séparer d'un salarié était présumée légitime, tout comme était présumé légitime son intérêt à soumettre un salarié à une clause de non-concurrence.

127- La jurisprudence utilisait la notion d'intérêt de l'entreprise comme justification d'un licenciement pour perte de confiance, plus particulièrement quand le conjoint ou le concubin du salarié congédié travaillait chez un concurrent, et qu'il pouvait être porté atteinte aux secrets ou à la clientèle de l'entreprise.

Un arrêt de la Chambre sociale de la Cour d'appel de Douai du 10 décembre 1987 était particulièrement précis dans la motivation 139 de son refus de reprocher à une société d'avoir licencié une salariée qui vivait en concubinage avec un ancien directeur technique passé à la concurrence. Selon la cour " en sa qualité de programmeur, la salariée avait forcément accès à tous les renseignements de la société mis sur informatique ", notamment le fichier clients -chiffre d'affaires réalisé, tarif et ristournes consenties-, le fichier "formules et modes opératoires", les prix de revient, les fournisseurs, les tarifs et la comptabilité de l'entreprise. La salariée se trouvait donc, de par son poste, détenir toutes les informations sur l'entreprise dont une grande partie était confidentielle.

Ainsi, quelle que soit l'honnêteté de la salariée, l'employeur ne pouvait pas ne pas prendre en considération le risque de communication existant entre un ancien directeur technique passé à la concurrence, et son amie, détentrice de par son poste d'informations essentielles sur la société. L'employeur, dans l'intérêt de son entreprise, était donc en droit d'invoquer la perte de confiance résultant du risque de diffusion de ces informations puisqu' "il n'y a ni atteinte à la vie privée, ni création d'une clause de non-concurrence non prévue conventionnellement, mais contestation d'une situation de nature à causer un risque à l'entreprise".

La motivation très circonstanciée de cet arrêt est intéressante pour notre propos et pourrait être reprise pour justifier l'existence d'une clause de non-concurrence à laquelle au demeurant les juges d'appel font allusion de façon négative. Elle appelle quelques observations :

- La salariée concernée exerçait ses fonctions dans une spécialité qui se développe rapidement au sein des entreprises grâce à l'évolution des techniques et technologies modernes :  l'informatique.

Cette méthode de travail qui était, il y a quelques années encore, le privilège des seules grandes entreprises, s'est rapidement répandue depuis lors et concerne également les moyennes et petites entreprises industrielles, commerciales, artisanales et de services. Gageons que la clause de non-concurrence y connaîtra un succès croissant !

-  Les termes intérêt et risque sont rapprochés. L'intérêt de l'entreprise serait, selon la Cour d'appel de Douai, de contester une situation de nature à entraîner un risque. On notera que cette juridiction a préféré une formulation quelque peu compliquée, "contestation d'une situation de nature à causer un risque à l'entreprise", à l'emploi d'une expression plus directe et, somme toutes, plus proche de la réalité, "élimination du risque" par exemple.

- L'élément constitutif du risque couru par l'entreprise est souligné, à savoir l'accès aux renseignements informatisés qui pour partie présentaient un caractère confidentiel. En d'autres termes, la salariée avait, de par ses fonctions, accès à tous les secrets de la vie de l'entreprise où elle travaillait, tant au plan commercial externe (clientèle, tarifs, fournisseurs), qu'à celui de son fonctionnement interne (prix de revient, comptabilité, fichiers, "formules et modes opératoires").

Le 4 février 1988 la Cour de Douai a à nouveau eu recours à la notion de "risque sérieux de nature à nuire aux intérêts de l'entreprise" dans le cadre d'un litige opposant une entreprise à un salarié licencié 140. Les juridictions françaises en général inclinaient à admettre la légitimité des craintes d'un employeur dont un salarié, à raison de ses relations personnelles, est en mesure de porter atteinte à des éléments vitaux de l'entreprise. C'est ainsi qu'il avait été jugé qu'il est légitime pour un employeur, " ... de nourrir des soupçons d'indiscrétion à l'égard d'une secrétaire dont le mari occupe des fonctions de direction dans une entreprise concurrente ... " 141.

Les cours d'appel retenaient assez couramment la notion de perte de confiance 142.

Ainsi la Cour de Nancy avait-elle jugé que reposait sur une cause réelle et sérieuse le licenciement d'une comptable vivant en concubinage avec un salarié chauffeur-livreur, qui venait de quitter l'entreprise pour passer au service d'une entreprise concurrente. Cette situation, estimait la cour, était susceptible " d'entraîner chez l'employeur une perte de confiance justifiant le licenciement en raison du risque de communication de renseignements commerciaux susceptibles d'être transmis à la concurrence, sans qu'il soit nécessaire que soient établis des faits de divulgation " 143.

128- Ces décisions dépassaient implicitement la portée de l'art. 418 de l'ancien Code pénal, abrogé par la loi n°92-597 du 1er juillet 1992, qui réprimait la communication par le salarié des secrets de "la fabrique où il est employé ". En effet, l'art. 418 ne visait pas le risque de divulgation ; pour qu'il trouve application, une divulgation, c'est-à-dire un non respect de l'obligation de discrétion, était nécessaire. L'incrimination réprimait une infraction commise et réalisée et non une infraction prévisible ou un risque d'infraction. Mais la simple divulgation des secrets de fabrique suffisait, sans qu'il soit nécessaire de démontrer leur utilisation par le salarié pour son propre compte. En outre, ce texte ne s'appliquait qu'aux salariés travaillant encore dans l'entreprise, et non à ceux l'ayant quitté. L'art. 418 été abrogé et la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992 a introduit un article L.152-7 dans le Code du travail qui réprime maintenant la violation des secrets de fabrique.

129- La jurisprudence étudiée n'a plus cours, la Cour de cassation ayant été jusqu'à juger que le risque de communication de renseignements confidentiels ne peut justifier, à lui seul, un licenciement dès lors qu'il n'existe aucun élément objectif imputable au salarié 144. Faut-il déduire de cette nouvelle inflexion de la position de la position de la Cour de cassation que le risque de transmission de données sensibles doit s'apprécier différemment selon que le salarié est, ou n'est plus, au service de l'entreprise ? Cette nouvelle jurisprudence prend-elle suffisamment en compte les intérêts de l'entreprise en une période de turbulences qui voit la conjonction d'une véritable "guerre économique " et de la recherche d'un profit toujours plus rapide ? Cela n'est pas certain comme le démontre l'analyse de la jurisprudence appelée à définir l'intérêt légitime en présence d'une clause de non-concurrence.


2. Recherche du juge en présence d'une clause de non-concurrence


130- La Cour d'appel de Lyon s'est rapidement rangée à la nouvelle position de la Cour de cassation en décidant qu'une clause de non-concurrence, souscrite par une secrétaire-dactylographe qui ne s'était vue confier que des travaux de pure exécution, n'est pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise. La cour a plus particulièrement souligné que les fonctions de l'employée ne nécessitaient pas pour leur accomplissement qu'elle sût quelle était la politique de prix pratiquée par la société et qu'elle fût exactement renseignée sur l'identité et la solvabilité des clients ou sur les relations entretenues avec les fournisseurs, d'où il résultait qu'elle ne pouvait avoir qu'une idée approximative des affaires traitées 145.

131- Les juges d'appel se livrent souvent à une analyse concrète pour déterminer l'existence de l'intérêt légitime de l'employeur à limiter la liberté d'action concurrentielle du salarié. Cet intérêt légitime sera reconnu :

- en raison du risque de perte de clientèle :

• pour un chauffeur ambulancier "qui est le plus souvent en contact avec la clientèle, et dans une petite localité, capte sa confiance" et "est donc susceptible, en suite de la rupture des relations contractuelles, de détourner la clientèle, même sans le vouloir, soit à son profit, soit au profit d'un autre employeur" 146.

• pour  un médecin salarié d'une maison de retraite cherchant à se réinstaller en clientèle "trop près" de l'établissement 147.

- en raison de la formation reçue :

• pour un salarié monteur offset "qui, dans l'entreprise depuis plusieurs années, bénéficiait de compétences techniques certaines dans le cadre de sa qualification" 148.

• pour une assistante en marketing affectée à la collecte de la taxe d'apprentissage qui a acquis la connaissance du mécanisme de cette taxe dont elle a assuré la collecte, alors que ses fonctions, plus larges que celles occupées par un salarié affecté seulement à la prospection par téléphone, lui ont permis d'acquérir un savoir-faire particulier en présentant ainsi un risque concurrentiel pour son employeur dès lors que la salariée a bénéficié pendant son contrat de conditions de travail propres à favoriser ultérieurement le développement de son activité au détriment de son ancienne entreprise 149.

- en raison de la connaissance des secrets de l'entreprise :

• pour  un directeur des programmes, responsable de stratégie publicitaire qui, par ses fonctions, a connaissance d'informations confidentielles de valeur stratégique dans le domaine de l'audiovisuel où la concurrence est acharnée 150.

Par contre, sera qualifiée d'"insolite" et annulée, la clause de non-concurrence souscrite par une aide-cuisinière "dont la fonction est, par nature, subalterne même si elle est indispensable à la bonne marche de l'entreprise" 151.


B. - Approche doctrinale


132- Pendant longtemps certains auteurs tel A. Lyon-Caen, ont contesté l'existence même d'un intérêt de l'entreprise considérée comme entité, qui serait différent de l'intérêt particulier de l'entrepreneur et des intérêts catégoriels de ceux qui constituent ensemble l'entreprise. Le reproche avancé contre cette conception était d'être une "formule magique", source d'erreur rendant nécessaire une "longue démystification " 152, ce qui a conduit G. Couturier à s'interroger "la référence à l'intérêt de l'entreprise est-elle en principe légitime ? " 153. Cette question revêt une importance capitale quand la liberté du travail est en jeu.

En cherchant à définir l'intérêt (ou les intérêts) légitime(s) de l'entreprise (de l'employeur), certains auteurs admettent le recours restrictif à la clause de non-concurrence alors que d'autres en contestent la légitimité. Nous étudierons successivement ces deux écoles de pensée en nous intéressant tout d'abord aux auteurs qui proposent une définition de l'intérêt légitime et en cernent les éléments essentiels (1), avant d'aborder les auteurs qui s'interrogent sur l'existence même d'un intérêt légitime (2).


1. - Recherche d'une définition de l'intérêt légitime


133- G. Lyon-Caen admettrait "volontiers que les juges se montrent assez sourcilleux dans l'appréciation des intérêts qui justifient l'application d'une clause restrictive de la liberté du travail", principalement lorsque le "licenciement est prononcé par l'employeur" 154.

Pour Y. Serra, "la restriction contractuelle de la liberté individuelle et particulièrement de la liberté du travail ne devrait être permise que si cette atteinte est indispensable à la sauvegarde de l'entreprise et si elle est librement consentie " 155.

Dans une thèse consacrée à la clause de non-concurrence en droit du travail, P. Bronnert étudie d'une façon concrète et approfondie l'intérêt légitime de l'employeur en distinguant d'une part la protection des secrets et de la clientèle et d'autre part le rapport entre l'étendue de l'interdiction et l'intérêt à protéger.

Procédant à l'analyse de la protection des secrets d'affaires et de la clientèle, P. Bronnert écrit : "  ... à côté de son patrimoine matériel, l'employeur dispose d'un patrimoine immatériel occulte qu'il a intérêt à protéger... ". Pour l'auteur certains salariés de par leurs fonctions dans l'entreprise sont nécessairement au courant d'éléments qu'ils pourraient utiliser après leur départ pour faire une concurrence préjudiciable à leur ex-employeur, soit en se faisant embaucher chez un concurrent, soit en s'établissant à leur compte. Il s'agit en pratique essentiellement des employés supérieurs. P. Bronnert opère une distinction entre :

- Les cadres commerciaux ou administratifs au fait de l'organisation de l'entreprise qui connaissent souvent les clients mieux que l'employeur lui-même. Ils ont des rapports avec les fournisseurs et sont parfois au courant des prix et marges pratiqués, des tarifs préférentiels accordés, des conventions passées avec les banques et de la situation financière de l'entreprise. Ils peuvent détenir des renseignements précieux sur les produits nouveaux que l'entreprise se propose de lancer sur le marché.

- Les cadres techniques (ingénieurs, techniciens, chercheurs) qui connaissent en détail l'organisation technique de l'entreprise, ses méthodes et secrets de fabrication, ses savoir-faire et tours de main ; il s'agit d'éléments non-brevetés qui sont tenus secrets. L'intérêt de l'employeur à ne pas voir révélées l'ensemble de ses techniques est évident. - Les représentants de commerce et agents technico-commerciaux qui établissent des liens souvent étroits avec la clientèle du secteur qui leur est confié mais que l'employeur ne connaît pas toujours personnellement. Ils ne disposent pas seulement d'une liste d'adresses mais sont instruits des besoins et désirs des clients. S'ils sont restés longtemps au service du même employeur, les clients identifieront celui-ci sous leurs traits. Le passage à la concurrence d'un représentant constitue un danger important pour l'employeur.

P. Bronnert ne limite pas ses observations aux entreprises industrielles et commerciales puisqu'il souligne que dans les entreprises de services, les professions libérales et les cabinets de conseils ou d'expertises, des clauses de non-rétablissement peuvent être nécessaires pour les salariés ou collaborateurs qui sont en relations étroites avec les clients et que dans le "petit commerce ", les clauses d'interdiction de concurrence sont utilisées pour éviter que l'ancien employé ne capte une partie de la clientèle. Pour l'auteur, "en définitive, l'intérêt légitime de l'employeur réside dans un besoin de protection, soit de sa clientèle, soit de secrets d'affaires. Les secrets techniques ou commerciaux n'ont d'ailleurs d'intérêt que parce qu'ils permettent de conserver ou de conquérir la clientèle " 156. L'analyse s'apparente beaucoup à celle de la Cour de Douai précédemment étudiée.

D'autres auteurs tel G.J. Virassamy suivent le même raisonnement 157 et insistent sur l'intérêt "respectable" et "vital" de l'entreprise à pouvoir mener ses affaires dans la discrétion car une transparence totale constitue un grand danger.

Pour J. Amiel-Donat, il s'agit de la "nécessité dans laquelle il (l'employeur) se trouve de protéger une clientèle en se préservant de la concurrence intempestive de son ancien salarié" 158. En effet, il convient "que la relation contractuelle ait fait naître un risque concurrentiel spécifique pour l'entreprise qui peut ainsi redouter l'activité de son contractant : ce dernier, de par sa position, peut développer une concurrence particulièrement inopportune, ce qui justifie qu'on la limite " 159.


2. - Remise en question de l'intérêt légitime


134- Tous les auteurs ne partagent pas la même approche et on lit trouve sous la plume de J. Carbonnier une appréciation nettement divergente : "pour essayer de prêter consistance à quelque chose qui n'en a pas, fonds de commerce, clientèle, on est amené à violenter des libertés humaines fondamentales " 160.

Pour C. Frère jean-Journès, " ... la clause de non-concurrence est un moyen de concentration et d'appropriation de biens "libres " ... " 161 et non "plus un moyen de protection de l'entreprise" puisque "la volonté de "geler " un salarié ne relève pas de la protection d'un intérêt légitime de l'entreprise " 162. L'auteur regrette l'absence d'une définition de l'intérêt légitime de l'entreprise et d'un contrôle par la Cour de cassation et en déduit la consécration du principe du pouvoir discrétionnaire de l'employeur puisque " cette notion d'intérêt légitime est considérée exister par le seul fait de son affirmation par l'employeur " 163.

J. Pélissier souligne l'opposition de principe entre la liberté du travail et la validité d'une clause de non-concurrence qu'il considère comme "juridiquement inacceptable, socialement injuste, économiquement absurde" 164. Comment admettre dans ces conditions qu'une telle stipulation puisse correspondre à un intérêt légitime ?

Sans remettre en cause l'intérêt de l'entreprise à limiter la concurrence puisque la clientèle est source de revenus et constitue un élément de la valeur du fonds de commerce, ne pourrait–on pas envisager qu'un tiers ait la possibilité de gagner cette clientèle par le jeu d'une concurrence légitime, ce qui exclurait la légitimité contraire au profit de l'entreprise d'en interdire l'appropriation par autrui ? Y. Tassel écarte cette argumentation en raison du caractère spécifique de la concurrence concernée du fait de son origine et de ses conséquences.

- L'origine : c'est au sein de l'entreprise qu'il quitte que le salarié a pu acquérir les connaissances qu'il emporte avec lui à son départ.

- Les conséquences :  elles risquent d'être désastreuses parce que ce qui est apporté au nouvel employeur provient exclusivement de l'ancien qui supporte seul les très graves effets de la situation. Le préjudice subi sera d'autant plus important que l'entreprise " vivait de procédés de fabrication plus secrets, à la limite d'un seul procédé exclusif " 165.


3. Opinion de l'auteur


135- Sauf à admettre le risque de déstabilisation de certains secteurs de l'économie, tout a priori idéologique qui ferait par principe obstacle à la reconnaissance de l'intérêt spécifique de l'entreprise à voir interdire la limitation de concurrence du salarié qui la quitte, doit être banni.

Une solution autre créerait un climat de défiance à l'intérieur des entreprises qui freinerait leur développement en conduisant les responsables à surprotéger la clientèle et les secrets vis-à-vis des salariés " à risque " pendant l'exécution du contrat de travail et aboutirait à une multiplication des procédures en concurrence déloyale contre les anciens salariés après la rupture du contrat de travail. Une partie importante du débat serait déplacée du plan contractuel au plan quasidélictuel. En contrepartie de cette approche économique du problème, l'exigence de légitimité de l'intérêt de l'entreprise devra être entendue de manière stricte pour éviter tout abus et aboutir à un équilibre entre les intérêts divergents de l'employeur et du salarié.

136- L'absence d'une loi réglementant le régime de la clause de non-concurrence permet en droit français les prises de position les plus tranchées. Alors que pendant longtemps, s'appuyant sur la force obligatoire du contrat, la Cour de cassation a jugé que l'accord des parties était en soi suffisant à la validité de la clause de non-concurrence, des auteurs soutiennent qu'il est impossible de limiter la liberté fondamentale du travail. Entre ces deux thèses une voie médiane s'impose ; la jurisprudence de la Cour de cassation l'autorise maintenant.

Ceci étant, l'essentiel reste l'affirmation du principe de la nécessité d'un intérêt légitime apte à justifier la limitation de la liberté concurrentielle du salarié dont la mise en œuvre peut sans inconvénient majeur être laissée aux juges du fond.

Après avoir défini les critères retenus pour caractériser l'intérêt légitime, il convient de rechercher le fondement de cette exigence en droit français. En effet, la Chambre sociale de la Cour de cassation qui semble admettre maintenant que l'employeur ne peut imposer au salarié une clause de non-concurrence que s'il y a un intérêt légitime, reste muette sur ce point et laisse la plus grande latitude à la doctrine. L'analyse des auteurs est classique en droit des contrats et se concentre sur les concepts de cause et d'objet.


SECTION 3. - L'INTERET LEGITIME DE L'EMPLOYEUR,CAUSE DE L'OBLIGATION DE NON-CONCURRENCE DU SALARIE EN DROIT FRANÇAIS


137- L'exigence légale posée par le § 74, al. 1er HGB enlève tout intérêt à la recherche du fondement de l'intérêt légitime de l'employeur en droit allemand. Aussi les auteurs qui étudient spécifiquement la clause de non-concurrence ne s'en préoccupent-ils pas. Tel est le cas de H. Buchner 166, de F. Grüll 167, de W. Grunsky 168 et de W. Röhsler et H. Borrmann 169. Tout au plus W. Grunsky souligne-t-il qu'il n'est pas facile de préciser ce concept qui est à l'origine d'importantes difficultés pratiques 170.

La question de la justification se pose par contre en droit français ; en d'autres termes, quelle est la cause juridique de l'obligation de non-concurrence 171 ?

A la différence de l'obligation de non-concurrence légale accessoire à une vente de fonds de commerce qui trouve sa source dans l'obligation de garantie des art. 1625 et s. du Code civil et n'est que précisée par la clause de non-concurrence 172, l'obligation de non-concurrence résultant d'une clause de non-concurrence accessoire à un contrat de travail ne bénéficie d'aucune présomption de licéité. Il appartient au créancier de l'obligation de non-concurrence d'établir l'existence d'un intérêt légitime.

Selon P. Bronnert, l'intérêt légitime de l'employeur constitue le fondement juridique de la clause d'interdiction mais,  " ... la cause d'une convention ne doit pas être illicite : il conviendrait en conséquence de rechercher les mobiles concrets qui ont déterminé le chef d'entreprise à insérer la restriction dans le contrat de travail ". Ceux-ci ne seront considérés comme licites et moraux que si l'interdiction stipulée a été imposée par le désir de préserver un intérêt légitime 173.

C. Frère jean-Journès suit un raisonnement analogue ; s'interrogeant sur le contenu de l'intérêt légitime, elle demande : " est-ce la cause de l'obligation de non-concurrence ou sa finalité ? " 174.

Y. Serra considère également que l'intérêt légitime de l'employeur est une des causes juridiques de l'obligation de non-concurrence 175.

L'art. L. 121-1, al. 1er du Code du travail soumet le contrat de travail aux règles du droit commun et l'art. 1108 du Code civil subordonne la validité d'une convention à l'existence d'une cause licite ; l'art. 1131 reprend cette règle et précise que " l'obligation sans cause, ou sur fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ". En l'espèce, la cause devrait être comprise comme la "considération de ce but (à atteindre) qui a déterminé la volonté ", c'est-à-dire qu'elle constitue la "cause finale" 176.

Mais une autre approche est possible, telle celle de S. Cérone, qui se réfère à la psychologie des cocontractants et pour qui l'absence d'intérêt légitime de l'employeur conduit à reconnaître le caractère illicite de la cause entendue comme "motif déterminant, individuel et concret " 177.

138- On a parfois voulu écarter la notion de cause. C'est ainsi que P. Diener, souhaitant faire " l'économie d'une discussion sur la cause, tant au sens objectif de contre-prestation-l'indemnité compensatrice-qu'au sens subjectif de cause finale, impulsive et déterminante ", propose d'analyser la question dans l'optique de l'objet de l'obligation. L'auteur suggère de se référer aux critères nécessaires à la validité de l'objet qui doit être utile, possible, déterminé et licite pour rechercher l'intérêt légitime. Tout en admettant que l'objet de l'obligation de non-concurrence est en principe utile, P. Diener estime que concrètement il est indispensable que le créancier retire un avantage de l'exécution du débiteur, ce qui suppose une concurrence lui faisant courir un risque. Si l'exécution de l'obligation est impossible d'une manière absolue, l'engagement pris devient irréalisable, non seulement faute d'objet mais également faute de consentement 178.

Toute obligation devant être causée, il convient d'admettre que l'intérêt de l'employeur à voir contractuellement protégés certains éléments dépourvus de protection légale (clientèle, techniques ou méthodes spécifiques, conséquences d'une formation professionnelle) est légitime et constitue l'une des causes juridiques de l'engagement de non-concurrence du salarié.

139- Ce chapitre a mis en évidence le caractère particulier de la réglementation de l'obligation de non-concurrence accessoire au contrat de travail. La validité de la clause de non-concurrence ne peut être établie qu'a posteriori, à l'issue de l'analyse économique de la place de l'employeur sur le marché, et l'atteinte à une liberté fondamentale doit revêtir un caractère exceptionnel justifié par le seul risque concurrentiel que fait courir le salarié à son ancien employeur.

En droit allemand comme en droit français, les raisonnements inspirés du droit économique sont semblables, ce qui s'explique par la similitude des situations à appréhender et, depuis quelques décennies, par l'influence unificatrice du droit communautaire de la concurrence.

Le droit français connaît cependant une spécificité qui découle du caractère prétorien de la matière : le rôle de la doctrine dans la recherche de la nature juridique de l'intérêt légitime qui l'amène à se référer aux notions civilistes de cause et d'objet.

 

CHAPITRE III

L'INTERET LEGITIME ET LA VIE

DU CONTRAT DE TRAVAIL



140- Les conséquences graves de la clause de non-concurrence pour le salarié qu'elle peut condamner au chômage, imposent de rechercher avec soin les hypothèses où l'employeur a un intérêt légitime à s'en prévaloir. Celles-ci dépassent le cadre de la formation de la clause de non-concurrence-conditions de validité-et affectent son efficacité ; il ne peut s'agir que de cas limites qui tracent la frontière entre ce qu'il est permis d'interdire et ce qui ne l'est pas. La stipulation met à charge du salarié une obligation nouvelle dont l'exécution se prolonge dans le temps et aboutit à faire produire des effets de droit à un contrat éteint, ce qui conduit à se situer dans une perspective temporelle et à rechercher si l'employeur peut avoir un intérêt légitime à se garantir de la concurrence du salarié quand les rapports de travail n'ont pas dépassé le stade de l'essai (section 1), avant de déterminer si un intérêt légitime peut exister à tout moment de la relation professionnelle (section 2).

Le choix du droit allemand comme point de départ de la réflexion sous-tendant l'étude impose de renoncer à traiter ici certaines questions qui, au regard du droit français, sont du ressort de l'intérêt légitime mais qui, en droit allemand, font l'objet d'une réglementation différente. Il s'agit tout d'abord de l'incidence de la rémunération perçue par le salarié qui, si elle est inférieure à un seuil donné, devrait entraîner la nullité de la clause de non-concurrence en application du § 74a, al. 2 HGB. Ce problème sera étudié dans la section 1 du chapitre I de la partie II consacrée à la validité de l'engagement du salarié. Mentionnons ensuite l'examen de l'adéquation entre l'étendue de l'interdiction imposée au salarié et l'intérêt digne de protection. Ce problème retiendra notre attention dans la section 2 du chapitre I de la partie II. Les différences d'appréciation du périmètre de l'intérêt légitime en droit allemand et en droit français sont formelles et n'affectent pas la comparabilité de la clause de non-concurrence dans les deux systèmes juridiques. L'exigence d'un intérêt légitime patronal a pour seul but la protection du salarié ; l'interdiction de soumettre à non-concurrence le salarié à faible rémunération ou la recherche de proportionnalité entre l'intérêt à protéger et l'étendue de la clause de non-concurrence également.


SECTION 1. -  INTERET LEGITIME ET PERIODE D'ESSAI


141- L'employeur peut-il avoir un intérêt légitime à imposer au salarié le respect d'une clause de non-concurrence indépendamment de la durée de la collaboration en cas de rupture du contrat de travail pendant la période d'essai ? Cette question se pose tant en droit allemand qu'en droit français et, en l'absence de disposition législative adaptée, doctrine et jurisprudence sont contraintes dans les deux systèmes de chercher à cerner la réponse adaptée.


§ 1. -  EN DROIT ALLEMAND


142- Les textes de loi allemands qui régissent la clause de non-concurrence ne comportent aucune disposition spécifique réglant le sort de l'institution en cas de rupture pendant la période d'essai. Il est cependant admis qu'un salarié peut toujours se référer au § 74a, al.1er HGB, et soutenir que la clause de non-concurrence ne correspondrait pas pour l'employeur à un intérêt commercial légitime. Tel est notamment le cas quand il n'a pas été en mesure d'acquérir pendant la période d'essai d'information permettant de concurrencer l'ancien employeur. Par contre, l'employeur ne pourra pas chercher à échapper au paiement de la contrepartie pécuniaire en se prévalant de l'absence d'intérêt commercial légitime du fait de la brièveté de la collaboration 179.

Pour tenter d'éviter que l'insertion d'une clause de non-concurrence dans un contrat de travail ait pour conséquence automatique le paiement d'une contrepartie pécuniaire à sa charge, l'employeur pourrait se référer au § 163 BGB qui autorise la fixation d'un terme déterminé pour la prise ou la cessation d'effet d'un acte juridique. Dans le premier cas, l'acte concerné ne ressort ses effets qu'après un certain délai ; avant la survenance de la date contractuellement fixée, l'engagement ne s'impose pas à celui qui l'a souscrit. Dans le second cas par contre, à partir d'une certaine date l'engagement ne s'impose plus à celui qui s'est obligé.

Mais il est sans doute plus simple de préciser dans le contrat de travail que l'interdiction de concurrence ne prendra effet qu'à l'issue de la période d'essai 180 ou de toute autre période à déterminer. Cette façon de procéder ne suscite aucune réserve car elle n'impose au salarié aucune restriction de liberté jusqu'à l'entrée en vigueur de la clause de non-concurrence qui est clairement déterminable 181 Le BAG est favorable à la Befristung (prise d'effet différée) d'une clause de non-concurrence en cas d'engagement à l'essai 182.La doctrine qualifie cet acte d'avant-contrat 183 t précise qu'il ne s'impose au salarié que pour autant qu'il n'aboutit pas concrètement à rendre incertaine l'entrée en vigueur de la clause de non-concurrence à l'issue de la relation de travail et, par voie de conséquence, le paiement éventuel de la contrepartie pécuniaire. Par contre la jurisprudence déclare non obligatoire la stipulation par laquelle l'employeur se réserve la possibilité d'imposer au salarié une clause de non-concurrence 184.

Si les parties sont convenues d'une clause de non-concurrence pendant la période d'essai, il appartient aux magistrats de déterminer im Wege der ergänzenden Auslegung (par interprétation complémentaire) si cette stipulation entre en vigueur quand l'employeur met fin au contrat de travail avant la date de prise d'effet convenue et renonce à toute prestation de travail du salarié pendant la période du délai-congé 185.


§ 2. - EN DROIT FRANÇAIS


143- Le problème se présente d'une manière peu différente en droit français puisque se pose toujours la question de savoir si le salarié est tenu par une clause de non-concurrence dans l'hypothèse où la relation de travail n'a pas dépassé le stade de l'essai. Il s'agit d'une difficulté de mise en oeuvre de la clause de non-concurrence et non de validité. Y. Serra la qualifie de "problème voisin " 186, se demande si une clause de non-concurrence est "efficace lorsque le contrat de travail prend fin peu de temps après sa conclusion et en particulier pendant la période d'essai ? ", et répond que la stipulation est inapplicable quand elle ne correspond pas au besoin de protection de l'entreprise 187.

J. Amiel-Donat estime qu'"il convient de rechercher si une telle application de la clause serait conforme à son économie, c'est-à-dire à l'équilibre instauré par les parties entre leurs intérêts divergents. Autrement dit, il convient de vérifier le caractère légitime de la clause de non-concurrence envisagée au moment de la rupture du contrat au cours de la période d'essai " 188.

R. Vatinet analyse la question à l'aune de la mesure concrète de proportionnalité entre l'intérêt de l'entreprise et l'atteinte portée à la liberté du travail du salarié 189.

La question est donc bien de savoir si l'employeur a un intérêt légitime à exiger du salarié le respect d'une obligation de non-concurrence quand leurs rapports de travail n'ont pas dépassé le stade de l'essai.


A. - Finalité de la période d'essai


144- La période d'essai est la première phase d'exécution du contrat de travail pendant laquelle chaque partie est en droit de rompre la relation à tout moment et librement sans avoir à respecter l'ensemble des règles qui régissent la rupture unilatérale, ni même à verser quelque indemnité que ce soit 190.

Elle se distingue du stage qui a uniquement pour objectif la formation, que celle-ci soit ou non prodiguée en situation réelle de travail 191. La Cour de cassation approuve les juges du fond qui refusent la qualification de période d'essai à une situation contractuelle au motif que "l'activité du stagiaire a consisté exclusivement à suivre des cours et conférences, à se soumettre à des interrogatoires portant sur des connaissances théoriques ... et qu'à aucun moment il n'avait effectué durant le stage un essai de travail de visite pour le compte de l'entreprise" 192.

La Cour d'appel de Paris a défini l'objet de la période d'essai comme devant "permettre au salarié de se familiariser avec les tâches qui lui sont dévolues et à l'employeur d'apprécier les aptitudes de celui-ci sur le plan technique, mais aussi son adaptation à l'entourage professionnel et aux règles et usages qui régissent la marche de l'entreprise" 193, "ce qui implique qu'il soit obligatoirement placé en situation réelle de travail" 194.

Il s'agit d'un temps d'épreuve et d'expérimentation pendant lequel employeur et employé apprécient réciproquement leurs qualités respectives, la compétence du salarié, l'agrément et les inconvénients du travail proposé, tout en réservant leur décision quant à la poursuite éventuelle de leurs relations. Ce caractère de réciprocité est, selon une opinion ancienne émise par J. Ribettes-Tillhet et J.L. Wibault, en opposition avec la protection du salarié qui est traité de façon identique à l'employeur 195.

Pour J. Mouly, l'essai a plus particulièrement pour fonction d'établir des relations de confiance entre les parties au contrat de travail 196. La période d'essai aurait aussi pour but l'élimination du facteur intuitus personae du contrat de travail, le caractère personnel du contrat allant s'accentuant "au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie " 197.

Cependant, Y. Serra redoute de voir une clause de non-concurrence influencer le choix de l'une des parties, en l'occurrence le salarié 198. Quelle est en effet sa liberté de rompre alors qu'il pourrait, le cas échéant, se voir réclamer d'importantes indemnités par l'ancien employeur ?


B. - Recours à la notion d'intérêt légitime


145- Différents types de litiges ont amené les juridictions à rechercher les éléments de fait caractérisant l'intérêt de l'employeur à voir le salarié lié par une clause de non-concurrence en cas de rupture de la relation de travail pendant la période d'essai, et plus particulièrement :

- la demande du salarié tendant au versement de l'indemnité compensatrice de non-concurrence prévue par le contrat de travail ou la convention collective ; pour en éviter le paiement, l'employeur doit-il le délier du respect de la clause de non-concurrence ?

- la demande de l'employeur en dommages-intérêts quand le salarié n'a pas respecté l'obligation de non-concurrence à laquelle il est soumis.

146- En 1983, la Cour de cassation, pour écarter l'application de la clause de non-concurrence après rupture en cours d'essai et rejeter un pourvoi contre un arrêt ayant débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de non-concurrence, soulignait " qu'il n'apparaissait pas, compte tenu de la brièveté du temps de passage du salarié dans la société Siemens, que celui-ci eût pu acquérir une connaissance suffisante des secrets de l'entreprise pour être en mesure de se livrer, après la rupture du contrat de travail, à des divulgations éventuellement utilisables par une entreprise concurrente" 199. Sans qu'elle l'énonce expressément, il semble bien cependant à la lecture de cet arrêt que la Cour s'inspirait ici de la notion d'intérêt légitime. Il est vrai que la Cour de cassation rappelait comme elle l'avait déjà fait quelques mois plus tôt que l'existence de la clause de non-concurrence pendant la période d'essai est une question d'interprétation de la volonté des parties laissée à l'appréciation des juges du fond. Commentant cet arrêt, Y. Serra estimait que la Cour de cassation avait sous-entendu qu'il n'était pas souhaitable de contraindre un employeur à verser une indemnité de non-concurrence en contrepartie d'une interdiction de concurrence "qui n'avait pas d'objet" 200.

Ultérieurement, la Cour de cassation a régulièrement confirmé la possibilité de déterminer si une clause de non-concurrence est applicable à la rupture pendant l'essai en analysant la volonté des parties 201. Aucune difficulté ne se présente si les stipulations contractuelles sont claires. C'est ainsi qu'une clause de non-concurrence prend effet si le contrat stipule qu'elle est applicable en cas de rupture pour quelque cause que ce soit et l'employeur est irrecevable à en invoquer l'illicéité au motif qu'elle n'était pas indispensable à la protection des intérêts de son entreprise 202. Un auteur adopte une position réservée sur la question puisqu'il exprime le souhait de voir affirmé le principe de l'inapplicabilité de la clause de non-concurrence en cas de rupture pendant la période d'essai, au besoin en faisant abstraction de la volonté contraire des parties, sauf à l'employeur à rapporter la preuve d'un risque concurrentiel excessif 203.

147- J. Amiel-Donat s'interroge : "l'intérêt légitime du créancier-la nécessité pour l'employeur de protéger une clientèle-justifie-t-il l'atteinte portée à la liberté du travail du salarié alors que ce dernier n'a effectué qu'un temps d'essai dans l'entreprise ? " 204, pour répondre de façon nuancée par la négative en précisant que la solution ne peut être rigide car il est permis d'imaginer que le salarié a eu accès, dès les premiers jours, à des secrets de l'entreprise ...

148- Pour la Cour d'appel de Nancy, une période d'essai de six mois "permettait au salarié de bien connaître la clientèle de son employeur et de bien s'en faire connaître". Par conséquence, le salarié qui démissionne au bout de cinq mois est tenu de respecter son obligation de non-concurrence 205.

Se livrant à une analyse de l'intention présumée des parties, la Cour d'appel de Versailles estime qu'il n'en résulte pas "la certitude que cette clause a été convenue également pour la période d'essai même renouvelée, que la brièveté de la présence de Monsieur Borsi dans cette entreprise, le fait que l'employeur lui ait imposé une prolongation de la période d'essai, le fait encore qu'il n'a manifestement pas été mis en contact avec les secteurs de la société où sont appliqués des secrets de fabrication protégés tendent à démontrer qu'il n'a pas pu acquérir une connaissance de l'entreprise suffisante pour disposer d'informations susceptibles d'intéresser un concurrent " 206.

Le raisonnement suivi par la Cour d'appel de Bourges est différent. Pour aboutir à la conclusion que l'extension de la clause de non-concurrence à la période d'essai répondait dans le silence du contrat à un "intérêt réel", elle tient compte de ce que le salarié avait pu obtenir, moins d'une semaine après son départ de chez son précédent employeur, "un poste plus conforme à ses prétentions sur le plan de la rémunération" chez un client de cet employeur. Selon la Cour, l'explication réside dans le fait que "le nouvel employeur avait pu le connaître dans le cadre de son emploi antérieur et apprécier ses qualités " 207. Pour G. Poulain, c'est ici la mauvaise fois avec laquelle le salarié a agi vis-à-vis de son ancien employeur qui est condamnée 208.

Quant à la Cour d'appel de Paris, elle écarte à plusieurs reprises validité et efficacité de la clause de non-concurrence en cas de rupture pendant la période d'essai. Dans un premier arrêt de 1989, elle retient que l'extension d'une clause de non-concurrence à la période d'essai "ne présente pour l'employeur aucun intérêt réel dont la protection serait indispensable " et en déduit que l'employeur n'avait pas l'obligation de délier le salarié "d'une obligation qui n'était pas née " 209 ; dans un second arrêt toujours de 1989, elle estime à nouveau qu'une clause de non-concurrence est dépourvue "de toute justification réelle compte tenue de la très courte durée des relations contractuelles et de la nature de l'activité exercée", en conclut que l'employeur ne pouvait s'en prévaloir et rejette un appel contre un jugement ayant débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice de non-concurrence 210 ; enfin, en 1995, elle juge qu'à la supposer valable, il est "évident " qu'une clause de non-concurrence ne saurait s'appliquer en cas de rupture du contrat de travail à l'intérieur de la période d'essai, alors qu'en décider autrement reviendrait à reconnaître à l'employeur un droit discrétionnaire, non seulement de rompre le contrat de travail, mais d'empêcher le salarié licencié de trouver un nouvel emploi 211.

149- Eu égard à la jurisprudence étudiée, il est essentiel de préciser dans le contrat qu'au cours de l'exercice de ses fonctions, le salarié peut être amené à avoir connaissance de documents ou de méthodes de travail spécifiques à l'entreprise. A partir de ce moment seulement, il sera possible au juge de déduire que la période d'essai a permis au salarié d'acquérir une connaissance de l'entreprise suffisante pour disposer de documents et d'informations susceptibles de contribuer à une action concurrentielle.

S'il n'est pas possible d'exclure a priori qu'un employeur ait un intérêt légitime à la non-concurrence du salarié qui n'a pas dépassé le stade de l'engagement à l'essai, ce ne peut être qu'à titre tout à fait exceptionnel et qu'à la condition qu'une compensation suffisante soit obligatoirement versée au salarié. Tel n'est souvent pas le cas dans la réalité. Posée en ces termes, la question en vient à dépasser le cadre de l'intérêt légitime, ce qui s'explique par les conséquences d'une interdiction de concurrence qui "peut restreindre la liberté du salarié de mettre fin au contrat puisque, ce faisant, il prendra le risque d'hypothéquer gravement les chances de se faire réembaucher dans le même secteur d'activité, souvent le plus conforme à sa formation et dans lequel il a acquis une expérience professionnelle " 212. Le recours à la notion d'abus devrait en toute hypothèse permettre de faire échec à une stipulation excessive qui ne pourrait pas être légitimée.


SECTION 2. - MOMENT DE LA RELATION PROFESSIONNELLE OU EST APPRECIEE L'EXISTENCE DE L'INTERET LEGITIME


150- La vie économique est évolutive. L'entreprise-employeur peut élargir ou restreindre sa gamme de produits ou de services ; elle peut disparaître ou grandir par croissance interne ou externe. Le déroulement de la carrière du salarié peut le conduire à exercer des fonctions différentes de celles qui étaient les siennes au moment où il a souscrit à la clause de non-concurrence.

Ces événements auront une incidence sur l'intérêt dont peut se prévaloir le créancier de l'obligation de non-concurrence pour justifier l'atteinte à la liberté du travail du débiteur de l'obligation de non-concurrence. La constatation s'impose tant en droit allemand qu'en droit français.


§ 1. - EN DROIT ALLEMAND


151- Le droit allemand se place au moment où l'employeur se prévaut de la clause de non-concurrence, c'est-à-dire à la fin de la relation de travail, pour rechercher si la prétention trouve son fondement juridique dans un intérêt légitime, et non pas au moment de la conclusion de la clause de non-concurrence. Il est en effet admis que la période de non-concurrence postérieure à la fin du contrat de travail commence au moment du départ effectif du salarié puisqu'à partir de cet instant, il perd la possibilité d'avoir accès aux secrets de l'employeur.

La mise en oeuvre de ce principe entraîne des conséquences juridiques importantes. En cas de disparition de l'intérêt légitime après la conclusion de la clause de non-concurrence, celle-ci perd son caractère obligatoire, par exemple si l'entreprise de l'employeur fait l'objet d'une fermeture définitive 213. Il est donc intéressant pour l'employeur de rapprocher dans le temps l'institution de la clause de non-concurrence et la rupture de la relation de travail. Insistant sur les rapports étroits qui existent entre le contrat de travail et la clause de non-concurrence, la doctrine admet qu'il peut en être convenu entre les parties au moment de l'accord de volontés précédant la conclusion du contrat de travail, pendant l'exécution du contrat, au cours du Kündigungsfrist (délai-congé) ou lors des négociations précédant la résiliation du contrat de travail 214.

152- La stipulation d'une clause de non-concurrence dans un accord de rupture permet même de la faire coïncider avec la cessation du rapport salarié. La question de savoir si une clause de non-concurrence doit respecter les conditions posées par les §§ 74 et s. HGB est discutée en doctrine et en jurisprudence. Plusieurs cas de figure sont à envisager.

- La relation de travail prend fin après l'accord de rupture instituant l'obligation de non-concurrence. Pour A. Hoss, les §§ 74 et s. HGB sont applicables si la clause de non-concurrence destinée à entrer en vigueur après la rupture du contrat de travail est conclue pendant la relation de travail 215. Pour J-H. Bauer et M. Diller, la fonction de protection des §§ 74 et s. HGB étant d'éviter qu'un salarié se soumette à une clause désavantageuse dans l'espoir d'obtenir un emploi, cette justification n'existe pas ici puisque le salarié accepte la rupture du contrat de travail 216.

Le BAG adopte une position protectrice des intérêts du salarié en jugeant que la clause de non-concurrence souscrite seulement quelques mois avant la fin de la relation de travail doit respecter les §§ 74 et s. HGB, ce qui impose la prévision d'une contrepartie pécuniaire 217. Gaul approuve le BAG 218. A. Hoss également ; il insiste sur la nécessité de distinguer dans l'accord de rupture les indemnités destinées à compenser la perte de l'emploi de la contrepartie pécuniaire, et à tout le moins d'établir que la somme convenue correspond, ne serait-ce que pour partie, à la contrepartie pécuniaire 219.

- La relation de travail prend fin concomitamment à l'accord de rupture instituant l'obligation de non-concurrence. La question est controversée en doctrine. Si la fonction de protection des §§ 74 et s. HGB est jugée déterminante, la loi ne devrait pas trouver application 220 ; par contre si l'interprétation littérale est favorisée, il devrait alors en être fait application 221.

- L'accord instituant la clause de non-concurrence intervient après la rupture de la relation de travail ; les §§ 74 et s. HGB n'ont alors pas à être respectés 222.

Après la fin du contrat de travail, il n'est pas contraire aux bonnes mœurs (§ 138, al. 1er BGB) de convenir d'une clause de non-concurrence sans contrepartie pécuniaire si elle ne rend pas impossible l'exercice de sa profession pour le salarié 223.

153- La question de l'intérêt commercial légitime de l'employeur se pose quand une modification de la production voire de la distribution intervient avant le départ du salarié ou pendant la période d'interdiction de concurrence post-contractuelle, et a une incidence sur l'intérêt légitime de l'employeur. En effet, dans l'hypothèse où l'employeur a cessé de fabriquer ou de vendre certains produits, le salarié ne doit pas être empêché de déployer son activité au service d'une entreprise concurrente ou pour son compte personnel.

154- La question peut encore se poser quand l'employeur se sépare de l'ensemble ou d'une partie de son entreprise. L'intérêt légitime de l'employeur personne physique subsiste si celui-ci, après avoir protégé par une clause de non-concurrence l'ensemble de l'activité de son entreprise, s'est séparé du secteur dans lequel l'employé était occupé avant de le reprendre par l'intermédiaire d'une société à responsabilité limitée indépendante dont il est à la fois le principal porteur de parts et le gérant 224.

Dans l'hypothèse d'une vente de l'entreprise, H. Buchner admet de manière nuancée la transmission légale de créances du § 613a BGB 225. L'acquéreur peut devenir créancier de l'obligation de non-concurrence tout comme des autres droits attachés à la qualité d'employeur et le vendeur perd les avantages qu'il retirait de la clause de non-concurrence puisque son intérêt légitime a disparu 226.

H. Buchner retient deux cas de figure :

- l'employé est encore au service de l'entreprise au moment de la vente.

- l'employé a déjà quitté le service de l'entreprise lors de la vente.

- L'employé est encore au service de l'entreprise au moment de la vente ; son contrat de travail est transféré à l'acquéreur. La clause de non-concurrence, partie intégrante du contrat de travail, impose à l'acquéreur de l'entreprise les obligations du nouvel employeur et lui confère ses droits en vertu du § 613a BGB avec les nuances suivantes :

• A la suite de la vente, le précédent employeur perd tout intérêt légitime au maintien de la clause de non-concurrence en raison de l'arrêt de son activité commerciale ; il ne pourra plus se prévaloir de la clause et seul l'acquéreur serra en droit de s'y référer.

• Après la vente, le premier employeur conserve un intérêt légitime au maintien de la clause de non-concurrence. Tel est le cas quand, n'ayant cédé qu'une partie de son entreprise, il poursuit une exploitation orientée vers le même but et quand, bien que s'étant séparé de l'intégralité de son entreprise, il n'en continue pas moins la même activité dans le cadre d'une autre unité économique.

Il ne fait pas de doute qu'à la suite de la transmission de son entreprise, le précédent employeur perd théoriquement tout droit d'exiger le respect de la clause de non-concurrence ; seul l'acquéreur peut en profiter.

Cependant, il est possible que le contrat de cession charge l'acquéreur de représenter les intérêts concurrentiels du vendeur, ce qui impose d'en interpréter les stipulations et de rechercher une éventuelle disposition destinée à réglementer les rapports concurrentiels entre vendeur et acquéreur. Si l'acquéreur a exigé du vendeur une abstention de concurrence, celui-ci perd tout intérêt légitime au maintien de la clause de non-concurrence. Mais en l'absence d'accord entre les deux employeurs, le précédent propriétaire de l'entreprise pourrait, en théorie, retrouver un intérêt légitime au respect de la clause si le salarié mettait fin à la relation de travail avec le nouvel employeur après la transmission de son contrat pour s'engager au service d'une entreprise concurrente. Le § 613a BGB qui impose d'envisager l'activité concurrente du point de vue du nouvel acquéreur y fait toutefois obstacle.

- L'employé a déjà quitté le service de l'entreprise au moment où intervient la vente.

Aux termes du § 613a, al.1er BGB, qui transpose en droit allemand la Directive 77/187 du 14 février 1977 227, l'acquéreur de l'entreprise vient aux droits et obligations du vendeur du chef des contrats de travail en vigueur au moment de la cession.

Il a parfois été soutenu que l'acquéreur de l'entreprise ne se voit attribuer aucun droit vis-à-vis du salarié qui a démissionné avant la vente. Cette conception est vivement critiquée par H. Seiter 228 pour qui seul le nouvel employeur a un intérêt immédiat au respect de la clause de non-concurrence et doit en payer la contrepartie. L'auteur suggère une application par analogie du § 613 1, al. 1er BGB : dans l'hypothèse où les deux employeurs successifs auraient un égal intérêt au respect de la clause de non-concurrence, ils pourraient être solidairement contraints au paiement de la contrepartie pécuniaire.

H. Buchner propose une autre solution et estime que des rapports de droit subsistent entre employeur et salarié après la rupture du contrat de travail aussi longtemps que toutes les obligations accessoires n'ont pas été remplies. Tel est le cas des relations juridiques limitées au respect de l'obligation de non-concurrence qui entrent dans le champ d'application du § 613a BGB. Selon H. Buchner si le vendeur n'a plus d'intérêt concurrentiel justifiant le maintien de la clause, seul l'acquéreur peut se référer au § 613a BGB. Mais si par contre le vendeur doit toujours préserver un intérêt commercial propre parce qu'il poursuit une activité concurrente de celle de l'ancien salarié, il n'a alors que la possibilité de faire valoir son droit par l'intermédiaire de l'acquéreur 229.

155- La clause de non-concurrence doit prendre en compte la vie économique. En effet, ce n'est qu'au moment de la rupture de la relation de travail que les parties peuvent déterminer avec précision l'étendue exacte de l'interdiction de concurrence nécessaire alors que dans la plupart des cas la clause de non-concurrence a été souscrite longtemps auparavant, entraînant les problèmes que le droit allemand s'est employé à régler.


§ 2. - EN DROIT FRANÇAIS


156- La convention de non-concurrence doit résulter d'un accord de volontés entre les parties qui, en général, intervient au moment de la conclusion du contrat de travail. Il est cependant tout à fait possible qu'une obligation de non-concurrence trouve sa source dans un accord de volontés en cours d'exécution du contrat 230, peu avant la fin 231 ou au moment de la rupture 232. Cette solution avait été appelée de ses voeux par G. Camerlynck 233. Il s'agit d'une façon pour les parties de constater d'un commun accord l'existence de l'intérêt légitime de l'employeur. En effet, celui-ci n'envisagerait pas de soumettre un salarié au respect d'une clause de non-concurrence s'il n'y voyait pas avantage.

157- Un employeur peut-il introduire une clause de non-concurrence dans la transaction qu'il conclut avec un salarié ? La Chambre sociale de la Cour de cassation l'a d'abord admis implicitement en reconnaissant comme transaction "l'accord conclu entre les parties (qui) avait pour objet de prévenir une contestation à naître entre elles et (qui) comportait des concessions réciproques, l'employeur versant outre les indemnités de rupture conventionnelles une somme correspondant à deux mois de salaire et le salarié acceptant une clause de non-concurrence" 234.

Puis ensuite elle l'a explicitement autorisé en reconnaissant le droit aux parties à une relation de travail de convenir, dans le cadre d'un accord transactionnel lors de la rupture du contrat de travail, de l'application d'une clause de non-concurrence qui n'avait pas été insérée dans le contrat de travail ou d'une clause distincte dans ses modalités de celle qui était stipulée dans le contrat de travail initial 235 Cette pratique permet d'éviter le recours systématique et préventif à la clause de non-concurrence mais dépend de la bonne volonté du salarié qui peut refuser de souscrire a posteriori à la clause.

158- L'intérêt de l'entreprise qui a conduit l'employeur à stipuler une clause de non-concurrence au début du contrat de travail ou au cours de son exécution peut être différent de l'intérêt à voir interdire toute concurrence au salarié après la rupture des rapports professionnels. Cependant en droit français une convention doit être régulière dès sa formation et sa validité ne peut en principe pas dépendre d'éléments postérieurs ; elle doit pouvoir être déterminée au moment de la conclusion et non pas lors de l'exécution du contrat. Comme l'écrit F. Petit, "la question qui se pose alors est de savoir si le moment auquel le juge doit se situer dans son appréciation de l'existence d'un intérêt justificatif peut être déplacé de la conclusion à la mise en oeuvre de la clause" 236. Soulignant que la Cour de cassation n'a pas "clairement" imposé qu'il soit constaté l'existence de l'intérêt légitime de l'entrepreneur au moment de la formation de l'engagement de non-concurrence, l'auteur propose l'analyse suivante : "la convention de non-concurrence serait valable au moment de sa formation lorsque l'insertion de la clause dans le contrat de travail apparaîtrait comme un moyen légitime de protéger les intérêts de l'entreprise eu égard à la nature des fonctions du salarié. Mais elle serait ensuite privée "d'un élément essentiel à sa validité par la survenance d'un événement postérieur à sa formation " 237.

159- Un certain nombre d'événements peuvent en effet se produire au cours du contrat de travail et modifier les données initiales sur la base desquelles il a été conclu, conduisant à s'interroger sur la persistance de l'intérêt légitime de l'employeur. L'employeur peut cesser l'activité qu'il avait cherchée à protéger par la clause de non-concurrence, sa situation juridique peut être modifiée et entraîner l'application de l'art. L.122-12 du Code du travail, les fonctions du salarié peuvent être changées, et enfin le salarié peut faire l'objet de détachements successifs dans des entreprises membres d'un groupe ou être amené à travailler simultanément pour ces entreprises.

160- Cessation d'activité : pour la Cour d'appel de Paris, la cessation de l'activité protégée par une clause de non-concurrence est inopérante dans la mesure où l'entreprise peut à tout moment, comme elle l'a déjà fait dans le passé, reprendre cette activité directement elle-même ou par l'intermédiaire d'une de ses filiales 238. Le recours à la notion d'intérêt légitime aurait vraisemblablement conduit à une solution inverse car on perçoit mal comment le salarié peut faire concurrence à son ancien employeur si leurs activités sont différentes.

161- Modification de la situation juridique de l'employeur : la jurisprudence a eu à se prononcer sur les problèmes posés par le transfert des droits et obligations au regard de l'article L.122-12, al. 2 du Code du travail.

Pour la Cour de cassation, l'article L.122-12 al. 2, s'applique aux effets de contrats déjà résiliés au moment du changement d'employeur, et particulièrement aux clauses de non-concurrence en cours d'exécution. En l'espèce, un représentant V.R.P., chargé par une société Médifrance de la commercialisation de matériels médico-chirurgicaux, avait démissionné le 26 avril 1984 et perçu à l'issue d'une procédure prud'homale terminée par jugement du 1er avril 1985 l'indemnité compensatrice de non-concurrence prévue au contrat de travail. La société Médifrance avait été absorbée le 4 septembre 1984 par une société Périmédicale-Médifrance qui, après avoir appris que le représentant V.R.P. exerçait depuis le 2 mai 1984 une activité concurrente dans le secteur protégé au profit d'une société Veinomed, avait saisi la justice d'une action en remboursement de l'indemnité versée et en paiement de dommages-intérêts 239. La condamnation du salarié aurait pu être justifiée par l'intérêt légitime de la société absorbante, ce que la Cour de cassation s'est bien gardée de faire. Corrélativement l'obligation de non-concurrence, souscrite par un salarié dont le contrat de travail est transféré en vertu de l'article L.122-12, al.2 du Code du travail ayant été transmise au nouvel employeur, l'ancien employeur ne peut plus en demander l'exécution à ce salarié 240. Mais, c'est en se référant à l'intérêt légitime du premier employeur, un agent commercial dont la protection avait seule été envisagée au moment de la souscription de la clause de non-concurrence par un délégué commercial, que la Cour d'appel de Toulouse a écarté l'application de l'art. L. 122-12, al. 2 du Code du travail et estimé que l'obligation de non-concurrence n'avait pas été transmise au second employeur ; celui-ci avait mis fin au contrat de l'agent commercial et réembauché le salarié après son licenciement pour motif économique 241. La chambre commerciale de la Cour d'appel de Paris a par contre jugé que les dispositions d'ordre public de l'art. L. 122-12 du Code du travail doivent trouver application et a prononcé la nullité d'une clause de non-concurrence par laquelle un supermarché s'interdisait, en cas de rupture du contrat de concession, de reprendre à son compte le personnel du concessionnaire qui avait été employé à l'intérieur du magasin 242.

Dans un cas très particulier de transfert d'un contrat de travail, l'intérêt légitime a été jugé insuffisant par la Cour de cassation ; l'ancien employeur n'a pas été admis à invoquer une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail après avoir mis en gérance libre son fonds de commerce bien que, étant demeuré propriétaire dudit fonds, il ait conservé un intérêt légitime au respect de la clause 243.

162- Modification des fonctions du salarié dans l'entreprise : le changement d'attributions du salarié en cours de carrière est apprécié différemment en fonction du cas d'espèce. En 1987, la Cour d'appel de Paris a jugé qu'un salarié, qui avait été engagé pour occuper des fonctions d'ingénieur dans un établissement industriel et s'était ultérieurement vu confier la responsabilité du service informatique de l'entreprise situé dans une autre localité, avait subi une modification radicale de ses attributions.

Pour la cour "ses nouvelles tâches ne donnaient plus à Dubié accès aux techniques de fabrication ni aux recherches en vue de les améliorer, ni même aux aspects économiques de leur mise en œuvre, et ne rendaient donc plus nécessaire l'extrême discrétion exigée des ingénieurs pendant l'exercice de leurs activités au sein de l'entreprise et après leur départ ; qu'en l'absence de toute référence au contrat de travail initial dans un document qui a voulu être aussi complet et précis que possible, il doit nécessairement être déduit que les parties n'ont plus éprouvé le besoin de maintenir à la charge du salarié les obligations spécialement attachées à des fonctions d'ingénieur ; qu'il apparaît que si les parties avaient entendu laisser subsister ces obligations, elles n'auraient pas manqué de les modifier en tenant compte des divers aspects des nouvelles attributions de Dubié..." 244. Mais ultérieurement en 1990, la Cour d'appel de Paris a décidé que le fait pour un salarié de changer de fonctions au sein de la même société n'avait pas pour conséquence de rendre caduques les autres clauses du contrat initial et qu'en particulier la clause de non-concurrence imposée au titre des précédentes fonctions restait applicable. En effet, dans la mesure où la clause de non-concurrence est conclue au profit du seul employeur, le salarié ne peut s'en délier unilatéralement en l'absence d'accord entre les parties pour annuler ladite clause, et ce même s'il renonce à l'indemnité compensatrice 245.

163- Mutations successives entre des entreprises appartenant à un groupe ou travail simultané pour ces entreprises ; pour la Cour de cassation, la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail initial reste valable bien qu'elle n'ait pas été reprise dans un nouveau contrat de travail conclu postérieurement avec une autre entreprise appartenant au même groupe. Il en résulte que les différentes entreprises qui ont utilisé les services du salarié ont le droit de se prévaloir de la clause puisque c'est le même contrat de travail qui a été exécuté 246.

Toujours selon la Cour de cassation, des lettres de détachement successives, établies lors des affectations du salarié auprès des différentes filiales de l'employeur (la société mère), ne modifient pas le contrat initial comportant une clause de non-concurrence qui conserve sa validité entre les parties au jour du licenciement, même en l'absence de toute référence expresse à la clause de non-concurrence 247. Cette jurisprudence devrait pouvoir être étendue au cas de travail simultané du salarié pour plusieurs entreprises différentes appartenant au même groupe.

164- Il est indéniable que depuis les arrêts de la Chambre sociale de la Cour de cassation des 25 septembre 1991 et 14 mai 1992, le régime français de la clause de non-concurrence s'est rapproché du régime allemand et a partiellement comblé un siècle de retard 248 ; les deux droits exigent maintenant que l'intérêt légitime de l'employeur justifie l'atteinte portée à la liberté du travail du salarié 249. Mais le droit français ne s'est pas encore posé toutes les questions auxquelles est confronté le droit allemand puisqu'il vient seulement de reconnaître l'obligation faite à l'employeur de pouvoir se référer à un intérêt légitime pour limiter la liberté concurrentielle du salarié.

165- Sur le point particulier de la preuve de l'existence de l'intérêt légitime, le droit allemand précède encore le droit français.

Selon la doctrine allemande, la preuve de l'inexistence de l'intérêt légitime de l'employeur est à la charge du salarié qui ne se reconnaît pas lié par la clause de non-concurrence 250. Faut-il pour autant déduire de la formulation négative du § 74a HGB (la clause de non-concurrence n'est pas obligatoire si elle ne sert pas à la protection d'un intérêt légitime du patron...) une présomption d'existence de l'intérêt légitime ? Dans la mesure où une preuve négative est difficile à rapporter, une telle interprétation ne conduirait-elle pas à faire perdre au salarié le bénéfice de la protection instaurée à son profit par la loi ? W. Röhsler et H. Borrmann semblent avoir eu conscience de la difficulté. Selon ces auteurs, dans l'hypothèse où l'étendue de l'interdiction de concurrence est particulièrement large, le salarié doit pouvoir prouver plus facilement l'absence d'intérêt légitime de l'employeur en se référant à l'apparence (so kann ein Beweis des ersten Anscheins zugunsten des Arbeitnehmers zu einer Beweislastererleichterung führen) 251. A notre connaissance, le BAG ne s'est pas à ce jour prononcé sur la charge de la preuve.

Il est vraisemblable que dans l'avenir la question de la charge de la preuve de l'intérêt légitime de l'employeur suscitera des litiges en droit français. Tel n'est pas le cas aujourd'hui.

166- Comparée à la jurisprudence française, la jurisprudence allemande est, à l'exception d'un arrêt du 1er août 1995, assez ancienne puisque les contours de la notion d'intérêt légitime ont été dessinés par une série d'arrêts du BAG prononcés entre 1963 et 1970. Force est d'en déduire que le contentieux relatif à l'intérêt légitime a perdu une grande partie de son importance en Allemagne depuis un arrêt du 13 septembre 1969 par lequel le BAG a étendu la protection des §§ 74 et s. HGB à tous les salariés sans distinction 252. L'employeur qui en toute hypothèse devint soumis à l'obligation de payer une contrepartie pécuniaire au salarié, fut dès lors moins enclin que par le passé à recourir à une clause de non-concurrence. Si l'employeur se décidait néanmoins à limiter la liberté d'action concurrentielle du salarié après son départ de l'entreprise, il prenait soin de faire coïncider le domaine d'application de la clause de non-concurrence avec le secteur ou la clientèle à protéger.

Il est probable que si le droit français généralisait l'obligation de paiement d'une contrepartie pécuniaire au profit de tous les salariés liés par une clause de non-concurrence, les employeurs veilleraient à n'y recourir que dans l'hypothèse où l'intérêt légitime de leur entreprise l'exige véritablement.

167- En tout état de cause, les raisons de se féliciter de l'évolution jurisprudentielle française sont nombreuses. Le droit français fait plus grand cas qu'auparavant de l'idée de justice puisque le seul bon vouloir de l'employeur n'est plus suffisant pour imposer une limitation à la liberté professionnelle du salarié. Par ailleurs, le droit du travail français général de la clause de non-concurrence n'est plus en opposition avec le droit du travail local depuis que tous deux, en dépit de sources différentes, exigent que le créancier de la non-concurrence puisse se référer à un intérêt légitime. La cohérence du système juridique dans sa globalité en est renforcée puisque le risque de voir la Cour de cassation adopter deux positions différentes selon qu'elle serait amenée à appliquer l'un ou l'autre droit disparaît. Enfin, il est satisfait à l'esprit du Traité sur l'Union européenne, et plus particulièrement à ses articles 117 et 118 253.

L'évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation, en imposant que l'initiative professionnelle du salarié puisse seulement être limitée si l'intérêt légitime de l'entreprise l'impose, s'inscrit dans un mouvement plus large qui voit le droit français donner plus de prix que par le passé à la liberté d'entreprendre. L'ordonnance du 1er décembre 1986 en témoigne en droit économique puisqu'elle a supprimé le contrôle des prix et renforcé la défense de la libre concurrence 254.

168- Chronologiquement, il était indispensable de s'assurer dans un premier temps que le créancier de l'obligation de non-concurrence est légitimé, par un intérêt bien compris, à imposer au débiteur de l'obligation de non-concurrence une limitation de sa liberté professionnelle. Ce préalable, qui conditionne la possibilité de soumettre le salarié à une interdiction de concurrence, ne suffit cependant pas à le garantir contre une atteinte excessive à ses droits. La recherche d'équilibre entre les intérêts des parties en cause impose de se situer également à la place du débiteur de l'obligation de non-concurrence et de vérifier que son intérêt est suffisamment préservé.




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