L'administration de la S.A ; nature et exercice des pouvoirs

Franck VALENCIA



DEUXIEME PARTIE



DEUXIEME PARTIE.
ARTICULATION DES POUVOIRS AU SEIN DE L'ORGANE D'ADMINISTRATION

TITRE PRELIMINAIRE.
LES PRINCIPES GOUVERNANT LE FONCTIONNEMENT DES ORGANES



Il est deux principes, au combien importants, qui sont reconnus en droit français et espagnol, le premier a trait aux organes de la société anonyme, le second concerne leurs pouvoirs. Il s'agit du principe de hiérarchie des organes et de spécialisation des pouvoirs.

Il sera intéressant d'examiner quels ont été dans chaque droit, les cheminements qui ont conduit à la reconnaissance de ces principes.

Ainsi nous pouvons d'ores et déjà dire qu'ils varient d'un droit à l'autre puisqu'en France, ces principes furent à l'origine consacrés par la jurisprudence avant d'être confirmés par la loi de 1966. En revanche ces principes souffrent en Espagne de l'absence d'une consécration légale.

CHAPITRE I. ENUMERATION DES PRINCIPES

Section 1. - Le principe de hiérarchisation



On s'accorde donc à reconnaître qu'il existe une certaine hiérarchie entre les organes de la société anonyme. Le pouvoir souverain appartient à l'assemblée générale des actionnaires, preuve en est qu'en France et en Espagne, il appartient à l'assemblée de nommer et de révoquer les administrateurs 1 .

Bien que l'on ne discute pas en théorie de la suprématie de l'assemblée générale, hiérarchiquement supérieure à l'organe d'administration, la réalité pratique s'en éloigne quelque peu.

Les administrateurs jouissent, dans les faits, d'une confortable position en raison du fréquent absentéisme des actionnaires et parfois de leur profond désintérêt pour la marche des affaires sociales.

Section 2. - Le principe de spécialisation



Du principe de hiérarchie en découle un autre tout aussi important, d'après lequel un organe ne peut exercer les prérogatives d'un autre organe hiérarchiquement supérieur voire inférieur.

Chaque organe dispose donc, en vertu du principe de spécialisation, de pouvoirs propres sur lesquels il est interdit d'empiéter.

CHAPITRE II. - LEURS VALEURS RESPECTIVES

Section 1. - La reconnaissance légale des principes en France


Ces principes furent consacrés en France dans un arrêt très marqué de la Cour de cassation en date du 4 juin 1946 2 :

"Attendu en effet que la société anonyme est une société dont les organes sont hiérarchisés et dans laquelle l'administration est exercée par un conseil, élu par l'assemblée générale; qu'il n'appartient donc pas à l'assemblée générale d'empiéter sur les prérogatives du conseil en matière d'administration."

Dans les faits, l'assemblée générale d'une société de teinture et d'impression désirait, par le vote d'une résolution, investir le président de "l'ensemble des pouvoirs attribués jusqu'alors au conseil d'administration". L'annulation de la résolution par la Cour d'appel de Douai fut confirmée par la Cour de cassation.

Cette décision amena certains commentateurs 3 de l'arrêt précité à déclarer:

"Si l'assemblée générale détient le pouvoir souverain, elle ne peut s'en servir pour dépouiller de leurs fonctions les autres organes sociaux."

La loi de 1966 est venue, par la suite, confirmer textuellement l'existence des principes de hiérarchie et de spécialisation.

Ainsi selon l'article 98 de la loi de 1966, le conseil d'administration exerce ses pouvoirs:

"Dans la limite de l'objet social et sous réserve de ceux expressément attribués par la loi aux assemblées d'actionnaires."

De même, dans l'article 113 de la loi de 1966, le président du conseil d'administration exerce sa mission:

"sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux assemblées d'actionnaires ainsi que des pouvoirs qu'elle réserve de façon spéciale au conseil d'administration et dans la limite de l'objet social (...)."

On peut donc résumer les principes de hiérarchie et de spécialité comme suit: Le conseil d'administration ne peut empiéter sur les pouvoirs expressément réservés par la loi à l'assemblée générale et vice versa.

De même, le président du conseil d'administration ne peut empiéter sur les pouvoirs que la loi réserve de façon spéciale au conseil d'administration.

Section 2. - L'absence de consécration législative en Espagne


Bien que ces principes soient également reconnus en Espagne, ils n'ont pas obtenu de consécration législative.

Aussi certains auteurs espagnols 4 reprochent à la L.S.A. de ne pas avoir délimité de façon précise les compétences de chaque organe de la société, laissant ce soin à l'autonomie contractuelle générant ainsi une certaine insécurité fonctionnelle 5 .

En outre, la doctrine de la Dirección General del Registro y del Notariado a toujours refusé de reconnaître à l'assemblée générale des pouvoirs administratifs. Ainsi elle refuse la clause par laquelle l'assemblée assume l'administration de la société jusqu'à ce que soit nommé un nouveau conseil 6 .

De plus, elle refuse la clause statutaire qui exige l'accord de l'assemblée générale pour l'exercice de certaines facultés par l'organe d'administration 7 .

On admet ainsi le principe de spécialisation des organes, qui veut que chaque organe dispose d'une zone de compétence propre, sans qu'il puisse interférer dans un domaine qui n'est pas le sien.

D'autre part, à défaut d'avoir reçu une consécration légale, le principe de spécialisation des pouvoirs de l'organe d'administration trouve tout de même une justification dans une disposition de la L.S.A., à savoir l'article 133.

Ainsi selon l'article 133 de la L.S.A., les administrateurs sont responsables de leur gestion.

Ils doivent, en conséquence, être titulaires à titre exclusif des compétences nécessaires pour exercer la mission de gestion pour laquelle ils sont responsables 8 .

D'autant que l'assemblée générale ne peut se voir conférer de telles compétences, en raison de l'absence d'un tel régime de responsabilité à son égard.

Bien qu'étant conscient du fait que l'étude des principes précités aurait pu être envisagée sous d'autres jours et d'une manière plus détaillée; une telle tâche n'était pourtant pas dans nos objectifs, lesquels visaient uniquement à déterminer dans quel contexte s'articule l'exercice des pouvoirs au sein de l'organe d'administration, pouvoirs dont la répartition va désormais constituer le sujet d'une analyse plus fournie.

TITRE PREMIER.
LE SYSTEME LEGAL DE REPARTITION DES POUVOIRS

CHAPITRE I. L'INFORMATION DES ADMINISTRATEURS

Section 1. - Les fondements du droit à l'information

§1. - La nécessité de l'information

A. - Le rôle de l'information


L'information des administrateurs est un facteur qui conditionne directement le bon exercice des pouvoirs qui leurs sont attribués, c'est la raison pour laquelle on ne pouvait faire l'économie de son étude.

Bien au contraire, c'est de la qualité et de la quantité de l'information dont va dépendre le succès des différentes missions allouées aux administrateurs, ou à l'organe collégial que constitue le conseil d'administration.

Pour reprendre une phrase empruntée à Ernest RENAN et reprise par Raymonde BAILLOD 9 ,

"Savoir, c'est pouvoir".

La loi de 1966, tout comme la L.S.A. ont prévu des dispositions particulières concernant l'information des actionnaires 10 , pourtant, en ce qui concerne l'information des administrateurs, les deux lois restent muettes.

Lacune pour certains 11 , silence volontaire pour d'autres 12 , toujours est-il que ce thème se devait d'être précisé en raison des nombreux problèmes qu'il pose.

B. - Le titulaire du droit à l'information


Il faut tout d'abord déterminer si cette faculté d'information peut être revendiquée par chaque administrateur.

Bien que l'organe d'administration soit en France collégial, et qu'il puisse l'être également en Espagne, on reconnaît dans chaque droit que la faculté d'information correspond à chaque administrateur, en dehors de l'exercice collégial de leur fonction.

Cela se justifie par le fait que la présence d'intérêts divers au sein du conseil, présuppose qu'il en soit ainsi 13 , cela facilite également la préparation des réunions du conseil et les délibérations qui suivent.

Le thème de l'information des administrateurs, intéresse donc le droit espagnol des sociétés, tout autant que le droit français, toutefois, il semblerait qu'on lui accorde en France une importance particulière.

§2. - Son mode d'appréhension

A. - L'approche moins problématique de la doctrine espagnole


La jurisprudence française, plus influente que sa consoeur espagnole, l'a érigé au rang de droit. Loin d'en être arrivé là en Espagne, l'information des administrateurs, bien qu'estimée nécessaire, semble être envisagée par la doctrine sous un angle moins problématique qu'en France.

On peut émettre plusieurs hypothèses pour justifier cela.

Tout d'abord, le problème de l'information des administrateurs se pose en Espagne dans des termes différents, simplement parce qu'il est lié aux structures de l'organe d'administration et qu'en Espagne, le recours au conseil d'administration n'est obligatoire que dans certains cas.

On comprendra aisément qu'en présence de peu d'administrateurs, voire d'un seul, l'information des administrateurs ne pose guère de problèmes.

D'autre part, le mode de recours à cette faculté d'information peut être réglé par avance par le conseil d'administration lui-même, dans le cadre de son large pouvoir "d'autoorganisation".

B - La consécration jurisprudentielle du droit à l'information en France


La situation en France est donc bien différente, c'est en effet la jurisprudence qui fut à l'origine de la consécration du droit à l'information des administrateurs 14 .

Au départ, elle sanctionnait l'irrégularité des convocations qui empêchait les administrateurs d'assister efficacement aux délibérations 15 .

Il fallut attendre l'arrivée d'un contentieux familial qui donna lieu à des arrêts très marqués de la Cour de cassation.

Pour reprendre l'expression de Maurice COZIAN et d'Alain VIANDIER: "Il est des querelles de famille qui alimentent un contentieux tenace, tout en contribuant au progrès du droit."

Dans un arrêt du 2 juillet 1985, la chambre commerciale de la Cour de cassation venait casser un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux qui déclarait, s'agissant d'une demande d'une partie visant l'annulation des délibérations d'un conseil d'administration pour défaut de communication de documents sociaux aux actionnaires, qu'aucune disposition légale n'imposait au président de joindre à sa convocation de tels documents.

La Cour de cassation rappelait:

"Vu les articles 98 et 113 de la loi du 24 juillet 1986; - Attendu qu'il résulte de ces textes que le conseil d'administration est appelé à agir au nom de la société, qu'il s'ensuit que le président de ce conseil doit mettre les administrateurs en mesure de remplir leur mission en toute connaissance de cause (...); - Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si Mme Geneviève COINTREAU avait reçu au préalable et dans un délai suffisant l'information à laquelle elle avait droit, la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision."

Pourtant la Cour d'appel de renvoi de Paris refusa de se rallier à la position de la Cour de cassation, ce qui donna lieu à un second arrêt de la Cour en date du 24 avril 1990, qui vint réaffirmer le droit d'information de chaque administrateur.

La Cour de cassation avait déjà précisé dans le passé que le droit d'information des administrateurs s'étendait au résultat même des réunions, à savoir la communication du procès-verbal 16 .

Elle s'est même référée expressément au droit à l'information des administrateurs dans un arrêt en date du 27 mars 1990, dans lequel elle déclare 17 :

"La Cour d'appel n'a méconnu ni le droit à l'information des membres du conseil d'administration, ni leurs pouvoirs."

Ce droit à l'information va donner naissance à une obligation, celle d'informer les administrateurs, sans pour cela qu'il entraîne la disparition de celle pesant sur les administrateurs eux-mêmes, à savoir, l'obligation de s'informer. Ces questions relatives à la mise en oeuvre du droit à l'information, vont désormais constituer l'objet de notre réflexion.

Section 2. - La mise en oeuvre du droit à l'information

§1. - L'obligation d'informer

A - La justification de l'obligation


Ce droit se fonde sur la mission du conseil d'administration, d'ailleurs le visa de l'arrêt précité du 2 juillet 1985, se réfère aux articles 98 et 113 de la loi de 1966 qui régissent les rôles respectifs du conseil d'administration et de son président.

Cette solution se justifie tout a fait logiquement, car la gestion n'en sera que meilleure si les administrateurs disposent de toutes les informations susceptibles de les éclairer sur la marche des affaires sociales.

La doctrine espagnole reconnaît également ce fondement précisant qu'une bonne information conditionne une bonne gestion 18 .

On avance également, de part et d'autre, un fondement s'appuyant cette fois sur l'article 244 de la loi de 1966 qui traite de la responsabilité des administrateurs 19 .

Il faut donc, pour que l'administrateur puisse exercer les différentes missions qui lui sont allouées, que soit prévue une obligation d'informer les administrateurs, s'ajoutant à celle imposant aux administrateurs de s'informer eux-mêmes 20 .

B. - Le débiteur de l'obligation


En France, c'est le président du conseil d'administration qui est débiteur de l'information qui doit être fournie lors des réunions du conseil, ou à tout moment.

Toutefois, un auteur 21 émet quelques critiques à cette obligation d'information, prétendant qu'elle ne doit pas être: "absolument générale".

Il craint en effet, de voir certains administrateurs se décharger de toute recherche d'informations, se bornant à les attendre passivement.

Ceux-ci doivent en tout état de cause, jouer pleinement leur rôle et demander à consulter les informations facilement accessibles.

Ainsi, l'obligation du président de fournir l'information, n'exonère pas les administrateurs de l'obligation qui leur incombe de réclamer l'information 22 .

Cette solution est également partagée en Espagne. Cependant, d'autres règles viennent s'adjoindre aux précédentes en raison de la possibilité qui existe dans ce pays de déléguer certaines facultés du conseil d'administration 23 .

La doctrine s'est notamment interrogée sur le fait de savoir s'il incombait aux administrateurs délégués d'informer régulièrement le conseil de leurs agissements.

Une partie de la doctrine a approuvé cette obligation d'information régulière 24 , en revanche une autre partie, certes plus minoritaire, prétend que c'est à l'administrateur de s'informer sur les affaires en cours, puisque la méconnaissance des agissements des administrateurs délégués ne leur permet pas de s'exonérer de leur responsabilité 25 .

Avant d'aborder les sanctions qui sont attachées au respect du droit d'information, interrogeons-nous un instant sur l'efficacité pratique de ce droit.

§2. - Son respect

A - Son efficacité pratique

1 - Les limites à l'exercice de ce droit


Il faut préciser en outre, que ce droit à l'information des administrateurs supporte quelques limites qu'il sera bon de citer. En effet, les doctrines française et espagnole prévoient une limite à ce droit.

Ainsi, une demande abusive d'information effectuée en toute mauvaise foi ne saurait aboutir.

A ces limites de bon sens, la doctrine espagnole en ajoute une autre qui découle directement du pouvoir "d'autoorganisation" du conseil d'administration, qui permet la prévision d'autres limites à l'exercice du droit d'information.

2. - La position fragile de l'administrateur


On sait que le principe de la révocation "ad nutum" 26 des administrateurs est reconnu par la loi de 1966 ainsi que la L.S.A..

En conséquence, il serait possible d'assister parfois, à la révocation d'un administrateur qui se révélerait très tenace dans sa quête d'information.

La règle de la révocation "ad nutum" des administrateurs ne donnerait-elle pas ainsi une valeur purement symbolique au droit à l'information?

Il faut néanmoins relativiser ce point de vue, parce qu'en pratique la révocation d'un administrateur, éveillerait la curiosité des actionnaires quant aux motivations qui ont entraîné le départ de celui-ci.

Bien que la règle de la révocation "ad nutum" puisse atténuer quelque peu la portée du droit à l'information, l'efficacité réelle d'un droit ne se mesure qu'eu égard aux sanctions qui en assurent le respect, or en la matière les droits en présence adoptent des positions variées.

B - Les sanctions du droit à l'information

1 - La protection rigoureuse du droit français


La sanction attachée en France au non respect du droit à l'information est redoutable. En effet, elle peut entraîner la nullité des délibérations du conseil.

La solution est d'autant plus intéressante, qu'elle fut dégagée par la Cour de cassation sans pour autant qu'elle soit prévue dans la loi de 1966. Ainsi, d'après l'article 360 alinéa 2 de la loi de 1966:

"La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précèdant ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative de la présente loi ou de celles qui régissent les contrats."

Or en l'espèce, aucune disposition légale ne prévoit un quelconque droit à l'information des administrateurs.

Quant à savoir si cette nullité est d'ordre facultatif ou obligatoire, la rédaction de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 1990 27 nous démontre que la nullité est obligatoire.

Certains auteurs 28 estiment d'ailleurs que la sanction pourrait s'avérer parfois inappropriée et proposent des solutions intermédiaires.

2 - La protection moins efficiente du droit espagnol


Les sanctions, en Espagne, sont d'un tout autre ordre.

On peut justifier cela par le fait que ce droit à l'information n'est pas reconnu expressément par la jurisprudence. On ne peut donc utiliser la voie judiciaire pour le faire respecter ou pour en sanctionner après coup son non respect.

L'administrateur lésé dans son droit à l'information, pourra simplement le faire savoir lors de la cession du conseil d'administration et pourra, le cas échéant, s'opposer à l'adoption de l'accord pour lequel il n'a pas obtenu les informations suffisantes.

Cette situation nous amène à nous interroger sur la qualification même de droit à l'information, en Espagne, s'agissant d'une règle dont on aurait prévu peu ou prou aucune sanction.

CHAPITRE II. CRITERES DE REPARTITION DES POUVOIRS

Section 1. - L'incidence de la nature des pouvoirs

§1. - Le pouvoir d'administration

A. - La distinction avec le pouvoir de représentation


La L.S.A. dans son article 9 h), distingue les deux principales fonctions qui sont conférées aux administrateurs, à savoir celles d'administration et de représentation de la société:

"En los estatutos que han de regir el funcionamiento de la sociedad se hará constar: (...)

La estructura del órgano al que se confía la administración de la sociedad, determinando los administradores a quienes se confiere el poder de representación así como su régimen de actuación (...)"

Il est à noter que certains auteurs n'admettent pas qu'il existe une séparation entre l'activité d'administration et de représentation.

Ainsi, Luis SUAREZ-LLANOS GOMEZ 29 pense que les deux pouvoirs précédemment cités constituent deux notions ayant le même caractère et s'identifiant tous deux à la fonction de représentation. Il nie donc la différenciation de concept, qui semble pourtant être posée par la loi elle-même, considérant que ces deux pouvoirs expriment, certes de façon différente, une même réalité.

Cette thèse n'est pas reconnue par la majorité de la doctrine espagnole qui voit dans ces deux pouvoirs deux concepts juridiques distincts, dont les limites permettent de les différencier.

L'administration pourrait être assimilée à la gestion interne de la société tandis que la représentation concernerait les relations de la société avec l'extérieur. 30

B - Nature du pouvoir d'administration


On peut définir la fonction d'administrer, selon un auteur 31 , comme la faculté de décider des choix les plus appropriés en matière de gestion et d'activités diverses qui permettent de réaliser au mieux l'objet social, tel qu'il est défini dans les statuts.

Le pouvoir d'administrer, dans le sens qu'on lui a attribué précédemment appartient donc aux administrateurs à titre individuel, ou de façon collégiale selon le type d'organisation de l'administration choisi.

Bien que ce pouvoir soit reconnu par la loi espagnole, celle-ci ne le définit pas expressément dans un article, elle énonce en revanche un certain nombre de compétences qui sont attribuées spécialement aux administrateurs.

En voici les principales:

- Veiller au versement des dividendes passifs, articles 45 et 46 de la L.S.A..

- Souscrire les titres représentatifs des actions, article 53 de la L.S.A..

- Accomplir les obligations imposées à la société en matière d'acquisition d'actions propres, articles 79 et suivants de la L.S.A..

- Convoquer les assemblées générales et fixer leur ordre du jour, articles 94 et suivants de la L.S.A..

- Contester les accords adoptés par l'assemblée générale, article 117. 1 de la L.S.A..

- Nommer le président à défaut de stipulation contraire des statuts, article 141 de la L.S.A..

- Contester les accords du conseil d'administration, article 143. 1 de la L.S.A..

- Présenter les comptes annuels, les divers documents et rapports de gestion ainsi que les propositions d'affectations de résultats, articles 171 et suivants de la L.S.A..

- Déposer les comptes annuels au registre du commerce, article 218 de la L.S.A..

- Convoquer l'assemblée en cas de dissolution de la société, article 262 de la L.S.A..

§2. - Le pouvoir de représentation

A - Contenu du pouvoir


Il peut se définir comme:

"Un poder legal para realizar negocios jurídicos con plena eficacia respeto a la sociedad" 32 . Autrement dit, pouvoir représenter la société consiste en la possibilité de conclure des accords juridiques qui seront opposables à la société.

Notons que la L.S.A. a réalisé en la matière un changement important, puisqu'avant l'entrée en vigueur de la loi de 1989, réformant les dispositions relatives à la société anonyme, l'ancienne loi de 1951 prévoyait dans son article 76, que la représentation de la société devant être confiée au conseil d'administration, ou à défaut, déterminée par les statuts et accords de l'assemblée générale.

Depuis 1989, le pouvoir de représentation est déterminé de façon restrictive par la loi.

Ainsi, la L.S.A. nomme précisément les bénéficiaires du pouvoir de représentation. Les titulaires de ce pouvoir varient selon le mode d'organisation de l'administration qui a été choisi par la société.

B. - L'attribution de ce pouvoir

1 - Les titulaires du pouvoir de représentation


Cette règle résulte de l'article 124. 2 du R.R.M.:

"En los estatutos se hará constar tambien a que administradores se confiere el poder de representación, así como su régimen de actuación, de conformidad con las siguientes reglas:

a)En el caso de administrador único, el poder de representación corresponderá necesariamente a éste.".



Ainsi en cas d'administrateur unique, le pouvoir de représentation lui appartiendra exclusivement.

"b) En caso de varios administradores solidarios, el poder de representación corresponde a cada administrador, sin perjuicio de las disposiciones estatutarias o de los acuerdos de la junta sobre distribución de facultades, que tendrán un alcance meramente interno.".


Lorsque l'administration sera confiée à plusieurs administrateurs agissant à titre solidaire, le pouvoir de représentation appartiendra à chacun d'entre eux à titre individuel.

Le point b) de l'article 124. 2 précise, in fine, que les clauses statutaires ou accords de l'assemblée générale accordant des distributions de facultés à titre particulier, n'auront qu'un effet interne à la société.

Cela ne peut modifier en rien le fait que le pouvoir de représentation soit confié à chaque administrateur, car cette règle qui est d'ordre public est destinée à protéger les tiers 33 .

"c) En el caso de dos administradores conjuntos, el poder de representación se ejercitará mancomunadamente."


Autrement dit, la représentation de la société se réalisera de manière conjointe lorsque l'administration de la société sera confiée à deux administrateurs agissant à titre conjoint.

En outre, un auteur espagnol 34 déclare qu'il serait possible qu'un administrateur charge de pouvoirs son collègue, toutefois ces pouvoirs ne devront pas être confiés dans des termes généraux et ne pourront être accordés que pour une durée déterminée.

D'autre part ce même auteur prétend que cette représentation conjointe n'exige pas nécessairement un accord simultané, mais qu'elle peut également se réaliser par une manifestation de volonté successive.

"d) En el caso de consejo de administración, el poder de representación corresponde al proprio consejo, que actuará colegiamente. No obstante, los estatutos podrán atribuir, además, el poder de representación a uno o varios miembros del consejo a titulo individual o conjunto."


Ainsi lorsque l'administration sera confiée à un conseil d'administration, le pouvoir de représentation de la société sera confié au conseil d'administration.

Il s'agira donc d'une attribution collégiale de la fonction représentative.

En outre, la L.S.A. prévoit dans son article 124. 2 R.R.M. in fine que les statuts de la société pourront attribuer cette fonction à titre individuel ou conjoint, à un administrateur voire même plusieurs.

2 - Les modifications du système prévu par la loi


La doctrine notariale a répété à maintes reprises 35 que la distribution de compétences effectuée par la loi ne pouvait être modifiée par l'assemblée générale, qui ne pouvait bénéficier de pouvoir représentatif.

La seule voie restant à la société pour modifier le système de répartition du pouvoir de représentation est celle de la modification des statuts, qui doit s'opérer en respectant les prévisions de l'article 124. 2 R.R.M..

Ainsi on ne peut changer l'attribution du pouvoir de représentation qu'en modifiant la structure même de l'organe d'administration.

Section 2. - Incidence de l'organe en présence


La loi de 1966 n'adopte pas la même attitude que la L.S.A.. Alors que cette dernière appréhende le problème de la répartition des pouvoirs au sein de l'organe d'administration en fonction de la nature même du pouvoir, distinguant ainsi le pouvoir d'administration du pouvoir de représentation; la loi de 1966 fait une approche différente du problème, puisqu'elle traite des pouvoirs du conseil d'administration selon l'organe en présence. Elle distingue donc les pouvoirs conférés au conseil de ceux attribués à son président.

§1. - Les pouvoirs conférés au conseil d'administration

A. - L'étendue de ses pouvoirs


Le conseil d'administration dispose de pouvoirs propres qui sont dévolus à l'organe lui-même et non aux administrateurs à titre individuel.

La mission qui lui est attribuée par la loi est définie dans l'article 98 de la loi de 1966:

"Le conseil d'administration est investi des pouvoirs étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société; (...)".

Une loi du 12 juillet 1967 est venue modifier le premier alinéa de l'article 98, supprimant une portion de phrase qui indiquait que le conseil d'administration était investi des pouvoirs de gestion. La suppression des mots "de gestion" a été réalisée par le législateur pour éviter toute discussion sur le contenu réel de ces pouvoirs de gestion 36 .

Cette rectification permit en outre, d'aligner les pouvoirs du conseil d'administration sur ceux du directoire, lequel est également investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société 37 .

Le conseil dispose donc de pouvoirs propres, c'est un organe "de réflexion et de décision, chargé de la gestion générale" 38 .

B - Leur classification


Il est possible de classifier ses principaux pouvoirs afin de les répartir dans plusieurs catégories. On distingue donc les pouvoirs d'ordre général, spécial ainsi que ceux d'autorisation.

1 - Les pouvoirs généraux


Les pouvoirs d'ordre général sont définis dans l'article 98 de la loi de 1966, et consistent pour le conseil à définir la politique générale de la société.

2. - Les pouvoirs spéciaux


Les pouvoirs spéciaux sont de deux ordres 39 , il s'agit tout d'abord d'attributions permanentes, dont les principales sont les suivantes:

- Nomination et révocation du président (article 110 de la loi de 1966).

- Etablissement et présentation de divers documents et rapports de gestion. (articles 340 et 157 alinéa 2 de la loi de 1966).

- Convocation des assemblées générales (article 158 de la loi de 1966).


Il s'agit ensuite d'attributions occasionnelles, qui sont bien moins fréquentes que celles précédemment énoncées:

- Cooptation d'administrateurs (article 94 de la loi de 1966).

- Déplacement du siège social dans le même département ou dans un département limitrophe. (article 99 de la loi de 1966).

- Nomination des membres des comités d'études (article 90 alinéa 2 du décret du 23 mars 1967)

3 - Les pouvoirs d'autorisation


Ces pouvoirs d'autorisation s'exercent dans le cadre des conventions entre la société et ses administrateurs concernant un certain type de contrats.

Ces derniers doivent être autorisés par le conseil et approuvés par l'assemblée générale, conformément aux dispositions prévues dans les articles 101 à 105 de la loi de 1966.

Les cautions, avals ou garanties doivent être également autorisés par le conseil dans la limite d'un certain montant et d'une certaine durée, en application de l'article 89 du décret du 23 mars 1967.

§2. - Les pouvoirs conférés au président

A. - Définition légale de ses pouvoirs


Organe parfois qualifié d'essentiel à la société 40 , la loi de 1966 dote le président du conseil d'administration de pouvoirs importants, elle énumère ses différentes prérogatives dans l'article 113 de la loi de 1966:

"Le président du conseil d'administration assume, sous sa responsabilité, la direction générale de la société. Il représente la société dans ses rapports avec les tiers.

Sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux assemblées d'actionnaires ainsi que des pouvoirs qu'elle réserve de façon spéciale au conseil d'administration, et dans la limite

de l'objet social, le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société (...)."

Le président du conseil d'administration dispose donc en France d'attributions que l'on peut classer dans trois groupes de compétences.

B - Sa triple compétence

1. - La présidence du conseil d'administration


Il détient en premier lieu la présidence du conseil d'administration , ce qui lui permet à ce titre:

- de diriger les débats,

- de convoquer le conseil,

- de fixer son ordre du jour,

- de bénéficier d'une voix prépondérante en cas de partage, sauf disposition contraire des statuts, conformément à l'article 100 alinéa 3 de la loi de 1966.

2 - Le pouvoir de direction générale


On doit lui reconnaître en second lieu le pouvoir de direction générale de la société.

Cumulé avec le premier cité, ces deux pouvoirs lui valent la qualification fréquente en pratique de P.D.G., ou plus précisément président-directeur général.

3 - Le pouvoir de représentation de la société


Enfin le président du conseil d'administration dispose du pouvoir de représentation de la société, prérogative qui lui est conférée expressément par la loi et ce, à titre individuel 41 .

En outre, il convient de préciser que le conseil d'administration ainsi que son président jouissent de pouvoirs concurrents. En effet, tous deux sont investis des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société.

Notons toutefois que le conseil délibère et décide, tandis qu'il laisse le soin d'agir au président.

L'étude des différents critères de répartition des pouvoirs nous a permis d'observer que les droits français et espagnol n'abordent pas cette question dans des termes identiques.

Le premier l'envisage sous l'angle de l'organe en présence, en revanche, le second tient compte avant tout de la nature du pouvoir.

Ainsi, après avoir achevé l'énumération des principaux pouvoirs, il nous est loisible désormais d'aborder l'appréciation critique des systèmes respectifs de répartition des pouvoirs.

CHAPITRE III. EXAMEN CRITIQUE DES SYSTEMES RESPECTIFS

Section 1. - Appréciation des divers modes d'attribution des pouvoirs

§1. - Méthode commune d'attribution légale des pouvoirs

A - Recherche du même objectif


On peut remarquer à titre préliminaire que les deux droits consacrent une attribution légale des pouvoirs, en soulignant tout de même que le droit espagnol reste imprécis quant à la définition même du pouvoir d'administrer, ce qui se justifie sans doute par le fait que la L.S.A. ne veuille pas lui reconnaître un sens trop restrictif.

Il faut préciser que cette attribution légale de compétences poursuit en Espagne comme en France un même but, celui d'assurer une plus grande sécurité juridique notamment dans les rapports qu'entretiennent les tiers avec la société. Ces derniers ne pourront craindre une répartition incertaine des pouvoirs.

Ainsi les lois française et espagnole définissent précisément et restrictivement les pouvoirs légaux des organes, laissant très peu de place à la volonté individuelle, ce qui est assez surprenant de la part de la L.S.A., qui jusqu'ici s'était révélée bien plus flexible que la loi de 1966. Mais comme nous l'avons précisé précédemment, elle fut guidée par un souci de protection des tiers.

B - Les limites aux pouvoirs des organes


Notons que les droits français et espagnol posent des limites aux pouvoirs des organes d'administration dont nous n'en étudierons pas le contenu en détail. Il convient néanmoins de préciser que les deux droits prévoient des limites tenant d'une part, au respect des pouvoirs attribués par la loi à d'autres organes, d'autre part à l'objet social et en dernier lieu à des clauses statutaires.

Il est bien évident que le droit français, comme le droit espagnol reconnaissent de concert que ces limites ne jouent que dans les rapports internes à la société et sont inopposables aux tiers 42 .

§2.- L'attribution statutaire des pouvoirs prévue par la L.S.A.

A.- L'espace restreint accordé à la volonté individuelle


La L.S.A. concède une certaine place à la volonté individuelle, cette liberté relative s'exprime lorsque la société décide de confier son administration à un conseil. Dans ce cas précis nous avons vu précédemment que les pouvoirs d'administration et de représentation devaient s'exercer collégialement mais que les statuts pouvaient, en outre, attribuer le pouvoir de représentation à un ou plusieurs administrateurs à titre individuel ou conjoint 43 .

Sous cet aspect, la L.S.A. paraît donc moins rigide que la loi de 1966, cependant cet apport de souplesse est à l'origine d'un débat doctrinal qui repose sur une notion qui fonde l'existence même du conseil d'administration, à savoir le principe de collégialité.

B - Le débat doctrinal



Si la doctrine espagnole est d'accord pour affirmer que le pouvoir de représentation est attribué de façon collégiale au conseil d'administration, un auteur espagnol 44 estime que l'article 124. 2 d) in fine, permet de contourner cette règle:
"No obstante, los estatutos podrán atribuir el poder de representación a uno o varios miembros del consejo a título individual o conjunto."

Il prétende que les statuts peuvent soustraire au conseil, le pouvoir de représentation de la société qui serait confié à certains administrateurs, à titre individuel ou conjoint.

Selon cette théorie, le conseil d'administration serait l'organe de gestion interne de la société et non de représentation de celle-ci dans le cas où les statuts en disposent ainsi.

Pour une autre partie de la doctrine espagnole 45 , la possible attribution statutaire du pouvoir de représentation à titre individuel ou conjoint ne se substitue pas à celle collégiale organisée par la loi et conférée au conseil d'administration.

En effet, si l'on admettait la première théorie, les statuts pourraient non seulement contourner mais également vider de tous sens une disposition légale, qui deviendrait dès lors inutile.

Le pouvoir de représentation appartiendrait donc au conseil qui l'exercerait de manière collégiale, il pourrait également être confié à titre complémentaire à certains membres du conseil selon les stipulations statutaires en conformité avec la loi.

Cette solution semblerait plus conforme à l'esprit de la loi qui entendrait attribuer ce pouvoir au collège d'administrateur et accessoirement à un ou plusieurs administrateurs, ceci afin de rendre plus souple la représentation de la société.

Ce gain de souplesse présente un grand intérêt, spécialement lorsque le conseil d'administration est composé d'un nombre important d'administrateurs.

§3. - Pouvoirs attribués au président du conseil d'administration

A - Sa position respective


L'étude des systèmes respectifs permet également de constater que le président du conseil d'administration jouit d'une position bien plus importante en droit français. Ce qui lui vaut d'être comparé par certains à "uncapitaine qui définit le cap à suivre 46 " ou à "un président de la République 47 ". Ces métaphores illustrent justement la position de force que le président occupe au sein du conseil en droit français.

En revanche, le président dispose en Espagne, des pouvoirs que l'on veut bien lui accorder statutairement. C'est avant tout un administrateur et ce titre est en pratique bien souvent honorifique, à l'image du président du conseil d'administration en France, avant 1940.

B. - Perspective d'évolution en France


Notons que sa position en France n'est pas sur le point d'évoluer, puisque le rapport MARINI, n'envisage pas de modification de ses pouvoirs, il préconise seulement de permettre la dissociation des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général 48 .

Cette option, dont le choix serait laissé à chaque entreprise, pourrait permettre de distinguer les fonctions de direction et de contrôle.

Ajoutons d'une part, que cet objectif peut être également atteint à l'heure actuelle grâce à la société anonyme à directoire et conseil de surveillance, d'autre part, on peut émettre des doutes quant à l'efficacité d'une telle mesure si l'on se fait l'écho de certaines remarques venant d'auteurs comme Philippe MERLE, qui déclare que "cette dissociation existait jusqu'à la dernière guerre et que c'est pour mettre fin aux dysfonctionnements en résultant que les deux fonctions ont été réunies" 49 .

Bien que les droits français et espagnol aient pris le soin d'attribuer positivement les pouvoirs aux administrateurs ou au conseil selon les cas, cet effort du législateur n'a pas eu le succès mérité, tout du moins espéré, puisque cela n'a pas empêché que l'on reproche à certaines dispositions légales leur manque de clarté, pis, leur contradiction.

Section 2. - Les incertitudes propres à chaque droit

§1. - L'imprécision du droit français

A - Le manque de clarté


Un certain manque de clarté peut être avancé, en France, s'agissant des pouvoirs que la loi de 1966 reconnaît au conseil d'administration et à son président.

Ainsi les deux organes sont "investis des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société" 50 .

La doctrine française ne manque pas de qualificatifs pour exprimer sa critique à l'égard de cette identité de rédaction.

"Imperfection de rédaction" 51 . pour certains, "similitude surprenante" 52 pour d'autres, quelques auteurs y voient là "un manque de netteté" 53 ou "une rédaction non satisfaisante" 54 .

Toutefois cette similitude doit être replacée dans son contexte, ainsi le conseil d'administration et son président ne travaillent pas séparément mais au contraire coopèrent.

B - Ses incidences


Plutôt que d'envisager leurs rapports sous l'angle d'une concurrence, il est préférable de la considérer comme une collaboration nécessaire entre deux organes, dont l'un est collégial et l'autre est une personne physique qui peut davantage assurer l'exécution des décisions adoptées en conseil. On comprend mieux pourquoi la L.S.A. permet aux statuts de confier à un administrateur, personne physique, le pouvoir de traiter avec des tiers afin d'assurer une représentation plus efficace de la société. On doit reconnaître que les deux organes ont donc "nécessairement une tâche commune, seuls diffèrent les rôles des deux partenaires 55 ".

Cette concurrence de compétences pourrait même présenter des avantages:

"La faculté très large laissée au conseil de répartir les compétences en son sein est indispensable au bon fonctionnement des organes sociaux des entreprises en raison même de leur diversité et de la variété des circonstances qu'elles traversent (...) s'il appartient au président d'élaborer et de proposer la stratégie de l'entreprise, celle-ci doit être arrêtée en conseil. Celui-ci doit, en conséquence, examiner et décider les opérations d'importance véritablement stratégique." 56 .

Si le législateur français n'a pas eu la plume heureuse, dans des proportions qui restent toutefois acceptables puisque ce manque de clarté se justifie aisément et peut se révéler en pratique avantageux; le législateur espagnol, quant à lui, s'est vu reproché un temps, d'avoir posé deux normes dont le sens était quelque peu contradictoire.

§2. - La contradiction apparente du droit espagnol

A - La contradiction légale


Cette contradiction se rencontre au sein des articles 9 h) et 128 de la L.S.A..

Selon l'article 9 h):"En los estatutos que han de regir el funcionamiento de la sociedad se hará constar: (...)la estructura del órgano al que se confía la administración de la sociedad, determinando los administradores a quienes se confiere el poder de representación así como su régimen de actuación, de conformidad con lo dispuesto en esta Ley y en el Reglamento del Registro Mercantil. (...)".

D'après l'article 128:"La representación de la sociedad en juicio o fuera de él, corresponde a los administradores en la forma determinada por los estatutos.".

L'article 128 de la L.S.A. reconnaissait qu'en matière de représentation, la liberté statutaire se limitait à l'élection de l'organe d'administration à qui l'on attribuait, selon la structure choisie, le pouvoir de représentation. Au contraire l'article 9 h) érigeait comme principe la liberté des statuts quant à l'attribution du pouvoir de représentation aux administrateurs, dont les modalités d'exercice devaient être inscrites dans les statuts de la société.

B - Rôle providentiel du règlement


Il fallait bien résoudre cette contradiction entre deux articles de la L.S.A.. Ce fut chose faite grâce à l'article 124. 2 R.R.M. qui vint mettre un terme à la discussion, puisqu'il adopta une position intermédiaire, choisissant la voie du compromis, tout en affirmant une position ferme en matière de représentation de la société.

Comme nous l'avons vu précédemment, l'attribution de ce pouvoir, dont la répartition dépend de la structure de l'organe d'administration choisie, est clairement établie par la L.S.A. et ne laisse ainsi aucune place à l'initiative individuelle, hormis le cas où l'administration de la société est confiée à un conseil.

Le rôle ici primordial qu'a joué le règlement pour sauver la loi de l'apparente contradiction qui la menaçait, fait dire à EMILIANO CANO FERNANDEZ qu'en matière de représentation, on en arrive à une conclusion déjà bien ancienne, à savoir que les règlements en Espagne ne se limitent pas à développer une loi, mais qu'ils la modifient et la réforment parfois 57 .

Même si en l'espèce, il s'agit davantage d'une clarification que d'une véritable modification ou réforme à proprement dit.

En outre, nous pouvons remarquer que les droits français et espagnol établissent clairement l'existence du pouvoir de représentation de la société, cependant son attribution varie nettement d'un droit à l'autre. Alors qu'il appartient à titre individuel et de manière exclusive en France au président du conseil d'administration, son attribution en Espagne dépendra de la structure de l'organe d'administration, et pourra même être attribué collégialement.

On peut donc en arriver à la conclusion suivante, en Espagne, les fonctions d'administration et de représentation peuvent appartenir aux mêmes personnes.

Toutefois, en matière de conseil d'administration il est fréquent en pratique, que le pouvoir de représentation soit également attribué statutairement au président du conseil , ce qui permet de rapprocher dans ce cas précis les systèmes français et espagnol.

L'étude des divers modes d'attribution des pouvoirs envisagés par chaque droit, nous a permis de déterminer quelles pouvaient être les différentes voies offertes par les lois respectives, pour structurer l'organisation interne des pouvoirs au sein de l'organe d'administration.

Toutefois, les droits français et espagnol prévoient, chacun pour leur part, un système facultatif de répartition des prérogatives qui permet de modeler le schéma légal d'organisation des pouvoirs, afin de l'adapter aux besoins propres à chaque société. C'est ce thème qu'il nous faut aborder dès à présent.

TITRE SECOND.
LES MODES FACULTATIFS DE REPARTITION DES POUVOIRS

CHAPITRE I. LES DIFFERENTES TECHNIQUES ENVISAGEABLES


Toute société anonyme, française ou espagnole, se doit de respecter, concernant l'organisation de son administration, un schéma légal obligatoire, tout en disposant, pour déterminer sa configuration, d'une marge plus ou moins grande de liberté selon le droit en présence.

En outre, il lui est possible, par le biais de diverses techniques juridiques, d'effectuer une répartition spécifique des pouvoirs au sein du conseil d'administration, en donnant parfois naissance à de nouveaux organes. Elle pourra même envisager de faire appel à des tiers auxquels elle confiera certains pouvoirs.

Ce sont ces techniques qu'il convient désormais d'analyser en détail.

Section 1. - La délégation des pouvoirs

§1. - Les différences d'approche des deux systèmes juridiques

A - Les concepts en présence

1 - la délégation en tant que technique juridique


Les droits espagnol et français n'appréhendent pas la question de la délégation de pouvoirs de la même façon, bien qu'ils l'admettent tous deux.

Ainsi le droit espagnol envisage la délégation de pouvoirs comme une technique juridique permettant d'attribuer certains pouvoirs à des administrateurs à titre particulier.

Il lui consacre d'ailleurs un article dans la L.S.A., l'article 141 qui se nomme "Régimen interno y delegación de facultades", autrement dit régime interne et délégation de pouvoirs.

Le conseil pourra, selon les cas, décider d'utiliser cette technique pour attribuer spécifiquement certains pouvoirs à un ou plusieurs administrateurs voire même à une commission.

2 - La création d'un organe disposant de pouvoirs délégués


En France, la situation est tout autre, puisqu'il sera loisible au conseil de choisir un nouvel organe qui sera doté de pouvoirs délégués par le conseil.

On ne choisit donc pas, comme en Espagne, de recourir à une technique juridique, mais bien de décider ou non de la création d'un organe qui bénéficiera de pouvoirs délégués.

On envisage d'abord le problème sous l'angle de l'organe, alors qu'en Espagne c'est en premier lieu grâce à une technique juridique, en l'occurrence la délégation, que l'on peut éventuellement donner naissance à de nouveaux organes.

Le droit français ne consacre d'ailleurs aucun article à la délégation de compétences contrairement à l'Espagne. On en retrouve simplement la trace dans divers articles, notamment l'article 112 de la loi de 1966:

"le conseil d'administration peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président"

De même dans l'article 117 de la loi de 1966:

"le conseil d'administration détermine l'étendue et la durée des pouvoirs délégués."

Cette différence d'approche permet de justifier certaines spécificités de notre droit français, notamment le fait qu'il incombe au conseil d'administration, selon l'article 117 de la loi de 1966, de déléguer certains pouvoirs, dont celui de représentation, qui ne relève pourtant pas de sa compétence mais de celle du président du conseil d'administration. Elle permet également d'expliquer que certaines délégations de pouvoirs ne soient fondées sur aucun texte légal et qu'elles s'exercent dans le silence le plus profond de la loi.

B - La délégation de pouvoirs propre au droit espagnol

1 - Le texte applicable


La délégation de compétence est consacrée en Espagne dans l'article 141. 1 de la L.S.A.:

"Cuando los estatutos de la sociedad no dispusieran otra cosa, el consejo de administración podrá (...) designar de su seno una comisión ejecutiva o uno o más consejeros delegados, sin perjuicio de los apoderamientos que pueda conferir a cualquier persona."

Cet article, illustre une nouvelle fois de quelle manière la L.S.A. maintient un système libéral d'attribution des facultés, puisqu'elle permet au conseil d'administration, lorsque les statuts n'en disposent pas autrement, de désigner en son sein un ou plusieurs conseillers délégués ou bien une commission exécutive.

Cette faculté de délégation de pouvoirs ne s'exerce qu'en présence d'un organe collégial d'administration, autrement dit le conseil d'administration, et qu'au profit d'administrateurs.

Cette délégation de pouvoirs ne concerne donc que le conseil d'administration parce que dans les cas d'administration unipersonnelle, solidaire ou conjointe, le souci de concentration du pouvoir et de liberté de mouvement, qui constituent les objectifs prioritaires de la délégation, ne sont pas ressentis dans les mêmes termes 58 .

2 - La structure de l'organe délégué


En outre la structure de l'organe délégué peut se présenter sous diverses formes. Il peut s'agir d'un administrateur délégué unique, ou de plusieurs administrateurs délégués agissant à titre solidaire ou conjoint, enfin le conseil peut déléguer certains pouvoirs à une "commission exécutive" qui sera un organe collégial.

De même, il sera possible d'envisager la coexistence d'administrateurs délégués et d'une "commission exécutive".

Cette situation sera fréquente en pratique dans de grandes sociétés où l'on désire attribuer certains points précis de la gestion sociale à la commission, tandis que la gestion quotidienne de la société sera confiée aux administrateurs délégués.

C - Le système français de la délégation de pouvoirs


Le système de délégation de pouvoirs est en France très différent. Il ne faut pas rechercher dans la loi de 1966 une quelconque disposition traitant de la délégation de pouvoirs en tant que telle, mais plutôt ici et là quelques références qui permettent de déduire que le droit français admet restrictivement certaines délégations de pouvoirs.

1 - Les délégations d'origine légale


On peut en dénombrer trois d'origine légale, dont la première ne s'applique qu'en cas d'empêchement temporaire ou de décès du président. Ainsi selon l'article 112 de la loi de 1966:

"En cas d'empêchement temporaire ou de décès du président, le conseil d'administration peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président.

En cas d'empêchement temporaire, cette délégation est donnée pour une durée limitée; elle est renouvelable. En cas de décès, elle vaut jusqu'à l'élection du nouveau président."

Il s'agit donc là d'une délégation temporaire qui vaut jusqu'au retour du président ou le cas échéant, jusqu'à l'élection d'un nouveau président.
La seconde délégation est visée dans l'article 117 de la loi de 1966:

"En accord avec son président, le conseil d'administration détermine l'étendue et la durée des pouvoirs délégués aux directeurs généraux. (...)"

Il est ici fait référence à la délégation de pouvoirs consentie par le conseil d'administration au profit d'un directeur général, chargé d'assister le président du conseil dont l'existence est prévue à l'article 115 de la loi de 1966:

"Sur la proposition du président, le conseil d'administration peut donner mandat à une personne physique d'assister le président à titre de directeur général. (...)"

On consacre donc en l'espèce, l'existence d'un organe facultatif dont les pouvoirs ont été délégués par le conseil d'administration.
En troisième lieu, il faut évoquer un autre type de délégation consentie par le conseil d'administration.

Ainsi, l'article 90 alinéa 1er du décret du 23 mars 1967 permet au conseil d'administration de:

"conférer à un ou plusieurs de ses membres ou à des tiers actionnaires ou non, tous mandats spéciaux pour un ou plusieurs objets déterminés.".

2 - La création de la pratique


En marge de ces trois types de délégations de pouvoirs reconnues par la loi, il en existe une quatrième qui s'opère cette fois dans le silence de la loi.

Elle n'est pas consentie par le conseil d'administration, à la différence de celles précédemment énoncées, elle est en effet accordée par son président.

Ainsi, il est possible pour un président, en l'absence même de stipulations statutaires, de déléguer partiellement ses pouvoirs, notamment sous forme de procuration à un tiers à condition que ce soit un ou plusieurs objets déterminés 59 .

Cette délégation de pouvoirs consentie par le président ne peut être totale, le président ne peut donc pas confier l'ensemble de ses pouvoirs.

Ceci aurait pour conséquence, d'entraîner la substitution d'un tiers dans les fonctions de direction générale 60 .

La jurisprudence a d'ailleurs précisé que le président pouvait confier des mandats spéciaux et temporaires 61 .

Enfin il importe peu que les statuts n'aient pas envisagé cette possibilité de délégation partielle de pouvoirs 62 .

3 - L'absence de principe général de délégation


On peut donc affirmer, à l'issue de cette présentation des différents cas de délégations de pouvoirs reconnus respectivement par les divers droits en présence, qu'il n'existe pas en droit français, à la différence du droit espagnol, de principe général de délégation de compétences, mais que sont reconnues à titre sporadique certaines délégations qui s'appliquent à des situations précises, et qui sont régies minutieusement par la loi.

D'autre part, alors que le droit espagnol réserve la délégation de pouvoirs aux administrateurs, le droit français rend possible la délégation tantôt à des administrateurs, tantôt à des actionnaires voire également à des tiers non actionnaires.

Avant d'entamer l'étude des pouvoirs attribués aux organes délégués, il convient de s'interroger sur la notion même d'organe.

§2. - La notion d'organe

A. - Discussion de la qualification d'organe

1 - La solution posée en France


Ainsi, cette qualification peut paraître évidente en France lorsque l'on songe au directeur général dont le rôle au sein de l'organisation de l'administration de la société peut se révéler indispensable, et dont la fonction, qui, prévue par la loi lui confère à l'égard des tiers, les mêmes pouvoirs que le président.

Il est facultatif, certes, tout comme l'administrateur délégué, ce qui n'empêche nullement que l'on puisse leur conférer la qualification d'organe de la société.

2. - Les problèmes soulevés par la doctrine espagnole


La situation est moins évidente en Espagne, certains auteurs émettent notamment quelques réserves quant à la qualification devant être attribuée aux administrateurs délégués.

Ainsi, un auteur espagnol 63 , prétend que l'administration de la société ne peut être confiée qu'à un seul organe. Il se justifie en s'appuyant sur un texte de la L.S.A., à savoir l'article 9 h) de la L.S.A. qui précise:

"La estructura del órgano al que se confía la administración de la sociedad.".

Toutefois, telle n'est pas la position de la majorité de la doctrine espagnole 64 , qui s'appuie quant à elle sur certaines dispositions de la L.S.A., notamment l'article 11 h):

"órgano u órganos que habrán de ejercer la administración"

Ainsi que sur l'article 143 de la L.S.A.:

"consejo de administración o cualquier otro órgano colegiado de administración"

Mais elle se fonde également sur l'article 149. 3 du R.R.M.:

"El ámbito del poder de representación de los órganos delegados".

Ainsi, la délégation donnerait lieu à la création d'un organe social, et la relation unissant l'organe à la société serait d'ordre organique. Solution reprise par la majorité de la doctrine 65 , et confirmée par la jurisprudence du Tribunal Suprême Espagnol 66 , qui déclare qu'il existe bien une relation organique au sein de l'administration sociale dont les pouvoirs s'exercent directement, ou par le biais de la délégation interne 67 .

Afin de mieux comprendre l'étendue des pouvoirs qui pourront être conférés par la voie de la délégation de compétences, il faut tout d'abord s'interroger un instant sur l'initiative de la création de l'organe délégué.

B. - L'initiative de la création de l'organe délégué

1 - La distinction entre la nomination des membres de l'organe et le choix de sa structure


En Espagne, l'article 141 de la L.S.A. semble indiquer qu'il revient au conseil à titre exclusif, en l'absence de stipulations statutaires contraires, de créer l'organe délégué.

Toutefois, la doctrine espagnole s'est interrogée sur les différentes clauses statutaires envisageables.

Pour un auteur espagnol 68 , les clauses statutaires attribuant la création de l'organe délégué ainsi que la détermination de ses compétences à l'assemblée générale sont valables.

D'autres auteurs ne manquèrent pas de reprocher à cette thèse le fait qu'elle permette à l'assemblée générale d'empiéter sur les compétences du conseil d'administration en matière de nomination des administrateurs délégués 69 .

La majorité de la doctrine semble se rallier à une solution intermédiaire qui consisterait à déclarer valables les clauses statutaires confiant à l'assemblée générale le pouvoir de déterminer la structure de l'organe délégué, dont la désignation des membres reviendrait au conseil d'administration 70 .

2. - Initiative liée au type de la délégation


De tels problèmes ne se posent pas en France où le pouvoir d'initiative de création de l'organe délégué dépend du type de délégation visé.

Ainsi la désignation de l'administrateur délégué revient au conseil d'administration, tout comme la désignation du directeur général qui s'opère néanmoins sur la proposition du président du conseil d'administration 71 .

C'est également à l'initiative du conseil que peuvent être conférés à un ou plusieurs de ses membres ou à des tiers actionnaires ou non, tous mandats spéciaux pour un ou plusieurs objets déterminés 72 .

En revanche, il revient au président de décider de la délégation de ses pouvoirs dans les limites précédemment énoncées.

Il nous faut désormais entamer l'étude du contenu des pouvoirs attribués aux organes délégués, afin de déterminer quelles sont les facultés qui peuvent être déléguées, mais aussi quelles sont les limites à la délégation.

§3. - Pouvoirs attribués aux organes délégués


S'agissant des facultés pouvant être déléguées, il paraît souhaitable de distinguer celles qui sont attribuées de façon générale et celles conférées plus spécifiquement.

A - Pouvoirs attribués de façon générale


Les droits français et espagnol présentent certaines similitudes quant aux pouvoirs attribués, même si les titulaires varient d'un droit à l'autre.

1 - Le directeur général en France


Ainsi, le directeur général dispose, selon l'article 117 alinéa 2 de la loi de 1966, à l'égard des tiers, des mêmes pouvoirs que le président 73 . Autrement dit, il est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société, de même qu'il détient le pouvoir de représenter la société dans ses rapports avec les tiers.

Toutefois, il est possible pour le conseil d'administration, en accord avec son président, de limiter ses pouvoirs. Mais il est bien évident que ces limitations ne seront efficaces que dans l'ordre interne à la société et seront inopposables aux tiers.

2 - Les administrateurs délégués en Espagne


Les administrateurs délégués espagnols disposent également de larges pouvoirs, puisque selon l'article 141. 1 deuxième alinéa de la L.S.A.:

"En ningún caso podrán ser objeto de delegación la rendición de cuentas y la presentación de balances a la junta general, ni las facultades que esta conceda al consejo, salvo que fuese expressamente autorizado por ella."

Ainsi, l'article 141 de la L.S.A. détermine quelles sont les facultés que le conseil d'administration peut déléguer. Pour se faire, il énumère négativement les attributions que ce dernier ne pourra déléguer. On compte parmi elles, la présentation des comptes annuels et bilans à l'assemblée générale ainsi que les pouvoirs concédés par cette dernière au conseil à moins qu'elle ne l'y autorise expressément. On peut donc en déduire, par une interprétation a contrario de l'article 141, que toutes les facultés dont disposent le conseil d'administration peuvent être déléguées, hormis celles expressément énumérées dans l'article.

Le conseil dispose donc d'une grande liberté dans le choix de ces facultés, ce choix pourra porter aussi bien sur le pouvoir d'administration que celui de représentation.

S'agissant des limites au pouvoir de représentation, comme l'indique l'article 149. 3 du R.R.M. 74 , elles sont identiques à celles qui s'appliquent à tout administrateur, règle générale que nous avons déjà étudiée, et qui est posée dans l'article 129 de la L.S.A..
L'article 141 de la L.S.A. énumère certaines exceptions au principe général de délégations de compétences.

a ) La présentation des comptes et bilans


La loi, en indiquant cette prohibition, souhaite que les administrateurs connaissent et surveillent les comptes de la société.

Elle désire, selon les dires d'un auteur 75 , impliquer personnellement chaque administrateur puisque l'assemblée générale pourra approuver les comptes de l'exercice, tout comme elle pourra censurer la gestion sociale.

b ) Les pouvoirs concédés par l'assemblée générale au conseil d'administration


La seconde limite à la délégation de compétences a trait aux pouvoirs concédés par l'assemblée au conseil d'administration. Il est toutefois possible de passer outre si l'assemblée générale autorise expressément le conseil d'administration à déléguer de tels pouvoirs.

Cependant, il n'est pas chose facile de déterminer quelles sont les pouvoirs que l'assemblée générale peut conférer au conseil. En effet, nous avons déjà remarqué que la L.S.A. ne pratiquait pas une délimitation précise des pouvoirs revenant à chaque organe de la société.

Cet état de fait amène bon nombre d'auteurs 76 à estimer que seules pourront être déléguées par le conseil, les facultés de l'assemblée générale que la loi elle-même autorise à concéder au conseil.

On peut citer en exemple l'article 153 de la L.S.A. 77 , qui permet à l'assemblée générale de déléguer certains pouvoirs, dont la faculté d'autoriser l'augmentation de capital ainsi que de l'exécuter.

Notons en outre que le droit espagnol distingue les délégations permanentes et temporelles, bien que ces dernières soient peu fréquentes en pratique, certains auteurs 78 lui dénigrant même la qualification de délégation.

Toujours est-il que selon l'article 140. 2 de la L.S.A., la délégation permanente de pouvoirs requiert une majorité renforcée, puisqu'il est nécessaire de réunir le vote favorable des deux tiers des membres composant le conseil d'administration 79 .

c ) Le rapprochement avec l'administrateur délégué en France


Il faut ajouter qu'en France, l'administrateur délégué jouit également, dans le cadre de l'article 112 de la loi de 1966, d'une large délégation de pouvoirs, il dispose en effet vis a vis des tiers des mêmes pouvoirs que le président, et, tout comme le directeur général, toute limitation de ses pouvoirs est inopposable aux tiers. Toutefois l'administrateur délégué est amené à exercer ses prérogatives dans un plus court laps de temps.

Face à cette attribution d'ordre général de facultés qui s'exerce dans les deux droits, il est des délégations de pouvoirs en droit français qui, loin d'être générales, sont conférées à titre spécifique.

B - Pouvoirs conférés à titre spécial en France

1 - Les mandats spéciaux


C'est le cas des délégations consenties par le conseil d'administration qui peut, selon l'article 90 du décret du 23 mars 1967, conférer tous mandats spéciaux pour un ou plusieurs objets déterminés. La délégation ne peut être que d'ordre spécifique puisqu'elle aura pour finalité la réalisation d'un ou plusieurs objets déterminés.

2 - Les délégations de pouvoirs consenties par le président du conseil d'administration


Il nous reste à aborder le dernier cas de délégation de pouvoirs d'ordre spécifique qui concerne le pouvoir de délégation du président.

On distingue généralement deux types de délégations, à savoir d'une part la délégation de pouvoirs et la délégation de signature.

La première consiste pour le président à confier "à une personne investie d'une fonction déterminée, le mandat de représenter la société, dans la limite de ses attributions" 80 .

La délégation de signature permet au président de confier à une personne "le soin de signer un acte pour le compte et au nom du président" 81 .

Maurice COZIAN et Alain VIANDIER se sont intéressés au sort de ces délégations en cas de changement de président, il s'avère que les délégations de signature deviennent caduques, tandis que les autres ne disparaissent pas avec la personne qui les a consenties.

En effet, le mandat de représentation de la société n'est pas conféré par le président lui-même mais par la société elle-même, c'est pourquoi la disparition de la personne qui a accordé cette délégation de pouvoirs n'affecte pas l'existence de la délégation 82 .

La délégation de compétences n'est pas la seule voie offerte par les droits français et espagnol pour répartir efficacement les pouvoirs au sein de l'administration de la société anonyme, ils ont chacun recours à des méthodes apparemment différentes mais qui présentent tout de même de nombreux traits communs.

Section 2. - Les autres méthodes d'attribution des pouvoirs

§1. - La technique juridique de "l'apoderamiento"

A - Son contenu

1. - Pouvoirs réservés à des tiers à l'organe d'administration


L'article 141. 1 de la L.S.A. précise, après avoir énoncé la règle selon laquelle le conseil d'administration pouvait désigner en son sein un ou plusieurs administrateurs délégués ainsi qu'une commission exécutive, que la société peut également nommer des représentants volontaires:

"sin perjuicio de los apoderamientos que pueda conferir a cualquier persona."

"L'apoderado", autrement dit, le chargé de pouvoirs ou le représentant volontaire n'a pas le même statut que l'administrateur délégué.

A la différence de ce dernier, il n'est pas un organe social et ces pouvoirs ne sont pas déterminés par la loi mais par la société elle-même.

Il appartient aux administrateurs la faculté de conférer ces pouvoirs de représentation volontaire, les administrateurs délégués disposent aussi de cette prérogative.

Toutefois la doctrine notariale refuse, depuis un certain temps déjà, de reconnaître ce pouvoir à l'assemblée générale 83 .

2 - L'exclusion des administrateurs


La question s'est posée de savoir si ce pouvoir de représentation volontaire de la société pouvait être effectué en faveur d'un administrateur. Il semblerait que l'on ne puisse pas accepter une telle possibilité, pour la simple raison qu'elle pourrait créer dans l'esprit des tiers une certaine confusion. C'est pourquoi la doctrine notariale l'a refusée, d'ailleurs elle estime qu'un tel pouvoir, lorsqu'il était confié à un administrateur devenait inutile: 84

"porque el otorgamiento de tal poder ni es necessario por redundante, ni debe acceder al Registro Mercantil."

B - Sa nature différente de la délégation

1 - Limite dans l'étendue des pouvoirs


Cette méthode d'attribution de pouvoirs à toute personne qu'elle soit actionnaire ou non, peu importe qu'elle ait le statut d'administrateur, n'est pas sans nous rappeler la délégation de pouvoirs consentie par le conseil d'administration telle qu'elle est prévue par l'article 90 alinéa 1er du décret du 23 mars 1967.

Toutefois nous l'envisageons en France sous l'angle de la délégation alors qu'en Espagne, il s'agit d'un mode de représentation volontaire de la société. La différence réside dans l'étendue des pouvoirs qui vont être conférés à un représentant volontaire mais aussi dans son statut.

Contrairement aux administrateurs bénéficiant d'une délégation de compétences, "l'apoderado" va disposer des pouvoirs plus limités selon la volonté de la société, d'autre part il ne sera pas considéré comme un organe.

2 - Rôle particulier du directeur général en Espagne


C'est grâce à la technique de "l'apoderamiento" que l'on a créé en Espagne les fonctions de directeur général ou directeur technique.

En effet ce ne sont pas des fonctions prévues par la loi, comme c'est le cas en France s'agissant du directeur général. Ce ne sont pas non plus des organes de la société, ce sont de simples "apoderados" 85 .

Le directeur général n'est donc pas le personnage important que l'on rencontre parfois au sein des sociétés anonymes françaises. Là encore, il bénéficie en France d'une délégation de pouvoirs de la part du président dont il est l'auxiliaire.

Cela prouve que la présence de la délégation de pouvoirs dans les deux droits ne suffit pas à lui donner un sens totalement identique, elle ne recouvre pas les mêmes domaines.

Le droit espagnol ne connaît donc pas la distinction qu'opère le droit français entre le directeur général et le directeur technique.

Le directeur général est un mandataire de la société, c'est un organe prévu par la loi qui bénéficie à l'égard des tiers des mêmes pouvoirs que le président du conseil d'administration.

Le directeur technique est quant à lui un salarié de la société, il peut donc en conséquence se prévaloir des dispositions protectrices du Code du travail, car il n'est pas lié à la société par un mandat mais par un contrat de travail, ce qui lui vaut d'échapper à une éventuelle révocation "ad nutum".

En outre, le droit français prévoit également une autre méthode qui vise à la création d'organes dont les pouvoirs ne sont que d'ordre consultatif.

§2. - Le recours à la création de comités


L'article 90 2ème alinéa du décret du 23 mars 1967 attribue au conseil d'administration la faculté de:

"décider la création de comités chargés d'étudier les questions que lui-même ou son président soumet, pour avis, à leur examen. Il fixe la composition et les attributions des comités qui exercent leur activité sous sa responsabilité."

Ce sont donc des organes facultatifs qui disposent uniquement de pouvoirs consultatifs, dont l'initiative de création revient au conseil d'administration à titre exclusif.

Toute personne peut composer cet organe puisque la condition d'actionnaire n'est pas requise.

Après avoir envisagé les divers modes facultatifs de répartition des pouvoirs, il convient désormais d'envisager leurs éventuelles répercussions sur le schéma légal obligatoire de répartition des compétences.

CHAPITRE II.LES REPERCUSSIONS SUR LE SCHEMA LEGAL OBLIGATOIRE DE REPARTITION DES POUVOIRS


Comme nous l'avons vu tout au long de l'analyse de l'organe d'administration de la société anonyme, celui-ci obéit à un schéma légal obligatoire, dont on peut modeler la configuration avec un degré de liberté qui varie d'un droit à l'autre.

Il est possible d'adjoindre à cette structure obligatoire d'autres organes ou tout au moins d'en modifier en son sein la répartition initiale des pouvoirs par le biais de techniques qui, là encore, diffèrent selon le droit en présence.

Toutefois, ces diverses techniques visant à une adjonction d'organe ou à une simple modification de la répartition interne des pouvoirs, peuvent avoir des répercussions importantes qui peuvent aller jusqu'à une possible remise en cause du système fondant l'organisation même de l'administration de la société anonyme.

Section 1. - La possible remise en cause du système moniste en Espagne

§1. - Le nouveau rôle attribué au conseil d'administration


La délégation de pouvoirs en Espagne rend possible la création d'un nouvel organe de la société doté de pouvoirs propres. Le conseil d'administration conserve néanmoins ses pouvoirs, ce qui entraîne un exercice parallèle des compétences.

Cet organe dispose en outre d'une relative autonomie, le conseil d'administration doit en conséquence assurer une coordination entre l'activité de l'organe et la sienne, il doit surtout assurer une fonction de vigilance et de contrôle des activités réalisées par l'organe délégué.

Nous sommes donc en présence de deux organes distincts dont l'un assure le contrôle des activités de l'autre, ce qui nous amène à soulever la question qui s'impose, sommes-nous réellement en présence d'un système moniste d'administration?

Les faits semblent indiquer le contraire puisque nous sommes en présence de deux organes dont l'un, le conseil d'administration, s'est doté lui-même de nouvelles fonctions, celles de contrôle et de vigilance de l'organe délégué qui s'ajoutent à celles qu'il a conservées malgré la délégation.

§2. - Le degré de ressemblance avec le système dualiste français

A. - Bouleversement du système moniste


Bien que l'on puisse arguer que la délégation de compétence permette en Espagne la création d'un second organe d'administration de la société qui reste sous la vigilance du conseil d'administration, cela ne suffit pas à caractériser un système dualiste d'administration tel que l'on peut le connaître en France.

La raison essentielle réside dans le fait que les membres de l'organe délégué sont eux-mêmes administrateurs, et membres à ce titre du conseil d'administration. Or, la raison d'être du système dualiste en France se trouve dans la séparation nécessaire entre les fonctions de direction et de contrôle de la société.

D'autre part, le but recherché diffère là aussi nettement, en effet on recherche avant toute chose en Espagne une certaine fluidité, à savoir un organe d'administration flexible.

La création de deux organes d'administration ne vise pas à mettre en place un contrôle d'un organe par l'autre, cette organisation bicéphale de l'administration vise au contraire à surmonter l'éventuelle inertie du conseil et assurer une gestion plus efficace de la société.

B - Rejet du système dualiste en Espagne


Bien que le système moniste soit quelque peu bouleversé par cet avènement d'organes, il ne se transforme pas pour autant en un système dualiste.

Il faut simplement remarquer qu'on attribue au conseil d'administration une tâche supplémentaire, celle de vérifier que les fonctions qu'il a lui-même déléguées permettent d'atteindre le but qu'il s'était fixé en consentant de tels pouvoirs, à savoir celui d'assurer une optimisation de l'administration de la société.

Quant à savoir si le système dualiste doit être introduit en Espagne, c'est au milieu concerné d'en décider sachant que le pas restant à effectuer pour y parvenir reste tout à fait réalisable, étant donné la structure très particulière de l'organe d'administration en Espagne, telle qu'on l'a décrite précédemment.

Notons toutefois qu'un avant-projet datant de 1979 prévoyait, à l'image du droit français, un système dualiste d'administration de la société à caractère facultatif. Ce projet n'a jamais vu le jour. La solution espagnole reste cependant très attrayante pour le juriste ou l'entrepreneur français.

De plus, on ne peut que vanter les mérites d'une telle souplesse dans l'organisation et la répartition des pouvoirs au sein de l'organe d'administration.

Toutefois il faut aussi avoir à l'esprit que cette grande flexibilité comporte certains risques qu'il convient de mettre en lumière afin d'en dégager les éventuels remèdes.

Section 2. - L'attrait mesuré de la solution espagnole

§1. - L'attrait apparent du système espagnol


La délégation de pouvoirs telle qu'elle se conçoit en droit espagnol, peut apparaître attrayante, car la reconnaissance d'un principe général aussi flexible permet d'y recourir sans modération. Ce système permet en outre de rationaliser l'administration de la société et de l'adapter aux évolutions constantes de son environnement.

D'ailleurs bon nombre d'auteurs espagnols s'accordent à dire que le pouvoir décisionnel, qui est au centre de la structure organisationnelle de l'administration de la société anonyme, s'est déplacé en Espagne du conseil vers les organes délégués 86 .

De plus, toute politique de gestion de société s'appuie avant tout sur des critères d'efficacité. Or, l'adaptabilité du système espagnol permet de recourir, selon le choix de la société, à un administrateur délégué unique, à plusieurs, à titre conjoint, solidaire, voire à une commission en tant qu'organe collégial. Ce système permet à la société de faire face aux mouvances et évolutions quotidiennes dont elle est le réceptacle.

D'ailleurs s'il existait cette grande flexibilité en France, on ne rechercherait pas en pratique à multiplier les organes plus opérationnels que les conseils, dont le fonctionnement est plus lourd. Nous songeons notamment à une pratique en France, qui vise à déguiser un directeur général en directeur technique en raison du quota imposé par la loi de 1966. 87

Cependant cet attrait apparent ne doit pas masquer les dangers sous-jacents.

§2. - Risques inhérents au système


Angel CRISTOBAL MONTES 88 écrivait, il y a de cela vingt ans :

"se recurre cada vez con mayor frecuencia a la delegación de funciones, que permite distribuir sin fraccionar y especializar sin disolver".

On peut traduire cela de la manière suivante: on recourt chaque jour davantage à la délégation de compétences, qui permet de distribuer sans fractionner et de spécialiser sans dissoudre.

Cette phrase décrit parfaitement le but que permet d'atteindre la technique de la délégation de pouvoirs, jumelée efficacement avec le schéma légal de répartition des pouvoirs.

Toutefois, la création de pôles décisionnels dotés d'une autonomie trop importante pourrait supprimer progressivement le lien nécessaire qui doit unir ces organes entre eux, afin qu'ils se coordonnent dans un souci croissant d'efficacité.

La problématique devient alors d'une simplicité déconcertante, peut-on conserver l'unité dans la diversité?

Le remède pourrait consister dans le maintien d'une certaine subordination entre les organes, qui disposeraient pour certains, de fonctions dont ils en assureraient l'exercice à titre exclusif.

C'est sans doute ce risque d'éparpillement des compétences, qui justifia un régime plus strict de délégation de pouvoirs en France.

Ainsi, la solution consisterait à trouver un habile compromis afin de surmonter tout excès de rigidité sans tomber dans la souplesse intempérante.


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