L'administration de la S.A ; nature et exercice des pouvoirs

Franck VALENCIA



PREMIERE PARTIE



INTRODUCTION


Traditionnellement, l'assemblée générale d'actionnaires constitue l'organe central de la société anonyme, pourtant, cette vision n'a jamais été le reflet de la réalité.

C'est bien l'organe d'administration qui incarne en France, ainsi qu'en Espagne, le pouvoir au sein de la société anonyme.

Il est intéressant d'observer que le droit espagnol fut longtemps inspiré par le droit français en matière de législation sur les sociétés.

Ce n'est qu'avec l'avènement du XX ème siècle que la France cessa d'être une source d'influence, étant progressivement remplacée par l'Allemagne.

Les questions relatives à la nature et l'exercice des pouvoirs, au sein de l'organe d'administration, sont d'une importance capitale.

Preuve en est qu'on peut s'attendre dans un futur proche, à une harmonisation législative en la matière par la voie communautaire. Cependant, l'étude comparée des diverses solutions propres à chaque système juridique, va permettre la mise en évidence de nombreuses particularités nationales qui justifient en grande partie le retard pris dans l'élaboration des différentes mesures visant à l'objectif d'unification.

Les problèmes soulevés par l'exercice des pouvoirs au sein de l'organe d'administration revêtent également une importance toute particulière à l'échelon national, puisqu'il faut s'attendre, à courte échéance, à une réforme de notre droit des sociétés. La société anonyme, au travers notamment de l'exercice des pouvoirs au sein de son organe d'administration, se trouve au coeur de la réforme.

Là encore, les apports du droit comparé vont permettre de comprendre, voire même de préparer la réforme, car bon nombre de solutions envisagées existent déjà en droit espagnol.

Il conviendra d'en étudier l'efficience en Espagne afin de prévoir leur éventuelle transposition en droit français.

L'étude comparative permettra également de critiquer toute solution préconisée en France, dont on pourra reprocher sa réelle efficacité en Espagne.

Nous devrons, pour se faire, ne pas nous en tenir à la seule étude des textes envisagés par les droits en présence, mais aussi tenir compte de leur application.

En effet, on constate souvent un certain éloignement de la règle théorique avec sa réalité pratique. Cette étude dévoilera en outre, les degrés de flexibilité de chacun des deux systèmes juridiques.

Il conviendra également d'analyser dans quelles conditions s'exercent les pouvoirs au sein de l'administration de la société anonyme, sans négliger d'en étudier les structures de l'organe, car elles conditionnent l'exercice des pouvoirs.

C'est dans cet esprit que nous aborderons dans un premier temps l'étude structurelle de l'administration puis notre analyse portera, dans un second temps, sur l'articulation des pouvoirs au sein de l'administration.

"Le droit commercial surtout ne sera jamais sainement entendu sans le secours de l'histoire." 1

Evolution historique de l'administration de la société anonyme

L'étude qui va suivre aura pour tâche de déterminer dans quelles conditions, les mutations successives de l'environnement sociologique, politique et économique, dans lequel se développe la société anonyme depuis ses origines, ont influencé son mode d'administration.

1. - Le XVII ème siècle


Bien qu'il existe au moyen-âge et même à Rome des "groupements" présentant certaines ressemblances avec la société anonyme ("societas publicanorum" romaine), c'est au cours du XVII ème siècle que l'ancêtre de la société anonyme voit le jour. A cette époque, l'exploitation des colonies requiert une masse importante de fonds, et les Etats ne peuvent à eux seuls subvenir à ces gouffres financiers. C'est pourquoi, on assiste à la création de grandes compagnies coloniales au sein desquelles s'accumulent des capitaux importants, parmi lesquels des fonds privés, destinés à financer l'administration des colonies.

La compagnie française des Indes Occidentales et Orientales est créée en 1664, tandis qu'en Espagne, ce mouvement est retardé en raison de l'organisation du commerce maritime par la couronne, cette dernière émet des réticences quant au financement par des fonds privés de telles entreprises. Ainsi la première compagnie coloniale se forme en Espagne à partir de 1728 sous le nom de "Real Compañía Guipuzcoana de Caracas".

C'est un conseil restreint qui dirige ces compagnies et qui impose ses décisions aux assemblées d'actionnaires en jouissant d'un pouvoir quasi illimité. La gestion de la compagnie est donc assurée par une minorité d'associés, lesquels sont en relation étroite avec le pouvoir.

La division entre deux catégories d'actionnaires, ceux participant à la gestion et ceux qui y sont étrangers, est importante en soi, car elle va permettre de comprendre un phénomène qui apparaîtra ultérieurement, à savoir, la séparation entre la propriété des actions et le contrôle de la société.

2. - Le XVIII ème siècle


Au cours du XVIII ème siècle, le mouvement de création de compagnies se poursuit et s'étend au secteur privé. Ce phénomène d'extension a des repercussions directes sur l'organisation interne de l'administration. En effet, on recherche désormais à restreindre les pouvoirs illimités des conseils et inversement à augmenter ceux des assemblées d'actionnaires.

Malgré les efforts, ce processus de démocratisation se révèle être un échec, et on assiste, au contraire, à un renforcement de la position des conseils au sein desquels en France, comme en Espagne, le pouvoir est concentré dans les mains d'un nombre réduit d'actionnaires, parmi lesquels on compte les représentants du pouvoir économique et les fonctionnaires de l'état.

L'avènement du libéralisme politique et économique impulsé par la Révolution française entraîna la création de nombreuses sociétés anonymes.

Pourtant, s'agissant des sociétés anonymes, le souffle de libertés eut un effet inverse à celui escompté.

En effet, par un décret du 26 germinal an II (1794), la France, en interdisait la constitution et imposait la dissolution de celles existantes, arguant le fait que les actions émises par les compagnies constituaient une concurrence inacceptable avec les deniers de l'état, car elles pouvaient servir de monnaie de change.

En raison des graves conséquences économiques qu'engendra cette mesure, un décret de 1796 instaurait, en lieu et place de la mesure incriminée, un régime de liberté absolue qui entraîna la pratique de nombreux abus.

3. - Le XIX ème siècle


Pour mettre fin à ces pratiques frauduleuses, s'organisent, en France et en Espagne, au cours du XIX ème siècle, des régimes d'autorisations de constitutions des sociétés anonymes. L'adoption de telles mesures, reflète au combien la société anonyme est réceptive aux évolutions environnementales, et notamment aux objectifs que peuvent se fixer les états.

Ainsi, la société anonyme servait au XVII et XVIII ème siècles, d'instrument permettant la réunion de capitaux importants, destinés à assurer la suprématie de l'état à l'extérieur de ses frontières.

Tandis qu'au XIX ème siècle, l'état s'est assigné comme objectif d'assurer l'intérêt général et la protection des citoyens, en tentant par le biais de ces systèmes d'autorisations, de lutter contre les fraudes. La procédure d'autorisation fut instaurée par le code de commerce français de 1807, et servit de modèle à bon nombre de systèmes juridiques étrangers, dont le système espagnol, qui s'en inspira dans son code de commerce de 1829.

Toutefois, l'objectif en Espagne fut quelque peu différent, en effet, outre la lutte contre les fraudes, une telle mesure visait également à favoriser la création d'entreprise, et attirer les capitaux étrangers en Espagne.

De plus, la méthode d'autorisation divergeait d'un système juridique à l'autre. En effet, la France avait organisé un système d'autorisation gouvernementale (article 37 du code de commerce), alors qu'en Espagne il s'agissait au départ d'un examen approbateur des règlements de la société par les tribunaux (articles 293 et 294 du code de commerce), puis, en raison d'abus, une loi datant du 28 janvier 1844 instaura un système d'autorisation légale plus contraignant.

Ce système d'autorisation et d'approbation des statuts de la société s'acheva en France dès 1867, avec l'avènement de la loi du 24 juillet 1867, qui marqua le début d'une nouvelle ère pour les sociétés anonymes, qui retrouvèrent une certaine liberté. Cette loi de 1867 représentait à l'époque, selon des auteurs espagnols, " un adelantoformidable " 2 .

Là encore, la loi française de 1867 servit d'exemple et inspira d'autres législations dont l'Espagne, qui, par une loi du 19 octobre 1869 consacra la libre constitution des sociétés anonymes.

Cependant, il faut remarquer que les deux systèmes juridiques adoptèrent quant au contenu de la loi des comportements assez différents. Au système d'autorisation fut substitué, en France, une minutieuse réglementation de la société anonyme, qui compensa le principe de liberté dans leur création.

En Espagne, le modèle Français ne fut suivi qu'en partie, puisque le législateur espagnol pensa que la meilleure façon de proclamer et de respecter la libre constitution des sociétés anonymes fut de s'abstenir de lui fournir une réglementation astreignante.

Cette loi, ainsi que le code de commerce qui suivit (1885) furent vivement critiqués par la doctrine espagnole, certains auteurs 3 parlaient même de "pénurie de préceptes légaux".

Le code commercial espagnol, se voulant être libéral, se révéla être inadapté aux complexités de la société anonyme (il ne lui consacrait que 19 articles).

A l'image de l'organisation politique de l'époque, les sociétés comprennent une assemblée d'actionnaires qui nomme les administrateurs.

Ainsi l'article 22 de la loi du 24juin 1867, et les articles 122 et 156 du code de commerce espagnol (1885), considèrent les administrateurs comme des mandataires, lesquels ne pouvaient agir que dans le cadre du mandat délivré par le mandant, à savoir l'assemblée générale, elle-même compétente pour les révoquer.

S'agissant de leurs pouvoirs, on assiste à la fin du XIX ème siècle à un renversement de la hiérarchie au sein de la société anonyme, en effet le processus de démocratisation, qui consista à vouloir renforcer les pouvoirs de l'assemblée générale en tant qu'organe suprême ne fut, selon les dires de Rodríguez ARTIGAS, "qu'une utopie", ainsi, le pouvoir se situe dans l'administration de la société.

4. - Le XX ème siècle


Avec l'avènement du XX ème siècle, apparaissent deux nouvelles tendances, tout d'abord, il est mis fin au rêve de démocratisation de la société anonyme, d'autre part, la France cesse d'être la source principale d'influence du système juridique espagnol.

Il convient d'ajouter que la notion de conseil d'administration apparaît, certes tardivement, dans la législation française, dès la loi du 26 avril 1917, qui réglementait les sociétés anonymes à participation ouvrière. Il n'est alors qu'une faculté, il ne devient obligatoire qu'avec la loi du 16 novembre 1940, dont l'article premier dispose:

"La société anonyme est administrée par un conseil de trois membres au moins et douze au plus."

Le conseil d'administration, en tant qu'organe collégial est consacré en Espagne dès la loi du 17 juillet 1951, sous son article 73:

"cuando la administración de la sociedad se confía conjuntamente a varias personas, éstas constituirán el consejo de administración".

Toutefois, la loi de 1951 ne précise pas combien de membres doit comprendre l'organe collégial.

La précision sera apportée par le Real Decreto legislativo du 22 décembre 1989, qui constitue la nouvelle loi des sociétés anonymes, dont l'origine provient de trois sources, à savoir, une partie de la loi de 1951 non modifiée, la loi du 25 juillet 1989 d'adaptation du droit espagnol au droit communautaire et le projet de loi de 1979.

Ainsi selon l'article 136 de ladite loi:

"Cuando la administración se confía conjuntamente a más de dos personas, éstas constituirán el consejo de administración".

Désormais, obligation est faite de constituer un conseil d'administration dès lors que l'administration est exercée par au moins trois personnes agissant conjointement.

En outre, il est possible en Espagne de concevoir l'administration de la société anonyme sans avoir recours au conseil d'administration, dans les limites prévues par la loi de 1989.

Enfin, notons que le conseil d'administration, en France, comme en Espagne, est avant tout l'œuvre de la pratique, qui, malgré le mutisme respectif des lois française et espagnole à son sujet, avait su créer, au cours de la période séparant les premières lois régissant l'existence des administrateurs et celles reconnaissant le conseil d'administration, cet organe collégial qui répondait davantage à ses besoins.

PREMIERE PARTIE.
ETUDE STRUCTURELLE DE L'ORGANE D'ADMINISTRATION

TITRE PREMIER
LA STRUCTURE ORGANISATIONNELLE

CHAPITRE I. - LA CONFIGURATION DE L'ADMINISTRATION

Section 1. - Présentation des divers systèmes d'organisation

§1. - Le conseil d'administration

A. - Les textes applicables


L'administration de la société anonyme peut-être confiée, en France, comme en Espagne, à un conseil d'administration. Selon l'article 89 de la loi du 24 juillet 1966:

"La société anonyme est administrée par un conseil d'administration composé de trois membres au moins, les statuts fixent le nombre maximum des membres du conseil qui ne peut dépasser vingt-quatre."

Quant au droit Espagnol, l'article 136 du Real Decreto legislativo 1. 564 du 22 décembre 1989, qui constitue la loi sur les sociétés anonymes (que nous nommerons désormais L.S.A.) dispose:

"Cuando la administración se confía conjuntamente a más de dos personas, éstas constituirán el consejo de administración."

Cet article figure dans le chapitre V de la L.S.A. intitulé "de los organos de la sociedad", sous la section quatre traitant du conseil d'administration.

Notons que l'article 9 h) de la L.S.A. précise en outre, que la structure de l'organe auquel est confiée l'administration de la société doit être précisée dans les statuts de la société, ainsi, entre autres choses, que le nombre minimum et maximum d'administrateurs composant le conseil, à défaut d'indication du nombre exact.

Il convient d'ajouter, que l'administration de la société anonyme est également régie par un réglement du 19 juillet 1996.

Ainsi el Reglamento del Registro Mercantil (que nous nommerons désormais R.R.M.) a établi de façon précise les différentes formes que pourra adopter l'organe d'administration. La formule d'organisation de l'administration sous forme de conseil est envisagée dans l'article 124. 1 d) R.R.M..

B. - L'obligation de constitution

1. - Réunion des conditions légales


Le recours au conseil d'administration, en Espagne, n'est obligatoire que lorsque l'administration est confiée conjointement à plus de deux personnes. Cette obligation légale de constitution du conseil d'administration mit fin, dès la publication de la loi, à la pratique du conseil d'administration composé de deux personnes, que rendait possible l'ancienne rédaction de l'article 73 § 1er de la loi de 1951:

"Cuando la administración (...) se confía conjuntamente a varias personas, éstas constituirán el consejo de administración."

Le conseil d'administration devait être constitué lorsque l'administration était confiée à plusieurs personnes agissant conjointement.

L'imprécision quant au nombre minimum d'administrateurs devant composer le conseil, permettait à la doctrine de la Dirección General de los Registros y del Notariado 4 d'affirmer que la loi de 1951, loin de prohiber cette pratique, l'autorisait implicitement. Solution qui fut celle également adoptée par bon nombre d'auteurs 5 et confirmée par la jurisprudence du Tribunal Suprême Espagnol. 6

Notons que cette solution présentait un inconvénient, en effet un conseil composé de deux administrateurs ne pouvait adopter de décisions à la majorité des voix, mais devait au contraire, prendre les décisions à l'unanimité.

Depuis 1989, le droit espagnol s'est aligné sur le droit français, et impose un minimum de trois membres pour constituer un conseil.

Toutefois, la L.S.A., contrairement à la loi de 1966, n'impose aucun maximum. Cette restriction que l'on rencontre seulement en droit français a toutefois une justification, ainsi, cette limitation vise à empêcher la création de conseils d'administration comprenant un nombre trop élevé d'administrateurs, ce qui pourrait altérer le bon fonctionnement de l'organe, en retardant ou en rendant plus difficile la prise de décision.

Il est intéressant d'observer que face à cette apparente liberté dans le choix du conseil en tant qu'organe d'administration, ainsi que du nombre d'administrateurs, qui n'est pas limité par la loi, il est des cas où la loi espagnole impose la création d'un conseil d'administration, et va jusqu'à préciser le nombre minimum, les qualités, la nationalité de ses membres.

2. - Les cas visés par la loi espagnole


Il en va ainsi des banques, dont le conseil doit être composé d'au moins cinq membres (Real Decreto 30 septembre1988), tout comme les sociétés de bourse (R.D. 23 juin 1989), les sociétés de gestion directe de service public doivent, quant à elles, comprendre au minimum sept membres au sein de leur conseil d'administration 7 .

En outre, les droits français et espagnol prévoient en matière d'administration une alternative au conseil d'administration qui diffère selon le droit en présence.

§2. - Les alternatives au conseil d'administration

A. - La formule dualiste en France


La loi de 1966, offre la possibilité de choisir une autre formule appelée dualiste, en raison de la présence de deux organes, le directoire et le conseil de surveillance.

Selon l'article 119 de la loi de 1966:

"La société anonyme est dirigée par un directoire composé de cinq membres au plus (...) "

Selon l'article 128 de la loi de 1966:

"Le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire (...)"

Ces deux articles nous montrent que cette formule dite dualiste, par opposition à la formule moniste, permet de différencier les fonctions de direction, réservées au directoire, et celles de contrôles, dont se charge le conseil de surveillance.

Nous nous bornerons, concernant le système dualiste, à de succinctes analyses en raison, d'une part, du faible succès rencontré en France par cette formule 8 inspirée du droit allemand 9 , et d'autre part, en raison du fait que beaucoup de règles régissant ces organes, parmi lesquelles celles relatives à leur composition et leur fonctionnement, sont inspirées de dispositions traitant du conseil d'administration.

B - La solution espagnole

1. - Rejet de la formule dualiste


Le droit espagnol, quant à lui, n'a pas repris dans sa législation le système dualiste que connaît la France.

On pourrait justifier cela par les quelques critiques que suscite, en France, ce mode d'administration. On lui reproche l'excès de formalisme qu'entraîne la dualité d'organes 10 , mais également l'absence fréquente, dans les faits, de réelle indépendance entre le directoire et le conseil de surveillance 11 , créant des rapports entre les deux organes qui s'apparentent à ceux existant entre le conseil d'administration et son président, sans toutefois que le conseil de surveillance puisse révoquer le directoire.

Cette prérogative appartient en effet à l'assemblée d'actionnaires sachant que le conseil de surveillance ne peut que proposer la révocation.

Face à ces critiques d'ordre pratique, certains auteurs, dont Daniel LACHAT, avancent que l'échec de ce système en France s'explique par le fait qu'il soit "le seul qui présente la souplesse nécessaire pour allier sans heurts le capital et le travail en donnant à ce dernier un minimum de pouvoir sans la nécessité d'un investissement. " 12

Toutefois, il semblerait que les véritables raisons soient d'ordre structurel. Un tel système éprouverait quelques difficultés à vouloir s'implanter en Espagne, du fait même du rôle joué par les sociétés anonymes dans ce pays. Celles-ci sont très polyvalentes et s'adaptent à tous types d'activités, quelque soit son importance, au point que des sociétés anonymes sont qualifiées par certains auteurs de "Lilliputiennes".

La société anonyme est d'ailleurs souvent choisie au détriment d'une autre forme sociétaire qui, a priori, paraîtrait mieux adaptée. Il s'agit en l'espèce de la société à responsabilité limitée, laquelle, en Espagne, comparée à d'autres systèmes juridiques qui connaissent la formule dualiste, est très peu utilisée.

La société anonyme joue donc un rôle en Espagne très particulier, pour lequel le système dualiste s'avère inadaptable en l'état actuel des législations sur les sociétés anonymes et S.A.R.L. 13 .

Le droit espagnol offre cependant, la possibilité d'opter pour un système d'organisation de l'administration très souple.

2.- La souplesse dans le choix de l'organisation


El Reglamento del Registro Mercantil a établi les diverses formes que peut revêtir l'organe d'administration de la société anonyme en dehors du conseil.

L'article 124. 1 R.R.M. contient trois formes possibles d'administration de la société, celle-ci peut-être confiée:

L'article 124. 1 R.R.M. précise que la structure de l'organe d'administration devra obligatoirement être précisée dans les statuts:

"En los estatutos se hará constar la estructura del órgano al que se confía la administración (...)"

A la lecture de cet article, on peut constater que la loi considère les administrateurs comme un organe. Ce qui nous est confirmé par le fait que la L.S.A. place la troisième section réservée aux administrateurs (articles 123 à 135) dans le chapitre V traitant des organes de la société.

Le degré de liberté dans le choix de l'organe d'administration s'avère donc être plus grand en Espagne, car il est possible de se passer d'une structure collégiale.

Cependant, une plus grande liberté dans le choix de la structure de l'organe ne signifie pas une plus grande efficacité de la structure choisie, c'est pourquoi il convient désormais d'examiner quelle est la structure d'organisation de l'administration qui paraît être la plus avantageuse.

Section 2. - Appréciation des systèmes en présence


Nous tenterons de déterminer à travers l'analyse qui va suivre, quelle forme d'organisation de l'administration de la société anonyme semble le plus correspondre aux besoins de la pratique.

Pour ce faire, nous confronterons le système d'administration s'exerçant sans recours au conseil d'administration, qui constitue une originalité du droit espagnol, avec la formule collégiale reconnue dans les deux droits.

§1. - La formule collégiale face aux autres formes d'administration

A. - L'administrateur unique


La formule collégiale fut, à l'origine, instaurée pour assurer l'administration de la société qui devenait de plus en plus complexe, et qui ne pouvait plus "être le fait d'un seul homme" 14 .

Ceci est toujours vrai aujourd'hui, toutefois l'administrateur unique tel qu'il existe en Espagne, se justifie par l'existence, dans ce pays, d'un grand nombre de petites sociétés, pour lesquelles un conseil d'administration peut se révéler inutile, de part le formalisme et la lenteur qu'il engendre.

Notons qu'il existe également en France, bon nombre de petites sociétés qui prennent la forme de société anonyme pour des raisons d'ordre fiscal, par exemple. L'adoption par ces sociétés d'un conseil d'administration n'est qu'une pure façade.

Notre droit peut réagir à ce phénomène en adoptant deux types de positions. Il peut tenter soit de le limiter, en interdisant de façon indirecte à ces sociétés de choisir la forme de société anonyme, en augmentant par exemple le capital minimum, soit de s'y adapter en introduisant une formule d'administration qui conviendrait à ces sociétés. La solution pourrait consister dans la possibilité de choisir la formule d'administrateur unique, comme c'est le cas en Espagne.

B - Administrateurs agissant à titre conjoint


S'agissant de l'administration conjointe de deux administrateurs, celle-ci présente un inconvénient, qui peut se manifester lors de la prise de décisions. En effet l'adoption d'une résolution nécessite l'unanimité, en conséquence, tout désaccord peut paralyser la société. Ce mode d'administration n'est donc concevable que lorsque la propriété des actions et la gestion de la société, sont aux mains des mêmes personnes.

C. - Administrateurs agissant à titre solidaire


Lorsque l'administration de la société est confiée à plusieurs administrateurs agissant à titre solidaire, celle-ci peut apparaître davantage flexible, puisque chaque administrateur bénéficie de prérogatives à titre individuel. Cet apport de fluidité que l'on ne rencontre pas au sein d'un conseil d'administration doit toutefois être relativisé, en effet cette dispersion de pouvoirs ne favorise pas l'unité de gestion garantie par la création d'un organe collégial.

La présence d'un conseil d'administration semble donc garantir le plus souvent, la prise de décisions concertées, qui sont le fruit de longs débats d'idées au sein de l'organe collégial, ce, dans l'intérêt même de la société.

Le conseil garantit également l'unité de gestion, tout comme il reflète les divers intérêts de la société, au travers des différents groupes d'actionnaires qui sont parfois représentés au conseil.

Cependant, cette présentation quelque peu idyllique des avantages du conseil d'administration, en tant qu'organe collégial, ne doit pas masquer la réalité qui est parfois très différente de l'image que nous avons pu présenter de cet organe. Toutefois, il ne faut pas perdre à l'esprit le fait suivant, plus important que la structure sont les hommes qui la composent.

Ainsi P.-G. GOURLAY 15 savait rappeler en son temps:

"les institutions valent ce que valent les hommes; un conseil composé d'hommes compétents peut être un organe efficace (...)"

Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que le conseil d'administration est souvent choisi par les sociétés anonymes en Espagne 16 .

Il semblerait même que le législateur espagnol ait montré sa préférence pour cet organe, notamment en le rendant obligatoire dans certains cas 17 .

§2. - Le principe de collégialité en France et en Espagne


Bien qu'elle soit reconnue par le droit français et le droit espagnol, elle n'est pas identique en tous points.

A - Etude analogique


Une partie de la doctrine espagnole 18 s'interroge sur le point de savoir, si la collégialité est compatible avec une quelconque initiative individuelle des membres du conseil d'administration.

Ces auteurs rappellent que si la décision prise en conseil est d'ordre unilatéral, elle n'est adoptée qu'en vertu d'un accord plurilatéral.

D'autre part, il ne faut pas nier l'existence d'une certaine autonomie dont jouissent les administrateurs en matière de droit à l'information 19 , et ce en France comme en Espagne.

Quoi qu'il en soit, cette pluralité d'opinions qui concourt à l'adoption d'une décision unilatérale, nous démontre que la collégialité permet la représentation des différents intérêts en présence 20 .

B - Les dissemblances


Toutefois la collégialité en Espagne a évolué depuis son origine, et permet sa combinaison avec d'autres modèles d'organisations, à tel point qu'une partie de la doctrine espagnole se demande si la collégialité crée une structure autonome se combinant avec les autres formes d'organisation de l'administration, ou au contraire, se superposant avec ces dernières 21 .

Ce phénomène se nomme"la descentralización de funciones", il peut d'ailleurs se présenter sous divers aspects.

Cette décentralisation entraîne une répartition du pouvoir de décision au sein du conseil, ou peut consister en la création de différents services qui sont compétents dans un domaine précis. Cette décentralisation peut se réaliser par le biais de la délégation de pouvoirs appelée"delegación de facultades", technique juridique qu'autorise l'article 141 de la L.S.A. 22 .

Notons que cette souplesse dans l'organisation de la collégialité en Espagne, n'altère pas le principe en lui-même, car dans tous les cas, les accords seront adoptés dans le respect de la méthode collégiale.

C - Les atteintes au principe


Rappelons enfin que certaines entreprises en France, comme en Espagne, ont recours à ce que quelques auteurs français nomment "L'exercice non collégial du rôle du conseil: les quasi conseils" 23 .

Il s'agit de réunions non officielles du conseil d'administration, qui précédent ou qui suivent celles officielles, pendant lesquelles diverses questions sont abordées sans qu'aucune décision ne soit prise. Elles permettent de connaître l'avis des administrateurs sur un point précis, afin de savoir s'ils y seraient favorables ou bien opposés.

Ce peut-être également un bon moyen de préparer les réunions du conseil d'administration, sans la présence, diront certains, des représentants du comité d'entreprise.

Après avoir étudié les différentes formes d'organisation de l'administration de la société anonyme, il convient de se demander si dans un futur proche, les différentes solutions rencontrées dans chaque droit ne sont pas amenées à être harmonisées, ou tout au moins à se rapprocher.

Section 3. - Les facteurs d'harmonisation législative

§1. - La voie communautaire


Pour reprendre une expression empruntée à Jacques BEGUIN, "la pression réformatrice de la communauté" 24 n'a cessé de s'exercer sur les droits respectifs des Etats membres dont bien sûr l'Espagne et la France.

Cette pression comporte deux volets, le premier visait à instituer, par le biais de normes supranationales, un véritable droit européen des sociétés.

Le second devrait conduire à une harmonisation progressive des législations nationales.

A. - Le recours aux règlements


C'est par la voie réglementaire que l'on a tenté de créer une société anonyme européenne, dont le projet initial remonte à 1959. Cette société devait être régie par des règles totalement indépendantes des divers droits nationaux.

Bien que l'idée paraisse attrayante 25 , elle se heurte depuis l'origine à une forte résistance des Etats membres.

Pour le domaine qui nous concerne, c'est par le biais de réglements communautaires que l'on tentait d'imposer un modèle d'organisation de l'administration. La technique du règlement présentait l'inconvénient degommer les particularités nationales des Etats membres. C'est pourquoi de nouveaux projets, datant du début des années quatre-vingt-dix, s'inspiraient cette fois-ci, des législations des Etats de l'union. Ces projets plus libéraux permettaient de choisir entre une structure moniste et dualiste.

Toutefois cette société anonyme européenne n'est encore qu'à l'état de projet, en raison sans doute de la méthode utilisée pour le mener à bien, à savoir la voie réglementaire.

En effet, selon l'article 189 alinéa premier du traité de Rome:

"Pour l'accomplissement de leur mission et dans les conditions prévues au présent traité, le conseil et la commission arrêtent des réglements et des directives, prennent des décisions et formulent des recommandations ou des avis."

Ainsi, les réglements ont un caractère obligatoire, et sont directement applicables dans les Etats membres dès qu'ils entrent en vigueur.

Les directives quant à elles, déterminent des objectifs, dont les moyens de réalisation sont librement définis par les Etats membres. Le règlement apparaît donc comme un moyen très efficace, mais néanmoins très redouté, pour édicter des règles à l'échelon européen, qui s'imposeront directement à tous les Etats membres.

C'est pourquoi, il apparut que l'harmonisation communautaire, par le biais de directives, moins contraignantes que les règlements, semblait beaucoup mieux adaptée.

B. - Le recours aux directives


Notons que notre intérêt doit se porter davantage sur les projets de directives que sur celles déjà adoptées.

En effet la proposition de 5e directive européenne doit tout particulièrement attirer notre attention. Cette directive vise à régir l'organisation même de l'administration de la société anonyme. Or cela n'est pas chose facile, certaines expressions empruntées à la doctrine l'illustrent parfaitement:"Quand on touche à la question des structures (...) cela devient beaucoup plus difficile." 26 .

Cette proposition fait face à de nombreuses critiques, notamment en France mais également en Espagne 27 .

On lui reproche tout d'abord de vouloir imposer un modèle d'organisation, qui plus est, s'inspire très fortement du système allemand. Au départ la seule formule d'organisation de type dualiste était envisagée, puis ce n'est qu'en 1983 que l'on permis à certains Etats de maintenir la formule moniste, quelque peu modifiée, car devant comprendre en son sein deux catégories d'administrateurs, les uns gérant la société contrairement aux autres. Autant dire que cela ne ressemble plus guère à une structure moniste.

Bien que la directive propose des alternatives au système dualiste 28 , celui-ci devrait s'imposer, à terme, à tous les Etats membres.

On comprend donc l'hostilité qu'engendre une telle proposition en France d'une part, chez qui les sociétés à directoire représenteraient près de 2% de l'ensemble des sociétés anonymes en 1997 29 , et en Espagne d'autre part, où la structure dualiste n'est même pas envisagée par la législation sur les sociétés anonymes.

Cette hostilité justifie en outre très largement le retard dans l'élaboration du contenu final de la 5e directive, qui éprouvera de grandes difficultés à voir le jour.

§2.- La voie interne, vers une réforme du droit des sociétés en France


Depuis quelques années déjà, il est question de moderniser notre droit des sociétés devenu trop rigide et inadapté, certaines personnalités se chargent d'ailleurs ici et là d'en proposer les contours.

La réflexion qui s'est engagée nous intéresse au premier chef, car si la société anonyme est au centre de la réforme, de nombreuses propositions concernant la gestion de celle-ci ont vu le jour.

A. - Les éléments de la réforme


Nous pouvons notamment les trouver dans un rapport récent datant de 1996, établi par M. Philippe MARINI, sénateur de l'Oise, à la demande du Premier ministre de l'époque. Ce rapport a le mérite d'être le fruit de nombreux entretiens avec des personnalités d'horizons divers, représentant tous les milieux intéressés par cette réforme.

Nous nous référerons ponctuellement aux propositions contenues dans ce rapport, mais aussi émanant d'autres travaux qui oeuvrent pour la réforme de la loi du 24 juillet 1966.

S'agissant de l'organisation de l'administration de la société anonyme, le rapport MARINI recense quelques propositions très intéressantes.

Il fait tout d'abord le constat suivant, en France, de nombreuses PME-PMI ayant une puissance économique et financière très importante, peuvent n'être le fait que de très peu d'actionnaires. Or elles ne satisfont aux exigences légales que de manière apparente, constituant un conseil d'administration fictif. M. MARINI qualifie ce fait de "situation contra legem, totalement banalisée." 30

M. MARINI avance donc, outre la possibilité de constitution d'une société anonyme unipersonnelle, déjà proposée par une commission d'étude instituée en 1986 à la demande de M. BADINTER, la faculté de gestion sans conseil d'administration 31 . La possibilité d'un administrateur unique pourrait être introduite dans notre droit, et ne concernerait qu'un certain type de sociétés dont le capital social ne dépasse pas un certain seuil fixé par la loi.

Cette solution pourrait convenir à bon nombre de sociétés qui trouveraient dans cette formule de nombreux avantages, dont celui de ne pas constituer de conseil d'administration fictif, avec les risques que cela comporte en cas de mise en jeu de leur responsabilité.

Le rapport propose en outre de laisser aux statuts le soin de fixer le nombre maximum d'administrateurs, de directeurs généraux, de membres du directoire et du conseil de surveillance 32 .

B - Les rapprochements envisagés


Il est intéressant de constater que ces propositions d'une nature toute nouvelle, coïncident parfaitement avec les solutions qui existent actuellement en Espagne, où la L.S.A., comme nous l'avons vu précédemment, autorise que l'administration soit confiée à un administrateur unique et laisse également le soin aux statuts de fixer le nombre maximum d'administrateurs.

On pourrait donc retrouver dans un futur proche, concernant les modalités d'organisations de l'administration de la société anonyme, des solutions en France, proches de celles existant en Espagne.

Cela prouve sous certains aspects, que la L.S.A., moins rigide que notre loi de 1966, mais aussi plus récente, s'adapte mieux aux besoins actuels des PME en ce qui concerne la structure d'administration de la société anonyme.

C'est précisément le degré de flexibilité des lois respectives qui va désormais constituer le thème de notre réflexion. Ainsi, après avoir étudié les différents systèmes d'organisation de l'administration de la société anonyme, qu'envisage chaque système juridique, il convient d'observer dans quelles mesures les droits français et espagnol permettent à la volonté individuelle de façonner le schéma légal d'organisation.

CHAPITRE II.
ESPACE CONCEDE A LA VOLONTE INDIVIDUELLE

Section 1. - La liberté encadrée en France


On doit reconnaître qu'en France, l'administration des sociétés anonymes est régie par des normes restrictives, qui laissent peu de place aux initiatives individuelles.

Toutefois il existe quelques domaines, certes restreints, où il est possible de donner libre court à une certaine autonomie de la volonté.

Concernant la matière qui nous occupe, cette "liberté encadrée" s'illustre particulièrement dans deux domaines.

§1. - Les compléments prévus par la loi


Cette marge de liberté reste limitée, en premier lieu, à la faculté de choisir des règles prévues par la loi qui ont pour fonction de compléter le régime légal.

A. - Les organes complémentaires


Tout d'abord, il est possible de prévoir comme le rappelle Monsieur Yves GUYON 33 :

"des organes complémentaires comme les directeurs généraux, l'administrateur délégué et les comités d'études."

1. - Le directeur général


Ainsi selon l'article 115 de la loi de 1966:

"Sur la proposition du président, le conseil d'administration peut donner mandat à une personne physique d'assister le président à titre de directeur général. Deux directeurs généraux peuvent être nommés dans les sociétés dont le capital est au moins égal à cinq cent mille francs, et cinq directeurs généraux dans les sociétés dont le capital est au moins égal à dix millions de francs à condition que trois d'entre eux au moins soient administrateurs. Le conseil détermine leur rémunération."

La nomination d'un ou plusieurs directeurs généraux est donc facultative et leur mission, comme l'indique l'article précité, consiste à assister le président.

Ils disposent pour cela et conformément à l'article 117 de la loi de 1966:

"(...) à l'égard des tiers, des mêmes pouvoirs que le président."

Notons que les statuts, pour être en conformité avec l'article 115. 1, doivent prévoir une limite d'âge qui, à défaut de stipulation statutaire expresse, est fixée à 65 ans pour l'exercice des fonctions de directeur général. Ajoutons enfin qu'il est révocable à tout moment par le conseil d'administration sur proposition du président (article 116 de la loi de 1966).

2. - L'administrateur délégué


Il est possible, en outre, selon l'article 112 de la loi de 1966, de prévoir l'existence d'un administrateur délégué:

"En cas d'empêchement temporaire ou de décès du président, le conseil d'administration peut déléguer un administrateur dans les fonctions de président.

En cas d'empêchement temporaire, cette délégation est donnée pour une durée limitée; elle est renouvelable. En cas de décès, elle vaut jusqu'à l'élection du nouveau président."

Cet organe facultatif peut s'avérer fort utile en cas de vacance de la présidence, qui peut être une source de blocage de la société. En dehors de ce cas précis, l'administrateur délégué n'est titulaire d'aucun pouvoir.

3 - Le comité d'études


Le décret du 23 mars 1967 dans son article 90 dispose:

"Le conseil d'administration (...) peut décider la création de comités chargés d'étudier les questions que lui-même ou son président soumet, pour avis, à leur examen. Il fixe la composition et les attributions des comités qui exercent leur activité sous sa responsabilité."

Ajoutons que ces comités, dont le rôle est avant tout consultatif, peuvent également être créés à l'initiative du conseil de surveillance conformément à l'article 115 du décret du 23 mars 1967.

Il est des auteurs, dont Monsieur Yves GUYON, qui résument assez bien la nature de ces organes facultatifs, lesquels, d'après lui,"sont soumis à la règle du tout ou rien 34 ".

Autrement dit, si leur existence est facultative, une fois choisis, leurs statuts, minutieusement réglés par la loi, s'imposent à tous.

B - Les administrateurs élus par le personnel de la société


En second lieu, les statuts peuvent prévoir la participation des salariés au conseil d'administration.

Selon l'article 97. 1 de la loi de 1966:

"Il peut être stipulé dans les statuts que le conseil d'administration comprend (...) des administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français.(...)".

Ce point précis est d'autant plus intéressant qu'il est appréhendé de manière tout à fait différente en Espagne.

Ainsi la L.S.A., ne fait à aucun moment une quelconque référence à la participation des salariés dans l'organe d'administration de la société anonyme.

Le droit espagnol n'est toutefois pas entièrement étrangé à ce phénomène, puisqu'une loi du 21 juillet 1962, ainsi que le règlement du 15 juillet 1965, y font référence.

La loi entend octroyer à la représentation du travail une participation restreinte au sein des organes de gestion des entreprises qui adoptent la forme de sociétés et qui souhaitent une telle participation.

Ainsi la loi de 1962 dispose:

"(...) otorgar a la representación del trabajo una participación restringida en los órganos de gestión de las empresas que adopten forma de sociedades en las que se concede tal participación(...)."

Il faut préciser pourtant que cette mesure n'a pas obtenu les résultats escomptés.

En effet elle a rencontré d'une part, une vive opposition auprès des chefs d'entreprises ainsi que des associations patronales et paradoxalement, les salariés n'ont pas accueilli cette mesure avec un grand enthousiasme, au point que les organisations de défense des salariés ont déclaré préférer un dialogue externe entre ces organisations et l'organe d'administration en tant que tel, plutôt qu'une confrontation interne au sein de l'organe d'administration, où les salariés ne représenteraient qu'une minorité 35 .

A cela s'ajoute l'absence d'harmonisation de cette loi avec la L.S.A., ce qui accentua d'autant l'écartement, voir même, le rejet de cette règle qui fut reléguée au second plan pour ne pas dire confinée aux "oubliettes".

Il faut préciser néanmoins que cette possibilité en France est strictement encadrée par la loi. Ainsi, parmi les nombreuses conditions posées par la loi, figure celle du nombre des administrateurs qui est limité. Il ne peut être supérieur à quatre ou à cinq si la société est cotée en bourse. Dans tous les cas, leur nombre ne peut excéder le tiers du nombre des autres administrateurs (article 97- 1 de la loi de 1966).

D'autre part, une certaine ancienneté est requise pour prétendre occuper la fonction d'administrateur, hormis l'exception prévue à l'article 97-2 alinéa 1. En outre, leur mandat est renouvelable, sauf stipulation contraire des statuts (articles 97- 2 et 97- 3 de la loi de 1966).

Les quelques conditions énumérées précédemment, prouvent que la participation des salariés au conseil d'administration, peut se révéler effective mais quelque peu limitée en pratique.

§2. - Les compléments non prévus par la loi


Comme nous l'avons vu, la loi de 1966 laisse très peu de place à l'expression de l'autonomie de la volonté.

Pourtant, certains organes non prévus par la loi de 1966, ont vu le jour pour satisfaire les besoins sans cesse croissants de la pratique.

Nous citerons trois exemples tirés de travaux réalisés par Monsieur Yves GUYON 36 , il s'agit, en premier lieu, du dirigeant honoraire, puis, en second lieu, du vice-président du conseil d'administration, enfin, du censeur.

A. - Le directeur honoraire


Il s'agit, tout d'abord, du dirigeant honoraire, fonction purement honorifique qui ne confère aucun pouvoir et qui s'exerce le plus souvent à titre gratuit 37 , en effet, le conseil d'administration est libre de leur verser des jetons de présence. Cette fonction peut concerner les membres du conseil d'administration qui ont atteint la limite d'âge posée par l'article 90. 1 de la loi de 1966 38 , ou celle stipulée dans les statuts.

B. - Le vice-président du conseil d'administration


Il faut mentionner ensuite l'existence du vice-président du conseil d'administration 39 , lequel peut convoquer le conseil ou le présider 40 en cas d'absence exceptionnelle du président, car n'oublions pas qu'en cas d'absence temporaire de celui-ci, l'article 112 de la loi de 1966 autorise la nomination d'un administrateur délégué dans les fonctions de président.

C - Les censeurs


Enfin, précisons l'existence d'un organe, là encore non prévu par la loi de 1966, que l'on peut rencontrer au sein de certaines sociétés exerçant une activité bancaire ou immobilière. Il s'agit des censeurs, dont la mission consiste à surveiller et conseiller les administrateurs, qui ne doivent en aucun cas assumer des fonctions de direction ou se substituer aux organes légaux.

Comme nous venons de le voir, la loi de 1966 n'autorise que très restrictivement les initiatives individuelles. Bien qu'elle ait fait place ici et là, à des créations de la pratique, elle permet le plus souvent de choisir entre plusieurs alternatives qui sont rigoureusement réglementées par la loi.

La situation en Espagne est quelque peu différente, ainsi l'apparente rigidité de la loi de 1966 contraste avec la L.S.A. espagnole qui fait une large place à l'autonomie de la volonté.

Section 2. - La souplesse de la loi espagnole


Avant d'aborder les principes caractérisant la souplesse de la L.S.A., il faut préciser que le droit espagnol permet, tout comme le droit français de choisir des organes facultatifs dont l'existence est prévue par la loi.

Certains organes, qui ne sont pas prévus par la loi, ont également dû être créés par la pratique en Espagne.

§1. - Les organes facultatifs

A. - Le vice-président du conseil d'administration


Soulignons d'emblée deux différences intéressantes entre les deux droits. La première concerne le vice-président du conseil d'administration, qui, en Espagne, est un organe facultatif prévu par la loi, alors qu'en France, c'est une création de la pratique. Ils disposent toutefois des mêmes pouvoirs.

Ainsi l'article 140. 1 de la L.S.A. y fait allusion implicitement:

"(...) el presidente o el que haga sus veces."

Autrement dit la loi fait référence, dans cet article, au président ou bien à celui qui accomplit les fonctions à sa place en son absence.

L'article 146 R.R.M. mentionne expressément cet organe:

"(...) el presidente, los vicepresidentes (...)"

B - Le directeur général


La seconde différence concerne le directeur général, qui en France, est un organe facultatif prévu par la loi. En Espagne, cet organe facultatif n'est pas reconnu expressément par les textes légaux régissant la société anonyme. En effet, il a été créé de toutes pièces par la pratique 41 .

Les deux droits ont donc su créer les mêmes organes, car ressentant les mêmes besoins, mais par des voies différentes.

D'autre part, outre la grande liberté qu'offre la L.S.A. dans le choix du mode d'administration de la société anonyme, il est un principe important en Espagne, qui gouverne l'organisation et le fonctionnement du conseil d'administration.

§2. - Le principe " d'autoorganización" du conseil d'administration


Principe que l'on peut qualifier selon la terminologie employée par divers auteurs, de pouvoir "d'autoorganisation" 42 , ou d'autodiscipline 43 du conseil d'administration.

La L.S.A, dans son article 141, autorise le conseil d'administration à déterminer son propre fonctionnement, sauf disposition contraire des statuts:

"Cuando los estatutos de la sociedad no dispusieran otra cosa, el consejo de administración podrá (...) regular su propio funcionamiento."

A.- Justification du principe


La première justification est d'ordre pratique, en effet, la L.S.A. a pris le soin de reprendre dans son sein, une grande majorité de principes qui furent à l'origine dégagés par la pratique.

A cela s'ajoute une explication d'origine structurelle, ainsi, la société anonyme en Espagne est adoptée par de très grandes entreprises, mais également par des entreprises plus petites de type familial.

Il était donc nécessaire, afin que la forme de la société anonyme puisse s'adapter à des entreprises de dimensions très différentes, que l'organisation et le fonctionnement du conseil d'administration soient déterminés par les associés, ou les administrateurs, en fonction de la nature et des besoins de la société 44 .

La troisième raison, justifiant l'espace important concédé à l'autonomie de la volonté pour réguler le fonctionnement du conseil d'administration, est d'ordre économique. Elle découle directement de celle précédemment énoncée. Les associés et administrateurs sont les plus à même de déterminer une organisation et un fonctionnement du conseil d'administration, qui soient les plus efficaces possibles, pour un coût le moins onéreux qui soit, et ce bien sûr en fonction des ressources de la société concernée.

B. - Les avantages du principe


Ce principe d'autorégulation 45 présente sans conteste l'avantage de faciliter le fonctionnement de l'organe collégial. Il permet, en outre, une adaptation constante de l'organe d'administration aux évolutions de son environnement économique.

Rappelons tout de même que ce pouvoir peut être refusé par les statuts, et ce de manière expresse ou tacite.

Les statuts de la société peuvent ainsi stipuler que le conseil d'administration ne pourra déterminer son propre fonctionnement. Les statuts de la société peuvent également le prohiber de façon indirecte en réglementant minutieusement l'organisation et le fonctionnement du conseil d'administration de façon quasi exhaustive.

Dans tous les cas, les normes édictées par le conseil d'administration seront subordonnées à celles stipulées dans les statuts.

Ainsi, l'espace concédé à l'autonomie de la volonté dans l'organisation de l'administration de la société anonyme, est beaucoup plus grand en Espagne qu'en France pour les raisons précédemment énoncées.

Malgré cela, l'organe d'administration, dans les deux pays, traverse depuis quelque temps déjà une période de crise, on s'interroge notamment sur sa réelle efficacité. Il conviendra donc d'examiner l'état actuel de la crise subie par cet organe dans les deux droits, afin d'envisager par la suite, d'éventuelles solutions.

CHAPITRE III.
LA REMISE EN QUESTION DU CONSEIL D'ADMINISTRATION

Section 1. - La mise en doute de son utilité

§1. - Les critiques à son égard

A. - Les reproches français


L'organe collégial souffre en France, depuis quelque temps déjà, de nombreuses critiques, au point que certains auteurs 46 se demandent si à l'heure actuelle les administrateurs servent encore à quelque chose.

D'autres, dont la critique est plus acerbe, déclarent que le conseil d'administration est "une des manières les plus distinguées de perdre son temps" 47 .

Cette vision des choses semble être confirmée en partie, par un exemple récent rencontré dans la pratique. Il est tiré d'un ouvrage de Maurice COZIAN et Alain VIANDIER, lesquels délivrent un extrait du rapport de la commission d'enquête parlementaire sur le Crédit Lyonnais 48 :

"L'impression d'ensemble qui se dégage de l'examen systématique des travaux du conseil d'administration du Crédit Lyonnais est qu'il a globalement fait preuve de passivité et d'une étrange absence de curiosité. Cette impression a été confirmée par le témoignage de certains de ses membres devant la commission. L'un d'entre eux l'a qualifiée de lieu d'enregistrement de décisions prises ailleurs ".

Il est vrai que certains conseils d'administration font preuve d'un certain effacement 49 , car peu disposés à questionner, ou moins encore, à critiquer l'action du président.

B. - Les reproches espagnols


L'Espagne n'est pas épargnée par ce déclin amorcé du conseil d'administration, qui prend néanmoins d'autres formes, en raison d'une répartition des pouvoirs au sein de l'organe d'administration qui peut se révéler quelque peu différente de celle qui est possible en France 50 .

On critique, en Espagne, une certaine passivité des administrateurs mais l'on reproche davantage la concentration croissante du pouvoir en très peu de mains.

L'administration collégiale y est parfois ressentie comme inefficace en raison de la lourdeur et la lenteur de l'organe dans la prise de décisions 51 .

On reproche également au conseil le manque de compétence de ses membres, dont certains suivent très approximativement les progrès techniques qui vont en s'amplifiant.

De plus, le mouvement déjà ancien de personnalisation du pouvoir au sein du conseil d'administration est fortement ressenti dans les deux droits 52 .

Il convient pourtant de relativiser ces critiques à l'encontre du conseil d'administration qui conserve à l'heure actuelle un rôle important et dont les différentes missions se révèlent fort utiles.

§2. - Leurs atténuations

A - Le rôle actif du conseil d'administration


D'après une étude réalisée par Messieurs CHARREAUX et PITOL-BELIN 53 , le conseil d'administration a, dans plus de 73% des cas visés par l'étude, un rôle actif.

Il constitue également d'après ces auteurs"pour près de 80% des P.D.G consultés, un garde-fou contre les décisions aventureuses".

Il faut donc mettre en avant le rôle préventif du conseil d'administration qui, de part la pluralité des membres qui composent l'organe, garantit une prise de décision cohérente et concertée, où chaque administrateur a pu faire bénéficier ses collègues de son expérience et de ses compétences propres.

Certes, on ne peut nier le rôle moins important joué par le conseil dans certaines sociétés familiales, mais bien souvent, ces sociétés satisfont aux exigences légales de manière fictive et choisissent ce type de société pour les avantages d'ordre fiscal ou social qu'il procure.

B - L'importance de ses missions


On peut en outre mettre en avant d'autres fonctions importantes que doit assumer le conseil, à savoir le maintient de la discipline, l'approbation et le contrôle des décisions 54 .

Les différentes missions allouées au conseil sont donc importantes et nécessaires. Reste à savoir si les administrateurs sont à même d'exercer leur mission dans les meilleures conditions qui soient. Il convient pour ce faire de se poser diverses questions :

- sont-ils assez indépendants?

- Ont-ils toutes les compétences nécessaires?

- Disposent-ils des moyens nécessaires pour adopter des décisions en pleine connaissance de cause?



C'est à ces questions que le mouvement de réforme en faveur de l'introduction en France et en Espagne de la théorie du "corporate governance" tente de répondre, afin de redynamiser et de renforcer le rôle du conseil.

Section 2. - Les solutions pour surmonter la crise

§1. - La théorie du "corporate governance"

A - Fondements de la théorie


Ce courant d'idées appelé "corporate governance" que l'on peut traduire par "gouvernement de l'entreprise" ou "les pouvoirs dans l'entreprise" 55 , nous vient des Etats-Unis et d'Angleterre 56 .

Ce courant analyse la structure du pouvoir au sein du conseil d'administration, pour en dégager les inconvénients actuels et proposer des solutions, afin d'aboutir à une gestion optimale des sociétés anonymes.

Bien que certains auteurs remarquent que ce débat soit déjà ancien 57 , le voilà cependant relancé en Espagne, comme en France.

B. - Les remèdes proposés

1 - Distinction des fonctions de gestion



Ce mouvement propose notamment, comme remède aux problèmes qui affectent l'organe d'administration, de distinguer au sein du conseil d'administration les administrateurs gestionnaires des autres administrateurs.

Cette distinction aurait pour but d'éviter qu'un seul homme ne concentre en ses mains le pouvoir de décision.

Bien que ces solutions n'existent pas en droits français et espagnol, il est possible de s'en rapprocher, en droit français, par le biais de la formule dualiste, ainsi qu'en droit espagnol, lorsque l'organe d'administration de la société a recours à la technique juridique de délégation de compétences 58 .

Voilà le débat entre la structure dualiste et moniste relancé, bien que l'on puisse déjà présager de son issue, en raison de l'échec de la formule dualiste en France, et de son inexistence dans la législation espagnole.

La solution doit donc emprunter un autre chemin, peut-être celui des comités spécialisés, dont la création est recommandée par le rapport CADBURY 59 .

2. - La création de comités spécialisés


Il est recommandé la création de comités de sélection des administrateurs, de rémunérations et d'un comité des comptes.

La solution paraît cette fois-ci plus satisfaisante, car elle est envisageable en France et en Espagne.

D'ailleurs, deux organisations patronales: l'association française des entreprises privées et le conseil national du patronat français, demandaient en 1995 à Monsieur Marc VIENOT, président directeur général de la Société Générale, de mettre sur pied un groupe de travail qui devait étudier la pratique française du "gouvernement des entreprises".

Le rapport VIENOT se déclara favorable à l'existence des comités.

Notons toutefois que l'intrusion des comités manque à l'heure actuelle d'une certaine efficacité. En effet, ils ne peuvent être que des organes consultatifs, il faudrait donc améliorer le système en augmentant les pouvoirs de ces comités 60 .

En outre, l'accent est mis sur un autre problème que l'on rencontre en France et en Espagne.

3 - L'administrateur indépendant


Ainsi il est fréquent dans ces pays de constater que c'est souvent le président qui nomme les administrateurs et non l'inverse, ce qui présente l'inconvénient de les placer dans une situation de dépendance.

Pour remédier à ce manque d'indépendance, nécessaire aux administrateurs pour qu'ils accomplissent au mieux leur tâche, il est proposé la création d'un administrateur indépendant, dont la fonction consisterait à contrôler l'action du président.

La mise en place de cet administrateur soulève en France de vives critiques. Tout d'abord, se pose le problème de son recrutement. La solution pourrait résider dans la mise en place de listes d'administrateurs permettant de les choisir en toute clarté.

Son mode de rémunération peut également être source de conflits, car elle pourrait conditionner son indépendance.

D'autre part certains auteurs 61 font valoir que l'institution d'un tel administrateur "peut aboutir à des représentations catégorielles au sein du conseil d'administration (...) dangereux pour la cohésion sociale".

Enfin il faut ajouter que ces administrateurs pourraient souffrir d'un manque de légitimité très délicat à gérer, notamment lorsque certaines décisions devraient être prises par des personnes qui n'ont pas l'affectio societatis.

La création d'un tel administrateur n'apparaît donc pas envisageable en France comme en Espagne.

§2. - L'applicabilité de la théorie

A - La prudence de la doctrine


Il faut donc, en définitive, être prudent quant à l'applicabilité de ce mouvement dans des pays différents de ceux qui l'ont vu naître.

Bien que certaines solutions paraissent séduisantes, encore faut-il les adapter à chaque système juridique en fonction de ses particularités propres.

D'ailleurs il est un auteur espagnol, à savoir Joaquim BISBAL I MENDEZ, qui conclue une note consacrée à l'étude du gouvernement de l'entreprise en déclarant: "Méfiez-vous des morceaux choisis" 62 .

B. - La solution intermédiaire


Une solution plus adéquate pourrait consister, non pas dans l'adoption d'une nouvelle loi introduisant les principes précités, mais plutôt dans l'assouplissement des règles déjà existantes, afin que chaque société qui le souhaite, puisse décider dans ses statuts du choix et de la création des organes les plus appropriés à ses besoins.

D'ailleurs le rapport MARINI, sur la modernisation du droit des sociétés, ne propose pas l'adoption de norme légale quant à l'administrateur indépendant, il suggère simplement d'ouvrir aux statuts la faculté de déléguer certaines compétences propres du conseil d'administration à des comités spécialisés (sélection, rémunération, audit), dans le cadre d'une liste limitative fixée par la loi 63 .

Après avoir envisagé l'étude de la structure externe de l'organe d'administration, il convient dès à présent d'entamer l'analyse de la structure interne de l'organe d'administration, au travers des questions relatives à la nomination de l'administrateur, ainsi que celles concernant sa relation avec la société.

TITRE SECOND.
STRUCTURE INTERNE DE L'ORGANE D'ADMINISTRATION

CHAPITRE I. QUESTIONS RELATIVES A LA NOMINATION DE L'ADMINISTRATEUR

Section 1. - Les conditions de la nomination

§1. - Les points divergents

A - La qualité d'actionnaire

1 - La règle posée


Selon l'article 95 alinéa 1er de la loi de 1966:

"Chaque administrateur doit être propriétaire d'un nombre d'actions de la société déterminé par les statuts. Ce nombre ne peut-être inférieur à celui exigé par les statuts pour ouvrir aux actionnaires le droit d'assister à l'assemblée générale ordinaire."

Selon l'article 123. 2 de la L.S.A.:

"Para ser nombrado administrador no se requiere la cualidad de accionista, a menos que los estatutos dispongan lo contrario."

Les droits français et espagnol consacrent donc une solution différente puisque l'administrateur, en France, doit avoir la qualité d'actionnaire alors qu'en Espagne, celui-ci n'a pas à l'être, à moins que les statuts n'en disposent autrement.

C'est au travers de l'analyse de l'origine, la finalité et l'efficacité de cette exigence française, que nous allons tenter d'expliquer pourquoi le droit espagnol n'adopte pas la même solution, et comment il lui substitue une règle peut-être plus efficace.

2 - Justification de la règle


On justifie traditionnellement cette règle par le fait qu'un actionnaire sera davantage intéressé à la gestion de la société et y apportera plus de soin 64 .

Ajoutons à cela que le plus à même de préserver les intérêts des actionnaires est l'actionnaire lui-même.

Si le droit espagnol impose nullement que l'administrateur soit actionnaire de la société, les statuts peuvent le prévoir. On retrouve, encore une fois, une illustration de la liberté statutaire qui règne en droit espagnol des sociétés.

On justifie l'absence de qualité d'actionnaire, en Espagne, par un principe que l'on qualifie de "organicismo de terceros" 65 , selon lequel toute personne peut administrer une société sans pour cela qu'il soit nécessaire qu'elle ait la qualité d'actionnaire.

Des tiers à la société que l'on traduit en Espagnol par "terceros" peuvent donc administrer la société.

Toutefois, chaque société, selon ses propres caractéristiques, pourra décider d'insérer une clause statutaire imposant aux administrateurs la qualité d'actionnaire.

Il est donc fréquent d'observer que des petites sociétés familiales, introduisent des clauses de ce type pour empêcher l'intrusion de tiers étrangers à la société.

En revanche les sociétés de tailles plus importantes n'y ont recours que très rarement, bien que ce phénomène tende récemment à s'inverser par crainte d'offres publiques d'achats, qui poussent quelques sociétés cotées en bourse à exiger statutairement la qualité d'actionnaire, voire également une certaine ancienneté au sein de la société.

Nous avons donc observé, que les droits français et espagnol, n'adoptaient pas la même position quant à la nécessité de la qualité d'actionnaire.

Cette différence d'approche pourrait être amenée à l'avenir, à disparaître. En effet, le rapport MARINI préconise, s'agissant de la qualité d'actionnaire requise pour être administrateur, de renvoyer cette question aux statuts 66 .

B - La recherche de garanties

1 - La méthode propre à chaque droit


Après avoir examiné la justification de la règle, envisageons l'examen de ses origines. Ceci va nous permettre de comprendre de quelle façon deux droits, confrontés à un problème identique, choisissent de le solutionner par des voies différentes.

Rappelons qu'à l'origine, les actions détenues par les administrateurs en France, étaient considérées comme des "actions de garantie" et étaient, à ce titre, inaliénables. Ces actions visaient à garantir les éventuels actes de gestion indélicats.

On avait également conscience de ce problème, en Espagne, mais l'on ne pouvait y remédier de la même façon, le droit espagnol n'exigeant pas la qualité d'actionnaire.

On eu donc recours à un autre système, celui des garanties que peuvent devoir fournir les administrateurs, et qui sont fixées facultativement par l'assemblée générale, à défaut de disposition prévues dans les statuts. Cette règle est formulée dans l'article 123. 1 de la L.S.A.:

"(...) la junta general podrá, además, en defecto de disposición estatutaria, fijar las garantías que los administradores deberán prestar o relevarlos de esta prestación."

Le droit espagnol n'a donc pas pris exemple sur le droit français en exigeant une garantie basée sur les actions de la société.

A cela deux raisons, la première consiste à laisser à la société, ou le cas échéant à l'assemblée générale, le soin de prévoir ou non de telles garanties.

En effet, si les statuts sont silencieux sur ce point, l'assemblée générale peut fort bien décider de ne pas en prévoir, et dans ce cas précis, aucune garantie ne serait due par les administrateurs 67 .

La seconde réside dans la liberté accordée à la société dans le choix de la nature de ces garanties.

Il peut s'agir de garanties réelles ou personnelles destinées à couvrir une éventuelle dette, qui peut naître à la suite de la mise en jeu de la responsabilité civile des administrateurs 68 .

Voilà encore un exemple de la flexibilité de la L.S.A. qui permet à chaque société d'adapter son organisation, ses règles de fonctionnement à ses besoins propres.

2. - Leur efficacité


Toutefois, il nous reste à apprécier l'efficacité d'un système par rapport à l'autre.

Le système français des "actions de garantie" fut abrogé par une loi du 5 janvier 1988, en raison notamment de son inutilité confirmée par le simple fait que cette garantie, basée sur les actions, était destinée à jouer lorsque la société se trouvait dans une situation difficile, or dans ces moments là, la valeur des actions chute grandement et devient souvent insignifiante.

Le système espagnol paraît, en revanche, plus efficace mais surtout mieux adapté aux besoins de la pratique, puisque chaque société pourra exiger des garanties très efficaces ou au contraire n'en prévoir aucune.

§2. - Les points convergents

A. - Les facteurs prohibitifs d'accès à la fonction d'administrateur


Les droits respectifs ne présentent pour leur part aucune originalité, nous traiterons donc rapidement ce thème, précisant que chaque droit comporte son lot d'incapacités dues à l'âge, d'interdictions en raison de condamnations pénales ou de faillites personnelles, d'incompatibilités visant certaines professions ou personnes comme les fonctionnaires, ou les auxiliaires de justice par exemple.

Il faut néanmoins préciser que les différentes prohibitions posées par le droit français ne se trouvent pas dans le coeur de la loi de 1966. Il faut en effet les rechercher dans des textes extérieurs à la loi, comme notamment le décret-loi du 8 août 1935 et la loi du 30 août 1947 s'agissant des interdictions dues à des condamnations pénales, la loi du 25 janvier 1985 concernant les interdictions liées à la faillite personnelle et diverses ordonnances, dont les principales datent du 24 octobre 1958, 17 novembre 1958 et 4 février 1959 et concernent différentes incompatibilités 69 .

Le droit espagnol, quant à lui, contient dans le cœur même de la L.S.A. une règle figurant à l'article 124, qui rappelle les différentes prohibitions précitées.

Notons, en outre, qu'aux incompatibilités applicables à toute l'Espagne s'ajoutent certaines incompatibilités territoriales.

Ainsi, certaines communautés autonomes, parmi les dix-sept que compte l'Espagne, peuvent dicter certaines normes concernant des incompatibilités. Ces incompatibilités sont prises via des lois spéciales intitulées"Leyes de Gobierno y Administración de la Comunidad Autónoma".

Citons à titre d'exemple la loi 21/26 novembre 1987 instaurant une incompatibilité touchant le personnel au service de l'administration de "la Generalitat de Catalunya".

B. - Une personne morale administrateur


Là encore, les deux droits ne consacrent aucune originalité puisqu'ils admettent tous deux cette possibilité.

Le droit français l'envisage au travers de l'article 91 de la loi de 1966:

"Une personne morale peut être nommée administrateur. Lors de sa désignation, elle est tenue de désigner un représentant permanent qui est soumis aux mêmes conditions et obligations et qui encourt les mêmes responsabilités civiles et pénales que s'il était administrateur en son nom propre, sans préjudice de la responsabilité pénale solidaire de la personne morale qu'il représente.

Lorsque la personne morale révoque son représentant, elle est tenue de pourvoir en même temps à son remplacement."

Bien que le droit espagnol ait discuté un temps la possibilité de nomination d'une personne morale comme administrateur, notamment sous la loi de 1951, les articles 8 f) de la L.S.A. et 143 R.R.M. ont levé toute ambiguïté. Ils admettent explicitement la nomination d'une personne morale en tant qu'administrateur.

Conformément à l'article 8 f) de la L.S.A.:

"en la escritura de constitución de la sociedad se expresáran: (...) su denominación social, si fueran personas jurídicas (...).".

L'article 143 R.R.M. s'intitule quant à lui:

"Nombramiento de administrador persona jurídica."

§3. - Les originalités du droit français


Faisons place désormais à deux règles posées par le droit français que l'on ne retrouve pas en droit espagnol.

A - Les limites liées à l'âge


La première est constituée par une limite d'âge qui est imposée par la loi puisqu'elle dispose dans son article 90. 1:

"Les statuts doivent prévoir, pour l'exercice des fonctions d'administrateurs, une limite d'âge s'appliquant soit à l'ensemble des administrateurs, soit à un pourcentage déterminé d'entre eux.

A défaut de disposition expresse dans les statuts, le nombre des administrateurs ayant dépassé l'âge de soixante-dix ans ne pourra être supérieur au tiers des administrateurs en fonction. (...)"

Notons toutefois que cette règle n'a que peu d'importance pratique, puisque les statuts peuvent élever ou abaisser l'âge limite de présence au sein du conseil d'administration.

B - Les limites liées au mandat


La seconde règle établit également une limite qui concerne cette fois, le cumul des mandats. La règle posée est très claire, selon l'article 92 loi de 1966:

"Une personne physique ne peut appartenir simultanément à plus de huit conseils d'administration de sociétés anonymes ayant leur siège social en France métropolitaine. (...)"

Cette règle, qui vise selon Maurice COZIAN à assurer le sérieux de la fonction, souffre de quelques exceptions. Ces dernières concernent les administrateurs en fonction dans les sociétés dont le capital est détenu à concurrence de 20% au moins par une autre société, dont ils sont déjà administrateurs. Un complément de cinq mandats supplémentaires est autorisé.

D'autre part, les personnes morales ne sont pas concernées par cette limite dans le cumul des mandats.

Enfin les mandats détenus dans les sociétés étrangères ne sont pas comptabilisés.

Bien que cette limite n'existe pas dans le droit espagnol, celui-ci réglemente toutefois le cumul de certains mandats.

Ainsi, l'article 132. 2 de la L.S.A. dispose:

"Los administradores que lo fueren de otra sociedad competidora y las personas que bajo cualquier forma tengan intereses opuestos a los de la sociedad cesarán en su cargo a petición de cualquier socio y por acuerdo de la junta general."

Ainsi, les administrateurs qui occupent simultanément cette fonction dans plusieurs sociétés concurrentes, devront cesser d'exercer la fonction occupée dans l'une des sociétés à la demande de tout associé ou par décision de l'assemblée générale de celle-ci.

Notons enfin à titre de remarque, qu'aucune disposition n'interdit en droit espagnol, le cumul de la fonction d'administrateur et d'un travail salarié 70 .

Section 2. - Procédure de la nomination

§1. - Les règles communes aux deux législations


Le droit français comme le droit espagnol reconnaissent un principe commun, celui de la nomination des administrateurs par l'assemblée générale des actionnaires qui est compétente dans ce domaine:

Selon l'article 90 de la loi de 1966:

"Les administrateurs sont nommés par l'assemblée générale constitutive ou par l'assemblée générale ordinaire. (...)"

Selon l'article 123. 1 de la L.S.A.:

"El nombramiento de los administradores y la determinación de su número, cuando los estatutos establezcan solamente el máximo y el minimo, corresponde a la junta general."

Toutefois, s'agissant des premiers administrateurs, les droits français et espagnol reconnaissent qu'ils puissent être nommés par les statuts ou par l'assemblée générale constituante.

A. - Nomination dans les statuts


Ils seront nommés par les statuts, en France, dans les sociétés ne faisant pas publiquement appel à l'épargne (article 90 alinéa 1er). En Espagne, les premiers administrateurs nommés dans les statuts le sont en cas de constitution simultanée de la société (article 8 L.S.A.).

Il faut rappeler au passage que la loi espagnole, comme la loi française prévoient deux modalités de constitution de la société anonyme, la procédure simultanée appelée "fundaciónsimultánea", la société est alors constituée dès la signature de l'acte de constitution par les fondateurs de la société.

Elles prévoient également une procédure successive, nommée en Espagne "fundación sucesiva" qui ne vaut qu'en cas d'appel public à l'épargne. La société ne se constitue qu'au moment de la réunion de l'assemblée constitutive, "la junta constituyente", qui doit approuver les statuts.

B. - Nomination par l'assemblée générale constituante


Les premiers administrateurs peuvent donc également être nommés par l'assemblée générale constitutive.

Ce système qui prévaut en cas d'appel public à l'épargne est affirmé par l'article 25. 1 de la L.S.A. et par l'article 79 alinéa 2 de la loi de 1966.

Les deux législations prévoient en outre, une exception au principe de nomination des administrateurs par l'assemblée générale.

§2. - Les exceptions

A. - L'exception commune aux deux droits


Le système de nomination des administrateurs par l'assemblée générale comporte une exception commune au droit français et espagnol 71 .

Il faut préciser néanmoins que cette exception ne joue, en droit espagnol, que lorsque l'on est en présence d'un organe collégial d'administration, autrement dit, le conseil d'administration.

Il s'agit d'un mode de nomination des administrateurs par le conseil lui-même, que l'on appelle la cooptation ou, en droit espagnol "la cooptación".

Elle est prévue par l'article 94 de la loi de 1966:

"En cas de vacance par décès ou par démission d'un ou plusieurs sièges d'administrateurs, le conseil d'administration peut, entre deux assemblées générales, procéder à des nominations à titre provisoire. (...)"

L'article 138 de la L.S.A. dispose quant à lui:

"Si durante el plazo para el que fueron nombrados los administradores se produjesen vacantes, el consejo podrá designar entre los accionistas las personas que hayan de ocuparlas hasta que se reúna la primera junta general."

1 - La précision du droit français


Bien que la cooptation soit prévue textuellement dans les deux droits, l'article 94 de la loi de 1966 est rédigé de manière bien plus complète et précise que l'article 138, qui se borne seulement à définir le principe sans en poser les limites.

La lecture de l'article nous fournit tout de même un détail significatif, l'administrateur choisi par ses pères doit être un actionnaire, alors qu'en dehors de la cooptation, ceci n'est pas obligatoire.

D'autre part, le droit français prévoit des limites à la cooptation, car celle-ci n'est possible qu'en cas de décès ou de démission, ce qui exclut les cas de révocations.

Bien que cela ne soit pas précisé dans l'article 138 de la L.S.A., il faut également entendre par "vacantes" les mêmes cas visés par le droit français, excluant de ce fait les révocations.

L'article 94 alinéa 2 de la loi de 1966 déclare en outre, que la cooptation n'est possible que si le nombre des administrateurs est supérieur au minimum légal, car dans le cas inverse, les administrateurs restant doivent convoquer immédiatement l'assemblée générale ordinaire en vue de compléter l'effectif du conseil.

Le droit espagnol n'a quant à lui rien prévu concernant ce point précis.

2 - L'imprécision du droit espagnol


Le droit espagnol n'a donc pas précisé quel devait être le nombre minimum d'administrateurs pouvant recourir à la cooptation.

Deux solutions étaient alors envisageables, on pouvait d'une part autoriser les administrateurs restant à convoquer l'assemblée générale, ce qui aboutissait à rendre impossible toute rénovation du conseil par cooptation.

La seconde solution consistait à déclarer que les administrateurs restant pouvaient, quelque soit leur nombre, recourir à la cooptation.

Cette solution présentait le grand inconvénient d'autoriser un seul administrateur à nommer l'ensemble du conseil restant.

Il fallait donc trouver une solution intermédiaire, en partie décrite dans l'article 139 de la L.S.A.:

"El consejo de administración quedará válidamente constituido cuando concurran a la reunión, presentes o representados, la mitad más uno de sus componentes."

Autrement dit, le conseil d'administration sera valablement constitué s'il est composé de la moitié plus un de ses membres, présents ou représentés.

La cooptation pourrait donc avoir lieu si ces conditions étaient réunies. Encore faut-il résoudre une nouvelle difficulté, notamment lorsque les statuts ne prévoient qu'un nombre minimum et maximum d'administrateurs, comme l'autorise l'article 123. 1 de la L.S.A.

La solution la plus favorable consisterait à se baser sur le nombre d'administrateurs effectivement nommés par l'assemblée générale, solution qui est d'ailleurs confirmée par la doctrine 72 .

On remarquera ici les inconvénients que peut présenter une relative imprécision dans la rédaction d'une norme qui se borne à établir un principe sans en définir les limites et le fonctionnement exact.

La loi espagnole, sans tomber dans un excès de rigidité, pourrait quelque peu expliciter davantage ce principe.

Le droit espagnol présente une originalité, comparativement au droit français, concernant le mode de nomination des administrateurs dans le cadre du conseil d'administration.

En effet, nous avons vu que les deux droits connaissaient la même exception au principe d'élection des administrateurs par l'assemblée générale à la majorité des voix, or le droit espagnol en connaît une autre.

B. - L'exception propre au droit espagnol


Bien que ce soit toujours les actionnaires qui élisent les administrateurs, cette élection, lorsque l'administration est confiée à un conseil, ne s'effectue pas à la majorité des voix mais selon un système proportionnel 73 .

1 - Son contenu


Selon l'article 137 de la L.S.A.:

"La elección de los miembros del consejo se efectuará por medio de votación. A estos efectos, las acciones que voluntariamente se agrupen, hasta constituir una cifra del capital social igual o superior a la que resulte de dividir este último por el número de vocales del consejo, tendrán derecho a designar los que,superando fracciones enteras, se deduzcan de la correspondiente proporción. En el caso de que se haga uso de esta facultad, las acciones así agrupadas no intervendrán en la votación de los restantes miembros del consejo."

Ainsi la loi espagnole établit un système proportionnel par lequel plusieurs actionnaires peuvent décider de regrouper leurs voix afin d'élire un administrateur.

Le nombre de voix nécessaires pour élire un administrateur s'obtient en divisant le capital social par le nombre de postes à pourvoir.

Sans rentrer dans les détails de la procédure, qui présente peu d'intérêt pour notre étude, l'analyse de l'origine de la règle et de son efficacité paraissent plus intéressantes, car elles vont permettre de déterminer si un tel système devrait être envisagé en France.

Cette règle qui existait déjà sous l'ancienne loi de 1951, vise d'une part, à assurer une meilleure représentation sociale des administrateurs et surtout, à protéger les minorités, qui, grâce à ce système, pourraient accéder au conseil d'administration.

2 - Son efficience


Ce système, très louable aux premiers abords, fait pourtant l'objet de vives critiques.

En premier lieu, la présence d'un ou deux administrateurs, représentant une minorité au conseil, n'a jamais suffi à leur donner de réels pouvoirs, mais tout juste une meilleure information des affaires en cours.

En second lieu, il est aisément possible d'éluder ce système en recourant à des formules d'administration qui n'intègrent pas la représentation proportionnelle.

De plus il est fréquent de voir dans les petites sociétés, des groupes majoritaires, qui, afin de limiter l'entrée de minoritaires, réduisent le nombre de postes d'administrateurs à pourvoir, afin d'élever le nombre des voix nécessaires à l'élection d'un administrateur.

Enfin, beaucoup d'auteurs critiquent ce "droit des minorités" arguant qu'il est difficile de qualifier de droit, une faculté dont l'existence peut être remise en cause à tout moment.

Pour ces raisons, il est parfois qualifié par certains, de droit potestatif 74 , de faculté 75 ou de simple expectative 76 .

L'accès du conseil aux minorités ne pourra se faire que par des compromis négociés entre les différents groupes d'actionnaires, car s'il fallait s'en remettre uniquement au système légal, l'expérience démontre sa faible utilité.

Voilà donc comme un principe, très attrayant pour l'esprit, se révèle quelque peu inefficace en pratique.

L'analyse des questions relatives à la nomination de l'administrateur étant achevée, il nous faut dès à présent, aborder l'étude de la relation liant l'administrateur à la société. Notre réflexion portera sur la nature ainsi que sur la durée de cette relation.

CHAPITRE II. - LA RELATION ENTRE L'ADMINISTRATEUR ET LA SOCIETE

Section 1. - Nature de la relation

§1. - Les qualifications respectives



Après avoir abordé l'analyse des différentes conditions requises pour être administrateur, il est nécessaire de préciser la nature de la relation qui unit l'administrateur à la société.

A. - La solution acquise en France


La question, en France, ne donne pas lieu à une grande discussion doctrinale puisqu'il est reconnu que les administrateurs, jadis qualifiés de mandataires, sont aujourd'hui considérés comme des organes 77 .

La qualification de mandataire fut abandonnée car elle ne suffisait pas à caractériser la qualité juridique des administrateurs et la nature de leur relation avec la société. Ils ne peuvent être de véritables mandataires car pris individuellement, ceux-ci n'ont aucun pouvoir et ne peuvent représenter la société.

B. - Les hésitations des auteurs espagnols


La question a donné lieu en Espagne à un débat plus important, en raison, d'une part, de l'attitude ambiguë de la loi qui nomme "administrateur" tantôt la structure que la personne 78 , puis d'autre part, en raison de la présence de plusieurs théories pouvant définir la relation liant l'administrateur à la société.

La L.S.A. qualifie les administrateurs "d'organe de la société" puisqu'elle les inclut dans son chapitre consacré aux organes de la société, et parce qu'elle déclare dans son article 9 h) de la L.S.A.:

"En los estatutos que han de regir el funcionamiento de la sociedad se habrá constar (...) la estructura del órgano al que se confiá la administración de la sociedad (...)"

Autrement dit, la structure de l'organe auquel est confié l'administration de la société, devra être précisé dans les statuts.

Toutefois, lorsqu'il s'agit de définir la nature de la relation entre l'administrateur et la société, la doctrine reste divisée.

§2. - Les propositions de la doctrine espagnole


Un auteur Espagnol 79 attribue à cette relation un caractère contractuel. Il prétend distinguer la relation entre l'administrateur et la société de la nomination de celui-ci à ce poste.

A - La théorie contractuelle


La nomination résulterait d'un accord bilatéral nécessitant deux déclarations de volonté, qui sont constituées par la désignation de l'administrateur par l'assemblée générale, et par l'acceptation de la personne nommée à ce poste.

D'après cet auteur, il ne peut résulter de cette nomination, dont l'origine est contractuelle, qu'une relation du même type, à savoir contractuelle.

Certains auteurs 80 reconnaissent qu'il est bien difficile de définir la nature exacte de cette relation. Au point qu'une partie de la doctrine affirme que le plus juste serait que la loi elle-même crée un type de contrat particulier dont le nom serait: "un contrato de administración." 81 .

En tous les cas cette partie de la doctrine est d'accord pour définir cette relation, entre l'administrateur et la société, d'atypique 82 en raison du manque de précepte légal adéquat pour la définir.

B. - La théorie organique


Face à cette conception, il est des auteurs 83 qui qualifient cette relation "d'organique".

Ils refusent la théorie contractuelle arguant le fait que tous les membres de l'organe d'administration sont soumis aux mêmes règles s'agissant de leur nomination et de l'acceptation qui doit suivre.

Les déclarations de nomination et d'acceptation ne seraient donc pas destinées à perfectionner un contrat mais auraient pour seule fonction de satisfaire aux exigences légales qui sont posées dans les cas de nomination d'une personne dans les fonctions d'administrateur.

Les actes de nomination et d'acceptation rendus nécessaires par la L.S.A. qui régit l'organisation de l'administration de la société anonyme, donnent naissance à une relation "organique" entre l'administrateur et la société qui est d'ordre purement interne.

En outre, Fernando SANCHEZ CALERO 84 , rappelle qu'il est tout à fait possible pour un administrateur d'être lié à la société par des relations contractuelles qui s'ajoutent à celles de nature organique.

En effet rien n'empêche la société de conclure avec un administrateur un contrat dont l'objet est de déterminer certains droits et obligations qui devront être respectés par l'administrateur.

La conclusion de ce contrat pourra précéder la nomination de l'administrateur, mais il ne deviendra efficace, qu'à compter du jour de la naissance de la relation "organique", à laquelle la relation contractuelle sera subordonnée.

Quoi qu'il en soit, la relation existant entre l'administrateur et la société est imposée par la loi, et la nomination de l'administrateur à ce poste ainsi que son acceptation de la charge, permettent de rendre la fonction effective aux yeux de la loi.

Une différence d'appréhension terminologique d'une relation, ne doit pas faire oublier que celle-ci est non seulement d'origine légale, mais aussi et surtout qu'elle s'impose à tous dans les mêmes termes.

Ajoutons que les lois française et espagnole prévoient une limite temporelle à l'exercice de la fonction d'administrateur, qui diffère d'un droit à l'autre. De plus, ces limites donnent lieu, selon le droit en présence, à des discussions doctrinales dont il sera intéressant d'envisager leurs éventuelles transpositions dans l'autre droit. Nous allons donc aborder dès à présent l'étude de la durée de la relation qui unit l'administrateur à la société.

Section 2. - La durée de la relation

§1. - Les textes applicables


Les droits français et espagnol prévoient tous deux une limitation dans la durée des fonctions des administrateurs. Toutefois, elle varie d'un droit à l'autre.

Ainsi cette durée est prévue par l'article 90 de la loi de 1966:

"(...) La durée de leur fonction est déterminée par les statuts sans pouvoir excéder six ans en cas de nomination par les assemblées générales et trois ans en cas de nomination dans les statuts. (...)."

Le droit espagnol prévoit quant à lui, que la durée des fonctions d'administrateur sera prévue par les statuts, sans qu'elle puisse excéder cinq années.

Selon l'article 126 de la L.S.A.:

"Los administradores ejercerán su cargo durante el plazo que señalen los estatutos sociales, el cual no podrá exceder de cinco años. Podrán ser reelegidos una o más veces por períodos de igual duración máxima."

Cet article, qui fut introduit en 1989, mit fin à une longue discussion doctrinale portant sur les limites temporelles relatives à l'exercice de la fonction d'administrateur.

§2. - Le respect des limites posées


L'article 72. 1 de l'ancienne loi de 1951 donnait lieu à des interprétations divergentes.

Pour certains auteurs 85 , le fait que la loi se réfère uniquement, quant à la limitation de la durée des fonctions, aux administrateurs désignés dans l'acte constitutif, signifiait, a contrario, que les administrateurs nommés par la suite n'étaient soumis à aucune limitation temporelle.

Le texte précisait"indefinidamente reelegidos".

Pour d'autres auteurs 86 , en revanche, cette limitation s'appliquait à tous les administrateurs et ils refusaient d'admettre que l'on puisse réélire les administrateurs pour un temps indéfini.

Ils s'appuyaient sur le texte même de l'article 72. 1, lequel précisait d'après eux, que les administrateurs pouvaient être indéfiniment réélus et non réélus pour un temps indéfini. Cependant, l'article 126 de la L.S.A. fut annoncé comme instaurant une limitation temporelle 87 . Doit-on en déduire que celle-ci n'existait pas avant?

Toujours est-il que la loi désire désormais que l'assemblée révise périodiquement la composition de l'organe d'administration, même si pour un auteur espagnol 88 , l'établissement d'une limite dans la durée des fonctions d'administrateur est compensée par la possibilité de réélection de ces derniers pour une ou plusieurs périodes d'égale durée.

On peut se demander si ce débat concernant l'exercice à titre indéfini des fonctions d'administrateur est transposable en France.

Bien que les administrateurs puissent être réélus, la loi déclare toutefois que les statuts peuvent stipuler l'inverse.

De plus une étude nous montre 89 , qu'il est très rare de rencontrer des administrateurs dont la durée d'exercice au sein du conseil soit très longue.

En effet, près de 38,8% des administrateurs consultés dans cette étude ont une durée de présence au conseil inférieure à cinq années, 20,80% ont une durée de présence qui varie de cinq à dix années et près de 7,40% ont occupé ce poste plus de 25 ans.

Quoiqu'il en soit, les actionnaires pourront toujours, à leur gré, décider de révoquer certains administrateurs, s'ils désirent écourter la durée d'exercice de leur fonction, puisque le droit français comme le droit espagnol reconnaissent le principe de révocation "ad nutum" des administrateurs 90 .


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