Le délit de risques causés à autrui.


Pour renforcer de manière significative l'arsenal législatif et réglementaire destiné à prévenir surtout l'insécurité routière et les accidents du travail, le législateur a introduit dans le chapitre III du nouveau code pénal intitulé " De la mise en danger " une nouvelle infraction : le délit de risques causés à autrui.

Il est défini par l'article 223-1 de ce code, comme le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

Par ce délit, la loi a franchi une étape importante en permettant que la notion de risque puisse servir de point de départ à des poursuites. C'est donc par la seule existence du comportement dangereux que se commet le délit, sans avoir à la prolonger d'une intention dirigée vers le résultat. Le comportement est volontaire, mais le résultat pour ce qu'il représente d'atteinte effective à la vie ou à l'intégrité physique, ne l'est pas. La nouvelle incrimination intervient à titre préventif (Voir P. Philippot, Les infractions de préventions, Thèse Nancy II, 1977) pour réprimer des agissements dangereux avant qu'ils ne causent un dommage à l'intégrité physique d'autrui. La prévention agit sur les causes et non sur les effets, et la répression qui peut s'ensuivre s'attaque au comportement dangereux et n'est plus subordonnée à l'intervention du dommage. D'où, il suit que la répression a une fonction pédagogique et de responsabilisation ("La peine que je requiers m'intéresse moins que la valeur d'exemple qu'elle comporte et que l'incitation à la prudence qu'elle proclame en direction des inconscients…" a affirmé René Ternoy, substitut du procureur au parquet d'Albertville où trois skieurs britanniques sont poursuivis pour mise en danger de la vie d'autrui à la suite du déclenchement le 9 février 1999 d'une avalanche alors que ces derniers faisaient du ski hors piste). L'infraction est consommée par le seul fait que des comportements périlleux (faire du ski sur une piste fermée par arrêté municipal ; excès de vitesse par exemple ) soient susceptibles de porter atteinte à l'intégrité physique d'autrui sans qu'il en résulte la mort ou des blessures graves. Cependant, si de la création d'un péril résulte un dommage réel, les peines prévues peuvent être aggravées.

A l'égard de cette infraction on peut adopter la démarche qui est la suivante :

I- La violation d'une obligation de sécurité ou de prudence.


Le délit de mise en danger se caractérise tout d'abord par la nature ou l'origine de l'obligation violée : elle doit être prévue par la loi, elle doit constituer une obligation de prudence ou de sécurité, elle doit avoir une dimension particulière. Ensuite, il faut qu'il s'agisse d'une violation manifestement délibérée.

Le premier critère légal ne soulève pas une grande difficulté. Le coupable doit avoir violé une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement au sens constitutionnel du terme. Sont exclus du champ d'application de l'infraction les règlements d'origine privée comme ceux résultant par exemple du règlement intérieur d'une entreprise. Il s'agit ici d'une précaution textuelle utilisée pour circonscrire au maximum la portée de l'article 223-1 C.pén., qui n'est pas une simple imprudence, et aussi afin de prévenir tout arbitraire possible.

Ensuite, l'obligation violée doit être une obligation de sécurité ou de prudence. L'obligation de prudence est celle qui consiste à avoir une attitude réfléchie quant aux conséquences de ses actes, l'obligation de sécurité, à ne pas porter atteinte à la vie ou à l'intégrité d'autrui.

Les termes de violations délibérées inscrivent la mise en danger dans le registre des actes délibérés ou intentionnels (Marc Puech, de la mise en danger d'autrui, Dalloz Sirey, 1994 - Chronique ; G. Accomando et C. Guéry, le délit de risque causé à autrui ou de la malencontre de l'art.223-1 du nouveau code pénal, Rev.Sc.Crim., 1994 p.687 ; J.Pradel, Droit pénal spécial, Cujas, 1995p. 119, p.119.). C'est un exercice réel de volonté. L'agent a conscience de la possibilité du résultat dommageable de son geste. Mais, il décide néanmoins volontairement d'agir. D'après une décision rendue à Vesoul (Note sous Trib. Corr. Vesoul, 6 oct.1994, Gaz. Pal. , 23-24 août 1995, P ; 37), l'élément moral implique " la conscience, chez l'auteur de l'acte dangereux, que son acte risque fort de causer la mort ou du moins une mutilation ou une infirmité permanente". Dans une autre espèce du 27 octobre 1995 (Paris 27 oct. 1995, Recueil Dalloz Sirey, 1996, Jurisprudence) un automobiliste est déclaré coupable du délit de mise en danger, pour avoir de nuit, en zone urbaine, roulé à 180km/h malgré des mauvaises conditions atmosphériques, avec des dépassements des autres usagers par la gauche comme par la droite. Il apparaît dans ces faits une volonté consciente de ne pas respecter le code de la route et de créer un risque qui ne s'est pas réalisé du seul fait du hasard. L'objectif de la répression est d'éviter le renouvellement de tels comportements dangereux qui finiraient par entraîner un dommage corporel.

C'est la détermination malgré la possibilité du péril qui est punie. De plus, L'adverbe "manifestement" traduit l'état d'esprit de celui qui agit, c'est à dire la résolution dont il fait preuve en violant délibérément la norme de sécurité ou de prudence.

II- L'exposition d'autrui à risque de mort ou de blessures


La question de l'exposition d'autrui au risque redouté consiste à se demander si l'agent, par son comportement, a mis autrui en danger. Pour ce faire, ce risque doit être d'un extrême gravité, doit être direct et immédiat, et doit être causé à autrui.

Le risque consiste en une probabilité de dommage, donc indéterminable, qui peut être en pratique très délicat à appréhender. Il apparaît alors que le législateur a résolu le problème en limitant la nature du risque occasionné aux risques les plus graves(risques de mort ou de blessures). Il faut alors non seulement prouver qu'un risque a été crée, mais qu'il s'agissait d'un risque d'une certaine gravité. Cependant, quelle que soit l'intensité de la violation de l'obligation de sécurité ou de prudence en cause, l'exposition d'autrui à un risque ne semble découler en l'état actuel des décisions rendues, que de l'ensemble des circonstances de fait qui entourent cette violation au moment même où elle a eu lieu. Il n'est donc pas de présomption de mise en danger. C'est cas par cas que la gravité du risque doit être prouvée, en fonction des circonstances et sur la foi d'éléments tangibles. La cours d'Appel de Douai (CA Douai, 26 oct.1994, Bull. inf.C.Cass.1994, p.1207 ; D.1995, Jur.p.172, note P. Couvrat et Massé) a relaxé le conducteur d'une voiture fiable et bien entretenue qui s'était rendue coupable d'un très grand excès de vitesse sur une autoroute déserte, rectiligne et sèche, en de bonnes conditions météorologiques. Dans cette affaire, il semble que les circonstances de fait qui ont accompagné l'infraction ont permis d'éviter tout danger et bloquent l'intervention de la répression. En revanche, la Cour d'Appel de Paris (Paris 27 oct.1995, déjà cité infra)a retenu le délit de mise en danger à l'égard d'un automobiliste qui s'était rendue coupable d'un excès de vitesse important en agglomération, alors qu'il faisait nuit et d'autant plus que les conditions atmosphériques étaient mauvaises. Comme l'attestent ces espèces, les faits constitutifs de la mise en danger sont variés, et c'est alors une analyse méticuleuse et souveraine des juges du fond qui prévaut en la matière.

Ensuite, l'examen du caractère direct et immédiat du risque implique qu'il faut établir un lien de causalité direct entre le comportement dangereux et le résultat (potentialité du dommage). Un autre examen de cette exigence peut conduire au sens d'après lequel, la violation de la norme de prudence ou de sécurité doit avoir créé une probabilité très importante d'accident corporel. Il faut qu'il existe une proximité très grande, assez sensible entre le risque créé et son éventuelle survenance, de sorte que la non réalisation du dommage est liée au hasard qui empêche la réalisation d'un dommage pourtant probable. Il s'agit d'un danger concret qui implique une probabilité de dommage. Cela veut dire également que l'agent doit avoir créé un danger certain et non hypothétique. Ce n'est pas une simple indiscipline que l'on cherche à sanctionner, mais un danger réel par l'indifférence volontaire aux valeurs sociales (Y. Mayaud, la volonté à la lumière du nouveau code pénal, Mélanges Larguier, 1993,p.203) que manifeste l'agent. Par exemple, le franchissement d'un feu rouge à un carrefour alors que la circulation est dense est un comportement qui cause un risque immédiat de collision avec un véhicule traversant le carrefour au feu vert.

Enfin, il ressort de l'art.223-1, que l'objet du risque créé ne peut être qu'autrui et non celui qui s'expose délibérément à un risque. Autrui peut s'entendre d'une personne isolée ou d'une pluralité de personnes ; la généralité de ce terme dispense de la nécessité d'avoir à identifier formellement les personnes susceptibles d'être victimes du danger créé. La question se pose surtout de savoir si la présence effective d'un tiers qui a échappé de justesse à un accident est une condition sine qua non d'application. A première vue, on peut penser que la présence d'un tiers est nécessaire voire indispensable pour que l'infraction soit constituée, car il est vrai que dans certaines hypothèses, l'infraction ne sera pas constituée en raison de l'absence de victime potentielle au moment des faits. C'est le cas lorsque l'agent s'assure qu'il ne peut mettre personne en danger avant d'agir. Cependant, il faut considérer qu'en raison de l'objectif de prévention qui est assigné au délit de mise en danger, il faut adopter une attitude répressive. "C'est la seule manière de mener une politique efficace de prévention des accidents." (J. Pradel, intervention orale au XIIIe congrès de l'Association française de droit pénal, Versailles, 29 février-1 mars 1996). Cela revient à considérer qu'il n'est pas nécessaire qu'un tiers soit effectivement en danger au moment des faits de violation de l'obligation de sécurité ou de prudence. Il suffit que ce tiers ait pu exister. Aussi la potentialité de la présence humaine ne semble pas être un élément déterminant pour déclencher les poursuites. On notera toutefois, qu'en l'état actuel des décisions publiées, l'existence de victimes potentielles déterminées ayant effectivement échappé par hasard au risque d'accident semble être un élément d'appréciation de la dangerosité du comportement générateur du risque de mort ou de mutilation. Logiquement, lorsque cette absence de victimes potentielles est une circonstance ayant rendu le dommage improbable, toute répression devrait être exclue.

III-Les peines encourues.


Il convient d'observer que pourront être poursuivies non seulement les personnes physiques, mais aussi les personnes morales, soit comme auteur principal de l'infraction, mais également comme complices par aide ou assistance ou par instigation au sens de l'article121-7.

Un individu reconnu coupable d'un délit de mise en danger encourt une peine d'emprisonnement de un an et de 100 000 F d'amende. Cependant, l'effort de prévention n'a pas complètement écarté la prise en compte du résultat. Aussi si les risques créés se réalisent, le délit de l'article 223-1 devient une circonstance aggravante de l'homicide involontaire(art.221-6, al.2 ) ou des atteintes involontaires à l'intégrité physique(art.222-19 et 222-20 ).

La possibilité de poursuivre les personnes morales constitue une nouveauté de la loi. En effet, la responsabilité pénale des personnes morales peut être admise lorsque des infractions auront été commises, pour le compte de la personne morale, par un organe ou un représentant. Elles encourent en principe une peine d'amende égale au quintuple de celle prévue pour les personnes physiques. A cette peine peut s'ajouter essentiellement l'interdiction d'exercer directement ou indirectement à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales. Par ailleurs, conformément à la règle posée par le dernier alinéa de l'article 121-2 du code pénal, la responsabilité de la personne morale n'exclut pas celle de la personne physique, auteur des faits.



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