Les conditions de la clause de non-concurrence

en droit du travail allemand et en droit du travail français


par Maître EISELE, avocat au barreau de Metz







CONCLUSION






299- Le BAG peut s'appuyer sur le HGB pour trancher les différends qui mettent en cause une clause de non-concurrence. L'absence de modification du texte depuis 1914 autorise la continuité jurisprudentielle ; la précision de la formulation invite à l'exactitude. Ceci n'exclut pas la nécessité de combler certaines lacunes qui confère un caractère vivant à la matière. La loi a tranché un certain nombre de questions essentielles comme l'exigence de l'intérêt commercial légitime de l'employeur ou le versement d'une contrepartie pécuniaire à l'obligation de non-concurrence. L'apport le plus important de la jurisprudence concerne des problèmes qui n'ont pas été envisagés par le législateur de 1914, tels la validité d'une clause de non-concurrence conditionnelle ou la détermination des revenus susceptibles d'être imputés sur la contrepartie pécuniaire. 

L'impression générale que produit l'institution allemande est celle d'une construction accomplie qui présente des règles de fonctionnement parfois compliquées.

300- La situation est différente en droit français où la Cour de cassation ne peut se référer à aucun texte spécifique pour constituer sa jurisprudence, tout en étant parfois aussi liée par les stipulations d'une convention collective.

Ceci peut paraître surprenant à une époque où le législateur a une production non insignifiante en droit du travail et a créé un corps de règles en droit du marché (droit de la concurrence et droit de la consommation) " en répondant chaque fois aux impatiences des groupes sociaux et politiques sans se préoccuper de leur insertion réelle " 1.

La diversité des catégories socioprofessionnelles susceptibles d'être soumises à une obligation de non-concurrence leur interdit de constituer un groupe homogène, capable d'exercer une pression suffisante pour la défense de ses intérêts auprès des parlementaires. D'où peut-être le désintérêt surprenant du législateur français pour cette question importante qu'il ne perçoit vraisemblablement pas comme un débat de société.

Les objectifs de la Haute juridiction ne sont pas toujours clairement perceptibles en raison des positions contradictoires qu'elle a successivement adoptées sur la question fondamentale de l'intérêt légitime de l'entreprise ou de l'absence de réponse satisfaisante à la question de la contrepartie pécuniaire.

301- L'ancienneté de la législation allemande, vieille dame de plus de quatre-vingts ans, combinée à l'absence de réglementation légale en France, constituent un défi à la logique à l'heure où l'accomplissement du marché unique européen et la mise en place d'une monnaie unique entre onze Etats membres invitent à la mobilité géographique des compétences et des savoirs.

Au sein de la République Une et Indivisible, la situation du salarié commercial sera très souvent plus favorable au regard de l'obligation à paiement d'une contrepartie pécuniaire en Alsace-Moselle que dans le reste du pays, créant ainsi une situation véritablement discriminatoire au détriment du salarié commercial soumis au droit français général.

302- Le droit communautaire devrait être en mesure de proposer une solution au problème en provoquant l'harmonisation des législations nationales par voie de directive. Le texte autoriserait les Etat membres à tenir compte de leurs spécificités nationales dans la mise en œuvre des règles communautaires comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises en droit social et en droit du travail (Directive 80/987 du 20 oct. 1980 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur. JOCE n°L.283 du 20 oct. 1980, p.23 ; Directive 91/533 du 14 oct. 1991, relative à l'obligation de l'employeur d'informer les travailleurs des conditions applicables au contrat ou à la relation de travail. JOCE n° L.288 du 18 oct. 1991, p.32 ; Directive 98/59 du 20 juill.1998 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs. JOCE n° L.225 du 12 août 1998, p.16), mais aussi pour les agents commerciaux (Directive 86/653 du 18 déc. 1986. JOCE n° L. 382 du 31 déc.1986).

Cette directive aurait vocation à régler de façon uniforme la question de l'exigence d'un intérêt légitime de l'employeur, l'autorisant à imposer une obligation de non-concurrence post-contractuelle au salarié. Elle donnerait une définition de la notion précise et proche des réalités économiques et sociales, qui serait en relation avec la vie du contrat de travail et en rapport avec la vie de l'entreprise. Le texte prévoyerait clairement la sanction de l'absence d'intérêt légitime et préciserait également les conditions de forme à respecter sous peine de nullité, les hypothèses où il serait impossible de convenir d'une clause de non-concurrence et les stipulations illicites. Il lui appartiendrait de circonscrire l'engagement de non-concurrence du salarié dans des limites raisonnables permettant un exercice normal de sa profession. Enfin, la directive aurait à la fois à imposer le versement d'une contrepartie pécuniaire obligatoire sous peine de nullité, à en prévoir le calcul et à préciser quel revenu pourrait faire l'objet d'une imputation sur l'indemnité de non-concurrence.

La directive devrait être claire, précise, complète et inconditionnelle afin de permettre, le cas échéant, au salarié lésé par l'absence ou l'insuffisance de transposition en droit national, d'obtenir réparation du préjudice qui résulte de la violation du droit communautaire.

L'harmonisation des systèmes juridiques nationaux par une directive communautaire écarterait pour le salarié originaire d'un Etat membre différent de celui de l'emploi le risque d'une déconvenue importante. Imaginons par exemple un citoyen allemand travaillant en France. Il pensera tout naturellement que l'acceptation d'une clause de non-concurrence entraînera à son profit, sauf à ne pas respecter ladite clause, le droit à perception d'une contrepartie pécuniaire au minimum égale à la moitié de sa dernière rémunération, comme cela est le cas en Allemagne. La réalité française est cependant toute différente.

L'harmonisation des conditions de travail dans l'Union européenne trouverait ainsi sa suite logique : l'harmonisation de l'après-contrat de travail. Il en résulterait indiscutablement une meilleure cohésion du marché européen du travail puisque les distorsions entre systèmes juridiques qui admettent libéralement les atteintes à la liberté du travail et les autres seraient atténuées.




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