Les conditions de la clause de non-concurrence

en droit du travail allemand et en droit du travail français


par Maître EISELE, avocat au barreau de Metz







CHAPITRE PRELIMINAIRE :

ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DES

CLAUSES DE NON-CONCURRENCE






19- La licéité, l'efficacité, l'étendue et de nombreuses autres caractéristiques de la clause de non-concurrence sont influencées par la conception qui prévaut des rapports de travail et de leur incidence sur l'après-contrat. Cette constatation impose la présentation, dans une section 1, du paysage juridique à l'intérieur duquel évolue la clause de non-concurrence en Allemagne et, dans une section 2, la présentation des règles constitutionnelles et internationales qui encadrent le droit allemand de la clause de non-concurrence.


SECTION 1. - ETUDE DU PAYSAGE JURIDIQUE ALLEMAND



20- Le droit est oeuvre humaine, ce qui en pose les limites et le distingue de l'équité, synonyme de loi naturelle. Ceci conduit à rechercher par qui (les juges § 1, la doctrine § 2) et à partir de quelle matière (le contrat de travail § 3), est accomplie la construction juridique de la clause de non-concurrence.

La clause de non-concurrence est soumise au droit du travail dans la mesure où elle naît dans le cadre d'une relation de travail entre un employeur et un salarié mais elle n'est pas sans subir aussi l'influence du droit économique car à l'issue du rapport de travail le salarié recouvre son indépendance et peut concurrencer son ancien employeur.

En dépit de cette filiation complexe, le juge du contrat de travail est exclusivement compétent pour connaître des différends susceptibles d'opposer ancien employeur et ancien salarié quand ils mettent en cause une clause de non-concurrence 1.

En Allemagne, en l'absence de Code du travail, les règles légales régissant la validité et les effets de la clause de non-concurrence post-contractuelle sont posées par le Code de commerce et le Code des professions 2.


§ 1. - LA JURIDICTION DU TRAVAIL DANS L'ORGANISATION JUDICIAIRE ALLEMANDE


21- Le GG-Grundgesetz (Loi fondamentale) reconnaît le rôle déterminant du pouvoir judiciaire quand il affirme dans son art. 20, al. 2 " La souveraineté émane du peuple. Elle est exercée par le peuple au moyen d'élections et de plébiscites et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires " 3.

La première phrase de l'art. 92 GG rappelle dans un souci de clarté que le pouvoir judiciaire est confié aux juges 4. L'apport des juridictions allemandes est capital dans la création du droit allemand puisqu'il leur appartient de dégager la signification des textes de loi.

L'art. 97 al. 1er GG pose la règle que "les juges sont indépendants et ne sont soumis qu'à la loi " 5.

Ce sont les juridictions du travail qui ont exclusivement à connaître des litiges nés des relations de travail en vertu des §§ 2, 2a et 3 ArbGG sous réserve bien entendu du rôle dévolu dans certains cas aux juridictions ordinaires, administratives, répressives et au BGH (Cour constitutionnelle fédérale) 6. Elles sont donc compétentes pour interpréter la clause d'interdiction de compétence issue du contrat de travail 7.

L'Arbeitsgerichtsbarkeit-juridiction du travail est l'un des cinq ordres juridictionnels créés par l'art. 95, al. 1er GG 8 ; elle est exercée par trois types d'organes 9. Ce sont, aux termes du § 1 ArbGG (Arbeitsgerichtsgesetz-loi sur les tribunaux du travail) en première instance les Arbeitsgerichte-ArbG, tribunaux du travail, juridictions de premier degré (A), en appel les Landesarbeitsgerichte-LAG, cours régionales du travail, juridictions de second degré au niveau du Land (B), et pour la révision au niveau fédéral, le Bundesarbeitsgericht-BAG, Cour fédérale du travail (C) 10.

Ces juridictions sont distinctes de celles de droit commun 11 et présentent deux traits structurels qui les différencient de leurs homologues françaises :

- Elles sont toujours composées à la fois de magistrats de carrière et de juges non-professionnels qui représentent paritairement les salariés et les employeurs.

- Elles relèvent quant à leur administration et à leur contrôle du ministère du travail de chaque Land pour les juridictions inférieures et de celui de la Fédération pour la Cour suprême, et non pas du ministère de la justice.


A. - Les Arbeitsgerichte-ArbG (tribunaux du travail)


22- Les ArbG sont des juridictions de premier degré qui connaissent des litiges nés des relations de travail quelle que soit la valeur en litige (§ 8 I ArbGG). Ils sont placés sous l'autorité d'un magistrat de carrière qui assure la présidence générale de la juridiction tout en présidant en même temps l'une de ses chambres.

Ils sont créés par le ministère du travail de chaque Land, en accord avec le ministère de la justice et après avis des syndicats ouvriers et patronaux.

Chaque ArbG est divisé en Kammern (chambres) dont certaines peuvent être spécialisées. Une chambre est toujours composée d'un magistrat de carrière qui la préside et de deux ehrenamtliche Richter (juges non-professionnels) 12 qui représentent respectivement les salariés et les employeurs (§ 16 II ArbGG).

Le magistrat de carrière est nommé à vie après consultation d'une commission constituée de représentants des partenaires sociaux et des juridictions du travail, sur proposition de l'administration centrale du travail du Land et en accord avec l'administration de la justice du Land (§ 18 ArbGG). Normalement, sa carrière se déroule au sein de la juridiction du travail, ce qui lui permet d'acquérir une spécialisation.

Les échevins sont âgés d'au moins vingt-cinq ans et sont employeurs, salariés ou chômeurs. Ils ne sont pas comme en France élus par les salariés et les employeurs, mais désignés par le ministère du travail du Land du siège du tribunal concerné sur des listes de propositions présentées par les syndicats de salariés et les organisations d'employeurs. Ils sont choisis pour une durée de quatre ans renouvelable (§§ 20, 37, 43 ArbGG).



B. - Les Landesarbeitsgerichte-LAG (cours régionales du travail)


23- Il existe en principe un LAG par Land. Il est créé par le ministère du travail du Land suivant la même procédure que les ArbG. Cependant les juges non-professionnels doivent ici être âgés d'au moins trente ans et avoir exercé auparavant auprès d'un tribunal du travail de premier degré. Les LAG sont divisés en chambres qui sont exactement composées comme les chambres des ArbG (§ 35 II ArbGG).

Les LAG sont uniquement des juridictions d'appel qui statuent au second degré (§ 8 II, IV ArbGG). L'appel n'est possible que si la valeur du litige dépasse huit cents DM ou si l'ArbG de première instance a expressément admis cette voie de recours ; cette faculté devient une obligation pour le LAG si le point de droit litigieux a valeur de principe (§ 64 ArbGG). L'appel doit être formé par écrit auprès du LAG dans le délai d'un mois qui suit la réception du jugement ; il doit être notifié dans le mois suivant la saisine du LAG.


C. - Le Bundesarbeitsgericht-BAG (Cour fédérale du travail)


24- Le BAG a son siège à Cassel dans le Land de Hesse. Il est présidé par un magistrat de carrière.

Il comporte actuellement dix Senate (chambres ayant une compétence propre). Chacune, composée de trois magistrats de carrière, un président et deux assesseurs, et de deux juges non-professionnels (§ 41 II ArbGG), statue en principe seule.

Le grosser Senat (assemblée plénière) est composé du président, du vorsitzender Richter (magistrat de carrière le plus ancien), de quatre autres magistrats de carrière et de quatre échevins, deux salariés et deux employeurs. Il est saisi lorsque l'importance de l'affaire l'exige, par exemple si une question de droit fondamentale est en jeu ou si une chambre du BAG veut s'écarter de la position adoptée par une autre chambre. L'arrêt prononcé par l'assemblée lie alors la chambre " erkennender Senat ".

Seules peuvent être désignées en tant que juges non-professionnels les personnes ayant été pendant un certain temps soit salarié, soit employeur en Allemagne, " ayant des connaissances et des expériences particulières dans les domaines du droit et de la vie du travail et ayant exercé au moins pendant quatre ans les fonctions de juge non-professionnel auprès d'une juridiction du travail " (§ 3, al. 2, ArbGG).

Les magistrats de carrière sont désignés, en accord avec le ministère fédéral de la justice, par le ministère fédéral du travail et par une commission composée des ministres du travail de chaque Land et de deux membres élus par le Bundestag (Assemblée fédérale). Ils sont nommés par le Président de la République (§ 42 ArbGG).

Contrairement à la procédure de désignation suivie dans les instances inférieures, la participation des représentants des partenaires sociaux n'est prévue que pour le choix des juges non-professionnels nommés pour une durée de quatre ans par le ministre fédéral du travail.

Le BAG qui est uniquement juridiction de révision doit vérifier la régularité juridique des décisions des LAG soumises à son appréciation.

La révision est enfermée dans des limites strictes et est uniquement possible (§ 72, al. 2 ArbGG) contre l'arrêt d'un LAG qui met fin à un litige dans les cas suivants 13 :

- Lorsque la question de droit concernée a valeur de principe selon le § 72, al. 2.1 ArbGG.

- Lorsque le LAG s'est écarté de la jurisprudence du BAG ou de celle d'un autre LAG, ou si le BAG ne s'est pas encore prononcé sur le point de droit litigieux.

- Lorsque dans son arrêt le LAG a expressément déclaré la révision recevable selon le § 72, al. 2.3 ArbGG.

25- La juridiction du travail connaît en droit allemand comme en droit français la première instance, l'appel et la révision (cassation). Mais la composition des formations de jugement est fondamentalement différente dans les deux ordres nationaux. En Allemagne, magistrats de carrière et échevins sont associés à chacun des trois niveaux. En France par contre, le premier ressort est de la compétence des conseils de prud'hommes exclusivement composés de magistrats non-professionnels, conseillers employeurs et salariés élus, alors qu'en cause d'appel et de cassation ce sont uniquement les magistrats professionnels qui ont à connaître des litiges. Le système allemand présente l'avantage de permettre à tous les stades la confrontation des points de vue d'acteurs économiques qui connaissent de l'intérieur la vie des entreprises et de magistrats de carrière spécialisés depuis l'origine en droit du travail. Il en résulte une prise en compte approfondie des éléments de fait jusqu'à la révision, mais également une analyse juridique sérieuse dès la première instance. Des bruits de réforme se font cependant actuellement entendre qui prônent la mise en place d'un Zentrales Eingangsgericht (tribunal central d'accès) à compétence universelle pour remplacer les Amstgerichte (tribunaux d'instance) et Landgerichte ( tribunaux de grande instance). Le Zentrales Eingangsgericht serait compétent pour connaître des litiges de droit du travail et de droit social (Rechtsprechung soll volksnäher werden-la jurisprudence doit se rapprocher du citoyen). Süddeutsche Zeitung, München, vendredi 28 août 1998.


§ 2. - LE ROLE DE LA DOCTRINE. UN PARTICULARISME DU DROIT ALLEMAND


26- Les auteurs allemands qui étudient la clause de non-concurrence ne citent pas expressis verbis la doctrine parmi les sources de droit régissant la matière. Ils se réfèrent uniquement à la loi, à la jurisprudence, aux conventions collectives et aux accords d'entreprise 14 et rejoignent ainsi l'" opinion unanime " 15 pour laquelle la doctrine n'a pas le pouvoir de créer des normes de droit contraignantes. Ce serait cependant gravement méconnaître le rôle de la doctrine dans l'élaboration du droit en Allemagne que de s'arrêter à ce stade du raisonnement.

Fromont et Rieg ont parfaitement fait ressortir la spécificité de la doctrine allemande, qu'il s'agisse de ses caractéristiques ou de son rôle effectif 16. Ces auteurs soulignent la " prédilection pour l'abstraction " de la doctrine d'Outre-Rhin, son érudition et le sérieux de ses raisonnements. Se référant au rôle d'autorité de la doctrine allemande, guide du législateur et de la jurisprudence, ils insistent sur l'influence qu'elle exerce sur le développement du droit.

L'opinion de W. Däubler rejoint celle de Fromont et Rieg. Pour cet auteur allemand, aussi longtemps qu'une jurisprudence confirmée, énoncée dans plusieurs décisions de justice de juridictions supérieures, n'a pas clairement tranché un problème de droit, les juristes suivent l'interprétation donnée par les maîtres reconnus dans les traités, commentaires 17, monographies et études 18. La lecture des jugements et arrêts prononcés par les juridictions allemandes confirme cette opinion. Les différentes thèses doctrinales en présence y sont en effet exposées et souvent discutées en théorie avant que le juge porte son choix sur l'une ou l'autre.

C. Witz expose que :  " La Cour fédérale de justice, le pendant de la Cour de cassation, rappelle dans ses décisions sa jurisprudence, éclaire par des opinions le point de droit à trancher, donne les raisons pour lesquelles elle opte pour telle solution, précise la portée de la solution retenue. Nul besoin alors de longues notes de jurisprudence. Les arrêts parlent d'eux-même. Il est symptomatique à cet égard de constater que le commentaire d'arrêt est un exercice totalement inconnu des facultés de droit allemandes " 19.

La matière de la clause de non-concurrence ne semble pas devoir appeler de grands développements doctrinaux tant à raison du caractère extrêmement concret des problèmes qu'elle soulève 20 que de la précision de la formulation des textes légaux qui la régissent.

La doctrine s'est cependant préoccupée de la conformité des dispositions légales de 1914 réglementant la clause de non-concurrence à la Loi fondamentale, ce qui s'est avéré nécessaire pour combler les lacunes de ladite loi. Le BAG l'y a invitée en des termes extrêmement clairs. C'est ainsi qu'exposant ses profonds doutes quant à la conformité à la Constitution du § 75, al. 3 HGB, le BAG précise dans un arrêt du 26 octobre 1973 qu'il souhaite tant stimuler un débat doctrinal, qu'amener les praticiens à abandonner la jurisprudence antérieure 21.

La doctrine ne constitue pas une véritable source de droit en Allemagne, mais elle contribue cependant à son perfectionnement en interprétant les normes juridiques existantes et en les appliquant à des situations particulières, voire même en suscitant la création de nouvelles normes mieux adaptées que les anciennes.

L'étude de la limitation contractuelle de concurrence postérieure à la fin de la relation de travail implique l'examen du cadre dans lequel elle s'inscrit, à savoir le contrat de travail. Ce sera l'objet du § 3.


§ 3. - LE CONTRAT DE TRAVAIL EN DROIT ALLEMAND


27- La convention de non-concurrence ne peut être isolée de la relation de travail et est indissociable du contrat de travail. Pour tenter d'approcher au plus près la notion de contrat de travail en droit allemand, nous nous livrerons tout d'abord à un bref rappel historique (A), avant d'aborder l'examen de la conception actuelle (B), puis de faire l'inventaire des différents types de contrats existants (C) pour terminer par l'étude de la naissance (D) et de la fin (E) du contrat de travail.


A. - Evolution historique


28- 1. - Dans l'ancienne société germanique, comme dans l'empire romain 22 et dans l'antiquité en général, la charge du travail au service d'autrui incombait essentiellement aux non-libres, c'est-à-dire aux esclaves.

Cependant, dès le Haut Moyen-Age, le contrat de Treudienstvertrag (recommandation) vint établir une relation de droit entre des personnes juridiquement libres, Gefolgsherr (seigneur) d'une part et Gefolgsmann (vassal) d'autre part. Dans le cadre de cette institution fondamentalement différente d'une relation de travail, le second, sans renoncer pour autant à sa liberté personnelle se mettait, pour la durée de sa vie, au service du premier qui, en contrepartie, lui accordait aide et protection 23.

29- 2 . - Le contrat de travail stricto sensu n'apparut qu'au Moyen-Age, notamment sous la forme du Gesindevertrag (contrat de domestique), du Gesellenvertrag (compagnonnage) et du Bergarbeitervertrag (contrat de travail minier) 24.

Dans ces contrats l'élément personnel, et en particulier la notion de fidélité, jouaient un rôle important qui a persisté jusqu'à nos jours. Selon Boldt " L'idée que le contrat de travail est un contrat constitutif de communauté dominé par le principe de l'obligation de fidélité réciproque, et qu'il ne se ramène donc pas à un simple rapport d'obligations en vue de l'échange de services, s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui ". Toutefois, la " réception " du droit romain 25 a entraîné l'adoption par la doctrine du droit commun des notions romaines de locatio conductio operarum axée sur la prestation de travail en tant que telle, de la locatio conductio operis axée sur le résultat du travail, ainsi que de la locatio conductio rei, qui n'est autre que le louage de choses. On le voit au seul fait que les légistes influencés par le droit romain ont fondu en une seule notion générique le louage de choses et ce que l'on appelle le louage de services et d'ouvrage.

Cette influence du droit romain sur la doctrine juridique ne s'est toutefois pas imposée jusqu'au stade de la pratique juridique. Ici ce sont au contraire, comme le soulignent justement Hueck et Nipperdey dans l'ouvrage cité, " les règles particulières du droit germanique qui continuaient de s'appliquer, règles dans lesquelles l'élément personnel joue un rôle décisif ; elles avaient le pas sur le droit commun. " 26.

30- 3. - Aux dix-huitième et dix-neuvième siècles, le législateur n'a guère accordé d'intérêt au contrat de louage de services ou au contrat de travail.

L'Allgemeines Landrecht (droit général prussien) de 1794, volumineux code de dix neuf mille deux cent huit paragraphes, définit le contrat de travail à titre onéreux aux §§ 869 et s. de la partie I, titre onze, en le distinguant du louage 27. Peu après, le développement de l'économie capitaliste et le progrès technique conduisirent à une industrialisation accrue qui entraîna la parcellisation du travail et la production de masse d'où résultèrent la disparition des travailleurs qui jusqu'alors avaient exercé leur activité artisanale individuellement ou avec leur famille et la création d'une classe de travailleurs dépendants d'employeurs et rémunérés par un salaire 28.

Dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, un certain nombre de lois spéciales, GewO (Code industriel), HGB (Code de commerce) et les lois minières ont institué un régime plus précis pour le contrat de travail. Plus particulièrement, l'amendement au Code industriel impérial appelé Lex Berlepsch du nom de son promoteur mérite de retenir l'attention 29. Par l'introduction d'un § 105, il imposa des restrictions importantes à la liberté contractuelle ; la détermination des conditions du travail ne fut plus laissée à l'initiative des parties que dans le cadre des limitations posées par la loi impériale. La loi élargit aussi son domaine d'application aux employés sans responsabilité de direction, de surveillance ou d'un haut niveau technique 30.

31- 4. - Le Bürgerliches Gesetzbuch-BGB (Code civil), entré en vigueur le 1er janvier 1900, reflète l'influence de la pensée libérale et individualiste alors dominante, et se caractérise par son esprit conservateur. Il forme le Kerngebiet des Privatrechts (noyau du droit privé) 31.

Le BGB conçoit le Dienstvertrag (contrat de travail) comme un contrat individuel entre employeur et salarié, synallagmatique, commutatif, successif et continu. Le contrat de travail s'intègre dans la définition donnée par le § 611 BGB au contrat de louage de services et est créateur d'obligations réciproques :

- accomplir un travail à charge du salarié.

- payer la rémunération convenue à charge de l'employeur.

Le louage de services est inséré dans la septième section du BGB consacrée aux " divers rapports d'obligations " à côté de la vente et des baux à ferme et à loyer.

En dépit de la présentation légale qui aboutit à " noyer " le contrat de travail parmi d'autres notions juridiques, la doctrine allemande s'est intéressée dès le début du siècle à sa spécificité 32. Plus particulièrement Lotmar a consacré deux tomes en 1902 et 1908 à l'étude du contrat de travail, reconnaissant ainsi un caractère spécifique à la discipline 33. Il opérait une distinction entre Dienstvertrag (contrat de service) et Werkvertrag (contrat de louage d'ouvrage) qui sera écartée ultérieurement puisque la conception d'un einheitliches Arbeistsrecht (droit du travail unique pour les employés et les ouvriers) a prévalu. La thèse de Sinzheimer 34 qui, tout en reconnaissant la diversité des rapports de travail individuels des employés et des ouvriers, accordait une importance prépondérante à leur investissement personnel dans le travail et à leur dépendance vis à vis de l'employeur s'est ainsi imposée.

Von Gierke souligne que le contrat de service a son origine dans l'ancien droit germanique deutschrechtliche Ursprung 35 et voit dans le contrat de recommandation son précurseur et son germe puisqu'il n'est pas un Schuldvertrag (contrat d'obligation) mais un personenrechtlicher Vertrag (contrat de droit des personnes) 36.

32- 5. - Bien que l'art. 157 de la Constitution de Weimar ait expressément disposé que " das Reich schafft ein einheitliches Arbeitsrecht " (l'Empire crée un droit du travail unique), les travaux visant à réglementer le régime du contrat de travail qui ont alors été entrepris n'ont eu aucune suite concrète. Tel fut plus particulièrement le cas des travaux du comité d'experts qui se réunit pour la première fois le 2 mai 1919, forma plusieurs sous-comités, et se pencha sur différents projets de texte dont l'un concernait le contrat de travail. Ultérieurement, on envisagea de voter une loi régissant le contrat de travail 37, mais la dégradation du climat parlementaire qui empêcha le vote de nombreux textes y fit obstacle. Certains auteurs qui étudient cette période soulignent que " les vives controverses politiques et les difficultés économiques de plus en plus importantes ont conduit le Reichsarbeitsgericht (Tribunal du travail d'Empire) à se substituer progressivement au législateur trop affaibli. La tradition, bien vivante encore aujourd'hui, d'un droit du travail profondément marqué par la jurisprudence y trouve ses racines " 38.

33- 6. - A partir de 1933, les salariés se sont vus de facto retirer le droit de pouvoir chercher un nouvel emploi. Comme le salarié à la recherche d'un travail était tenu de présenter à son futur employeur son Arbeitsbuch (livret de travail obligatoire), il suffisait à l'employeur précédent de retenir ce document, ou d'y porter une remarque défavorable, pour interdire l'obtention du nouvel emploi. Le droit des relations individuelles du travail fut maintenu 39 en privilégiant l'élément personnel au détriment du rapport d'obligations 40.

Le droit du travail d'inspiration national-socialiste détruisit les acquis de la période précédente en matière de relations collectives du travail. Les syndicats furent supprimés et remplacés par le Deutsche Arbeitsfront (Front allemand du travail) qui réunissait salariés et employeurs. Les conflits collectifs furent sanctionnés et les conventions collectives supprimées par l'AOG-Arbeitsordnungsgesetz ou Gesetz zur Ordnung der nationalen Arbeit du 30 janvier 1934 (loi sur l'organisation nationale du travail) qui les remplaça par des ordonnances tarifaires 41. En fait, les conventions collectives conclues avant 1933 et encore en vigueur le 30 avril 1934 furent maintenues en tant qu'ordonnances tarifaires. Leur nombre, après l'entrée en vigueur de l'AOG fut important, 3.900 comparé à 3.090 ordonnances tarifaires 42.

Au sein des entreprises, le Führerprinzip attribuant à l'entrepreneur un pouvoir absolu de décision qui écartait le Mitbestimmungsrecht (droit de codécision) des salariés fut introduit. Le droit du travail de cette époque est parfois qualifié de " dictatorial " 43 et on s'accorde à souligner que " l'Etat a réglé ou tenté de régler les problèmes en matière de relations industrielles. L'emprise de l'Etat s'est accrue au fur et à mesure que l'Allemagne s'engageait dans la guerre " 44. En contrepartie, le § 2 de la loi sur le règlement intérieur du travail imposa au Führer de pourvoir au bien être de la Gefolgschaft (personnel de l'entreprise) qui, de son côté, fut soumis à l'obligation de fidélité découlant du principe de la communauté d'entreprise 45.

Jurisprudence et doctrine furent néanmoins à l'origine d'une avancée sociale. Grâce à un travail aussi discret qu'efficace, elles ont permis des progrès en matière de droits à congés et à retraite, du risque d'entreprise, de l'obligation d'assistance de l'employeur et de l'obligation de fidélité du salarié ; en 1938, le comité spécialisé en droit du travail de l'Académie pour le droit allemand rendit public un projet de texte concernant les relations de travail. Le projet ne fut pas suivi d'une loi mais les travaux du comité influencèrent la jurisprudence qui s'inspira du caractère personnel reconnu à la relation de travail et imposa à l'employeur de se préoccuper du bien-être de son personnel et à celui-ci de respecter l'obligation de fidélité 46.

34- 7. - Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, de nouvelles tentatives d'unification du régime juridique du contrat de travail ont été menées en République fédérale d'Allemagne. Elles s'intègrent dans un mouvement plus vaste qui vise à regrouper dans un code du travail unique tous les textes de droit du travail. La problématique est toujours d'actualité mais a rencontré peu de succès jusqu'à ce jour 47 ; seule la procédure de licenciement a pu être unifiée et les autres questions restent en suspens.

Par contre, l'obligation d'assistance et l'obligation de loyauté n'ont plus été abordées au-delà des travaux des commissions parlementaires chargées de préparer l'élaboration d'un code du travail après le vote du Bundestag du 28 janvier 1959 48.

Le droit allemand reste à la recherche d'une introuvable loi sur le contrat de travail qui devrait lui permettre de réunir des textes épars. Les voeux et souhaits régulièrement formulés par les juristes n'ont pas permis d'aboutir à ce jour. En 1992, la question a fait l'objet de nouveaux développements lors du cinquante-neuvième congrès des juristes allemands-59. Deutschen Juristentag 49 au cours duquel le Arbeitskreis Deutsche Rechtseinheit im Arbeitsrecht  (Cercle de travail unité juridique allemande en droit du travail) a proposé un projet de discussion qui, dans son § 92, al. 1er, n°1, alla jusqu'à envisager un relâchement de la protection des salariés soumis à une clause de non-concurrence post-contractuelle.

En effet, le cercle estima suffisant que la stipulation serve à protéger l'employeur contre la concurrence du salarié mais n'exigea pas qu'il puisse se référer à la protection d'un intérêt commercial légitime comme la loi actuellement en vigueur l'impose (§ 74-a HGB) 50.

Quoi qu'il en soit, les dernières tentatives pour élaborer, ne serait-ce que la partie générale d'un code du travail, avaient déjà échoué en 1977 51.


B. - Conception actuelle du contrat de travail


35- La loi allemande ne définissant pas le contrat de travail, le rôle en est tout naturellement revenu à la jurisprudence qui a pu prendre appui sur les §§ 611 à 630 BGB 52. Le contrat de travail résulte d'une convention synallagmatique par laquelle une partie contractante s'engage à fournir une prestation de travail à l'autre partie contre une rémunération appelée salaire 53. L'aspect contrat d'échange de droit privé est important 54 et impose d'avoir à dégager les critères permettant de cerner la notion.

36- 1. - Le contrat de travail entre dans la catégorie des contrats de louage de services régis par les §§ 611 à 630 BGB.

Il présuppose la création d'un rapport de droit privé, ce qui le distingue de l'emploi du fonctionnaire qui accomplit un travail dans le cadre d'une relation relevant du droit public. Ce rapport de droit privé nécessite un consentement libre, ce qui exclut qu'il puisse être donné par une personne détenue à titre préventif ou après condamnation, voire par un pupille de l'assistance publique 55.

De même, ne peuvent être considérés comme salariés les membres de la famille de l'employeur qui l'aident en vertu d'une obligation légale, son conjoint tenu à assistance (§ 1353, al. 1er, 2ème phrase BGB) et ses enfants présents au foyer (§ 1619 BGB).

Il est cependant toujours possible de rapporter la preuve d'une véritable relation de travail, établie d'un commun accord entre les deux parties.

37- 2. - Le contrat de travail doit être distingué d'autres contrats ou actes juridiques :

- De l'Auftrag (contrat de mandat-§ 662 BGB) par lequel le mandataire s'oblige vis à vis du mandant à accomplir une opération à titre gracieux 56.

- Du Werkvertrag (contrat d'entreprise ou d'ouvrage-§ 631 BGB), dont l'objet est d'atteindre un résultat économique déterminé sous la responsabilité de l'entrepreneur en contrepartie du paiement de la rémunération convenue 57.

Parfois cependant il est difficile de distinguer contrat d'entreprise et contrat de louage de services, notamment dans le cas des travailleurs à domicile. Le critère de distinction doit alors être recherché dans le caractère dépendant ou indépendant du travail. Dans la première hypothèse, il y a un contrat de travail quand bien même le travail est payé à la tâche en fonction du nombre de pièces produites.

- Du Gesellschaftsvertrag (contrat de société) dont il s'approche dans l'hypothèse où, conformément au § 706, al. 3 BGB, un associé se voit imposer l'accomplissement d'une prestation de services ce qui, en l'absence de contrat de travail, entre dans le cadre de l'affectio societatis 58.

- D'autres actes juridiques : l'adhésion à une association ou à une œuvre religieuse caritative impliquant une activité non-rémunérée telle celle d'une religieuse infirmière qui exerce au profit de la Croix Rouge dans un hôpital tenu par son ordre 59, voire l'activité accomplie dans le cadre d'un traitement médical en vue de la recherche d'une guérison 60.

38- 3. - Le contrat de travail se caractérise par un aspect personnel très marqué qui le situe dans le prolongement des traditions héritées de l'ancien droit germanique. Selon Hueck et Nipperdey, il constitue une convention d'obligations reposant sur une communauté qui relève du droit des personnes au sens du BGB 61, d'où résulte l'obligation de loyauté réciproque qui impose au salarié de veiller aux intérêts de l'employeur et à celui-ci de protéger ceux du salarié.

39- 4. - L'absence d'indépendance dans le travail est un critère essentiel pour caractériser une relation salariée.

Le travail doit être accompli au profit d'un tiers, l'employeur, dans le cadre d'un rapport de subordination personnelle. La dépendance économique est insuffisante à elle seule puisque le salarié doit être soumis aux directives de l'employeur 62. C'est ainsi que le Handlungsgehilfe (employé de commerce) au statut régi par le § 59 HGB est un salarié alors que le Handelsvertreter (agent commercial) au statut réglementé par le § 84 al. 1er HGB ne l'est pas 63. Ceci n'exclut cependant pas que l'agent commercial soit tenu de respecter les instructions de l'entreprise qui acquièrent alors à son égard un caractère obligatoire.

Le contrat d'agent commercial est en effet un contrat de louage de services dont l'objet est la gestion d'affaires. Tout comme le représentant salarié, l'agent commercial voit son programme de travail déterminé en fonction des souhaits de la clientèle. Le degré d'indépendance personnelle relevé suite à l'analyse globale et concrète du travail effectué est déterminant comme critère de distinction entre contrat d'intermédiaire commercial libre et contrat salarié. Le BAG prend en compte tous les signes distinctifs caractéristiques du lien de droit qui résultent des termes même du contrat et du déroulement des relations contractuelles 64.

La doctrine retient comme indice d'une relation de travail salariée l'étroitesse de la soumission aux directives de l'employeur, l'intégration à l'entreprise et la nécessité d'une collaboration constante avec les autres membres de l'entreprise. Elle admet comme élément caractéristique d'un rapport de travail indépendant l'entretien par l'intermédiaire commercial d'une structure de bureau personnelle 65 ; l'acceptation du risque lié à l'exploitation d'une entreprise est en effet un élément qui permet de définir l'acteur économique indépendant.

La forme et l'intitulé du contrat, souvent choisis par les parties en fonction de considérations fiscales ou sociales, sont d'un intérêt moindre. En effet, seul le type d'activité exercée et non l'opinion qu'en ont les parties est déterminant au regard de l'application des dispositions protectrices du travail, de l'imposition des traitements et salaires et de l'obligation d'assurance sociale 66.

La dépendance économique ne constitue plus en soi un critère de distinction suffisant entre activités salariée et indépendante. Il faut cependant excepter l'hypothèse extrême où un intermédiaire ne représenterait qu'un seul commettant, ce qui aurait alors pour conséquence de supprimer de manière absolue son indépendance et de lui faire perdre ainsi la qualification d'agent commercial 67.

40- 5. - Le droit allemand opère traditionnellement une distinction entre deux catégories de salariés, les ouvriers et les employés. Ceci remonte au XIXème siècle, époque où les employés de commerce et les autres salariés dépositaires d'un savoir-faire technique qui leur avait été transmis percevaient une rémunération mensuelle alors que les ouvriers d'usine étaient employés à l'heure, à la journée ou par poste de travail 68.

Le droit allemand a, jusqu'à une date récente, favorisé en cas de licenciement les employés par rapport aux ouvriers. De même, en cas de Berufsunfähigkeit (incapacité de travail), la protection sociale des employés est plus avantageuse que celle des ouvriers 69. Pareillement, le régime de la clause de non-concurrence établi pour les employés commerciaux par les §§ 74 et s. HGB était avant 1969 plus protecteur des intérêts de la partie qui s'engage que le régime résultant pour les salariés industriels du § 133 GewO ; nous y reviendrons ultérieurement.

Le contrat de travail industriel peut être conclu par tous les salariés soumis au titre VII GewO-Code industriel, c'est-à-dire les compagnons et aides ainsi que les employés désignés au § 133c GewO. Après l'abrogation du § 133a GewO, le recours aux principes généraux et à la loi sur l'assurance des employés s'impose pour différencier l'employé de l'ouvrier. Le critère de distinction résultera de l'accomplissement d'un travail à prépondérance intellectuelle par l'employé 70, et de la réalisation d'un travail manuel par l'ouvrier 71.

Le contrat de travail commercial est conclu par un salarié commercial, employé dans une profession commerciale pour accomplir un travail d'ordre commercial. L'employeur doit nécessairement être commerçant au sens du HGB, et le salarié doit accomplir des travaux de bureau ou avoir une activité commerciale 72.

Le droit allemand connaît également des contrats de travail spécifiques : le contrat de travail des équipages, le contrat de travail minier, le contrat de travail agricole et forestier, le contrat de travail des gens de maison et tous les contrats de travail qui ne font l'objet d'aucune disposition spéciale.


C. -Typologie des contrats de travail au regard de leur durée


41- En droit allemand, le contrat de travail à durée indéterminée régit la majorité des relations employeur-salarié. Ce contrat prend fin des suites d'un congé (licenciement de l'employeur, démission du salarié) ou par un accord de rupture.

Le droit allemand admet aussi la promesse d'emploi perpétuel, ce qui autorise les contrats de louage de services à vie ou pour une durée fixée par les parties assortie d'une clause excluant la possibilité d'un congé ordinaire. L'employeur ne peut alors y mettre fin qu'en recourant au congé extraordinaire pour motif important. La possibilité de rupture sans motif particulier est offerte au salarié après cinq ans de collaboration sous la condition de respecter le préavis de six mois édicté par le § 624 BGB 73.

Le droit allemand autorise encore le contrat de travail à durée déterminée soumis aux dispositions des §§ 620 et s. BGB qui imposent à l'employeur de pouvoir se référer en toute hypothèse à un sachlicher Grund (cause objective) pour justifier la limitation du contrat dans le temps. La jurisprudence a tout d'abord précisé les conditions de validité et le régime de ce type de contrat en admettant une période d'essai d'une durée maximale de six mois. Il était alors non seulement possible de recourir à un contrat de travail à durée déterminée pour remplacer un salarié malade ou temporairement absent, mais aussi pour pourvoir à un emploi saisonnier ou répondre à une demande urgente. Puis, dans un second temps, le Beschäftigungsförderungsgesetz-BeschFG (loi sur la promotion de l'emploi du 26 avril 1985) 74 a facilité sous certaines conditions pour toutes les entreprises et tous les salariés le recours aux contrats à durée déterminée en excluant qu'une disposition législative particulière puisse y faire échec. Le but avoué de cette loi est la lutte contre le chômage par l'assouplissement des règles applicables aux rapports de travail. Elle rend inapplicable la jurisprudence antérieure et supprime l'exigence d'une cause légitime en cas d'embauche d'un nouveau salarié, de création d'une nouvelle entreprise et de fin de la période d'apprentissage.

Le droit allemand offre enfin la possibilité de conclure en fonction des circonstances un contrat de travail à temps partiel, un contrat de travail de dépannage, un contrat de travail à durée variable, un contrat de partage de l'emploi, un contrat de travail temporaire, ou un contrat de travail à distance 75. Aucun développement particulier ne sera consacré à ces différents types de contrats qui, pour la plupart, ne donnent pas lieu à signature d'une clause de non-concurrence.


D. -Modes de conclusion du contrat de travail


42- La conclusion d'un contrat de travail résulte de la rencontre entre les volontés déclarées des parties à travers une offre et une demande. Les dispositions des §§ 145 et s. BGB sont applicables.

L'obligation pesant sur certaines entreprises d'embaucher des salariés bénéficiaires d'une protection particulière - par exemple les grands handicapés - ne peut avoir pour conséquence d'imposer à un employeur de prendre à son service une personne qui ne lui convient pas. A l'opposé, une interdiction d'embauche d'origine légale ou conventionnelle - par exemple celle concernant les enfants ou adolescents - peut faire échec à la volonté des parties.

En l'absence d'exigence légale qui imposerait l'accomplissement d'une formalité précise, la conclusion du contrat de travail peut être tacite. Cependant, si la convention collective impose le respect d'une forme déterminée à peine de nullité, les dispositions des §§ 125, al. 1er et 126 BGB devront alors être respectées.

Il convient aussi de vérifier la validité des consentements. Le consentement d'une partie n'est pas valable si elle est juridiquement incapable au sens des §§ 104 et s. BGB ou si elle présente une capacité réduite au sens des §§ 106 et s. BGB.

Employeur et salarié peuvent être valablement représentés lors de la conclusion du contrat de travail. Ils seront alors personnellement engagés selon la première phrase du § 164, al. 1er BGB si leur représentant a pouvoir de les représenter régulièrement. Tuteur et curateur doivent avoir été expressément autorisés par le tribunal des tutelles à souscrire un contrat d'apprentissage ou de travail d'une durée supérieure à un an aux termes du § 1822 n°6 et n°7 BBiG Berufsbildungsgesetz-loi sur la formation professionnelle.

Dans certaines entreprises, l'employeur doit recueillir l'accord du conseil d'entreprise avant d'embaucher un nouveau salarié. De même, s'il envisage d'engager un employé dirigeant, il doit en informer en temps utile le Sprecherausschuss (les représentants des employés dirigeants dans l'entreprise).


E. - Fin du contrat de travail en droit allemand


43- Le régime de la fin du contrat de travail est différent selon que celui-ci est à durée déterminée ou à durée indéterminée.

Le droit allemand connaît deux formes de contrat de travail à durée déterminée : le contrat à durée fixe et le contrat dont l'expiration dépend d'un événement ou d'un but déterminé. Dans ce second cas, la fin doit pouvoir être exactement déterminée. L'expiration de la durée contractuelle, l'arrivée du terme et la réalisation de l'événement ou du but prévu pour la résiliation, mettent fin au contrat de plein droit sans qu'un congé soit nécessaire 76.

Le droit allemand connaît aussi le contrat de travail à durée indéterminée qui prend fin par la décision commune des parties ou par congé. Ce dernier est une déclaration de volonté unilatérale qui, aux termes des §§ 130 et 132 BGB, doit être portée à la connaissance du co-contractant, employeur ou préposé. Le congé peut être valablement donné verbalement 77 puisqu'aucune forme n'est exigée, à l'exception des cas prévus par le § 62, al. 1er de la loi sur les gens de mer pour les contrats d'engagement maritime et par le § 15, al. 3 de la loi sur la formation professionnelle pour les rapports qui impliquent l'existence d'une formation professionnelle.

S'il est nécessaire que le congé soit formulé de telle sorte que son destinataire acquiert la certitude de la volonté de son auteur de mettre fin à la relation de travail, il n'est pas exigé que le mot Kündigung (congé) soit expressément employé 78.

Force est de conclure que la conception allemande actuelle en matière de rupture de contrat de travail s'inscrit dans une optique civiliste. Le congé peut être donné par chaque partie au contrat de travail et il n'est pas fait de distinction entre les deux aspects du congé : licenciement décidé par l'employeur et démission donnée par le salarié.

Le droit allemand différencie cependant congé ordinaire et congé extraordinaire. Si, par exemple, le salarié viole l'obligation légale d'abstention de concurrence qui lui est imposée pendant la relation de travail par le § 60 HGB, l'employeur peut choisir de procéder à son licenciement en respectant un préavis ; il y aura licenciement ordinaire. Mais s'il décide de ne pas faire bénéficier le salarié d'un préavis, il y aura alors licenciement extraordinaire. Les exemples pourraient être multipliés. Le critère de choix de la procédure employée est dans cette hypothèse la gravité du manquement reproché au salarié. D'autres critères existent. Dans un premier point, la fin du contrat de travail par congé ordinaire sera analysée, avant que soit étudiée dans un second point la fin du contrat de travail par congé extraordinaire.


1. - La fin du contrat de travail par congé ordinaire –ordentliche Kündigung


44- Chaque partie peut en principe mettre fin au contrat de travail en respectant un préavis sous réserve des interdictions de licencier applicables de plein droit dans certaines hypothèses (pendant le service militaire), voire des restrictions au droit de licencier résultant d'une convention collective (interdiction de licencier les salariés qui ont une ancienneté minimale de quinze ans) ou du BetrVG-Loi portant constitution sociale de l'établissement-qui impose l'accord du conseil d'établissement.

a. - Préavis

45- Le régime légal applicable aux ouvriers en vertu du § 622, al. 2 BGB n'est pas identique à celui réservé aux employés par le § 622, al. 1er BGB 79. Le délai de préavis minimum est de deux semaines pour les ouvriers sans terme d'échéance, de sorte que la rupture peut prendre effet à n'importe quel moment. Mais, le délai-congé minimum applicable aux employés est de six semaines et doit être donné pour la fin d'un trimestre. Le congé doit donc être signifié au plus tard le 17 février pour prendre effet le 31 mars ; le 19 mai pour prendre effet le 30 juin ; le 19 août pour prendre effet le 30 septembre ; et le 19 novembre pour prendre effet le 31 décembre.

Le délai-congé dont bénéficient les employés peut être réduit ou prolongé par l'accord des parties sans pouvoir être inférieur à un mois. Dans ce cas, le congé prend effet à la fin d'un mois de calendrier. Le § 622, al. 3 BGB prévoit cependant que le minimum légal peut-être abrégé par une convention collective.

En principe, les délais-congés convenus doivent être d'une durée identique pour les deux parties sans distinction entre salariés ouvriers et salariés employés. Aux termes du § 622, al. 5 BGB, est nulle toute clause d'un contrat qui imposerait au salarié le respect d'un délai de préavis plus long que celui auquel est astreint l'employeur. Cette règle n'exclut cependant pas la stipulation d'un délai plus court en faveur du salarié. La loi du 2 juillet 1926 a apporté une dérogation au principe d'égalité des préavis pour protéger les ältere Angestellte (employés âgés) qui ont une certaine ancienneté dans l'entreprise. Dans ce cas, le délai de préavis dû par l'employeur est porté à trois mois après cinq ans d'ancienneté, à quatre mois après huit ans d'ancienneté et à six mois après douze ans d'ancienneté. En outre, le délai congé doit expirer à la fin d'un trimestre civil. Ce délai s'impose uniquement à l'employeur.

Cette protection spéciale ne peut jouer au plutôt que lorsque le salarié a atteint l'âge de trente ans révolus car il n'est pas tenu compte de l'ancienneté antérieure au vingt-cinquième anniversaire de l'intéressé.

Aux termes du § 187, al. 1er BGB, le jour de la dénonciation n'est pas pris en compte dans le calcul du préavis. Le préavis intervient cependant dans la détermination de la durée du contrat de travail.

Le droit allemand ne connaît pas l'indemnité de préavis de sorte qu'en cas de congé ordinaire, la partie qui prend l'initiative de la rupture ne dispose d'aucune option entre respect du délai de préavis et paiement d'une indemnité compensatrice. Elle doit observer le préavis, qu'il soit légal ou conventionnel. A défaut, l'expiration du contrat est différée jusqu'au terme normal du préavis et la brusque rupture est considérée comme inopérante, sans préjudice du paiement de dommages-intérêts à charge de l'auteur de la rupture.

b. - Protection spéciale

46- Dans l'hypothèse où le congé émane de l'employeur, le salarié peut, dans certains cas, bénéficier d'une protection spéciale prévue par le Kündigungsschutzgesetz-KSchG, loi sur la protection contre le licenciement du 10 août 1951 80, rédaction du 25 août 1969 81 modifiée en dernier lieu le 18 décembre 1989 82.

Le KSchG ne vise que la résiliation unilatérale par l'employeur du contrat de travail à durée indéterminée quand l'entreprise emploie normalement plus de cinq salariés, exception faite des apprentis ; il s'applique à l'ensemble des entreprises privées et publiques et exclut les Beamter (fonctionnaires).

En vertu du § 1er, al. 1 KSchG, la protection bénéficie uniquement au salarié, ouvrier ou employé, dont l'ancienneté ininterrompue minimale est de six mois dans l'entreprise ou dans l'établissement 83.


En cas d'interruption de la collaboration, le BAG exige un lien étroit entre les deux relations de travail 84 ; tel n'est pas le cas si la durée de l'interruption est de deux mois et demi, voire supérieure 85. Le délai s'apprécie au moment de la notification du licenciement.

c. - Änderungskündigung (congé par modification)

47- Le salarié peut s'opposer aux directives de l'employeur qui, après lui avoir notifié un congé, lui propose ensuite la poursuite de la relation de travail unilatéralement modifiée par rapport au contrat de travail initial. Le droit allemand, par le § 2 KSchG, interprète cette modification unilatérale comme un licenciement implicite. L'employeur ne peut imposer unilatéralement le nouveau contrat au salarié, sous peine de provoquer une Änderungskündigung. Le salarié dispose de la possibilité, après la réception du congé, de formuler une objection et d'indiquer à l'employeur qu'il accepte la modification envisagée sous la réserve qu'elle ne soit pas socialement injustifiée. Cette restriction doit être portée à la connaissance de l'employeur avant la fin du délai de préavis et, en toute hypothèse, au plus tard dans le délai de trois semaines après la réception de la notification. La proposition d'emploi doit alors tenir compte de cette réserve.

Si après un recours en justice le salarié obtient gain de cause, l'employeur est obligé de le conserver à son service aux conditions du contrat initial. En cas d'échec du salarié le nouveau contrat est considéré comme conclu. De ce fait, en attaquant l'Änderungskündigung, le salarié ne court pas le risque de perdre son emploi 86 contrairement à ce qui se produit quand, après avoir purement et simplement refusé la modification, il succombe devant le tribunal du travail, puisqu'alors il est mis fin au rapport de travail par le congé 87. L'employeur supporte la charge de la preuve des motifs allégués à l'appui du licenciement du salarié mais n'est obligé de les indiquer au moment de la notification du congé ; il suffit qu'il en fasse état pendant la procédure devant la juridiction du travail.

d. - Licenciement socialement injustifié

48- La loi sur la protection contre le licenciement permet au salarié de soutenir que son licenciement est socialement injustifié. Dans ce cas, il lui appartient, dans le délai de trois semaines après réception de la notification du congé, d'introduire un recours auprès du tribunal du travail compétent afin de faire constater que son licenciement est socialement injustifié et que, par conséquent, son contrat de travail n'est pas résilié (première phrase du § 4 KSchG).

Aux termes du § 1, al. 2 KSchG, est socialement injustifié le licenciement qui n'est motivé ni par une cause tenant à la personne ou au comportement du salarié, ni par les dringende betriebliche Gründe (impérieuse nécessité de l'établissement). Ces deux hypothèses seront successivement étudiées ci-après :

49- Constituent une cause personnelle au salarié l'inaptitude physique ou intellectuelle, l'incapacité, l'expiration d'une autorisation de travail s'il est étranger, la maladie prolongée 88, de courtes maladies répétées 89 et la diminution des capacités de travail consécutive à une maladie 90 ; mettent en cause le comportement du salarié la méconnaissance des obligations contractuelles, le non-respect du règlement intérieur et la conduite pénalement répréhensible dans le cadre des rapports de travail.

L'activité de l'employé commercial qui viole l'obligation légale de non-concurrence posée par le § 60 HGB et porte atteinte aux intérêts professionnels de l'employeur peut justifier un licenciement ordinaire fondé sur le comportement du salarié au sens du § 1er al. 1er KSchG de 1969. Il n'est pas nécessaire que la gravité de la violation des obligations contractuelles par le salarié rende impossible toute poursuite de la collaboration ; cependant elle doit être suffisamment importante pour amener un employeur sensé à se séparer du salarié après avoir soupesé les intérêts respectifs en présence 91. Si la violation imputée au salarié n'est pas d'une gravité suffisante, l'employeur doit le mettre en demeure de modifier son comportement et de respecter ses engagements (§ 326 BGB).Le licenciement du salarié ne devient justifié qu'en cas de poursuite de l'attitude anti-contractuelle après réception de la mise en demeure. G. Schaub estime cependant que la mise en demeure perd tout caractère nécessaire si le salarié acquiert la conviction que l'employeur ne tolérera pas son comportement 92 ; tel est le cas dans l'hypothèse où le salarié envisage de créer une entreprise personnelle concurrente. L'employeur est fondé à licencier le salarié si les mesures prises pour préparer son installation future permettent de penser qu'il cherchera à profiter de ses contacts commerciaux dans un intérêt personnel 93. La même solution s'impose si le salarié a déjà établi des contacts concrets avec un concurrent dans sa recherche d'un nouvel emploi et qu'existe ainsi le risque de le voir faire parvenir à cet employeur potentiel des renseignements sur l'ancienne entreprise 94.

50- Constituent l'impérieuse nécessité de l'établissement la réduction d'activité, la mévente, la recherche de rationalisation, l'arrêt de l'exploitation ou la réorganisation.

La suppression de l'emploi précis du salarié licencié n'est pas exigée  ; il suffit d'un excédent de main-d'œuvre dont l'origine peut être interne ou extérieure à l'établissement 95. Mais le licenciement projeté doit présenter un caractère indispensable ; tel n'est pas le cas si une autre solution peut être envisagée par la réduction ou la suppression d'heures supplémentaires, voire par la diminution de la durée du temps de travail 96. De même, pour que le licenciement soit jugé indispensable, il faut aux termes de l'avant-dernière phrase du § 1, al. 2 KSchG qu'il se révèle impossible d'employer le salarié licencié à un autre poste de travail au sein de l'établissement, même après Umschulung (reconversion) ou Fortbildung (formation permanente). En cas de litige, le tribunal du travail procédera au contrôle des motifs avancés par l'employeur à l'appui du licenciement du salarié en appliquant l'ultima ratio Grundsatz (principe du dernier argument) 97. L'existence d'un poste de travail disponible conditionne la possibilité de continuer à employer le salarié 98 ; il faut entendre ici celui qui n'est pas occupé au moment du licenciement et celui dont l'employeur peut penser avec suffisamment de certitude qu'il sera libre à l'issue de la période de préavis 99.

En tout état de cause, si le licenciement s'impose dans l'intérêt de l'établissement mais que l'employeur et le conseil d'établissement ont été dans l'incapacité de sélectionner un critère préalable obligatoire, l'employeur doit choisir le salarié concerné suivant des critères sociaux appropriés, c'est-à-dire rechercher celui qui, comparé à ses collègues de travail, est le moins dans l'obligation de conserver son emploi 100. Entreront notamment en ligne de compte l'âge, la situation de famille, l'ancienneté au service de l'employeur, les aptitudes professionnelles, les charges et endettement, les revenus non professionnels, l'état de santé, la polyvalence du salarié et enfin les revenus du conjoint 101.

La loi du 25 septembre 1996 a modifié le § 1 KSchG 102 en ce sens que la première phrase de l'al. 3 du § 1 KSchG a remplacé la référence à l'aspect social par les notions de durée d'appartenance à l'entreprise, d'âge et d'obligations alimentaires à charge du salarié. Des premières décisions de justice ont déjà interprété ce nouveau texte 103.

L'employeur a l'obligation de porter à la connaissance du conseil d'établissement les critères dont il a tenu compte pour effectuer sa soziale Auswahl (sélection sociale). En application du § 102, al. 1er BetrVG, l'employeur doit informer et consulter le conseil d'établissement avant tout licenciement 104der Betriebsrat ist vor jeder Kündigung zu hören. Der Arbeitgeber hat ihm die Gründe für die Kündigung mitzuteilen. Ein ohne Anhörung des Betriebsrats ausgesprochene Kündigung ist unwirksam ". La première phrase du § 102, al. 3 BetrVG autorise au demeurant le conseil d'établissement à refuser le licenciement ordinaire quand l'employeur n'a pas tenu compte, ou insuffisamment tenu compte, de l'aspect social dans le choix du salarié à licencier, " bei der Auswahl des zu kündigenden Arbeitnehmer soziale Gesichtspunkte nicht oder nicht ausreichend berücksichtigt hat ".

L'efficacité du critère de sélection sociale suscite parfois des réserves. W. Däubler fait ainsi référence à " die sogenannte soziale Auswahl " (la prétendue sélection sociale) qui doit céder le pas, en application de la seconde phrase du § 1, al.3 KSchG, devant les nécessités de l'établissement quand celles-ci plaident en faveur du maintien dans l'effectif d'un salarié autre que celui méritant socialement protection 105.

Ceci étant, quand disparaît la possibilité de maintien des emplois au sein d'un établissement mais que subsiste celle d'affecter une partie des salariés concernés à un autre poste de travail dans l'établissement, il appartient à l'employeur de choisir les salariés menacés de licenciement qu'il conservera à son service en appliquant les règles de sélection sociale du § 1 al. 3, KSchG 106.

Si, en cas de suppression d'emplois dans plusieurs établissements, le maintien d'un unique poste de travail est possible, l'employeur a l'obligation (§ 315 BGB) de tenir équitablement compte des intérêts sociaux des salariés concernés par le licenciement pour pourvoir à l'emploi disponible 107.

La charge de la preuve du non-respect du critère de sélection sociale pèse sur le salarié 108.

Si le salarié a été licencié au motif de l'impérieuse nécessité de l'établissement et que l'employeur n'a pas tenu compte, ou seulement insuffisamment compte, des considérations sociales lors du choix du salarié, le licenciement est socialement injustifié 109.

e. - Dissolution du contrat de travail par le tribunal

51- Le tribunal peut prononcer la dissolution du rapport de travail en vertu du § 9 al. 1er KSchG si à titre principal il constate la nullité d'un congé socialement injustifié tout en relevant sur demande additionnelle du salarié l'impossibilité d'une poursuite raisonnable de la collaboration ou souligne sur demande subsidiaire de l'employeur l'impossibilité d'une coopération satisfaisante dans l'avenir.

Dans ce cas, selon le § 10 KSchG, le tribunal fixe le montant de l'indemnité due par l'employeur au salarié en tenant compte des situations économiques respectives, de l'ancienneté de la collaboration, éventuellement de l'attitude du salarié qui peut être à l'origine du licenciement par son comportement, voire même de toute autre circonstance. L'indemnité qui est normalement d'un montant égal à douze rémunérations mensuelles peut atteindre dix-huit rémunérations mensuelles quand le salarié, âgé de cinquante-cinq ans révolus, a vingt ans d'ancienneté. Mais le droit allemand ne connaît pas de manière générale la réintégration qu'il n'a admise que rarement en présence d'un congé extraordinaire et dans des hypothèses particulières ; ce point sera exposé ultérieurement.

Enfin si la juridiction saisie a constaté la nullité du congé, le salarié qui a conclu un nouveau contrat de travail en cours de procédure conserve la possibilité de déclarer dans la semaine qui suit la date à laquelle le jugement est passé en force de chose jugée qu'il ne veut pas reprendre l'ancien rapport de travail. Cette déclaration fondée sur le § 12 KSchG met fin à l'ancien lien de travail.

2. - La fin du contrat de travail par congé extraordinaire - ausserordentliche Kündigung


52- Chaque partie peut dénoncer le contrat de travail à durée indéterminée pour wichtiger Grund (motif important) sans avoir à respecter de préavis. La même solution prévaut en cas de contrat à durée déterminée s'il existe des faits qui interdisent raisonnablement d'exiger la poursuite du contrat jusqu'à son terme. Il sera alors tenu compte des circonstances de l'espèce et des intérêts respectifs des deux parties (§ 626, al. 1er BGB) ; c'est le congé extraordinaire. Ce congé peut être notifié sans indication de motif mais l'auteur de la rupture est tenu d'en communiquer le motif par écrit à son cocontractant sur sa demande (§ 626, al. 2 BGB). La violation de l'obligation peut donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts 110 sans entraîner toutefois la nullité du congé 111.

Les règles posées par le § 626 BGB sont impératives 112. Aux termes de la première phrase du § 626, al. 2 BGB, la partie qui prend l'initiative de la rupture immédiate doit le faire dans un délai de deux semaines à partir du moment où elle a connaissance du motif de la rupture, par exemple l'activité concurrentielle du salarié 113. Il s'agit d'un délai de forclusion à l'expiration duquel l'employeur est présumé de façon irréfragable n'avoir aucun motif important à faire valoir, permettant de justifier un licenciement immédiat. La poursuite de la relation de travail peut alors être exigée en dépit de la gravité des éléments qui auraient été susceptibles de légitimer le non-respect du préavis 114.

Il est impossible d'établir une liste exhaustive des motifs importants permettant de justifier un congé extraordinaire. L'existence ou l'absence du motif sera à rechercher au moyen de critères objectifs 115. Les causes autrefois énumérées dans la loi, injure grave, infraction pénale (vol, escroquerie, abus de confiance) ou refus de travail persistant sont incontestablement des motifs importants. Le motif du congé extraordinaire ne réside cependant pas nécessairement dans la faute du salarié ; il peut résulter d'une maladie prolongée ou avoir son origine dans des faits qui se sont déroulés avant le début de l'emploi 116.

Il peut même être étranger au salarié et concerner la personne qui prend l'initiative de la résiliation (mariage, émigration ...) ou être fondé sur des raisons extérieures aux parties (fermeture de l'établissement, voire interdiction administrative ...) 117.

Avant la loi du 14 août 1969-erstes Arbeitsbereinigungsgesetz, la violation de l'obligation de non-concurrence de plein droit du § 60 HGB était considérée comme une cause de rupture immédiate du contrat de travail 118. Certains éléments permettaient d'atténuer la dureté de cette solution, mais la preuve de l'existence d'un élément justificatif incombait au salarié 119.

Depuis l'entrée en vigueur de ce texte, un congé sans préavis n'est valable qu'à condition qu'un délai de prévenance ne puisse pas être exigé, par exemple si le salarié fait une concurrence non autorisée à son employeur. En cas de litige, il appartient à l'employeur de démontrer qu'on ne pouvait pas lui imposer de conserver le salarié licencié jusqu'au terme normal du préavis, même en dépit d'éléments favorables. Une grande ancienneté de services ou un besoin particulier de protection pourraient rendre illégitime un licenciement sans préavis. Ceci reste vrai si le salarié commet une violation grave de son obligation de fidélité quand la fin de la relation de travail est imminente pour autre motif, en l'espèce à raison du congé qui vient d'être donné 120.

Le licenciement extraordinaire ne doit être que l'ultime moyen auquel la partie qui met fin à la relation de travail peut légitimement avoir recours à défaut d'une autre mesure moins contraignante qui serait susceptible de préserver les intérêts des deux parties, par exemple en cas de débauchage de personnel, de détournement de clientèle ou de la transmission d'un secret d'affaires à la concurrence. Un auteur synthétise parfaitement la question, " est un motif important, tout motif qui rend le maintien de la relation de travail intolérable eu égard au principe de bonne foi. Le motif important doit toujours être considéré dans le contexte de la relation de travail, par exemple sa durée " 121.

Il appartient à l'auteur d'un congé extraordinaire de prouver l'existence du motif important en cas de procédure judiciaire. S'il n'y parvient pas, la nullité du congé sera prononcée. Le recours exercé par un salarié doit être introduit dans les trois semaines de la réception de l'avis de licenciement (§ 4, al. 1er KSchG). En cas de recours tardif, le licenciement reste valable (§ 7 KSchG). Un congé extraordinaire frappé de nullité peut être considéré comme congé ordinaire et ne prendre effet qu'à l'expiration du délai de préavis requis 122.

L'employeur qui notifie un congé extraordinaire sans motif important est en situation d'Annahmeverzug (en demeure d'acceptation) jusqu'à la résiliation régulière du contrat ; il doit continuer à verser le salaire sans préjudice du paiement d'éventuels dommages-intérêts.

Dans l'hypothèse où l'employeur a à bon droit mis sans délai fin à la relation de travail, le § 628, al. 2 BGB impose au salarié l'obligation de l'indemniser du dommage qu'il subit. Ce sera le cas si l'absence du salarié pendant le préavis entraîne au détriment de l'employeur une perte ou un manque à gagner. La réparation s'effectuera par l'imputation du salaire encore dû, voire par le paiement imposé au salarié de la différence éventuelle entre sa créance salariale et le coût du salarié de remplacement. Si l'employeur est contraint d'affecter d'autres salariés aux fonctions antérieures du salarié licencié, celui-ci devra l'indemniser du surcoût éventuel après déduction du salaire épargné. L'ancien employeur peut demander à être indemnisé du préjudice qu'il subit parce que le salarié licencié sans préavis retrouve sa liberté d'action concurrentielle et n'est plus lié par l'obligation d'abstention du § 60 HGB ; il s'agit ici d'un manque à gagner au sens du § 252 BGB 123.

Dans deux hypothèses, la jurisprudence a reconnu au salarié un droit à réintégration par référence au devoir d'assistance subséquent de l'employeur :

- un congé avait été donné en vertu d'une injonction administrative qui reposait sur une dénonciation injustifiée 124.

- un congé avait semblé justifié par le soupçon de la commission d'une infraction pénale, puis avait perdu toute consistance après la disparition du soupçon 125.

Le droit allemand connaît aussi la rupture du contrat de travail par congé extraordinaire avec un préavis dont la durée est déterminée par l'employeur. Ce congé est appelé ausserordentliche Kündigung mit sozialer Auslauffrist (congé extraordinaire assorti d'un délai-congé à justification sociale) 126. Cette formulation compliquée est justifiée parce que s'agissant d'un congé extraordinaire, l'employeur aurait eu le droit de licencier le salarié sans respecter aucun délai et qu'il n'a accordé un préavis que par seule bienveillance, c'est-à-dire par esprit social.


SECTION 2. - COMPATIBILITE DES CLAUSES DE NON-CONCURRENCE AVEC LES REGLES CONSTITUTIONNELLES ET INTERNATIONALES


§ 1. - REGLES  CONSTITUTIONNELLES NATIONALES



53- Il existe dans les deux pays des règles constitutionnelles proches inspirées des principes généraux de droit reconnus dans les systèmes de droit occidentaux. La formulation est parfois légèrement différente. C'est ainsi qu'en droit allemand on connaît la freie Berufswahl (liberté de choix de la profession) alors qu'en droit français on invoque la liberté du travail. Mais il peut aussi arriver qu'elle soit identique, quand il est question du Recht auf Arbeit (droit au travail) dont l'existence même est discutée dans les deux droits. Nous vérifierons donc si l'existence d'une clause de non-concurrence postérieure à la rupture du contrat de travail peut être conciliée avec les règles constitutionnelles allemandes (A), avant de nous poser la même question au regard des règles constitutionnelles françaises (B).


A. - Règles constitutionnelles allemandes


54- L'étude apparaît d'autant plus justifiée que le contrôle de la constitutionnalité des lois en droit français est inspiré du droit allemand 127.

Le GG-Loi fondamentale, a été proclamé le 23 mai 1949, jour même de la fondation de la République fédérale d'Allemagne. Il comporte cent quarante-six articles. Aux termes du dernier de ces articles, il cessera ses effets le jour de l'entrée en vigueur de la Constitution adoptée par le peuple allemand libre de ses décisions. Il s'agit d'un texte provisoire constituant un Wertsystem (système de valeurs) au service de la personne humaine considérée comme valeur suprême 128. F. Gamillscheg souligne la prise de conscience aigüe qui a résulté du GG 129.

L'art. 1er, al. 1 GG rappelle que " la dignité de l'homme est intangible. Tout pouvoir public est tenu de la respecter et de la protéger " 130. La partie I du GG, consacrée aux Grundrechte (droits fondamentaux), comporte dix-neuf articles. Elle constitue un corps de règles assorties de sanctions juridiques précises qui énumère les libertés formant les fondements du droit. Analysant la prééminence des droits fondamentaux en droit allemand, un auteur français écrit : " La matière est immense. Elle l'est d'autant plus que les droits fondamentaux irradient l'ordre juridique allemand tout entier " 131. Les droits fondamentaux ont à la fois la nature de droits subjectifs protégeant l'individu contre l'Etat, et celle de droits objectifs constituant les principes de base de l'ordre juridique allemand.

Le pouvoir législatif, déclare le GG, est soumis à l'ordre constitutionnel. Contre quiconque entreprendrait de renverser cet ordre, tout Allemand a le droit de résister à défaut d'autre recours 132.

Le droit allemand présente une particularité en matière de contrôle de constitutionnalité, à savoir que la juridiction compétente est différente suivant que le droit en cause est antérieur ou postérieur au GG. Le BVerfG-Bundesverfassungsgericht (Cour constitutionnelle fédérale) s'est déclaré compétent par référence à l'art. 100, al. 1er GG 133 pour sanctionner les lois postérieures à la Loi fondamentale tout en décidant que les autres juridictions suprêmes devaient connaître des problèmes posés par la constitutionnalité des textes de loi antérieurs à la Loi fondamentale 134.

Cette jurisprudence explique la référence au BAG et non au BVerfG dans la partie consacrée à la compatibilité des limitations de concurrence postérieures à la cessation de la relation de travail avec les règles constitutionnelles allemandes. En effet, le droit de la non-concurrence des employés de commerce est indiscutablement antérieur au GG puisqu'il trouve sa source dans les §§ 74 et s. HGB dont la formulation actuelle remonte au 10 juin 1914. Le BAG 135 émet cependant une réserve relative au § 75, al.3 HGB en soulignant que la loi du 6 août 1953 qui a modifié la partie du HGB consacrée aux agents commerciaux a introduit dans la deuxième phrase du § 90, al. 2 HGB une règle correspondant à celle du § 75, al. 3 HGB, qui est susceptible de remettre en cause l'antériorité du GG par rapport au § 75, al. 3 HGB 136.

Il convient cependant d'avoir présent à l'esprit que le droit des relations individuelles de travail a pendant longtemps tenu une place modeste dans la jurisprudence du BVerfG et que ce n'est que depuis peu de temps que cette situation s'est inversée 137.

Deux dispositions générales définissent le domaine des droits fondamentaux :

- l'art. 2, al. 1er GG qui édicte que chacun a droit au libre développement de sa personnalité pour autant qu'il ne porte pas atteinte aux droits d'autrui, à l'ordre constitutionnel ou à la loi morale.

- l'art. 3 GG selon lequel tous les hommes sont égaux devant la loi.

La compatibilité de la clause de non-concurrence avec les deux principes constitutionnels allemands, liberté de choix de la profession (1) et droit au travail (2) sera étudiée maintenant.


1. - Liberté de choix de la profession


55- Les différentes libertés consacrées par le GG découlent de l'art. 2, al. 1er.

C'est notamment le cas du principe de liberté de choix et d'exercice de la profession posé par l'art. 12 GG. Ce droit fondamental est " un droit de liberté soumis au contrôle de l'Etat ", que l'Etat lui-même doit respecter quand il légifère 138. C'est aussi le cas des droits de propriété et de succession garantis par l'art. 14 GG.

56- Le droit allemand a tout naturellement été amené à s'interroger sur la compatibilité des clauses restrictives de concurrence post-contractuelles avec les dispositions de l'art. 12 GG. Selon l'art. 12, al. 1er GG, tous les citoyens allemands ont le droit de choisir librement profession, emploi et lieu où ils reçoivent leur formation. Aux termes de l'art. 12, al.2 GG, l'exercice d'une profession peut être réglementé par une loi ou en vertu d'une loi.

Il n'est pas discutable que le principe du libre choix de la profession vient limiter la possibilité de conclure une clause de non-concurrence. Les dispositions législatives régissant la matière doivent respecter cette règle constitutionnelle qui fixe donc l'étendue des limitations contractuelles de concurrence possibles. La détermination de leur incidence a fait l'objet d'analyses différentes en jurisprudence et en doctrine.

L'art. 1er, al. 3 GG impose uniquement aux trois pouvoirs publics (législatif, exécutif et judiciaire) le respect des droits fondamentaux sans mentionner les tiers, personnes privées, dans leurs rapports avec le titulaire du droit litigieux. Il semble donc permis de déduire du silence du constituant l'absence d'effet des droits fondamentaux envers les tiers. Telle n'a pas été pendant longtemps la position du BAG et d'une doctrine minoritaire qui ont admis l'idée d'une opposabilité directe aux tiers des droits fondamentaux dans les rapports de droit privé qu'ils justifiaient par le principe de l'Etat social. Un revirement de jurisprudence s'est produit en 1985 139.

Le BVerfG et la plus grande partie de la doctrine avaient toujours estimé que les droits fondamentaux ne pouvaient exercer qu'une influence indirecte sur les rapports de droit privé par l'intermédiaire des Generalklauseln (clauses générales) du droit civil 140.

Selon l'opinion de F. Gamillscheg, la détermination de la notion de droit fondamental impose d'avoir à se référer préalablement à la loi puisque le recours aux droits fondamentaux perd tout intérêt en présence d'un texte clair et dépourvu d'ambiguïté. De telles dispositions sont cependant rares et il est fréquent qu'un texte apparemment adapté à une situation concrète, prête en réalité matière à interprétation. Tel est le cas de certaines clauses générales, obligation de secours ou de fidélité, motif grave ou abstention fautive, qui sont nombreuses en droit du travail. C'est au juge qu'il appartient alors de leur donner un contenu précis par référence aux droits fondamentaux.

Cependant, comme il appartient au juge de préciser les termes de la loi et d'en combler éventuellement les lacunes, il devra par souci de clarté se référer d'abord aux clauses générales et ensuite seulement aux droits fondamentaux. Il est en effet préférable d'imposer à un employeur l'interdiction concrète de porter atteinte aux ambitions professionnelles du salarié plutôt que de lui défendre abstraitement d'agir de manière immorale car cette interdiction trop générale risquerait de ne pas être comprise 141.

57-L'obligation posée par l'art. 12 GG d'assurer au salarié le libre changement de profession et d'emploi encadre toutes tentatives visant à limiter la liberté contractuelle.

58-Le BAG attribue au principe de libre choix de la profession rang de valeur constitutionnelle supérieure et fondamentale et le reconnaît directement opposable aux tiers 142. Les conventions de droit privé ne peuvent s'y soustraire ; les clauses limitatives de concurrence doivent donc respecter le libre choix de la profession. La référence à la liberté contractuelle qui découle du droit au libre épanouissement de la personnalité proclamé par l'art. 2, al. 1er GG ne permet pas d'y faire échec et ne peut justifier ni atteinte aux droits d'autrui, ni infraction au cadre constitutionnel ou aux règles morales.

La première chambre du BAG a reconnu la valeur supérieure des droits posés par l'art. 12 GG sur ceux résultant du principe de liberté contractuelle. Pour cette juridiction, les conventions portant atteinte au libre épanouissement de la personnalité et dépassant les limites posées par l'art. 12 GG ne peuvent prétendre à reconnaissance légale 143.

H. Buchner rapproche cette règle de la nécessité de ne pas admettre d'autres limitations au libre choix de la profession que celles nécessaires au déroulement harmonieux du rapport de travail 144.

59-Le débat ne pouvait pas rester abstrait et la question de la compatibilité des clauses de non-concurrence avec le libre choix de la profession s'est posée. Pour le BVerfG, une limitation de concurrence fait obstacle au libre épanouissement de la personnalité quand elle a pour conséquence de restreindre le choix de la profession et pas uniquement son exercice car elle dépasse alors les bornes posées par l'art. 12 GG. Dans ce cas, le salarié ne serait pas simplement pénalisé dans le libre choix d'un emploi ; il se verrait aussi retirer la possibilité de mettre librement en valeur ses compétences et son expérience professionnelle 145.

Il ne s'agit pas ici de rechercher les conditions de validité de la clause de non-concurrence, mais uniquement de fixer les limites au-delà des desquelles elle ne peut agir sans porter atteinte au libre choix de la profession 146.

Selon la Dreistufenlehre (théorie des trois niveaux) développée par le BVerfG et à laquelle se réfère expressément le BAG, le libre choix de la profession ne peut être limité que dans les seuls cas où il convient de protéger un bien commun éminent primant la liberté de l'individu 147. Il ne s'agit pas de rechercher ici un compromis entre la liberté des uns et l'intérêt public issu du bien commun, mais de lutter contre les atteintes aux droits du salarié qu'on peut redouter au moment de la conclusion du contrat de travail à raison de la position de force de l'employeur. Il y a lieu de craindre en effet que, pour accéder à un emploi convoité, le candidat- salarié soit amené à consentir des abandons de liberté injustifiés et excessifs.

Selon H. Buchner, il appartient à l'ordre juridique de rechercher un équilibre harmonieux entre les intérêts contradictoires des parties en cause 148.

Pour le BAG, les parties sont tenues de donner la plus grande portée possible au principe fondamental de liberté du travail au moment de l'aménagement du rapport de travail 149.

La conciliation de ces intérêts opposés a pour conséquence que la limitation de concurrence imposée au salarié doit être absolument nécessaire et justifiée par la protection de l'intérêt commercial légitime de l'employeur. La première phrase du § 74a, al. 1er HGB répond à cette préoccupation. Mais le salarié doit aussi être assuré du versement d'une indemnité destinée à le dédommager du préjudice qu'il subit à raison de la limitation de ses possibilités de carrière. Le § 74, al. 2 HGB prend en compte cette exigence. L'employeur ne jouira cependant jamais d'une protection absolue contre la concurrence éventuelle du salarié.

60-N. Achterberg conteste que l'obligation d'indemniser le salarié puisse justifier la limitation de liberté résultant d'une clause de non-concurrence puisque feraient alors défaut conditions objectives et conditions subjectives de licéité. La limitation contractuelle de concurrence ne correspond pas à un Gemeinwohl (bien commun), mais sert uniquement l'intérêt particulier de l'employeur. Elle contrevient donc à l'art. 12 GG, ce qui constitue une atteinte illégitime à la liberté de choix de sa profession par le salarié. L'employeur ne peut pas d'avantage se référer à la protection d'un droit de propriété pour tenter de justifier la restriction de concurrence imposée au salarié. Enfin, la clause de non-concurrence porte gravement atteinte au principe du sozialer Rechtsstaat (Etat social de droit) 150.

La doctrine dominante s'oppose à N. Achterberg en estimant qu'une limitation modérée de la liberté professionnelle du salarié peut être justifiée par l'intérêt essentiel de l'employeur.

S. Westhoff soutient que les intérêts du salarié seront suffisamment protégés par un contrôle judiciaire approfondi des conditions imposées par les §§ 74 et s. HGB 151.

J. Schwabe contredit l'affirmation de N. Achterberg que la clause de non-concurrence violerait l'art. 12 GG à raison de son opposition avec le bien commun 152. L'intérêt essentiel de l'employeur peut en effet à lui seul justifier une atteinte limitée à la liberté professionnelle du salarié. Si, après une étude approfondie des éléments de la cause, il apparaît que l'employeur a un intérêt digne de protection à voir interdite la concurrence de son ancien salarié, cette atteinte à la liberté devra être autorisée dans la limite des dispositions de l'art. 12 GG.

61-Dès 1957, le BAG avait considéré que la clause de non-concurrence qui prend effet postérieurement à la rupture du contrat de travail ne porte pas atteinte au droit fondamental de libre choix de la profession si elle respecte les prescriptions des §§ 74 et s. HGB et 133f GewO 153. En 1959, le LAG de Düsseldorf s'est cependant référé à l'art. 12 GG pour annuler une clause de non-concurrence en invoquant de surcroit l'absence d'intérêt légitime de l'employeur 154.

La voie qu'allait suivre la jurisprudence ultérieure était ainsi tracée. Postérieurement, le BAG a confirmé cette orientation. En 1974, il a décidé que dans l'appréciation de ce qui peut être exigé d'un salarié, il convient de tenir compte des gênes causées à son activité professionnelle par la clause de non-concurrence.

Pour le BAG, il faut accorder une importance particulière à l'avancement futur du salarié et faire échec, le cas échéant, à l'intérêt de l'employeur à voir disparaître l'obligation de paiement d'une contrepartie pécuniaire 155.

Certains auteurs cherchent à définir la portée donnée par le BAG au libre choix de la profession. Pour I. Riedel deux explications permettent de comprendre la référence faite à ce droit fondamental 156. En premier lieu, l'art. 12 GG fournirait un critère d'appréciation de l'admissibilité d'une clause de non-concurrence. Le BAG aurait à rechercher si le recours à cette liberté présente un avantage et permet une meilleure réponse aux problèmes de droit dans le cadre juridique existant ; le recours à l'art. 12 GG serait d'un intérêt secondaire car les §§ 74 et s. HGB imposent déjà des conditions de validité et d'efficacité très strictes. En second lieu, il ne s'agirait que de justifier a posteriori une décision prise en s'appuyant sur le droit constitutionnel.

Une clause de non-concurrence est aussi susceptible de porter atteinte au droit pour chaque individu d'avoir un travail dans la mesure où, en lui interdisant d'exercer une activité spécifique ou de faire concurrence à son ancien employeur, elle peut le contraindre à l'inactivité. Dans un point (2) la compatibilité d'une clause de non-concurrence avec le principe du droit au travail sera étudiée.


2. - Droit au travail


62- La question de l'existence même d'un droit au travail est très discutée en Allemagne.

Selon W. Däubler, tout citoyen désirant travailler doit avoir la possibilité d'obtenir un emploi correspondant à ses aptitudes 157.

Pour le syndicat DGB 158, le droit au travail fait partie des droits fondamentaux de l'être humain. Pour la CDU 159, l'individu ne peut réaliser sa personnalité que par le travail. La Constitution de Weimar disposait déjà dans son art. 163 qu'il convenait de donner à chaque Allemand la possibilité d'assurer son entretien par le travail 160 et dans les cas où les conditions de l'emploi ne le permettraient pas, de subvenir à ses besoins essentiels. En application de ce devoir constitutionnel, une loi sur le placement de la main d'œuvre et l'assurance-chômage avait été votée en 1927. Le droit au travail énoncé dans la Constitution de Weimar ne présentait cependant aucun caractère obligatoire et l'absence d'emploi n'était pas contraire à la Constitution 161.

Si le GG de 1949 ne reconnaît pas l'existence d'un droit au travail, les constitutions de certains Länder de l'ancienne République fédérale y font expressément référence 162.

Pour le BAG, l'art. 12 GG ne garantit pas l'emploi dans la profession choisie et, à raison de sa liberté de décision, la personne concernée doit seule supporter le risque inhérent au choix d'une profession. Une solution différente ferait échec à la concurrence et à la liberté économique 163.

Depuis le Traité d'unification du 31 août 1990, le problème de la reconnaissance du droit au travail connaît un regain d'intérêt en Allemagne. La Constitution de la défunte DDR-République démocratique allemande admettait en effet explicitement l'existence du droit au travail 164 et garantissait concrètement un emploi aux citoyens 165. L'augmentation importante du chômage en Allemagne, encore aggravée dans la partie orientale du pays, confère une actualité toute particulière à cette question. Cependant, en l'état actuel du droit allemand il est n'est pas possible de soutenir qu'une clause de non-concurrence postérieure à la rupture d'une relation de travail puisse porter atteinte au droit fondamental au travail. En effet, " il n'existe pas de droit constitutionnel au travail dans le sens d'un droit fondamental subjectif. Ce droit ne découle pas non plus du principe d'Etat social… " 166.

Ne conviendrait-il pas alors de modifier ou de compléter le GG pour y intégrer la reconnaissance du droit au travail puisque l'art. 5 Einigungsvertrag-Traité d'unification du 30 août 1990 donne cette mission constitutionnelle au législateur qui dépasse toutefois la question particulière du droit au travail 167 ? La réponse est négative. En effet, si dans une économie planifiée indifférente à la notion de profit, il est possible d'envisager la garantie d'un travail à chacun, cette assurance est irréalisable dans une économie de marché. Elle aurait pour conséquence de figer la situation existante et, en contribuant à l'augmentation des charges des entreprises et à l'inflation, frapperait en définitive les plus démunis 168. Au demeurant la reconnaissance du droit au travail imposerait corrélativement une obligation de travailler à charge des salariés 169.

Sauf à remettre en cause l'ensemble de la construction législative et jurisprudentielle allemande, il ne peut être sérieusement soutenu que la clause de non-concurrence contrevient aux principes de libre choix de la profession et de droit au travail. Après avoir vérifié la compatibilité d'une clause de non-concurrence avec les règles constitutionnelles en droit allemand, le même contrôle sera effectué en droit français (B).


B. - Règles constitutionnelles françaises


63- En droit français, la liberté contractuelle n'a pas valeur constitutionnelle 170, mais elle est un principe fondamental au sens de l'art. 34 de la Constitution pour qui la loi pose les principes fondamentaux " du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale " 171 et détermine " les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ". Le Conseil constitutionnel range les relations contractuelles entre salariés et employeurs parmi ces obligations 172. En l'absence de loi régissant le régime des clauses de non-concurrence, c'est en faisant référence à la liberté contractuelle que la Cour de cassation justifie les clauses de non-concurrence 173. Mais tout ce qui est contractuel n'est pas juste 174 et l'inégalité des partenaires risque de conduire au triomphe des intérêts du plus fort.

A l'opposé, la liberté d'entreprendre a été consacrée comme liberté constitutionnelle 175. Pour ce faire, le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur un principe général de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en précisant " que la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre ". Cette liberté n'est donc ni générale, ni absolue, et ne peut s'exercer que dans le cadre d'une réglementation instituée par la loi 176. La clause d'un contrat qui imposerait à l'une des parties une interdiction générale, absolue et définitive d'exercer telle activité, serait contraire au principe constitutionnel de liberté d'entreprendre. Mais, la clause contractuelle qui se bornerait à interdire à l'un des cocontractants, pour un temps et dans un espace donné, la pratique d'une activité précisément fixée devrait être reconnue conforme à la Constitution 177.

G. Lyon-Caen, qui s'intéresse plus précisément aux clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de travail est d'avis que " le véritable principe est en cette matière la liberté du travail " 178 et pour J. Amiel-Donat, la liberté du travail, " principe à valeur constitutionnelle " aurait pu interdire toute restriction de concurrence postérieure à la fin du contrat de travail 179.

En effet, tout comme en droit allemand où le principe constitutionnel du libre choix de la profession a été reconnu directement opposable aux tiers, c'est-à-dire applicable aux conventions privées 180, les " principes à valeur constitutionnelle " régulièrement visés par la Cour de cassation, n'ont plus en droit français pour objet exclusif de limiter les pouvoirs de l'Etat mais également les pouvoirs privés, ce que R. Vatinet analyse comme constitutif d'" un signe accompagnateur des progrès du libéralisme qui nécessitent une redéfinition des bases sur lesquelles les droits occidentaux doivent s'ordonner " 181.

Ceci pose, ici aussi, la question de la compatibilité d'une restriction de concurrence avec la liberté du travail (1) et le droit au travail (2).


1. - Liberté du travail


64- Affirmée en 1789 sans être reprise dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la liberté du travail a été définie par Sieyès qui écrit : " tout citoyen est pareillement libre d'employer ses bras, son industrie et ses capitaux ainsi qu'il le juge bon et utile à lui-même. Nul genre de travail ne lui est interdit ... " 182.

En recherchant les bases constitutionnelles du droit du travail, G. Lyon-Caen, J. Pélissier et A. Supiot déduisent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que la liberté d'entreprise incluse dans le droit de propriété cité dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la liberté du travail doivent être traités comme fondements constitutionnels des rapports de travail 183.

Il appartient aux juristes de déterminer si la limitation de concurrence résultant d'une clause de non-concurrence destinée à prendre effet après la rupture du contrat de travail est ou non compatible avec la liberté du travail. Pour un contemporain, elle peut être contraire à la liberté du travail mais au XIXème siècle, les cours et tribunaux faisaient une analyse différente.

C'est ainsi que les magistrats estimaient qu'on ne saurait considérer comme portant atteinte à la liberté personnelle " la clause par laquelle le commis qui entre dans une maison s'engage, pour le temps où il n'y sera plus employé, à ne pas exercer dans la même ville le même commerce ou la même industrie ; une telle interdiction est le prix de la position nouvelle qu'il acquiert, la compensation de la connaissance que son patron lui donne nécessairement de ses affaires ... " 184. A cette époque, la préoccupation majeure des juges était de s'assurer qu'en renonçant à exercer toute concurrence vis-à-vis de son ancien " maître ", l'employé n'engageait pas indirectement ses services à vie en violation de l'art. 1780 du Code civil 185. Les magistrats ne faisaient pas directement référence au principe de la liberté du travail, mais à celui plus large de la liberté du commerce et de l'industrie. C'est en étudiant ce principe que les auteurs abordaient son application au contrat de louage d'ouvrage, de service et d'industrie. Ils rappelaient aussi que la liberté du commerce et de l'industrie est fondée sur la loi naturelle puisqu'elle n'est que l'exercice du droit de travailler pour vivre, c'est-à-dire la faculté pour chacun d'exercer à son choix tout commerce ou toute industrie sous les seules conditions imposées par les lois et règlements dans l'intérêt public 186.

Aujourd'hui la référence à la liberté du travail est déterminante. Dans la mesure où il n'est pas possible de nier l'opposition entre la liberté du travail et la clause restrictive de concurrence destinée à prendre effet après la rupture d'un contrat de travail, les cours et tribunaux ont recherché une solution qui permette d'en atténuer les conséquences.

a - L'opposition de principe entre liberté du travail et clauses de non-concurrence

65- Selon Roubier, " lorsqu'on parle de liberté, cela revient à dire qu'on entend parler d'une prérogative en principe inconditionnée ; sans doute, il se peut que la liberté ne soit pas entière, qu'elle soit restreinte dans une certaine mesure par la loi ; mais l'affirmation de la liberté est l'affirmation d'un principe, de telle sorte que, en dehors d'une restriction, on revient à appliquer ce principe de liberté ... " 187.

La doctrine française associe selon différentes modalités les mots " liberté " et " travail ".

J-M.  Verdier a étudié les problèmes posés par la cohabitation des libertés et du travail 188. Ces préoccupations générales sont sans rapport direct avec l'objet de l'étude bien qu'elles s'inscrivent dans la recherche de la défense des intérêts de la partie la plus faible. Nous ne nous y arrêterons pas et nous limiterons à la reconnaissance de la liberté du travail en droit français.

Le rapporteur chargé de la synthèse d'une table ronde consacrée aux libertés publiques des travailleurs, J-C. Javillier, a constaté que " cette liberté (la liberté du travail) dépasse le cadre du seul droit du travail. La liberté du travail est à relier à celle du commerce et de l'industrie. Elle doit être envisagée dans toute son ampleur, sa complexité, son ambiguïté, historique et idéologique notamment " 189.

Pour P. Ollier, les libertés publiques propres aux travailleurs, " économiques et sociales " 190, appartiennent à une double tradition, celle des libertés individuelles et des droits de l'homme d'une part, celle de l'expérience historique du mouvement ouvrier et de l'analyse qu'en a fait le marxisme d'autre part. L'auteur poursuit en soulignant que la liberté du travail n'est qu'un aspect particulier d'une liberté plus générale dont la liberté du commerce et de l'industrie est l'autre aspect, selon que l'on envisage des travailleurs indépendants ou subordonnés. Il rappelle que dans les deux cas la même faculté est visée : celle d'accéder librement aux diverses professions et d'en choisir librement le mode d'exercice. L'opposition est très nette entre ces principes purement abstraits et les restrictions concrètes résultant d'une interdiction de non-concurrence postérieure à la fin du contrat de travail. Aussi la conciliation entre les libertés des uns et des autres est-elle difficile, ce qui ressort d'une observation de l'auteur : " fort de la liberté du commerce et de l'industrie, de la liberté du travail et des contrats, fort de son droit de propriété et de la position de domination économique qu'elle lui assure, l'employeur exerce sur la collectivité de ses salariés un pouvoir qui tire sa légitimité moins des contrats de travail qu'il a passés que des principes et de la liberté dont il se réclame " 191.

b. - L'atténuation de l'opposition

66- Le juge cherche parfois à concilier les principes antagonistes de liberté contractuelle et de liberté du travail ; la formulation adoptée par la Cour de cassation dans le " chapeau " de deux arrêts anciens où on lit " vu les articles 1134 et suivants du Code civil et le décret des 12-17 mars 1791 ... " 192 en témoigne d'une manière particulièrement claire. Ultérieurement, cette formulation a encore été reprise et précisée puisque la Cour de cassation a visé " l'article 1134 du Code civil, l'article 7 de la loi des 2-17 mars 1791 et le principe constitutionnel de la liberté du travail " 193. La Cour de cassation n'a cependant pas pu faire référence à l'article L.412-1, al.1er du Code du travail qui, situant la liberté individuelle du travail parmi les " droits et libertés garantis par la Constitution de la République ", n'a vocation à être appliqué qu'à des situations différentes, mettant en cause l'exercice du pouvoir syndical.

Le recours au principe de liberté contractuelle permet au juge de donner un fondement juridique à la limitation de sa liberté de travail consentie par le salarié.

Certains auteurs avaient estimé que la clause de non-concurrence est nulle car elle constitue une renonciation par anticipation à un droit individuel 194, ou est attentatoire à la liberté de l'industrie et du travail 195. Or il est établi que liberté d'entreprendre et liberté contractuelle sont l'expression du même principe de liberté économique individuelle. Chacun est donc libre de s'engager contractuellement à ne pas concurrencer autrui, ce qui revient à dire que la liberté économique individuelle justifie ses propres atteintes 196.

Josserand distinguait droit et liberté en ce que le droit, au sens propre du mot, serait un droit défini et nommé à contours nettement arrêtés alors que la liberté serait un " droit générique, ample et flou ", la " souche commune de tous les droits " 197. Nous inspirant de cette classification, après avoir démontré que le droit français tolère le principe d'une limitation à la liberté du travail, nous rechercherons si une clause de non-concurrence est compatible avec le principe de droit au travail.


2. - Droit au travail


67- Historiquement, l'existence du droit au travail n'est pas clairement établie en France. Cependant, il peut être nécessaire de chercher à concilier ce droit envisagé restrictivement avec la limitation de concurrence imposée au salarié à l'expiration de son contrat de travail.

a. - La notion de droit au travail

68- Aux termes du Préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie la Constitution de 1958, " chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi " et " nul ne peut être lésé dans son travail, ou son emploi en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ". Le Conseil constitutionnel a reconnu à ce Préambule autorité de norme positive 198 tout en restreignant la portée puisqu'il y perçoit avant tout la source de l'obligation incombant au législateur de poser les règles nécessaires pour assurer au mieux la réalisation du droit au travail 199.

Ripert s'interroge : à quel emploi les constituants de 1946 ont-ils fait référence ? En effet, " le droit à un emploi se heurte nécessairement à l'indétermination de l'emploi et à la liberté du choix " 200. Pour l'auteur, " la liberté de l'emploi apparaît difficile à concilier avec le droit égal à un emploi. L'affectation des hommes ne peut dépendre que de la disponibilité des emplois et des aptitudes professionnelles " 201.

G. Lyon-Caen qui conteste la possibilité de mettre pratiquement en œuvre le droit au travail, estime cependant en recherchant " les traces fossiles du droit au travail " que " dans ce cadre, le droit au travail est la métaphore utilisée pour rappeler que chacun a la faculté d'exercer l'activité professionnelle de son choix sans qu'aucune interdiction puisse lui être opposée. C'est, au minimum, la faculté de changer d'emploi, de travailler à l'expiration d'un contrat, d'être aidé dans sa reconversion " 202.

S'il est relativement aisé de garantir le respect de la liberté du travail, il en va tout différemment avec le droit au travail entendu comme possibilité pour tout citoyen désirant travailler d'obtenir un emploi approprié correspondant à ses aptitudes. En effet, dans une économie de type libéral impliquant l'adéquation de l'offre et de la demande, la nécessité de rationaliser le fonctionnement des entreprises a pour corollaire celui de pouvoir procéder à des licenciements sans reclassement automatique. Dans ces circonstances, il est impossible de se référer à un droit au travail qui impliquerait l'obligation pour l'autorité publique de fournir effectivement un emploi à celui qui en est privé. Cette notion large n'a pas réussi à s'imposer en France depuis deux siècles 203.

Seules deux décisions du Conseil constitutionnel prononcées à propos de la loi anticumul travail-retraite font référence au droit au travail en admettant que des restrictions à la liberté professionnelle des retraités puissent être imposées " en vue de permettre l'exercice du droit au travail du plus grand nombre possible d'intéressés " 204.

b. - Conciliation entre notion restrictive de droit au travail et limitation de concurrence

69- En interdisant au salarié d'exercer son activité professionnelle dans un certain secteur géographique, auprès de certains clients ou pour certaines gammes de produits, une clause de non-concurrence étendue risque de porter atteinte au droit du salarié d'exercer un emploi conforme à ses compétences et à sa formation, et partant, à son droit au travail, même entendu de façon restrictive. Le rôle du juge sera d'éviter tout abus en annulant la clause ou en réduisant la portée 205.

Le législateur est venu apporter son aide au juge par la loi n°92-1446 du 31 décembre 1992 206 relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage. Le texte a introduit dans le Code du travail un article L. 120-2 qui dispose que " nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ". Le législateur s'est vraisemblablement inspiré de la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de libertés et de pouvoirs de police qui subordonne la légalité d'une mesure de police à sa nécessité, ce qui conduit à se demander si l'usage d'une liberté est de nature à entraîner des troubles graves ou à menacer l'ordre public, voire si les prescriptions sont indispensables au maintien de l'ordre et proportionnées au trouble à éviter ? 207. La légalité d'une clause de non-concurrence devrait pouvoir maintenant être vérifiée à l'aune de ce nouveau texte, ce qui ne semble pas avoir été le cas à ce jour. Cependant, la Chambre sociale de la Cour de cassation a récemment suivi un raisonnement conduisant la doctrine à estimer qu'elle appliquait à une obligation de non-concurrence le principe de proportionnalité 208.


§ 2. - REGLES  INTERNATIONALES EUROPEENNES ET COMMUNAUTAIRES



70- La recherche de la compatibilité de la clause de non-concurrence postérieure à la fin du contrat de travail avec les droits constitutionnels nationaux ne constitue pas le seul contrôle envisageable ; celui-ci peut également être exercé au regard des règles internationales, européennes et communautaires.

71- La limitation de concurrence résultant de la clause de non-concurrence n'est pas en harmonie avec les buts et objectifs de l'Organisation internationale du Travail adoptés en 1944 à Philadelphie. Ceux-ci s'imposent en théorie aux Etats qui y ont adhéré. Après avoir tout d'abord réaffirmé que le travail n'est pas une marchandise, l'Organisation se reconnaît l'obligation de contribuer par des programmes adaptés à l'emploi des travailleurs à des occupations qui leur permettront de donner l'entière mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de participer d'une manière optimale au bien-être commun. L'Organisation se doit également de garantir aux salariés des chances égales dans le domaine éducatif professionnel 209.

72- La clause de non-concurrence pourrait contrevenir à certaines autres dispositions de droit international ou européen, à savoir :

• la Déclaration générale des Nations Unies sur les droits de l'homme du 10 décembre 1948 qui édicte dans son art. 23, n°1 que chaque être humain a un droit au travail, au libre choix de sa profession, à des conditions de travail adaptées et satisfaisantes ainsi qu'à une protection contre le chômage. Cette déclaration n'a cependant pas force juridique contraignante.

• La Charte sociale européenne du 18 octobre 1961, ratifiée par la France le 23 décembre 1972. Par l'art. 1er de cette charte, les parties contractantes se sont engagées à garantir l'exercice effectif du droit au travail. Le protocole additionnel du 5 mai 1988 affirme l'égalité de chances en matière d'emploi. Selon la doctrine, cette charte ne confère cependant aucun droit subjectif susceptible de fonder une éventuelle action en justice 210.

Mais le protocole n° 11 à la Convention européenne des droits de l'homme, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention qui est entré en vigueur le 1er novembre 1998, généralise le droit de recours individuel devant la Cour Européenne des droits de l'Homme 211.

La généralité de ces dispositions 212, de plus dépourvues de force obligatoire, les prive d'une véritable effectivité.

73- La clause de non-concurrence pourrait heurter le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies du 19 décembre 1966. Dans l'art. 6, al. 1, les parties contractantes reconnaissent l'existence d'un droit au travail qui comprend le droit pour chaque individu à avoir la possibilité d'assurer sa subsistance au moyen d'un travail librement choisi ou librement accepté, ainsi qu'à entreprendre toute diligence propre à assurer la protection de ce droit. En dépit de son libellé, l'art. 6, al. 1er du pacte ne constitue pas un droit subjectif public 213.

La stipulation d'une clause de non-concurrence pourrait en conclusion être incompatible avec la reconnaissance d'un droit au travail par le droit international puisqu'elle aboutit à interdire à un ancien salarié l'exercice d'une activité déterminée. Ceci en théorie, mais en théorie seulement, pourrait poser problème car les textes de droit international, en raison de l'absence de caractère obligatoire, ne s'imposent pas aux parties au contrat de travail et ne réglementent par voie de conséquence pas le régime de la clause de non-concurrence.

74- Quant au droit communautaire de la concurrence, il ne s'intéresse pas en l'état aux clauses de non-concurrence de droit du travail et son champ d'application est limité aux contrats de cession d'entreprises, aux accords de distribution et aux accords de licence de brevet et de savoir-faire qui débordent le cadre de la présente étude 214. La constatation ne surprend pas car comme l'écrit un auteur, " jusqu'à aujourd'hui, le droit social est la branche la moins développée du droit communautaire " 215.

L'espoir de voir combler ultérieurement cette lacune est cependant permis bien qu'aucun projet précis n'existe actuellement puisqu'aux termes de l'art. 118 du Traité de Rome, la Commission a pour mission de promouvoir une collaboration étroite entre les Etats membres dans le domaine social, et notamment en matière d'emploi et de droit du travail.

Concrètement, il s'agirait de mettre en place des règles de droit communes, identiques au sein de droits étatiques qui conserveraient leur indépendance, de manière à aboutir à leur harmonisation. L'instrument pourrait être une convention internationale ou une directive européenne. Ceci aurait pour effet, conformément au souhait du Conseil européen du 22 juin 1984, de renforcer la cohérence sociale de l'Union européenne et, par voie de conséquence, sa cohésion économique face à la concurrence internationale 216, et présenterait en France l'avantage d'être compatible avec l'article 55 de la Constitution 217.

En conclusion, une clause de non-concurrence ne semble pas devoir être considérée actuellement comme contraire aux règles obligatoires du droit constitutionnel allemand ou français et les règles de droit international avec lesquelles elle serait susceptible d'entrer en opposition n'ont pas force obligatoire.




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