LE JURIPOLE DE LORRAINE


Serveur d'Information Juridique


Dirigé par François JACQUOT
Professeurs à la Faculté de Droit de Nancy

Réalisé par Alexis BAUMANN





Jean-Christophe REVERT






LA MODIFICATION DU CONTRAT DE TRAVAIL ET SES CONSEQUENCES EN DROIT COMPARE ANGLAIS ET FRANCAIS.





Le contrat de travail est un contrat de droit commun en droit français comme en droit anglais. De ce fait, il relève en France du droit civil et le principe selon lequel le contrat forme la loi des parties s'applique au contrat de travail. Le droit des contrats de Common law connaît le même principe. Les deux droits étudiés refusent donc de reconnaître la modification du contrat. Or, ceci existe en pratique, le contrat de travail étant par nature un contrat successif qui tend à se développer dans le temps. Il est donc peu concevable de penser qu'il ne pourrait changer.

Cette étude s'articule en deux parties : la première ayant trait à la nature de la modification. Il s'agira de savoir s'il s'agit d'une modification du contrat qui exige l'accord du salarié, ou s'il s'agit de l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur, ce qui prive le salarié du droit de refuser la modification. La seconde partie concerne la mise en oeuvre de la modification et ses conséquences sur le contrat de travail.

Il est tout d'abord nécessaire d'étudier la logique qui existe dans la formation et la modification du contrat en droit anglais et français, ceci afin de présenter la spécificité de " consideration " qui existe en droit de Common law, et qui posait problème en matière de modification du contrat. La modification du contrat demande en effet qu'une nouvelle " consideration " soit présente dans le nouveau contrat issu de la modification. Or, la " consideration " étant " le prix à payer par le cocontractant " au contrat, il est rare qu'une modification produise un bénéfice et un désavantage aux deux parties, l'une y voyant un avantage, l'employeur en général, et l'autre une perte. Les juges anglais ont cependant contourné le problème en matière de droit du travail en trouvant de façon relativement flexible un " consideration " dans le nouveau contrat.

Ensuite, voyons le cas des modifications importantes, qui sont alors soumises à la logique contractuelle.

Le droit français reconnaissait deux types d'éléments distinctifs : les éléments essentiels du contrat de travail et les aggravations des conditions de travail. Ceci a cependant été remis en cause par la jurisprudence de la Cour de cassation de juillet 1996. En effet, la Haute Cour semble suivre dorénavant une démarche plus civiliste et ne s'intéresser alors qu'au contrat seul. Il n'y aurait donc plus de modification " substantielle " ou " non substantielle ", mais la modification du contrat de travail et l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur.

L'élément dit " aggravation des conditions de travail" s'éloignant du contrat de travail, ne serait a priori plus applicable selon la nouvelle jurisprudence. Mais ceci n'est pas certain, car il paraît difficile de totalement éclipser les répercussions d'une modification même autorisée par le contrat de travail, car non interdite.

Le droit anglais quant à lui n'a jamais fait de différence entre les divers types de modification du contrat de travail. Il estime qu'il y a soit modification du contrat, soit exercice du " managerial power " de l'employeur. La nouvelle approche de la Cour de cassation est donc semblable à l'approche anglaise en la matière.

Cependant, lors de l'étude d'exemples jurisprudentiels, nous nous rendons compte que même avant 1996, les solutions étaient semblables, c'est à dire que les deux droits avaient les mêmes exemples d'éléments essentiels du contrat de travail.

I1 faut également distinguer les modifications essentielles d'origine économiques des autres modifications, car le motif économique entraîne des conséquences spécifiques. Les deux droits étudiés donnent une définition légale du motif économique. Les deux définitions sont cependant très différentes, la définition anglaise étant notamment plus restreinte que la définition française.

Enfin, il faut définir la modification pour motif disciplinaire. Une telle modification est considérée en droit français comme ne s'imposant pas au salarié depuis 1990, bien qu'étant due à une faute du salarié. Il n'en est pas de même en droit anglais où une telle modification, dans l'hypothèse où elle est juste et régulière, s'impose au salarié.

Après avoir examiné les modifications " importantes " du contrat de travail, qui sont en fait les seules modifications en soi, et que le salarié peut alors refuser, nous nous pencherons sur les modifications mineures où plutôt sur l'exercice du pouvoir de direction de l'employeur que le salarié doit accepter.

Il s'agit tout d'abord des modifications prévues au contrat. L'exemple le plus connu est la clause de mobilité. Sa validité n'est plus guère discutée tant en droit anglais qu'en droit français. Mais sa mise en oeuvre répond cependant à certaines règles. Le droit anglais connaît de plus un certain type de clauses dit " implied terms ", soit clauses implicites. Celles ci sont découvertes par les juges, et s'imposent aux parties. Le droit anglais a développé deux " tests " pour les reconnaître.

La modification s'impose au salarié lorsqu'elle est considérée comme mineure. Ceci concerne la jurisprudence française antérieure à 1996, mais elle n'est pas forcément remise en cause aujourd'hui. Il convient donc d'étudier le pouvoir de direction de l'employeur, ou " managerial power ". Il apparaît alors que la théorie des " implied terms " permettrait de définir le pouvoir de direction tel que le voit le droit anglais. Le pouvoir de direction du droit français paraît ainsi peu éloigné de la notion anglaise, en ce qui concerne son application sur les éléments peu importants du contrat de travail.

La jurisprudence française sera cependant peut être modifiée après les arrêts de 1996, en ce qui concerne la définition de " modification non substantielle ". En effet, la démarche des juges, qui étudiait les affaires in concreto, se verra peut être plus proche du contrat de travail, soit plus civiliste.

La mise en oeuvre de la modification, et ses conséquences sur le contrat de travail seront ensuite envisagées.

La modification doit en effet être présentée en respectant certaines formalités, comme le respect de l'obligation de consultation des représentants des salariés. Le droit français donne une large place en général aux institutions représentatives des salariés. Ce que ne fait pas le droit anglais, où ce rôle est le plus souvent donné au syndicat, qui a perdu depuis les années quatre-vingt beaucoup de ses pouvoirs. De plus, s'il s'agit d'une modification pour motif économique, une procédure particulière est demandée en droit français.

La réponse du salarié peut être logiquement de deux sortes : soit il accepte la modification, soit il la refuse. I1 convient alors d'étudier la nature de cette réponse, qui peut être expresse ou implicite.

Le droit français a rejeté la possibilité d'un accord tacite de la part du salarié. Ce que ne fait pas le droit anglais, qui distingue cependant en la matière entre les modifications qui ont un effet immédiat et celles qui n'en ont pas. Si le salarié subit les répercussions de la modification immédiatement, son accord implicite sera plus facilement accepté par les juges.

Le refus peut lui aussi être implicite ou explicite. Mais en la matière le droit français et le droit anglais se rejoignent puisqu'ils reconnaissent tous deux le refus.

Le droit anglais offre à l'employeur en cas de refus du salarié la possibilité de mettre fin au contrat par un délai légal de prévenance (" notice period "), puis en même temps de lui offrir un nouveau contrat comportant alors les modifications : il s'agit de la théorie de " repudiation & re-engagement ". Ce délai de licenciement est encadré par la loi, mais peut être également contractuel.

Les Cours ont cependant posé des limites à cette théorie, notamment en demandant d'exposer clairement dans la lettre de rupture du contrat qu'il s'agit de la fin du contrat et de l'offre d'un nouveau à de nouvelles conditions.

Les conséquences de la réponse du salarié sont à distinguer selon qu'il s'agit d'une acceptation ou d'un refus. En cas d'acceptation, il y a en droit français novation du contrat de travail. Le droit anglais ne parle pas de novation mais le résultat est le même. Ce sont cependant seulement les obligations modifiées qui seront novées. Bien entendu, ceci ne concerne que les modifications que le salarié peut refuser, car dans le cas contraire, le salarié ne peut qu'accepter.

En cas de refus, les conséquences sont alors très importantes puisque dans la plupart des cas, ceci amènera au licenciement.

Il faut tout d'abord préciser que refuser la modification est un droit du salarié, en cas de modification appelée avant 1996 en France " substantielle". Le salarié peut donc se protéger si l'employeur s'obstine à appliquer la modification refusée par lui. Ces moyens de défense sont appelés " remedies " en droit anglais, et sont issus des lois ou de la Common law. Ce peut être par exemple les dommages-intérêts, résiliation judiciaire du contrat, etc...

Le refus d'une modification demandée en application du pouvoir de direction de l'employeur constitue par contre une faute du salarié. Il s'agit alors de voir s'il y a démission ou licenciement.

Il nous faut enfin étudier le licenciement, les deux droits ayant des vues bien différentes dans leur approche de ce sujet. La cause de ce licenciement sera alors soit la faute, ou " misconduct ", soit une cause réelle et sérieuse comme l'impossibilité de maintenir les relations de travail. La procédure ensuite est différente selon qu'il s'agit d'un licenciement pour motif personnel, ou pour motif économique. Nous voyons alors clairement que le droit français impose de nombreuses règles contraignantes pour l'employeur, alors que le droit anglais laisse une plus large manoeuvre aux parties. Même en ce qui concerne le licenciement économique, sujet à une directive européenne, la législation anglaise est quelque peu éloignée des exigences légales françaises.

Ainsi, les deux droits étudiés, bien qu'issus de deux systèmes fort différents, ont cependant bien des points communs en pratique. La modification du contrat de travail est en tout cas reconnue nécessaire dans les deux droits, malgré le principe de l'intangibilité des contrats. C'est cependant la protection du salarié qui est en jeu, or il est de manière générale victime de la modification, voyant comme seules alternatives soit accepter, soit devoir perdre son emploi. Choix difficile sans aucun doute, surtout aujourd'hui en période de crise de l'emploi. Ce sont donc les suites du refus de la modification qui seront surtout importantes pour le salarié, et notamment lors du licenciement. Et en la matière, le droit français semble plus protecteur que le droit anglais.


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