LE JURIPOLE DE LORRAINE


Serveur d'Information Juridique


Dirigé par François JACQUOT
Professeurs à la Faculté de Droit de Nancy

Réalisé par Alexis BAUMANN





Béatrice JEANROY






LA LIBERTÉ RELIGIEUSE EN DROIT COMPARÉ FRANCO-GREC



    La liberté religieuse est un Droit Fondamental complexe parce qu'elle tient à la fois en une liberté de pensée (le droit d'avoir des convictions religieuses et de les exprimer) et en une liberté d'action (le droit de pratiquer les rites se rattachant à ces croyances au sein d'une communauté).

    La liberté religieuse est reconnue par l'article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales : la comparaison de la manière dont deux états signataires de cette Convention l'envisagent se révèle intéressante, surtout lorsqu'ils témoignent de deux cultures différentes. Le choix de la France était naturel, d'autant plus que son système laïc se rapproche au mieux des conceptions défendues par la Convention et la Cour Européennes dans le domaine religieux. La Grèce, jeune République sortie de la dictature depuis 1975 seulement et qui clame son attachement aux Droits de l'Homme, garde une tradition orthodoxe profondément ancrée : il est important d'étudier comment elle concilie cette tradition avec ses engagements internationaux et de comparer la situation de la liberté religieuse en Grèce à l'état de cette liberté en France.

    Les républiques grecque et française proclament toutes les deux la liberté religieuse (dans un article 13 de la Constitution hellénique ; dans les articles premier et 2 d'une loi de 1905 à valeur constitutionnelle en France) ; toutefois, ces deux pays ne laisseront pas la même étendue à cette liberté, pour la simple raison qu'ils n'envisagent pas le phénomène religieux de la même façon.

   La Grèce à choisi de faire prédominer une religion sur les autres : cette religion constitutionnellement dominante est la religion orthodoxe. Ainsi, si toutes les religions peuvent s'exprimer, l'une d'elles restera toujours privilégiée. En théorie, ce système n'est pas contraire à la liberté religieuse ; mais on verra que la république hellénique prend prétexte de l'existence d'une religion prédominante pour défavoriser les adeptes d'une autre religion.

    L'Etat français ne reconnaît aucun culte, n'en privilégie aucun : depuis la loi du 9 décembre 1905, il s'est proclamé laïc ; tous les cultes sont sur un plan d'égalité. Néanmoins, les cultes au développement récent (tels l'Islam ou les sectes) sont parfois victimes de la méfiance des juridictions et des autorités publiques, sans que l'on puisse déceler dans cette attitude un véritable courant de discrimination.

    En ce qui concerne la liberté de conscience religieuse, la République hellénique ne respecte pas réellement l'article 13 de sa Constitution qui proclame cette liberté pour toutes les confessions : de nombreuses discriminations existent au détriment de cultes autres que la religion orthodoxe.     La plus importante et la plus symbolique entorse à la liberté de conscience religieuse reste l'obligation pour les citoyens grecs de faire mentionner leur religion sur leur carte d'identité ; mais on remarquera aussi que l'accès à certains emplois de la fonction publique se révèle plus restreint pour les fidèles d'une religion autre que la confession    La France applique scrupuleusement l'article premier de la loi de 1905 ; le législateur assure la liberté de conscience religieuse par tout une série de textes : ainsi il a choisi, non pas de rester neutre, mais d'agir pour faire respecter cette liberté. Les tribunaux se conforment à ce cadre législatif.

   Quant à la liberté d'exprimer ses convictions en matière religieuse, elle est étroitement contrôlée en Grèce ; ce qui n'est pas le cas en France. Si l'organisation matérielle des rapports entre l'Etat et les Eglises diffère dans les deux pays (en Grèce, de nombreuses religions sont des services publics, tandis qu'en France, toutes les croyances sont autonomes), ils reconnaissent tous les deux la liberté des cultes.

    Toutefois, l'Etat grec la restreint, cette fois ouvertement, par le biais d'une disposition constitutionnelle (article13§2) : en effet, cette liberté n'est accordée qu'à la religion dominante et aux cultes "connus", ce qui traduit une discrimination à l'égard des cultes "non connus". A partir du moment où les religions sont dominantes ou connues en Grèce, on peut considérer que l'organisation de leur culte connaît une réglementation similaire à la réglementation française : les manifestations du culte se déroulent librement, sous la condition expresse de ne pas contrarier l'ordre public, dont l'Etat et les autorités publiques sont les garants.

    Dans les faits, la république hellénique est plus méfiante à l'égard des cultes connus que de la religion dominante ; et c'est dans le domaine de la liberté de culte que les tribunaux français ont parfois tendance à diminuer la liberté de certains groupements religieux que nous dénommons sectes ; cette tendance, contestable même si elle reflète l'opinion publique, ne doit toutefois pas être généralisée.

    De cette étude, on retiendra d'abord que dans la sphère d'influence d'une même convention sur les Droits de l'Homme, la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, deux états signataires peuvent adopter des comportements différents à l'égard d'une même liberté, la liberté religieuse.

        Concernant ce droit fondamental, la République Hellénique est d'ailleurs bien loin de souscrire à toutes les obligations que la signature de la Convention fait naître à l'égard de chaque signataire ; la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui sanctionne les manquements à la Convention, devrait sévir davantage et condamner l'attitude de la Grèce. Quand on a observé la situation de la liberté religieuse en Grèce, on en vient presque à relativiser les problèmes posés par la laïcité en France : au nom du respect de la liberté de conscience, certains groupements ont pu se développer et accroître leur dangereuse emprise sur l'esprit et le portefeuille de leurs adeptes ; faut-il dès lors remettre en cause la laïcité française ? Non, car la plupart du temps, une réponse pénale à ces agissements est possible sans qu'il soit nécessaire de réduire de façon générale et définitive la liberté religieuse de ces groupements.

    Quant aux perspectives d'évolution, le respect de la liberté religieuse dépend en Grèce d'un nécessaire changement de mentalités, à la fois des autorités dirigeantes, de l'administration et des tribunaux (un assouplissement de la hiérarchie orthodoxe paraît hélas peu probable): cela sera lent. En France, un courant se dessine, qui a pour effet de restreindre la notion de laïcité au détriment des cultes récents : une telle évolution ne doit pas se transformer en ligne de conduite directrice pour la jurisprudence d'abord, puis pour le législateur, sous peine de vider de son sens l'idée de laïcité et peut-être de liberté religieuse.



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