LE JURIPOLE DE LORRAINE

  • Serveur d'Information Juridique


    Dirigé par François JACQUOT
    Professeurs à la Faculté de Droit de Nancy

    Réalisé par Alexis BAUMANN





    Lara DI ROCCO






    SECRETS ET MEDIAS AU COURS DE LA PHASE PREPARATOIRE DU PROCES PENAL EN FRANCE ET EN ITALIE



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       Méditer les rapports entre justice et information au cours de la phase préparatoire du procès pénal n'est pas une réflexion originale. Les réformes se succèdent les unes aux autres alors que les commissions de réflexion sur le sujet ne cessent de se multiplier.
    En France comme en Italie, la phase préparatoire du procès pénal est le lieu où se révèle l'irréductible contradiction entre les exigences d'une correcte administration de la justice, celle du droit des citoyens à l'information, mais également celle du droit à la présomption d'innocence de la personne mise en cause dans la procédure. C'est pourquoi il nous a paru opportun de confronter les deux systèmes juridiques pour comprendre les raisons patentes qui nourrissent le conflit et comparer les remèdes qui sont administrés.

      Rechercher la confidentialité du déroulement de la phase préparatoire du procès pénal peut se traduire par la mise en oeuvre de deux procédés juridiques. Soit on empêche une information de transparaître en dehors d'un cercle de personnes légitimées à la connaître en soumettant ces dernières à une obligation de non divulgation de l'information, soit on prohibe la diffusion de celle-ci dès qu'elle survient. L'information fait alors l'objet d'une interdiction de publication. En France comme en Italie les deux systèmes ont été adoptés. Il existe à la fois des normes sur le caractère secret et d'autres sur l'interdiction de publication des actes préparatoires du procès pénal. Mais alors qu'en France, l'interdiction de diffusion par les médias des actes de la phase préparatoire du procès pénal ne fait que consacrer le caractère secret de la procédure d'enquête et d'instruction, il existe en Italie une claire distinction entre le secret et l'interdiction de publication.

       En France, interdiction de publication et interdiction de divulgation coexistent durant toute l'enquête et l'instruction ; en Italie, l'interdiction de divulgation des actes de l'enquête ne dure que jusqu'au moment où la personne soumise à l'enquête (personna sottoposta alle indagini) peut en prendre connaissance. Dès cet instant le secret tombe mais l'interdiction de publication demeure.
    Une fois disparu le secret interne et avec lui l'exigence de sauvegarde de l'enquête, l'interdiction de publication des actes de la procédure demeure mais change de fonction. Elle s'insère dans le cadre du procès accusatoire et vise à éviter que le juge n'ait la possibilité de préconstituer une conviction sur l'affaire par la prise de connaissance des éléments de l'enquête avant l'ouverture des débats, notamment à travers leur diffusion par les médias. Mais l'originalité du système italien est loin d'avoir introduit une distinction entre la publication de l'acte, interdite, et la publication de son contenu, consentie. Pourtant, si cette dernière disposition reflète l'effort du compromis accompli par le législateur italien pour obtenir une meilleure efficacité du déroulement de la procédure avec le moindre sacrifice pour la liberté de la presse, elle n'est pas sans rencontrer de nombreuses difficultés d'application.

      En France, les violations répétées au secret de l'instruction soulignent l'inefficacité du système. Seules les personnes qui concourent à la procédure sont tenues au secret, permettant ainsi aux parties, aux témoins, de révéler toute information sur la procédure parvenue à leur connaissance. Quant aux journalistes, s'il leur est interdit de publier l'acte d'enquête ou d'instruction, rien ne les empêche d'en dévoiler le contenu surtout lorsqu'il provient de "sources autorisées".

       A l'inadéquation des principes fait écho la faiblesse des sanctions pénales. Les législateurs français et italien ont donc eu recours à des solutions complémentaires. Le nouveau code de procédure pénale italien prévoit désormais que la violation de l'interdiction de publication des actes de la procédure constitue une infraction disciplinaire. Ainsi la sanction est décidée par une autorité dont dépend directement le journaliste : le Conseil de l'Ordre des journalistes, autorité dotée d'un grand pouvoir moral mais aussi économique. Privilégiant la personne qui fait l'objet de l'exercice intempestif de l'activité médiatique, le législateur français a, quant à lui, introduit un nouveau droit subjectif dans le code civil, celui du respect de la présomption d'innocence. Un individu présenté comme coupable avant la décision de justice qui décidera de son sort a le droit d'obtenir réparation du préjudice qu'il a subi et de faire cesser l'atteinte à sa présomption d'innocence.
    De telles sanctions, disciplinaires ou civiles, semblent en pratique plus adaptées mais leur mise en oeuvre est subordonnée à certains facteurs plus qu'incertains, la volonté répressive des organismes professionnels, la capacité pour une personne déjà en difficulté d'utiliser "l'arme judiciaire"...

       Les violations quasi-systématiques des normes sur le secret sont révélatrices d'une inadéquation des règles normatives. Journalistes, magistrats, avocats sont nombreux à critiquer le fonctionnement général de l'apparail judiciaire (lenteur) et surtout appelent à une prise de conscience des journalistes sur leur rôle au sein du système pénal et leurs devoirs auprès des citoyens. C'est pourquoi en France comme en Italie le recours à des règles déontologiques est de plus en plus souhaité et recouvre un phénomène en plein essor.


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