JURIPOLE : LA SOCIETE EN FORMATION - Sommaire - Ivan Tchotourian

JURIPOLE DE LORRAINE

Serveur d'Information Juridique

Réalisé par Alexis BAUMANN


LA SOCIETE EN FORMATION
Ivan TCHOTOURIAN



TROISIEME PARTIE



TITRE III : Statut de(s) personne(s) agissant au nom et pour le compte de la société en formation




A la différence de l'étude du régime de la société en formation qui nous a permis de détailler les règles régissant tantôt les rapports internes tantôt les rapports externes, il s'agit dans cette partie de se demander si les partenaires d'une société en formation ont la qualité de commerçants. La réponse à cette question présente un double intérêt :

- un intérêt dans le domaine des procédures collectives

- un intérêt dans le domaine des clauses de compétence des tribunaux de commerce relatifs aux litiges entre associés.

Ces deux points vont faire l'objet d'une étude séparée.


Chapitre 1 - Procédure collective à l'encontre de cette (ou ces) personne(s)



Parmi les personnes qui peuvent faire l'objet d'une procédure, sont apparus à coté des commerçants, les personnes morales de droit privé puis les artisans et les agriculteurs.

Le problème est né avec la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation de biens.

L'article 5 de la première a décidé que les sociétés commerciales ne seraient dotées de la personnalité morale qu'à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

L'article 1er de la seconde a soumis aux procédures collectives, à coté des commerçants, les personnes morales de droit privé.

De la combinaison de ces textes, il résulte une situation nouvelle : les sociétés non immatriculées, dont fait partie la société en formation, ne peuvent faire l'objet d'une procédure collective car elles ne sont pas des personnes morales de droit privé.

La loi du 25 janvier 19851 n'a apporté aucune amélioration, car si elle admet les artisans à coté des commerçants, elle continue à ne viser que les personnes morales de droit privé2.

Après avoir étudié le principe de l'impossibilité d'une procédure collective à l'encontre de la société en formation et la nécessité d'agir contre chacune des associés (lorsqu'il y en a plusieurs) par une procédure propre (section 1), nous verrons qu'il est possible, de plus en plus souvent (au point de se demander si le principe et l'exception ne sont pas renversés), de mettre les associés en redressement et en liquidation judiciaire au moyen d'une seule et même procédure (section 2).


Section 1: Impossibilité d'une procédure collective contre la société en formation

§1 : Principe de cette impossibilité

La société en formation est par hypothèse une société non immatriculée. Par conséquent elle ne jouit pas de la personnalité morale, et ne saurait constituer une personne morale de droit privé.

Cette solution nouvelle, introduite par la loi du 13 juillet 19673, a fait l'objet de résistance de certains juges du fond4 qui ont continué de considérer que l'on pouvait agir directement contre une société non immatriculée5.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a fait également entorse à ce principe dans quelques décisions.

Tout d'abord, dans l'arrêt du 18 mai 19816, les magistrats admettent l'extension du règlement judiciaire de M. Prost à " la société de fait existant entre son fils et son gendre " puis sa conversion en liquidation de biens.

D'autre part, récemment, dans une décision en date du 26 novembre 19967, la chambre commerciale valide la mise en redressement judiciaire d'une société alors qu'elle ne jouissait pas encore de la personnalité morale. En l'espèce, la société Création système a été constituée le 15 juin 1987 par sept personnes, mais n'a été immatriculée que le 30 mai 1988 au registre du commerce et des sociétés en tant que société anonyme. Or, par un jugement du 26 mai 1988, le tribunal de commerce de Bordeaux avait ouvert une procédure de redressement judiciaire.

Cet arrêt soulève un problème de compatibilité par rapport à une décision rendue le 10 mars 19878 dans laquelle il a été précisé que " l'acquisition ultérieure de la personnalité morale ne peut justifier le prononcé de l'une de ces mesures [règlement judiciaire ou liquidation de biens] ". La solution de 1996 semble être en pleine contradiction avec celle de 1987, en ce sens que les magistrats, en ayant admis l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre d'une société qui n'a été dotée de la personnalité morale qu'ultérieurement, font produire effet à une immatriculation postérieure à la saisine du tribunal.

L'attitude adoptée le 10 mars 19879 mérite d'être signalée parce qu'elle laisse elle-même place à un doute lorsque la Cour de cassation fait grief à la cour d'appel de n'avoir pas " recherché si, après son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, la société FB avait repris les engagements souscrits pour son compte ". Cette formule surprend car elle paraît sous-entendre que, si tel avait été le cas, la demande d'ouverture de la procédure collective eut été recevable10. Or non seulement le mécanisme de l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 ne change rien à la date de naissance de la personnalité morale11, mais encore un risque de fraude ne serait pas à négliger12.

Excepté ces décisions, la chambre commerciale de la Cour de cassation défend avec une " constance remarquable "13 cette impossibilité14 de mettre en redressement ou en liquidation judiciaire une société non immatriculée.

Les auteurs ne semblent pas unanimes sur le moment d'appréciation de l'existence de la personnalité morale. Ainsi pour M. GUYON15, il convient de se placer au jour où le tribunal statue, et non comme en droit commun au jour de l'assignation16.

La doctrine, pour combattre la solution du droit positif et permettre la mise en redressement ou en liquidation judiciaire d'une société dépourvue de la personnalité morale, a émis différentes propositions.

M. CALAIS-AULOY17 et M. GUYON18 ont suggéré d'avoir recours à la théorie de l'apparence. Lorsqu'une société non immatriculée existe, le groupement est ostensible et présente les traits caractéristiques de la personnalité morale : un intérêt distinct de l'intérêt personnel de ses membres, un organe d'expression. L'apparence pourrait alors justifier que vis-à-vis des tiers on admette la personnalité du groupement et la possibilité d'engager une procédure directement contre lui.

M. TEMPLE19 recourt à la notion de personnalité morale de fait dont seuls les tiers peuvent se prévaloir s'ils y ont intérêt. M. GUYON20 adopte une position similaire en indiquant que les tiers de bonne foi peuvent opposer la personnalité morale des sociétés non immatriculées s'ils y ont intérêt.

Toutefois, comme le note M. HALLOUIN21, " à partir du moment où la loi de 1966 puis la loi de 1978 ont imposé la nécessité de l'immatriculation pour qu'une société soit dotée de la personnalité morale, il est impossible que les tiers puissent légitimement se prévaloir de la personnalité d'une société non immatriculée. La règle nouvelle est trop forte et trop contraignante pour que l'apparence et la situation de fait aient encore une place "22.

Mme DEKEUWER-DEFOSSEZ23 s'est montrée favorable à une réforme législative dans le but de reconnaître et de personnaliser l'entreprise. La règle de l'unité du patrimoine serait abandonnée, l'entreprise étant dotée d'un patrimoine distinct de celui de l'entrepreneur ce qui aurait permis d'agir directement contre elle.

La solution, un temps envisagé au cours de l'élaboration de la loi du 25 janvier 1985, n'a pas été retenue. Ainsi on ne saurait atteindre directement une entreprise que si elle est personnalisée ; dans les autres cas, on ne l'atteint qu'à travers la personne de l'entrepreneur.

M. CALENDINI24 évoque un simple aménagement procédural consistant à insérer une disposition permettant d'engager un redressement judiciaire à l'encontre d'une société non immatriculée.

Toutefois, cette solution se heurte à un principe fondamental. Si on admet que les sociétés non immatriculées sont des personnes, on remet en cause la règle très forte qui veut que les sociétés ne soient dotées de la personnalité morale qu'à compter de leur immatriculation au R.C.S. Si on considère que le redressement judiciaire peut être exercé contre des entités qui ne sont pas des personnes, on remet en cause la règle toute aussi forte qui veut que les actions en justice contentieuses soient exercées contre des personnes. En outre, la disparition d'un de ces principes, certes envisageable, ne se justifierait que très rarement.

Finalement, si l'on ne peut mettre la société en formation en redressement ou en liquidation judiciaire, la seule solution est celle d'une action contre l'associé ou chacun d'eux.


§2 : Procédure collective contre un ou plusieurs associés

Pour pouvoir intenter une procédure collective contre un associé, il est indispensable de démontrer qu'il remplit les conditions de fond du redressement et de la liquidation judiciaire, c'est-à-dire, qu'il a la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé (A), et qu'il est en état de cessation des paiements (B)25.

Dés lors que ces conditions sont réunies, il faudra mettre en place pour chacun (s'il existe plusieurs associés) tout le dispositif judiciaire de redressement ou de liquidation.

A - Etablissement de la qualité de commerçant

D'une part, il convient d'éliminer une éventuelle démonstration de la qualité d'artisan ou d'agriculteur puisque celles-ci n'apparaissent correspondre à notre hypothèse que dans des cas relativement réduits.

D'autre part, la qualité de personne morale de droit privé ne sera caractérisée que si une telle personne est partenaire dans une société en formation. Cette éventualité ne fera pas l'objet de plus amples développements.

Finalement, c'est la qualité de commerçant reconnue à l'associé d'une société en formation qui le plus souvent en pratique justifie l'ouverture d'une procédure collective à son encontre. Selon le droit positif, qui ajoute à l'article 1er du code de commerce, le commerçant est celui qui exerce des actes de commerce à titre de profession habituelle et de manière indépendante26. Par conséquent, différents éléments se doivent d'être réunis :

- le caractère habituel permet d'exclure de la qualité de commerçant ceux qui n'agissent qu'à titre occasionnel.

- la notion d'habitude intégrée à celle de profession autorise également à distinguer l'activité accessoire de l'activité principale.

- la profession ajoute à l'habitude, en ce qu'elle implique l'idée de lucrativité, et est source de revenus.

- le caractère indépendant suppose que celui qui agit le fasse en son nom et pour son propre compte.

La Cour de cassation exige que la Cour d'appel recherche si l'auteur des actes a " exercé des actes de commerce et en a [avait] fait sa profession habituelle ou s'il a [avait] exploité lui-même l'entreprise commerciale, objet de la société "27.

De l'ensemble de la jurisprudence, il ressort les caractéristiques suivantes :

- la nécessité de démontrer la qualité de commerçant : par la direction de fait assumée par l'associé (CA Paris, 13 juin 199728), par le fait d'avoir permis le fonctionnement de la société (Cass. com., 2 mai 198929), par l'embauche de salariés, le règlement des salaires et l'émission de chèques pour le compte de la société (CA Paris, 7 février 199030).

Cette qualité ne saurait se déduire de la seule qualité de gérant, même majoritaire, d'une S.A.R.L, lorsque l'accomplissement habituel d'actes de commerce par cette personne tels que définis à l'article 632 du code de commerce n'est pas rapporté31 ; ou de la seule qualité d'époux32 ; ou de la simple qualité d'associé d'une société en formation33.

Un problème semble se poser suite à l'arrêt du 16 juin 1997 rendue par la cour d'appel de Besançon34 qui précise qu'il " appartiendra (…) de mettre en oeuvre une procédure concernant les personnes qui ont agi au nom de la société à responsabilité limitée en formation ". Comment faut-il comprendre l'expression " les personnes ayant agi " ?

Faut-il l'entendre au sens de l'article 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966, ce qui remettrait en cause la définition donnée par la Cour de cassation le 27 avril 199335 et établirait une présomption de la qualité de commerçant ? Mais quelle serait alors la nature de cette présomption : réfragable ou irréfragable ?

Faut-il, au contraire, la comprendre comme exigeant l'accomplissement d'acte de commerce de manière à en faire sa profession habituelle ou l'exploitation d'une entreprise commerciale, ce qui répondrait à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation ?

Nous pensons qu'il convient de se rallier à la seconde opinion pour plusieurs raisons. En premier lieu, la décision en cause n'est qu'une décision de cour d'appel. En second lieu, ainsi que l'on a pu le constater à propos de la définition des personnes qui ont agi au nom d'une société en formation, l'heure n'est plus aux présomptions mais à la démonstration de la participation concrète de la personne. Enfin, des décisions, certes antérieure36, indiquent que le fait d'agir au nom de la société en formation ne confère pas la qualité de commerçant.

- une absence de toute référence au caractère nécessairement indépendant de l'activité commerciale.

On constate que les juges font abstraction de ce caractère,37 allant même jusqu'à affirmer explicitement qu'une personne est commerçante dés lors qu'elle " effectue des actes de commerce à titre habituel au nom d'une société en formation "38.

On peut penser que cet oubli est volontaire parce que sans celui-ci la qualité de commerçant ne serait jamais reconnue à un associé d'une société en formation39. En effet, bien que la personne qui agisse ne le fasse pas en vertu d'un mandat40, sauf dans le cadre d'un mandat donné pour passer un contrat entre la signature des statuts et l'immatriculation au R.C.S.41, il semble choquant de considérer que celui qui agit au nom et pour le compte d'une société en formation le fasse à titre personnel. Quand un des associés conclut un contrat, il le fait dans l'intérêt de la société et au nom et pour le compte de la société en formation pour échapper à sa responsabilité.

En ce qui concerne une personne n'agissant pas au nom et pour le compte d'une société en formation, la démonstration de l'indépendance apparaît comme plus aisée. Toutefois, en pratique, lorsque l'associé ne mentionne pas qu'il agit au nom et pour le compte d'une société en formation, cela résulte le plus souvent d'un oubli, d'une étourderie, et la situation de cet associé ne change guère de celle de l'associé respectant cette condition de forme.

M. PASQUALINI42 ne fait aucune allusion à ce critère d'indépendance, et définit de la sorte les associés exposés au redressement et à la liquidation judiciaire ceux " qui ont accompli de façon personnelle et habituelle des actes de commerce ".

Un problème par rapport au critère de la profession habituelle : l'activité commerciale doit permettre à son auteur de satisfaire ses besoins financiers, être son activité principale lui procurant une source de revenus.

Mais lorsqu'une personne agit au nom et pour le compte d'une société en formation43, ce n'est pas elle qui en tire profit mais la société. Elle n'en tire qu'un intérêt indirect, en facilitant le développement de la société et une meilleure préparation à l'entrée dans le monde économique. De plus, la société n'étant qu'en formation, l'associé ne détient pas des parts sociales ou des actions44, et donc ne peut percevoir un éventuel dividende qui constituerait une source de revenu.

Le seul élément de la définition de commerçant que l'on peut véritablement constater, dans le cadre d'une société en formation, est l'exercice d'actes de commerce45, mais qui ne sont faits ni à titre personnel46 ni à titre de profession habituelle47.

M. DIDIER48 semble se contenter de l'exercice d'actes de commerce sans aucune autre exigence ; alors que M. CALENDINI49 fait de la pluralité et du nombre suffisant d'actes de commerce l'élément déterminant de la qualité de commerçant.

B - Cessation des paiements50

Elle est définie à l'article 3 al.1 de la loi du 25 janvier 1985 de la manière suivante : " impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ".

Ainsi que le note M. JACQUOT51, cette notion étant un " incident de paiement à un moment " se distingue de l'insolvabilité qui ne s'apprécie que par rapport à l'ensemble des dettes52. Elle se différencie aussi des critères des procédures préventives se caractérisant par un événement mettant en péril la continuité de l'exploitation car elle répond à un critère purement comptable.

Le passif exigible est le passif échu et exigé53. Ce sont toutes les dettes certaines, liquides et exigibles, quel que soit leur montant, leur nature (civile ou commerciale), leur nombre.

L'actif disponible est l'actif réalisable immédiatement ou à quelques jours54. Il s'agit de tous les moyens que le débiteur peut mobiliser sans délai pour éteindre les dettes (la chambre commerciale en a exclu les stocks).

Le terme faire face détermine l'incapacité à retrouver dans un avenir proche un équilibre durable55.

La démonstration de la réunion de ces deux conditions permet d'agir contre l'associé, voir contre les associés en cause. Cependant, dans cette dernière hypothèse, il s'avérera alors nécessaire d'ouvrir autant de procédures collectives qu'il y a d'associés.

Si tel est le principe, celui-ci connaît une exception : la confusion des patrimoines.


Section 2 : Possibilité d'une procédure commune à l'encontre des associés



Si la solution de principe reste toujours la multiplicité des procédures, les difficultés qu'elle engendre (§1) conduisent à recourir de plus en plus au concept de confusion des patrimoines au point de se demander si l'exception n'est pas devenue le principe (§2).


§1 : Difficultés soulevées par la solution de principe

La nécessité d'agir contre chacun des associés séparément est à la fois source d'impasse et de complexité.

Les impasses se manifestent dans les cas où il est permis d'intenter une action en redressement judiciaire contre certains associés alors que ce n'est pas possible contre certains autres. Dans de telles hypothèses, les procédures collectives n'appréhenderont qu'une fraction de l'entreprise commune. Si une liquidation judiciaire a lieu, il sera procédé à la vente des biens mais uniquement des personnes frappées par la procédure, l'unité économique risque d'être ainsi brisée puisque les autres personnes y échapperont et conserveront leurs biens. Si le redressement judiciaire est décidé, celle-ci est impraticable parce que tous les éléments de l'entreprise ne pourront y être intégrés.

La complexité est caractérisée par le fait qu'il faudra, non seulement mener parallèlement plusieurs procédures, mais aussi établir dans chacune d'entre elles que les conditions du redressement ou de la liquidation judiciaire à l'encontre de l'associé sont réunies.


§2 : La confusion des patrimoines : fondement d'une procédure commune

La théorie jurisprudentielle56 de la confusion des patrimoines, qui a pour finalité d'étendre à d'autres personnes la procédure ouverte à l'encontre du débiteur initial57, permet d'éviter les problèmes précédemment évoqués.

Comme le fait remarquer M. HALLOUIN58, " cette procédure unique facilitera les choses " puisque la reconnaissance d'une telle confusion établie automatiquement la qualité de commerçant ainsi que la cessation des paiements contre lesquelles la procédure sera étendue59. " On pourra non seulement étendre le redressement ou la liquidation judiciaire à tous les associés dont les patrimoines auront été confondus mais encore décider qu'il y a une procédure unique ".

On se retrouve face à un ensemble actif et passif dans lequel sont réunis tous les biens et toutes les dettes de tous les membres de la société entre lesquels la confusion aura été déclarée.

Toutes les difficultés ne sont pas pour autant résolues, car il convient de définir les éléments caractérisant une situation de confusion des patrimoines.

Selon Mme VAILLANT60, la confusion des patrimoines est la " constatation de l'interpénétration de plusieurs patrimoines réels ".

Pour M. BARBIERI61, la confusion " phénomène essentiellement comptable, ressort d'une imbrication entre les postes actif et passif de deux ou plusieurs patrimoines, imbrication telle qu'un professionnel de la comptabilité s'avouerait incapable d'attribuer à l'un ou l'autre des titulaires les créances et les dettes répertoriées (…) ".

M. HALLOUIN62 définit cette notion comme " une situation de fait " qui existe lorsque le mélange des actifs et des passifs est tel que l'on ne peut mener correctement une procédure contre l'un des associés, étant entendu que le mélange des seuls éléments de passif sont insuffisant.

De la majorité des auteurs, il ressort que la confusion des patrimoines doit être distinguée de la fictivité. Cette dernière se définit comme la séparation fictive d'un seul et même patrimoine, la situation dans laquelle une personne est interposée dans le but nécessairement répréhensible de mettre un patrimoine personnel à l'abri des poursuites des créanciers sociaux.

La notion de confusion des patrimoines est longtemps restée dans le sillage de la fictivité puisqu'on y recourait lorsqu'on était en présence d'une société de façade créée de toute pièce par une personne avec ses propres capitaux et le concours de comparses pour marquer sa situation de maître de l'affaire. Dans un tel cas la société n'est pas une personne morale réelle.

Aujourd'hui, il convient de donner à la confusion des patrimoines son autonomie63. Plusieurs arguments sont invoqués : d'une part, la jurisprudence a considéré qu'une confusion des patrimoines peut exister indépendamment d'une fictivité64 ; d'autre part, une société peut être fictive sans que se constatent des flux financiers anormaux, critère de la confusion65 ; enfin, une confusion des patrimoines peut intervenir exclusivement entre des personnes physiques66.

La preuve de la confusion des patrimoines n'est soumise à aucun formalisme et résulte d'un faisceau d'indices, de présomptions67. Les indices relevés dans la majorité des cas sont au nombre de trois (ces cas concernent surtout une extension de procédure collective d'une filiale à une société-mère)  :

- la fictivité : elle n'est plus qu'un critère parmi d'autres de la confusion des patrimoines, et ne peut à elle seule à caractériser cette situation68.

- l'existence de flux financiers anormaux69.

- l'existence d'anomalies dans les comptes.

Entre associés d'une société en formation, on peut différencier les hypothèses en fonction de la qualité de chacun des partenaires.

Si les associés sont tous des personnes physiques : alors que certains auteurs contestent la possibilité de reconnaître une confusion des patrimoines entre personnes physiques70, la jurisprudence a précisé que les personnes morales n'ont pas l'exclusivité de cette notion. Bien qu'elle soit principalement admise entre des personnes unies par des liens familiaux, les constations des magistrats semblent pouvoir s'appliquer à l'hypothèses où les personnes ne sont qu'associées. En effet, les arrêts font valoir qu'il existait une mise en commun de leurs activités et de leurs biens71 ou, qu'existait une exploitation en commun72. Finalement, l'idée est qu'une activité commune a pu être constatée, or comme l'on a pu le faire remarquer la société en formation peut exercer une certaine activité avant même son immatriculation au registre du commerce et des sociétés par l'intermédiaire de ses associés73.

Si les associés sont tous des sociétés : les trois critères exposés précédemment, s'ils ne sont pas cumulatifs, permettent de caractériser une éventuelle confusion des patrimoines74.

M. PRIEUR75 relève qu'il ne peut y avoir cette confusion dès lors que les deux sociétés " se laissent guider dans leurs décisions par l'intérêt social exclusif de chacune des personnes morales, dans le respect de l'intégralité de leur patrimoine respectif (…) [le couple formé par ces sociétés doit afficher] transparence des relations et stricte régularité des comptes ". Il est à noter que Mme VAILLANT76 subordonne la constatation de la confusion des patrimoines à " l'apparence d'une entreprise unique ou à l'existence d'une interdépendance économique et financière "77.

Si certains des associés sont des sociétés alors que d'autres sont des personnes physiques78 : la démonstration d'une confusion des patrimoines sera plus difficile à rapporter, puisque les solutions jurisprudentielles rendues en la matière insistent sur la détention d'une part importante de capital de cette personne morale (solution inapplicable en l'espèce puisque la ou les personne(s) physique(s) en cause ne sont pas par hypothèse associées de cette personne) et l'attribution d'un mandat ou d'une procuration générale. Seul ce dernier critère paraît applicable.

En conclusion, l'admission de plus en plus souvent d'une confusion des patrimoines, aussi bien entre des personnes morales membres d'un groupe ou liées par d'autres liens tels que des conventions, qu'entre des personnes physiques ou encore entre des personnes physiques et des sociétés unipersonnelles et pluripersonnelles, conduit à se demander si l'exception, que constituait l'unité de procédure, n'est pas devenue le principe79.

La réponse à cette question passe par une étude du rôle joué par la Cour de cassation en matière de confusion des patrimoines. Il apparaît que celle-ci est manifestement déterminée à censurer une quelconque banalisation de cette extension en contrôlant son application, notamment en veillant à l'existence d'une réelle confusion des patrimoines et d'une réelle unicité de la procédure collective qui en découle80.

En outre, il ne faut pas perdre de l'esprit que la confusion des patrimoines présente deux inconvénients majeurs : premièrement, elle conduit à mettre une personne en redressement, voire en liquidation judiciaire, sans qu'elle ne soit réellement en difficulté ; deuxièmement, elle contribue à porter atteinte à l'objectif de protection censé assurer le principe d'indépendance économique et financière d'une personne morale.

Le premier enjeu de la détermination du statut des associés d'une société en formation ayant été étudié, la question de l'application d'une clause attributive de compétence territoriale reste ouverte.


Chapitre 2 - Application d'une clause attributive de compétence territoriale



Très souvent les commerçants insèrent dans leurs contrats ou conditions générales de vente des clauses attributives de compétence. Ils désirent, en effet, que les litiges éventuels soient réglés par le tribunal de commerce composé de leurs pairs, dans le ressort duquel se situe leur entreprise. Ces clauses attributives de compétence sont relatives à la compétence d'attribution ou à la compétence territoriale, et sont soumises aux conditions de validité des conventions. Ainsi doivent-elles être connues et acceptées au moment de la formation du contrat. Dans les contrats entre commerçants, la preuve est libre et le défaut de signature de l'acte n'invalide pas la stipulation81. Au contraire, dans les actes mixtes passés entre un commerçant et un non-commerçant, le commerçant doit respecter les dispositions de l'article 1341 du code civil à l'égard de la partie non-contractante ; la clause doit être écrite et l'acte signé des parties, lorsqu'il est sous seing privé. A coté de ces conditions générales, les clauses de compétence répondent à des conditions qui leur sont propres. Les clauses prorogeant la compétence d'attribution du tribunal de commerce sont nulles car cette juridiction ne peut connaître que des litiges expressément attribués par le législateur. Pour les litiges relevant de la compétence du tribunal de grande instance ou d'une autre juridiction d'exception, l'incompétence du tribunal de commerce est d'ordre public. Il existe une exception pour les actes mixtes exceptés en matière d'injonction de payer : article 1406 N.C.P.C.

Quant aux clauses de compétence territoriale, l'article 48 N.C.P.C. dispose qu'elles sont valables uniquement entre " des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant " et sous réserve qu'elles soient stipulées de façon très apparente dans l'engagement de la partie à laquelle elles sont opposées. A défaut, elles sont réputées non écrites. Lorsqu'elles sont valables les clauses de compétence s'imposent aux parties et au juge.

Les conditions édictées par l'article 48 N.C.P.C. laissent présumer des difficultés que l'on peut rencontrer lorsqu'une telle clause est incluse dans un contrat passé au nom d'une société en formation. En effet :

- si la société est ultérieurement immatriculée, qu'elle reprend l'acte litigieux et qu'il s'agit d'une société commerciale, la clause s'appliquera.

- si la société ne reprend pas l'acte ou si la société n'est pas immatriculée lorsque survient le litige, l'application de la clause dépendra de la qualité de l'auteur de l'acte. Se posera ainsi la question de savoir si, et dans quelle mesure, on peut reconnaître la qualité de commerçant à l'auteur de l'acte, associé d'une société en formation. En l'absence d'une telle qualité, la clause sera réputée non écrite.

L'étude consacrée dans le chapitre précédent à la qualité de commerçant trouve à s'appliquer dans le cas où une clause attributive de compétence territoriale aurait été convenue. Soit la société est en formation : la qualité de commerçant s'avère difficile à reconnaître à l'associé qui agit au nom et pour le compte d'une telle société. Soit la société en formation s'est transformée en une société en participation82 : l'établissement de la qualité de commerçant se montre moins périlleuse en raison de la plus grande indépendance des partenaires et de leurs engagements personnels.

Dans tous les cas, la qualité de commerçant doit se démontrer, et il est nécessaire de rechercher si les actes accomplis sont de nature commerciale et s'ils constituent la profession habituelle des intéressés83.


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