JURIPOLE : LA SOCIETE EN FORMATION - Sommaire - Ivan Tchotourian

JURIPOLE DE LORRAINE

Serveur d'Information Juridique

Réalisé par Alexis BAUMANN


LA SOCIETE EN FORMATION
Ivan TCHOTOURIAN



PREMIERE PARTIE




TITRE 1 : la notion de société en formation



Préalablement à l'étude du régime de la société en formation et du statut de ses associés, une définition cohérente de cette notion s'avère nécessaire. Cette démarche se fera en deux étapes ; d'une part en distinguant la société en formation d'autres types de groupements relativement proches, ce qui nous permettra ainsi de mettre en avant l'élément psychologique caractérisant la société en formation (chapitre 1) ; d'autre part en analysant une des composantes de la durée de la période de formation prêtant à discussion : son point de départ (chapitre 2).

Chapitre 1 – Nécessité de distinguer la société en formation d'autres qualifications juridiques



La société en formation se doit d'être distinguée d'autres types de sociétés qui, comme elle, sont dépourvues de la personnalité morale.

C'est pourquoi, dans un premier temps, nous envisagerons le rapport société en formation - société de fait (section 1). Par la suite, nous évoquerons la distinction société en formation - société créée de fait (section 2), puis la distinction société en formation - société en participation (section 3).

Section 1 : Distinction avec la société de fait



Il semble bien que la société de fait n'ait aucun rapport avec la société en formation. Pour le constater, il suffit de définir la société de fait1  : société créée sur la base de statuts, qui a acquis la personnalité morale par son immatriculation au R.C.S, et qui a fonctionné un certain temps avant qu'un vice de constitution n'ait été révélé. La société est alors annulée. Toutefois, cette annulation a lieu sans rétroactivité, la société n'étant que dissoute ce qui a l'avantage de rendre possible le règlement des conséquences des actes passés.

D'abord d'origine jurisprudentielle, elle a été ensuite consacrée par le législateur dans la loi du 24 juillet 1966 à l'article 368, puis, de façon plus explicite, par la loi du 4 janvier 1978 à l'article1844-15 du code civil.

Cette solution protectrice des tiers, puisque tous les actes passés sont maintenus, se justifie parce que la société a fonctionné avec une apparence de régularité ; et il apparaîtrait alors inopportun que les personnes ayant traité avec elle puissent subir les conséquences d'une rétroactivité2 .

Le rapprochement possible entre la société de fait et la société en formation ne pourrait se justifier que sur le terrain de la sanction attachée à l'absence d'immatriculation au R.C.S. En admettant que cette absence soit une cause de nullité de la société en formation, on pourrait raisonner ainsi : une société est annulée pour défaut d'immatriculation, cette annulation se produisant sans rétroactivité on applique la théorie de la société de fait.

Mais pour admettre un tel raisonnement, il faut partir de l'hypothèse que le défaut d'immatriculation au R.C.S est une cause de nullité des sociétés.

En premier lieu, on recherchera si tel est bien le cas (§1). Si la réponse à cette question s'avère négative, il conviendra, en second lieu, puisque plus aucun rapprochement n'est envisageable, de dresser un " état des lieux " des différences existant entre la société en formation et la société de fait (§2).

§1 : Le défaut d'immatriculation constitue-t-il une cause de nullité de la société ?


A - Position de la jurisprudence


La cour d'appel de Besançon, dans un arrêt du 9 juin 1978, a considéré qu'à défaut d'immatriculation d'une SARL au registre du commerce et des sociétés, celle-ci devait être " déclarée nulle et sans personnalité morale …" sur le fondement de l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966.

Par conséquent, elle admet que le défaut d'immatriculation au R.C.S. est une cause de nullité et applique l'article 368 de la loi du 24 juillet 1966 qui ne prévoit qu'une liquidation.

Toutefois la cour de cassation, dans son arrêt du 4 mai 19813 , a cassé cette décision en considérant que " la nullité d'une société ne peut, selon l'article 360 susvisé, résulter que d'une disposition expresse de ladite loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats tandis que l'article 5 de cette loi se borne à prévoir que les sociétés ne jouissent de la personnalité morale qu'à dater de leur immatriculation ".

Le principe affirmé sans équivoque est que le défaut d'immatriculation n'est pas une cause de nullité. De cette manière, la cour de cassation semble rejeter toute référence à une quelconque société de fait, puisque par hypothèse celle-ci n'existe que si la société est annulée, ce que refuse la cour de cassation en cas d'absence d'immatriculation.

B - Position de la doctrine 

Seuls RIPERT et ROBLOT 4 se sont montrés favorables à la qualification de société de fait, en considérant qu'elle existe dès lors qu'un groupement fonctionne sans être immatriculé. Ce groupement a une existence de fait même si juridiquement il n'a pas de personnalité morale5 .

La majorité de la doctrine semble y être opposée6 . Outre M. GERMAIN et M. VOGEL7 rejetant la théorie de société de fait, Mme GUILBERTEAU8 s'opposent à cette qualification pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, la reconnaissance d'une société de fait équivaudrait à faire de son immatriculation l'ultime formalité pour sa constitution ; alors qu'il apparaît que la société est constituée bien avant son immatriculation au R.C.S9 .

De plus, l'existence d'une société de fait implique celle d'une personnalité morale. Or cette personnalité morale n'est-elle pas conférée par l'immatriculation, en vertu de l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 ? Il faudrait considérer qu'une telle société est dotée d'une personnalité morale distincte avant son immatriculation, mais alors quel serait le rôle de l 'immatriculation au R.C.S ?

Enfin, ce serait accorder bien trop de liberté aux créanciers en leur offrant une option d'action soit contre les associés soit contre la société.

Mme PHILIPPE10 se montre également défavorable à cette solution, car l'esprit de la réforme de 1978 s'oppose à ce que le défaut d'immatriculation puisse être sanctionné par une nullité.

On distingue ainsi constitution de la société (dont certaines conditions sont sanctionnées par la nullité11 ) et naissance de la personnalité morale. La dissociation de ces deux éléments explique que le seul défaut d'immatriculation au R.C.S. ne pourra permettre d'annuler une société.

Une disposition expresse de la loi de 1966, l'article 36112 , ayant trait à la sanction de l'inobservation des formalités de publicité, mérite que l'on s'y attarde un moment. Il résulte de cet article que le défaut d'immatriculation de la société semble être une cause de nullité de la société. Bien que cette disposition n'ait qu'un domaine limité, puisque ne concernant que la S.N.C et la S.C.S, on pourrait justifier, au moyen de cet article, un rapprochement entre société en formation et société de fait (la société en formation faisant, en effet, l'objet d'une annulation). Cependant les arguments des auteurs, s'opposant à toute confusion entre ces deux types de sociétés, peuvent être invoqués :

- La société en formation n'a jamais eu la personnalité morale13 .

- Cela irait à l'encontre de l'esprit des réformes14 de 1966 et 1978 qui limite les hypothèses de nullité de la société, et fait de l'immatriculation une simple formalité permettant l'acquisition de la personnalité morale.

Malgré ce consensus entre la Cour de cassation et la majorité des auteurs, certaines juridictions du fond ont, à différentes reprises, employé le terme de " société de fait "15 . Néanmoins, la cour de cassation n'hésita pas à réaffirmer sa position en cassant deux décisions le 1er avril 197416 .

§2 : Quelles sont les différences entre ces deux types de sociétés ?

Il semble que la qualification de société de fait ne puisse jamais être justifiée . Cette opinion se fonde sur différents arguments.

Tout d'abord, dans le cadre de la société en formation, celle-ci a été voulue par ses auteurs et elle est destinée à un moment ou à un autre à être immatriculée. Ainsi, deux éléments la caractérisent :

· Volonté de constitution ou, constitution effective de la société d'une part.

· Volonté d'immatriculation au R.C.S d'autre part.

Au contraire, la société de fait est marquée non seulement par un dépassement du stade de la simple volonté ; puisqu'une société a été constituée, immatriculée, et a fonctionné ; mais également, l'atteinte d'un vice de constitution entraînant son annulation.

Comme le précise M. DEREU17  : " Une société a été créée sur la base d'un pacte social, a acquis la personnalité juridique par son immatriculation au R.C.S et a fonctionné pendant un temps (…) la société est annulée " ; M. DESMORIEUX18 d'ajouter qu'il s'agit d'une " société immatriculée qui est annulée en raison d'un vice grave l'affectant ". 

De plus, cette dernière jouit, même si cela n'a été que pour un temps, de la personnalité morale ; ce qui ne peut jamais être le cas de la société en formation.

Par ailleurs, leurs buts sont différents, car si la société de fait n'est destinée qu'à empêcher la rétroactivité de la nullité, la société en formation régit une situation qui par définition est provisoire.

La frontière entre la société en formation d'un côté, et la société de fait d'un autre côté, apparaît " infranchissable ", leurs différences ne se situant pas au niveau d'un ou de plusieurs de leurs éléments (à la différence de la société créée de fait), mais au niveau de leur nature propre (immatriculée ou non) , et des situations qu'elles sont destinées à régir (situation provisoire ou situation de fin de la société). Leur seul (et unique) point commun est la réalisation de la constitution de la société, constitution qui n'est d'ailleurs qu'éventuelle dans une société en formation19 .

Qu'en est-il de la distinction société en formation - société créée de fait  ?

Section 2 : Distinction avec la société créée de fait





Il semble intéressant, tout d'abord, de définir la société créée de fait : " Situation dans laquelle deux ou plusieurs personnes se sont comportées en fait comme des associés, sans avoir exprimé la volonté de former une société "20 .

En conséquence, la société créée de fait est une société qui, d'une part, est dépourvue de toute personnalité morale comme la société en formation, et qui, d'autre part, est ignorée de ses propres membres à la différence de la société en formation. Ainsi semble se dégager un élément de séparation : la conscience d'appartenir à une société.

Si dans une société créée de fait il n'y a jamais eu cette conscience d'appartenir à un groupement, comment peut-on admettre qu'une société en formation (marquée par cette conscience) puisse dégénérer en une telle société ? La position de la jurisprudence (§1) et de la doctrine (§2) va faire l'objet de la présente étude.

Préalablement, l'enjeu de la distinction société en formation - société créée de fait doit être éclairé sur deux points :

- La procédure collective21  : pendant un moment la jurisprudence n'hésitait pas à prononcer le règlement judiciaire et la liquidation des biens des sociétés créées de fait22 , alors qu'elle l'a toujours refusé pour la société en formation. Mais depuis des décisions notamment du 16 décembre 197523 et du 25 février 198624 , la Cour de cassation déclare impossible l'ouverture d'une procédure collective25 directement contre la société créée de fait, ce qui ne fait de cet intérêt qu'un intérêt historique.

- La responsabilité des partenaires : alors que dans une société en formation, la société (en cas de reprise) ou le(s) signataire(s) de l'acte26 (éventuellement les mandants dans l'hypothèse d'un mandat) est tenu, dans le cadre d'une société créée de fait, le régime de responsabilité des associés est différent27 et offre, à certaines conditions, la possibilité aux créanciers d'agir contre des personnes non-signataires28 .

Ces dispositions ont été mises en oeuvre dans un arrêt récent de la chambre commerciale du 26 novembre 199629 dans lequel une S.A, après avoir conclu une convention pour la construction d'un immeuble avec un tiers, s'est vue poursuivie en justice en raison de nombreuses malfaçons par ses contractants.

Enfin, la nature de la société présente une importance particulière puisque à part une décision de la cour d'appel de Paris du 22 décembre 198330 ayant admis le cumul de qualification, ces deux situations, que sont la société en formation et la société créée de fait, sont exclusives l'une de l'autre31 , même si elles peuvent se succéder dans le temps.

§1 : Position de la jurisprudence 

Si celle-ci a admis la possibilité qu'une société en formation devienne une société créée de fait, elle a varié sur le critère permettant une telle transformation.

Tout d'abord, dans une décision du 17 novembre 197032 , la chambre commerciale pose la nécessité d'établir la réunion de tous les éléments d'une société et de démontrer l'existence d'apports, de la participation aux bénéfices et aux pertes, et de l'affectio societatis33 .

Dès lors que l'un de ces éléments fait défaut34 , et a fortiori tous35 , il ne saurait y avoir de société.

Cette position jurisprudentielle est insuffisante, car elle ne permet pas de distinguer la société en formation de la société créée de fait. Etablir les apports, la volonté de participer aux bénéfices et aux pertes, l'affectio societatis, ne revient qu'à démontrer l'existence d'une société ; tous ces éléments se retrouvent aussi bien dans la société en formation que dans la société créée de fait.

Dans une décision du 13 mai 199736 , la cour d'appel de Paris fait référence à la fois au caractère de l'acte et à l'intention des associés. En l'espèce, la société Espace Corée en cours de formation, représentée par son gérant, conclut un contrat de cession de bail le 7 septembre 1990, mais n'est immatriculée que le 23 octobre 1991. Dans cet intervalle de temps, un des associés tire des chèques, sans provision, sur son compte personnel pour les sommes dues par cette société. Les créanciers invoquent alors l'existence d'une société de fait37 .

La Cour d'appel, pour distinguer une société en formation d'une société créée de fait, utilise donc un double critère38  :

· Celui de la nature des actes en cause qui dépassent le stade d'acte préparatoire.

· Celui de l'intention animant l'auteur de l'acte de se comporter comme un associé d'une société de fait.

Cette position des magistrats correspond-t-elle à la jurisprudence antérieure, aussi bien celle des cours d'appel, que de la Cour de cassation ?

En ce qui concerne les cours d'appel, on constate que la cour d'appel de Paris avait rendu antérieurement quelques décisions sur ce point :

le 26 avril 198439 , elle se réfère au fait que " l'activité sociale ait commencé " ce qui est établi, pour une S.A.R.L ayant comme objet d'organiser des spectacles de ski acrobatique, par le déplacement dans des stations de sports d'hiver et l'ouverture de comptes bancaires.

La position, adoptée par la cour d'appel de Paris, est similaire à celle du 22 décembre 198340 , avec toutefois une réserve sur la nature des actes passés. En effet, par rapport à l'arrêt de 198341 , les exigences de la cour d'appel semblent avoir quelque peu diminué. Ainsi se contente-t-elle, pour une société qui organise des spectacles de ski acrobatique, de simples déplacements dans les stations et d'ouverture de comptes bancaires. Or ces actes sont équivoques. Qu'est-ce qui a pu être fait au cours de ces séjours et qui laisserait penser que l'exploitation a commencé ? L'ouverture d'un compte bancaire étant admise pour les sociétés en formation42 , ne permet pas, pris isolément, de démontrer la mutation de la société.

- le 24 septembre 199143 , dans une affaire concernant principalement la qualité de fondateur44 d'une société, la cour d'appel de Paris a conclu à l'existence d'une société en formation en raison de divers actes matériels passés par l'intéressé : signature d'un protocole d'accord, étude précise comprenant notamment des statuts simplifiés et un plan d'action commerciale, accomplissement de plusieurs formalités dont la demande de désignation d'un commissaire aux apports, plainte auprès du partenaire de la lenteur des opérations préalables à la signature des statuts.

Les faits étaient les suivants : une entreprise et un particulier entrèrent en pourparlers afin de constituer une société commune. Divers frais furent exposés par l'entreprise mais la société ne fut pas constituée. Le particulier se vit alors réclamer la moitié des frais sous prétexte qu'il était comme elle le fondateur de la société.

De ces nombreux actes, il ressort clairement qu'aucune activité n'avait été entreprise, tout au plus avait été établi un plan d'action commercial.

Faisant suite à l'arrêt du 13 mai 199745 , la Cour d'appel de Paris, le 13 juin 199746 , pose comme critère de transformation d'une société à une autre, non seulement la poursuite de l'activité commerciale, mais encore la réalisation d'un chiffre d'affaire important. Cette décision, si elle semble bien retenir le début d'une exploitation comme critère de distinction, laisse place à un doute.

En effet, la cour d'appel de Paris utilise dans ses motifs la conjonction " et ", ce qui rendrait ces deux critères cumulatifs. En d'autres termes si l'activité commerciale a commencé sans s'accompagner de fortes retombées financières, on pourrait se retrouver dans une situation embarrassante.

Ne serait-il pas préférable de considérer que la réalisation d'un chiffre d'affaire important n'est exigée qu'à titre de preuve démontrant que l'activité sociale a débuté ?

En outre, que recouvre l'expression un chiffre d'affaire " important " ?

Enfin, la Cour de cassation dans son arrêt du 7 avril 199247 a approuvé la notion d'actes préparatoires, retenue par la cour d'appel, sans se préoccuper du fait que ces actes engendraient des engagements très importants (en l'espèce emprunt d'un million de francs).

La cour d'appel de Bordeaux, le 14 mai 199048 , n'a pas hésité à prendre le contre-pied de ces décisions en retenant un critère purement psychologique : l'intention ayant animé les partenaires.

La cour d'appel de Rouen, dans son arrêt du 6 décembre 199049 , rejoint la cour d'appel de Paris en prenant en compte, comme seul critère de distinction, l'activité sociale.

Enfin, la cour d'appel de Rennes50 exclut, comme élément justifiant le passage d'une société à une autre, la courte durée d'activité.

En ce qui concerne la Cour de cassation, après avoir fait appel un temps à un critère subjectif, elle s'est référée par la suite à un critère objectif :

- Dans un arrêt du 7 décembre 198151 , la Cour de cassation a demandé que l'on justifie d'un élément psychologique correspondant " globalement " à l'affectio societatis.

La S.A Centre industriel de préparation alimentaire (Société Cipa) a donné son fond de commerce en location - gérance à une S.A.R.L (Société Cogefood) à laquelle devait se substituer, avant même son immatriculation, une autre S.A.R.L (Société Cogipa) constituée entre les associés de la Cogefood et deux nouveaux associés. Certains fournisseurs de la Cogefood obtinrent la condamnation des associés de la Cogefood et de la Cogipa, parce que la Société Cogipa avait fonctionné. Les deux associés de la Cogipa formèrent alors un pourvoi en cassation.

Cette notion, qui ne fait pas l'objet d'une définition légale, a été précisée par différents auteurs52  et peut se résumer en une "  intention de se traiter comme des égaux et de poursuivre ensemble l'oeuvre commune ", " (…) les associés doivent se présenter au contrat non comme des adversaires discutant leurs intérêts, mais comme des collaborateurs animés d'un esprit de fraternité " 53 .

Si la Cour de cassation avait déjà utilisé cet élément intentionnel dans sa décision du 4 mai 198154 ; elle ne l'avait fait qu'à titre complémentaire en raison de l'insuffisance constatée du critère objectif de l'activité sociale pour apprécier le caractère occasionnel ou permanent d'une telle activité.

Cette dernière position nous paraît meilleure que la précédente pour deux raisons : d'une part, il serait dommageable que la distinction entre la société en formation et la société créée de fait, fondamentale du point de vue de la responsabilité des partenaires vis-à-vis des tiers, puisse reposer uniquement sur une notion dépendante de la l'appréciation des juges ; d'autre part, une société créée de fait se doit d'être matérialisée par des actes positifs, ce qui n'est nullement exigé.

Dans un arrêt du 17 mai 198955 , la Cour de cassation a évité la condamnation solidaire des deux associés d'une S.A.R.L au paiement de travaux effectués à son profit en rejetant la qualification de société créée de fait parce que les associés " (…) avaient développé de manière durable et importante une activité dépassant l'accomplissement de simples actes nécessaires à sa constitution (…) ".

Le 20 novembre 199056 , la chambre commerciale reconnaît implicitement la possibilité d'une activité de la société en formation en cassant la décision rendue par le tribunal des affaires de la sécurité sociale d'Arras le 4 décembre 1986 qui avait retenu la qualification de société créée de fait.

De même, le 7 avril 199257 , elle indique dans un attendu que " (…) les contrats signés entre la société DIN et la société " Atlantic location " étaient destinés à permettre d'acquérir les véhicules indispensables à la réalisation de l'objet social, qu'il s'agissait ainsi d'actes préparatoires d'une société en formation (?).

De ces décisions, ressort la prise en compte d'un critère objectif, le commencement de l'activité sociale58  :

Soit existent des actes préparatoires indispensables à la réalisation de l'objet social ou des " actes nécessaires à la création de la société "59 , il s'agit dans ce cas d'une société en formation.

Soit n'est présente qu'une activité développée de manière durable et importante, une véritable exploitation sociale60 , la société en cause est alors une société créée de fait.

Cet élément de distinction nous apparaît comme préférable à celui de l'intention ayant animé les partenaires. En effet, contrairement à ce dernier critère, le début d'une exploitation sociale est un fait matériel plus aisément vérifiable qu'une étude de la volonté, ce qui présente, pour les partenaires, des avantages indéniables. Parce qu'ils sauront à partir de quel moment la société se transformera en une société créée de fait, ils seront protégés contre une éventuelle surprise concernant l'étendue de leur responsabilité par rapport aux tiers. De plus, cette matérialité facilitera la passation de divers contrats, car étant moins exposés au risque de voir naître une société créée de fait pour des actes de minime importance, ils seront plus enclins à en conclure. Enfin, ce début d'activité sociale en tant qu'élément de distinction enlève une certaine souveraineté aux magistrats, en ce sens que contrairement à la recherche d'une possible volonté de constituer une société créée de fait, la finalité des différents contrats laisse moins de place à une appréciation des juridictions.

§2 : Position de la doctrine 

Pas plus que les magistrats, la majorité des auteurs61 ne s'est interrogée sur le fait de savoir si une société en formation pouvait se transformer en une société créée de fait. Ils se sont divisés en trois catégories sur le seul problème du critère à retenir.

- Une partie de la doctrine défend la thèse suivant laquelle existerait un délai raisonnable pour immatriculer la société au R.C.S, au-delà de celui-ci si la société n'a pas acquis la personnalité morale elle est censée avoir dégénéré en société créée de fait.

Cette position est celle de Mme PAILLET62 qui préfère recourir à cette notion de délai raisonnable, plutôt qu'à celle de l'activité d'une société, parce que " dans les affaires économiques, l'action économique précède souvent la formation juridique ". Elle reconnaît, tout comme M. CHAMPAUD63 , que la société en formation peut avoir une activité illimitée64 , c'est pourquoi elle refuse de fonder la distinction société en formation - société créée de fait sur un élément commun à ces sociétés. C'est l'argument mis en avant par M. PLANTAMP65  " les deux critères [durée et activité] sont intimement liés mais celui de la durée reçoit application aussi bien lorsqu'il s'agit de la mise en société d'une entreprise individuelle dans laquelle l'activité n'a pas pour autant cessé, que dans le cas de la création ex nihilo d'une nouvelle personne morale ".

A l'appui de cette thèse, peut être invoquée la réponse ministérielle de 198966 , qui laisse ouverte la possibilité aux tribunaux, de prendre en compte un autre élément que celui du commencement d'exploitation sociale, pour apprécier la nature de la société. 

Cependant, à son encontre, on peut relever, tout d'abord, qu'aucun délai légal n'est imparti aux partenaires pour procéder à l'immatriculation de la société au R.C.S67 comme le notent M. COZIAN et M. VIANDIER 68 .

D'autre part, et c'est l'argument auquel les tribunaux et la majorité de la doctrine évitent de recourir, l'appréciation de ce délai laisse trop de place au subjectivisme sur la durée que recouvre le terme de " raisonnable ". 

Enfin, la cour d'appel de Paris, dans son arrêt en date du 13 mai 199769 , s'est montrée totalement insensible à ce moyen de droit70 .

Malgré ces critiques, cette solution présente une utilité dans le cas où l'on serait face à la mise en société d'une entreprise commune71 .

- Une autre partie de la doctrine pense que ce qui doit déterminer le choix, entre une société en formation et une société créée de fait, est le commencement d'une activité sociale72 . Tels sont les avis, entres autres73 , de :

MM. MERCADAL et JANIN74 reconnaissant à la société en formation une activité limitée, les actes ne doivent avoir pour but que de préparer le commencement des opérations sociales ou sauvegarder la valeur des apports en nature fait à la société.

M. CHAPUT75 fait référence à un autre élément matériel : l'accomplissement d'actes isolés. Dés lors que sont passés bien plus que de tels actes, et que par ce biais on en arrive à une véritable activité, la société devra être disqualifiée en société créée de fait.

La réponse ministérielle de 198976 mérite d'être citée, car elle envisage expressément cette activité comme élément à prendre en compte par les tribunaux (même si elle laisse la possibilité de retenir d'autres critères en utilisant " notamment ").

Bien que cette solution paraisse la plus simple à mettre en oeuvre, plusieurs problèmes surgissent.

Tout d'abord, se pose la question du niveau du commencement d'exploitation sociale justifiant le passage d'une société en formation en une société créée de fait. Ainsi que l'avait fait remarquer M. REINHARD77 en 1985, le critère du seul commencement d'exploitation manquait de précision. Bien que la jurisprudence ultérieure ait répondu à une de ses attentes 78 , à savoir la prise en compte de la nature préparatoire de l'acte pour déterminer si la société s'est transformée79 , une question reste, malgré tout, encore d'actualité : quel est le moment exact à partir duquel la société est censée avoir commencé son activité sociale ?

Pour certains auteurs, comme M. MERLE80 , M. MESTRE et Mme BLANCHARD-SEBASTIEN81 , MM. MERCADAL et JANIN82 , ce début d'activité doit rester limité à la " préparation " de l'exploitation sociale.

Pour d'autres, comme M. GERMAIN et M. VOGEL83 , la compréhension de ces termes semble un peu plus large, en utilisant le critère du développement de l'activité de manière durable et importante ils laissent un peu plus de marge aux fondateurs84 .

M. CHAPUT85 fait planer un doute, dans un premier temps, en employant les mots d'accomplissement d '" actes isolés " ; dans un second temps, en divisant son plan d'étude en deux parties : " L'absence d'activité " suivie de " L'activité sociale " ; il ne reconnaît apparemment pas, en tant que critère, l'exercice d'une quelconque activité sociale.

D'autre part, la preuve de tout élément psychologique semble étranger à la société créée de fait. Pourvu que une certaine activité soit établie, la société créée de fait est démontrée.

Pour conclure, comment résoudre l'hypothèse d'une mise en société d'une entreprise commune ? L'activité ne précède-t-elle pas nécessairement la formation de la société ?

- Une dernière opinion86 propose de tenir compte du degré d'affectio societatis pour déterminer l'existence d'une société créée de fait. Dés qu'il y a absence de conscience de se comporter comme un associé, une société créée de fait est établie. La qualification de société créée de fait nécessite la preuve d'un affectio societatis plus important que la qualification de société en formation.

D'une part, une première difficulté risque d'apparaître au niveau de la preuve. En effet, les créanciers, pour des raisons de responsabilité, auront tout intérêt à invoquer la transformation de la société en formation en société créée de fait, et pour se faire ils devront démontrer cette volonté des partenaires, ce qui s'avouera être une tache complexe.

D'autre part, ce critère présente l'inconvénient de dépendre de l'appréciation des magistrats.

Enfin, une société créée de fait ne doit-elle pas être établie par un acte positif : révélation, immixtion, profit ; comme l'impose l'art.1872-1 du code civil ?

Toutes ces opinions doctrinales ont les points communs premièrement, de ne pas poser la délicate question de savoir si une société en formation peut devenir une société créée de fait, et deuxièmement, de ne retenir qu'un seul et unique critère87 pour déterminer la nature de la société : tantôt le délai pour immatriculer la société, tantôt l'activité exercée par les partenaires antérieurement à l'immatriculation, tantôt l'affectio societatis.

Bien que l'on ait pu discuter, puisque telle est la solution admise jusqu'à présent, sur la pertinence de chacun des critères retenus en jurisprudence et en doctrine, pour déterminer la frontière entre la société en formation et la société créée de fait, nous pensons que toute référence à cette dernière doit être écartée.

Certes ces sociétés présentent au moins deux points communs : la réunion des conditions constitutives du contrat de société et l'absence d'immatriculation.

Toutefois, la société créée de fait, telle qu'elle a été définie, est marquée par l'absence de conscience des partenaires d'être réunis au sein d'une société88  ; alors qu'au contraire les partenaires d'une société en formation savent qu'ils appartiennent à une société car ce qu'ils désirent c'est qu'elle soit constituée (si ce n'est déjà fait) et immatriculée au R.C.S.

Existe une véritable différence de nature entre ces deux sociétés qui fait qu'elles ne peuvent, en aucune façon, être alternatives : comment une société en formation pourrait-elle " muer " en une société créée de fait, alors que pour cette dernière, il faudrait que les partenaires n'aient jamais eu la volonté de constituer une société, et a fortiori, de l'immatriculer alors que tel est le but des associés89 ? Tels sont les avis notamment de M. DEREU90 et de M. DE GAUDEMARIS91

Cette tendance, tellement critiquable92 , à admettre la transformation d'une société en formation en une société créée de fait, a été sans doute facilitée, outre le fait que la société créée de fait puisse être prouvée par tous moyens93 , par une jurisprudence récente qui allège la preuve pesant sur les tiers94 en appliquant la théorie de l'apparence95 .

En effet, par une décision du 13 novembre 198096 , la Cour de cassation97 a indiqué que " l'apparence d'une société créée de fait s'apprécie globalement, indépendamment de l'existence apparente de chacun de ces éléments ". La jurisprudence insiste sur la notoriété, la pertinence, l'absence de contradiction, et la durée de la situation98 .

Bien que cette théorie soit appliquée en ce domaine par la jurisprudence, elle ne fait pas l'unanimité en doctrine ; si certains s'y sont montrés favorable99 , d'autres au contraire y sont opposés100 .

Comme par rapport à la société de fait, aucune confusion ne paraît être concevable entre la société en formation et la société créée de fait. Cette dernière ne peut, à aucun moment, se substituer à une société en formation. A l'inverse, il est tout à fait plausible qu'une société en formation succède à une société créée de fait101 .

On ne peut, par conséquent, distinguer que deux types de société : la société en formation et la société en participation. Ce qui amène à envisager la société en participation (section 3).

Section 3 : Société en participation



Alors que la distinction de la société créée de fait et de la société en participation n'a que le souci d'éclairer les classifications juridiques102 , la distinction de la société en formation et de la société en participation est intéressante sur le plan de la responsabilité des partenaires dans leurs rapports externes, c'est-à-dire, vis-à-vis des tiers. En effet, si dans une société en formation seul(s) le(s) signataire(s) sont tenu(s) en cas de défaut de reprise par la société, dans une société en participation les créanciers se voient offrir, sous certaines conditions103 , la possibilité de poursuivre des partenaires autres que le(s) signataire(s) de l'acte.

La loi du 4 janvier 1978, modifiant le titre IX du livre III du code civil, a consacré aux sociétés en participation les articles 1871 à 1872-2 nouveaux Civ., en abrogeant les dispositions correspondantes de la loi de 1966104 .

Elle se définie comme une " (…) société créée en connaissance de cause ; elle résulte d'un choix délibéré des partenaires en présence qui, après avoir pesé le pour et le contre, décident de se réunir au sein d'une société non immatriculée (…) "105 .

Au vu de ces définitions, la frontière, avec la société créée de fait, apparaît clairement. Bien que ces deux qualifications paraissent relativement proches l'une de l'autre, la loi les soumettant aux même dispositions106 , tout les sépare. Alors que les participants de cette dernière n'ont aucune conscience d'appartenir à une société, les partenaires de la société en participation sont, au contraire, animés de la volonté de faire partie d'une société non immatriculée107 .

Le rapport entre la société en participation et la société en formation est tout autre. Comme on a vu précédemment, la société en formation ne peut, en théorie, se voir qualifier de société créée de fait108 , parce que la société créée de fait se caractérise par le fait que n'existe aucune intention d'immatriculer, ou même seulement, de constituer une société. Existe-t-il un empêchement similaire au sujet de la société en participation ?

M. DEREU109 y répond par la négative selon que le défaut d'immatriculation soit volontaire ou non. Dans le premier cas, il admet que la société en formation dégénère en société en participation, alors que dans le second cas il évoque une société sui generis

M. DE GAUDEMARIS110 adopte une position voisine, et reconnaît la possibilité de transformation d'une société en formation en une société en participation.

De l'opinion de ces auteurs, la transformation d'une société en formation ne peut se faire qu'en une société en participation, à condition qu'il y eu un changement volontaire d'intention des partenaires, c'est-à-dire, qu'ils ne désirent plus immatriculer la société. Cette vision des choses semble correspondre à la définition de la société en participation ; les partenaires, tout en ne souhaitant plus que leur société soit immatriculée, savent qu'ils font partie d'une société. Finalement, ne disparaît que leur volonté d'immatriculer la société, et non leur connaissance d'en faire partie.

On peut dire que la société en participation est le genre, et que la société en formation est l'espèce111 , en ce sens que ces deux sociétés ne jouissent pas de la personnalité morale et remplissent les conditions constitutives des sociétés, les partenaires de la société en formation ne présentant qu'une particularité en plus, celle de vouloir immatriculer la société.

La réponse ministérielle du 22 mai 1989112 consacre cette position doctrinale préférant la qualification de société en participation à celle de société créée de fait.

La jurisprudence est très peu fournie, seul un exemple paraît avoir été donné par la cour d'appel de Bordeaux dans sa décision du 10 février 1994113 . Ayant estimé que le défaut d'immatriculation avait été de la part des associés délibéré, elle a, apparemment, conclu à l'existence d'une société en participation. Malheureusement, la Cour de cassation n'a pas pris position sur ce point, cassant la décision au motif que la cour d'appel aurait dû vérifier si les membres avaient agi au vu et au su des tiers en qualité d'associés114 . On relèvera tout de même le chapeau de la décision comme visant la société en participation115  : " Dans les sociétés en participation, chaque associé contracte en son nom personnel et est seul engagé à l'égard des tiers ".

Si seule la qualification de société en participation est à retenir, la question se pose de savoir si les différents critères jurisprudentiels et doctrinaux, développés à propos de la société créée de fait, trouveraient application.

En ce qui concerne le délai raisonnable : si Mme PAILLET reconnaît que la société en formation ne se mue qu'en une société en participation116 , elle justifie ce passage par le dépassement d'un " délai raisonnable pour obtenir l'immatriculation ".

Cette position est critiquable, parce que négligeant, tout comme le seul début d'activité sociale, un des éléments constitutifs des sociétés en participation : la volonté de ne pas doter la société d'une personnalité juridique. Mais il n'est pas interdit de penser que Mme PAILLET a pu considérer l'écoulement d'un délai important comme une renonciation des associés à immatriculer la société.

Toutefois, même si on accepte l'idée d'assimilation entre délai excessif et renonciation, une société en participation n'est pas pour autant établie, puisque les éléments matériels (révélation, immixtion ou profit) n'ont pas été démontrés. Or, et c'est précisément là que se situe la critique du point de vue de Mme PAILLET, celle-ci fonde l'existence d'une société en participation sur ce seul délai sans respecter les dispositions de l'art.1872-1 du code civil. A la différence du critère fondé sur un commencement de l'exploitation sociale, cette opinion doctrinale ne saurait être défendue.

En ce qui concerne le début d'exploitation sociale, il est insuffisant à lui seul à caractériser une société en participation, car il néglige l'élément psychologique existant dans toute société en participation : la volonté de ne pas doter la société d'une personnalité juridique. Il faudrait adjoindre, à ce critère, la démonstration du refus d'immatriculer la société.

Cependant on peut considérer que les auteurs ont induit, du commencement de l'exploitation sociale, la volonté de ne plus doter la société de la personnalité juridique. Dés lors, tous les éléments constitutifs d'une société en participation, se trouveraient réunis, aussi bien l'élément matériel que psychologique.

En ce qui concerne l'affectio societatis : d'une part, pour pouvoir être un élément constitutif d'une société en participation, il doit être défini comme la volonté de faire partie d'une société non immatriculée. D'autre part, ce critère, même défini comme précédemment, s'avère impuissant, pris isolément, à établir une société en participation, celle-ci nécessitant, conformément à l'art.1872-1 al.2 et 3 du code civil, un acte positif.

Il en résulte qu'un seul et unique critère doctrinal ne peut s'appliquer, la combinaison d'un élément matériel et d'un élément subjectif étant nécessaire. Tout au plus peut-on considérer que le commencement de l'exploitation sociale est le critère le plus satisfaisant, dans l'hypothèse où l'on admet la présomption de renonciation.

On se rapproche, par ce biais, de l'attitude qu'adopte M. CORVEST préconisant la technique du faisceau d'indices117 , et de la décision de la cour d'appel de Paris du 13 mai 1997118 qui n'a pas hésité à caractériser ces deux éléments (une activité limitée et une intention de ne pas se comporter comme seul associé). La mutation d'une société en formation en une société en participation impliquent la réunion de plusieurs éléments :

Un élément matériel : pour démontrer une société en participation, la loi prévoit trois modalités à l'art.1872-1 du code civil, souvent invoquées par les créanciers pour poursuivre des partenaires autres que le(s) signataire(s) d'un acte :

Un agissement  " en qualité d'associés au vu et au su des tiers " (al. 1) : il s'agit de la participation ostensible119 selon laquelle tous les associés sont tenus. Il est nécessaire qu'il y ait eu volonté de tous de se présenter comme associé, ou qu'ils aient permis au gérant de le faire120 . Il faut donc une attitude commune à tous, et un acte positif121 . La révélation de la société en participation ne saurait résulter d'une attitude passive des associés, telle que la divulgation contre leur grès.

Une immixtion quand les associés ont laissé croire au cocontractant qu'ils s'engageaient à son égard (al.3) : il s'agit de la participation révélée122 . C'est un acte par lequel le participant dévoile sans équivoque sa qualité d'associé123 . Seuls les associés s'étant immiscés sont engagés.

Un engagement ayant tourné au profit d'un associé (al.3). L'associé qui a bénéficié d'un tel acte se voit obliger.

Un élément psychologique : c'est la volonté de tous les associés de ne plus immatriculer la société.

Satisfaisante sur le plan théorique, la reconnaissance d'une telle transformation s'avère problématique sur plusieurs points.

D'une part, la preuve de la mutation de la société en formation en une société en participation ne pourra se faire que lorsque tous les associés auront refusé l'immatriculation. En d'autres termes, les tiers, c'est-à-dire les créanciers, devront démontrer, non seulement que l'une des conditions matérielle est remplie, mais en plus que les partenaires ont renoncé volontairement à l'immatriculation.

D'autre part, l'hypothèse envisagée par les auteurs est celle d'un consensus des participants pour renoncer à l'immatriculation au R.C.S. S'il ne fait pas de doute que ce recul des participants entraîne la disqualification de la société en formation en une société en participation, que se passe-t-il si quelques-uns uns seulement des partenaires refusent de doter leur société de la personnalité morale tout en maintenant leurs relations. N'y aurait-il pas apparition d'une société sui generis ?

Nous pensons, de la même manière que l'a fait la cour d'appel de Paris124 , qu'il est préférable d'adopter une double qualification : entre les associés souhaitant l'immatriculation de la société celle de société en formation, et entre les partenaires y ayant renoncé celle de société en participation. En effet, l'hypothèse s'accorde aux définitions données à ces deux types de sociétés sans qu'il soit utile de recourir à la notion de société sui generis.

La qualification de société sui generis, envisagée par M. DEREU125 dans l'hypothèse " d'une négligence ou de mauvaise volonté de son dirigeant ", est-elle satisfaisante ? Si la mutation en une société en participation est reconnue par d'autres auteurs126 , aucun ne reconnaît l'existence d'une telle société, l'alternative étant toujours soit société en formation soit société en participation.

Nous pensons que, tantôt une société en participation, tantôt une société en formation, peuvent exister sans qu'il soit utile de recourir à une société sui generis.

La société est en participation quand le défaut d'immatriculation trouve sa source dans une négligence intentionnelle ou la mauvaise volonté du dirigeant. Ainsi, si ce fait vient à être connu de tous les associés et que ceux-ci ne réagissent pas, on peut présumer que les partenaires ont accepté que la société ne soit pas immatriculée, l'absence de réaction étant le signe d'un abandon de cette volonté Ainsi seule la volonté d'immatriculer la société disparaît.

Si certains associés, au courant, ne réagissent pas, la société ne sera en participation qu'à leur égard, alors que vis-à-vis des associés ignorant la situation elle sera en formation, en effet leur volonté d'immatriculer la société est censée s'être maintenue. On retiendra une double qualification : société en formation et société en participation, comme la fait la cour d'appel de Paris 127 .

Si, au contraire, cette négligence des partenaires n'est pas intentionnelle, résultant par exemple d'un oubli, la solution doit être modifiée. Puisque la négligence est, par hypothèse, involontaire, on ne peut présumer de celle-ci, la disparition, de la part de celui ou ceux qui la commettent, de la volonté d'immatriculer la société. La " non-réaction " des associés si elle permet d'établir une société en participation à leur égard, par rapport à ou aux associés responsables de la négligence la nature de la société est tout autre, il y aura société en formation.

Un problème subsiste pour le seul associé négligent ou pour l'unique dirigeant. A l'égard de celui-ci, aucune forme de société n'est envisageable, notamment celle de société en participation, parce qu'il faut au moins deux associés pour constituer une telle société. C'est dans cette hypothèse qu'une société sui generis peut voir le jour, sinon la situation serait quelque peu étrange puisque tous les autres associés se trouveraient dans une société alors que la personne responsable ne serait dans aucune structure juridique.

M. DEEN GIBIRILA128 a une thèse quelque peu différente, parce qu'il estime possible qu'une société en formation devienne une société créée de fait. S'il ne conteste pas que le refus d'immatriculer la société la fait inexorablement dégénérer en une société en participation, en revanche la transformation en une société créée de fait a lieu lorsque les associés renoncent à adopter la forme sociale prévue à l'origine tout en continuant de se comporter, à l'égard des tiers, comme des associés. Il peaufine l'analyse en distinguant, dans la renonciation, deux cas :

- La renonciation " simple ".

- La renonciation suivie du maintien, par les partenaires, du comportement d'associé, à l'égard des tiers.

Il nous paraît contestable d'adopter ce point de vue. Tout d'abord, si les partenaires se comportent à l'égard des tiers comme des associés, cela ne signifie pas pour autant qu'il y ait société créée de fait. L'auteur déduit de la seule attitude des partenaires la société créée de fait, sans rechercher l'élément psychologique, qui depuis la loi de 1978 est devenu le seul moyen de séparer la société créée de fait de la société en participation129 . De plus, une certaine incohérence transparaît au regard de la définition théorique de la société créée de fait, comment peut-il y avoir société créée de fait bien que les associés aient eu conscience d'appartenir à une société ? On pourrait soutenir que les associés, en raison de leur renonciation, ne pensent plus être membres de la société : cependant un tel argument ne saurait avoir d'impact que pour les actes postérieurs130 à cet événement ; pour les actes antérieurs les partenaires avaient un sentiment d'appartenance à la société.

Dans cette hypothèse, les éléments matériels et intentionnels étant réunis, la société dégénérerait, non en une société créée de fait, mais en une société en participation.

Finalement, si la société en formation se caractérise par son élément psychologique, encore est-il insuffisant en lui-même pour la définir. Il est, en effet, impératif que la société soit en formation, ce qui nous amène à étudier dans un second chapitre la période de formation des sociétés. Toutefois, l'analyse ne sera consacrée qu'au point de départ de la société en formation, objet d'assez nombreuses discussions.

Chapitre 2 – Période de formation



Cette période de formation est un élément fondamental de la société en formation. En effet, il faut, pour démontrer l'existence d'une société en formation, un élément matériel, un élément psychologique, et un élément temporel, le fait que les associés se situent dans la phase de formation de la société. Il est donc nécessaire que la période de formation ait non seulement commencé, mais encore qu'elle n'ait pas pris fin.

En ce qui concerne le début de cette phase, elle donnera lieu à une étude dans la section 2.

Pour ce qui est de la fin de la période de formation, deux faits l'établissent :

Soit la requalification par le juge de la société131 , dés lors qu'elle n'est pas immatriculée.

Soit l'immatriculation de la société au R.C.S, qui est l'achèvement normal d'une telle société. Cette opinion, adoptée quasi-unanimement en doctrine132 , paraît conforme, à la fois, à l'art.1843 c.civ.133  et à l'art.5 al.2 de la loi de 1966134 . Il ressort, en effet, de ces deux articles que l'immatriculation de la société est une limite à l'application du régime de la société en formation, les personnes devant avoir agir avant celle-ci.

Le terme formation est défini comme " action de faire exister en arrangeant des éléments "135 . Or une société, si elle existe entre associés bien avant l'immatriculation, vis-à-vis des tiers c'est l'immatriculation au R.C.S qui marque l'existence de cette société. Donc cette " action de faire exister " se termine par l'immatriculation, puisque la société, à ce moment, est opposable aussi bien aux associés136 qu'aux tiers.

Certains auteurs, tels que M. SORTAIS137 ou M. BASTIAN138 , estiment qu'existent de " meilleures raisons de penser que la société est constituée dés le moment où les statuts ont été votés ou signés ".

Les arguments invoqués par ces auteurs sont contestables. Tout d'abord, par rapport à l'art. 5 de la loi de 1966 qui vise à la fois la constitution et l'immatriculation : " (…) à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée (…) ", et qui ne concerne que les conditions nécessaires à la reprise. D'autre part, par rapport aux articles 26, 67 et 74 du décret du 23 mars 1967 qui prévoient une modalité de reprise postérieure à la signature des statuts ou à la tenue de l'assemblée générale constitutive, et qui laissent penser que la société est encore en formation. Par ailleurs, par rapport à l'article 1 al.2 du décret, spécifiant que la demande d'immatriculation au R.C.S est présentée après l'accomplissement des formalités de constitution de la société, qui n'exclut pas expressément que la société bien que constituée puisse être en formation. Enfin, par rapport à la circulaire du Garde des Sceaux sur le registre du commerce139 , qui précise qu'" avant l'immatriculation il existe une société sans personnalité morale ", rien ne dit que cette société n'est pas en formation. Finalement, Mme PAILLET140 résume la difficulté : " Ce qui choque seulement c'est qu'une société constituée puisse encore être considérée en formation ".

D'autres auteurs encore, MM. HEMARD, TERRE et MABILAT141 , pensent que la fin de la période de formation se situe à la publication de l'avis de constitution dans un journal d'annonces légales, formalité prescrite par l'art. 285 du décret du 23 mars 1967142 . Cependant il apparaît difficile d'attribuer une telle importance à cette publication. En effet, contrairement à la publication au R.C.S, elle ne fait pas acquérir à la société sa personnalité juridique et ne rend pas opposable aux tiers l'existence de la société143 .

Définir la période de formation n'est pas une question purement abstraite, non seulement elle détermine quand est applicable le régime de la société en formation institué par la loi, mais encore elle présente une influence non négligeable sur les fondateurs, la société, et les tiers. La section 1 de ce chapitre y sera consacré.

Section 1 : Incidences de la détermination du point de départ de la société en formation



Cet " impact " de la détermination du point de départ apparaît fondamental en raison du fait que le régime juridique de chacun varie en fonction du moment auquel on se situe, avant ou après le début du processus.

§1 : Pour les fondateurs

Le dépassement du point de départ et l'ouverture de la période de formation impliquent l'emprunt de l'habit juridique de fondateur.

De façon constante, il est celui qui prend l'initiative de constituer la société et qui concourt activement à son organisation et à sa mise en mouvement144 .

Une définition plus large est parfois retenue, renchérissant d'autant l'intérêt de la question, en décidant que la responsabilité prévue par l'article 5 al. 2 de la loi du 24 juillet 1966 " peut atteindre aussi ceux qui, sans avoir la qualité de fondateur, ont agi pour le compte de la société non encore immatriculée et ont contracté pour elle des obligations "145 . Les tribunaux, ayant eu souvent l'occasion de se prononcer sur la notion de " personne ayant agi au nom d'une société en formation ", ont ainsi admis que ces termes avaient une compréhension plus vaste que celle de fondateur146 . Toutefois, on indique qu'il est nécessaire que ces personnes aient " pris certaines initiatives ou avoir prêté aux véritables promoteurs de l'affaire un concours étroit et suivi, impliquant une acceptation consciente des responsabilités inhérentes à la constitution d'une société "147 . C'est dire l'étendue des responsabilités potentiellement encourues.

Selon M. GERMAIN et M. VOGEL148 , " le fondateur est la personne qui, prenant l'initiative de créer la société, se charge de réunir les associés et les capitaux et remplit les formalités légales nécessaires pour arriver à la constitution de la société ". " Les fondateurs peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales ". Comme le remarque ces auteurs149 , la définition de cette qualité dégagée par la jurisprudence de manière souple est préférable à une définition rigoureusement attachée à l'accomplissement de certains actes juridiques, par exemple dans la S.A150 : signature du projet de statut, publication d'une notice destinée à alerter les épargnants (art.74 al.1 et 2 de la loi de 1966), convocation des souscripteurs en assemblée générale constitutive (art.79 al.1 de la loi de 1966), désignation en justice le cas échéant des commissaires aux comptes (art.80 al.1 de la loi de 1966).

Bien que cette solution soit en apparence la plus satisfaisante, un argument contre balance cette affirmation lorsqu'il s'agit d'appliquer une sanction répressive : l'interprétation stricte de la loi pénale. Ne supposerait-elle pas que les tribunaux ne soient pas libres de rechercher le(s) fondateur(s) ? Cependant, ainsi que le note M. GERMAIN et M. VOGEL151 , cette interprétation stricte présente un grave inconvénient parce qu'il saurait trop facile de faire accomplir les opérations de la fondation par un insolvable.

D'une part, le problème de la qualité de fondateur d'une société est fondamental du point de vue la responsabilité civile et pénale de ceux-ci, d'autant plus que leur responsabilité a été sensiblement accrue depuis 1966 en vue de renforcer la sécurité des tiers à l'occasion des opérations de constitution.

Sur le plan civil, ils sont responsables du préjudice causé par le défaut d'une mention obligatoire dans les statuts, ainsi que par l'omission ou l'accomplissement irrégulier d'une des formalités prescrites pour la constitution : art.1840 al.1 c.civ. et art.7 de la loi de 1966. De plus, en cas de nullité de la société, l'art. 242 de la loi de 1966152 déclare solidairement responsable les fondateurs auxquels la nullité est imputable.

Sur le plan pénal, la loi sanctionne pénalement l'accomplissement de toutes les formalités de constitution : art.432 à 436 et art.480 de la loi du 24 juillet 1966.

D'autre part, il apparaît essentiel de déterminer le plus précisément le moment fixé comme point de départ de la société en formation, car ce sera celui à partir duquel l'acte passé, qui aurait produit ses effets à l'égard des fondateurs, pourra faire l'objet d'une procédure de reprise prévue aux articles 1843 du code civil et 5 de la loi du 24 juillet 1966. Cet engagement, personnel au début, peut devenir sociétaire153 . Finalement, les personnes agissant pour le compte de la société en formation peuvent ne pas se retrouver employeur154 , débiteur155 , emprunteur156 . C'est dire leur intérêt de voir fixer le début de cette formation le plus tôt possible157 .

Ceci étant, la société demeure elle-même tributaire de ces variations.

§2 : Pour la société

Tout d'abord la détermination du point de départ signifie une importante modification des mentalités. En effet, l'étape du projet vague, général, dans lequel "les parties envisagent éventuellement de s'associer mais ne sont pas d'accord sur les éléments essentiels de la future personne morale "158 , est dépassé. Dès lors la conclusion d'une promesse de société est possible, prévoyant la forme du groupement, sa durée, son objet, le montant des apports et la répartition des droits sociaux. Celui qui de manière abusive ne donnerait pas suite à une telle promesse engagerait sa responsabilité159 , " un peu comme en cas de rupture de fiançailles "160  ; la sanction ne consistant qu'en l'octroi de dommages et intérêts.

En outre, la fixation du point de départ permet de dater l'entrée officielle dans le régime des groupements prévus par les articles 1843 du code civil et 5 de la loi du 24 juillet 1966, ces articles visant " les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation ". Prétendre que la société est " en formation ", c'est admettre, par conséquent, l'existence de la principale des conditions de fond nécessaire à la reprise des engagements passés par les fondateurs161 .

La fiction légale, consistant à considérer les actes conclus par la société elle-même alors que seuls les fondateurs en ont pris l'initiative, ne fonctionne que si le cap du point de départ est dépassé. Par ailleurs, seuls les actes accomplis pendant cette période sont concernés.

Enfin, M. PLANTAMP162 cite un dernier argument en relation avec " l'écoulement d'un délai normal permettant à la société de parvenir à l'immatriculation " justifiant la transformation de la société en formation en une société créée de fait. Ainsi " la fixation le plus exact possible du point de départ de la période de formation permet d'en mesurer précisément la durée et revêt ici toute son importance (…) De la mesure précise du temps passé dépend l'octroi d'un régime juridique ".

Le changement produit également des effets sur les tiers.

§3 : Pour les tiers

La position des tiers en rapport avec des personnes ayant agi au nom de la société en formation est fragile, ce qui explique la protection particulière qui leur est accordée par le législateur. Une variation du point de départ de la période de formation peut aboutir à une modification de leurs droits et de leurs obligations.

Si les tiers sont créanciers de la future société : le point de départ doit se situer le plus tôt possible dans le processus de formation. Il faut rechercher le moment le plus éloigné de l'immatriculation au R.C.S. Le but poursuivi consiste à élargir évidemment au maximum les garanties potentielles et à remplacer des patrimoines individuels par un patrimoine collectif à titre de garantie.

D'une part, si la société est immatriculée et qu'elle reprend les actes passés, cela signifie que les risques encourus ont été moindres ou nuls, puisque très tôt la garantie de la personne morale existait déjà potentiellement.

D'autre part, si la société est immatriculée mais qu'elle ne reprend pas ou refuse de reprendre les engagements, les créanciers peuvent espérer le secours de la solidarité imposée aux fondateurs ayant participé à l'acte.

Enfin, si le groupement n'est pas immatriculé, la sauvegarde des droits des créanciers commande que l'on puisse recourir le plus rapidement possible à la qualification de société en participation.

La finalité recherchée, dans tous les cas, consiste à éviter la responsabilité individuelle de la personne isolée dont la surface financière n'offre souvent que peu de sécurité. Il s'agit d'éviter une opération de fondation trop hâtive, où le fondateur n'engagerait que lui-même163 .

Si les tiers sont débiteurs ou redevables, vis-à-vis de la future société : l'intérêt est de situer le point de départ le plus tard possible au plus près de l'immatriculation, position inverse de celle défendue précédemment. L'idée est de réduire au maximum la durée de la formation qui équivaut pour certains à l'imposition de contrainte.

Pour l'administration fiscale, la période de formation est en principe synonyme de faveurs et d'allégements. Si les conventions translatives de propriété ou de jouissance conclues pour le compte de la société en formation sont considérées comme parfaites au regard des droits d'enregistrement et réalisées par la personne qui les a passées, il est admis que les articles 5 de la loi du 24 juillet 1966, 26, 27, 67 et 74 du décret du 23 mars 1967 ont pour effet de supprimer l'exigibilité de toute imposition164 en raison du transfert ultérieur des droits précédemment acquis, lors de la reprise par la société165 . La condition à respecter demeure que la convention ait été passée pendant la période de formation et qu'elle contienne tous les éléments nécessaires à l'identification de celle-ci166  ; car, si l'acte était antérieur au point de départ, l'administration fiscale serait alors fondée à admettre l'existence de deux mutations et à les taxer en conséquence.

De même, la préoccupation est identique pour ceux qui se sont portés caution de la réalisation des engagements à partir du début de la période et qui ont limité leur garantie au stade de l'immatriculation au R.C.S, aussi bien des tiers que les futurs dirigeants tentant de faciliter le décollage de leur entreprise167 .

Après avoir examiné les enjeux de la détermination précise du point de départ de la formation d'une société, il convient de d'exposer les différentes solutions rendues en la matière.

Section 2 : Solutions proposées



Le pluriel se doit d'être employé, car, non seulement la loi ne définit pas le point de départ de la société en formation168 , mais encore aucune solution unanime n'existe. On trouve ainsi diverses propositions qui se regroupent en trois grandes catégories : celle de l'administration fiscale, celle des auteurs (bien que plusieurs solutions soient envisagées), et celle de la jurisprudence. Une étude sera consacrée à chacune de ces propositions.

Ceci pose un véritable problème, dans la mesure où la fiction légale qui répute l'acte passé par la société alors qu'il l'a en fait été par un tiers, ne joue, aux termes mêmes de la loi, qu'à l'égard des sociétés " en formation ".

§1 : Position de l'administration fiscale

Elle est exprimée clairement dans le Bulletin officiel de l'Enregistrement et du Domaine169 . Elle estime indispensable qu'un acte opposable aux tiers ait été accompli, et que cet acte soit inhérent à la procédure de constitution établie par des dispositions législatives et réglementaires. Par conséquent, la période de formation commence :

- Pour une société par action faisant publiquement appel à l'épargne : à compter du jour du dépôt au greffe du tribunal de commerce du projet de statuts (article 74 al.1 de la loi du 24 juillet 1966) ; - Pour une société ne faisant pas appel public à l'épargne ou une S.A.R.L : à la date du dépôt des fonds provenant des souscriptions (article 85 et 38 al.4 de la loi de 1966, articles 62 et 22 du décret du 23 mars 1967) , ou en cas d'apport en nature, à la date de désignation des commissaires aux apports (articles 86 al.1 et 40 de la loi de 1966) ; - Pour les sociétés de personnes : à la date de signature du pacte social.

" L'administration fiscale considère que la simple intention de constituer une société, et même que l'engagement dans ce but de pourparlers entre les futurs associés ne permettent pas d'établir que le processus de formation soit engagé "170 .

D'une part, on se rend compte que ce critère offre un avantage indéniable : celui de la simplicité. D'autre part, il est également restrictif, ce qui peut s'expliquer par la volonté de l'administration fiscale de ne pas étendre de manière trop importante les faveurs accordées171 .

Cette position est critiquable172 .  La société en formation pouvant avoir une activité sociale, limitée ou non, les partenaires n'hésitant pas en effet à conclure un certain nombre d'actes173 , la protection des tiers174 se doit d'être assurée le plus tôt possible. Or protéger les tiers seulement à partir de ces actes semble insuffisant.

De plus, cette solution apparaît artificielle175 , illogique176 , arbitraire177 , parce qu'une liste limitative d'actes matériels détermine si la société est en formation, sans tenir aucun compte de la psychologie ayant pu animer les auteurs de ces actes.

Enfin, rien dans la loi du 24 juillet 1966 et dans le décret du 23 mars 1967 ne permet de corroborer cette thèse. Aucun article ne fixe expressément ou implicitement, le point de départ de la société en formation. Si les articles 22 al.1178 et 62 al.1179 du décret du 23 mars 1967 parlent de société en formation, il ne semble pas qu'il faille tirer de grandes conclusions de cette référence, non seulement elle apparaît indicative, mais encore elle ne concerne que le problème de la " constitution des sociétés anonymes "180 et non celui du point de départ de la société en formation. Finalement, l'administration fiscale comprend le terme de formation comme celui de constitution, c'est pourquoi elle se réfère à des articles traitant de la constitution des sociétés. Cependant une telle assimilation ne se justifie guère.

§2 : Position de la doctrine

Les débats doctrinaux ont été nombreux et abondants sur la qualification juridique possible de cette période présociale, que l'on ait pu y voir un avant-contrat, une société douée d'une personnalité morale interne, ou une société constituée mais dénuée de personnalité.

Deux courants d'idée se dégagent, et vont être étudiés successivement.

A - Application de la solution de l'administration fiscale

Cette thèse est défendue par plusieurs auteurs.

Tout d'abord, M. DAGOT181 qui remarque que les " règles, établies par le droit fiscal, sont évidemment transposables sur le plan du droit commercial (...) De toute manière, l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 exige que la société soit en formation ; et la notion de société en formation affirmée par le droit fiscal se trouve en définitive moulée sur les règles commerciales ; on peut donc en admettre les solutions sur le plan du droit commercial, et affirmer que peuvent être repris les engagements qui ont été souscrits postérieurement à l'accomplissement de l'un des actes inhérents à la procédure de constitution établies par les dispositions législatives et réglementaires, sous réserve que les autres conditions et, notamment, les conditions de forme, soient réunies ".

D'autre part, MM. HEMARD, TERRE et MABILAT182 exclut que " la seule intention de constituer une société, voire de simples pourparlers, suffisent à donner naissance " à une  société en formation, et applique la solution du droit fiscal.

Enfin, Mme GUILBERTEAU183 adopte une semblable attitude, car lorsqu'elle distingue les deux périodes de la société en formation, elle fixe le début de la première, donc finalement le point de départ, au " dépôt au greffe des statuts pour les sociétés anonymes faisant publiquement appel à l'épargne, et pour les autres sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée, des premiers dépôts des fonds provenant des souscriptions ou au cas d'apports en nature, de la désignation des commissaires aux apports (…) ".

Cette attitude doctrinale n'est pas satisfaisante. En effet, outre qu'elle s'expose aux critiques qui ont été faites à propos de la solution adaptée par l'administration fiscale, elle est marquée par l'absence de justification à l'application du droit fiscal, MM. HEMARD, TERRE, MABILAT184 , et Mme GUILBERTEAU185 se contentant de renvoyer à la note de M. DAGOT.

B - Application d'une solution de fait

Une première constatation mérite d'être faite : " (…) il ne semble pas possible de déterminer avec précision le moment à partir duquel la société est en formation, s'agissant d'une question de fait laissée à l'appréciation des juges du fond. Toutefois, on remarquera que le début de la période de " formation " est certainement antérieure à la constitution, ce que confirme l'article 6 du décret n°78-704 qui prévoit de présenter aux associés, avant la signature des statuts (donc avant la constitution), l'état des actes accomplis " pour le compte de la société en formation " 186

De plus, on constate que dans la majorité des cas la création économique de l'entreprise ne coïncide pas avec la constitution de la société. Ainsi, la volonté économique d'entreprendre le plus tôt possible se manifeste parfois bien avant les premières opérations constitutives, et se concrétise de façons diverses : dépôt de marques, prise de brevets, étude de marchés, négociation de crédits bancaires, sollicitation d'autorisations administratives,… D'ailleurs, dans le domaine bancaire, la majorité des pourvoyeurs de crédits semble admettre facilement le fait et accorder des financements aux sociétés ayant commencé leur activité avant leur immatriculation187 .

A côté de MM. DE JUGLART, IPPOLITO, PONTAVICE, DUPICHOT, d'autres auteurs188 défendent l'idée que le point de départ de la société en formation est indépendant d'un acte opposable aux tiers, et se détermine au vu des circonstances de chaque espèce sans toutefois que se dégage une unanimité :

M. SORTAIS189 , s'il se montre critique vis-à-vis de la solution de l'administration fiscale, trop étroite selon lui ; donne une solution large. Il fixe en effet le point de départ aux " premières initiatives ". Cependant M. SORTAIS ne définit pas ce qu'il faut entendre par une cette expression, n'apportant aucune précision sur ce qui permettrait d'établir un tel fait.

M. CHAPUT190 offre une solution proche en retenant uniquement " la volonté de créer une société ". Il apparaît que cet auteur se contente d'un seul élément : l'intention de créer une société, la matérialisation de l'acte n'étant exigée qu'à titre de preuve et non comme une condition de la détermination du point de départ.

Ces deux propositions, se situant à l'opposé de celle étroite de l'administration fiscale, nous paraissent trop vagues pour pouvoir être retenues.

M. DAUBLON191 dégage un double critère pour que la période de formation d'une société ait commencé :

- Un désir de constituer une société.

- Une manifestation de cette intention, qui est entendue de manière large, pouvant être aussi bien écrite que verbale192 .

M. PLANTAMP193 se réfère à " deux critères empiriques très complémentaires " :

- La  volonté de participer à une entreprise commune manifestée clairement  : il faut constater, dans un premier temps, qu'existe une volonté autonome de participer à la constitution de la personne morale et à la vie sociale ultérieure, de s'engager personnellement et de façon positive ; tout dépend alors du degré d'intensité du dessein des fondateurs. Dans un second temps, il est nécessaire qu'existent des démarches contractuelles de nature à rapprocher définitivement les volontés de chacun, qu'il s'agisse de pourparlers, d'échange de correspondances, d'un projet de société ; la réalisation de tels événements révèle la manifestation d'une volonté commune d'entreprendre.

- Des actes nécessaires, univoques, et exceptionnels, émanant des fondateurs : ils doivent premièrement préparer l'exploitation sociale de façon précise et efficace. Deuxièmement, leur finalité est de matérialiser, par une opération concrète, la volonté de créer la société. Troisièmement, ces actes ont une force d'impulsion, de conception, qui les place au départ de toute initiative.

Ces auteurs se rallient à l'attitude de M. DAUBLON194 , en exigeant des partenaires, à la fois, la volonté de constituer une société et la matérialisation de cette intention " sans équivoque ". Contrairement à ce dernier, aucun n'a semble-t-il soulevé le problème de la manifestation verbale de cette intention, si ce n'est M. PLANTAMP195 lorsqu'il intègre les pourparlers dans la volonté196 . Les mots " formalités ", " actes ", font penser en effet à une certaine matérialité de la manifestation. Or, a priori, rien n'empêche que cette dernière soit orale, toutefois la preuve s'en révélera alors plus complexe.

Cette position nous paraît la meilleure pour de nombreuses raisons : elle prend en compte la psychologie des partenaires qui distingue la société en formation de la société créée de fait et de la société en participation ; elle facilite la preuve de cette volonté en obligeant les associés à une démonstration ; elle est protectrice, à la fois, des partenaires et des tiers puisque cette intention est portée à leur connaissance ; elle est conforme à l'idée qu'une société en formation puisse avoir une certaine activité.

M. GERMAIN et M. VOGEL197 ont une solution quelque peu différente. Ils distinguent deux hypothèses :

- Pour les sociétés anonymes faisant publiquement appel à l'épargne : le point de départ est le dépôt du projet de statuts au greffe du tribunal de commerce, parce qu'il s'agit d'une " formalité officielle caractéristique ".

Pour les autres sociétés : " il faut prendre en considération toute opération manifestant de façon non équivoque la volonté des fondateurs ou futurs des associés de créer la société (…) à l'exclusion de simples pourparlers ". 

D'un côté, cette différence, entre la S.A faisant appel public à l'épargne et les autres sociétés, peut s'expliquer par le fait que la S.A faisant publiquement appel à l'épargne est l'objet d'une réglementation particulière198 , ce qui justifierait un " traitement spécial ".

D'un autre côté, rien ne justifie textuellement une telle différence. L'article 74 al. 1, s'il concerne la constitution de la S.A avec appel public à l'épargne, ne vise pas à proprement parler la formation de cette société. De plus, les articles 1843 du c. civ. et 5 de la loi de 1966 ressortent du domaine du droit commun des sociétés, régissant aussi bien les S.A faisant appel public à l'épargne que les autres formes de société. Par conséquent, il n'y a pas à distinguer entre les formes de société pour déterminer le point de départ de la formation199 . Enfin, l'argument étayant la thèse de ces auteurs paraît fragile. Ils avancent qu'il s'agit du " premier acte officiel de la constitution "200 . Or est-ce que le fait qu'un acte soit la première formalité officielle induit nécessairement que la société soit formée ?

Par rapport à la conception fiscale, on se situe aux antipodes puisque au lieu de déterminer le point de départ de la société en formation à partir d'un critère purement matérialiste et abstrait, il dépendra des circonstances de la cause. Certes s'il faut toujours un acte matériel, à la différence de la position précédente, cet acte n'est pas prédéfini et est insuffisant à lui seul. Cette position s'inscrit donc dans un cadre plus libéral, permettant une adaptation aux faits. Mais il ne faut pas rejeter les critères du droit fiscal, et leur ôter toute valeur ; on pense en effet qu'ils doivent être admis en tant qu'élément complémentaire de l'acte matériel, facilitant sa démonstration.

§3 : Position de la jurisprudence

Plusieurs arrêts peuvent être cités qui marquent la tendance de la jurisprudence commerciale à s'écarter de la définition étroite de la période de formation, qu'avait, par exemple, admis en 1981 la cour d'appel de Paris201  :

- L'arrêt de 1977202 de la Cour de cassation a relevé que de simples pourparlers étaient suffisants pour caractériser l'existence d'une société en formation.

- La cour d'appel de Rouen, le 5 juillet 1974203 , a considéré qu'une société était en formation en relevant divers indices : correspondance entre les fondateurs tendant à la création de cette société, annonce dans la presse de l'activité envisagée, ouverture d'un compte, rédaction d'un projet de règlement intérieur.

- La cour d'appel de Paris204 , le 26 avril 1984, indique que " pour qu'une société en formation existe, il n'est pas indispensable que le contrat de société ait été signé ; il suffit que l'activité sociale ait commencé ".

Contrairement à la position prise par l'administration fiscale, la reconnaissance d'une société en formation n'impose pas la signature préalable des statuts. Toutefois, un certain nombre d'actes est nécessaire.

La cour d'appel de Rouen, dans un arrêt du 6 décembre 1990205 , précise que le fait pour un entrepreneur individuel d'avoir choisi le nom de la société qu'il avait en projet et d'en avoir fait un usage prématuré et intermittent ne suffit pas à faire considérer cette société comme étant en formation.

Les magistrats imposent, par conséquent, un minimum d'initiative en vue de la création d'une société.

L'arrêt du 24 septembre 1991206 , s'intéressant à la qualité de fondateur, mérite d'être cité. En effet, la cour d'appel de Paris a considérer que par la signature d'un protocole d'accord le 4 février 1987, les partenaires étaient fondateurs. Le point de départ se situe ainsi au protocole d'accord.

La cour d'appel de Paris se montre prudente, conformément à l'arrêt du 6 décembre 1990207 , en exigeant un contenu suffisant de l'acte : le protocole est, en effet, " l'aboutissement de pourparlers entre les deux signataires remontant de l'année précédente et au cours desquels M. Bourassier avait élaboré le 30 septembre 1986 un " projet de développement Rhône-Alpes Eurolingua " extrêmement précis comportant une analyse des ventes, un projet de statuts simplifiés et un plan d'action commerciale ".

- La cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 13 novembre 1998208 , reconnaît implicitement qu'une société peut être en formation sans que les conditions, posées par le droit fiscal, soient respectées. En effet, elle n'exclue pas cette qualification parce qu'aucun acte opposable aux tiers n'a été accompli.

De ces décisions, il ressort que toute une série de contrats sont déterminante de l'ouverture de la période de formation, sans que puisse être dressée une énumération exhaustive de ces actes209  : engagement de personnels salariés210 , usage d'un papier commercial à en-tête, voir d'un timbre humide à sa dénomination211 , la démarche de la société dans la commande d'un chantier à un sous-traitant212 .

A côté de ces contrats, deux autres types de comportements sont également rapportés : l'apport par les fondateurs de " tout le potentiel de leurs activités respectives "213 , de leur capital ou de leur industrie214  tout d'abord ; l'ouverture d'un compte bancaire directement au nom de la société en formation, spécialement lorsque le banquier " a des raisons suffisantes de penser que le processus de constitution sera mené à son terme "215 ensuite.

Deux remarques peuvent être faites. En premier lieu, l'ouverture de la période de formation n'est déterminée qu'au vu des circonstances de chaque espèce. En second lieu, on constate que si les juridictions se détachent de la solution de l'administration fiscale en exigeant un acte matériel univoque non prédéfini, elles ne font aucune référence expressément à la volonté animant les partenaires. En apparence, elles semblent donc se séparer par-là de la doctrine majoritaire considérant qu'il est nécessaire de réunir deux éléments : une volonté de créer la société et un acte qui la caractérise. En réalité, il est plus juste de penser que les juges, de par les actes qu'ils exigent, en induisent cette volonté. Les deux conditions sont toujours présentes, toutefois les magistrats vérifient en étudiant l'acte, non seulement l'élément matériel du point de départ, mais encore l'élément volontaire. Il serait plus satisfaisant que les juridictions envisagent séparément ces deux éléments.

Une autre solution serait envisageable : adopter un raisonnement identique à celui des actions en recherche de paternité ou à fin de subsides, en droit de la famille ; c'est-à-dire utiliser une présomption de la même nature que celle de l'article 311 du code civil216 . Ainsi, dés lors qu'un acte aurait été accompli dans un délai précédent l'immatriculation, existerait une présomption suivant laquelle l'acte est censé être passé pour une société en formation. Cependant, bien que la comparaison entre les dates de possible conception d'une personne physique et d'une société soit concevable, la réalité et la variabilité du fait économique obligent à rejeter une telle attitude.

Après s'être intéressé aux éléments caractérisant une société en formation, il convient d'étudier, dans un second titre, le fonctionnement d'une telle société, et par conséquent de mettre l'accent sur l'enjeu de la qualification de société en formation.


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