JURIPOLE DE LORRAINE

Serveur d'Information Juridique

Réalisé par Alexis BAUMANN


LA SOCIETE EN FORMATION
Ivan TCHOTOURIAN



Introduction





Le législateur français, en procédant à la refonte du droit des sociétés commerciales et des sociétés civiles par les lois du 24 juillet 1966 et du 4 juillet 1978, a poursuivi divers objectifs:  coordonner et simplifier un droit vieilli, codifier une législation éparse dans de multiples textes, améliorer la protection des associés et renforcer leur contrôle.

A ces objectifs purement nationaux devaient s'en ajouter d'autres.

En premier lieu, il fallait tenir compte des droits des pays membres de la communauté économique européenne. D'une part, le droit allemand précise que les opérations effectuées au nom des sociétés par actions ou des S.A.R.L, avant leur inscription, engagent leurs auteurs personnellement et solidairement ; d'autre part, le droit suisse n'admet la reprise des engagements et la libération des fonds que pour la S.A et la S.A.R.L1.

En second lieu, l'influence du droit communautaire n'était pas à négliger puisque c'est la directive communautaire du 9 mars 1968, dans ces articles 10 et 112, qui explique l'insertion de la règle selon laquelle les sociétés ne jouissent de la personnalité morale qu'à compter de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés3.

Cette innovation a entraîné l'apparition, dans le processus de formation des sociétés, d'une sorte de " temps mort " représenté par le délai compris entre la fin de la phase conventionnelle et le jour de l'immatriculation. Finalement, bien que dotée de tous les éléments nécessaires à son fonctionnement, une société ne pourra exercer aucune des prérogatives attachées à la personnalité morale. Cependant une telle conséquence s'avère problématique sur plusieurs points.

Tout d'abord, n'aurait-il pas été plus réaliste, eu égard aux impératifs de la vie économique, de donner à la société la possibilité d'agir pour lui permettre d'anticiper et de préparer son entrée dans le monde des affaires4 ?

D'autre part, s'il fallait éviter d'un coté que l'avenir de la société ne soit compromis par des engagements trop lourds contractés en son nom, il était légitime d'un autre coté d'éviter que ceux qui avaient agi pour le compte de la société n'en supportent les conséquences5.

La difficulté d'appréhender cette période particulière de la vie des sociétés s'est retrouvée au cours des travaux parlementaires concernant la loi du 24 juillet 19666 qui débouchèrent sur l'adoption de l'article 5 al.27 : " Les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dés l'origine par la société "8.

Malgré l'existence de cette réglementation, témoignant une certaine prise de conscience de l'importance de la période de formation, elle apparaît insuffisante par rapport aux multiples enjeux de cette période, et nécessite de ce fait diverses précisions9.

Les intérêts du concept de société en formation apparaissent en effet sur plusieurs plans :

- Intérêt "légal", puisque la loi10 évoque de manière directe et sans la définir la société en formation dans les articles 1843 du code civil (concernant toutes les sociétés), 5 al.2 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, 6 al.1 et al.4 du décret du 4 janvier 1978 sur les sociétés civiles, 26, 66, et 74 du décret du 23 mars 1967 concernant les sociétés commerciales.

- Intérêt pour les partenaires afin de déterminer qui sera tenu pour responsable de l'engagement que l‘un d'entre eux aurait pu passer avec un tiers.

- Intérêt également du côté des créanciers, pour qu'ils sachent contre qui se retourner : doivent-ils, en effet, agir contre celui ou ceux qui ont souscrit tel contrat ou, seulement contre la société ?

- Intérêt " historique " : pendant longtemps les juges ont admis que l'on pouvait ouvrir une procédure de règlement judiciaire ou de liquidation de biens à l'encontre de certaines sociétés dépourvues de la personnalité morale, mais non contre une société en formation. Aujourd'hui, seules les sociétés dotées de la personnalité morale peuvent faire l'objet d'une procédure de redressement et de liquidation judiciaire11.

- Intérêt " intellectuel ", dans la mesure où il apparaît étonnant qu'une notion si importante, que l'on retrouve au coeur de si nombreux litiges, ne fasse pas l'objet d'une définition unanime, aussi bien en doctrine qu'en jurisprudence.

Au vu du rôle central joué par la société en formation12, il conviendra, dans un premier temps, de la différencier d'autres formes sociales (titre 1), puis dans un second temps d'en préciser les règles de fonctionnement aussi bien internes qu'externes (titre 2), et enfin dans un troisième temps, de s'intéresser au statut des associés de cette société non encore dotée de la personnalité juridique (titre 3)13.


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