LA REPARATION EN NATURE
Isabel LOPES



DEUXIEME PARTIE



CHAPITRE II- LES LIMITES A LA LIBERTE DE PRONONCER UNE REPARATION EN NATURE



Le principe posé est celui de la faculté pour les juges du fond, en présence d'un dommage réparable, de prononcer une réparation en nature. S'agissant d'une faculté, ses limites ont deux acceptions ; il peut s'agir, d'une part, d'une interdiction de prononcer cette modalité, et, d'autre part, d'une obligation de la prononcer.

Un rapprochement avec le droit administratif s'impose lorsque l'on envisage l'hypothèse de l'interdiction de prononcer des mesures en nature. En effet, il était impossible pour le juge administratif d'ordonner de telles mesures à l'encontre de l'administration. Certes, cette impossibilité n'est plus aussi absolue qu'auparavant, mais l'allocation d'une somme en argent demeure, en principe, le seul mode de réparation retenu par le droit administratifZZZ. Nous avons vu que le principe était inversé en matière civile puisque les juridictions judiciaires ont la faculté de prononcer la réparation en nature. Cependant, dans certaines hypothèses, des obstacles s'opposent à son prononcé (Section 1).

Quant à l'obligation de prononcer une réparation en nature, elle résulte de discussion doctrinale sur le pouvoir souverain des juges du fond dans la détermination des modalités de réparation. En effet, pour certains, ce pouvoir serait absolu, ne serait pas soumis au contrôle de la Cour de cassation. Pour d'autresZZZ, la liberté des juges serait réduite ; il existerait une hiérarchie entre les différents types de réparation ; la supériorité des mesures en nature (permettant la disparition du préjudice) sur la réparation pécuniaire (qui n'a qu'une fonction compensatoire) conduirait à imposer au juge de prononcer la réparation en nature possible et demandée par l'une des parties. Enfin, allant encore plus loin, Mlle ROUJOU DE BOUBEEZZZ reconnaît un caractère obligatoire à la réparation en nature lorsqu'elle permet un retour à la légalité en tarissant la source du dommage. S'il a maintenu, en son principe, le pouvoir souverain des juges du fond en la matière, notre droit positif a néanmoins reconnu que, dans certaines hypothèses, la réparation en nature s'imposerait au juge (Section 2).

SECTION 1: LES OBSTACLES A LA REPARATION EN NATURE.


Le droit commun de la responsabilité civile ne pose en aucune façon une quelconque priorité d'une modalité de réparation sur une autre. Cependant, il existe des hypothèses dans lesquelles seule la réparation pécuniaire est envisageable. D'une part, l'article 1142 du Code civil a semblé poser le principe de l'exclusion de la réparation en nature, en ce qui concerne les obligations de faire ou de ne pas faire (§1). D'autre part, la réparation en nature est parfois impossible (§2).

§1 : L'exclusion de principe de la réparation en nature posée par l'article 1142 du Code civil.


En vertu de l'article 1142, "toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur". L'emploi des termes " dommages et intérêts" a été interprété comme portant prohibition de prononcer une quelconque mesure en nature. Au 1er abord, la lecture du texte semblerait indiquer qu'une telle interdiction doit s'appliquer à toutes les obligations de faire ou de ne pas faire. Cependant, cette conception a été contestée dès l'origine du Code civil. Doctrine et jurisprudence ont cherché à réduire le champ d'application de cet article (A)ZZZ. Néanmoins, certaines décisions prétoriennes récentes semblent réanimer le principe de l'exclusion de la réparation en nature(B).

A. Le champ d'application de l'article : une peau de chagrin.


Si, autrefois, la portée de cet article avait soulevé quelques hésitations, aujourd'hui il ne fait plus de doute qu'il y a lieu de l'interpréter de façon restrictive (1), comme en témoignent d'ailleurs le développement des hypothèses de contraintes permettant d'obtenir réparation en nature (2).

1. L'interprétation restrictive : La réparation pécuniaire obligatoire uniquement pour les obligations "personnelles".


Notre ancien droit connaissait la prohibition de la réparation en nature en cas d'inexécution d'obligations contractuelles de faire (ou de ne pas faire). Cette règle était exprimée sous la forme d'un adage latin "Nemo praecise potest cogi ad factum" (Pas de contrainte directe dans l'obligation de faire)ZZZ."Personne ne peut être contraint à accomplir un fait, parce que cela ne peut se réaliser sans violence, ni pression et, pour cette raison, le paiement de la valeur de ce qui est dû remplace l'obligation de faire" : telle était la justification de cette règle donnée par Antoine FABREZZZ. L'interdiction de la réparation en nature était donc fondée sur le respect de la liberté individuelle. Si, à la fin de l'ancien régime, le droit avait été amené à réduire son champ d'application, les rédacteurs du Code civil n'ont pas entériné cette évolution, bien au contraire ils sont revenus à plus de rigueur. Mais n'y-a-t'il pas alors contradiction avec le principe de la force obligatoire des contrats, posé par l'article 1134 de ce code ? La liberté individuelle doit elle prévaloir sur le respect de la parole donnée en toute hypothèse ?

Certains auteurs ont conféré une portée absolue à l'article 1142 ; ils en déduisaient que "l'obligation de faire [était] une obligation facultative : le débiteur [devait] à titre principal l'estimation pécuniaire, et [pouvait] s'il le [désirait], se libérer, en accomplissant le fait prévu par le contrat"ZZZ. L'obligation de faire a aussi été qualifiée d'alternative ; son objet consistant soit à adopter l'attitude promise ou, au gré du débiteur, à verser des dommages-intérêts. Cependant, une telle lecture de l'article 1142 du Code civil priverait le principe de la force obligatoire des engagements contractuels de toute efficacité , et ce au nom de la liberté individuelle. Or, il est apparu excessif d'affirmer que cette liberté était menacée, dans tous les cas de contraintes exercées sur le débiteur. Forcer ce dernier à livrer une chose est ce véritablement porter atteinte à sa liberté individuelle? On peut en douter. C'est pourquoi la doctrine, suivie par la jurisprudence, a privilégié une interprétation restrictive de l'article 1142.

La prise en considération de l'inviolabilité de la personne humaine conduit à écarter la possibilité d'obtenir une exécution forcée de l'obligation de faire (et par conséquent celle de réparer son inexécution en nature) lorsqu'une telle exécution risque de porter atteinte à une liberté essentielle du débiteur. Pour M. JEANDIDIER, l'article 1142 assure "une protection relative tenant aux moyens" ; "seuls sont interdits les procédés d'exécution brutaux, impliquant une atteinte inadmissible à la personne humaine. En revanche, la contrainte indirecte ne suscite pas la même réprobation et il est légitime d'y recourir sous peine de ruiner le principe de la parole donnée"ZZZ.La jurisprudence a entériné ce compromis, réduisant ainsi le domaine d'application de l'article 1142 du Code civil. En effet, la chambre civile de la Cour de cassation, le 20 janvier 1953, a affirmé que "ce texte ne peut trouver application qu'en cas d'inexécution d'une obligation personnelle de faire ou de ne pas faire"ZZZ ; l'obligation à caractère personnel étant celle pour laquelle l'exécution forcée risquerait de porter atteinte à une liberté jugée essentielle. Le Doyen CARBONNIER parle, en l'occurrence, d'obligations qui mettent en jeu "les qualités irréductiblement individuelles du débiteur"ZZZ.

Le domaine d'application de l'article 1142 du Code civil s'est ainsi trouvé réduit, pour l'essentiel, aux contrats relatifs aux activités de l'esprit et aux activités artistiques. Ainsi, on ne saurait contraindre un peintre qui refuse d'exécuter le portrait qui lui a été commandé, "l'inspiration pourrait prendre ombrage d'être rudoyée"ZZZ. De même, aucune mesure de contrainte ne peut être exercée pour forcer un peintre à livrer le tableau qu'il a achevé mais qu'il juge indigne de luiZZZ. Conduire un comédien sur scène par la force est également inadmissible. Les obligations de faire découlant de contrats portant sur le travail humain, en dehors de toute considération artistique, présentent également un caractère personnel rendant obligatoire le prononcé d'une condamnation pécuniaire. C'est, ici, la liberté physique du débiteur qui est en cause. On ne pourrait imposer à un salarié, ayant démissionné de façon abusive, de reprendre le travail à titre de réparation.

La jurisprudence applique l'article 1142 dans des situations, somme toute, assez marginales, réduisant ainsi à une peau de chagrin son domaine. Par conséquent, ce texte n'est pas un obstacle majeur au prononcé de la réparation en nature, comme le manifeste par ailleurs le développement des mesures de contraintes indirectes sur le débiteur.

2. Le développement des mesures de contraintes.


Dorénavant, toute obligation de faire doit être, en principe, exécutée. Les juridictions disposent, de plus en plus, à l'encontre du débiteur de moyens de l'y contraindre.

Il a d'ailleurs été admis que les juges avaient la possibilité de prononcer la réintégration des salariés protégés irrégulièrement licenciés (en cas d'absence d'autorisation administrative ou en cas d'avis défavorable au licenciement de cette autorité). La jurisprudence traditionnelle avait vu, en la matière, une obligation de faire non susceptible d'exécution forcée par application de l'article 1142 du Code civil ; et ce afin de sauvegarder l'autorité patronale et la liberté de l'employeur. Cette solution était vivement critiquée car elle aboutissait à restituer à l'employeur le droit de rupture unilatérale que lui ôtait le statut protecteur des représentants du personnel. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation a conduit la chambre sociale à modifier sa position. En effet, le 28 mai 1968, la première jugea que le chef d'entreprise qui ne réintégrait pas le représentant du personnel après une décision défavorable au licenciement de l'inspecteur du travail se rendait coupable d'un délit d'entrave à l'exercice des fonctions de déléguéZZZ. Cette infraction étant continue, elle ne cessait qu'au moment de la réintégration du délégué. Cette décision rendait indispensable un revirement de jurisprudence de la chambre sociale, car "l'application de l'article 1142 pouvait constituer désormais une infraction pénale !"ZZZ. Le revirement fut opéré par l'arrêt du 14 juin 1972ZZZ. Désormais le code du travail prévoit lui même la réintégration du délégué syndical (article L 412-9) ; du délégué du personnel (article L 425-3).

Au côté de la réintégration, mesure en nature qui concerne plus spécialement le droit du travail, existent d'autres moyens de pression, concernant le droit civil ; notamment l'astreinte et récemment l'injonction de faire.

L'astreinte, invention prétorienne, a été consacrée par la loi du 5 juillet 1972 modifiée par la loi du 9 juillet 1991 qui accroît encore le domaine d'application de cette nature. Cette technique consiste dans la condamnation du débiteur à payer au créancier, à titre de peine privée, telle somme d'argent fixée par le juge, fréquemment à raison de tant par jour de retard s'il s'agit d'une obligation de faire, ou par infraction constatée s'il s'agit d'une obligation de ne pas faire. Cela contraint le débiteur à s'exécuter puisque "il n'y a pas de fortune qui puisse résister à une pression continue et sans cesse accentuée ; la capitulation est fatale"ZZZ. Le développement des astreintes a été un facteur important du recul de l'article 1142 du Code civil. Il faut souligner que l'astreinte n'est pas, en soi, une réparation en nature. C'est davantage une mesure pécuniaire qui a une fonction comminatoire. Cependant, puisqu'elle aboutit à l'exécution en nature de l'obligation en nature, indirectement, elle amenuise la portée de l'interdiction de la réparation en nature en la matière.

L'injonction de faire, instaurée par le décret du 4 mars 1988 (article L 1425-1 à 1425-9 du nouveau Code de procédure civile) tend également à contraindre le débiteur récalcitrant à exécuter son obligation contractuelle, en nature. Elle n'est possible que si trois conditions sont réunies :

- L'obligation inexécutée doit avoir sa source dans un contrat et son objet doit être une prestation de service ou la livraison d'une chose ;

- Aucune des parties contractantes ne doit avoir la qualité de commerçant ;

- La valeur de la prestation , dont l'exécution est réclamée, ne doit pas dépasser le taux de compétence du tribunal d'instance, soit actuellement 30.000 Frs.

Cette procédure permet, sur simple requête, d'obtenir du juge d'instance, s'il estime la demande fondée, une ordonnance portant injonction de faire précisant l'objet de l'obligation, les délais et conditions dans lesquels celle-ci doit être accomplie. Il ne s'agit pas plus ici d'une réparation en nature que dans l'hypothèse de l'astreinte. En effet, l'ordonnance prévoit son échec en arrêtant une date d'audience pour la discussion du litige pour le cas ou le débiteur ne s'exécuterait toujours pas. Et, dans cette hypothèse, le tribunal d'instance ne pourrait prononcer que des dommages-intérêts. Toutefois, elle n'en constitue pas moins un moyen de pression sur le débiteur et elle condamne l'exclusion, a priori, de la réparation en nature en cas d'inexécution d'une obligation de faire.

La faible portée de l'article 1142 du Code civil conduit à se demander si ce texte n'est pas tombé en désuétude. Néanmoins, la jurisprudence récente démontre qu'il n'en est rien.

B. L'article ranimé par la jurisprudence récente.


Le domaine d'application de cet article est fort réduit et la jurisprudence avait d'ailleurs oeuvré en ce sens. Cependant, au cours de la dernière décennie, la Cour de cassation a repris comme fondement de certaines solutions le principe de la prohibition de la réparation en nature en ce qui concerne les obligations de faire. Ainsi, a-t-elle fait jouer l'article 1142 en cas de méconnaissance d'un pacte de préférence, d'une part (1), et en cas de rétractation d'une promesse unilatérale de vente avant la levée de l'option, d'autre part (2).

1 En cas de méconnaissance d'un pacte de préférence


Rappelons que le pacte de préférence est le contrat par lequel une personne s'engage envers une autre qui accepte, à ne pas conclure avec des tiers, un contrat déterminé avant de lui avoir proposé la conclusion aux mêmes conditions. Il se distingue de la promesse unilatérale puisque, en l'occurrence, le promettant ne s'engage qu'à proposer la conclusion de ce contrat au bénéficiaire pour le cas où il déciderait de le conclure. Le droit du bénéficiaire est qualifié de droit de priorité (ou de préemption d'origine conventionnelle) et non de droit d'option.

S'agissant d'un véritable engagement contractuel, le promettant, qui ne le respecte pas, engage sa responsabilité. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation est, d'ailleurs, venu préciser que la méconnaissance du droit du bénéficiaire par la conclusion d'un contrat avec un autre que lui, faisait naître "conformément aux règles de droit privé" l'obligation de réparer le dommage en résultant pour ce dernierZZZ. On est alors conduit à s'interroger sur la modalité de réparation envisageable. Doit-on se contenter de dommages-intérêts ou bien peut-on prononcer une réparation en nature (la réparation la plus adéquate semblant être la conclusion forcée du contrat au profit du bénéficiaire) ? Ainsi, certains juges du fond ont choisi de prononcer à titre de réparation la substitution au tiers (qui avait contracté avec le promettant) du bénéficiaire du pacte de préférence). Cependant, ces décisions sont traditionnellement censurées par la Cour de cassation : "si les juges du fond appelés à statuer sur la violation d'un pacte de préférence ont la liberté d'accorder le mode de réparation qui leur paraît le plus adéquat au dommage subi, ils ne sauraient cependant autoriser le bénéficiaire du pacte à se substituer purement et simplement au tiers acquéreur dans les droits que celui-ci tient de l'aliénation qui lui a été faite par le promettant"ZZZ. Cette jurisprudence fut confirmée, par la suite, notamment par un arrêt de la chambre commerciale du 27 mai 1986, statuant sous le visa de l'article 1583 du Code civilZZZ. Elle fonde ainsi la solution sur l'absence d'échange de consentements, l'une des parties ayant manifesté sa volonté d'acquérir, l'autre la volonté de ne pas vendre à celle-ci. Cette même formation, en 1989, tout en maintenant la solution, va modifier sa justification en visant l'article 1142ZZZ.

En l'espèce, les actionnaires majoritaires d'une société avaient conclu un pacte de préférence comportant en cas de cession d'actions par l'un deux, un droit de préemption au profit des autres, dans la proportion de leur participation respective et au prix obtenu de l'acheteur extérieur. Deux des actionnaires ont, par la suite, rompu le pacte et ont cédé leurs actions à une société extérieure qui se trouvait en mesure de prendre le contrôle de la société. Les autres actionnaires majoritaires se sont alors adressés à la justice. Les juges du fond (première instance et appel) ont ordonné aux actionnaires ayant méconnu le pacte de remettre aux autres des ordres de mouvements des titres concernés contre la remise du prix correspondant. En d'autres termes, les juges ont prononcé la substitution au tiers acquéreur des bénéficiaires du pacte. La chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel sous le visa de l'article 1142 ; elle prend soin de rappeler que "toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages-intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur". Elle sanctionne la juridiction d'appel d'avoir ordonné la substitution des bénéficiaires du pacte à l'acquéreur initial mais également d'avoir au préalable mis à néant les cessions passées en mépris du pacte sans avoir relevé l'existence d'une collusion frauduleuse entre les actionnaires et l'acquéreur extérieur.

Dans ses conclusions, M. Jéol critiquait la substitution à l'acquéreur des bénéficiaires du pacte au motif qu'elle était "difficilement compatible avec la nature juridique du pacte de préférence qui n'engendre que des obligations de faire, car elle conduit à attribuer un pouvoir de caractère réel sur le bien au bénéficiaire du droit de préemption"ZZZ. Le pacte de préférence ne confère qu'un droit personnel du bénéficiaire sur le promettant ; c'est ce caractère qui justifierait l'impossibilité de prononcer la substitution. On qualifie parfois le pacte de préférence de promesse unilatérale de contracter conditionnelleZZZ qui ne fait naître aucun engagement de contracter. Il y a seulement obligation de proposer la conclusion du contrat si l'on se décidait à contracter ou pas, et non dores et déjà, l'obligation de transférer la propriété d'un bien. Par conséquent il s'agit bien d'une obligation de faire.

Cependant, la critique majeure adressée à cette jurisprudence, est l'application de l'article 1142 dans son sens étroit. Certes, l'article 1142 du Code civil concerne les obligations de faire; nous avons vu qu'il ne prohibait la réparation en nature que dans l'hypothèse d'une obligation à caractère personnel, ce qui ne semble pas être le cas, en l'occurrence. En effet, permettre la substitution du bénéficiaire du pacte à l'acquéreur ne paraît pas constituer une contrainte inadmissible sur le débiteur. La motivation de la cour de cassation ne convainc pas la doctrine, favorable à cette réparation en nature. D'ailleurs, le rapport du sénateur MARINI sur la modernisation du droit des sociétés commerciales propose qu'un texte autorise le juge à annuler les actes accomplis en méconnaissance du pacte d'associé et à substituer le bénéficiaire de cet accord à l'acquéreur des titres irrégulièrement cédés.ZZZ

Cette jurisprudence apporte une vigueur nouvelle à l'article 1142. Elle poursuit d'ailleurs dans cette voie en harmonisant la solution en cas de rétractation du promettant avant la levée d'option d'une promesse unilatérale de vente à la solution précédente.

2.La rétractation d'une promesse unilatérale de vente avant la levée de l'option insusceptible d'être sanctionnée par une réparation en nature.


La question des effets de la rétractation d'une promesse unilatérale de vente par le promettant avant la levée de l'option a été l'occasion pour la Cour de cassation de revenir à une lecture stricte de l'article 1142 du Code civil.

En effet, dans un arrêt remarqué du 15 décembre 1993ZZZ, la troisième chambre civile a jugé que "tant que les bénéficiaires n'avaient pas déclaré acquérir, l'obligation de la promettante ne constituait qu'une obligation de faire et que la levée de l'option, postérieurement à la rétractation de la promettante, excluait toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir". Cette décision jurisprudentielle a soulevé de vives contestations de la part de la doctrineZZZ.

La première critique tient à la nature juridique de l'obligation du promettant. Par la promesse unilatérale de vente, le promettant s'engage envers le bénéficiaire à conclure la vente si celui-ci le lui demande dans un certain délai ; et l'obligation du promettant consiste alors à maintenir l'offre pendant ce délai. La Cour de cassation qualifie cette dernière d'obligation de faire. C'est cette qualification qui est remise en cause par les auteurs. Certains y ont vu une obligation de donner mais cela supposerait que le contrat de promesse soit translatif de propriété ; ce qui n'est pas le cas (la levée de l'option n'opère pas rétroactivement). Pour d'autre le droit d'option du bénéficiaire serait un droit potestatif ("le droit est potestatif lorsque le bénéficiaire est le seul maître de la situation ; sa déclaration unilatérale forme le contrat de vente"ZZZ). Cette conception ne peut pas plus être admise car, sinon ce droit serait opposable à tous et on ne pourrait opposer à son titulaire, une vente ultérieure conclue avec un tiers de bonne foi et régulièrement transcrite avant la levé de l'option. Enfin, pour Mme F. BENAC-SCHMIDT "l'obligation du promettant n'est ni une obligation de donner ni une obligation de faire mais une obligation spécifique non protégée par le législateur [.], les juges sont alors les seuls gérants du respect du contrat"ZZZ. Ce débat reste ouvert en doctrine et ce qui intéresse plus particulièrement notre matière est la conséquence que la Cour de cassation à déduit de la qualification de l'engagement du promettant en obligation de faire.

En effet, l'arrêt a rejeté toute possibilité d'exécution forcée (qui aurait permis d'effectuer la publicité foncière du jugement tenant lieu d'acte de vente). Il n'autorise que la condamnation à des dommages-intérêts, appliquant ainsi de façon stricte, l'article 1142 du Code civil. La plupart des auteurs ont critiqué cette application en rappelant la "maladresse rédactionnelle"de cet articleZZZ. Comme dans l'hypothèse du pacte de préférence, l'obligation du promettant ne semble pas ici mettre en cause les "qualités irréductiblement individuelles" du débiteur. C'est pourquoi les auteurs ont critiqué l'application en l'espèce de l'article 1142. Pour Dominique PRONIER, conseiller référendaire à la Cour de cassation (troisième chambre civile), cette application est justifiée. En effet, il faut revenir sur les fondements qui permettent à la Cour de cassation d'ordonner l'exécution en nature dans certains cas, c'est-à-dire sur les articles 1143 et 1144 du Code civil et plus particulièrement sur ce dernier qui se réfère à l'exécution en nature. Or ce texte, devant s'interpréter restrictivementZZZ ne s'applique que lorsque la vente est formée. Par conséquent, avant la levée de l'option, il n'y a pas lieu de l'appliquer. Le moment déterminant, en la matière, est donc celui de la levée de l'option. Avant celle-ci, la rétractation par le promettant, constituant un manquement à son obligation contractuelle, engage certes sa responsabilité mais ne peut cependant être sanctionnée que par l'allocation de dommages-intérêts. Par contre, après la levée de l'option, la promesse se transforme en vente ; donc en contrat translatif, et une réparation en nature peut être ordonnée. Cette argumentation n'est pas convainquante. Pourquoi n'applique-t-on l'article 1144 que lorsque la vente est formée ? La promesse unilatérale est, en soi, un contrat engendrant une obligation à la charge du promettant et corrélativement un droit pour le bénéficiaire, droit qui mérite protection. De plus, l'opportunité d'une telle solution a été mise en doute : "à quoi bon, [.] être doté d'une option si la pérennité de celle-ci dépend de la volonté du promettant, libre de décider du sort de la vente promiseZZZ. Par ailleurs, cette solution, rapprochant ainsi le régime de la promesse unilatérale de vente de celui de la simple offre de vente, prive d'utilité pratique un tel contrat. Cependant, la Cour de cassation, saisie d'une affaire qui lui aurait permis de revenir sur sa position, a décidé, le 26 juin 1996, de la maintenir implicitementZZZ.

Cette solution peut peser sur la sanction de la violation d'une promesse unilatérale de vente par un tiers qui achète le bien, objet de la promesse, en connaissant l'existence de cet avant-contrat, et ce avant la levée de l'option. La vente à un tiers ne constituerait-elle pas la manifestation de la rétractation du promettant ? Le promettant ne serait alors condamné qu'au versement de dommages-intérêts. Il semble donc impossible et inutile de prononcer l'inopposabilité de la vente à titre de sanction de la faute délictuelle commise par le tiers acquéreur.

L'article 1142 du Code civil, qui ne semblait plus devoir représenter un obstacle sérieux au prononcé de la réparation en nature, reprend vie dans la jurisprudence récente. Au côté de cet obstacle, dont la portée reste, par conséquent, incertaine, existent des hypothèses dans lesquelles la réparation non pécuniaire est, sans conteste, exclue car impossible.

§2 : La réparation en nature impossible.


L'objectif de la réparation est "de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit"ZZZ. La réparation en nature parait certes la plus adaptée et la mieux à même de parvenir à la réalisation de cet objectif. Cependant, il est parfois impossible de revenir au statu quo ante. Cette impossibilité peut être d'ordre matériel (A) mais également d'ordre juridique (B).

A. L'impossibilité matérielle d'une mesure en nature.


Alors que l'on se trouve dans une hypothèse où la réparation en nature n'est pas, a priori, exclue, seul le prononcé d'une condamnation à des dommages-intérêts est, cependant, matériellement concevable.

Cette impossibilité matérielle peut revêtir plusieurs formes. En effet, elle tient parfois de la nature même du dommage. Ainsi, en ce qui concerne le dommage corporel "la résurgence de la loi du Talion" est inadmissibleZZZ. On ne pourrait pas, par conséquent, réparer la perte d'un organe, par exemple d'un rein, par l'ablation du rein du responsable pour sauver la victime. De même, lorsque le préjudice tient à la perte d'un corps certain qui devait être livré, ce préjudice ne peut plus être réparé qu'en dommages-intérêts. En matière contractuelle, l'attitude du débiteur conduit également dans certains cas à générer une situation irréversible. Notamment lorsque l'obligation qui pesait sur lui était une obligation de faire enfermé dans un délai et que ce délai est expiré. Il est impossible de remonter dans le temps. L'inexécution est irrémédiablement consommée. L'exemple-type est celui du comédien qui s'est engagé à jouer tel jour et qui ne se présente pas le jour de la représentation. L'hypothèse inverse de l'obligation de ne pas faire qui n'a pas été respectée, constitue également un cas d'impossibilité matérielle de réparer le préjudice en nature, sous réserve de l'application de l'article 1143 du Code civil, en raison de l'irréversibilité du fait accompli.

La jurisprudence, dans un domaine où les juges ont la liberté de prononcer une réparation en nature prend souvent le soin de relever expressément qu'une telle réparation est impossible afin de justifier la condamnation à des dommages-intérêts. Ainsi, la Cour de cassation approuve la Cour d'appel de Paris d'avoir décidé que la réparation du préjudice des riverains d'un aéroport se faisait par équivalent, en raison de l'impossibilité de faire cesser le troubleZZZ. Inversement, les juges soulignent dans d'autres cas, afin de prononcer une oeuvre en nature qu'elle est possible : en l'espèce, l'inexécution invoquée était celle d'une obligation de ne pas faire. La Cour d'appel a relevé que "la réparation en nature prévue par l'article 1143 du Code civil [était] possible"ZZZ.

Il arrive que la Cour de cassation exige la constatation de cette impossibilité matérielle pour que puisse être prononcée une réparation par équivalent. Ainsi, a-t-elle censuré une cour d'appel, sous le visa de l'article 1143 du Code civil, pour n'avoir accordé à la victime qu'une réparation pécuniaire sans avoir relevé que "la mise en conformité de l'ouvrage était impossible"ZZZ. Elle pose cette exigence lorsque, comme nous le verrons, la réparation en nature est obligatoire pour les juridictions lorsqu'elle est demandée. Alors, seule l'impossibilité de la prononcer justifie l'allocation de dommages-intérêts.

La réparation en nature est rendue impossible par le débiteur qui a transféré la propriété du bien, objet de son obligation à un tiers. Puisque matériellement; ce bien ne se trouve plus entre ses mains, on ne peut plus lui ordonner la remise de ce bien au créancier à titre de réparation. Cette impossibilité qui, dans sa manifestation première, est matérielle, tient également à la nécessaire protection des tiers de bonne foiZZZ, ce qui conduisait plutôt à la classer parmi les hypothèses d'impossibilité d'ordre juridique.

B. Les impossibilités juridiques.


Les obstacles au prononcé de la réparation résultent d'une part expressément de la loi(1), d'autre part du nécessaire respect des prérogatives de puissance publique (2) et enfin de la protection du droit fondamental qu'est le droit de propriété (3).

1. Les restrictions légales.


Lorsque la jurisprudence affirme que le principe est celui de la liberté de prononcer une réparation en nature en quelque domaine que ce soit, elle prévoit néanmoins l'éventualité de dispositions légales y dérogeant. Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 20 mars 1952 a énoncé que "sauf dispositions impératives de la loi, les juges du fait apprécient souverainement [.] le mode et l'étendue de la réparation résultant d'un délit"ZZZ.

La loi impose, donc, dans certains cas, la réparation pécuniaire du dommage : l'article L 13-20 du code de l'expropriation précise que "les indemnités sont fixées en espèces". Encourt, par conséquent, la cassation sur le fondement de cet article, l'arrêt d'une cour d'appel qui "pour débouter l'exproprié de sa demande d'indemnité pour l'édification d'une clôture à la limite de l'emprise, retient que la commune expropriante s'offre de réaliser à ses frais la clôture sans constater l'accord dudit exproprié sur cette proposition"ZZZ. Dans le domaine de l'expropriation pour cause d'utilité publique, en cas de désaccord des parties sur le mode de réparation, en d'autres termes en cas de litige, le juge ne peut accorder qu'une allocation de dommages-intérêts.

L'article L 480-13 du code de l'urbanisme, constitue également un obstacle au prononcé de la réparation en nature. Il va même plus loin que l'article précédent puisqu'il fait aussi obstacle à la réparation pécuniaire. En effet, ce texte énonce que "lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un "permis de construire", le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme et des servitudes d'utilité que si, préalablement le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou son illégalité a été constatée par la juridiction administrative". Or, les juridictions civiles, sur le fondement de l'article 1143 appliqué en la matière délictuelle, peuvent ordonner la destruction d'ouvrages édifiés en violation de règles d'urbanisme ou de servitude. Par conséquent, s'il existe un permis de construire autorisant ces ouvrages, une telle destruction ne peut plus être obtenue.

Hormis ces hypothèses dans lesquelles, la loi limite expressément la possibilité d'une réparation en nature, la jurisprudence a admis que le prononcé d'une telle réparation ne pouvait venir en contradiction des prérogatives de puissance publique.

2. Le respect des prérogatives de puissance publique.


Dans les rapports de voisinage, lorsque l'exploitation d'un établissement cause un trouble excessif aux tiers, les juges civils ont la possibilité de prononcer sa fermeture afin de faire cesser le trouble ; ou au moins d'ordonner des travaux afin de réduire le dommage. Les juges conservent-ils la même possibilité dans l'hypothèse d'un établissement autorisé par l'administration ?

En effet, en vertu de la loi du 9 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnementZZZ, l'ouverture d'un établissement présentant un danger pour l'environnement est soumise à une autorisation administrative préalable. Cette autorisation ne prive pas les tiers victimes d'un trouble causé par l'exploitation de cet établissement. L'article 8 de cette loi précise que cette autorisation n'a été accordée que "sous réserve des droits des tiers". Par conséquent, les tiers victimes peuvent agir en responsabilité. Si les juridictions judiciaires peuvent ordonner la fermeture de l'établissement, elles priveraient d'efficacité l'autorisation administrative, ce qui serait contraire au principe de la séparation des pouvoirs. C'est pourquoi le Tribunal des conflits a précisé que les tribunaux judiciaires ont compétence tant sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers lèses que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice que cet établissement pourrait causer dans l'avenir, à condition que ces mesures ne contrarient point les prescriptions édictées par l'administration dans l'intérêt de la sûreté et de la salubrité"ZZZ.

La Cour de cassation en a déduit qu'il était impossible de prononcer directement la fermeture d'un établissement classéZZZ. Les juridictions civiles doivent également respecter les conditions fixées par l'administration dans l'autorisation. Au 1er abord, cette limite semblait devoir exclure toute possibilité pour les juges d'imposer d'autres conditions (par exemple de sécurité). Ce n'est pas ainsi que l'entend notre droit positif. Ainsi, l'autorité judiciaire peut elle ordonner des mesures qui seraient compatibles avec cette autorisation : la Cour de cassation a admis que "si l'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eaux non domaniaux, il n'en appartient pas moins au juge civil, saisi d'un litige entre personnes privées, d'ordonner toute mesure propre à faire cesser le dommage"ZZZ. Fut prononcé la condamnation d'une entreprise polluant un ruisseau, à procéder à l'installation d'une station d'épuration. Ces mesures ne doivent toutefois pas être de nature à entraver sérieusement l'exploitation de l'établissement autorisé.

En dehors de la réglementation des établissements classés, le principe de l'intangibilité des ouvrages publics constitue un obstacle sérieux à la réparation en nature. Puisque "ouvrage public ne se détruit pas", si un tel ouvrage empiète sur le terrain d'une personne privée, celle-ci ne pourra pas obtenir, même sur le fondement de l'article 1143 du Code civil, la destruction de cet empiétement et devra se contenter d'une réparation par équivalent.

Un autre obstacle au prononcé d'une mesure en nature tient à l'interdiction qui est faite au juge administratif d'adresser des injonctions à l'administration. Même si cette interdiction n'a pas la même vigueur qu'auparavant, les juridictions administratives se montrent timides.

Les pouvoirs de l'administration constituent de réels obstacles à la réparation en nature; comme la protection du droit de propriété.

3. L'impossibilité de porter atteinte au droit de propriété.


En vertu de l'article 266 du Code civil (qui reprend l'ancien art 301, al 2 du même code), "quand le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l'un des époux, celui-ci peut être condamné à des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel ou moral que la dissolution du mariage fait subir à son conjoint". Que fallait-il entendre par "dommages-intérêts" ? L'époux innocent pouvait-il, à titre de réparation, sur le fondement de cet article, obtenir l'attribution de droits immobiliers appartenant à l'autre conjoint ?

Classiquement, la notion de dommages-intérêts signifie le versement d'une somme d'argent. Cette conception a été critiqué par une partie de la doctrine qui s'est appuyée sur l'article 1142 du Code civil. En droit positif, cet article, malgré l'emploi des termes dommages-intérêts, n'exclut pas toute possibilité de réparation en nature. On peut donc penser que l'article 266 ne l'exclut pas davantage. Il faut replacer cet article dans le droit commun de la responsabilité civile (la responsabilité du conjoint à l'égard de l'autre, à l'occasion de la rupture du lien matrimonial est de nature délictuelle). Les juges ont, un pouvoir souverain d'appréciation quant à la détermination des modalités de la réparation."En conséquence, le juge serait libre, dans le cadre de l'article 266 de prononcer la condamnation qui lui paraît la plus facile à exécuter et la plus favorable à la victime"ZZZ. Il est vrai que l'attribution du logement familial, par exemple, peut paraître une réparation adéquate du préjudice subi par l'époux innocent.

Cependant, en 1969, la Cour d'appel de PARIS avait refusé une telle attribution au motif qu'"en l'état actuel du droit positif, aucun texte ne permet d'attribuer à [l'époux innocent], à titre de réparation dudit préjudice, la propriété d'un bien meuble ou immeuble appartenant à l'autre, ni même les droits de l'époux coupable sur un bien indivis entre eux"ZZZ. Cet arrêt précise que "la réparation du préjudice matériel ou moral causé par la dissolution du mariage à l'époux qui a obtenu le divorce ne peut, aux termes de l'article 301 alinéa 2 du Code civil, que se résoudre en dommages-intérêts, c'est-à-dire en l'allocation d'une somme d'argent".Si la Cour de cassation a rejeté, sous l'empire de l'article 266, l'attribution-sanction des droits immobiliers appartenant à l'époux fautifZZZ, elle semble moins catégorique sur le rejet, à titre de principe, de toute mesure en nature, en la matière. Elle sanctionne davantage la modalité de réparation choisie comme portant atteinte au droit de propriété.

En effet, l'attribution des droits immobiliers entraîne transfert forcé de propriété. Or l'article 545 du Code civil pose le principe (à valeur constitutionnelle) que:" nul ne peut être contraint de céder sa propriété , si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant juste et préalable indemnité". Admettre l'attibution-sanction entraînerait une véritable expropriation pour cause d'utilité privée. Seule la loi pourrait restreindre ou démembrer le droit de propriété. C'est pourquoi la Cour de cassation, qui constate l'absence de texte légal prévoyant une telle attribution, exclut cette mesure. Pour B. ESPESSON, cette décision " ne conduit nullement à une exclusion de toute réparation en nature. Mais du point de vue des principes généraux, c'est à la seule condition de ne porter atteinte ni à la liberté individuelle, ni au droit de propriété que le juge peut ordonner une réparation en nature"ZZZ.

Le droit de propriété, droit fondamental (puisque protégé par la constitution), limite sérieusement les modalités de réparation en nature envisageables. Cependant, dès lors qu'il ne lui est pas porté atteinte, une telle réparation peut être prononcée.

Les obstacles à la réparation en nature présentent une valeur variable. Si certains, notamment l'atteinte à la liberté individuelle, laissent planer une certaine incertitude et entraîne une certaine casuistique, d'autres, tel que la réparation en nature légalement impossible, sont réellement rédhibitoires.

S'opposant à l'interdiction, l'obligation de prononcer la réparation en nature, constitue, elle aussi, une limite à la liberté du juge en la matière.

SECTION 2 :
LA REPARATION EN NATURE IMPOSEE :
LE CARACTERE OBLIGATOIRE DES MESURES EN NATURE PROPRES A TARIR LA SOURCE DU DOMMAGE.


La jurisprudence est allée plus loin dans la restriction des pouvoirs des juges du fond. Inspirée par la doctrine, elle impose, dans certaines hypothèses, le prononcé d'une mesure en nature lorsqu'elle vise à supprimer la cause du dommage. Supprimer le fait dommageable revient à rétablir la légalité pour une partie de la doctrine qui le considère comme un acte illicite. Puisqu'il s'agit de rétablir la légalité, le caractère obligatoire de ces mesures est justifié. Toutefois, cette tendance ne s'exprime pas de la même façon, en matière contractuelle (§1) et en matière délictuelle (§2).

§1 : Le caractère obligatoire de la réparation en nature en matière contractuelle.


La source du dommage est, ici, l'inexécution de la prestation promise par le débiteur. Par conséquent, tarir cette source revient à procurer au créancier l'exécution de l'obligation de façon correcte et intégrale. Un auteur a contesté la qualification de réparation aux mesures permettant de faire disparaître la cause du dommageZZZ. Selon cet auteur, il s'agit d'exécution et non de réparation, l'enjeu de cette distinction étant précisément le caractère obligatoire du prononcé de ces mesures (1). La jurisprudence a dans une certaine mesure consacré cette distinction, eu égard aux conséquences qu'on lui prêtent (2).

A. La distinction entre réparation et exécution justifiant le caractère obligatoire


Pour Mlle ROUJOU DE BOUBEE, "la distinction de l'exécution et de la réparation en nature n'offre pas un intérêt purement théorique. [.] Alors que la réparation en nature est toujours facultative et laissée à l'appréciation du juge, l'exécution en nature du contrat doit être, elle, obligatoire"ZZZ. Selon cet auteur, le critère de distinction réside dans le caractère satisfactoire de la prestation reçue par le créancier. Il y aurait donc exécution dès lors qu'il y a coïncidence entre l'objet de la prestation servie et l'objet de la prestation due.

Appliquant le critère ainsi dégagé, l'auteur en déduit que les articles 1143 et 1144 du Code civil, loin de prévoir la possibilité d'une réparation en nature, édictent plutôt des mesures d'exécution et par voie de conséquence revêtent un caractère obligatoire pour les juges. En effet, il est certain que "l'élément essentiel d'une obligation réside moins dans ce que le débiteur fournit que dans ce que le créancier reçoit"ZZZ.

La faculté de remplacement prévue par l'article 1144 permet au créancier de faire exécuter l'obligation inexécutée par un tiers. Par conséquent, il obtient pleine satisfaction. De même, lorsque le créancier obtient, par application de l'article 1143, la destruction de ce qui avait été accompli en contravention d'une obligation de ne pas faire, cette destruction lui apporte l'avantage qui lui avait été réservé par le contrat. Le rétablissement du statu quo ante assure donc également l'exécution et non une réparation en nature.

Cette conception ne fait pas l'unanimité de la doctrine. Certains considèrent que, dans les hypothèses des articles 1143 et 1144 du Code civil, le juge est saisi "d'un litige concernant les conséquences de l'inexécution" et qu' "il doit choisir entre une condamnation pécuniaire et une mesure qui donne entière satisfaction au créancier, et qui équivaut donc à une véritable exécution"ZZZ. Sans aller jusqu'à admettre qu'il n'y a d'exécution que volontaire, qualifier d'exécution la faculté de remplacement ainsi que le rétablissement du statu quo ante parait discutable. En effet, l'exécution forcée semble impliquer une intervention sur la volonté du débiteur que l'on contraint à exécuter ses obligations. Dans le cadre des articles 1143 et 1144, le créancier obtient satisfaction mais en dehors du débiteur. De plus, limiter la réparation à une fonction compensatoire semble restrictif. Réparer, n'est-ce pas replacer la victime, le plus possible, dans la situation où elle se serait trouvée si le dommage ne s'était pas produit ?

Si la jurisprudence n'a pas totalement consacré la distinction doctrinale, elle en a néanmoins tiré les conséquences : elle affirme dorénavant dans certains cas le caractère obligatoire de la réparation en nature en matière contractuelle.

B. La consécration jurisprudentielle du caractère obligatoire de la réparation en nature.


La jurisprudence a connu une évolution s'agissant des pouvoirs souverains des juges du fond dans la détermination des modalités de réparation en cas d'inexécution d'obligations contractuelles.

Traditionnellement, aussi bien dans le cadre de l'article 1143 que dans celui de l'article 1144 du Code civil, la jurisprudence reconnaissait un pouvoir souverain aux juges du fondZZZ. Ainsi, la chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle décidé que "pendant la durée du bail, le propriétaire ne peut changer la forme de la chose louée : il résulte des articles 1143 et 1144 combinés que les juges ont la faculté d'apprécier discrétionnairement si les avantages construits par contravention au contrat doivent être détruits ou non"ZZZ.

A partir de 1962, du moins en ce qui concerne l'article 1143, la tendance de la jurisprudence s'est inversée. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation, le 3 décembre 1962, a-t-elle censuré un arrêt qui avait refusé d'ordonner la démolition d'une construction édifiée au mépris d'une clause du cahier des chargesZZZ. Il résulte de cet arrêt, en matière d'ouvrages construits, en violation des contractuels d'autrui, lorsque le créancier demande la démolition, les juges doivent l'ordonner et ne peuvent y substituer une réparation pécuniaire. Cette décision de cassation avait été prononcée sous le visa de l'article 1134 du Code civil. Cette tendance jurisprudentielle s'est confirmée par la suite avec la référence, cette fois, à l'article 1143 du Code civil. La Cour de cassation jugea que la cour d'appel, "ayant reconnu que l'exécution de la condamnation en nature n'était pas impossible et que les demandeurs avaient intérêt à obtenir cette condamnation, [.], en refusant de la prononcer pour des raisons tenant à l'intérêt des tiers, a violé [l'article 1143] "ZZZ. La cour, en l'espèce, ne qualifie pas la démolition de réparation ou d'exécution ; elle parle, en l'occurrence, de "condamnation en nature". Un argument semble toutefois favorable à la qualification, ici, de mesure d'exécution. En effet, la jurisprudence n'exige pas la preuve, d'un préjudice pour prononcer la démolition, ce qui éloigne la mesure de la notion de réparation.

Le caractère obligatoire de la démolition d'ouvrages édifiés en violation des droits contractuels d'autrui, a été réaffirmé, en cas de violation des clauses d'un cahier des charges d'un lotissementZZZ, mais également en cas d'infraction à un règlement de co-propriétéZZZ. Récemment, la Cour de cassation a cassé, sous le visa de l'article 1143 du Code civil, un arrêt qui avait refusé la remise des lieux dans leur état antérieur au motif que les travaux effectués en violation des règlements de copropriété avaient contribué à améliorer l'immeuble et que, par conséquent, les syndicats ne justifiaient d'aucun préjudiceZZZ.

Tout comme on avait cherché à cantonner le domaine de l'article 1143 aux destructions matérielles, on s'est demandé si le caractère obligatoire ne devait s'appliquer qu'en cas de constructions édifiées au mépris d'obligations contractuelles. Cependant, la Cour de cassation s'est prononcée en faveur du caractère obligatoire dans une hypothèse différente. En effet, elle a censuré une cour d'appel qui avait préféré allouer des dommages-intérêts à titre de réparation de la violation d'un clause de non concurrence, plutôt que d'ordonner les mesures de fermeture des commerces ouverts, mesures sollicitées par les créanciers de l'obligation de non-concurrenceZZZ. Si, auparavant, les juges du fond disposaient d'un pouvoir souverain pour ordonner ou non la cessation de l'activité prohibée (sauf dans l'hypothèse ou l'exécution en nature avait été stipulée par les parties comme sanction obligatoire de la violation de l'obligation de non concurrence), dorénavant, cette cessation s'impose dès lors qu'elle est demandée.

L'article 1143 revêt donc un caractère obligatoire pour les juges dès lors que le créancier sollicite son application. Il s'agit d'un droit pour ce dernier. Comme tout droit, le juge ne pourrait refuser d'en faire application qu'en cas d'abus : "[si le créancier] prétendait abuser de son droit, c'est-à-dire l'exercer sans intérêt sérieux et suffisamment caractérisé, les tribunaux lui interdirait l'exercice de ce droit en lui refusant le titre exécutoire nécessaire"ZZZ. L'arrêt du 17 décembre 1963ZZZ semble faire référence à la théorie de l'abus de droit en soulignant que "les demandeurs avaient intérêt à obtenir cette condamnation".

La tendance de la jurisprudence à reconnaître le caractère obligatoire des mesures propres à tarir la source du dommage est fixée en ce qui concerne l'article 1143. Par contre, s'agissant de l'article 1144, la jurisprudence n'est pas aussi netteZZZ. Cet article énonce que "le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur". Cela sous-entendrait donc la possibilité pour le juge de refuser l'autorisation. Cependant, du point de vue du débiteur, la faculté de remplacement revient à lui imposer le paiement d'une somme d'argent, ce qui n'est pas différent de la condamnation à des dommages-intérêts à titre de réparation de l'inexécution des obligations. Par contre, cette faculté permet l'entière satisfaction du créancier. Pourquoi ne pas reconnaître son caractère obligatoire ?

En matière contractuelle, le prononcé des mesures propres à tarir la source du dommage, c'est-à-dire les mesures permettant de procurer au créancier l'exécution de l'obligation, est obligatoire. Par l'affirmation de ce caractère obligatoire, la jurisprudence a consacré, en quelque sorte, la distinction doctrinale entre exécution et réparation en nature. La démarche a-t-elle été la même en matière délictuelle ?

§2 - Le caractère obligatoire de la réparation en nature en matière délictuelle.


Tarir la source du dommage c'est faire cesser le fait dommageable. Or, ce fait dommageable constitue un acte illicite. Mlle ROUJOU DE BOUBEE énonce que "la situation illicite est la source du préjudice"ZZZ. Par conséquent, les mesures propres à tarir la source du dommage visent donc la suppression de la situation illicite. Cet auteur, dans sa thèse remarquée, a distingué cette suppression de l'illicite de la réparation (1), distinction qui fonderait pour la première son caractère obligatoire. La jurisprudence, en matière délictuelle, n'a pas affirmé de façon générale ce caractère. Le principe du pouvoir souverain des juges du fond subsiste (2).

A. La distinction doctrinale entre réparation et suppression de l'illicite.


La suppression de la situation illicite est différente de la réparation. En effet, la cessation de l'illicite n'agit pas sur la matière du préjudice, il y aurait alors réparation. Bien au contraire, les mesures permettant un retour à la légalité laissent intact le préjudice déjà réalisé et empêchent, en tarissant la source du dommage, qu'il ne se pérennise dans l'avenir. Par conséquent, "la cessation de la situation illicite tend à la sauvegarde pour l'avenir du droit ou l'intérêt violé ou plutôt, elle tend au respect de la norme protégeant le droit ou l'intérêt violé" : c'est ce qui explique le caractère obligatoire de ces mesures faisant cesser l'illicéitéZZZ.

Tout comme la distinction entre exécution et réparation en nature, en matière contractuelle, la distinction entre suppression de l'illicite et réparation justifie la différence de régimes entre ces mesures. La réparation serait toujours facultative pour le juge alors que la suppression de l'illicite s'imposerait à lui. Puisque cette suppression correspond à un retour à la légalité, son caractère obligatoire parait évident.

Lorsque la victime du fait dommageable sollicite la suppression de la situation illicite et que cette situation n'est pas irrémédiablement accomplie, les juges du fond perdent alors tout pouvoir d'appréciation. De même, lorsque le responsable de l'acte dommageable propose de le supprimer, il semble qu'ils soient également contraints de prononcer cette suppression. "On ne saurait en effet contester au responsable le droit de tarir la source de son obligation de réparation en mettant fin à la situation illicite qu'il a créée : s'il offre de le faire, la victime ne peut pas préférer le maintien de l'état de choses illicite moyennant indemnité [.] : nul ne peut être contraint de demeurer dans l'illicéité"ZZZ.

La jurisprudence, en matière délictuelle, n'opère pas de distinction entre suppression de l'illicite et réparation. Le principe est donc celui du maintien du pouvoir souverain des juges du fond quant au prononcé de la mesure en nature. Cependant, dans certaines hypothèses, la jurisprudence affirme le caractère obligatoire de la condamnation en nature.

B. Le pouvoir souverain des juges du fond quant au prononcé de la suppression de l'illicite.


Si l'on devait admettre que la suppression de l'illicite constituait un droit pour la victime, les pouvoirs des juges seraient réduits sans être pour autant inexistants. Il leur appartiendrait toujours de contrôler l'exercice de ce droit. Ainsi pourraient-ils refuser d'ordonner la suppression de l'illicéité par application de la théorie de l'abus de droit.

Cependant, la jurisprudence s'est refusé à reconnaître le caractère obligatoire de la suppression de l'illicite. C'est manifeste dans le domaine de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage : "un pourvoi fermé contre un arrêt qui avait prononcé la condamnation à des dommages-intérêts plutôt que la suppression de la situation illicite, faisait valoir qu' "en limitant la réparation des troubles anormaux de voisinage à l'allocation d'une indemnité, l'arrêt [avait] laissé subsister la cause des troubles et refusé ainsi la réparation réelle du préjudice subi". Il fut rejeté par la Cour de cassation qui rappelle le pouvoir souverain des juridictions du fond pour apprécier les modalités et l'étendue de la réparationZZZ. Les juridictions, en matière de réparation des troubles anormaux du voisinage, ont tendance à privilégier l'indemnisation plutôt que le droit des victimes d'obtenir la suppression de l'acte dommageable. Ce pouvoir souverain des juges du fond, en cette matière, se justifierait par l'absence de caractère illicite de l'activité responsable des troubles. On a expliqué que seul le dommage est illicite mais non l'activité. Par conséquent, il n'y aurait pas lieu d'interdire cette dernière. C'est également la "balance de l'utilité sociale [.] de l'activité dommageable par rapport à l'intérêt du voisin lésé"ZZZ qui permet de comprendre le maintien du pouvoir souverain des juges en la matière.

Ce maintien du pouvoir souverain des juges du fond permet d'éviter également les difficultés de qualification des mesures. Il ne sera pas toujours facile de déterminer ce qui tend à supprimer la cause du dommage de ce qui vise à supprimer le dommage.

Toutefois, la jurisprudence a, à certains égards, reconnu que la demande de la victime tendant à la suppression de la situation illicite devait lier le juge . Tel est le cas lorsqu'il existe une action spécifique distincte de l'action en responsabilité civile. Par exemple, lorsque le juge accueille l'action paulienne engagée par le créancier, la sanction obligatoire est l'inopposabilité des actes juridiques passés en fraude des droits de ce créancier ; ce qui permet un retour à la légalité. De même, lorsque l'on agit sur le fondement général de la fraude, le juge prononce obligatoirement l'inopposabilité des actes frauduleux à la victime, contrairement à la simple faute qui laisse subsister le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.

Le domaine, dans lequel le caractère obligatoire de la suppression de l'illicite est fermement affirmé par la jurisprudence, est celui de constitutions irrégulières. En effet, lorsqu'une construction est édifiée en violation d'un droit réel, la victime a le droit de demander sa destruction et le juge ne peut refuser de la prononcer. Ainsi, en matière d'empiétement sur le terrain d'autrui, le propriétaire lésé peut exiger la démolition des ouvrages empiétant sur son fondsZZZ. De même, la jurisprudence, depuis un arrêt du 1 mars 1965 rendu par la première chambre civile de la Cour de cassationZZZ, énonce sur le fondement de l'article 1143 du Code civil le caractère obligatoire de la démolition des constructions réalisées en violation de servitudes légales, ou d'urbanisme. Cette tendance jurisprudentielle a été confirmée depuis. A été censuré la décision d'une cour d'appel qui avait refusé de prononcer la suppression des ouvrages édifiés en contravention d'une règle d'urbanisme , la cour n'avait pas relevé que la mise en conformité de l'ouvrage était impossibleZZZ. Cette jurisprudence découle de l'extension de l'article 1143 du Code civil en matière délictuelle. Nous avons vu précédemment qu'en matière contractuelle l'article 1143 revêtait un caractère obligatoire pour le juge. Il est donc naturel que ce caractère s'étende, en matière délictuelle, aux hypothèses dans lesquelles la suppression de l'illicite est sollicitée sur le fondement de cet article.

La jurisprudence a donc partiellement admis que la suppression de l'illicite devait lier la compétence du juge dans le choix de la modalité de réparation. Cette obligation de prononcer le rétablissement du statu quo ante intervient souvent lorsqu'il s'agit de réparer l'atteinte porté à un droit, essentiellement le droit de propriété. Nous avons déjà observé que nous n'étions pas alors en présence de véritables cas de responsabilité.

CONCLUSION


La jurisprudence a dû, en ce qui concerne la réparation en nature, suppléer à la carence législative. L'un des apports prétoriens primordiaux consiste en l'affirmation du pouvoir souverain des juges du fond dans la détermination des modalités de réparation d'un préjudice. En effet, on en déduit l'absence de hiérarchie entre réparation pécuniaire et réparation en nature, et ce dans le cadre général de la responsabilité civile. Dès lors qu'un préjudice, d'origine contractuelle ou délictuelle, est constaté et qu'il y a donc lieu à réparation, le juge peut condamner le responsable à une mesure en nature, au même titre qu'à des dommages et intérêts. Par conséquent, d'un point de vue théorique, les modalités de réparation se trouvent placées sur un pied d'égalité. Cependant, en pratique, la réparation pécuniaire est de loin la plus fréquente. Elle est plus simple à prononcer, mieux acceptée par le responsable et par la victime qui reste libre d'utiliser les fonds qui lui sont versés comme bon lui semblera. La socialisation croissante de la responsabilité renforce l'importance quantitative de la réparation par équivalent face à la réparation en nature. Il est inconcevable de prononcer à l'encontre de l'assureur du responsable une mesure en nature.

Toutefois, il ne faut pas croire que l'évolution tendra vers la disparition de la réparation en nature. Bien au contraire, on peut voir la place, dans notre droit positif de cette modalité, renforcée par l'affirmation de son caractère obligatoire dans certains cas, notamment dans le cadre d'actions spécifiques. Cette tendance prétorienne conduit à détacher la réparation en nature du cadre de la responsabilité. Elle est, d'ailleurs, corroborée par l'existence de secteurs pour lesquels le prononcé de la réparation en nature est quasi-automatique. En effet, nous avons vu que, dans ces hypothèses, la preuve d'un préjudice (condition majeure de la responsabilité) n'était pas indispensable ; l'atteinte au droit étant suffisant pour obtenir réparation. Mais si la réparation en nature se détache de la responsabilité, elle se détache aussi, d'une certaine manière, de l'idée même de réparation. Quelle serait alors la fonction de cette modalité ? Les mesures en nature apparaissent davantage comme des sanctions des atteintes portées aux droits protégés tels que le droit à l'intimité de la vie privée ou le droit de propriété. N'y aurait- il pas alors, malgré le souci de la Cour de cassation d'éviter ce résultat, l'introduction dans le droit positif de la notion de peine privée ?


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note sous cass 2ème civ, 27 janvier 1993D 1994, p 97.

GABOLDE (C)

note sous cass civ, 5 novembre 1963D 1964, p 178.

GHESTIN (J)

note sous cass 3ème civ, 7 juin 1979 ; JCP 1980, II, 19145.

GOUBEAUX (G)

note sous cass 3ème civ, 12 novembre 1975 : JCP 1975, II, 18400.- note sous cass 3ème civ, 30 janvier 1974 : Defrénois 1974, art 30631, p 637.

GUIMBELLOT (R)

note sous C. A. PARIS, 4 novembre 1969 (2 espèces) : JCP 1972, II, 16262.

HUET (J)

"Le développement de la responsabilité civile pour atteinte à l'environnement", 2ème partie, les petites affiches du 7 janvier 1994, n 3.

JEANDIDIER (W)

"L'exécution forcée des obligations contractuelles de faire" : RTDCiv 1976, p 700.

JEOL (M)

conclusions, à propos de cass com, 7 mars 1989 : JCP 1989, II, 21316.

JOURDAIN

observations à propos de cass 3ème civ, 10 novembre 1992 ; RTDCiv 1993, p 360.- "Le contrôle de la Cour de cassation, de l'adéquation au dommage des réparations en nature : une limite de la souveraineté des juges" : RTDCiv 1992, p 772 s.

KULLMANN (J)

note sous cass 1ère civ, 14 mai 1992 D 1992, som, p 405.

LEDUC (F)

"Le régime de la réparation", juris-classeur de droit civil, fasc n 201, 1996.

LUCHAIRE (F)

note sous Conseil Constitutionnel, 22 octobre 1982 D 1983, p 189.

LYON-CAEN

note sous cass soc, 14 juin 1972 JCP 1972, II, 17275.

MASSIP (J)

"La procréation artificielle en famille et ses redoutables conséquences", petites affiches du 25 mars 1995, n35.

MAZEAUD (D)

note sous cass 3ème civ, 15 décembre 1993JCP 1995, éd G, II, 22366.

MESTRE

observations à propos de cass 1ère civ, 16 juillet 1985 : RTDCiv 1987, p 89.- "Une application inavouée, et sans autorisation préalable de l'art 1144 du Code civil", à propos de cass 1ère civ, 28 juin 1988.

MOREAU (J. P.)

note sous cass 3ème civ, 29 novembre 1973, 1er sem, p 223.

PACLOT (Y)

note sous cass com, 9 mars 1993JCP 1993, II, 22107.

PAILLUSEAU (J)

"La modernisation du droit des sociétés commerciales" : D 1996, chron, p 287 spécialement n 56.

PLANCQUEEL (A)

note sous cass 3ème civ, 11 juillet 1969 : JCP 1971, II, 16658. - note sous cass 3ème civ, 28 mars 1968 : JCP 1968, II, 15587.

PRONIER (D)

"Promesse unilatérale de vente : nature de l'obligation du promettant", à propos de cass 3ème civ, 26 juin 1996.

RAVANAS (I)

note sous cass 1ère civ, 5 novembre 1996 : JCP 1997, II, 22805.

RAYNAL (M)

"L'empiétement matériel sur le terrain d'autrui en droit privé" : JCP 1976, I, 2800.

REINHARD

note sous cass com, 7 mars 1989 : JCP 1989, II, 21316.

SAVATIER (R)

note sous cass 1ère civ, 10 décembre 1969 : JCP 1970, II, 16429.

SERRA (Y)

note sous cass soc, 24 janvier 1979 : D 1979, p 619.

SOLUS (H)

observations à propos de cass 1ère civ, 4 mai 1959 (2 espèces) ; RTDCiv 1960, p 134.

TERRE

note sous cass ass plén, 31 mai 1991 avec les conclusions de DONTENWILLE : JCP 1991, II, 21752.

THOUVENIN

note sous cass ass plén, 31 mai 1991 avec le rapport de CHARTIER (Y) : D 1991, p 417.

THUILLIER

note sous cass 2ème civ, 5 janvier 1983JCP 1984, II, 20312.

TUNC (A)

"Comment réparer, dans une économie de taxation et de rationnement, le préjudice résultant de la perte d'un bien " : D 1946, chron, p 57s.

VASSAUX-VANOVERSCHELDE

à propos de C. A. POITIERS, 22 janvier 1992 D 1993, som commentés, p 119.

ZENATI (F)

observations à propos de cass 3ème civ, 10 novembre 1992 ; RTDCiv 1993, p 850.

LISTE DES ABREVIATIONS UTILISEES

Al

alinéa

Art.

article

Ass plen

assemblée plénière

Bull. civ

bulletin des arrêts de la Cour de cassation

Cass.

Cour de cassation

1ère civ. ou 2ème civ

première chambre civile de la Cour de cassation ou deuxième chambre civile

cf.

confrontez

Chron

chronique

com

chambre commerciale de la Cour de cassation

D.

Dalloz - Sirey (recueil)

Defrénois

répertoire du notariat défrenois

D.P.

Dalloz périodique

Ed

édition

esp

espèce

fasc

fascicule

GAZ PAL

Gazette du Palais

Ibid

au même endroit

infra

ci-dessous

I.R.

informations rapides

J.C.P.

juris-classeur périodique (éd. G.= édition générale)

L.G.D.J.

Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

n

numéro

N.C.P.C.

Nouveau Code de Procédure Civile

obs.

observations

op cit

ouvrage pré- cité

p

page.

P.U.F.

Les Presses Universitaires de France

Req

Chambre des requêtes de la Cour de cassation

resp civ et assur

responsabilité civile et assurance

RJDA

revue de jurisprudence de droit des affaires

RTDCiv

revue trimestrielle de droit civil

S

Sirey (recueil)

Soc.

chambre sociale de la Cour de cassation

somm

sommaire

spéc

spécialement

supra

ci-dessus

T

tome

Trib civ

tribunal civil

Vol

volume


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