JURIPOLE DE LORRAINE

Serveur d'Information Juridique

Réalisé par Alexis BAUMANN


LES ENGAGEMENTS PUBLICITAIRES
Hélène JUPILLE



PREMIERE PARTIE





INTRODUCTION

Dans le domaine de la publicité commerciale, prospectus, jeux, affiches, annonces ou spots télévisés sont étudiés et préparés avec soin ; il s'agit d'un "art" abritant toute une activité économique source de contentieux, sphère du droit de la publicité (1) et de toutes ses implications notamment en droit de la propriété intellectuelle ou de la concurrence (2). L'aspect de la publicité qui nous intéresse ici ne concerne pas cet "envers de l'affiche", mais la valeur juridique que la publicité pourrait avoir par rapport à son destinataire.

Les différentes formes de publicité ayant en commun le but d'inciter à la vente, il s'agit ici de prendre en considération leur influence, relativement large, sur un public. L'annonceur connaît le produit qu'il va vanter, choisit la qualité qui lui semble la plus attractive et la présente de manière à donner envie d'acquérir ledit produit. Il a de ce fait une position beaucoup plus forte que celle du public à qui il s'adresse, il sait pertinemment que son message va influer sur le comportement de celui-ci, et peut amener certaines personnes à conclure un contrat qu'elles n'avaient pas envisagé avant de prendre connaissance de la publicité. De plus, il n'a pas d'obligation d'émettre une publicité, c'est une démarche volontaire de sa part.

Si le message a un caractère trompeur, il peut être sanctionné par le délit de publicité trompeuse (3), délit consacré par le législateur à la suite de nombreux abus (4). Il y a bien là prise en considération de l'influence de la publicité sur son destinataire (5), mais comme tout délit il s'agit de sanctionner une faute, tandis que la qualification des publicités en droit civil ne dépendra pas de ce caractère trompeur ; elle aura de ce fait une portée plus large. De plus, les juges répressifs lorsqu'ils constatent l'existence d'un délit de publicité trompeuse ne considèrent que les éléments constitutifs du délit, comme par exemple la qualification de publicité du document trompeur (6) mais ne s'intéressent pas à la qualification juridique des publicités.

Les tribunaux civils se sont toujours intéressés aux publicités par rapport au contrat qu'elles incitent en les considérant avec indulgence puisqu'elles sont des pratiques commerciales incitatives pour lesquelles une certaine exagération est permise (7). En effet, l'application du principe de distinction entre le dolus bonus et le dolus malus les faisait échapper à presque tout contrôle (8). Il était alors possible, pour vendre un produit, d'exagérer ses qualités au-dessus des limites permises par le droit commun des obligations, sans que le contrat conclu puisse être annulé pour dol. La publicité restait donc en dehors de la relation contractuelle qu'elle avait incitée.

Tout en affirmant encore ce principe mais en réduisant sa portée (9), la Cour de cassation a commencé à reconnaître une valeur juridique aux publicités (10). Les juges, pouvant se référer à tout ce qui entoure un contrat pour rechercher la commune intention des parties lors de sa conclusion (11), utilisent parfois la publicité pour interpréter le contrat en faveur de la personne abusée. Cependant, cette tendance ne semble pas mettre assez en valeur l'importance incitative des publicités qui est souvent plus grande que celle d'autres éléments entourant le contrat, et surtout plus systématique. De plus cette solution étant clairement établie, il ne nous semble pas utile de nous étendre dessus.

Toujours est-il que par ce biais les juges rattachent la publicité au contrat qu'elle a incité, objectif qui fut aussi celui de la doctrine lorsqu'elle se pencha sur le problème de la qualification des publicités. Elle exploita dans ce but les règles contractuelles classiques ou parfois originales telles que celles du mécanisme de l'obligation d'information permettant de faire correspondre la réalité à l'information donnée (12).

Le développement du contentieux provoqué par une forme particulière de publicité, les loteries commerciales, a amené la jurisprudence à leur appliquer le mécanisme de l'engagement unilatéral (13), ce qui peut remettre en question la qualification des publicités par les solutions classiques, solutions qui laissaient d'ailleurs apparaître quelques défaillances.

Ce pose alors la question d'une possible extension de cette qualification à d'autres types de publicités. La grande diversité des publicités ne permet sans doute pas une qualification uniforme, mais pour beaucoup d'entre elles ce mécanisme peut convenir et permettre d'atteindre le résultat socialement souhaité par la doctrine et la jurisprudence, c'est-à-dire une qualification permettant de considérer comme contraignantes les paroles de l'annonceur en rattachant la publicité au contrat qu'elle a incité. C'est en tout cas, ce que nous voulons montrer dans le présent travail.

Certains auteurs (14) rejettent cette hypothèse en considérant que les prospectus publicitaires ne peuvent être contraignants pour l'annonceur car ils ne sont pas révélateurs d'une volonté ferme et certaine de s'engager de sa part, condition de validité de l'engagement unilatéral unanimement admise par la doctrine (15). Nous essayerons de montrer que cette exclusion semble trop générale et ne tient peut-être pas assez compte du caractère très varié des pratiques publicitaires.

La reconnaissance de l'engagement unilatéral et la délimitation de son champ d'application nécessitent la qualification des publicités. Cette tentative de qualification des publicités ne peut être totalement impartiale puisque nous ne considérerons pas les qualifications qui ne permettent pas d'atteindre le résultat socialement souhaitable. Une fois cela admis, les intérêts du système ressortiront de sa mise en oeuvre.

TITRE I - la nature juridique des publicités

TITRE II - la mise en oeuvre de l'engagement publicitaire par volonté unilatérale

 

TITRE I - LA NATURE JURIDIQUE DES PUBLICITES -

Les juges cherchent souvent un moyen de contraindre l'annonceur à respecter ses promesses publicitaires en considérant celles-ci comme faisant partie du contrat qu'elles ont incité. Pour ce faire, ils exploitent les règles contractuelles et semblent se référer à la notion de document contractuel. Ceci ne paraît pas toujours propice puisque les publicités appartiennent à la phase précontractuelle et sont très rarement insérées au contrat ; leur qualité de document contractuel n'est donc pas évidente. Une partie de la doctrine (16) estime que le terrain de la responsabilité délictuelle respecterait davantage leur nature mais ne permettrait pas leur insertion dans le champ contractuel, source de sanctions plus efficaces. Ces auteurs approuvent, cependant, cette méthode jurisprudentielle par rapport à l'équité des solutions données, tout en la considérant critiquable quant à son fondement. Il est alors permis d'imaginer un autre fondement ayant la même conséquence juridique, c'est-à-dire l'intégration du document publicitaire au contrat. Le développement actuel de l'engagement par volonté unilatérale (17) pourrait fournir une solution (18).

D'ailleurs, dire que les solutions classiques ne permettent pas d'atteindre le résultat souhaité sans subir des distorsions de leur contenu ressemble fort à l'enseignement du Doyen Gény lorsqu'il proposait de "déclarer obligatoires, non pas toutes promesses unilatérales, mais celles-là seulement qui paraîtront indispensables pour atteindre un résultat socialement désirable et impossible à réaliser pratiquement par une autre voie" (19).

Ces conditions dites de l'opportunité (20) et de la subsidiarité (21) sont très discutées par la doctrine (22) car leur admission limite de beaucoup le champ d'application de l'engagement unilatéral, celui-ci n'étant alors plus qu'une source d'obligation à titre subsidiaire et non une source d'obligation autonome à côté du contrat.

Deux arguments peuvent être apportés en faveur de la reconnaissance de la condition de subsidiarité. D'une part, l'engagement unilatéral ne faisant pas partie de la liste des sources d'obligations établie par le code civil - article 1370 -, le juge ne peut donc le consacrer, sans excéder ses pouvoirs, qu'en dehors du domaine d'application des règles posées par le code. D'autre part, lorsqu'une règle classique peut s'appliquer sans distorsion de son contenu, la situation ainsi expliquée correspond à sa définition et à son domaine d'application. L'engagement par volonté unilatérale étant un mécanisme tout autre, son pouvoir explicatif de la réalité ne peut alors empiéter sur celui d'une de ces règles.

Toujours est-il qu'en matière d'engagement publicitaire, nous ne rentrerons pas dans la discussion de la reconnaissance de cette condition, l'exposé des solutions classiques et de leurs défaillances permettant de prouver son respect. Nous nous limiterons donc à vérifier son application.

Quant à la condition d'opportunité, elle est a priori respectée puisque la doctrine et la jurisprudence étant en accord sur le résultat à obtenir, c'est-à-dire contraindre l'annonceur à respecter ses promesses, nous le supposerons donc "socialement désirable" !

Il va sans dire que, quelle que soit leur tendance, tous les auteurs s'accordent pour ne reconnaître une valeur contraignante à une promesse unilatérale que si elle émane d'une volonté certaine et réfléchie. L'étude de ce point, indispensable à l'admission du mécanisme de l'engagement unilatéral, ne sera faite qu'après celle des solutions classiques car d'une part, c'est leur absence de pouvoir explicatif qui permet d'envisager une autre solution et d'autre part, c'est leur analyse qui dégagera l'existence d'une connaissance par l'annonceur des conséquences de sa publicité, aspect indispensable pour caractériser sa volonté. Une solution quant à la nature juridique des publicités pourra alors être formulée.

Nous envisagerons dans un premier chapitre les solutions classiques applicables aux publicités puis, dans un second chapitre nous analyserons la volonté de l'annonceur afin d'admettre l'existence d'un engagement publicitaire par volonté unilatérale.

 

CHAPITRE I - DEFAILLANCES DES SOLUTIONS CLASSIQUES

Il importe de distinguer les loteries commerciales des publicités en général pour l'application des solutions classiques. En effet, les premières n'aboutissent pas à la conclusion d'un contrat et les prospects (23) ne demandent que l'obtention de leur lot ou la réparation du préjudice qu'ils ont subi du fait de l'espérance d'un gain. Leur domaine de prédilection semble donc être celui de la responsabilité délictuelle tout en permettant apparemment une sanction proche de l'exécution de la promesse. En revanche, les secondes incitent à conclure un contrat, et ainsi, influencent le consentement d'une des parties. Le plaideur souhaitant que la qualité du produit vantée dans la publicité soit insérée au contrat, agira sur le terrain contractuel pour contraindre l'annonceur à respecter ce qu'il a promis. Leur domaine juridique semble donc distinct bien que leur but soit identique: inciter à la vente.

Nous envisagerons, par conséquent, les solutions contractuelles applicables aux publicités en général (Section 1) puis les solutions délictuelles utilisées en matière de loteries commerciales (Section 2).

SECTION 1 : LES SOLUTIONS CONTRACTUELLES

Ces solutions concernent les publicités dans leur ensemble. Pour atteindre le résultat souhaité, c'est-à-dire contraindre l'annonceur à respecter ses promesses, il importe de donner une valeur contractuelle aux publicités. Certaines publicités ont valeur d'offre, elles sont de ce fait intégrées au champ contractuel en cas d'acceptation pure et simple par leur destinataire. Cette intégration ne pose pas de problème, nous ne l'envisagerons par conséquent que pour délimiter leur domaine par rapport aux publicités n'ayant pas cette valeur.

Sur quel fondement celles-ci peuvent-elles être insérées au contrat qu'elles ont incité? Nous montrerons qu'il est impossible, dans la majorité des cas, de constater l'existence d'un accord de volonté faute d'acceptation de la promesse publicitaire par son destinataire, sauf à admettre le mécanisme d'une acceptation par le silence (§1).

Nous tenterons donc d'avoir recours à une autre solution envisagée par une partie de la doctrine, ces auteurs ayant proposé de qualifier les publicités, suffisamment précises et qui n'ont pas valeur d'offre de contracter, de documents contractuels (§2).

§1 - L'existence d'un accord de volonté

L'annonceur pourrait être tenu au titre d'un contrat ou d'un avant-contrat. Si la publicité a valeur d'offre de contracter, l'acceptation pure et simple de son destinataire fera naître un contrat. Les loteries commerciales renferment parfois les caractéristiques d'une offre, elles seront donc aussi envisagées dans cette partie. En revanche, si la publicité ne contient pas tous les caractères de l'offre mais est suffisamment précise, elle pourrait être une offre d'avant-contrat que son destinataire validera par son acceptation. Cet avant-contrat aurait pour but de considérer comme acquise la qualité vantée par la publicité, sans que d'autres discussions entre les parties ne soient nécessaires pour la consacrer. Nous supposons alors que l'annonceur a eu la volonté de s'engager (24).

En principe, il y a accord de volonté si l'offre de conclure un contrat ou un avant-contrat est acceptée expressément ou tacitement, ce qui est rare en matière de publicités et plus fréquent en matière de loteries commerciales (A). Peut-on alors recourir au mécanisme de l'acceptation par le silence, lorsque l'offre est faite dans l'intérêt exclusif de son destinataire, pour considérer l'annonceur comme tenu au titre d'un avant-contrat (B)?

A. Une acceptation expresse ou tacite

Une acceptation, c'est-à-dire le consentement d'une personne à une offre qui lui est faite peut être soit expresse soit tacite. Une manifestation de volonté expresse est formellement exprimée, ce qui n'est pas le cas d'une manifestation tacite, dont l'existence se déduira à partir de certains faits (attitude, comportement) révélateurs de l'intention de l'acceptant. Ces deux types d'acceptation se rencontrent-ils en matière de publicités en général (1) et dans le cas particulier des loteries (2)?

1 Les publicités en général

Quelques publicités ont valeur d'offre (25), par exemple certaines promotions, non équivoques, qui décrivent avec précision le produit et qui énoncent son prix, éléments essentiels du contrat de vente. Si de plus elles ne contiennent aucune réserve subjective, leur fermeté ne fait pas de doute. Ce sont alors des offres publiques, offres à part entière (26) et l'acceptation pure et simple de leur destinataire transformera la promesse en un contrat.

D'autres types particuliers de publicités peuvent avoir valeur d'offre. C'est le cas de certaines sociétés de vente par correspondance qui insèrent dans des magazines, ou dans des prospectus, un coupon permettant de recevoir gratuitement et sans engagement leur catalogue de vente. Il s'agit bien d'une forme de publicité puisqu'elle leur permet de se faire connaître et ainsi d'augmenter potentiellement leurs ventes. Le renvoi du bon de demande de réception du catalogue constitue une acceptation expresse de l'offre faite par l'annonceur de l'envoyer. Ce mécanisme concerne aussi les demandes d'envoi d'échantillons ou de devis personnalisés.

Qu'en est-il des publicités n'ayant pas valeur d'offre? Si une publicité ne présente qu'une qualité du produit, peut-on considérer qu'un particulier, ayant lu cette annonce, accepte tacitement l'offre d'avant-contrat qu'elle contient lorsqu'il se présente dans le magasin pour voir s'il souhaite acquérir les produits vantés? Il accepterait alors, non pas d'acheter le produit, mais de lier l'annonceur à le vendre s'il le désire. L'annonceur devrait, dans ce cas, être à même d'identifier ceux qui ont eu connaissance de sa publicité pour interpréter leur comportement comme l'expression d'une acceptation. Ce point est délicat: comment le dirigeant d'une grande surface, par exemple, peut-il distinguer les personnes ayant eu vent de son annonce et les autres? Et s'il le pouvait, "les autres" ne pourraient alors pas bénéficier des obligations de l'annonceur, puisqu'ils n'auraient pas eu connaissance de l'offre et ne pourraient alors valider ses obligations par leur acceptation. Cette solution présente trop de complications pour être possible.

En somme, l'acceptation tacite d'une publicité n'est pas envisageable et l'acceptation expresse se résume aux publicités ayant valeur d'offre. Il est à noter que dans ce cas l'annonceur sera déclaré responsable s'il rétracte son offre, commettant alors une faute que la jurisprudence sanctionne. Les loteries ont parfois aussi valeur d'offre.

2 Le cas particulier des loteries commerciales

Les loteries, prises dans leur sens général, sont analysées comme des contrats (27). Lorsque le participant au tirage au sort achète un billet, il conclut un contrat avec l'organisateur de la loterie. Ce dernier a l'obligation de le faire participer au tirage au sort et de lui transmettre son lot en cas de gain.

Cette qualification a été transposée aux loteries publicitaires par la Cour de Cassation en 1991 (28). Le prospect, alors qu'il avait renvoyé son bulletin de participation pour le tirage au sort, se vit attribuer un lot de faible valeur avant la date du tirage. Les documents lui annonçaient qu'il obtiendrait "un des quatre lots prestigieux" énumérés et seuls trois de ces lots furent attribués. La Cour de Cassation constata par conséquent, qu'il avait gagné le quatrième. Son préjudice fut considéré comme certain puisque la société avait contracté l'obligation de le faire participer au tirage au sort et de lui transmettre le lot qui lui serait décerné, obligations qu'elle n'a pas remplies. Le renvoi d'un bulletin de participation à une loterie commerciale est une acceptation expresse - le joueur a formellement exprimé sa volonté d'être participant - qui transforme l'offre de participer faite par la société en un contrat (29). Celui-ci est un contrat classique de loterie.

Parfois, l'annonceur propose non plus de participer à un tirage au sort mais de comparer le numéro attribué au prospect avec le numéro gagnant déjà déterminé. Cette pratique est plus répandue que la première car, d'une part elle évite le stockage des bulletins de participation - l'organisateur pouvant dès la réception du coupon vérifier le numéro - et, d'autre part elle permet de faire durer le jeu puisqu'il n'y a pas de date buttoir comme en cas de tirage au sort. Dans ce cas l'organisateur de la loterie a l'obligation de vérifier le numéro et d'expédier le lot gagné, s'il y a gain. Il est encore ici possible de parler de contrat (30), le prospect par le renvoi de son bulletin ayant expressément accepté de participer au jeu.

Cette solution n'est plus envisageable lorsque l'organisateur annonce sans nuance que le prospect a gagné le gros lot sans avoir été informé de l'existence d'un jeu, c'est-à-dire d'un tirage au sort ou d'une vérification de numéro ; il ne peut donc l'avoir accepté expressément ou tacitement puisqu'il est ignorant de l'existence d'un jeu, sa demande d'expédition du lot ne peut être confondue avec une demande de participation (31).

En somme, les publicités ayant valeur d'offre ne posent guère de problèmes, il en en va autrement de celles ne pouvant être ainsi qualifiées. Nous avons vu qu'il n'était pas possible de constater l'existence d'un accord de volonté expresse ou tacite pour les insérer dans le champ contractuel, peut-on le faire grâce au mécanisme de l'acceptation par le silence lorsque l'offre est faite dans l'intérêt exclusif de son destinataire?

B. L'acceptation par le silence

Cette idée proposée par la doctrine (32) au début du siècle pour expliquer l'obligation de maintenir une offre avec délai, sorte d'avant-contrat, fut exploitée par la jurisprudence à quelques reprises pour constater l'existence d'un contrat (33). Elle pourrait désormais être envisagée pour expliquer la consécration de l'obligation d'une société de vente par correspondance organisatrice d'une loterie de livrer le gros lot qu'elle a annoncé, ceci étant une interprétation possible de la jurisprudence (1), et de même être étendue aux publicités en général (2). Dans les deux cas il s'agit, en principe, d'offres faites dans l'intérêt exclusif de leurs destinataires.

1 Une interprétation de la jurisprudence sur les loteries

Le mécanisme de l'acceptation par le silence, lorsque l'offre est faite dans l'intérêt exclusif de son destinataire, serait un fondement possible de la consécration jurisprudentielle (34) de l'obligation, à la charge d'une société de vente par correspondance, de délivrer le lot annoncé dans ses prospectus publicitaires lorsque le lot est accordé par prétirage (35) et que tout aspect aléatoire pour l'attribution dudit lot est nié. Dans l'esprit du prospect, l'envoi de sa demande d'expédition du lot n'a plus d'influence sur l'attribution de celui-ci ; il accepte seulement de le recevoir et non de participer au jeu celui-ci étant présenté comme fini, donc il demande de bénéficier d'un droit déjà né à son profit. La naissance de ce droit de recevoir le lot ne peut résulter d'un accord de volonté entre l'organisateur et le prospect puisque celui-ci n'ayant pas été informé de l'existence d'un jeu, n'a pu, même par son silence, accepter l'offre de participer à un jeu. La fiction serait alors portée à son apogée, aucun auteur n'étant allé jusque là. Cette obligation ne peut donc avoir une source contractuelle, elle n'a pas été consacrée au sein d'un accord de volonté entre l'annonceur et le prospect.

La phase qui précède la relation contractuelle exposée dans l'arrêt du 26 novembre cité ci-avant (36) peut être analysée de la même manière. En effet, la société avait effectué un premier tirage puisque le prospect faisait partie de la liste "des 4 gagnants". Par rapport à ce tirage, il n'avait émit aucune acceptation étant ignorant de son existence. La société ayant prétendu ensuite avoir modifié le nombre de lots, les juges n'ont pas considéré la date de cette modification, qui pouvait précéder l'acceptation et ont ainsi implicitement admis que la société était obligée de maintenir son offre de loterie.

L'utilisation de ce mécanisme par les juges est à envisager tout en n'étant pas certaine. Pourrait-elle en matière de publicité en général permettre de contraindre l'annonceur à respecter ses promesses?

2 Une extension risquée aux publicités

Pour les publicités au sens général il s'agit d'un avant-contrat. Il est à noter que si la publicité est une offre, l'avant-contrat formé touche son maintien et non son contenu car elle contient presque toujours des obligations réciproques, et une personne ne peut devenir débitrice par son silence.

Lorsque la publicité n'a pas valeur d'offre, les qualités ou caractéristiques d'un produit ou d'un service vanté dans l'annonce seraient entérinées dans un avant-contrat: l'annonceur devrait les respecter quelle que soit l'évolution des relations entre les parties et si les parties contractent, la qualité promise ferait partie du contrat. Le destinataire de la publicité aurait forcément accepté de conclure cet avant-contrat puisqu'il est dans son intérêt exclusif.

Ceci serait une extension relativement importante de la théorie de DEMOLOMBE puisqu'il ne l'avait conçue que pour valider le maintien de l'offre faite à personne déterminée et contenant un délai de survie. En l'occurrence bien souvent les publicités sont distribuées à tout le monde sans délimitation du nombre de leurs destinataires et elles ne stipulent pas toujours un délai. Et qui plus est, l'obligation à consacrer n'est pas fondamentalement celle de leur maintien mais celle de fournir un produit ayant les caractéristiques vantées si une personne souhaite l'acquérir.

La constatation d'une acceptation expresse est limitée aux publicités ayant valeur d'offre et la thèse de l'acceptation par le silence n'en reste pas moins une fiction à laquelle les auteurs ont dû recourir, semble-t-il faute de vouloir admettre la force obligatoire de la volonté unilatérale (37). Cette solution n'est en tout cas pas satisfaisante en matière de loteries et de publicités. Est-il alors possible d'insérer les publicités dans le champ contractuel en les qualifiant de document contractuel?

§2 - La publicité qualifiée de document contractuel

La qualification de document contractuel ne concerne que les publicités en général, ayant incité à la conclusion d'un contrat en vantant ses mérites. Les loteries publicitaires n'incitent à sa conclusion que de manière détournée quand le prospect se croit plus chanceux s'il commande ou, quand il s'imagine avare de ne pas le faire (38). L'intégration de la loterie au contrat ainsi formé, c'est-à-dire à la commande, ne serait d'aucune utilité puisqu'elle est étrangère à l'exécution de celui-ci. Sa qualification de document contractuel n'est donc pas à envisager (39).

Cette qualification sera exposée pour les publicités en général, hormis les loteries commerciales, préalablement aux problèmes qu'elle suscite.

A. Intégration des publicités aux documents contractuels

Selon Françoise LABARTHE, "les documents contractuels sont les documents remis ou invoqués à l'occasion d'un contrat, à la condition qu'ils soient susceptibles d'engager à titre d'élément du contrat" (40). Les documents publicitaires sont considérés comme tels s'ils renferment des indications précises sur le bien ou le service proposé et s'ils ont, au moins en partie, déterminé le consentement de leurs lecteurs ; il n'est pas nécessaire, en effet, que le document ait déterminé entièrement le consentement d'une partie au contrat. Ils sont alors des éléments du contrat. Cette étude se restreint aux publicités écrites sans pour autant exclure les autres comme pouvant engager contractuellement (41).

L'auteur considère que certaines publicités ont la valeur d'offre lorsqu'elles comportent les trois caractères de l'offre - fermeté, précision, absence d'équivoque. Cette valeur s'appréciera au cas par cas.

Mais ce fondement est insuffisant pour expliquer la jurisprudence. En effet, les tribunaux incluent les publicités aux documents contractuels sans qu'elles renferment le degré de précision nécessaire à la notion d'offre. Ceci s'expliquerait par l'influence des données, malgré tout assez précises, des discours publicitaires (42) sur le consentement du cocontractant: celui-ci "va attendre du produit ou du service acheté les qualités promises dans le dépliant publicitaire" (43) et "si le contrat ne reprend pas toutes les caractéristiques, il se fiera aux données du document publicitaire" (44). Ceci sera encore plus net lorsque le cocontractant n'a pas les connaissances suffisantes pour apprécier lui-même les qualités du produit ou du service, il fera alors d'autant plus confiance à la publicité, elle sera "le premier élément du contrat (...) et entrera dans la sphère contractuelle du fait de la conclusion du contrat et donc s'intégrera à lui" (45).

La publicité n'étant pas par nature un document contractuel (46), elle ne le devient que du fait de cette influence sur la conclusion postérieure d'un contrat (47), sauf si les parties modifient consciemment les données de la publicité et se situent ainsi en dehors de son champ.

Toujours selon cet auteur, la jurisprudence s'inspire de cette influence pour révéler des défauts de conformité ou des vices cachés ressortant du contrat incité par la publicité. Les juges du fond interprètent souverainement le contenu du contrat et de cela "va dépendre l'intégration ou non du document publicitaire au champ contractuel", ils se réfèrent au contenu des publicités pour constater un manquement du vendeur à ses obligations, ce qui "est implicitement reconnaître qu'ils ont valeur contractuelle" (48).

B. Problèmes suscités par cette qualification

Premièrement, la jurisprudence n'apparaît pas comme fixée en la matière. La Cour de Cassation ne s'est pas prononcée directement sur la valeur contractuelle du document publicitaire, puisque des arrêts récents refusent cette qualité à certaines publicités considérées comme trop succinctes (49) ou comme n'étant pas suffisamment fermes (50). Il est donc permis de comprendre que si elles ont un degré de précision et de fermeté suffisant, elles seront des documents contractuels. Pourtant, les publicités analysées dans ces arrêts étant relativement détaillées, le degré d'exigence de la Cour semble quasiment inaccessible. De ce fait, trop peu de publicités seront qualifiées de document contractuel pour considérer la solution efficace.

La Cour d'appel de Paris refuse cette qualification: "si une plaquette publicitaire ne vaut document contractuel que si elle est annexée à l'acte de vente, ou visée par celui-ci, il n'en reste pas moins qu'elle constitue la matérialisation du devoir de renseignement requis du vendeur professionnel, et circonstancie également le contexte dans lequel l'acheteur a donné son adhésion, lorsqu'elle est ferme et précise" (51). La publicité est alors rattachée au contrat par forçage de celui-ci, solution qui fut proposée par Madame FAVRE-MAGNAN (52), et non par rapport à sa qualité de document contractuel.

Deuxièmement, la Cour d'appel de Paris formule ainsi une des critiques classiques contre l'insertion des publicités aux documents contractuels: en effet, si elles ne sont pas mentionnées dans le contrat comment peuvent-elles, alors qu'elles appartiennent à la phase précontractuelle, être des documents contractuels? Il n'y a pas eu accord de volonté sur leur contenu et une tromperie devrait logiquement être sanctionnée par le dol et donc l'annulation du contrat vanté, ou tout au moins l'attribution de dommages et intérêts si le dol n'est qu'incident. L'exécution forcée n'est pas envisageable. Cependant, Mademoiselle LABARTHE, tout en admettant la pertinence de la critique, estime que cette interprétation ne prend pas en considération toute la complexité des relations contractuelles (53).

Troisièmement, si l'annonceur est tenu au titre d'une obligation contractuelle, il doit avoir eu la volonté de se lier. Il semble en effet paradoxal que l'annonceur soit lié contractuellement sans que sa volonté soit étudiée. Sur ce point, Mademoiselle LABARTHE estime que "la volonté de l'auteur de la publicité figure dans son document [publicitaire]. Il n'est donc pas utile de s'interroger sur sa véritable intention, sauf à prouver que le document ainsi fourni n'était qu'un dol" (54). La volonté est donc supposée et disparaît que si l'annonceur a été trompé. Ceci ne semble pas si simple (55). La publicité étant émise au cours de la phase précontractuelle, l'annonceur n'a peut être formulé qu'une simple proposition d'entrer en pourparlers et donc seul un comportement fautif pourrait être sanctionné sur la base de la responsabilité délictuelle.

Quatrièmement, comme la publicité est analysée par rapport à son rattachement potentiel à un contrat mais non par rapport à la volonté de l'annonceur lors de son émission, celui-ci pourrait donc en toute logique modifier sa publicité avant la conclusion du contrat puisqu'elle n'obtient une valeur juridique que par rapport à celui-ci (56). Cet argument aurait pu être aussi opposé au mécanisme de l'avant-contrat sauf à admettre pour celui-ci qu'il y a une obligation au maintien de l'offre de l'avant-contrat.

Conclusion de la Section 1

Les publicités ayant valeur d'offre, rares dans la pratique, sont parfois validées dans un contrat lorsqu'elles sont acceptées expressément par le destinataire de la publicité. Ceci concerne essentiellement les cas de renvoi des bulletins de participation à des tirages au sort lorsque des sociétés commerciales organisent des loteries afin d'animer leurs ventes, ou de renvoi de coupons permettant de recevoir gratuitement un catalogue ou des échantillons, ce qui reste très limité. Sans oublier que ces publicités se singularisent car elles ne vantent pas directement un produit susceptible d'être vendu et ne posent pas à ce titre la question de leur insertion dans le champ contractuel. Toujours est-il que l'acceptation du destinataire de la publicité permettra de contraindre l'annonceur à respecter ses promesses puisqu'il sera engagé contractuellement.

La plus grosse partie des publicités, hormis le cas particulier des loteries, ne peut être qualifiée d'offre. Pour insérer les publicités au champ contractuel, la constatation d'un avant-contrat formé entre l'annonceur et le destinataire de la publicité est à exclure car trop hasardeuse. Par ailleurs, la thèse de l'intégration des publicités au contrat qu'elles ont incité, par le biais de leur assimilation aux documents contractuels, suscite quelques problèmes. Cette technique laisse apparaître pourtant certains caractères des publicités qui seront repris lors de l'analyse de la volonté de l'annonceur, notamment leur influence sur le consentement. Nous laisserons de côté ce point pour poursuivre l'analyse des solutions classiques. Puisque pour appliquer les règles contractuelles, nous avons supposé que l'annonceur avait eu la volonté de s'engager, quelle serait alors la valeur des publicités sans cette supposition? Seul le comportement de l'annonceur, s'il est fautif, pourrait être sanctionné. L'application des règles de la responsabilité délictuelle devra être envisagée.

SECTION 2 : LES SOLUTIONS DELICTUELLES

Les publicités, en général, ne sont pas sanctionnées par les tribunaux civils sur le fondement de la responsabilité délictuelle - article 1382 du code civil. Du reste, cette qualification ne permettrait pas de satisfaire les plaideurs puisqu'ils ne pourraient alors contraindre l'annonceur à respecter ses promesses (57), elle ne sera donc pas envisagée.

En revanche, en matière de loteries publicitaires avec prétirage, le juge motive très souvent sa décision par cet article. Si la qualification de la faute paraît respecter les règles classiques (§1), l'indemnisation du préjudice ressemble plus à une exécution forcée qu'à une réparation (§2).

§1 - La faute de l'organisateur de loterie, source d'obligation

Les arrêts de la Cour de cassation engageant la responsabilité de la société organisatrice de loteries commerciales, sont des arrêts de rejet et rappellent les caractéristiques des documents envoyés. Ne pouvant donc être considérés comme des arrêts de principe, leur portée est limitée. La volonté de la Cour de cassation n'en reste pas moins constante pour sanctionner ce genre de pratiques. Une idée, ressortant systématiquement de ces arrêts, permet de définir, en partie, la faute de l'organisateur: les documents envoyés sont volontairement rédigés de manière ambiguë dans le but de tromper (A). En revanche, un aléa subsiste quant au caractère trompeur des documents: est-il apprécié in concreto, c'est-à-dire en tenant compte de la personnalité de la victime ou in abstracto, c'est-à-dire par rapport au consommateur moyen (B)?

A. Des documents volontairement ambigus

En 1988, la deuxième chambre civile a considéré, à deux reprises, que la société "France Direct Service" avait engagé sa responsabilité, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, parce qu'elle avait envoyé des documents laissant croire à leurs destinataires qu'ils étaient "l'heureux gagnant" du gros lot. Ce sont deux arrêts de rejet.

Le 3 mars (58), la Cour releva que les juges du fond avaient légalement justifié leur décision en indiquant "qu'en présentant de façon affirmative un événement hypothétique, cette société avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité puisqu'il était justifié que M. G. et M. N. avaient subi un préjudice constitué par la personnalisation du document envoyé et la vaine croyance dans l'acquisition d'une somme importante". L'arrêt du 21 mars (59), non publié, semble lui se référer à une notion plus générale: "la rédaction [des documents] était de nature à induire en erreur le consommateur moyen".

Un arrêt de rejet du 7 juin 1990 (60) consacre ces solutions: " Attendu que la méthode de publicité utilisée par la société n'est pas exempte de critiques en la forme, que les deux courriers reçus par Mme X. l'ont particulièrement prédisposée à croire à la réalité du gain, qu'ils ne peuvent qu'avoir induit en erreur une personne de bonne foi, que de tels procédés ne sauraient se substituer à une publicité loyale nécessaire à l'information...".

La Cour de cassation se réfère toujours à la description des documents. Par exemple, pour motiver la décision rendue le 3 mars 1988, elle constate "que le document litigieux envoyé sous enveloppe en partie transparente débutait par l'affirmation que le destinataire avait gagné 250 000 F et narrait ensuite la cérémonie de la remise du chèque par le directeur de la société FDS" (61). Le caractère ambigu des documents est systématiquement mis en valeur, la rédaction de ceux-ci important plus que la volonté de l'émetteur (62).

Le point variable dans les raisonnements des tribunaux concerne la personne que la rédaction des documents a pu tromper.

B. Les qualités de la personne trompée

Les décisions se partagent en deux catégories. Pour apprécier la faute de l'organisateur, les unes se réfèrent au consommateur in abstracto tandis que les autres considèrent le consommateur in concreto. Ceci est une source d'insécurité juridique donc ne devrait pas persister.

Les premières exigent, pour engager la responsabilité de l'organisateur, qu'il ait voulu surprendre la vigilance du consommateur moyen, notion relativement floue du droit français. C'est "le bon père de famille" du droit de la consommation. Le caractère mensonger est apprécié par rapport à une "personne normalement intelligente et attentive".

Les secondes prennent en considération les qualités propres du destinataire de la publicité, par exemple l'âge, pour évaluer la faute de l'organisateur de la loterie ayant rédigé des documents volontairement ambigus (63). Ces pratiques ayant fait scandale, le consommateur moyen n'est plus dupe. Ce n'est pas le cas de personnes plus vulnérables, notamment les personnes âgées que les juges essayent de protéger davantage grâce à une appréciation in concreto du consommateur. Cette appréciation joue pour caractériser la faute car l'annonceur avait conscience que son jeu troublerait non pas le "bon père de famille" mais des personnes plus fragiles.

Il est à noter que les qualités propres de la victime apparaissent rarement dans les attendus de la Cour (64) contrairement à la description des documents. Le juge semble alors apprécier, à partir de ces documents, quelles sont les personnes plus particulièrement visées par ceux-ci. La sélection à partir de listes de consommateurs étant, en principe, aléatoire, le prospecteur ne choisit alors pas les destinataires de la loterie mais par la formulation de sa publicité, il espère toucher une certaine frange de la population. Il semblerait donc plus adéquat de se référer à cet ensemble de personnes, c'est-à-dire celles chez qui l'organisateur a espéré créer une confusion.

Le comportement de l'organisateur de loteries, ayant volontairement rédigé les documents envoyés aux prospects avec des termes ambigus, est constitutif d'une faute selon une jurisprudence quasi unanime. En effet, quelques décisions (65) ont qualifié ces documents d'engagement par volonté unilatérale. Nous ne rentrerons pas tout de suite dans cette discussion importante qui fera l'objet d'un second chapitre. Même si nous admettons que le comportement de l'annonceur n'est pas une manifestation de volonté mais une simple faute, l'évaluation du préjudice subi par le destinataire de la loterie est en contradiction avec les règles de la responsabilité délictuelle et autorisera à elle seule à rejeter cette solution car celle-ci permet d'obtenir le résultat socialement souhaité, c'est-à-dire contraindre l'annonceur à donner ce qu'il a annoncé mais au prix d'une distorsion des règles d'évaluation du préjudice.

§2 - L'évaluation du préjudice

Force est de constater que le préjudice subi par le prospect abusé est très largement évalué. Pourquoi? Les publicités ambiguës, y compris les loteries commerciales, sont sanctionnées pénalement par le délit de publicité trompeuse (66) mais les tribunaux répressifs prononcent rarement des peines fortes. Il semble que face à leur timidité en matière de loteries commerciales, les juges civils aient appliqué le mécanisme de la peine privée afin de limiter ce type de pratiques abusives. Le caractère non dissuasif (67) des sanctions pénales (A) sera envisagé avant le palliatif trouvé par les tribunaux civils (B). Cette analyse se fondera essentiellement sur les décisions rendues en matière de loteries publicitaires.

A. L'insuffisance de l'action pénale

Le délit de publicité trompeuse a une définition large (1) mais le ministère public n'enclenche pas toujours l'action publique, ce type de criminalité paraissant mineur. De plus, la victime est rarement déclarée recevable, son action ne peut donc pas déclencher l'action publique (2).

1 Le délit de publicité trompeuse

La publicité mensongère ou trompeuse est un délit pénal (68). Est considérée comme telle, toute publicité - quels que soient son support, la forme de son message, son objet, son annonceur ou son destinataire - dont le message est de "nature à induire en erreur le public" (69). La mauvaise foi de l'annonceur n'est plus un élément constitutif de l'infraction (70), celui-ci sera déclaré responsable s'il est prouvé qu'il n'a pas vérifier la véracité de son message. Les loteries commerciales sont sanctionnées sur cette qualification (71).

L'annonceur, responsable à titre principal, peut être condamné à une peine de prison de trois mois à deux ans et d'une amende de 1000 à 250 000 F ou de l'une de deux peines seulement (72). Le maximum de l'amende peut être porté à 50 % des dépenses de la publicité constituant le délit (73). L'amende pourrait donc théoriquement être très élevée. Pourtant celles prononcées sont, pour la plupart, relativement faibles par rapport au gain obtenu. Quant à la peine d'emprisonnement, l'annonceur obtient toujours un sursis (74) lorsqu'elle est requise.

L'action publique est enclenchée, généralement à la demande de la commission départementale de la répression des fraudes, de la concurrence et de la consommation. La constitution de partie civile déclenche aussi cette action lors qu'elle est recevable.

2 L'influence de la victime

La victime d'une infraction et l'association, habilitée à défendre les intérêts mis en cause par cette infraction, peuvent demander réparation de leur préjudice matériel, moral ou corporel soit devant un tribunal civil soit devant le tribunal répressif appelé à statuer sur l'action publique (75). L'action civile sera alors l'accessoire de l'action pénale (76). Elle tend, en principe à obtenir une réparation pécuniaire d'un préjudice certain, personnel et direct ayant pour source l'infraction et a, surtout, pour conséquence de déclencher automatiquement l'action publique (77).

Lorsque l'action est exercée par la voie pénale, le demandeur risque de se voir opposer la notion d'intérêt général (78), la chambre criminelle refusant de considérer comme personnel (79) ou collectif (80) le préjudice résultant des infractions économiques. Cette jurisprudence, ayant eu pour fondement la crainte de l'augmentation des constitutions de parties civiles et donc des déclenchements d'actions publiques, a été en partie abandonnée dans les années 80, à la suite de la loi Royer (81) réglementant les actions des associations de consommateurs.

En effet, les associations furent dés lors déclarées recevables mais, les actions civiles des particuliers sont toujours rejetées faute de préjudice (82). Ceci a tout de même permis d'augmenter le nombre d'actions mais les sanctions prononcées restent toujours très faibles. Les tribunaux civils, pour parer ce manque, accordèrent une indemnisation, bien supérieure au préjudice subi. Ceci permis aux victimes des loteries publicitaires d'obtenir une satisfaction personnelle peut-être plus adéquate qu'une amende versée à l'Etat (83).

B. L'intervention des tribunaux civils

La doctrine considère que les juges civils sont intervenus pour pallier l'insuffisance de caractère dissuasif des sanctions pénales. Nous avons vu que le comportement de l'annonceur était fautif, est-il source d'un préjudice? La jurisprudence l'affirme (1), ce que la doctrine critique (2).

1 Le droit positif

L'utilisation des mécanismes de la responsabilité délictuelle pour sanctionner ces pratiques commerciales abusives par la Cour de Cassation date de 1988 (84). Le préjudice peut être moral ou matériel.

Le préjudice moral, selon la jurisprudence, est "constitué par la personnalisation du document envoyé et la vaine croyance dans l'acquisition d'une somme importante" (85). Il peut aussi résider dans le "choc émotionnel" provoqué par la certitude du gain d'un lot magnifique, "notamment chez les personnes âgées non habituées à ces facéties publicitaires", et dans "l'atteinte à la vie privée des personnes ainsi sollicitées, alors qu'elles ne souhaitent que la tranquillité" (86). Ou encore, il est constitué par "la privation de la somme importante dont [le prospect] a cru pouvoir disposer et sur l'emploi de laquelle il avait formé des projets et notamment la réparation de sa maison" (87).

En somme, le préjudice est constitué par l'amère déception qui succède à la conviction d'avoir gagné le gros lot, lorsque "l'heureux gagnant" découvre qu'il a été dupé par les termes très convainquants mais mensongers des documents qu'il a reçus.

Le préjudice matériel résulte des dépenses prématurées effectuées par le prospect. Elles peuvent provenir, par exemple, de l'achat d'un billet d'avion pour venir récupérer le gros lot annoncé (88). Un parlementaire exposa au garde des Sceaux la mésaventure de sa femme de ménage qui, croyant avoir gagné une voiture, est allée prendre des leçons de conduite (89). Et plus largement, il a été admis par les juges du fond que le préjudice pouvait résulter de "la moindre vigilance dans la surveillance effectuée dans le budget" en raison de l'annonce du gain d'une grosse somme d'argent (90).

Ces exemples sont relevés et critiqués par la majorité de la doctrine s'étant penchée sur cette question.

2 Les critiques formulées par la doctrine

Il est à noter que la doctrine critique l'évaluation du préjudice par rapport aux règles de droit et non par rapport à son aspect dissuasif, toujours loué puisqu'il permet d'atteindre le résultat souhaité, c'est-à-dire l'assainissement de ces pratiques (91).

Le préjudice matériel n'est pas discuté par la doctrine, il en est autrement du préjudice moral. En effet, le désespoir causé par la découverte de la réalité, c'est-à-dire l'absence de gain ou plus généralement l'obtention d'un lot de consolation (qui n'en est pas une), ne peut être estimé à la valeur du gain promis dans les prospectus.

Selon Monsieur VIRASSAMY, ce préjudice est insuffisant "pour déclencher l'application de l'article 1382 du code civil" (92). La perte d'un espoir n'étant une atteinte ni au patrimoine ni à l'intégrité physique d'une personne, ne peut toucher que son moral. Pourtant elle ne fait pas partie des préjudices moraux "type" et en est même relativement éloignée. Les deux cas principaux sont l'atteinte à l'honneur ou à la vie privée ou le préjudice d'affection - par exemple, le chagrin causé par un décès. Le préjudice moral "de déception" n'en est pas un (93) et a fortiori ne peut être évalué au gain promis comme c'est de plus en plus le cas (94).

Ceci semble être un cas d'application de la peine privée, c'est-à-dire "une sanction infligée en matière civile (et non pénale) à titre de punition (et non de réparation)" (95). Cette théorie n'est, en principe, pas reconnue en droit français (96), la Cour de cassation, par une jurisprudence constante, refuse de considérer la gravité de la faute commise pour évaluer le préjudice en résultant. Le responsable doit réparer tout le dommage mais rien que le dommage - principe de la réparation intégrale du dommage et de l'équivalence entre le dommage et la réparation. Une victime ne peut s'enrichir. Pourtant en l'occurrence, les "malheureux gagnants" se sont vus attribuer la totalité du lot espéré, bien supérieur à leur préjudice et sont ainsi devenu "d'heureux attaquants".

Nous pouvons remarquer que parfois les juges évaluent le dommage par rapport au consommateur moyen (97). Ils se rapprochent alors de la faute commise par la société de vente par correspondance, ce qu'elle a pu prévoir et non de ce qu'à ressenti la victime. La référence au consommateur "normalement avisé et diligent" rapproche alors les décisions civiles des décisions pénales et serait source d'harmonisation. Les deux ordres, civil et pénal, restent tout de même bien différents dans le but qu'ils poursuivent et une telle identification ne peut être que source de distorsions. Il semble plutôt que les juges aient voulu contraindre l'organisateur de la loterie à respecter ses promesses "coûte que coûte".

Conclusion de la Section 2

Les règles de la responsabilité délictuelle ne sont utilisées par les tribunaux que pour indemniser la personne déçue de ne pas avoir gagné le gros lot et ne sont pas étendues à l'ensemble des publicités. Le préjudice résultant d'une faute non contestable, résultant de documents volontairement ambigus rédigés ainsi pour tromper, de l'organisateur est évalué très largement. Cette sanction est approuvée au nom de la morale et décriée par rapport à la distorsion des règles de droit ainsi utilisées: la déception ne valant pas le gain espéré.

Ceci paraît d'autant plus flagrant puisque les juges refusent à la victime d'un délit de publicité trompeuse le droit d'entamer l'action civile faute de préjudice personnel. Ces solutions sont en parfaite discordance: dans les deux cas les rêves d'une personne ont été utilisés par une autre peu scrupuleuse.

Les sanctions civiles n'apparaissent pas comme un simple palliatif de l'insuffisance des sanctions pénales - due à la faiblesse des peines prononcées si toutefois l'action a été enclenchée - elles font ressortir l'existence d'une obligation à la charge de l'annonceur. Le semblant d'exécution forcée lors de l'évaluation du préjudice est un indice tout comme la référence à un consommateur moyen. Le juge ne se penche plus sur le cas de la victime mais sur celui de l'annonceur. Les règles de la responsabilité civile ne semblent pas adéquates et de plus subissent une distorsion de leur contenu.

CONCLUSION du CHAPITRE I

Pour les publicités n'ayant pas valeur d'offre, faute d'accord de volonté, il paraîtrait plus conforme de les sanctionner par le biais de la responsabilité délictuelle mais l'évaluation du préjudice que subissent les personnes abusées est difficilement chiffrable ; s'il est admissible dans son principe, ce qui semble douteux. Ces deux qualifications ne s'adaptent pas aux publicités: les solutions contractuelles apportent une sanction adéquate, tout en ne permettant pas de lier l'annonceur avant l'intervention du récepteur de la publicité, mais sont discutables dans leur fondement et les solutions délictuelles semblent mieux fondées tout en étant insuffisantes sur leurs résultats si leurs règles sont vraiment respectées.

De plus ces dernières n'expliquent peut être pas si bien la réalité. En effet, il ressort au fur et à mesure de ces développements que l'annonceur a eu une certaine volonté de se lier. Lorsque les publicités sont analysées comme des documents contractuels, l'annonceur a voulu influencer le destinataire du message publicitaire. Quant les juges recourent aux règles de la responsabilité délictuelle pour sanctionner l'organisateur de loterie peu scrupuleux, ils se référent surtout à la faute de l'organisateur, le préjudice n'étant utilisé que comme un moyen de sanctionner. Cette faute repose sur la rédaction de documents volontairement ambigus, ce n'est pas un accident.

Ces divers éléments permettent de s'interroger sur la qualité de la volonté de l'annonceur et ceci sans trahir l'enseignement du Doyen GENY puisque nous n'imaginons un recours possible à l'engagement par volonté unilatérale qu'après avoir envisagé l'impossibilité des solutions classiques à obtenir le résultat socialement souhaitable.



CHAPITRE II

LA RECONNAISSANCE DE L'ENGAGEMENT PUBLICITAIRE PAR VOLONTE UNILATERALE

Comme tout acte juridique (98), l'engagement unilatéral se forme par l'émission d'une volonté. A la différence des contrats (99), autre acte juridique pouvant créer des obligations, une seule manifestation de volonté est nécessaire à sa formation. Dès que la volonté émise est suffisamment ferme et précise, son auteur est alors engagé à fournir la prestation, objet de la promesse.

Selon Marie-Laure IZORCHE (100), la frontière entre les actes et les faits juridiques ne se ferait plus sur la conception du vouloir au sens strict, c'est-à-dire je ne suis engagé que si j'ai voulu clairement les conséquences de mon acte, par exemple quand je conclus un contrat de vente pour acheter une maison. L'individu serait engagé lorsqu'il aurait conscience des conséquences que son acte déclenchera sur les tiers et les souhaiterait. Thèse beaucoup plus favorable à la reconnaissance des engagements publicitaires, car l'annonceur n'a presque jamais voulu au sens strict s'engager mais il a tout à fait perçu les conséquences que sa publicité aurait sur le public et les a même souhaitées importantes. Nous nous fonderons sur cette conception du vouloir tout en montrant que parfois, l'annonceur peut avoir voulu, au sens strict, son engagement.

Le créancier d'un tel engagement semble, tout de même, avoir un rôle même si celui-ci est plus faible qu'en matière contractuelle car il n'est qu'indirect. L'obligation est créée sans son intervention, mais par rapport à lui. Il semble "activer" l'obligation à son profit: elle est émise, sort du patrimoine du débiteur et n'entre dans celui de son créancier que parce qu'il "l'attrape". L'influence exercée par le créancier devra être analysée (Section 2) mais elle ne saurait exister qu'après l'émission par le débiteur d'une certaine volonté (Section 1).

Il est à noter que dans cette partie les loteries seront analysées au côté des publicités (101), la reconnaissance d'un engagement publicitaire par volonté unilatérale permettrait l'unification de leur qualification et de leur sanction.

SECTION 1 : LA VOLONTE EMISE PAR L'ANNONCEUR

La volonté comprend un élément psychologique (volonté interne) et un élément d'extériorisation (volonté déclarée). La volonté interne correspond à l'intention réelle de son auteur, elle est utilisée par les tribunaux pour détecter les vices du consentement ; tandis que la volonté déclarée est celle exprimée tacitement ou expressément par son auteur. La distinction entre ces deux volontés est intéressante en matière d'engagement unilatéral. En effet, il a été proposé de ne reconnaître une valeur juridique à ce type de promesse que par rapport à la volonté exprimée, et par rapport à son influence sur le monde extérieur (102). Nous verrons que cette tendance ressort implicitement des décisions jurisprudentielles sur les loteries publicitaires que nous tenterons d'étendre aux publicités en général n'ayant pas valeur d'offre (103). La volonté déclarée semble primer la volonté interne (104). La volonté interne (§1) mérite tout de même d'être envisagée et comme elle précède forcément sa déclaration (§2), elle sera étudiée en premier.

§1 - La volonté interne

Il est admis par les auteurs reconnaissant l'engagement unilatéral comme source d'obligations (soit autonome à côté du contrat soit exceptionnelle) que la volonté doit être ferme et réfléchie. Selon un auteur (105), la détermination de cette volonté est plus aisée lorsqu'elle comporte des limites précises, l'émetteur de l'engagement serait alors "plus" conscient de s'obliger. Un autre auteur (106), lors de l'analyse de la valeur juridique de l'offre de contracter, pense que celle-ci doit être maintenue si certaines caractéristiques de fait l'entourent. Ces deux idées se rejoignent. Quelques indices permettent de confirmer l'existence de la volonté interne. L'analyse des caractères indispensables à la reconnaissance de la volonté (A) précédera celle des indices de fait la confirmant (B).

A. La volonté doit être ferme et réfléchie

Ces deux caractères de la volonté sont distincts, l'un ne permet pas de supposer l'existence de l'autre. Ils seront donc étudiés successivement.

1 Une volonté réfléchie

L'auteur de l'engagement doit avoir eu conscience des conséquences de sa promesse et les avoir voulues (107). Si ce n'est pas le cas, sa promesse ne pourra être source d'obligations ; s'il a créé un trouble à l'ordre public ou à un particulier, seule sa responsabilité pénale ou délictuelle pourra être mise en cause (108).

L'annonceur a-t-il réfléchi et souhaité les conséquences de sa publicité sur le public? Ceci n'est pas discutable en matière de publicité: le budget d'une telle action commerciale étant généralement considérable, son émetteur calcule avec précision l'impact qu'elle aura. Les conséquences sont donc perçues car elles font partie intégrante du processus de réflexion. La publicité est diffusée pour inciter à la vente au sens large, l'annonceur veut faire croire à la véracité de sa publicité et à l'engagement qu'il prend et, par là même, a réfléchi à l'engagement ainsi pris.

La volonté n'est réfléchie que si elle a été formée librement et par une personne capable de le faire donc si le consentement de l'émetteur n'est pas vicié (109). La violence, extérieure au bénéficiaire de l'engagement semble tout aussi peut envisageable que le dol, pouvant aussi être extérieur aux parties en l'espèce (110). Même l'erreur ne semble pas possible lors de l'émission de la publicité. S'il s'agit d'une erreur sur les stocks, elle semble peu excusable. L'erreur sur une qualité d'un produit pourrait amener à la même conclusion de la part d'un professionnel (111).

Les règles de capacité sont aussi applicables: un mineur ou certains majeurs incapables ne pourraient valablement s'engager ainsi qu'une personne n'ayant pas les pouvoirs de représentation nécessaires. Ces questions d'incapacité ne semble pas se poser en matière de publicité, les budgets étant trop important pour être confiés à des incapables.

2 Une volonté ferme

Les auteurs ne définissent pas toujours cette volonté. Pour l'analyser, nous proposons d'effectuer un parallèle avec l'offre de contracter puisque celle-ci doit provenir d'une volonté ferme de s'engager.

La volonté de s'engager contenue dans une offre de contracter n'est ferme que si aucune réserve subjective (112) n'est insérée à la manifestation de volonté. La jurisprudence a appliqué cette notion à un engagement publicitaire pour une réserve intuitu personae (113). Une dame avait lu dans un dépliant touristique qu'un club de tir "acceptait" de nouveaux adhérents. Elle s'y présenta, longtemps après l'émission de la publicité (114) ; Le club refusa sa candidature, ce qui choqua la dame. Elle voulu contraindre le club de tir à accepter sa candidature. Les juges interprétèrent l'annonce publicitaire comme voulant susciter des candidatures mais se réservant le droit de les refuser, la dame en question ne pouvait donc se prétendre créancière d'un engagement d'accepter sa candidature.

Il semble aussi possible d'étendre la notion d'intuitus personae implicite de certaines offres aux engagements unilatéraux. Supposons une publicité vantant les qualités d'un ensemble d'appartements à louer et stipulant leur prix de location. Elle ne peut être une offre puisque ne détaillant pas chaque appartement, la chose n'est alors pas précisée, mais pourrait être un engagement de louer un de ces appartements dans la fourchette de prix indiquée. Ce serait omettre le droit de choix par le propriétaire de ses locataires.

Une réserve subjective est fréquemment incluse dans les publicités des grandes surfaces lorsqu'elles proposent des modalités de paiement étalé. Par exemple, avec la carte X. vous pourrez payer en quatre fois. Ceci pourrait être une promesse unilatérale, si la publicité n'a pas valeur d'offre, de la part du supermarché d'accepter tout paiement en quatre fois, mais l'annonceur ajoute généralement une clause comme celle-ci: "sous réserve d'acceptation de votre dossier par nos services financiers et après contrôle bancaire". C'est une réserve subjective: l'annonceur ne veut pas se lier, il émet une proposition pour entrer en pourparlers. Si le destinataire de la publicité souhaite en bénéficier, il devra s'entretenir avec l'annonceur, il y aura alors un accord de volonté et par conséquent application des règles contractuelles.

Cette réserve est très souvent stipulée à côté d'une autre: "à partir de 1000 F d'achat". Celle-ci n'est qu'une limite objective de la proposition du centre commercial. Si elle n'est pas associée à la précédente, dès que la barre des 1000 F est atteinte, le commerçant est tenu d'accepter toute personne voulant bénéficier de sa proposition, c'est-à-dire le paiement en quatre fois.

Une autre limite très fréquemment rencontrée, et dont l'utilisation est beaucoup plus répandue, est "ce document n'a pas valeur contractuelle" ou "document sans valeur contractuelle" (115). L'absence de volonté de s'engager contractuellement implique, en l'espèce, une absence de volonté de s'engager unilatéralement. La volonté interne reste, pourtant la même, c'est-à-dire convaincre le lecteur de la publicité de sa véracité, aucun annonceur ne souhaitant que leur publicité soit sans impact. Cependant l'annonceur déclare ne pas vouloir s'engager, bien souvent en caractère microscopique (116). En fin de compte, il espère que le lecteur n'en tiendra pas compte. L'annonceur ne veut alors pas à proprement parler s'engager, être contraint d'exécuter ses promesses, il veut juste le faire croire ! Cette pratique semble donc tout à fait choquante. Tout annonceur espère que sa publicité, malgré cette mention restera convaincante, tout en ayant pas de valeur juridique. Il y a contradiction: la volonté interne et une partie de la volonté déclarée se veulent incitatives tandis que l'autre partie ne veut pas s'engager.

Mademoiselle LABARTHE (117), comme Monsieur GHESTIN (118), proposent d'y appliquer le principe de la cohérence. Il ne peut être dit blanc et noir en même temps. Ce principe n'est pas clairement exprimé en jurisprudence, mais c'est le cas de beaucoup d'autres.

Il n'en reste pas moins que la promesse manque de fermeté et est équivoque. Plusieurs éléments prouvent que l'annonceur a voulu faire croire à sa promesse et n'a pas espéré qu'elle serait comprise comme sans valeur. Pourtant, la mention implique qu'aucun consommateur n'aurait dû considérer la publicité comme véridique, puisque l'annonceur n'a pas voulu s'obliger à respecter ses promesses. Celles-ci deviennent, de ce fait, douteuses et ce n'est pas ce que l'annonceur a souhaité.

En somme, comme l'annonceur a voulu sa publicité convaincante et comme le consommateur y a cru, il semble logique de ne pas considérer cette clause permettant à l'annonceur de se dégager trop facilement de sa responsabilité et mettant en échec toutes les solutions pour l'obliger (119).

En résumé, la volonté interne de l'annonceur sera ferme s'il ne stipule aucun réserve subjective impliquant une discussion avec le destinataire de la publicité. L'admission d'un réserve implicite est rare, la volonté pourra donc généralement être considérée comme suffisamment ferme.

B. Les limites posées par l'annonceur

Madame IZORCHE considère que la volonté émise est d'autant plus certaine lorsqu'elle délimite son champ d'application. Si les limites à la volonté sont plus étendues que l'engagement lui-même, la promesse ne pourra être sanctionnée. En revanche, si elles dessinent le contour des obligations, elles permettront de renforcer la conscience de s'engager qu'a pu avoir l'émetteur. Ces limites étant des réserves objectives, le juge peut les contrôler. En matière de publicité, trois limites sont à noter, la liste ne se voulant pas exhaustive.

1 Les limites temporelles

Les limites temporelles renforcent la valeur de l'engagement unilatéral. En effet, pourquoi vouloir limiter la durée d'une promesse sans valeur juridique.

S'il s'agit d'une offre de contracter, la fixation d'un délai est très utile, le pollicitant sera alors libéré à l'échéance mais tenu de maintenir son offre pendant la période énoncé. Les tribunaux sanctionnent le retrait abusif de l'offre sur la responsabilité délictuelle, ce qui est fort regrettable et d'ailleurs critiqué par une partie de la doctrine (120), qui considère qu'il s'agit plutôt d'un engagement unilatéral de maintenir de l'offre.

Cette importance de la fixation d'un délai pourrait être appliquée aux publicités qui n'ont pas valeur d'offre tout en étant suffisamment précise. Par exemple, si l'annonceur réduit son annonce promotionnelle à une période de 10 jours, il a conscience que sa publicité suscitera une réaction du public: les consommateurs comprendront la limite temporelle comme renforçant la sincérité de l'annonce. Il serait donc cohérent qu'il soit tenu pendant cette période.

2 Limite des bénéficiaires de la promesse

Certaines publicités ne sont données qu'à un groupe de personnes déterminé. Elles sont nominatives. Le cas le plus fréquent est celui des mailings envoyés par la poste: l'annonceur n'envoie sa publicité, par exemple, qu'aux personnes possédant une carte de fidélité - cas des présoldes ou des nocturnes. Les loteries sont aussi envoyées à des personnes déterminées et les tribunaux les sanctionnent d'ailleurs sur l'aspect personnalisé du document.

Cette limite renforce la volonté de l'émetteur car s'il ne s'engageait à rien pourquoi aurait-il limité le nombre de destinataires de la publicité. Dans certains cas, il peut être argué qu'il n'a voulu faire bénéficier d'un avantage que ses bons clients - cas des nocturnes. Mais ceci n'est pas généralisable.

De plus, la doctrine a souvent refusé d'admettre la valeur de la promesse unilatérale parce que le créancier de l'obligation pouvait être indéterminé au moment de sa naissance (121). Dans les cas ci-dessus évoqués, l'annonceur a déterminé les personnes qui pourront bénéficier de son engagement. Il a eu une conscience certaine des effets de sa publicité ou il a espéré que sa publicité aurait plus de poids justement parce qu'il la personnalisait. Le récepteur a l'impression d'être un privilégié, de faire partie des "meilleurs clients" et il ne lui viendra pas à l'esprit de mettre en doute la crédibilité de l'annonce. L'annonceur devrait donc être tenu envers ces personnes.

3 Limite des stocks disponibles

Cette limite, toujours insérée en cas de soldes ou de liquidation (122), n'est plus très fréquente dans les autres cas.

Monsieur AUBERT considère que les offres de contracter contenant cette limite ont la même valeur d'engagement unilatéral que celle stipulant un délai quand toutes deux sont faites à personnes déterminées. Il s'agit d'une limite objective. L'auteur de l'engagement est tenu de vendre tant qu'il lui reste des stocks.

Nous proposons d'étendre cette thèse aux publicités n'ayant pas valeur d'offre mais contenant ses caractéristiques - clause de limite des stocks et détermination du destinataire et l'annonceur serait alors tenu de la même manière. Mais cette extension pose problème puisque la position de Monsieur AUBERT n'est pas consacrée par la jurisprudence.

La clause de limite des stocks disponibles n'est pas reconnue comme limitative de responsabilité par les tribunaux répressifs. En effet, la chambre criminelle considère que l'annonceur doit disposer de stocks suffisants lorsqu'il fait une campagne publicitaire. Une grande surface fut condamnée pour publicité mensongère car les stocks étaient insuffisants (123). Il est, en effet, fort regrettable qu'une publicité soit faite sur des articles ne figurant pas en magasin ou en si faible quantité que beaucoup de consommateurs se déplaceront pour rien. Cette pratique restant fréquente, sa sanction ne peut être que bienvenue et montre l'utilité du droit pénal en ce domaine.

Sur le plan civil, il serait possible d'envisager une obligation à la charge de l'annonceur de disposer des stocks nécessaires pendant un certain temps (124), c'est-à-dire une sorte d'obligation de maintien du contenu de sa publicité si celle-ci ne vaut pas offre de contracter. Mais l'annonceur peut toujours limiter son engagement et, donc inclure cette clause.

D'autres mentions sont désormais insérées telles que "Nous disposons de stocks suffisant pour satisfaire vos demandes, si jamais il venait à manquer un article présenté dans cette publicité, veuillez le commander à l'accueil, le produit ou un produit similaire vous sera fourni dans les meilleurs délais au prix annoncé dans ce dépliant". Cette clause est contraignante au niveau civil, l'engagement est clair, sauf sur la notion de "produit similaire": si les stocks viennent à manquer, le consommateur peut exiger une commande durant le délai fixé. Cette promesse s'accompagnant toujours d'un délai, la volonté de l'annonceur de s'engager n'en est alors que plus certaine.

Il nous semble que ces différentes limites ne puissent être hiérarchisées mais que leur accumulation permette de déduire avec plus de certitude la volonté interne ; et que, si une publicité est précise et contient ces trois limites, elle peut être considérée comme ayant valeur d'engagement unilatéral. L'annonceur devra fournir les produits vantés pendant la période qu'il a déterminé à la personne qu'il a choisie lors de l'émission de sa publicité. Si, au contraire, seulement une ou deux de ces limites sont présentes, la volonté est plus douteuse.

En matière de publicité, la volonté interne se suppose à partir d'indices figurant dans la déclaration, tels que les limites ci-dessus envisagées. Il semble, même, que la volonté interne importe moins que la volonté déclarée: les décisions reconnaissant l'existence de la volonté de l'annonceur de s'engager se référent toujours à ce qu'à pu croire le destinataire de la publicité à partir de l'énoncé de celle-ci.

§2 - La volonté déclarée

La volonté déclarée est la volonté qui ressort de la déclaration, elle peut donc différer de la volonté interne. La Cour d'appel de Toulouse (125) a établi une présomption de fait: la volonté interne, difficilement prouvable, est déduite d'indices révélés par la déclaration. Les termes utilisés par cette Cour d'appel ressemblent à ceux de la Cour d'appel de Douai (126), lorsqu'elle a constaté un engagement unilatéral de la part d'un organisateur de loteries. Il est à noter que ces deux arrêts ont été prononcés au sujet de loteries publicitaires et que, semble-t-il, leur extension aux publicités en général n'a pas été envisagée par la jurisprudence. Nous verrons pourtant que la généralité des termes utilisés par la Cour d'appel de Toulouse permet cette extension (A) et révèle à quel point le formalisme est important en matière d'engagements publicitaires (B).

A. Le mécanisme de la présomption

La Cour d'appel de Toulouse (127) a utilisé le mécanisme de la présomption pour révéler la volonté interne de l'organisateur de loteries commerciales. Elle a considéré "qu'en droit, s'il est de principe que, pour produire effet, l'engagement unilatéral doit exprimer la volonté de son auteur, cette volonté peut, pour une société commerciale, résulter de promesses précises et ostensiblement affichées dès lors que celles-ci s'inscrivent dans sa stratégie publicitaire et ont ainsi été manifestement délibérées".

La volonté interne de l'annonceur est présumé par l'existence d'indices matériels plus facilement prouvables. Dès lors que les promesses publicitaires atteignent un certain degré de précision et a fortiori de clarté et qu'elles sont diffusées largement dans le public, la volonté interne de l'annonceur est présumée. Ceci ne peut concerner les petites annonces, trop discrètes ou les publicités personnalisées dont la diffusion est réduite (128).

Le terme "affiché" impliquerait dans son sens premier "écrit" mais il peut aussi être compris plus largement comme déclaration et à ce moment englober les publicités télévisées.

La Cour d'appel de Douai (129) semble se référer au même mécanisme en utilisant le terme "par évidence". Elle déduit de la formulation des documents envoyés à un prospect, formulation exprimant forcément un "choix délibéré" de la part de la société organisatrice, que celle-ci a eu conscience des conséquences de son acte et par-là même eu l'intention de s'engager. Elle note que "la campagne publicitaire en question, destinée à plusieurs centaines de milliers de consommateurs, [a] forcément été préparée avec minutie par des services spécialisés de ladite société, qui en liaison avec la direction, ont fait les choix qui ont paru s'imposer pour rentabiliser au mieux, en pesant tous les avantages et les inconvénients d'un document publicitaire destiné à une clientèle ciblée (130)". La diffusion à grande échelle est, ici aussi, constatée.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi formulé contre cet arrêt en considérant que "c'est par une interprétation souveraine est rendue nécessaire non seulement de l'attestation mais aussi de sa lettre d'accompagnement que la Cour d'appel a retenu ...". Elle approuve donc le mécanisme de la présomption en l'espèce sans le consacrer expressément.

Le mécanisme de la présomption est formulé pour des loteries publicitaires mais la généralité des termes employés ne lui interdit pas de s'étendre aux autres publicités. Celles-ci étant aussi très coûteuses et de ce fait le fruit de "grandes réflexions" lorsqu'elles sont largement diffusées.

En somme, face à une campagne publicitaire, d'une certaine envergure, la volonté de l'annonceur de s'engager est déduite de la formulation qu'il utilise. Si elle est ferme et se veut convaincante, il sera lié. Solution qui ne peut être qu'approuvée puisque effectivement ce genre d'action commerciale est mûrement réfléchi. La conscience prime alors sur la volonté au sens stricte. Cette présomption, qui peut s'étendre à certaines publicités en dehors des loteries montre l'importance du formalisme en la matière.

B. L'importance de la forme des engagements publicitaires

L'engagement unilatéral, sans devoir faire l'objet d'un formalisme strict pour être valable, est très lié à la forme qu'il revêt. Certains auteurs (131) vont jusqu'à proposer la reconnaissance de cette source d'obligations qu'à condition qu'il y ait un formalisme équivalent à celui de la donation, par exemple. Il est, en effet, presque toujours imposé pour les actes unilatéraux et l'engagement unilatéral en est un. Sans atteindre cette extrémité, le formalisme joue un rôle en la matière car il est une source de sécurité juridique donc de protection des parties. De plus, il permet de déterminer l'influence que l'engagement a pu avoir sur les tiers, condition indispensable pour à la reconnaissance d'une valeur juridique à l'engagement unilatéral selon un auteur (132).

La précision et la clarté des termes utilisés par l'annonceur sont primordiales car d'une part, des paroles floues ne peuvent contraindre et d'autre part, le lecteur de la publicité ne leur aura pas accordé de valeur.

Il nous semble que la précision lie l'auteur de l'engagement. Plus le contenu sera flou et superficiel moins la volonté de s'engager pourra être retenue car la déclaration est l'apparence de la volonté interne. Les lecteurs de la publicité ne peuvent savoir exactement ce que pense l'annonceur, ils ne le supposent qu'à partir de ce qui est annoncé, d'où la prépondérance de la forme. Par exemple, si une compagnie d'assurances émet une publicité dans laquelle elle prétend indemniser les accidents de la circulation, son engagement sera très mince et elle ne devra présenter à ses futurs contractants qu'un contrat possédant cette caractéristique, très large: peu importe le taux d'indemnisation, le montant des cotisations, etc. En revanche, si dans un document plus détaillé, elle énonce certaines de ces caractéristiques, elle sera tenue de les proposer à ses futurs adhérents dans un contrat, quel que soit le reste de son contenu. Et ceci parce les lecteurs de cette publicité auront davantage envisagé le contrat que lorsque la publicité est vague.

La clarté fait rarement défaut dans les publicités. Celles-ci devant être lues rapidement et convaincre vite, l'annonceur s'aventure très rarement dans des tournures complexes et incertaines, le consommateur doit être convaincu par un "flash". Cette clarté des termes a été réfléchie, la "phrase choc" ne se trouve pas instantanément, elle est le fruit de calculs sur son impact.

La considération unique des termes déclarés n'est pas sans risque, en effet tout ce qui n'est pas dit ne pourra être sanctionné.

Si l'auteur de l'engagement a pu penser un point important (volonté interne) et ne pas le déclarer (volonté déclarée), il ne pourra être tenu, sauf s'il l'a suggéré de manière prononcée. Pour s'engager dans le domaine du non-dit la référence aux croyances du destinataire de la publicité apparaît comme indispensable.

Une réticence dolosive ne pourrait, semble-t-il, se fonder exclusivement sur un manque d'information dans la publicité. En effet, l'information peut être transmise par d'autres moyens. Il a été montré que la publicité influe sur le consentement et ne doit pas être, à ce titre, mensongère. Le mensonge ou l'omission d'information peut être réprimé sur le plan pénal, sur le terrain civil il ne peut être qu'envisagé de contraindre l'annonceur à respecter sa parole. Il ne peut être lié par des obligations qu'il n'a pas déclarées, ce serait contraire au mécanisme de l'engagement unilatéral. Pourtant, en matière de loteries publicitaires, les juges se fondent sur les espérances légitimes du prospect qui ont pu être plus larges que la déclaration en elle-même.

La déclaration n'est pas toujours représentative de la volonté interne en matière de publicité. La publicité peut recourir à une certaine exagération car elle a une fonction d'inciter à la vente, de faire désirer un produit ou un service non pas bien souvent par rapport à ce qu'il est effectivement mais par rapport à ce qu'il connote dans l'esprit du public (133).

L'hyperbole publicitaire est acceptée par les juges répressifs, la Chambre criminelle l'ayant souvent consacrée. Le célèbre arrêt Sansonite (134) en est un exemple. Cette marque de valise avait construit sa publicité sur la solidité de ses produits conçus pour les voyages en avion. La valise était devenue ballon de rugby au cours d'un match entre bulldozers. Le spot télévisé ne montrait qu'une seule valise et non la douzaine utilisée pour réaliser la publicité. Le délit de publicité trompeuse fut donc invoqué mais la Chambre considéra que le consommateur ne peut être assez bête pour être dupé par un tel spot. La doctrine contesta, non pas le principe mais son application en l'espèce (135).

Nous pourrions alors imaginer que ce type de publicité soit sanctionné sur le plan civil en acceptant bien entendu un certain degré d'exagération. Dans le cas précédent, la valise ne devrait pas résister à un bulldozer, mais à un transport en avion ; Si les valises ainsi vendues ne sont pas d'une solidité supérieure à la moyenne, ce qu'a cru le destinataire de la publicité, il pourrait y avoir une inexécution de l'engagement pris. La caractéristique étant alors objective et contrôlable par le juge donc objet possible de l'engagement.

L'emphase, de manière générale réduit le champ de l'engagement publicitaire lorsqu'elle porte sur des qualités subjectives de la chose et qui ne dépendent pas que de l'annonceur - cas, par exemple, des publicités sur les eaux minérales (136). En revanche lorsqu'elle porte sur des qualités objectives telles que la solidité, les performances de freinage pour les voitures, etc., il devrait être considéré que l'annonceur mettant cette caractéristique en relief, s'engage au moins à fournir une qualité au-dessus de la moyenne sur ce point, c'est-à-dire la qualité qu'espère tout consommateur moyen d'après l'annonce publicitaire.

Conclusion de la Section 1

La volonté interne de l'organisateur de loterie n'est pas franchement considérée par les tribunaux, elle est présumée à partir d'indices matériels - précision des termes, large diffusion, intégration dans une campagne publicitaire - ressortant essentiellement de la déclaration. Il est alors possible d'en déduire que la volonté déclarée prime sur la volonté interne de l'organisateur sans oublier que la volonté déclarée n'est censée être que l'apparence de la volonté interne. Nous avons vu que cette solution peut s'étendre aux publicités en général. Cette étude a aussi permis de déceler la présence continuelle du destinataire de la loterie, le prospecteur étant lié par rapport à ce que le prospect a cru. Quel est effectivement le rôle de ce dernier?

SECTION 2 : L'INFLUENCE DU COMPORTEMENT DU CREANCIER DE L'ENGAGEMENT

Le créancier semble influencer la validité de l'engagement par ses croyances et la connaissance qu'il a de l'engagement. Pourtant la naissance de l'obligation ne peut dépendre de son acceptation puisqu'il s'agit de consacrer la force obligatoire de la volonté unilatérale.

La doctrine s'interroge souvent sur le rôle du créancier d'un engagement par volonté unilatérale (137). Messieurs MAZEAUD et Monsieur CHABAS (138) ne valident la thèse de l'engagement unilatéral qu'en considérant qu'il doit faire l'objet d'une acceptation de la part de son destinataire, mais cette hypothèse enlève presque tout intérêt à la théorie (139). De plus la distinction avec les mécanismes contractuels serait délicate. Monsieur LARROUMET (140) parle d'actualiser l'obligation, ce qui semble plus conforme à la notion. En effet, il ne semble pas possible d'obliger quelqu'un à bénéficier d'une obligation sans son accord si la création de ladite obligation ne dépend pas de lui. Monsieur SERIAUX (141) ne considère l'engagement unilatéral que par rapport aux croyances que la promesse a pu susciter chez les tiers.

Le rôle du créancier est donc toujours envisagé par la doctrine, reste à le déterminer en matière d'engagements publicitaires. Nous constaterons qu'il est difficile de lui assigner un rôle actif (§1), ce qui nous permettra d'envisager son rôle indirect (§2).

§1 - Le rôle actif du créancier

Son acceptation n'est pas sollicitée, l'obligation naît sans l'intervention de sa volonté. Il n'a donc pas de rôle dans la création de l'obligation (A) mais, devra-t-il avoir connaissance de la publicité pour en bénéficier (B)?

A. L'acceptation du créancier

Certains auteurs n'envisagent l'engagement unilatéral que s'il a été accepté par le créancier. Ceci lui fait perdre tout son intérêt et ne respecte pas la réalité de la situation prônée par Madame IZORCHE (142). L'annonceur ne demande pas aux destinataires de sa publicité s'ils la souhaitent, il l'émet seul. Ils n'ont pas à connaître ses stocks, par exemple. Leur rôle n'est que passif lors de la naissance de l'obligation. De plus, l'ensemble des personnes allant faire leurs courses dans une grande surface n'a pas forcément pris connaissance de la publicité donc a fortiori ne l'a pas acceptée: ils sont censés bénéficier pourtant des avantages qu'elle contenait.

En matière de loteries, le prospect recevant l'annonce qu'il est le "grand gagnant" sans avoir été informé du tirage au sort n'a pu l'accepter. Il est déclaré gagnant sans que sa volonté soit intervenue.

La Cour d'appel de Douai (143) considère, à cet égard, que "M. Nahmad, qui avait eu, jusque là, une attitude totalement passive, s'est contenté à la réception du courrier émanant de la société Inter Sélection et après avoir constaté qu'il était destinataire d'un chèque fictif d'un certain montant, de faire usage de la faculté d'exercer ses droits en réclamant l'exécution de l'engagement qui avait été pris par cette société de faire parvenir au destinataire des documents un chèque réel du même montant en paiement d'une créance qui était déjà née à son profit par la seule volonté de ladite société".

Le créancier n'intervient, en l'occurrence, que pour l'exécution de sa créance et non pour sa naissance. L'absence d'acceptation est un des arguments permettant de distinguer les engagements unilatéraux des contrats.

De manière générale, cette absence d'acceptation semble correspondre à l'acceptation par le silence lorsque l'offre est faite dans l'intérêt exclusif de son destinataire. En effet, ce type d'offre ne contient aucune obligation à la charge de son destinataire, tout comme l'engagement unilatéral, puisqu'il est unanimement admis qu'une personne, par sa seule volonté, ne peut faire naître d'obligations à son profit. Seul le pollicitant s'engage. De plus l'obligation de maintenir l'offre de contracter naît lors de la diffusion de la volonté déclarée comme l'obligation de l'annonceur apparaît lors de la communication de son message.

Les problèmes rencontrés lors de la tentative d'admission de l'acceptation par le silence n'existent plus si l'obligation naît sans celle-ci, la fiction ayant disparu.

Donc si l'engagement publicitaire se forme par la seule volonté de l'annonceur, l'acceptation du destinataire de la publicité n'est plus nécessaire, et cela facilite de beaucoup l'explication de sa naissance.

En somme, le créancier n'a pas de rôle quant à la naissance de l'obligation, mais peut-il en bénéficier s'il ignore son existence ?

B. La connaissance de la publicité

L'annonceur, parfois détermine avec précision le destinataire de la publicité - cas de toutes les publicités envoyées nominativement, et généralement des loteries, parfois adresse sa publicité à toute une population, les qualités du destinataire ne l'intéressant pas.

Dans le premier cas la connaissance de la publicité semble nécessaire pour pouvoir en bénéficier. Nous n'avons pas, au sujet du deuxième cas d'avis tranché sur la question: en principe la connaissance de la promesse n'est pas une condition de validité de l'engagement par volonté unilatérale, puisqu'il est admis que l'obligation peut naître en étant temporairement dépourvue de créancier. Pourtant, en matière de publicité, plusieurs éléments semblent imposer cette connaissance.

Si la connaissance de la publicité n'est pas exigée, il serait possible pendant un certain temps après la conclusion du contrat incité par la publicité de demander l'exécution de l'engagement, ce qui aboutirait à des situations très risquées pour le commerce. Ceci n'est pas souhaitable car source d'insécurité juridique.

Par exemple, un vendeur d'automobiles propose de racheter 5 000 F minimum l'ancienne voiture de tout acheteur d'une nouvelle. Si une personne, n'ayant pas lu la publicité, achète une nouvelle voiture et que l'ancienne n'est pas reprise ou reprise moins chère par quelqu'un d'autre, pourra-t-il demander, s'il prend par la suite connaissance de la publicité soit le rachat de son ancienne voiture, soit la différence entre le prix qu'il l'a vendue et le prix qu'aurait pu lui racheter le concessionnaire? Quelles peuvent être les limites temporelles d'une telle demande, met-elle en cause le contrat principal, etc.?

Les publicités sanctionnées juridiquement par la Cour de cassation sont toujours connues de leurs destinataires. L'engagement de l'émetteur avait été porté à leur connaissance, et c'est même la raison principale pour laquelle la Cour a accordé une valeur à ces documents, le bénéficiaire de la publicité ayant fait foi de ce qui était inscrit dans l'annonce.

En 1963 (144), la première chambre civile approuva les juges du fond d'avoir fait primer "les dépliants et autres documents édités par une société à l'intention de ses adhérents" sur "le règlement intérieur qui n'avait pas été porté à la connaissance" des parties. L'argument décisif semble donc bien être la connaissance. Cette tendance est toujours actuelle (145). Par exemple, un dépliant publicitaire remis lors de la conclusion du contrat présentait une garantie très large des dommages au véhicule, alors que de nombreuses clauses d'exclusion figuraient dans le contrat en petits caractères. La Cour considéra que "la publicité fallacieuse distribuée incitait les clients à relâcher leur attention [ ...] et que la clause [contractuelle] n'avait pas été effectivement portée à la connaissance de Mme R. et devait lui rester inopposable". Là encore la publicité acquiert une valeur juridique par le biais de l'interprétation du contrat. Cette interprétation s'imposant parce que la publicité est connue de son destinataire contrairement aux clauses contractuelles.

Il en est de même pour les loteries publicitaires, leur sanction se situant presque toujours sur le terrain délictuel, le préjudice de la victime est indispensable à la recevabilité de l'action donc a fortiori les documents ont été portés à la connaissance de leur destinataire. De plus généralement ces pratiques sont nominatives, le créancier de l'engagement en a donc forcément eu connaissance.

Quant à la doctrine, elle qualifie les publicités de documents contractuels (146) parce qu'elles ont influencé le consentement de leur destinataire lors de la conclusion du contrat dont elles ont vanté les mérites. Pour que cette influence soit possible, le destinataire a forcément eu connaissance de la publicité

En somme, l'engagement unilatéral n'a pas à être connu pour être valable mais, en matière de publicité, cette condition paraît utile et est toujours envisagée par la jurisprudence qui n'a jamais, semble-t-il, sanctionné une publicité non connue ; la connaissance doit alors être antérieure à la conclusion du contrat incité par la publicité. Pourquoi? Il semble qu'une parole non validée par un accord de volonté, et donc précaire par définition, ne puisse avoir une valeur juridique, et non pas seulement morale, que si elle est "fixée" ; par exemple, la promesse du testateur est "fixée" dans l'acte solennel qu'est le testament. De part sa nature une publicité ne pouvant être consignée dans un acte formel, sa fixation dépendrait alors peut-être de son impact sur le public et donc des "croyances légitimes" (147) de son lecteur, et a fortiori de la connaissance du message publicitaire par celui-ci (148).

§2 - Le rôle indirect du créancier

Le créancier est passif, pourtant son comportement semble influer sur la force obligatoire de la promesse unilatérale. Nous avons, en effet, noté que les tribunaux ne consacrent l'engagement publicitaire que par rapport aux croyances de leur destinataire. Ceci est paradoxal car la volonté créatrice de l'obligation étant celle de l'annonceur, pourquoi donner cette puissance aux destinataires de valider l'obligation? L'aspect théorique sera étudié avant son application aux publicités.

A. Les croyances du créancier d'une promesse unilatérale

Certains auteurs n'admettent la sanction de l'engagement unilatéral que lorsqu'il a créé chez son destinataire la croyance légitime en son exécution. Donc plus l'engagement semblera formel, plus son destinataire croira en son exécution et plus son émetteur sera tenu de l'exécuter (149).

Cette conception est confortée par une analyse de M-L Izorche en ce qui concerne la distinction des actes et des faits juridiques (150).

Selon cet auteur, le réel ne peut être divisé en deux catégories, plusieurs sous divisions sont nécessaires, il existe une multitude de situations entre le "rien" et l'offre. De ce fait, tout le cheminement précédant la conclusion du contrat est important. L'homme est libre d'émettre une offre mais sa faculté de rétractation est limitée car cette émission a troublé le monde extérieur. Plus la proposition est précise, plus elle aura des conséquences sur les tiers, plus ils l'intégreront à leur vie. Par exemple, une proposition de vente d'une maison va produire des effets, des tiers pourront imaginer en devenir acquéreur, chercher à obtenir un emprunt auprès de leur banque, etc. Si au travers de cette proposition, il ressort une volonté ferme de la part de son émetteur de vendre, il ne pourra revenir dessus aussi facilement que si elle est hésitante.

Mais cet auteur note, au sujet de l'offre de contracter, que "si la déclaration et les précisions font de l'offre un véritable engagement juridique, ce n'est pas tant parce qu'elles constituent des faits objectifs auxquels les tiers font confiance, que parce qu'elles interviennent comme des révélateurs de l'existence, chez le sujet, d'une conscience des conséquences probables attachées à celle-ci" (151).

B. Application aux publicités

En matière de loteries publicitaires, J-L Mouralis considère que "c'est l'erreur légitime provoquée chez le consommateur moyen qui fut la source de l'engagement unilatéral de l'organisateur plus que la volonté de ce dernier de s'engager" (152).

Nous avons constaté que le créancier n'a pas à accepter l'engagement dont il bénéficie mais que son comportement est pris en compte pour valider l'engagement. Ceci ne nous paraît envisageable qu'en comprenant que l'émetteur de l'engagement a eu conscience des conséquences de sa promesse, d'où la référence à un consommateur moyen et non une appréciation in concreto en fonction de la personne créancière de l'engagement. L'appréciation sur cette base devrait alors plutôt se faire par rapport à la catégorie de personnes ciblée (153).

En matière de publicités en général, Françoise Labarthe n'émet à aucun moment l'hypothèse qu'une publicité puisse être un engagement unilatéral ; elle explique leur valeur juridique par les mécanismes contractuels. Elle considère cependant que "si le document publicitaire ne comporte pas toutes les mentions qui caractérisent l'offre, il peut cependant être assez précis pour détailler la chose ou le service vendu. Il va pouvoir, au moins en partie, déterminer le consentement du cocontractant. Celui-ci va attendre du produit ou du service acheté les qualités promises par le document publicitaire" (154). Cette dernière phrase est très révélatrice de l'influence de la croyance du créancier de l'engagement sur la valeur de celui-ci.

Conclusion de la Section 2

Le créancier n'a pas à accepter l'engagement publicitaire afin que celui-ci soit valable, il n'est d'ailleurs pas possible de trouver une trace de cette acceptation sauf à recourir au mécanisme de l'acceptation par le silence. Il semble cependant devoir connaître la publicité pour pouvoir bénéficier des promesses qu'elle contient, mais ce point reste incertain.

Il est possible de dire que le rôle essentiel du créancier n'est qu'indirect. Les tribunaux recourent toujours à ses croyances pour valider l'engagement de l'annonceur, mais ceci n'est qu'une représentation de ce qu'a pu espérer l'annonceur en rédigeant son message publicitaire. Force est donc de constater le rôle très faible du créancier de l'engagement.

CONCLUSION du CHAPITRE 2

L'étude de la volonté de l'annonceur permet de constater l'existence d'une conscience chez ce dernier des effets de sa publicité sur les tiers. La naissance de l'obligation a donc une source volontaire, ce ne peut être un simple fait juridique. Le mécanisme de l'engagement par volonté unilatérale est le plus à même pour expliquer cette naissance d'obligations.

En somme, cet engagement est constitué à partir de la volonté déclarée de l'annonceur et des espérances qu'il a souhaité créer chez les lecteurs de sa publicité. Donc plus le document sera précis et convaincant, plus il sera le reflet de la volonté de s'engager de l'annonceur tout en admettant qu'il n'a pas voulu cet engagement au sens strict du terme. Il se pourrait pourtant que l'annonceur veuille s'engager dans ce sens s'il perçoit que sa publicité n'a que plus de valeur quand ses destinataires savent qu'il est contraint de respecter ses promesses.

CONCLUSION du TITRE I

Lorsque la publicité a valeur d'offre, l'annonceur sera tenu de la maintenir selon les règles applicables en l'espèce. A l'opposé, un message incitatif peut n'avoir aucune valeur juridique car trop flou et l'éventuel comportement fautif de l'annonceur sera sanctionné sur le terrain de la responsabilité délictuelle, essentiellement pour atteinte aux droits de la personnalité (155).

Toutes les autres publicités, comprises entre ces deux extrêmes peuvent être qualifiées d'engagement par volonté unilatérale si elles sont suffisamment précises et largement diffusées dans le public - mécanisme de la présomption posé par les juges du fond en matière de loteries commerciales que nous avons étendu aux publicités en général.

Elles peuvent aussi revêtir cette qualification si elles sont faites à personne déterminée, avec stipulation d'une limite - notamment limite temporelle ou limite des stocks disponibles.

Dès que la publicité a un contenu suffisamment précis, l'annonceur sera donc tenu d'exécuter ses promesses. La qualification d'engagement publicitaire par volonté unilatérale posée, nous proposerons quelques solutions quant à sa mise en oeuvre.



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