JURIPOLE DE LORRAINE

Serveur d'Information Juridique

Réalisé par Alexis BAUMANN


LA RESPONSABILITE PENALE DU MAIRE ET DE LA COMMUNE
Agnès BERTRAND



La Faculté n'entend donner ni approbation ni improbation aux opinions émises dans le mémoire, celles-ci devant être considérées comme propres à leur auteur.


Les recherches documentaires habituelles nécessaires à la réalisation de ce mémoire, n'auraient pas été suffisantes sans l'apport des réflexions de personnes confrontées quotidiennement aux problèmes de responsabilité évoqués.

Je remercie MM. André Bohl sénateur-maire de Creutzwald, Pierre Lang maire de Freyming-Merlebach, Charles Stirnweiss conseiller général, maire de Forbach pour la qualité de leurs commentaires et leur amabilité.


INTRODUCTION

"Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions."

L'impossibilité pour le juge de mettre en cause la responsabilité des administrateurs pour raison de leurs fonctions était ainsi fixée de manière très ferme par la loi des 16 et 24 août 1790 dans son article 13. Cette séparation stricte des ordres judiciaire et administratif s'est maintenue à travers les défenses itératives faites aux tribunaux par le décret du 16 fructidor an III, "de connaître des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit."

Par la suite, la constitution du 22 primaire an VII a permis la poursuite devant les tribunaux ordinaires des agents du Gouvernement autres que les ministres pour des faits relatifs à leurs fonctions, sous réserve toutefois, de l'autorisation du Conseil d'Etat.

Ce régime dit de "garantie des fonctionnaires" qui bénéficiait aux maires en tant qu'agents du Gouvernement, a été abrogé par un décret du 19 septembre 1870. A partir de cette date, alors que le principe était désormais celui de la liberté des poursuites contre les agents publics, le maire a vu sa responsabilité susceptible d'être mise en jeu devant les tribunaux répressifs.

En revanche, il a fallu attendre l'entrée en vigueur du nouveau code pénal pour que le législateur autorise les poursuites à l'encontre de la commune sur le fondement de sa responsabilité pénale. Cette responsabilité avait été admise dans l'ancien droit aux termes de l'ordonnance criminelle de 1670 qui prévoyait un système de procédure et de peines applicables aux personnes morales.

Plus tard, le principe de la personnalité des peines et le silence du code d'instruction criminelle de 1808 et du code pénal de 1810 avaient amené certains auteurs à penser que le principe était devenu celui de l'irresponsabilité pénale des personnes morales. Ceux-ci faisaient valoir, en outre, qu'une personne morale ne pouvait être "intimidée" par la menace d'une peine. La jurisprudence, elle-même, en vertu du principe de personnalité des peines, se refusait à assimiler la personne morale dépourvue d'intelligence et de volonté, à la personne physique.

Le législateur de 1994 a finalement admis la responsabilité pénale des personnes morales. L'article 121-2 C.pén. prévoit, en effet, que "les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement". Jusqu'alors, le maire était seul personnellement responsable de ses agissements et déjà de nombreuses interrogations et de grandes inquiétudes se posaient à la doctrine et aux élus eux-mêmes.

La création de la responsabilité pénale des personnes morales qui se justifie par l'importance des personnes morales qui se sont considérablement développées, par la difficulté à établir la responsabilité des administrateurs qui par ailleurs sont souvent insolvables, ainsi que par la personnalité des personnes morales distincte de celle de leurs représentants avec leurs intérêts propres, a été très largement critiquée.

Il a été reproché notamment qu'il ne soit fait aucune distinction entre personnes morales de droit privé et personnes morales de droit public. Cette égalité de régime a conduit par exemple, M. J.-C. Bonichot, maître des requêtes au Conseil d'Etat, à dire que cette innovation datée du 1er mars 1994 s'est faite, "en quelque sorte, par accident, sans réflexion préalable, dans le cours de la discussion législative au motif, qui aurait sans doute mérité discussion, que toutes les personnes morales doivent être placées sur un pied d'égalité."

Il semblerait, en définitive, que dans son ensemble, la responsabilité pénale du maire et de la commune soit surtout invoquée en termes de difficultés et de craintes.

Les inquiétudes qui se dégagent des analyses faites par la doctrine, ainsi que de l'avis des intéressés sont proportionnées à l'augmentation sans cesse plus grande du nombre des poursuites et des condamnations dont les élus locaux ont fait l'objet.

Cette extension est en partie le résultat de la réforme de la procédure pénale du 4 janvier 1993 qui a supprimé les règles particulières de procédure instituées en 1974 qui s'appliquaient aux maires et surtout le fait des justiciables qui ayant pris exemple sur le modèle anglo-saxon, se sont davantage tournés vers le juge pénal. Cette préférence marquée pour la voie répressive traduit à la fois l'espoir que les victimes placent dans les tribunaux pour la désignation et la condamnation d'un coupable et le sentiment qu'une réparation peut être obtenue plus rapidement et plus efficacement devant le juge pénal que devant le juge administratif ou le juge civil.

Les craintes suscitées par le nombre sans cesse croissant des procédures engagées à l'encontre des maires et de leurs collectivités concernent essentiellement l'insécurité juridique dans laquelle les élus ont à accomplir leur mission, ce qui constitue par là-même une menace pesant sur la démocratie locale.

L'insécurité juridique des maires est d'autant plus grande que le contexte de la gestion communale est complexe. Il ressort d'une étude menée par le Conseil d'Etat sur la sécurité juridique dans le cadre de son rapport public pour 1991 que le nombre des lois applicables s'élevait à 7 500. Cette même étude estimait à 82 000 le nombre de circulaires émises chaque année par les autorités centrales et à 21 000 le nombre de règlements émis par les institutions européennes. Une autre étude du Conseil d'Etat (Démocratie et Ordre juridique, rapport public 1993) révélait que 3 000 articles constituaient la base des textes applicables aux collectivités locales. Cette inflation normative traduit une très grande instabilité des règles qui rend encore plus aléatoire leur connaissance. Chargés de l'exécution des lois et des règlements, les maires se trouvent particulièrement exposés à cette insécurité juridique.

La tâche de ces élus locaux est d'autant plus difficile qu'ils doivent faire face à une très grand éparpillement des normes qu'ils sont chargés de mettre en œuvre. Concernant uniquement la législation intéressant l'environnement, domaine qui a suscité la plupart des contentieux récents, l'essentiel des normes applicables se trouvent dispersées dans vingt et un codes. Il faut, en outre, prendre en compte les 18 lois, les 70 décrets, les 73 arrêtés et les 39 circulaires intéressant directement ou indirectement cette question, publiés au Journal officiel en 1992. En 1962, seulement une loi, cinq décrets et quatre arrêtés étaient parus. A ces textes, il faut encore ajouter des centaines d'autres pris par les instances communautaires dans le domaine de l'environnement. Ce qui contribue également à rendre la mission des maires très difficile, c'est la complexité des réglementations auxquelles il est reproché bien souvent d'être trop générales et imprécises et surtout d'être d'une grande technicité.

A ces contraintes normatives s'ajoutent des obligations de plus en plus lourdes et des moyens trop souvent insuffisants. Les lois de décentralisation ont confié aux collectivités locales de nouvelles compétences, leur conférant par là-même des responsabilités éminentes dans la prise en charge des besoins de leurs administrés. Les missions qui peuvent entraîner une telle responsabilité sont très nombreuses. Il peut s'agir tant de l'administration des biens de la personne publique, que des compétences de police générale ou de l'activité des services publics.

Des lois récentes ont, par ailleurs, renforcé les obligations des collectivités locales notamment en matière d'environnement. Cependant, pour répondre à la multiplication des missions qui leur sont assignées et aux attentes de plus en plus grandes de la population, notamment en matière de sécurité et d'environnement, les collectivités locales disposent de moyens financiers, techniques et humains qui ne sont pas toujours suffisants.

Les grandes villes ont pu se doter des services conséquents composés de personnels ayant les compétences techniques adéquates. Mais le problème se pose surtout pour les communes plus petites et principalement les communes rurales. La coopération intercommunale a contribué à répondre mieux aux problèmes de gestion des services publics. Néanmoins, l'accélération du progrès technique conduit les communes à réaliser des équipements toujours plus onéreux et devenant rapidement obsolètes.

Dans son rapport (les Rapports du Sénat 1994-1995, n.328), M. P. Fauchon présente le sentiment que les maires éprouvent dans la crainte d'être systématiquement traduits devant les juridictions répressives dès lors qu'un dommage serait lié, même indirectement, à l'une de leurs nombreuses attributions, comme nuisible à la démocratie locale pour au moins trois motifs principaux.

Tout d'abord, le risque d'un déficit de candidature lié au découragement des élus locaux dont la situation est parfaitement résumée par M. J.-P. Delevoye lorsqu'il parle du "mandat de l'impossible".

Ensuite, le risque d'une professionnalisation de la fonction d'élu local qui serait contraire au fondement même de la démocratie qui veut que tout citoyen puisse briguer un mandat public local.

Enfin, la menace d'une paralysie de la gestion locale par le risque pénal qui conduirait à ce que le président Delevoye a appelé "la gestion zéro du risque pénal". Par exemple, pour ne pas être poursuivi pour blessures involontaires un maire refuserait d'organiser des manifestations locales quand bien même elles correspondraient à une tradition séculaire.

Les interrogations soulevées par la doctrine à propos de la responsabilité pénale du maire et de la commune sont très nombreuses. Il se pose notamment la question du rôle joué par le juge pénal dans les affaires administratives. A ce propos, M. J.-C. Bonichot parle d'un "glissement du contrôle de l'administration de son juge naturel, le juge administratif vers le juge pénal" ; ce qui le conduit à redouter une concurrence bien déloyale, bien faussée au profit de celui qui va vite, qui sanctionne, qui dispose de pouvoirs de décision ou d'investigation dont le juge administratif n'a pu se doter."

Mais surtout, il se pose le problème de la responsabilité pénale du maire pour des faits non intentionnels. En effet, ce qui a suscité le plus d'inquiétudes chez les maires, ce sont les nombreuses mises en cause de leur responsabilité pénale sur le fondement d'infractions d'imprudence et de négligence.

Ce qui est le plus lourdement contesté en la matière, ce n'est pas tant l'importance du nombre des poursuites qui constitue plus un problème d'ordre social et d'opportunité, mais essentiellement, les solutions rendues par les tribunaux répressifs qui condamnent les élus de façon quasi systématique chaque fois qu'un dommage est le résultat d'une imprudence ou d'une négligence réalisée dans le cadre des activités dont la surveillance et la réglementation sont placées sous le contrôle du maire.

Par exemple, le 17 mai 1994, le Tribunal correctionnel de Chaumont a condamné pénalement un maire pour pollution à la suite du rejet par le réseau communal de purin pourtant déversé principalement par des agriculteurs ; le tribunal sans tenir compte du manque de moyens financiers de la commune pour effectuer les travaux d'épuration nécessaires, s'étant fondé sur le fait que "en vertu de ses pouvoirs propres de police", le maire pouvait "réglementer et interdire l'écoulement de purin". Plus récemment, en Provence, à la suite d'accidents survenus lors d'une manifestation taurine, correspondant à une tradition locale observée chaque année, des maires ont été mis en examen "pour avoir (...) causé par imprudence, négligence et manquement à une obligation de sécurité, la mort" de deux personnes.

Il semblerait, que ce risque encouru par les élus de voir leur responsabilité pénale aussi facilement engagée, dans l'exercice de leurs fonctions, ait conduit 40% des maires encore en poste et un grand nombre de candidats potentiels à hésiter longuement avant de se présenter aux dernières élections. "La récurrence des affaires mettant en cause pénalement des élus, les peines relativement lourdes qui ont été prononcées, ont mis en évidence la très grande vulnérabilité des collectivités locales françaises et plus particulièrement celle des maires dont la tâche n'a cessé de s'alourdir depuis quelques années" (Jean-Marie RAUSCH, sénateur-maire de Metz, Actes de la Journée d'Etude à la Faculté de droit de Metz, 15/03/96, la Responsabilité pénale et financière des élus locaux et agents publics).

C'est à partir de ce même constat de "mise en jeu plus systématique de la responsabilité des élus locaux dans un contexte de complexité croissante de la gestion publique locale" que la Commission des lois du Sénat, Démocratie locale et Responsabilité, présidée par M. J.-P. Delevoye, a choisi de réformer les conditions de mise en jeu de la responsabilité pénale des élus locaux. Et le 2 mai 1996, l'Assemblée Nationale a adopté la proposition de loi du groupe de travail de la Commission, qui "sans exonérer les élus de leur responsabilité devrait éviter que celle-ci soit appréciée dans l'ignorance des conditions concrètes de leur action."

Toutefois, la rédaction de l'article 121-3 C.pén. issue de cette nouvelle loi du 13 mai 1996 (n.96-393), loin de marquer un point final à la recherche d'un système plus juste de mise en jeu de la responsabilité pénale des élus locaux et en particulier des maires, laisse en suspens un nombre important d'interrogations.

Tout d'abord, la situation juridique des maires en cas d'infraction d'imprudence ou de négligence, demeure malgré l'entrée en vigueur de ces présentes dispositions, la source de vives inquiétudes et continue d'être l'objet de nombreuses critiques.

Ensuite, la responsabilité pénale des maires soulève d'importantes questions indépendamment de toute infraction non intentionnelle. Il en va ainsi notamment de la détermination des éléments constitutifs et des conditions juridiques ou matérielles des délits de corruption, de concussion, de prise illégale d'intérêts ou autres, ou encore de l'incidence de la responsabilité de l'élu sur celle des autres agents de la commune.

Par ailleurs, le thème de la responsabilité pénale des maires s'inscrit dans le cadre plus vaste de la responsabilité du maire et de la commune, dont il est l'organe et le représentant. Il apparaît de ce point de vue, que des interrogations peuvent naître, concernant les difficultés soulevées par les rapports qui existent entre la responsabilité pénale du maire et celle de sa collectivité. Il y a lieu notamment de se demander s'il faut cumuler ces deux responsabilités ou si au contraire, il faut préférer la responsabilité pénale de la personne morale à celle de la personne physique. Le débat n'est pas clos.

En ce qui concerne la seule responsabilité pénale de la commune, les problèmes qui se posent sont essentiellement le résultat du caractère moral de la personnalité de la collectivité locale et de sa qualité de sujet de droit public. A ce double titre, la transposition à la commune de règles qui ne sont pas spécifiques à cette catégorie de délinquants, mais qui prévoient seulement qu'elles leur sont applicables et très largement contestée. La discussion est d'autant plus vive que la jurisprudence est quasiment muette en la matière.

De ce fait, les difficultés soulevées par la création de la responsabilité pénale de la commune constituent, avec les difficultés soulevées par la responsabilité pénale du maire pour des faits non intentionnels, les questions les plus commentées en doctrine sur le thème général de la responsabilité pénale du maire et de la commune, de la même manière qu'elles suscitent les plus grandes inquiétudes auprès des élus concernés.

Il est par conséquent, nécessaire, dans un développement consacré à la responsabilité pénale du maire et de la commune, de réserver une place toute particulière à ces deux séries de difficultés.

Toutefois, compte tenu de l'importance de la matière dans les préoccupations actuelles des spécialistes du droit, il s'avère tout aussi indispensable de déterminer l'étendue de la responsabilité pénale du maire et de la commune. En effet, seule la mise en évidence de l'ensemble des activités et des agissements susceptibles de fonder la responsabilité de l'élu et de sa collectivité, peut rendre compte véritablement de la pertinence des critiques et des craintes suscitées par la matière.

Aussi allons-nous scinder la réflexion concernant la responsabilité pénale du maire et de la commune en une première partie consacrée aux difficultés soulevées par la matière et en une seconde partie consacrée à l'étendue de cette responsabilité.

 




TITRE I

- LES DIFFICULTES SOULEVEES PAR LA RESPONSABILITE PENALE DU MAIRE ET DE LA COMMUNE -

Les nombreuses interrogations suscitées par la responsabilité pénale du maire et de la commune se rangent principalement derrière la question des difficultés que soulève la mise en jeu de la responsabilité pénale du maire pour des faits non intentionnels (Chapitre I), ainsi que derrière la réflexion plus vaste concernant les difficultés posées par la création de la responsabilité pénale de la commune (Chapitre II).




CHAPITRE I

- LES DIFFICULTES SOULEVEES PAR LA MISE EN JEU DE LA RESPONSABILITE PENALE DU MAIRE POUR DES FAITS NON INTENTIONNELS -

Les inquiétudes qui ont pu naître au cours de ces dernières années concernant la responsabilité pénale du maire pour des faits non intentionnels, ont conduit à l'adoption le 13 mai 1996, d'une loi relative à la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits d'imprudence ou de négligence commis dans l'exercice des fonctions.

SECTION 1 : LES INQUIETUDES QUI ONT MOTIVE LA REFORME DU 13 MAI 1996

Ces inquiétudes étaient de deux ordres ; elles relevaient d'une part, d'une insuffisance de protection légale de la fonction d'élu local (§I) et d'autre part, d'une sévérité des tribunaux à l'égard des maires (§II).

§ 1. La situation du maire pour des faits non intentionnels telle qu'elle ressort des textes : une situation peu protectrice

Le manque de garanties que l'on peut reprocher à la loi concernant les nombreux risques encourus par le maire de voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits non intentionnels résulte, pour l'essentiel, du domaine d'incrimination qui demeure important malgré les assouplissements apportés par l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et en partie, de l'aggravation récente apportée par l'introduction, dans ce même code, de la notion de manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité, au système répressif de la responsabilité pour faute.

I. Un domaine large d'incrimination malgré les assouplissements apportés par l'entrée en vigueur du nouveau code pénal

L'entrée en vigueur du nouveau code pénal a opéré suppression des délits dits matériels ou contraventionnels.

Ces délits étaient constitués par la simple réalisation matérielle des faits incriminés c'est-à-dire en l'absence de toute intention de les commettre et même de toute imprudence ou négligence.

Plusieurs incriminations prévues par des textes particuliers dans des domaines spécifiques tels que le droit du travail, de l'urbanisme ou de l'environnement, étaient, avant l'entrée en vigueur du nouveau code pénal des délits purement matériels. Tel était notamment le cas du délit de pollution prévu à l'article L. 232-2 C.rur., depuis des arrêts de la Chambre criminelle de la Cour de cassation des 27 juillet 1970 (Bull.crim. 250) et 19 mars 1974 (Rev.sc.crim. 1974, p.867). L'article 121-3 C.pén., dans sa rédaction de 1994, dispose en ses deux premiers alinéas :

"Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.

Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas d'imprudence , de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui."

La rédaction des textes qui incriminaient des délits matériels n'a pas été modifiée. Toutefois, l'article 339 de la loi du 16 décembre 1992, dite "loi d'adaptation", dispose que "tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l'entrée en vigueur de la présente loi (soit au 1er mars 1994) demeurent constitués en cas d'imprudence, de négligence ou de mise en danger délibérée de la personne d'autrui, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément."

La suppression des délits matériels bénéficie largement aux maires dont la responsabilité est de plus en plus engagée sur le fondement des lois particulières et notamment sur le fondement de l'article L.232-2 C.rur., depuis que la loi du 4 janvier 1993 a supprimé les règles particulières de procédure qui leur étaient applicables. Désormais, la seule hypothèse dans laquelle un maire peut être pénalement responsable pour des faits non intentionnels est le cas où il se serait rendu coupable d'une imprudence ou d'une négligence.

"L'imprudence ou la négligence implique le non respect d'une certaine discipline sociale. La personne imprudente ou négligente fait preuve d'indiscipline car elle viole une règle de prudence qui s'imposait à elle ou néglige de prendre les précautions qu'elle aurait normalement dû respecter." (F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, le Nouveau Droit pénal, t.1, 2e édit., Economica, 1996, p.373).

Pour le cas où le comportement de prudence ou de vigilance est dicté par une règle écrite, le code pénal a prévu une nouvelle cause de non imputabilité : l'erreur de droit.

L'article 122-3 C.pén. dispose, en effet :

"N'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte."

Compte tenu des conditions restrictives posées par le législateur et de la tendance prévisible des magistrats à limiter cette nouvelle cause d'irresponsabilité pénale, en particulier, à l'égard d'un élu local chargé d'appliquer et de veiller au respect de la loi et des règlements, il est légitime de penser que l'erreur de droit ne contribue que dans une très faible mesure à assouplir le régime de la responsabilité pénale du maire pour des faits d'imprudence et de négligence.

Il apparaît alors, que le maire demeure, à la date d'entrée en vigueur du nouveau code pénal, dans une situation juridique peu protectrice au regard des risques qu'il encourt dans l'exercice de ses fonctions, en particulier, si l'on considère l'étendue du domaine des incriminations sanctionnant des agissements non intentionnels.

Les agissements du maire constitutifs de fautes d'imprudence ou de négligence peuvent être incriminés par des dispositions contenues dans des lois particulières réglementant par exemple, le droit de l'environnement, du travail ou de l'urbanisme et qui réprimaient avant l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, des délits matériels constitués aujourd'hui, par des comportements d'imprudence ou de négligence, mais ils peuvent être également incriminés par des dispositions du code pénal.

Ce code prévoit des infractions propres aux dépositaires de l'autorité publique ou personnes chargées d'une mission de service public.

L'article 432-16 (ancien art.254) réprime notamment la négligence ayant permis la destruction, le détournement ou la soustraction par un tiers d'un acte, d'un titre, de fonds, d'effets ou de pièces remis en dépôt. Ce type d'infraction est spécialement applicable au maire, gardien des archives communales.

Au rang des infractions plus générales du code pénal, figurent des incriminations susceptibles de fonder la responsabilité du maire :

- les délits d'homicide ou de blessures involontaires prévus par les articles 221-6 et 221-19 C.pén. (anciens art.319 et 320) qui répriment la maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence et le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi et les règlements.

La première décision rendue en la matière est relative à l'incendie qui a détruit la nuit du 31 octobre 1970, l'établissement de danse, le Cinq-Sept, à Saint-Laurent-du-Pont dans l'Isère, entraînant la mort de cent quarante-six personnes. La multiplication des poursuites et des condamnations en la matière, ont contribué dans une large mesure au déclenchement de la réforme du 13 mai 1996.

- les délits de destruction, de dégradation ou de détérioration involontaires d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie provoqué par manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi et les règlements, prévus à l'article 322-5 (ancien art.257-3).

Les domaines susceptibles d'engager la responsabilité pénale du maire sur le fondement de ces incriminations sont d'une part, la gestion du patrimoine et des services de la collectivité et d'autre part, l'exercice des pouvoirs de police, ces deux domaines regroupant l'essentiel des activités du maire.

Concernant la gestion du patrimoine et des services dans la commune, on peut citer un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 juillet 1984 (n.83-95.016 inédit).

La Chambre criminelle a retenu que, le renvoi devant le Tribunal correctionnel sous la prévention d'homicide involontaire du maire n'ayant pas fait procéder à la mise en conformité exigée par la réglementation d'une installation défectueuse d'un chauffe-eau ayant provoqué l'intoxication de deux occupants d'un logement appartenant à la commune, était justifié.

Concernant l'exercice des pouvoirs de police, on peut citer un arrêt de la Chambre correctionnelle de la Cour d'appel de Grenoble du 5 août 1992 (JCP éd. G, n.21-959). La juridiction répressive a reconnu comme coupable d'homicides involontaires le maire d'une station de sports d'hiver, qui en s'abstenant d'ordonner la fermeture de la piste de la commune, alors que les conditions météorologiques laissaient craindre des risques d'avalanches, spécialement dans un secteur signalé comme comportant de tels risques et où avait eu lieu l'année précédente une coulée importante, a commis une faute de négligence, d'imprudence et d'inobservation des règlements en relation de causalité directe avec le décès de deux skieurs.

L'entrée en vigueur du nouveau code pénal qui n'a pas apporté de garanties particulières aux élus locaux face aux risques qu'ils encourent dans l'exercice de leurs fonctions du fait de l'étendue du domaine d'incrimination des faits d'imprudence et de négligence, a au contraire, aggravé le régime de la répression de la responsabilité pour faute non intentionnelle en introduisant la notion de manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité.

II. Une aggravation de la répression depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal : l'introduction de la notion de manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité

Jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, la faute non intentionnelle était une notion unitaire. Les "maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des règlements" visaient dans des termes différents la même réalité fautive. Désormais, il existe deux catégories de fautes non intentionnelles prévues aux alinéas 2 et 3 de l'article 121-3 C.pén. : la première renvoie à la mise en danger délibérée de la personne d'autrui, la seconde à l'imprudence, à la négligence ou au manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements.

En fait, la mise en danger délibérée est constituée dans les textes incriminatoires par le manquement délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité. Cette nouvelle notion s'analyse comme une faute non intentionnelle mais volontaire "qui procède du défi pur et simple, pour s'apparenter à un comportement dont on accepte les risques, mais sans en vouloir la réalisation" (Yves MAYAUD, D. 13/02/97, p.39). Certains auteurs ont vu, dans cette mise en danger délibérée d'autrui, la consécration législative du dol éventuel.

L'acceptation de faire courir un risque en toute connaissance de cause, confère au comportement fautif une connotation de gravité plus prononcée que celle qui s'attache à des manquements ordinaires. Aussi le code pénal prévoit-il une aggravation de la répression en cas de mise en danger délibérée d'autrui. Cette notion durcit le régime de la responsabilité pénale du maire dans la mesure où celle-ci peut être engagée sur le fondement de textes incriminatoires qui la prévoient.

Le législateur a doublement intégré le manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence : au titre d'un délit formel spécifique, d'une part et en tant que circonstance aggravante, d'autre part.

Dans l'hypothèse du délit de mise en danger délibérée de la personne d'autrui prévu à l'article 223-1 C.pén., le manquement à une réglementation n'a causé aucun dommage. On punit "le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement."

Il ressort des travaux préparatoires que ce nouveau délit avait avant tout pour objet, de réprimer les comportements les plus dangereux dans le domaine de la circulation routière. Toutefois, comme l'a fait observer Mme C. Lepage-Jessua, l'article 223-1 est susceptible de s'appliquer aux élus locaux. Par exemple, le fait pour un maire, de faire exécuter des travaux sans respecter, en toute connaissance de cause, les règles applicables en matière de sécurité, semble constituer une mise en danger délibérée d'autrui au cas où le risque causé est un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité.

Ce délit reste d'application très limitée compte tenu des grandes difficultés qu'il peut y avoir à rapporter la preuve des éléments constitutifs de cette infraction, mais aussi des conditions strictes posées à l'article 223-1.

Un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 juin 1996 (RD pén.crim., déc. 1996, p.12, n.265) rejette le pourvoi dirigé contre un arrêt de la Chambre d'accusation de Paris qui confirmait le refus d'informer le juge d'instruction concernant la constitution de partie civile à l'encontre du maire et du préfet de police de Paris, leur reprochant d'avoir exposé autrui à des risques tels que ceux visés par la loi, en s'abstenant de prendre les mesures nécessaires pour pallier les effets de la pollution. La Chambre criminelle énonce que les textes en vigueur ne confient au maire et au préfet que des obligations d'ordre général et non des obligations particulières au sens de l'article 223-1 C.pén.. On peut se demander quelles seront les motivations à venir de la Cour de cassation maintenant que la loi sur l'air du 30 décembre 1996 met à la charge de ces personnes des obligations plus spécifiques.

Dans l'hypothèse où le manquement délibéré a causé un dommage, la faute ne peut être prise en compte de manière spéciale que comme circonstance aggravante. Cette cause d'aggravation vise les atteintes involontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne réprimées par les articles 221-6, 222-19, 222-20 et R. 625-2 C.pén. et les destruction, dégradation et détérioration involontaires d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie, prévues à l'article 322-5 C.pén..

On peut attendre de la part des juges, une rigueur toute particulière dans la démonstration de la violation en connaissance de cause, par le maire d'une loi ou d'un règlement quand on connaît les inquiétudes que les condamnations récentes prononcées à l'encontre d'élus locaux pour des fautes d'imprudence ou de négligence ont suscitées auprès des intéressés eux-mêmes et de la doctrine, sans qu'aucun manquement délibéré de leur part n'ait été retenu. On peut tout du moins souhaiter une telle rigueur à l'égard de cette circonstance aggravante qui permet de prononcer des peines de prison et d'amende encore plus lourdes, si l'on ne veut pas que le mandat du maire devienne le "mandat de l'impossible" (formule empruntée à M. J.-P. Delevoye).

Ces préoccupations sont d'autant plus fondées que la situation du maire pour des faits non intentionnels telle qu'elle ressort de la jurisprudence est d'ores et déjà une situation à haut risque.

 

§ 2. La situation du maire pour des faits non intentionnels telle qu'elle ressort de la jurisprudence : une situation à haut risque

Le juge répressif a eu tendance à sanctionner la responsabilité pénale du maire en assimilant ce dernier à un dirigeant d'entreprise. Toutefois, de nombreuses raisons avancées par la doctrine et qui ont été retenues par les auteurs de la réforme de 1996, font obstacle à cette assimilation.

I. L'assimilation par les tribunaux, du maire à un dirigeant d'entreprise

Pour certaines infractions, la loi prévoit explicitement que c'est le chef d'entreprise qui est responsable. C'est le cas, par exemple, des articles R. 244-4 C.santé publ. et 25 de la loi du 15 juillet 1975 en matière d'élimination des déchets et récupération des matériaux. Toutefois, les nombreuses décisions de condamnation montrent que les tribunaux n'hésitent pas à dégager la responsabilité pénale des dirigeants d'entreprise même en l'absence de disposition expresse.

Depuis le siècle dernier (le premier arrêt cité par la doctrine est celui de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 27 septembre 1839, Bull.crim. 313), la jurisprudence a progressivement systématisé la responsabilité des chefs d'entreprise en considérant d'une façon générale, que "dans les industries soumises à des règlements édictés dans un intérêt de salubrité ou de sécurité publique, la responsabilité pénale remonte essentiellement aux chefs d'entreprise, à qui sont personnellement imposés les conditions et le mode d'exploitation de leur industrie" (Cass.crim. 28/02/56, JCP 1956, II, 9304).

La responsabilité du dirigeant semble constituer pour certains auteurs, une responsabilité du fait d'autrui dans la mesure où elle permet de déclarer le dirigeant pénalement responsable en raison des actes matériellement commis par une autre personne, en l'espèce, un préposé.

Toutefois, la majorité de la doctrine refuse d'analyser le mécanisme de la responsabilité pénale du dirigeant d'entreprise comme une dérogation aux principes que nul n'est punissable qu'à raison de son fait personnel et que la sanction pénale ne peut frapper que l'auteur de l'infraction.

Premièrement, la responsabilité du dirigeant d'entreprise se justifierait par la théorie qui voit dans le chef d'entreprise un auteur moral de l'infraction matériellement commise par autrui et que l'on peut illustrer par le cas de l'employeur qui connaît le mauvais état mécanique du véhicule conduit par son salarié et qui entraîne un accident.

Deuxièmement et le plus souvent, la responsabilité du dirigeant d'entreprise est justifiée par la théorie de la faute personnelle du chef d'entreprise. Le dirigeant se voit, en réalité, reprocher un comportement distinct de celui du préposé. L'élément matériel de l'infraction qui lui est imputable consiste, en définitive, à ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher la commission de l'infraction par le préposé et l'élément psychologique réside dans le fait que le dirigeant avait le devoir de prendre ces mesures. Les dirigeants sont ainsi jugés responsables en raison du défaut de surveillance et de précaution qui a permis la commission d'infractions par une personne qui était placée sous leur autorité.

Cependant, il ressort des décisions rendues en la matière que les juges décident, le plus souvent, que l'existence de cette faute est présumée. Bien que cette présomption de faute ne soit qu'une règle de preuve et n'interdise pas au dirigeant de démontrer qu'il n'a commis aucune faute, les juridictions pénales qui ont une conception très rigoureuse du devoir de contrôle et de surveillance incombant au dirigeant, paraissent donner à cette présomption, un caractère quasiment irréfragable. C'est ce qui explique que la responsabilité du chef d'entreprise soit qualifiée par certains, de responsabilité automatique.

Les tribunaux répressifs imposent aux maires, dans l'accomplissement de leurs différentes tâches de gestion ainsi que dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs de police, des obligations comparables à celles d'un chef d'entreprise.

C'est ce qui ressort notamment de deux attendus d'un jugement du Tribunal de grande instance de Rennes du 9 février 1994 :

"Attendu qu'à l'égard des activités exercées par une personne morale, le respect des réglementations générales édictées dans un intérêt de salubrité ou de sécurité publique est personnellement imposé à l'organe exécutif.

Attendu que le rejet par une station d'épuration, établissement communal exploité en régie, d'effluents dont sont établis les effets nocifs pour la vie et la nutrition des poissons engage la responsabilité pénale du maire sur le fondement de l'article L. 232-2 C.rur.."Et l'article L. 131-2 C.communes confie au maire "le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de tout nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure."

Le raisonnement dont font application les juges peut s'énoncer comme suit : la survenance du dommage pouvait être évitée par certaines mesures, le maire s'est vu confier par la loi le pouvoir de prendre ces mesures, il ne les a pas prises, en conséquence il doit être condamné pénalement.

Du fait de cette jurisprudence, les poursuites et les condamnations à l'encontre du maire se sont considérablement multipliées.

De façon générale, les décisions reprochent au maire trois sortes de négligence en cas de situation dommageable :

- soit, lorsqu'il dispose de pouvoirs qu'il exerce seul, sans avoir besoin d'aucune délibération du conseil municipal, le maire n'a pas utilisé ses compétences

- soit, lorsqu'il ne peut agir sans l'intervention du conseil municipal, le maire s'est abstenu de saisir ce dernier ou a laissé un délai trop long s'écouler avant de le saisir alors que des mesures d'urgence s'imposaient.

La responsabilité pénale pour des faits non intentionnels qui pèsent sur le maire en vertu de la jurisprudence répressive est d'autant plus lourde qu'elle touche tous les aspects de la vie locale. Cette responsabilité "tous azimuts" résulte, en effet, de l'étendue de la gestion des biens et services de la commune ainsi que de l'exercice des pouvoirs de police. Les nombreuses condamnations qui ont été prononcées à l'encontre des maires pour imprudence ou négligence s'inscrivent dans le cadre des activités du maire en matière de sécurité publique, de tranquillité publique et de plus en plus, en matière de protection de l'environnement. A titre d'exemple, on peut citer la condamnation d'un maire qui aurait méconnu son obligation de sécurité en n'ayant pas fait sceller au sol les éléments d'ornement d'un monument aux morts, dont l'un par sa chute, a provoqué le décès d'un enfant (Cass.crim. 13/02/92, n.88-87.154 inédit) et les condamnations de plusieurs maires pour tapage nocturne qui se seraient abstenus de prendre les mesures nécessaires pour éviter les nuisances sonores en provenance d'une salle polyvalente municipale (CA Bordeaux 10/10/91, Juris-Data Doc. n.049095 et CA Rennes 11/07/91, Juris-Data Doc. n.046680).

En dépit du nombre important de décisions qui condamnent le maire suivant un raisonnement analogue à celui qui est appliqué au dirigeant d'entreprise, plusieurs raisons font obstacle à cette assimilation.

II. Les raisons qui font obstacle à l'assimilation du maire à un dirigeant d'entreprise

Les critiques de cette construction jurisprudentielle tiennent essentiellement du statut du maire qui est avant tout, un élu local.

Sans porter d'appréciation sur chaque cas d'espèce et sur les solutions dégagées par les tribunaux répressifs en matière de responsabilité du maire pour des faits d'imprudence et de négligence, la doctrine fait grief à la jurisprudence d'apprécier le comportement du maire qui est investi d'une mission d'intérêt général, dans les mêmes conditions que celui d'un chef d'entreprise qui, par définition, est un professionnel.

Il existe au moins cinq points sur lesquels le mandat d'élu local et la fonction de dirigeant d'entreprise divergent :

- premièrement, le maire ne maîtrise pas son domaine d'intervention. Il est investi de ses pouvoirs, de ses fonctions et de ses missions par les lois et les règlements.

- deuxièmement, le maire n'a suivi aucune formation particulière. A chaque élection municipale, la catégorie socioprofessionnelle la plus représentée au sein des élus est celle des agriculteurs (36,5 % en 1983 et 28,5 % en 1989). Quant aux autres catégories, il s'agira essentiellement de retraités, de salariés, de commerçants et de fonctionnaires. Toutes ces personnes qui ne sont pas spécialement préparées à la fonction du maire se trouvent dans la situation délicate de veiller au respect de milliers de normes éparpillées, techniques et imprécises.

- troisièmement, le maire exerce souvent ses propres activités professionnelles qu'il doit concilier avec l'exercice de son mandat. La sous-représentation des salariés et la place des retraités (23,5 % en 1989) dans la répartition socio-professionnelle des maires témoignent de la difficulté qu'il peut y avoir à concilier l'exercice du mandat avec une activité professionnelle.

- quatrièmement, le maire ne bénéficie pas d'une rémunération et d'une couverture sociale dans des conditions comparables à celles d'un professionnel. En effet, depuis le XIXe siècle, le principe de gratuité domine l'accomplissement du mandat local. Et malgré l'accroissement continu des charges administratives des maires, le législateur n'a pas opté, pour l'institution d'un mandat à temps plein rémunéré.

- cinquièmement, le maire n'a aucune garantie de stabilité et ne bénéficie d'aucune indemnité de rupture.

Ces caractéristiques essentielles du mandat de maire sont la conséquence nécessaire de l'égale éligibilité de tous les citoyens aux fonctions politiques locales, qui constitue un principe fondamental de la démocratie française. Le Conseil constitutionnel a affirmé ce principe de manière très explicite dans une décision du 18 novembre 1982 (82-146 DC) : "considérant (...) que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et d'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité ; (...) qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique notamment pour l'élection des conseillers municipaux."

Conscient du danger que la jurisprudence très critiquée pouvait représenter pour la vie démocratique des communes et autres collectivités territoriales, le législateur a décidé d'apporter des modifications au régime de la responsabilité pénale des élus locaux.

 

SECTION 2 : LES MODIFICATIONS QUI ONT ETE APPORTEES PAR LA REFORME DU 13 MAI 1996

La réforme du 13 mai 1996 est issue d'une proposition de loi du Sénat élaborée par le groupe de travail de la Commission des lois sur la responsabilité pénale des élus locaux pour des faits d'imprudence et de négligence commis dans l'exercice des fonctions, présidé par M. J.-P. Delvoye et que l'Assemblée Nationale a adoptée en seconde lecture, le 2 mai 1996.

L'objet de cette réforme, dans l'esprit de ses auteurs, est d'assouplir le régime de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels. Toutefois, la doctrine et la jurisprudence toute récente ont montré quelle était la portée réelle des modifications apportées par la loi du 13 mai 1996.

§ 1. Les choix du législateur

L'adoption de la loi du 13 mai 1996 réalise le double objectif de la Commission des lois du Sénat qui était de consacrer l'appréciation in concreto de la faute non intentionnelle sans pour autant créer un délit d'imprudence ou de négligence propre aux élus locaux.

I. La volonté de consacrer l'appréciation in concreto de la faute d'imprudence ou de négligence

La Commission des lois chargée de préparer la réforme de la responsabilité pénale des élus locaux a fondé son travail sur l'idée qu'il fallait mettre un terme aux trop nombreuses condamnations prononcées à l'encontre des élus locaux et en particulier, à celles prononcées à l'encontre des maires.

Le rapport de M. P. Fauchon, Démocratie locale et Responsabilité, fait grief au juge répressif de ne pas tenir compte des conditions d'exercice du mandat local lorsqu'il doit se prononcer sur le point de savoir si l'élu qui est poursuivi s'est rendu coupable d'une faute d'imprudence ou de négligence.

Pour faire face aux missions multiples et de plus en plus variées qui lui sont confiées, le maire dispose de moyens financiers et techniques limités. Cette contrainte l'oblige à chercher à concilier la poursuite d'objectifs d'intérêt général tous aussi respectables tels que les travaux dans une école ou l'installation d'une station d'épuration, mais aussi à chercher à concilier par la mise en œuvre de mesures raisonnables des intérêts qui s'opposent tels que le maintien en activité d'une usine polluante qui emploie des milliers de personnes et la protection de l'environnement.

Cette contrainte financière et technique lui impose également de solliciter parfois le concours d'autres collectivités publiques (ex : réalisation d'études techniques). De même, si le maire disposent en matière de police d'un pouvoir propre, la mise en œuvre de mesures effectives en dehors de certaines mesures d'urgence, nécessite l'intervention du conseil municipal (ex : pour la réalisation de travaux importants).

Un jugement du Tribunal de grande instance de Chaumont du 17 mai 1994 (D. 1995, p.191) a condamné le maire sur le fondement des articles L. 231-3, L. 232-2, L. 232-4 et L. 232-8 C.rur., pour s'être abstenu d'utiliser les pouvoirs que lui confère sa qualité, afin de prévenir une pollution provenant de rejets d'agriculteurs ne possédant pas de fosse à purin.

Dans une autre affaire, un maire a été inculpé du chef d'homicide involontaire à la suite du décès par électrocution de l'usager d'une voie communale due à la défectuosité d'un lampadaire (Cass.crim. 21/02/90, n.89-85.117 inédit).

Les nombreuses décisions intervenues en la matière montrent que le juge ne tient pas compte de la psychologie ou des aptitudes particulières de la personne poursuivie qui ne peut donc invoquer son inexpérience, son incompétence ou encore sa maladresse pour échapper à la répression. Les membres du groupe de travail de M. J.-P. Delvoye en concluent que le juge qui méconnaît les conditions de la gestion publique locale, fait application d'un raisonnement in abstracto dans l'appréciation de la faute d'imprudence ou de négligence du maire.

La nouvelle rédaction de l'article 121-3 C.pén. issue de la loi du 13 mai 1996 a vocation, dans l'esprit de ses auteurs, à substituer à l'appréciation in abstracto, une méthode d'appréciation in concreto de la faute non intentionnelle qui invite le juge pénal à analyser le comportement de l'élu local à partir de la notion de "diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait". Ce qui est à apprécier, ne serait plus l'utilisation par l'élu des pouvoirs que la loi lui confère, mais des moyens matériels et humains dont il disposait réellement pour les utiliser. M. Y. Mayaud tire comme conséquence de ces critères objectifs, que le législateur a choisi d'abandonner tout recours à l'image abstraite du bon père de famille, "tout système d'appréciation à base de transposition d'un modèle idéal."

Toutefois, bien que la question de la responsabilité pénale des élus locaux ait fondé toute la démarche du Sénat, le législateur a voulu rendre les dispositions nouvelles concernant l'appréciation de la faute non intentionnelle, "applicables à toute hypothèse, sans distinguer si le prévenu a ou non la qualité d'élu local."

II. Le refus de créer un délit d'imprudence ou de négligence propre aux élus locaux

Afin qu'il soit tenu compte des contraintes inhérentes à la gestion des collectivités territoriales, une réforme est apparue nécessaire à deux égards :

- tout d'abord, compte tenu de l'émoi, de la réflexion et de la résistance que la multiplication des cas de condamnation a suscités auprès des maires qui n'ont pas accepté de se voir condamnés à des lourdes peines de prison et d'amende pour des manquements qu'ils n'avaient pas été véritablement en mesure d'éviter.

- ensuite, en vertu des exigences de la démocratie qui veut que tout citoyen puisse accéder à des fonctions électives.

Le législateur a cependant, opté pour une solution de fond de portée générale. A défaut, il aurait fallu procéder à un inventaire qui risquait fort de se révéler incomplet, tant les dispositions en cause sont nombreuses et disparates. Par ailleurs et surtout, le principe d'égalité des citoyens devant la loi implique que des personnes placées dans une situation identique soient traitées de manière identique. Il s'oppose donc à la création de deux délits par imprudence ou par négligence : le premier, applicable aux élus locaux ; le second, applicable aux autres citoyens. Ce principe d'égalité de valeur constitutionnelle est posé à l'article VI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "la Loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse."

C'est sur la base de ces réflexions que le législateur a choisi d'insérer les nouvelles dispositions de la loi de 1996 dans l'article 121-3 C.pén. qui est un texte de portée générale.

Désormais, le code pénal dispose :

"Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par les lois ou les règlements sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait." (art.121-3 al.3).

Toutefois, il aurait été paradoxal que ces dispositions qui traitent du sujet essentiel que constitue la mise en jeu de la responsabilité des élus ne soient pas insérées dans les textes particuliers régissant les conditions d'exercice des mandats locaux désormais regroupés dans le code général des collectivités territoriales.

Par conséquent, la loi du 13 mai 1996 a rappelé les termes de l'article 121-3 C.pén. aux articles L. 2123-34, L. 3123-28, L. 4135-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des collectivités territoriales, relatifs à la responsabilité pénale des maires et autres exécutifs territoriaux. Le bénéfice de cette réforme a également été étendu aux fonctionnaires à l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 (n.83-634), aux fonctionnaires de Mayotte dans l'ordonnance du 5 septembre 1996 et aux militaires dans la loi du 19 décembre 1996 sur la profession des armées.

M. Ph. Salvage souligne de façon tout à fait pertinente, que la situation du chef d'entreprise auquel le maire était jusque-là assimilé et qui était présumé responsable, dès lors que, dans son entreprise, une obligation légale ou réglementaire de prudence était méconnue par un de ses préposés, est appelée à changer. Désormais, outre le cas de la délégation de pouvoir, il pourra établir "qu'il a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait", sous réserve de l'interprétation que la jurisprudence donnera du nouveau texte. Par ailleurs, toute personne poursuivie pour manquement à une obligation de prudence pourra s'exonérer de manière identique.

Ces commentaires entament le débat de la portée véritable de la réforme du 13 mai 1996. Il semblerait qu'une grande partie de la doctrine ne partage pas l'enthousiasme qui a accompagné le législateur lors du vote de cette loi.

§ 2. La portée de la réforme

Aussitôt la loi du 13 mai 1996 entrée en vigueur, la doctrine a cherché à déterminer l'étendue réelle des modifications que les nouvelles dispositions allaient apporter en matière de délit d'imprudence et de négligence et spécialement, en matière de responsabilité pénale du maire. Finalement, c'est la jurisprudence qui a fait preuve du plus d'originalité en donnant à la réforme une portée que ni le législateur, ni la doctrine n'avait prévue.

I. Les effets attendus de la réforme de l'article 121-3 C.pén.

Selon M. Y. Mayaud, la portée de la loi du 13 mai 1996 est "beaucoup plus déclarative que constitutive" dans la mesure où les juges se sont toujours spontanément déterminés en retenant la nature des missions ou des fonctions et en intégrant volontiers les compétences, les pouvoirs et les moyens de ceux dont la responsabilité était mise en cause.

Avant l'entrée en vigueur de cette loi, MM. F. Le Gunehec et F. Desportes précisaient déjà que si la faute d'imprudence ou de négligence devait s'apprécier in abstracto, cela signifiait uniquement qu'elle devait s'apprécier indépendamment de la psychologie du délinquant et de ses aptitudes particulières et non pas "par référence à un comportement idéal sans prendre en considération les circonstances concrètes dans lesquelles les faits ont été commis."

De ce point de vue, la plupart des auteurs affirment que l'appréciation par le juge pénal de la faute non intentionnelle s'est toujours faite in concreto, "par référence aux diligences normales attendues d'un individu placé dans la même situation concrète que l'auteur des faits" (Jean-François SEUVIC, Rev.sc.crim. 1996, p.890). Aussi, si le choix s'est fait pour la qualification "in abstracto", c'est uniquement dans le souci de mieux insister sur l'indifférence totale de la matière à l'état psychologique de la personne poursuivie. Ce paramètre d'ordre moral est en effet, tout à fait incompatible avec la notion de délits d'imprudence et de négligence.

Dans le sens de cette doctrine, on peut citer, principalement, deux affaires :

- l'affaire de la catastrophe du stade de Furiani

Le maire a bénéficié d'un non-lieu tout d'abord, parce que la procédure de contrôle et de sécurité avait été mise en œuvre par la préfecture, ensuite, parce qu'il s'est fait représenter aux réunions de la commission de sécurité alors qu'il n'y avait pas été invité et s'est assuré que la commission n'avait pas rendu un avis défavorable et enfin, parce qu'il possédait une compétence technique qui ne lui permettait pas de s'inquiéter au vu des conclusions de la commission.

- l'affaire relative à l'avalanche qui a détruit le chalet de l'U.C.P.I. (Val d'Isère), le 10 février 1970

Trente-neuf personnes ont été tuées et quarante autres blessées. Le maire n'a pas été condamné pour homicides et blessures involontaires au motif que si des avalanches paraissaient possibles en l'état des conditions météorologiques, il était impossible de prévoir qu'une avalanche d'une telle ampleur pourrait atteindre le chalet de l'U.C.P.I..

La critique de cette réforme passe également par celle de la formulation même des nouveaux termes de l'article 121-3 C.pén.. Il est fait grief au texte de prévoir comme cause d'exonération de la responsabilité pour faute d'imprudence ou de négligence, "le cas où l'on aurait commis ni imprudence, ni négligence", dans la mesure où il est écrit qu'on est coupable de "négligence" sauf si l'on a accompli les "diligences" normales de son état (Michèle-Laure RASSAT, RD pén.crim. juillet 1996, p.1).

M. J.-F. Seuvic en déduit que la véritable portée du texte réside dans l'obligation faite au juge pénal d'apprécier les manquements à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements, au regard de la situation concrète de l'intéressé. Jusque là, celui qui manquait à une prescription légale ou réglementaire, ne pouvait s'exonérer qu'en établissant la force majeure. "Désormais, si l'on veut que les choses aient un sens, il doit pouvoir se dégager de la responsabilité qui pèse sur lui en établissant son absence de faute" (Philippe SALVAGE, JCP éd. G 11/12/96, I, 3984). Par conséquent, la réforme de 1996 devrait marquer le terme d'une jurisprudence abondante et largement critiquée. Désormais, le juge pénal devra prendre en considération les contraintes qui pèsent sur le maire avant de le condamner pour manquement à une réglementation.

Finalement, aussi contestée soit-elle dans la manière dont elle a été rédigée ainsi qu'à travers l'analyse qui en est donnée par ses auteurs, la réforme de 1996 semble avoir atteint l'objectif que le législateur s'était fixé, c'est-à-dire celui d'assouplir le régime de la responsabilité pénale des maires.

Toutefois, un arrêt récent de la Chambre criminelle de la Cour de cassation laisse penser que tous les effets de la loi du 13 mai 1996 n'ont pas été prévus.

II. Les effets imprévus de la réforme de l'article 121-3 C.pén.

Le 19 novembre 1996, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 26 octobre 1995 (Juris-Data n.005178) qui relaxe le dirigeant d'une entreprise poursuivi pour infraction à l'article R. 233-3 ancien C.trav. et délit de blessures involontaires causées à son employé dont la main droite a été broyée alors qu'il procédait au contrôle d'une fileuse. Tandis que la Cour d'appel a relevé que l'employé victime, a volontairement ouvert les portes de protection alors que la consigne écrite prescrivait de ne procéder au nettoyage des machines qu'à l'arrêt de celles-ci, "qu'il n'est pas établi que la transgression de cette consigne ait été tolérée ou encouragée au sein de l'entreprise par le personnel d'encadrement et que la machine était conforme aux normes de sécurité", la Cour de cassation a conclu à l'insuffisance et à la contradiction des motifs.

"Mais attendu que si les juges appréciant souverainement les circonstances de la cause, ont pu estimer que la machine était conforme aux normes de sécurité alors en vigueur et relaxer en conséquence, le prévenu de l'infraction au code du travail, ils ne pouvaient le relaxer de surcroît du chef de blessures involontaires sans rechercher si en tant qu'employeur pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires à sa mission, il avait accompli les diligences normales lui incombant, au sens de l'article 121-3 C.pén. dans sa rédaction issue de la loi du 13 mai 1996, notamment en veillant à l'application effective des consignes écrites de sécurité, et sans constater que l'accident avait pour cause exclusive la faute de la victime" (RD pén.crim., mars 1997, p.10, n.33).

Cette solution est transposable à la situation des maires qui, comme le chef d'entreprise, sont chargés d'appliquer et de faire respecter un certain nombre de dispositions législatives et réglementaires. On est alors, en droit de se demander si la réforme de 1996 n'aurait pas pour "effet pervers" d'accroître la sévérité des juridictions pénales à l'inverse de tout ce qu'on avait pu attendre des modifications apportées à l'article 121-3 C.pén..

Il semblerait que la démarche qui consiste à vérifier que le prévenu a eu le comportement de la personne normalement diligente, en l'espèce celui du "bon chef d'entreprise", conduise les juges à exiger de ceux qui feraient preuve de compétences ou d'une autorité au-dessus de la moyenne, davantage de vigilance.

Il reste à savoir si une telle solution est véritablement le résultat de la formulation nouvelle de l'article 121-3 ou si elle n'est que l'illustration des propos de M. L. de Tinguy selon qui "lorsque les situations sont différentes, la justice n'est égale que si elle tient compte de ces différences".

Dans la mesure où l'appréciation de la faute d'imprudence ou de négligence au regard de la situation concrète de l'intéressé ne paraît pas dater de l'entrée en vigueur de la loi de 1996, la sévérité de la décision de la Cour de cassation du 19 novembre 1996 ne serait pas à analyser comme une conséquence imprévue de la réforme de 1996.

En revanche, dans la mesure où il est fait grief au chef d'entreprise de ne pas avoir veillé à l'application effective des consignes de sécurité c'est-à-dire d'avoir manqué à une obligation de prudence ou de sécurité, la solution serait inspirée des nouveaux termes de l'article 121-3 C.pén. qui exigent désormais que même dans ce cas particulier d'imprudence ou de négligence, il soit fait référence au contexte ayant entouré l'infraction. Mais alors, cet arrêt illustrerait seulement l'échec de la réforme qui avait pour principal objectif d'assouplir le régime de la responsabilité pénale des maires et non pas l'accroissement de la sévérité des juges ; ceux-là n'exigeant pas jusqu'à présent, qu'il soit démontré une véritable faute de la part des intéressés.

La conclusion qui s'impose alors, est que, réserve faite de la jurisprudence ultérieure, les modifications apportées par la réforme du 13 mai 1996 répondent mal aux inquiétudes qui sont à l'origine de cette loi. La mise en jeu de la responsabilité pénale du maire pour des faits non intentionnels n'a donc pas fini de soulever des interrogations.

Une autre question tout aussi controversée est également présente au cœur des débats, il s'agit du problème de la création de la responsabilité pénale de la commune. L'introduction dans le droit pénal français, de cette notion déjà largement commentée est le plus souvent présentée comme une source incroyable de difficultés.






CHAPITRE 2

LES DIFFICULTES SOULEVEES PAR LA CREATION DE LA RESPONSABILITE
PENALE DE LA COMMUNE

La responsabilité pénale de la commune n'est pas expressément prévue par le code pénal. Elle se déduit des termes de l'article 121-2 qui énonce que les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement. Certaines des dispositions qui assortissent cette nouvelle forme de responsabilité sont communes à toutes les personnes morales, d'autres sont seulement prévues pour des personnes morales de droit public.

Concernant la commune, les commentaires s'orientent essentiellement vers les contraintes posées par la personnalité morale de la commune, d'une part et d'autre part, vers les incidences que cette responsabilité peut avoir sur la responsabilité pénale du maire.

SECTION 1 : LES CONTRAINTES POSEES PAR LA PERSONNALITE MORALE DE LA COMMUNE

L'originalité de la responsabilité pénale de la commune soulève des difficultés tant en ce qui concerne les conditions de sa mise en jeu, que les sanctions à appliquer à cette nouvelle catégorie de délinquants.

§ 1. Les contraintes relatives aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale de la commune

Les personnes morales sont responsables pénalement "des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants" (art.121-2 C.pén.) ce qui signifie que dans le cas particulier de la commune, l'infraction doit être commise par un représentant ou un organe de la commune et pour le compte de celle-ci.

I. L'infraction doit être commise par un représentant ou un organe de la commune

"Etre de raison, la personne morale ne peut avoir cette action physique qui répond à la définition de l'élément matériel de l'infraction" (Claude LOMBOIS, Droit pénal général, Hachette, 1994, p.72). Aussi, le législateur a-t-il prévu que le fait de la personne morale est celui de ses organes ou de ses représentants.

C'est alors à la jurisprudence qu'il appartient d'interpréter ces notions dont la circulaire générale (présentant les dispositions du nouveau code pénal) prévoit que "l'application pourra parfois s'avérer délicate".

Il semblerait que la notion d'organe ne pose aucune difficulté ; sur ce point, les listes indicatives proposées par les auteurs varient peu. Il suffit de se reporter soit à la législation concernant la personne morale considérée, soit aux statuts de celle-ci. Les organes de la commune se limitent alors à la seule personne du maire et au conseil municipal.

Concernant le conseil municipal, qui est un organe collégial, c'est de l'expression des volontés individuelles, souvent divergentes et de leur fusion, que va naître une décision qui devient celle de la personne morale.

La plupart des organes d'une personne morale sont également des organes de représentation autrement dit, des représentants légaux de la personne morale, de telle sorte que le terme de "représentant" se confond pour partie avec celui d'organe. Toutefois, il apparaît évident qu'il ne peut être compris comme désignant le seul représentant légal, faute de quoi, l'ajout de cette qualité dans la loi n'aurait aucun sens.

Si cela conduit concernant par exemple les personnes morales de droit privé, à se poser la question de la qualité de représentant de l'administrateur provisoire, du liquidateur, du chef d'entreprise, notion plus économique que juridique, ou encore du dirigeant de fait, il n'en va pas de même concernant la commune où, à l'exclusion du maire et du conseil municipal qui sont des organes de représentation de la commune, il se pose la seule question de savoir si un délégataire peut être assimilé à un représentant de la collectivité territoriale.

Dans son rapport, M. P. Fauchon prévoit que l'élu local titulaire d'une délégation de pouvoir a la capacité d'engager la responsabilité pénale de la commune pour les infractions qu'il aurait commises dans le cadre de cette délégation. Sur ce point, les auteurs sont partagés. Exclure du champ de la représentation le cas du bénéficiaire d'une délégation de pouvoir peut conduire à une inégalité choquante : alors que le maire échappe à toute sanction si les poursuites sont exclusivement engagées à l'encontre de la commune, le délégataire continuerait à porter seul le poids de l'infraction et de ses conséquences répressives.

Affirmer comme MM. F. Le Gunehec et F. Desportes que "la délégation de pouvoir implique la délégation de la représentation au sens de l'article 121-2 C.pén." répond au souci d'équité attendu en matière de responsabilité pénale mais bien que les auteurs s'en défendent, malmène quelque peu le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale. Une fois encore, c'est à la jurisprudence qu'il revient de préciser le sens des notions introduites dans le code pénal.

Une autre question se pose, il s'agit de la responsabilité de la commune au cas où l'organe ou le représentant aurait agi en dehors des limites de ses attributions. S'agissant de l'organe, une réponse affirmative s'impose car limiter la capacité délictuelle de la personne morale au domaine des attributions fonctionnelles de celui qui a agi risquerait "de créer une large zone d'irresponsabilité pénale injustifiée" (R. MERLE et I. VITU, Traité de droit criminel, t.1, 6e édit., Cujas, 1989, n.605). En revanche, lorsque le dépassement de pouvoir est le fait d'un représentant, la réponse est moins évidente.

De toute manière, le maire et le conseil municipal sont à la fois des organes et des représentants de la commune si bien que la question ne se pose plus. Pour le cas du délégataire, c'est à la jurisprudence qui se prononce sur la qualité de représentant de fixer les limites de cette assimilation.

Enfin, il convient de se demander si la responsabilité pénale de la commune peut être engagée en l'absence de volonté délibérée de ses organes ou représentants. Contrairement à ce qui avait été proposé par la commission de révision en 1978, la circulaire générale affirme que "les personnes morales pourront (...) être poursuivies pour les infractions de négligence ou d'imprudence (...) résultant de la non application d'une règle de sécurité que les organes ou représentants de la personne morale auront omis de faire respecter". C'est ce qui conduit M. P. Fauchon, bien que la responsabilité pénale de la commune ne soit pas exclusive de celle du maire, à présenter la création de la responsabilité pénale des personnes morales comme un assouplissement du régime de la responsabilité des maires pour des fautes d'imprudence ou de négligence.

Toutefois, le fait de la commune qui agit à travers ses représentant ou organes, ne suffit pas à mettre en œuvre sa responsabilité ; il est nécessaire également que l'infraction qui a été commise ait été réalisée pour le compte de la collectivité territoriale.

II. L'infraction doit être commise pour le compte de la commune

La volonté coupable de la personne morale n'est pas celle qui résulte de l'élaboration statutaire de la décision. Elle est révélée par l'objet recherché dans la réalisation de l'infraction. C'est ce qu'exprime la loi qui exige un agissement de l'organe ou du représentant pour le compte de la personne morale.

Cette condition posée par l'article 121-2 C.pén. semble moins rigoureuse que celle de l'avant-projet de 1978, qui visait les infractions commises "au nom" et "dans l'intérêt collectif" de la personne morale. On peut déduire de ce changement de terminologie que seul un lien avec le fonctionnement ou la réalisation de la mission de la personne morale compte. "Exiger que l'infraction soit commise pour le compte du groupement c'est à la fois établir un lien avec l'intérêt collectif poursuivi par celui-ci et esquiver la recherche d'un élément dont la preuve risquerait d'être difficile, voire divinatoire" (Alain COEURET, la Responsabilité en droit pénal du travail ; continuité et rupture, Rev.sc.crim. 1992, p.481).

Toutefois, comme le soulignent MM. F. Le Gunehec et F. Desportes, "la notion d'infraction commise pour le compte de la personne morale, qui n'est pas définie par le législateur et qui n'a pas véritablement fait l'objet de discussions devant le Parlement, est plus explicite par les comportements qu'elle exclut que par ceux qu'elle retient". Il est clair que le maire qui a agi dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions mais pour son propre compte et dans son seul intérêt personnel, n'engage pas la responsabilité pénale de la commune. En revanche, les faits réalisés dans l'intérêt de la commune c'est-à-dire dans le but de réaliser un profit sont constitutifs d'une infraction réalisée, pour le compte de la personne morale. Ce profit doit, pour certains auteurs, être entendu au sens large : "il peut s'agir d'un bénéfice matériel ou moral, actuel ou éventuel, directement ou indirectement destiné à promouvoir la personne morale" (Jean PRADEL, le Nouveau Code pénal, partie générale, 2e édit., Dalloz, 1995, p.121). L'intérêt de la commune peut consister notamment dans la réalisation d'un gain ou d'une économie.

Cependant, la nature de certaines infractions telles que les discriminations, appellent une interprétation plus large de la notion d'acte commis pour le compte de la personne morale. Ceux-ci viseraient alors les actes réalisés "dans l'exercice d'activités ayant pour objet d'assurer l'organisation, le fonctionnement ou les objectifs du groupement de la personnalité morale" (F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, le Nouveau Droit pénal, t.1, 2e édit., Economica, 1996, p.459). De ce point de vue, on peut affirmer qu'il n'est pas nécessaire que la personne morale ait tiré profit de l'infraction pour que sa responsabilité soit engagée. Ainsi, une infraction commise par le maire en matière d'élimination des déchets peut avoir pour résultat de polluer le territoire de la commune ; il n'en reste pas moins que la collectivité territoriale est punissable.

Dans le cas des infractions d'omission, l'acte répréhensible est présumé avoir été réalisé pour le compte de la personne morale dès lors que la mesure qui aurait dû être prise relevait de sa mission. En effet, lorsqu'il est fait grief à une personne morale d'avoir manqué à une disposition déterminée, c'est que nécessairement, l'acte qu'elle aurait dû accomplir, entrait dans ses prérogatives. La responsabilité pénale de la personne morale résultant de la non application d'une règle de sécurité est explicitement prévue par la circulaire du 14 mai 1993.

Enfin, bien souvent, l'infraction pourra avoir été commise à la fois pour le compte de la personne morale et pour celui de la personne physique qui aura réalisé matériellement l'infraction. Par exemple, l'infraction commise par le maire qui refuse d'embaucher une personne à raison de ses convictions politiques, révèle que le maire agit en premier lieu, pour son compte personnel. Mais si l'embauche litigieuse a lieu dans le cadre de sa mission, par exemple, dans le cadre du recrutement d'un maître-nageur, l'infraction est censée avoir été commise pour le compte de la commune et celle-ci est alors pénalement responsable.

Ces solutions apportées par la doctrine aux questions qui entourent les notions posées par la loi révèlent les difficultés que soulève la responsabilité pénale de la commune dans les conditions de sa mise en œuvre. Les contraintes posées par sa personnalité morale font naître également le problème de l'application des sanctions pénales à la collectivité territoriale.

§ 2. Les contraintes relatives aux sanctions

Les sanctions de la responsabilité pénale de la commune font apparaître "en pleine lumière l'improvisation dans laquelle le législateur a décidé du principe de la responsabilité pénale des collectivités publiques" (M. J.-C. Bonichot). Les sanctions prévues en la matière ne tiennent pas compte du caractère public de cette catégorie de personnes morales si bien que la plupart d'entre elles se révèlent inadaptées au cas de la commune.

I. Les sanctions prévues sont communes à toutes les catégories de personnes morales

En admettant la responsabilité pénale des personnes morales, le législateur qui a dû prévoir des peines applicables à ces nouveaux sujets de droit, a choisi de ne pas distinguer selon le caractère public ou privé de la personne. Le particularisme des sanctions pénales de la responsabilité de la commune est par conséquent, le résultat de la seule distinction qui oppose personnes morales et personnes physiques. De cette distinction, il ressort que les personnes morales ne peuvent être l'objet de peines restrictives ou privatives de liberté telles que les peines d'emprisonnement ou d'interdiction de quitter le territoire. De plus, alors que les peines applicables aux individus sont parfois orienter vers la resocialisation (par exemple, avec le travail d'intérêt général), les peines qui peuvent être infligées à une personne morale n'ont qu'un but de prévention. Celles-ci sont par conséquent, parfois beaucoup plus sévères.

Ces contraintes ont conduit le législateur à prévoir dans le code pénal, une section intitulée "des Peines applicables aux personnes morales" (livre 1, titre 3, chap. 1, sect. 2 du C.pén.). L'article 131-37 dispose que les peines criminelles ou correctionnelles encourues par les personnes morales sont l'amende et dans les cas prévus par la loi, les peines énumérées à l'article 131-39 telles que l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale, la fermeture de l'établissement ayant servi à commettre les faits incriminés, l'exclusion des marchés publics ou encore l'affichage ou la diffusion de la décision prononcée. Quant aux peines contraventionnelles, il s'agit uniquement de l'amende, de l'interdiction d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de paiement et de la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit (art.131-40).

Parmi ces sanctions, certaines sont également prévues pour les personnes physiques ; c'est le cas notamment de l'amende, de la confiscation et des autres peines portant atteinte à la liberté d'entreprendre, à la capacité bancaire et à la considération. Cependant, dans le cas où elles sont prévues pour les personnes morales, celles-ci sont parfois plus sévères. Par exemple, le taux maximum de l'amende est porté au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques (art.131-38 et 131-41).

En revanche, la dissolution, le placement sous surveillance judiciaire et l'interdiction de faire appel public à l'épargne sont des sanctions propres aux personnes morales. Mais "bien que la discussion sur ce point ait été rapide, le législateur a bien vu que certaines des sanctions prononcées contre les personnes morales de droit privé étaient inconcevables pour des personnes publiques" (M. J.-C. Bonichot). Ainsi, l'article 131-39 exclut de l'arsenal répressif de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public la peine de dissolution et le placement sous surveillance judiciaire qui ne sont pas non plus applicables aux partis ou groupements politiques, ni aux syndicats professionnels. Ce choix s'explique notamment par le principe de continuité du service public. Il n'en reste pas moins que la plupart des peines qui peuvent être prononcées contre les personnes de droit public sont mal adaptées à la commune.

II. Les sanctions prévues sont mal adaptées au cas de la commune

Tout d'abord, le principe même de l'amende pesant sur la commune qui convertit la faute du maire ou du conseil municipal en une peine pécuniaire, peut apparaître choquant. Si l'on veut faire apparaître une responsabilité personnelle des organes ou représentants, leur responsabilité pénale propre suffit ; l'amende appliquée à la collectivité territoriale dont ils ont la charge ne les atteint de toute façon pas dans leur patrimoine propre. L'amende ne se conçoit alors que comme une sanction collective, ce qui a pour principal effet de faire peser sur l'ensemble des citoyens qui ne sont en rien responsables des agissements de la commune, le poids d'une condamnation sanctionnant une infraction dont ils sont les premières victimes. L'absurdité de la situation fait de la peine d'amende, une sanction très critiquée et contestée en ce qui concerne la responsabilité des collectivités territoriales.

Ensuite, l'affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci par la presse écrite ou tout moyen de communication audiovisuelle qui a pour but légitime de prévenir le renouvellement d'infractions, ne serait-ce que par la méfiance que cela peut engendrer pour les contractants apparaît totalement inappropriée au cas de la commune en ce qu'elle "revient à montrer du doigt une collectivité de citoyens qui n'y peuvent rien et seront injustement atteints dans leur dignité et leur honneur de membres d'une collectivité publique" (M. J.-C. Bonichot).

Enfin, certaines sanctions sont soit complètement incompatibles avec le fonctionnement de la commune, soit susceptibles de porter gravement atteinte à une des raisons d'être des collectivités locales c'est-à-dire le service public. Il en va ainsi de la peine d'exclusion des marchés publics qui ne peut pas se concevoir pour une collectivité territoriale mais également des interdictions d'émettre des chèques, d'utiliser des cartes de paiement ou de faire appel public à l'épargne qui supposent que la personne morale a recours à ces procédés, ce qui n'est absolument pas le cas de la commune. De même, la fermeture de l'un ou de plusieurs établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, qui fait explicitement référence à la notion d'entreprise, n'est pas applicable à la commune qui ne saurait être raisonnablement assimilée à une entreprise.

Par ailleurs, étant donné que la commune ne peut être condamnée pénalement que pour des infractions commises dans le cadre d'activités susceptibles de faire l'objet d'une délégation de service public, l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale serait nécessairement en opposition avec le principe de continuité de service public et la confiscation de la chose qui a servi à commettre l'infraction ou qui en est le produit ne pourrait se traduire que par la confiscation d'un bien appartenant au domaine public ou qui est affecté au public, ce qui porterait atteinte au fonctionnement même des services de la commune.

On ne peut en définitive, manquer d'exprimer une certaine appréhension à l'égard des condamnations à venir et des conséquences qu'elles auront sur la gestion des communes. Dans l'attente de cette jurisprudence, les commentaires de la doctrine demeurent purement abstraits et théoriques. Ce vide juridique est d'autant plus regrettable que la notion de responsabilité pénale des collectivités territoriales est source de nombreuses difficultés.

Outre le problème des contraintes posées par la personnalité morale de la commune, les auteurs se sont surtout interrogés sur les incidences que pouvait avoir la responsabilité pénale de cette collectivité locale sur celle du maire.

SECTION 2 : LES INCIDENCES DE LA RESPONSABILITE PENALE DE LA COMMUNE SUR LA RESPONSABILTE PENALE DU MAIRE

Par anticipation des décisions qui seront rendues par les tribunaux au cas où les circonstances qui entourent la commission d'une infraction permettraient de retenir à la fois la responsabilité de la commune et celle du maire, on peut déjà envisager différents cas de figure. La loi qui prévoit que la responsabilité pénale de la commune n'est pas exclusive de celle du maire offre seulement la possibilité d'un cumul de responsabilité mais ne l'impose pas. Toutefois, dans l'esprit de certains auteurs, la responsabilité de la personne morale doit permettre de limiter la responsabilité de la personne physique.

§ 1. La loi prévoit que la responsabilité pénale de la commune n'est pas exclusive de la responsabilité pénale du maire

L'article 121-2 al.3 C.pén. dispose que "la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits". En cas de concours de responsabilité, le juge pénal a alors la possibilité de condamner à la fois la commune et le maire. Ce cumul de responsabilité apparaît justifié à plusieurs égards.

I. La solution du cumul de responsabilité est possible

La commune est pénalement responsable des infractions qui sont réalisées pour son compte par un de ses représentants ou organes. Autrement dit, dès lors que le maire se rend coupable d'agissements susceptibles de faire l'objet d'une condamnation pénale et que ces agissements ont pour but de profiter à la collectivité qu'il représente, la commune peut être pénalement poursuivie comme auteur de l'infraction qui a été commise.

Toutefois, le domaine de la responsabilité pénale du maire ne coïncide pas tout à fait avec celui de la responsabilité de la commune. En effet, seules les infractions réalisées dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public (art.121-2 al.2 C.pén.) peuvent être mises à la charge de la commune tandis que le maire peut être poursuivi pour des infractions qui dépasseraient le cadre de ces activités.

Les seules circonstances qui par conséquent, pourraient révéler à la fois la responsabilité de la commune et celle du maire sont celles où le maire aurait agi dans le cadre d'activités pouvant faire l'objet de conventions de délégation de service public. Il se déduit de cet ensemble de conditions que dans l'hypothèse où la commune et le maire sont tous les deux responsables d'une infraction, la commune ne peut en aucun cas être poursuivie comme complice des agissements de son représentant mais seulement comme auteur. En pareil cas, la loi qui prévoit seulement que la responsabilité des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques laisse le juge pénal libre de prononcer la condamnation du maire et de la collectivité territoriale ou de retenir seulement la responsabilité pénale de la commune.

Dans le cas où la personne morale et la personne physique sont poursuivies cumulativement, il existe un risque évident de conflit d'intérêt dans la mesure où le maire qui est normalement chargé de représenter la commune en justice, peut avoir tendance à faire passer la défense de ses intérêts personnels avant toute autre considération. Aussi,
l'article 706-43 C.pr.pén. prévoit-il que lorsque des poursuites pour les mêmes faits que ceux reprochés à la personne morale sont engagées à l'encontre du représentant légal, le président du tribunal de grande instance désigne un mandataire de justice pour représenter la personne morale.

Il semblerait que le cumul de responsabilité qui n'est pas expressément imposé par la loi, ne soit pas toujours conforme au vœu du législateur qui préfère parfois que la commune soit seule poursuivie pour les actes dont le maire se serait rendu responsable. En revanche, certains auteurs soutiennent que cette solution est complètement justifiée et tout à fait souhaitable.

II. La solution du cumul de responsabilité est justifiée

D'un point de vue strictement juridique, est responsable toute personne qui se serait rendue coupable d'une infraction à moins que la loi ne prévoit expressément que les circonstances qui accompagnent l'acte de l'auteur (ou du complice) sont exonératoires de sa responsabilité. Le code pénal prévoit comme seule cause d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité, la force majeure, la contrainte, l'erreur de droit, l'ordre de la loi ou le commandement de l'autorité légitime, l'état de nécessité, la légitime défense, la démence et dans une certaine mesure, la minorité (livre 1, titre 2, chap. 2 de la partie législative du C.pén.). En aucun cas la responsabilité d'une autre personne ne peut être analysée comme une cause d'irresponsabilité.

Selon les hypothèses, la pluralité de participants à une même activité répréhensible confère au délinquant la qualité d'auteur principal, de coauteur ou de complice. Par conséquent, lorsque les conditions respectives de mise en œuvre de la responsabilité pénale de la commune et de la responsabilité du maire coïncident, rien ne fait obstacle à ce que la personne morale et son représentant soient tous les deux déclarés responsables. Au contraire, le cumul de responsabilité est expressément prévu par la loi.

Par ailleurs, comme le soulignent MM. F. Desportes et F. Le Gunehec, il serait tout à fait inéquitable que la responsabilité de la personne morale permette à la personne physique de se soustraire à d'éventuelles poursuites. "Comment imaginer qu'un conducteur de camion qui commettrait un accident mortel puisse être pénalement irresponsable s'il se trouve être le gérant d'une S.I.R.L. de transport, personne morale qui serait quant à elle, pénalement condamnée, mais non s'il travaille à son compte au sein d'une entreprise familiale dépourvue de la personnalité morale ? "

Dans le cadre des activités de la commune le non cumul de responsabilité permettrait au maire, s'agissant du même comportement fautif, d'échapper au poids d'une condamnation pénale si il agit dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public, alors qu'à l'inverse, il serait condamné si il agit en dehors du domaine de la responsabilité pénale de la commune.

Toutefois, certains auteurs déduisent de la formulation même de l'article 121-2 C.pén. qui prévoit seulement que la responsabilité de la personne morale n'exclut pas celle de la personne physique et non que les responsabilités doivent être prononcées cumulativement chaque fois que les circonstances le permettent, que le législateur a entendu faire de la responsabilité de la commune une cause possible d'irresponsabilité du maire.

C'est une interprétation qui est au contraire, bannie par d'autres auteurs, en particulier par M. I. Coeuret en droit du travail. Ceux-ci s'appuient notamment sur la circulaire du 14 mai 1993 qui rappelle que "comme l'indiquait la commission de révision du code pénal au début de ses travaux il convient d'éviter que la responsabilité pénale des groupements constitue un écran utilisé pour masquer des responsabilités personnelles ".Selon M. J.-C. Bonichot, "beaucoup d'élus voient, à tort, dans la consécration de la responsabilité pénale des administrations publiques, un moyen d'enrayer le développement inquiétant des poursuites pénales contre ceux qui exercent des fonctions électives, en particulier le maire."

Aucune décision n'étant encore intervenue en la matière, rien ne permet de supposer de ce que le juge pénal va décider. Il semblerait que la majorité de la doctrine souhaite que la responsabilité pénale de la commune limite le domaine de la responsabilité pénale du maire.

§ 2. Certains auteurs souhaitent que la responsabilité pénale de la commune limite la responsabilité pénale du maire

Les auteurs qui sont favorables à ce que dans certains cas, la responsabilité pénale de la commune fasse obstacle à la condamnation du maire estiment que la solution du non cumul est de loin la plus juste. Les décisions déjà rendues à l'égard de personnes morales de droit privé, ainsi que les consignes qui émanent du gouvernement laissent supposer que cette solution est également la plus probable.

I. La solution du non cumul de responsabilité est la plus juste

Il ressort très clairement des débats parlementaires que la responsabilité pénale des personnes morales a été votée dans le but de permettre de limiter la responsabilité des personnes physiques aux seuls cas où il peut être effectivement prouvé qu'elles sont "personnellement intervenus dans la réalisation de l'infraction". Le rapporteur de la Commission des lois du Sénat avait notamment déclaré : "il est difficile de poursuivre à la fois la personne morale et ses employés ou dirigeants. De deux choses l'une : ou bien le délit a été commis par le dirigeant ou par un agent personnellement identifié et identifiable, ou bien il a été commis par la personne morale. Il paraît donc délicat de faire jouer cumulativement la responsabilité pénale de la personne morale et celle de ses dirigeants" (JO Sénat CR, 17/05/89, p.716).Mais cela relevait d'une analyse inexacte du mécanisme de la responsabilité pénale des personnes morales tel que retenu par l'article 121-2.

L'Assemblée Nationale qui craignait que soit créée une véritable immunité au profit des dirigeants, solution qui serait apparue choquante, est revenue au texte du projet de loi, en précisant tout de même, que la responsabilité des personnes physiques ne pouvait être engagée en même temps que celle des personnes morales "qu'au cas de faute personnelle". Finalement, c'est une rédaction un peu différente qui a été retenue puisqu'en effet, le code pénal précise que les personnes physiques doivent être "auteurs ou complices" des mêmes faits.

Si la question de la responsabilité pénale des personnes morales s'est posée en des termes aussi discutés devant les assemblées, c'est parce qu'elle se présente dans l'esprit de la plupart des parlementaires et de la majorité des auteurs, comme un moyen d'infléchir la jurisprudence intervenue à l'égard des maires et des chefs d'entreprise en matière d'imprudence et de négligence.

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 13 mai 1996, rien dans la loi ne semblait pouvoir mettre un terme à la série de condamnations qui frappaient les dirigeants d'entreprise et les élus locaux de manière automatique chaque fois qu'il était constaté un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité qu'ils étaient en charge d'appliquer et de faire respecter.

La création de la responsabilité pénale de la commune, en ce qui concerne le cas particulier du maire, est tout de suite apparue pour certains comme le moyen de détourner le prononcé automatique de la condamnation de l'élu vers la collectivité territoriale.

Etant donné qu'il n'était pas possible de mettre un terme à la vague des poursuites dirigées à l'encontre des maires, celle-ci étant le résultat de considérations de pure opportunité, il a semblé beaucoup plus juste vis-à-vis du maire qui ne dispose pas toujours de moyens techniques et financiers suffisants pour faire face aux contraintes de gestion de l'activité communale, de reporter le lourd poids d'une responsabilité pénale sur la commune elle-même.

Dans un souci identique de meilleure justice, le groupe de travail présidé par M. J.-P. Delvoye qui était chargé de proposer une réforme tendant à assouplir le régime de la responsabilité pénale des élus locaux a mis en avant la possibilité de limiter la responsabilité des personnes physiques "non pas aux seules infractions volontaires mais également aux infractions non intentionnelles lorsque le comportement de leur auteur révélerait une faute d'une particulière gravité". Toutefois, cette idée n'a pas été introduite dans les propositions de la Commission des lois du Sénat. Cela dit, elle témoigne de l'acuité des débats que soulève la question délicate des incidences de la responsabilité pénale des personnes morales sur la responsabilité pénale des personnes physiques.

Bien qu'il ne soit jamais possible de prédire comment l'institution de la responsabilité pénale de la commune qui n'a encore fait l'objet d'aucune décision, sera appliquée par les tribunaux, on peut supposer tout de même, compte tenu de la jurisprudence déjà intervenue en matière de responsabilité de personnes morales de droit privé et des consignes du gouvernement, que la solution du non cumul est la plus probable.

II. La solution du non cumul de responsabilité est la plus probable

Au 1er octobre 1995, moins d'une vingtaine de procédures dirigées contre des personnes morales ont été signalées à la Chancellerie. Dans un certain nombre de cas, seule la personne morale a été poursuivie.

Dans un jugement du 3 novembre 1995 (RD soc. 1996, p.159), le Tribunal de grande instance de Paris fait une application automatique de la responsabilité de la personne morale. Cette décision intervenue en droit du travail, prononce la condamnation de deux sociétés (entreprise principale et entreprise sous-traitante) sans qu'aucune des conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la personne morale n'ait été relevée par les juges. Ceux-ci se sont, en effet, contentés de constater des négligences et manquements aux obligations du droit du travail (échafaudage présentant des points de rouille visibles ; non vérification de la solidité) et les ont imputés directement et automatiquement aux personnes morales sans passer par le canal d'une personne physique.

Cette constatation incite M. I. Coeuret à dire que "l'explication profonde de cette décision peut sans doute être trouvée dans une certaine conception de la personnalité morale proche de la théorie de la réalité ; qui, en reconnaissant au groupement une volonté propre, permet de s'affranchir assez nettement de l'établissement préalable de la responsabilité individuelle."

Dans l'état actuel du droit, l'engagement de la responsabilité de la personne morale suppose l'accomplissement d'une infraction par ses organes ou représentants c'est-à-dire l'acte d'une personne physique. Autrement dit, admettre que la responsabilité personnelle du représentant ou de l'organe, condition préalable à celle de la personne morale disparaît dès lors que la responsabilité de la personne morale a été retenue, c'est effectivement, comme le soulignent M. I. Coeuret et Mme G. Giudicelli-Delage (Rev.sc.crim. 1996, n.2), choisir de passer sous silence les conditions légales d'engagement de la responsabilité des personnes morales prévues à l'article 121-2 C.pén..

Toutefois, les partisans du non cumul, en particulier, ceux qui souhaitent que la responsabilité de la commune limite le domaine de la responsabilité pénale du maire aux seuls cas d'infractions intentionnelles ou de faute grave, ne poussent pas la réflexion aussi loin. Il en va notamment ainsi des rédacteurs de la circulaire du 5 avril 1995 commentant la loi "Barnier" du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, qui proposent de distinguer les faits "qui relèvent principalement d'une gestion défectueuse de la personne morale et ceux qui traduisent une véritable faute personnelle de son dirigeant."

Prenant l'exemple de la situation des maires, le Ministère de la Justice demande clairement aux parquets de rechercher prioritairement la responsabilité de la commune, si la pollution constatée résulte "d'un mauvais fonctionnement des services communaux", et de ne poursuivre la personne physique que s'il est démontré qu'elle a "gravement manqué à sa fonction, en n'accomplissant pas toutes les diligences normales pour éviter la pollution, compte tenu notamment des avertissements et mises en demeure qui avaient pu lui être adressés par les services compétents de l'Etat" (Quest. n.9186, JO Sénat Q, 02/03/95, p.512 ; Quest. n.10378, JO Sénat Q, 27/04/95, p.1011 ; Quest. n.10717, JO Sénat Q, 19/10/95).

Par ailleurs, si un principe général de non cumul paraît contraire à la Constitution en ce qu'il risquerait de porter atteinte à l'égalité des citoyens, "il est possible d'envisager d'instituer une telle règle pour les infractions matérielles (qui sont désormais nécessairement des contraventions en application de l'article 121-3 C.pén.), dans la mesure où ces infractions sont constituées en l'absence de toute faute" (F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, le Nouveau Droit pénal, t.1, 2e édit., Economica, 1996, p.466).

Toutes ces hésitations de la doctrine révèlent à quel point les difficultés soulevées par la création de la responsabilité pénale de la commune, par la mise en jeu de la responsabilité pénale du maire pour des faits non intentionnels et de façon plus générale, par la responsabilité pénale de l'élu et de sa collectivité dans son ensemble, loin de ne fonder que des inquiétudes d'ordre pratique, sont susceptibles d'entraîner des modifications profondes du droit pénal, sans lesquelles la matière risquerait de devenir une source inépuisable d'incohérences ou du moins d'interrogations. Ce constat est d'autant plus préoccupant qu'un

nombre important de comportements et d'activités sont visés. Et il apparaît alors indispensable de déterminer l'étendue de la responsabilité pénale du maire et de la commune si l'on veut se rendre compte véritablement de l'acuité des débats que celle-ci soulève.

Retour au sommaire du mémoire

Retour au sommaire du Juripole