DROITS ET LIBERTES DU SALARIE COMME LIMITES AU POUVOIR DISCIPLINAIRE DE L'EMPLOYEUR EN DROIT FRANCAIS ET EN DROIT ITALIEN
Stéphane BOUCHE



PREMIERE PARTIE







INTRODUCTION GENERALE


"Le droit disciplinaire, dans notre système juridique moderne est comme un orphelin qui cherche ses parents sans les pouvoir retrouver"- Hauriou (1).

Cette citation montre l'ambiguïté du pouvoir disciplinaire de l'employeur. Comment peut-on admettre qu'au sein d'une relation contractuelle, une des parties dispose du pouvoir d'infliger une peine, une sanction, pour une faute commise dans l'exécution de la prestation?

Même si les auteurs ont apporté des réponses satisfaisantes à ces questions, le problème reste cependant intact: une personne privée dispose d'un pouvoir coercitif, qui lui permettra de punir une autre personne privée comme l'Etat pourrait le faire à l'encontre de ses citoyens. On se situe dans le domaine des peines privées.

Si l'on admet la question, il faudra d'autre part admettre la protection de l'autre partie, celle qui fera l'objet de la sanction. Il s'agira d'un ensemble de garanties conférées à la personne qui devra subir la peine, comme en droit pénal. On se rend compte alors de toute l'importance de la reconnaissance des droits et libertés du salarié en matière de droit disciplinaire. La question se posera dans les mêmes termes, au moins sur ce point, en droit italien comme en droit français.

Dans cette introduction, il s'agira d'examiner dans un premier temps l'origine du pouvoir disciplinaire (I), puis l'apparition des droits du salarié dans la relation de travail (II), enfin il faudra conclure sur la nécessaire coexistence du pouvoir disciplinaire et des droits du salarié (III).

I - L'ORIGINE DU DROIT DISCIPLINAIRE


L'employeur est investi, au sein de son entreprise, d'un ensemble de pouvoirs et de facultés afin de garantir l'exécution et la discipline du travail. Cette série de prérogatives est souvent entendue sous l'appellation générique de pouvoir de direction.

Le salarié qui se place sous l'autorité de l'employeur par le contrat de travail, est soumis au sein de l'entreprise à une certaine discipline. Si le salarié viole cette discipline, il encourt une sanction. Le pouvoir d'infliger cette sanction appartient au chef d'entreprise, et fait partie des prérogatives qui lui sont conférées dans le cadre de son pouvoir de direction. Il s'agit du pouvoir disciplinaire.

La doctrine s'est interrogée sur l'intéressante question de ce pouvoir particulier de l'employeur (A), auquel le législateur a donné une base juridique (B).

A- Les fondements du pouvoir disciplinaire


Les courants doctrinaux et jurisprudentiels français (1) et italien (2) ont choisis des voies différentes, dans la justification du pouvoir disciplinaire de l'employeur.

1) L'expérience française


Avant que le législateur n'intervienne pour fixer les limites du pouvoir disciplinaire, une partie de la doctrine dénonçait la règle prétorienne (en jurisprudence) qui fixait le principe en la matière : "un droit de juger est de ce fait reconnu à une personne privée sur une autre, sans texte, et surtout sans fondement en droit public" (2). Le dilemme de la doctrine française était de savoir comment expliquer ce pouvoir reconnu au chef d'entreprise, de prendre des sanctions contre des travailleurs qu'il estime coupables d'infractions à la discipline de l'entreprise.

Pour répondre à cette question, deux analyses ont été avancées. La première est une analyse contractuelle. Elle fut proposée pour justifier les sanctions prévues par le règlement intérieur de l'entreprise. Il était considéré comme accepté par le travailleur au même titre que le contrat de travail. Ce qui lui conférait la même valeur entre les parties (3). Cette solution fut abandonnée par la chambre sociale de la Cour de cassation avec la décision (centrale) du 16 juin 1946 (4).

Cet arrêt a été interprété comme faisant application de l'analyse institutionnelle. Il est considéré comme ayant donné sa légitimité au pouvoir disciplinaire de l'employeur, en l'absence de toute disposition légale: "il détient ce pouvoir "ès qualité" pouvant ainsi se faire justice à lui-même, avant toute autorisation judiciaire".

En présence d'une prévision de la sanction dans le règlement intérieur, le fondement contractuel peut servir à justifier la sanction. A défaut selon l'arrêt, le pouvoir disciplinaire se rattache à la qualité d'employeur: "le pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise, existe de plein droit et a un caractère social, institutionnel et non contractuel".

La doctrine rejetait par ailleurs l'idée selon laquelle l'autorité disciplinaire s'exercerait par délégation de l'Etat: "elle est une nécessité organique de la vie collective ; l'Etat ne la crée pas ; tout au moins se borne-t-il parfois à se l'incorporer" (5). La même doctrine considérait que "l'entreprise est autre chose qu'une simple juxtaposition de contrats individuels de travail. Elle est une communauté de travail, un corps social, réunissant des personnes qui participent, avec des fonctions différentes, à une oeuvre d'ensemble, et qui sont soumises à l'autorité de l'une d'elles, le chef d'entreprise".

La jurisprudence avait limité le contrôle judiciaire aux cas de détournement du pouvoir disciplinaire (de son but du pouvoir disciplinaire exercé par l'employeur dans l'intérêt du bon fonctionnement de son entreprise). Pour la première fois avec un arrêt du 6 novembre 1959, la chambre sociale s'est servie de cette notion (6). Il ressort de la jurisprudence du détournement du pouvoir disciplinaire que le caractère disproportionné d'une sanction ne constitue pas un détournement de pouvoir. Par contre une sanction discriminatoire constituait en soi un détournement de pouvoir (7). D'autre part, le juge n'était pas admis à se substituer à l'employeur dans l'exercice du pouvoir disciplinaire dans l'appréciation de la faute disciplinaire. La seule possibilité pour le juge était de prononcer la nullité de la sanction (8), mais en aucun cas il ne pouvait prononcer une autre peine. La jurisprudence avait posé les premières limites du pouvoir disciplinaire de l'employeur.

2) l'expérience italienne


Il fut pendant longtemps affirmé que le pouvoir disciplinaire était le moyen plus adapté pour garantir l'efficacité du pouvoir de diriger une main d'oeuvre jeune, souvent immigrée et d'origine paysanne, presque intégralement analphabète, non habituée aux rythmes et aux contraintes de la vie d'entreprise. En ce sens, le pouvoir disciplinaire est perçu comme une autorité de substitution, qu'elle soit parentale, scolaire ou religieuse (9).

Deux théories sont émises par la doctrine italienne pour le justifier. La première consiste à affirmer que le pouvoir disciplinaire servirait à garantir l'ordre interne du groupe social, dans le sens où il en conditionnerait l'existence même. En son absence, on aboutirait à sa destruction.

Pour la seconde, le pouvoir disciplinaire serait fondé sur un rapport de hiérarchie ou sur l'autorité hiérarchique, parce qu'il n'est pas concevable qu'il existe une autorité sans moyen pour la faire valoir (10). Le travailleur (selon la terminologie usuelle italienne) se trouve être soumis à l'employeur. Dans ce contexte de collaboration, il doit obéissance, fidélité et en outre il doit être particulièrement diligent. Corrélativement à ces devoirs, l'employeur dispose d'un pouvoir de direction, de commandement et disciplinaire. On constate que la doctrine nie la théorie contractuelle du pouvoir disciplinaire émise par les auteurs français. Selon elle, il est trop simple d'affirmer que le fondement du pouvoir disciplinaire est le contrat lui-même. A l'obligation de discipline correspond le droit de l'exiger. Ainsi, le pouvoir disciplinaire trouve son fondement dans la discipline légale du contrat de travail (11).

B- Les sources


Le droit italien comme le droit français disposent désormais de leur droit disciplinaire. Les législateurs se sont efforcés de donner une base légale aux notions essentielles de la matière.

Le système italien dispose de la loi n° 300 de 1970, qui définit le Statut des salariés (il s'agit aussi du nom donné à cette loi). Dans son article 7, elle énonce les principes généraux du pouvoir disciplinaire, surtout les conditions dans lesquelles le pouvoir disciplinaire doit s'exercer. Il était déjà intervenu en 1966 (12) pour limiter le pouvoir de l'employeur en matière de licenciement. Dès 1943, le Code civil avait partiellement défini le pouvoir disciplinaire. Toujours en vigueur, l'article 2106 prévoit que lorsque "le salarié viole ses obligations de fidélité ou de diligence, l'employeur pourra prononcer contre lui une sanction proportionnée à l'infraction".

Le législateur français interviendra plus tard: tout d'abord en 1970 avec la loi sur le licenciement, mais surtout le 4 août 1982. Une des lois Auroux, relative aux libertés individuelles des salariés, définit les conditions d'exercice du pouvoir disciplinaire. Selon la doctrine, cette loi apporte une garantie disciplinaire aux salariés (13). Cette loi consacre le pouvoir unilatéral de l'employeur en matière d'élaboration du règlement intérieur (à qui il revient de fixer les règles de discipline applicable dans l'entreprise). La loi française associe droits du salarié et pouvoir disciplinaire, comme le fait la loi italienne de 1970, d'ailleurs.

Il n'est pas exclu que la discipline dans l'entreprise puisse avoir un caractère conventionnel, mais il est assez rare que la négociation collective traite des conditions d'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur comme c'est très souvent le cas en droit italien.

En droit français, les conventions collectives contiennent généralement des dispositions relatives à l'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur. Quant aux règlements intérieurs, ils constituent une source du droit disciplinaire en édictant, selon les termes du Code du travail, des règles générales et permanentes relatives à la discipline, et à l'échelle de sanctions que l'employeur peut prendre.

Lorsque le salarié s'engage par le contrat de travail, il se soumet à l'autorité de l'employeur. Cette affirmation ne sous-entend pas que le lien de subordination soit une forme de renonciation complète à ses droits et libertés.

Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que la relation de travail reste une relation contractuelle. Ainsi, la faute peut être considérée à la fois comme une faute disciplinaire et une faute civile. Ce qui sous-entend que la sanction peut-être envisagée soit sur le plan disciplinaire soit sur le plan civil des rapports contractuels. La responsabilité disciplinaire du salarié exclut le plus souvent la responsabilité civile contractuelle à l'occasion des fautes commises par le salarié dans l'exécution de ses obligations.

En droit français, la responsabilité civile du salarié ne se trouve engagée qu'en cas de faute lourde de sa part (14). Il en résulte que ce sont des sanctions disciplinaires, pouvant aller jusqu'au licenciement, et non des condamnations à des dommages-intérêts, qui frappent le plus souvent les salariés fautifs.

La sanction disciplinaire sera affligée pour un trouble apporté au bon fonctionnement de l'entreprise (en substance et pour résumer), alors que la sanction civile dépendra du préjudice causé à l'employeur par le salarié.

Si l'on se réfère à l'article 1184 du Code civil (droit commun des contrats), l'inexécution par l'une des parties de ses obligations peut entraîner la résiliation judiciaire du contrat. Dans les contrats à durée indéterminée, ce qui est normalement le cas du contrat de travail, la partie qui reproche à l'autre l'inexécution ou la mauvaise exécution de ses obligations dispose d'un droit de résiliation unilatérale du contrat (15).

Le licenciement du salarié apparaît à la fois comme l'exercice de ce droit de résiliation unilatérale, donc comme une sanction civile des obligations contractuelles, et comme un mode d'exclusion de l'entreprise, c'est-à-dire comme la plus grave des sanctions disciplinaires. L'employeur demeure libre, au lieu d'user la résiliation unilatérale pour sanctionner une faute disciplinaire, de se placer sur le terrain contractuel en demandant la résiliation judiciaire du contrat (16). Cette faculté lui sera refusée en revanche lorsque le salarié en cause est un représentant du personnel en raison de la protection exorbitante du droit commun dont il bénéficie.

La voie reste praticable pour l'employeur, en vue de "sanctionner" un salarié, ou de s'en séparer. Cependant, dans ce contexte on sort du champ disciplinaire. Il s'agit d'une prérogative conférée à l'employeur par le droit commun et non plus par le droit du travail. La question est envisageable en droit italien comme en droit français. Cependant, elle se trouve être largement négligée.

II - L'APPARITION DES DROITS DU SALARIE DANS LA RELATION DE TRAVAIL


Deux phases sont à distinguer en la matière. La première qui s'étend de la Révolution jusqu'à la seconde moitié du 19ème siècle (A), et la seconde qui commence à cette période jusqu'à nos jours (B).

A- Première phase


L'histoire du droit du travail est pour le moins paradoxale, lorsque l'on songe à l'exploitation du salarié au cours du 19ème siècle d'une part, et l'impact idéologique des déclarations de droits de la période révolutionnaire d'autre part.

Le fait est que le travailleur fut largement négligé au cours de cette période, la Révolution ayant plus un caractère politique qu'économique. La seule disposition relative à la protection du salarié fut celle qui marqua le refus de l'aliénation du travailleur à son maître: l'article 19 de la Déclaration de 1793 dispose que "tout homme peut engager ses services, son temps, mais il ne peut pas se vendre lui-même - Sa personne n'est pas une propriété aliénable". L'article 1780 du code Napoléon reprendra cette disposition: "on ne peut engager ses services qu'à temps ou pour une entreprise déterminée".

Le Code civil réaffirme ainsi qu'il ne saurait y avoir d'asservissement perpétuel d'une personne à une autre. La liberté fondamentale de la personne entraîne le droit de résilier le contrat de louage de services à durée indéterminée (nom donné au contrat de travail dans le code Napoléon), qui ne saurait se transformer en asservissement de la personne pour sa vie entière. Ainsi, le premier droit qui fut conféré au salarié fut celui de se soustraire à l'autorité de son employeur lorsqu'il le souhaite.

L'unique disposition applicable en matière de droit du travail a inévitablement développé la plus grande liberté contractuelle qui soit. Cette disposition avait pour objet fondamental de servir le salarié. L‘histoire démontrera que cette disposition jouera surtout en sa défaveur puisqu'elle a conduit à l'exploitation du sujet le plus faible par le plus fort. A noter que le droit italien connaît aussi ce principe d'interdiction de l'engagement perpétuel. La même situation s'est donc observée dans les deux pays. Les droits reconnus au salarié ont servi le pouvoir disciplinaire et ne l'ont pas limité.

La situation du salarié évoluera seulement vers la fin du siècle dernier. La coalition n'étant plus un délit pénal (17), les syndicats se sont formés (18), les salariés ont acquis le droit de faire grève. Ainsi, ils disposent depuis lors d'un moyen de pression et de revendication sur l'employeur. Le salariat n'est plus alors apparu incompatible avec le respect des libertés fondamentales ou des droits de l'homme.

B- Seconde période


Deux techniques ont permis de corriger l'inégalité économique entre employeur et le salarié. Il s'agit de réglementation d'ordre public et du contenu du contrat de travail, qui imposent à l'employeur des obligations relatives aux conditions de travail du salarié d'une part, et d'une organisation de la collectivité des travailleurs leur permettant de modifier les rapports de force avec les employeurs, et de substituer une négociation collective à la détermination unilatérale des conditions de travail par l'employeur lors de la conclusion du contrat de travail, d'autre part.

Jurisprudence et Législateur se sont efforcés de protéger les droits et libertés du salarié. Il s'agit concrètement de déterminer dans quelles limites peut-on porter atteinte à la liberté du travailleur en matière de subordination à l'employeur.

L'idée est encore de transposer les droits du citoyen dans l'entreprise. On fait souvent appel à la théorie des libertés publiques pour assurer la défense des salariés face au pouvoir du chef d'entreprise. La plus grosse difficulté à laquelle on se heurte dans cette démarche, selon la doctrine, est de transposer des notions de droit public à des rapports de droit privé (19).

Désormais, le Code du travail en France définit un grand nombre de libertés reconnues au salarié (20). La jurisprudence pour sa part s'efforce de faire bénéficier le salarié des droits et libertés du citoyen, tout au moins de certains d'entre eux.

La Constitution italienne de 1948 prévoit dans son texte même des dispositions relatives au travailleur et qui lui sont directement applicables. On peut notamment citer l'article 36 relatif à la rémunération (21), l'article 37 relatif à l'égalité de traitement entre homme et femme dans le travail ou encore l'article 39 relatif à la liberté syndicale. Comme en matière de droit disciplinaire, les lois plus importantes relatives aux droits du salarié sont la loi n° 604 de 1966 (qui définit les conditions du licenciement), et la loi n° 300 de 1970 (Statut des salariés qui établit une véritable liste de droits dont peut se prévaloir tout salarié).

III - LA COEXISTENCE DES DEUX NOTIONS EST DESORMAIS INEVITABLE , VOIRE INDISPENSABLE EN DROIT POSITIF.


Dans l'entreprise, le salarié ne renonce pas à ses droits fondamentaux. Ils seront seulement aménagés en fonction des exigences impératives de celle-ci. Cependant l'exercice de ces droits ne peut pas se faire sans limites. Comme l'affirme la doctrine (22), le travailleur pourra commettre un abus qui suscitera une réaction de la part de l'employeur, et donc il usera de son pouvoir de direction. Cet usage devra rester objectif. Par ailleurs, l'employeur veillera à en faire une utilisation justifiée, proportionnée et neutre (l'idée est que les décisions ne doivent pas être dictées par un but étranger à l'intérêt de l'entreprise).

Ainsi, il est possible d'affirmer que les droits du salarié ne rendent pas impossible l'existence du pouvoir disciplinaire. Le principe est entendu. D'une part l'employeur ne peut exercer son pouvoir que dans le respect des droits reconnus par la loi et la jurisprudence aux salariés et dans le respect des obligations qui s'imposent à lui. D'autre part, les droits et libertés du salarié trouvent leur limite dans la sanction disciplinaire de l'employeur. Nous sommes en présence d'un conflit de droits et libertés: ceux du salarié d'une part, et la liberté d'entreprendre de l'employeur d'autre part, qui comprend le pouvoir disciplinaire.

Dans l'ordre chronologique est tout d'abord intervenu le pouvoir disciplinaire de l'employeur, ensuite seulement ont été reconnus certains droits au salarié. On se rend compte de cette manière que les droits et libertés reconnus au salariés viennent limiter progressivement le pouvoir disciplinaire de l'employeur, pour rechercher un certain équilibre dans ce rapport de force disproportionné.

Il faudra donc confronter prérogatives de l'employeur et protection du salarié. Il s'agira de chercher quels sont les droits et libertés du salarié qui lui sont reconnus face aux pouvoirs de l'employeur dans les différentes phases du processus disciplinaire. Pour résumer on peut considérer qu'elles sont au nombre de deux. Il s'agira dans un premier temps pour l'employeur de mettre en évidence une faute, seule susceptible de déclencher la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire. Le second est la réaction de l'employeur en réponse à les agissements du salarié, à savoir la sanction.

Dans les développements qui suivent seront analysées les limites du pouvoir disciplinaire lorsque l'on parle de faute disciplinaire (Partie I), puis lorsque l'on parle de sanction disciplinaire (Partie II).



PREMIERE PARTIE :

LIMITES AUX POUVOIRS DE L'EMPLOYEUR ET FAUTE DISCIPLINAIRE


La faute. Elle est présumée lorsque l'on parle de pouvoir disciplinaire. En son absence l'employeur ne pourrait pas prétendre en faire usage.

En effet, si le fait envisagé par l'employeur n'est pas constitutif d'une faute, il ne pourra pas non plus faire l'objet d'une sanction. Dans une telle hypothèse, on se trouve hors contexte disciplinaire et alors l'employeur n'a plus de pouvoir de sanctionner, ou en tout cas il ne saurait être justifié par son pouvoir disciplinaire.

Il convient donc tout d'abord d'examiner dans quelle mesure la loi et la jurisprudence délimitent le pouvoir de l'employeur dans la notion même de faute en droit disciplinaire (Section I), puis dans quelle mesure les droits et libertés du salarié viennent déqualifier un fait considéré comme fautif (II), et finalement, il faudra examiner le régime de la preuve de la faute disciplinaire (Section III).

SECTION I : la notion de faute en droit disciplinaire


Les systèmes français (I) et italien (II) sur ce point envisagent de manière différente la protection du salarié contre l'éventuel arbitraire de l'employeur dans l'appréciation du fait susceptible d'être considéré comme fautif.

§ I : la définition du droit italien


Deux sources peuvent être citées. Il s'agit tout d'abord des articles du Code civil qui viennent définir en termes généraux la notion de faute. Bien qu'étant toujours en vigueur, applicables et appliqués ces articles se trouvent être supplantés par la notion apportée par la loi n° 300 de 1970, qui exige une définition plus précise de la faute.

A- Le code civil


L'article 2106 du Code civil italien dispose qu'en cas d'inobservation de ses obligations de fidélité et de diligence, le salarié encourt une sanction à caractère disciplinaire. Un premier élément de définition est fourni par ce texte. La faute est constituée en cas de violation des obligations énumérées dans le Code civil.

D'une part, le salarié sera considéré comme fautif s'il n'exécute pas sa prestation usant la diligence du bon père de famille, cette obligation s'appréciant par rapport à la nature de la tâche à accomplir et par rapport aux fonctions du salarié.

D'autre part, il est assujetti à une obligation d'obéissance. Elle consiste à observer les instructions données par l'employeur ou ses collaborateurs, dans le cadre de la discipline et de l'exécution du travail.

Enfin, le Code civil met à la charge du salarié une obligation de fidélité. Elle lui impose le devoir de ne pas contracter en affaire, pour son propre compte ou pour le compte de tiers, en concurrence avec son employeur. Il s'oblige encore à ne pas divulguer des informations attenantes à l'organisation et aux modes de production de l'entreprise ou d'en faire usage d'une manière qui nuirait à l'entreprise. Tout fait commis en contravention avec ces textes pourrait justifier une sanction selon le Code. Il constitue une faute disciplinaire.

Ces dispositions du Code civil sont toujours en vigueur, cependant elles semblent avoir perdu de leur intérêt depuis le Statut du salarié n° 300 de 1970, qui définit dans toutes ses dimensions le droit disciplinaire. En réalité, ce texte dans la législation actuelle ne semble avoir d'importance qu'en matière de reconnaissance du pouvoir disciplinaire, et non plus en matière de faute. Pourtant, il ressort de la jurisprudence récente que la faute pourrait être mise en évidence à l'appui de ces textes (23).

B- La loi n° 300 de 1970


Elle exige que deux conditions soient vérifiées. On les retrouvera en matière de sanction. Le principe de droit pénal nullum crimen sine lege devra être respecté, la faute devra faire l'objet d'un texte préalable (1), qui devra faire l'objet d'une publication (2).

1) Nullum crimen sine lege


L'article 7 de la loi de 1970 exige que soit mis en place dans l'entreprise un code disciplinaire, c'est-à-dire un texte qui définisse les faits qui pourront être éventuellement sanctionnés, de manière à éviter leur création postérieure. Le principe en vigueur est donc celui de droit pénal nullum crimen sine lege, pas d'infraction sans texte. La jurisprudence est beaucoup moins exigeante et rigoureuse en la matière qu'elle ne a pu l'être auparavant.

Une stricte application du principe de droit pénal imposerait une prédétermination spécifique de la faute. La jurisprudence n'exige plus que le texte contienne une précise et systématique prévision de l'infraction. Il suffit qu'il existe une juste corrélation entre l'infraction en cause et la situation visée par le texte faisant l'objet de la sanction disciplinaire (24). Par ailleurs, si un accord collectif est applicable dans l'entreprise, l'employeur doit en tenir compte dans l'élaboration du code disciplinaire (25).

Ainsi dans la définition même de la faute disciplinaire l'employeur se trouve être doublement limité, puisque d'une part il ne bénéficie pas d'un pouvoir unilatéral dans l'élaboration du code disciplinaire qui le plus souvent résultera de la contractation collective, d'autre part il reste soumis à cette liste préétablie de faits seuls susceptibles de constituer une faute qui justifiera l'usage du pouvoir de l'employeur (même si de part l'application de l'actuelle jurisprudence il bénéficie d'une plus grande liberté, les faits fautifs étant définis en termes beaucoup plus généraux).

2) La publicité et sanction en cas de non-respect de l'article 7


L'article 7 exige par ailleurs que le texte fasse l'objet d'une publicité: "il doit être porté à la connaissance des salariés au moyen d'un affichage accessible à tous". Les Sezioni Unite (l'équivalent de l'assemblée plénière en France) réaffirme régulièrement son attachement à cette obligation de l'employeur (26). Elle consiste pour lui à faire en sorte que le salarié puisse prendre connaissance du code disciplinaire dans des conditions normales. L'absence du code disciplinaire dans l'entreprise et/ou de sa publication se traduisent par l'inexistence du pouvoir de l'employeur, et ensuite par la nullité de la sanction si elle est prononcée.

Il s'agit du premier élément de la garantie dont le législateur a voulu faire bénéficier le salarié. Une base écrite relativement précise est exigée dans la définition du fait fautif. Ces obligations sont particulièrement contraignantes pour l'employeur. Elles constituent la condition sine qua non de la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire (outre l'existence de faits commis par le salarié pouvant être considérés comme fautifs). Le droit français laisse en revanche une plus grande marge de manoeuvre à l'employeur dans l'appréciation du fait fautif.

§ 2 : la définition en droit français


L'article L.122-40 du Code du travail dispose "constitue une sanction toute mesure autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'agissements considérés par lui comme fautifs". La loi ne définit donc pas les faits pouvant constituer une faute disciplinaire, que ce soit en termes généraux ou par le biais d'une liste de faits précis. L'employeur dispose en la matière d'un pouvoir unilatéral d'appréciation. Le principe nullum crimen sine lege ne trouve pas application en droit français.

Les infractions disciplinaires ne sont nécessairement pas déterminées à l'avance par un texte. Le règlement intérieur fixe des règles à caractère général et permanent relatives à la discipline. Mais si l'employeur doit respecter son contenu il pourrait prendre une sanction pour des faits non visés dans le règlement intérieur. Il constitue un élément contraignant pour l'employeur, mais en aucun cas il ne constitue une liste exhaustive de faits fautifs.

Ainsi le système français n'a pas prévu de réelle protection a priori du salarié contre l'arbitraire de l'employeur dans la définition de la faute disciplinaire.

Cependant, une telle situation ne permet pas d'affirmer que le travailleur italien soit mieux protégé contre un éventuel arbitraire de l'employeur. La jurisprudence est largement intervenue pour délimiter le champ de la faute. La véritable protection du salarié s'effectue au cas par cas en individuant les droits et libertés qui doivent faire l'objet d'une protection, plutôt qu'à travers une protection contre l'arbitraire envisagé de manière générale.

La jurisprudence est intervenue aussi pour définir une échelle de fautes (27). La moins grave est la faute légère. Dans ce cas, le comportement du salarié est ponctuel, passager, inhabituel, excusé par les circonstances et ne cause pas de perturbation réelle et durable dans l'entreprise. Elle ne saurait justifier un licenciement, seulement une sanction parmis les moins graves mises à la disposition de l'employeur, telles que la mise à pied, le blâme ou l'avertissement, qui en tout état de cause ne soit pas de nature à faire obstacle à la continuité du contrat de travail.

Dans l'échelle des fautes intervient ensuite la faute sérieuse. Elle justifie la cause réelle et sérieuse de licenciement. En son absence le licenciement serait privé de validité. Au sens de la jurisprudence, seront considérées comme telle notamment les absences répétées, les actes d'indiscipline, la violence exercée entre salariés, l'indélicatesse, la déloyauté, l'intempérance..c'est-à-dire tout manquement sérieux du salarié au comportement que suppose son état de subordination.

Ensuite, on trouve la faute grave. Elle se caractérise par son effet. Elle permettra le licenciement du salarié sans préavis. La différence entre faute sérieuse et faute grave n'est pas parfaitement bien définie. Si l'on parle de faute grave il faut que la présence du salarié dans l'entreprise ne soit plus concevable, même pendant la période de préavis.

Enfin, au sommet de l'échelle des fautes, on trouve la faute lourde. Elle est plus grave que la faute grave puisqu'elle implique l'intention de nuire de la part du salarié. D'après la jurisprudence, constituent une telle faute les voies de faits sur les biens et les personnes, l'entrave à la liberté du travail, la grève illicite, la substitution d'autorité.

§ 3 : Conclusions comparatives


La protection du salarié qui s'effectue a priori dans le système italien, au moyen d'une définition préalable du fait considéré comme fautif, est effectuée a posteriori par la jurisprudence française. Elle a défini une échelle de faute. Les faits considérés prendront une certaine qualification, et en fonction de cette qualification une certaine sanction sera envisageable. Elle s'est efforcée d'établir une juste corrélation entre la gravité de la faute et les faits pouvant être considérés comme tels.

Le fait d'avoir une protection a priori, comme c'est le cas en Italie semble conférer une meilleure protection au salarié. Il faut cependant observer avec bon sens que cette forme de protection ne constitue en aucun cas une véritable garantie contre l'arbitraire.

La seule garantie est en réalité conférée par le contrôle judiciaire lui-même. En effet, que le code disciplinaire soit imposé ou non à l'employeur rien ne l'empêche de prononcer n'importe quelle sanction à l'encontre de son salarié. Si un salarié est sanctionné pour un fait qui selon le code disciplinaire n'est pas constitutif d'une faute il devra de toute façon recourir à la justice pour faire respecter son droit

§ 4 : la prescription de la faute


De part l'écoulement du temps, l'employeur ne pourra plus considérer certains faits comme fautifs, en tout état de cause il ne pourra plus s'en servir pour justifier une sanction disciplinaire. Selon l'article L.122-44 du Code du travail, aucuns agissements fautifs ne peuvent à eux seuls donner lieu à des poursuites disciplinaires plus de deux mois au-delà de la date à laquelle l'employeur en a eu connaissance (28).

En revanche, la loi n'exclut pas que le fait puisse être invoqué s'il s'ajoute à d'autres faits intervenus postérieurement pour caractériser un comportement fautif (29). Il ressort de la jurisprudence que si les poursuites pénales sont engagées avant que l'employeur ait eu connaissance des faits, elles ont le même effet que si elles avaient été engagées dans le délai de deux mois prévus par l'article L.122-44 (30).

Le Statut des salariés (la loi italienne n° 300/1970) ne prévoit pas de délai spécifique en matière de prescription de la faute. L'article 7 précise simplement que la faute doit être contestée auprès du salarié immédiatement. Lorsque l'employeur a connaissance des faits qu'il entend sanctionner, il doit immédiatement informer le salarié de son intention. Entre la connaissance du fait et la mise en oeuvre de la procédure il ne doit pas s'écouler plus que le temps raisonnablement nécessaire à l'employeur pour avoir un minimum de certitude sur l'attitude à adopter, sanctionner ou ne pas sanctionner. La Cour de cassation a précisé que l'amplitude du délai est variable compte tenu du fait reproché et de la taille de l'entreprise (31).

Le temps pourra constituer un éventuel moyen de défense pour salarié. Si la réaction de l'employeur intervient au-delà du délai de deux mois en droit français et d'un délai raisonnable après la commission du fait, les poursuites disciplinaires contre le salarié sont impossibles. Il s'agit du principe de droit pénal qui admet la prescription de l'infraction. L'idée est qu'au-delà d'un certain délai la sanction n'a plus de raison d'intervenir, le facteur social de la sanction n'aurait plus de sens. Les faits sont oubliés ou en tout cas ils doivent être considérés comme tels. L'écoulement du temps entraîne aussi la disparition des preuves. Il s'agit certainement de l'argument le plus fort en faveur de la prescription de la faute: au-delà d'un certain délai comment peut-on être sûr de la validité et de la véracité des preuves alléguées contre l'auteur des faits reprochés (32)?

Il existerait donc un droit à l'oubli au bénéfice du salarié. Par l'effet du temps, les faits perdent leur caractère fautif, d'où l'impossibilité pour l'employeur de les utiliser à une fin disciplinaire.

Dans d'autres cas, le fait en lui-même ou encore de manière objective constitue une faute. Les droits et libertés reconnus au salarié permettront dans certains cas de ne pas considérer le fait comme tel.

SECTION II : déqualifications des faits considérés comme fautifs.


Il s'agira dans les développements qui suivent de mettre en évidence les droits et libertés du salarié qui justifieront un certain comportement, parce qu'il sera commis dans un certain contexte, ou en relation avec un autre fait. L'existence de ce droit ou de cette liberté empêchera l'employeur de considérer le fait en question comme fautif et donc comme répréhensible.

Réciproquement, le salarié ne peut pas exercer sa liberté sans limites, il y aura toujours un moment où il excédera ce domaine et le fait sera alors de nouveau considéré comme fautif. L'étude se fera à travers les dispositions légales et les analyses des décisions rendues dans ce domaine.

Deux situations seront mises en évidence:
- les agissements du salarié ne peuvent pas être considérés comme fautifs parce qu'il est justifié par l'exercice d'un droit ou d'une liberté qui lui est reconnu par la loi ou la jurisprudence. Il faudra voir dans quelle mesure l'exercice de ce droit pourra justifier ces agissements (§ I)
- le comportement du salarié ne sera pas fautif parce que justifié par une faute de l'employeur lui-même, ou tout au moins un comportement répréhensible de sa part (§ II).

§ 1 : droits fondamentaux, libertés fondamentales et faute disciplinaire


Avant d'examiner de manière générale les libertés du salarié (S/§ II), il faudra envisager le droit que l'on peut considérer comme le plus important pour le salarié, parce qu'il est celui qui fera progresser les autres, à savoir le droit d'expression (S/§ I), même s' il est possible que des droits soient reconnus au salarié sans même qu'il ne les revendique.

S/§ I : le droit d'expression


Il s'agit pour chacun du droit de manifester, par quelque moyen que ce soit (manifestation orale; manifestation écrite; le droit de grève), ses opinions. Le droit d'expression ne vise pas seulement les opinions politiques, syndicales et religieuses, mais tous les cas dans lesquels le salarié fait connaître sa manière de penser et d'envisager les événements. Il pourra notamment s'agir dans cette optique du point de vue du salarié sur l'organisation de l'entreprise.

Il est d'intéressant de voir quel est l'objet de la protection du salarié (A), c'est-à-dire ce que la jurisprudence ou encore le législateur entendent protéger sous couvert de ce droit. Ensuite, il faudra s'attarder plus longuement sur un aspect particulier du droit d'expression que constitue le droit de grève (B).

A- L'objet de la protection du salarié


Lorsque l'on parle du droit d'expression on ne parle que du contenant. Il serait possible de fixer des limites tellement strictes qu'un tel droit serait vidé de tout sens, et pourtant il resterait affirmé. D'où l'importance de la connaissance du contenu de ce droit (1), et de ses limites (2). Pour finir, il faudra laisser un peu d'espace au droit d'expression des salariés protégés (3).

1) Le contenu du droit d'expression et sa sanction


Les législateurs français et italien ont choisi des voies différentes pour traiter de la question. Dans les deux pays le droit est affirmé. L'idée reste la même pourtant le contenu sera différent.

a) En droit français



L'article L.461-1 du Code du travail dispose que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression direct et collectif sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail. Les opinions émises dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement. Il est conçu comme un droit individuel, dans le sens où chaque salarié peut directement exprimer son opinion, présenter des réclamations ou des suggestions à la hiérarchie.

Quoi qu'il en soit, ce droit est toujours exercé à l'intérieur d'un groupe, il ne pourrait pas être utilisé par exemple dans un entretien personnalisé entre un travailleur et un membre de la hiérarchie. Ce droit est perçu comme un droit à la participation puisque les salariés ont la possibilité de se réunir pour discuter du contenu, de l'organisation et des conditions de travail.

L'article L.461-1 alinéa 2 dispose que les opinions émises par les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, dans l'exercice du droit d'expression, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement. Ainsi, le salarié exerçant son droit d'expression ne commet pas une faute (au sens du droit disciplinaire).

La jurisprudence est ensuite intervenue en la matière pour apporter les éléments manquant dans le Code du travail relatifs à la protection du salarié. Dans le cadre de "l'affaire Clavaud", un salarié avait l'objet fait d'un licenciement pour avoir donné une interview à un journal dans laquelle il racontait une de ses nuits de travail.

Le débat portait sur la nullité d'un licenciement portant atteinte à la liberté d'expression. Le conseil de prud'hommes avait jugé que, s'agissant d'une liberté fondamentale, l'acte de licenciement avait une cause illicite et que sa nullité devait être prononcée sur le fondement de l'article 1131 du code civil (qui prévoit la nullité à l'encontre de tout acte juridique dont la cause est illicite) (33). La Cour d'appel a conclu à la nullité du licenciement, mais sur le fondement de l'article L.461-1 du code du travail (34). La Chambre sociale de la Cour de cassation a approuvé la position de la Cour d'appel, affirmant que "les juges du fond n'ont fait état de l'article L.461-1 que pour en déduire que l'exercice du droit d'expression dans l'entreprise étant dépourvu de sanction, il ne pouvait en être autrement hors de l'entreprise où il s'exerce, sauf abus, dans toute sa plénitude".

De cet arrêt résulte que le licenciement attentatoire à la liberté d'expression est nul (35). On peut en conclure que toute autre sanction disciplinaire attentatoire à la liberté d'expression serait, elle aussi, nulle. Par ailleurs, l'arrêt affirme que la liberté d'expression du salarié en dehors de l'entreprise non seulement existe, mais en plus bénéficie de la même protection qu'à l'intérieur de l'entreprise.

Enfin, l'article L.483-2 du Code du travail, prévoit une sanction pénale dans le cas du délit d'entrave (36). Selon la doctrine (37), cet article serait applicable au droit d'expression individuelle.

En effet, dès lors que l'on admet que la liberté d'expression individuelle des salariés mérite la même protection que leur liberté d'expression collective (38), il convient d'admettre les mêmes sanctions pour l'une comme pour l'autre.

La protection du droit du salarié prend une allure particulièrement dissuasive pour l'employeur, qui doit mettre tout en oeuvre pour ne pas enfreindre cette liberté au risque pour lui d'encourir une sanction pénale.

b) En droit italien


Le droit d'expression est celui qui apparaît en premier dans la liste de droits que constitue le Statut du salarié (Loi n° 300/1970) (39). L'article premier de cette loi dispose que "les salariés sans distinction d'opinions politiques, syndicales ou religieuses, ont droit, dans les lieux où ils exercent leur travail, de manifester librement leur manière de penser, dans le respect des principes constitutionnels et des dispositions de la présente loi".

Ce texte reconnaît toute l'importance des droits constitutionnels de liberté dans la relation de travail. Le droit du salarié de s'exprimer librement est reconnu comme un droit fondamental et inviolable.

Même si les personnes en cause ne sont pas des salariés protégés, de manière générale la jurisprudence sanctionne la violation de la liberté d'expression sous l'angle de la conduite antisyndicale. Elle instaure une procédure d'urgence permettant au salarié d'obtenir en justice la cessation des agissements de l'employeur (40).

Ainsi la jurisprudence a retenu que "constitue un comportement antisyndical, le licenciement du salarié qui avait envoyé une lettre ouverte aux actionnaires de sa société dans laquelle il avait repris certains articles publiés dans un journal, faisant état, dans une forme non-injurieuse, de la mauvaise gestion de l'entreprise. Ces informations se sont ensuite avérées exactes (41)". Le licenciement violant la liberté d'expression du salarié est lui-même sanctionné par la nullité.

En ce qui concerne la liberté d'expression hors entreprise, la jurisprudence a une manière originale de traiter la question. En effet, dans une telle hypothèse la protection du salarié est fondée sur l'interdiction qui est faite à l'employeur d'enquêter sur les opinions de ses salariés (42). La sanction applicable dans ce cas est celle relative aux décisions discriminatoires: la nullité de l'acte (43).

c) Conclusions comparatives


En droit italien comme en droit français, le droit d'expression a un sens particulièrement large. Si le salarié vient à être sanctionné à l'occasion de l'exercice de ce droit la sanction sera frappée de nullité. Cependant, bien que le droit soit affirmé, la sanction de la violation n'a pas été pour autant précisée. On peut souligner à cet égard la position de la jurisprudence qui s'avère être un peu maladroite. On cherche à protéger le droit à tout prix puisqu'il est largement affirmé. La Cour de cassation française prononce une nullité sans texte. La jurisprudence italienne prononce la nullité lorsque la droit est violé sur le fondement de la conduite antisyndicale, indépendamment de l'activité (syndicale ou non) du salarié.

2) Les limites à la protection du salarié


La définition est large mais la protection du salarié n'est pas illimitée. Avant d'analyser la jurisprudence sur ce point (b) il est intéressant de voir quelle est la position de la doctrine (a).

a) La limite au droit d'expression



* L'abus de droit selon la doctrine française

La doctrine française a fixé la limite dans l'abus de droit. La jurisprudence utilise la même notion. La question a déjà été effleurée à propos de l'affaire Clavaud. Selon MM. Weill et Terré (44), pour qu'il y ait abus de droit d'expression, il doit y avoir "intention de nuire, mauvaise foi patente ou erreurs de conduites graves, absences de motifs sérieux ou faute légère, celle que ne commettrait pas un être raisonnable, envisagé in abstracto".

L'abus se caractérise donc par une faute, qui elle même se déduira du fait que les agissements du titulaire du droit ne sont pas justifiés par aucun intérêt légitime. La personne qui s'en plaint doit avoir, au surplus, subi les conséquences dommageables de ce comportement.

Toutes les infractions pénales (menaces, injures, diffamation, etc.) et les atteintes à l'autorité de l'employeur sont susceptibles de caractériser une telle faute. Le préjudice subi par l'entreprise peut se caractériser matériellement (notamment en cas de divulgations de secrets de fabriques ou de toutes informations concernant l'entreprise et devant restées secrètes) ou encore moralement (préjudice moral causé par un excès de langage, ou d'écriture, ou encore par une atteinte à l'image ou à la réputation de l'entreprise).

* L'exercice illicite du droit selon la doctrine italienne

La doctrine italienne s'est, elle-aussi, exprimée à propos de l'abus de droit d'expression (45). La notion a pour fondement l'abus de droit défini dans le code civil. Cependant, il apparaît douteux selon cette doctrine que la notion d'abus de droit puisse être admise en matière de libertés fondamentales, dont fait partie le droit d'expression. En effet dans cette matière, le contrôle de l'exercice des droits semblerait devoir se faire plus sur la quantité que sur la qualité: si dans le cadre de l'activité la limite est dépassée on parlera d'exercice illicite et non d'exercice abusif. Selon cette même doctrine, le contrôle en la matière semble consenti exclusivement afin d'évaluer l'ampleur de ces droits. Cette démarche est poursuivie pour éviter une compression arbitraire des libertés de la personne.

L'abus de droit, en droit français, constituera une limite à l'exercice du droit d'expression, en droit italien la limite est à rechercher dans l'illécéite de l'exercice du droit.

b) Limites du droit d'expression en jurisprudence


* La jurisprudence française

- limite à la liberté de propos -

Il ressort de la jurisprudence que les limites posées à la liberté d'expression dépendent de la fonction occupée (46).Selon la jurisprudence la faute du salarié n'est pas caractérisée en dehors de tout terme injurieux contre l'employeur (47).

En revanche, on ne saurait admettre le franchissement de certaines limites sans que ne soit prononcée une sanction à l'égard du salarié. Il en est ainsi lorsque le salarié a proféré des accusations mensongères avec l'intention de nuire à l'employeur. Il s'agit d'un usage abusif de son droit d'expression au sens de la jurisprudence (48).

-expression d'idées politiques-

La Chambre sociale (49) avait déjà décidé que l'expression des opinions politiques ne pouvait entraîner de sanctions disciplinaires, et que le licenciement de salariés motivé par le désaccord existant entre les salariés et le directeur sur des questions d'opinion et de politique générale sortant du cadre de l'activité professionnelle de l'entreprise était abusif. De même que, le Conseil d'Etat (50) a jugé que l'expression des idées politiques ou religieuses ne saurait être entravée par une clause du règlement intérieur.

Plus récemment, la Chambre sociale eut à traiter de l'affaire Ghoneim / Syrian Arab Airlines (compagnie nationale syrienne) (51). M. Ghoneim (employé comme agent d'escale à l'aéroport d'Orly) avait tenu devant d'autres employés de la compagnie des propos offensants et injurieux envers le chef d'Etat syrien, propos qui ont suscité l'indignation de certains salariés de Syrian Arab Airline. Il fut licencié pour ces faits. Il avait reconnu par écrit les faits qui lui étaient reprochés. La compagnie en avait conclu qu'il avait manqué à son obligation de réserve et de discrétion.

Le conseil de prud'hommes avait estimé que "le licenciement était motivé par les opinions politiques de l'intéressé, et qu'il y avait lieu à faire cesser ce trouble manifestement illicite causé par cette mesure illégale". Il avait ordonné la réintégration du salarié. La Cour d'appel jugea que la nullité du licenciement n'était pas évidente et que le trouble n'était pas manifestement illicite. La Chambre sociale rejeta le pourvoi de Ghoneim au motif que la Cour d'appel, qui a retenu que certains salariés étaient restés indignés par ce comportement, a pu décider que le licenciement ne constituait pas un trouble manifestement illicite, et donc la sanction restait valable.

Les commentateurs (52) de cette décision ont remarqué que, d'une part, le licenciement tombe sous le coup de l'article 122-45 (53), prévoyant que le salarié ne peut pas être licencié en raison de ses opinions politiques. D'autre part, il convient d'observer que le salarié proférant de tel propos n'a pas seulement exprimé une opinion politique (si, somme tout on peut la considérer comme telle), mais il s'est aussi rendu coupable d'une infraction pénale (article 36 de la loi du 29 juillet 1881, offense à un chef d'Etat). Cependant, une telle infraction ne constitue pas une faute à l'égard de l'employeur. On ne comprend pas alors pourquoi il se permet d'user de son pouvoir disciplinaire dans ce cas. La décision a laissé la doctrine un peu perplexe. La Cour de cassation a fondé sa décision sur l'argumentation de l'employeur, c'est-à-dire que le salarié a violé son obligation de réserve. "Ce ne sont pas les opinions politiques qui sont sanctionnées mais leur expression outrée".

La Cour ne fait référence ni à la liberté d'opinion du salarié, ni à un quelconque abus de sa part. En conséquence, la doctrine constate sans pouvoir affirmer autre chose que la protection accordée par la jurisprudence à la liberté d'opinion et d'expression des salariés se trouve être en recul, par rapport à la jurisprudence antérieure.

* La jurisprudence italienne

Le droit d'expression du salarié italien trouve sa limite dans la notion d'exercice illicite de son droit. La jurisprudence a appliqué à différentes reprises ce principe.

L'exercice du droit du salarié ne saurait se manifester par des comportements qui empêcheraient ou qui constitueraient un obstacle au développement de l'activité de travail: la jurisprudence a retenu que le principe de liberté énoncé à l'article 1 de la loi de 1970, ne doit pas comporter le sacrifice des intérêts opposés, mais tout aussi méritoire de protection, comme celui de la liberté d'initiative économique et d'organisation de l'entreprise, protégée constitutionnellement (54). Il s'agit d'un raisonnement largement suivi par la jurisprudence italienne dans de nombreuses matières. On est en présence de deux droits constitutionnellement protégés. Pour savoir quel est celui qui doit prévaloir sur l'autre, on cherche le point d'équilibre, et savoir à quel moment un des droits doit prévaloir sur l'autre (55).

La question a été discutée dans les termes de la liberté de critique du salarié vis-à-vis de son employeur, et surtout de savoir si le salarié disposait de ce droit de critique à l'égard du chef d'entreprise, ce droit constituant la limite au droit d'expression du salarié. Le salarié qui outrepasse son droit de critique outrepasse du même coup son droit d'expression. Il a été décidé que le comportement du salarié, consistant en la divulgation de faits et d'accusations, même si elles sont exactes, objectivement de nature à nuire à la réputation de l'employeur, échappe à l'exercice légitime de son droit de critique, expression du droit à la libre manifestation de penser. Ce comportement peut constituer un fait illicite, et donc permettre à l'employeur de prononcer le licenciement du salarié. Un tel fait étant considéré comme incompatible avec la nécessaire confiance que l'employeur doit avoir en son salarié pour la poursuite de la relation de travail (56).

Il ressort encore de la jurisprudence que les troubles possibles à l'activité productive de l'entreprise constituent une limite à l'extériorisation de la liberté d'expression (57). On soulignera à ce propos que la perte de confiance en droit italien pourra justifier la sanction affligée au salarié.

La Cour de cassation a mis en évidence une autre limite au droit du salarié: la menace adressée à un supérieur, ou de manière générale contre l'employeur, peuvent constituer une insubordination et en tant que telle une cause de licenciement (58).

Ainsi, la jurisprudence a mis en évidence trois cas dans lesquels le comportement du salarié constitue un usage illicite du droit d'expression: lorsqu'il nuit à la liberté économique de l'employeur, il constitue un abus du droit de critique, il peut être interprété comme une forme d'insubordination..

3) Le droit d'expression des représentants du personnel


La protection des représentants et des délégués du personnel a une dimension particulière. A travers eux, il s'agit de protéger les intérêts de tous les salariés de l'entreprise (59). Le droit d'expression du représentant s'exerce différemment. De manière directe, au sens de l'article L.461-1 du Code du travail, et commune à tout salarié, ayant pour objet de définir les actions à mettre en oeuvre pour améliorer les conditions de travail ou l'activité de l'entreprise. Par ailleurs, le Code du travail confère la possibilité aux représentants du personnel de faire des communications aux salariés par voie d'affichage (article L.412-8), dans des lieux prévus à cet effet. Le contenu de la communication est librement défini par l'organisation syndicale. Elle a encore la possibilité de faire parvenir des tracts de nature syndicale aux salariés dans l'enceinte de l'entreprise aux heures d'entrées et de sorties. L'article précise que ceci doit pouvoir être fait librement.

L'article L.483-1 du Code du travail dispose que toute entrave à l'exercice du droit syndical tel qu'il est défini (entre autres) à l'article L. 412-8 est punie d'une amende de 2 000 à 20 000 francs et d'un emprisonnement de deux mois à deux ans, les peines sont doublées en cas de récidive. Le moyen en cause pourrait être le pouvoir disciplinaire: sanctionner ou menacer de sanction le représentant parce qu'il a accompli un acte mentionné à l'article L.412-8.

Le droit italien prévoit, en faveur des représentants syndicaux, un droit d'expression d'une teneur équivalente. L'article 25 de la loi de 1970 prévoit que les représentants syndicaux peuvent communiquer avec les salariés par voie d'affichage. L'employeur s'opposant à l'exercice du droit d'expression des représentants tomberait sous le coup de l'article 28 relatif à la répression de la conduite antisyndicale. L'article permet d'agir en justice pour faire cesser le comportement.

Il convient de mettre en évidence l'importance de la protection des représentants du personnel. Elle dépasse leurs personnes et leurs intérêts propres. Les représentants du personnel doivent être protégés non seulement en tant qu'individus, en qualité de salariés particulièrement menacés, mais aussi en tant que porte-parole des travailleurs. Il s'agit de l'idée exprimée par la Cour de cassation en France quand elle rappelle le statut particulier des représentants du personnel: "au profit de tels salariés et dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun, parce que le droit de représentation récapitule dans l'entreprise les libertés et droits fondamentaux reconnus en général à tout citoyen" (60).

B- La grève: Un droit d'expression individuelle qui s'exerce de manière collective .


Elle fut pendant longtemps considérée comme une infraction pénale, que ce soit en droit français comme en droit italien. A la fin du 19 ème siècle elle ne s'agira plus d'un délit dès lors qu'elle ne s'accompagne pas de violence ( loi de 1864 en France avec l'institution de la liberté de coalition et 1889 en Italie, apparaît lors de la mise en place du Code pénal Zanardelli).

Désormais, il s'agit véritablement d'un droit pour la salarié. Il s'agit même d'un droit de toute première importance puisqu'il figure dans les textes constitutionnels. Il est mentionné dans le préambule de la Constitution française de 1946, auquel le Conseil constitutionnel a reconnu valeur constitutionnelle. L'article 40 de la Constitution italienne de 1948 (toujours en vigueur à ce jour) reconnaît ce droit. La constitution laisse cependant la loi fixer ses modalités d'application.

Le salarié est le titulaire exclusif de ce droit. Il lui permettra d'exprimer son mécontentement dans l'entreprise. Cependant, il ne pourra l'exercer qu'à l'occasion d'une manifestation collective.

1) Le droit grève en droit français


La Cour de cassation définit la grève comme une "cessation concertée du travail en vue d'appuyer des revendications à caractère professionnel déjà déterminées auxquelles l'employeur refuse de donner satisfaction" (61).

La grève exercée dans ces conditions est conforme aux exigences légales et jurisprudentielles. Pendant la grève le contrat de travail est suspendu, il reprend lorsque la grève est terminée. La grève ne rompt plus en elle-même le contrat de travail, selon l'article L. 521-1 du Code du travail. Le dernier alinéa du même article précise que le licenciement qui vient sanctionner le comportement du salarié qui a exercé son droit de grève est nul. S'il s'agit de l'exercice régulier du droit de grève l'employeur ne peut pas sanctionner le gréviste (62). Le raisonnement est le suivant. Le contrat de travail est suspendu, l'employeur est donc privé des prérogatives qui lui sont conférées par ce même contrat. Par conséquent, il ne peut plus faire usage de son pouvoir disciplinaire.

Il convient maintenant de préciser comment est défini l'exercice normal du droit de grève. Le droit de grève trouvera sa limite dans l'abus que le salarié pourra en faire. La jurisprudence est intervenue pour définir les cas d'illécéité de la grève. La grève, pour être licite, doit vérifier certaines conditions, elle doit correspondre à la définition donnée par la jurisprudence. Si elles ne sont pas remplies, il n'y aura plus de protection spécifique du salarié. On ne parle pas d'abus de grève, on se situe hors contexte de la grève et le salarié ne pourra plus bénéficier de la protection conférée par la loi (63).

L'illéceité de la grève peut tenir à ses mobiles, aux revendications des grévistes ou encore aux comportements adoptés par les salariés au cours de la grève.

En ce qui concerne les mobiles, la Cour de cassation affirme que la grève tend à améliorer ou modifier les conditions de travail. Ainsi la grève politique a toujours été considérée comme illicite (64).

La Cour de cassation considère par ailleurs que certains comportements ne peuvent pas s'inscrire dans le cadre de l'exercice du droit de grève, parce que selon ses termes "le droit de grève permet au salarié de suspendre son contrat de travail, mais ne l'autorise pas sous couvert de ce droit à exécuter son travail dans des conditions autres que celles prévues par son contrat ou pratiquées dans la profession" (65). Ce sera le cas en particulier de la grève perlée ou encore de l'exécution défectueuse du travail.

Enfin, les revendications doivent avoir un objet professionnel. Pourtant, même si la jurisprudence exige que les revendications revêtent ce caractère, elle précise par ailleurs que "si la grève suppose l'existence de revendications de nature professionnelle, le juge ne peut, sans porter atteinte au libre exercice d'un droit constitutionnellement reconnu, substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé de ces revendications" (66).

En revanche, certains employeurs prétendaient que les salariés grévistes étaient tenus d'une obligation de réserve pendant la période de grève et qu'ils ne pouvaient pas s'exprimer publiquement sur l'objet de leurs revendications. La Cassation a jugé cette prétention non-fondée et a précisé au contraire qu' "au cours de la grève, les salariés peuvent exprimer librement leurs réclamations et leurs revendications sur leurs conditions de travail" (67).

Pour ce qui est des agissements individuels, le droit de grève ne saurait justifier certains comportements qui n'entrent pas de manière manifeste dans le cadre de la grève. Il s'agira des cas dans lesquels le comportement est constitutif d'un délit pénal. Il ressort de la jurisprudence (68) que les actes illicites commis par les grévistes tels que la séquestration ou la violation de domicile ne rende pas la grève en elle-même illicite, mais les acteurs de ces actes auront à répondre de leurs actions. Dans ce cas l'employeur retrouvera la possibilité d'utiliser son pouvoir disciplinaire.

Cependant la Cour de cassation a aussi limité les cas dans lesquels l'employeur peut user de son pouvoir de sanctionner dans l'arrêt Electricité de France et Gaz de France c./Moens et autres (69). A cette occasion, la Chambre sociale a déclaré qu' "un salarié gréviste ne peut être licencié ou sanctionné, à raison d'un fait commis à l'occasion de grève à laquelle il participe, que si ce fait est constitutif d'une faute lourde". L'employeur qui entend sanctionner un salarié pour un fait commis pendant la grève doit pouvoir reprocher au salarié une telle faute.

Ainsi la jurisprudence et la loi ont défini un cadre dans lequel les salariés peuvent exercer leur droit de grève. En dehors de ce contexte, les dispositions de l'article L.521-1 ne trouvent plus à s'appliquer, le salarié ne pourra plus invoquer son droit de grève pour justifier ses agissements. La grève illicite n'est pas la grève. Dans ce cas le contrat de travail n'est pas suspendu. L'employeur est toujours en droit d'user les pouvoirs qui lui sont conférés par le contrat de travail: Il pourra entre autres faire usage de son pouvoir disciplinaire. Il pourrait sanctionner des faits qu'il considère comme fautifs.

2) Le droit de grève en droit italien


Il n'existe pas de notion et de définition précises du droit de grève. Quant à sa discipline elle n'est pas mieux définie. La Constitution érige la grève en droit fondamental et renvoie à la loi pour les modalités d'application. Cependant la législation italienne ne connaît pas de texte spécifique relatif à la grève (70). Il n'existe plus aujourd'hui de doctrine ou de jurisprudence unanimes sur la question.

Selon la théorie du droit subjectif potestatif, le droit de grève permet au salarié de modifier le rapport contractuel. Une fois qu'un accord collectif est pris, ce droit lui donne le pouvoir de suspendre son activité de travail. Une autre théorie affirme que le droit de grève n'est pas lié au rapport contractuel mais à la personne même du salarié. Elle fait du droit de grève un droit de la personnalité. Pour d'autres encore il s'agirait d'une liberté fondamentale. Il est perçu comme un droit subjectif qui consiste dans le pouvoir d'adopter un certain comportement, qui est l'abandon du poste de travail, avec perte de la rémunération correspondante. L'exercice de ce droit suspend l'obligation de travail pour le salarié et rend illégitime tout acte ou comportement de l'employeur de sanctionner ou discriminatoire en rapport avec l'abandon du poste de travail (71).

La Cour constitutionnelle s'est attachée au sens commun qui était donné au mot grève dans l'entreprise: "la signification attribuable à la grève est celle que la parole et le concept ont en commun dans l'entreprise (72)". La Cour de cassation l'a définie comme une "abstention collective de travail, adoptée par une pluralité de salarié afin d'atteindre un même but" (73).

La Cour constitutionnelle est la juridiction qui a joué le rôle le plus important dans la réglementation de la grève, à travers une série de décisions rendues entre 1960 et 1980. Le Code pénal érige en infraction certaines grèves (74) et certains faits de grève. La Cour constitutionnelle (75) a déclaré ces textes inconstitutionnels. Il n'existe donc plus aujourd'hui de texte à caractère pénal pouvant limiter le droit de grève. Elle a ensuite défini des limites à l'exercice de la grève: lorsque la grève fait obstacle à l'usage ou à l'application d'un autre droit constitutionnel mieux ou aussi bien protégé par la constitution, elle devient illicite. Il s'agit d'une autre application de cette technique utilisée par la jurisprudence pour savoir quel est le droit qui doit prévaloir sur l'autre.

Les droits en question sont (selon la Cour constitutionnelle) les droits inhérents à l'intégrité physique et mentale de la personne, qui ne peuvent pas être exposés à des risques ou à des dommages dus à l'abandon du poste de travail; les droits relatifs à la liberté du salarié pris en tant qu'individu d'exercer son activité de travail malgré le mouvement de grève. La survivance de l'entreprise constitue un autre droit qu'il s'agira de protéger. Dès lors que l'on aura mis en évidence les droits qui méritent protection, il s'agira de savoir quel sacrifice du droit de grève il faut admettre par rapport au risque ou dommage qu'il peut entraîner.

La Cour constitutionnelle a repris à son compte la théorie de la grève comme liberté fondamentale: l'exercice du droit de grève entraîne une suspension de l'obligation de travail à la charge du salarié avec la perte du salaire (76).

Par ailleurs, l'exercice du droit de grève entraîne une protection du salarié contre les actes et comportements de l'employeur à caractère discriminatoire. Ce sont les articles 15 et 28 de la loi de 1970 qui confèrent cette protection au salarié. L'article 15 dispose que le licenciement ou l'acte discriminatoire à l'encontre d'un salarié ayant participé à une grève sont nuls. L'article 28 permet d'agir en justice contre le chef d'entreprise qui adopte une conduite antisyndicale, c'est-à-dire qui cherche à gêner ou limiter (entre autres) l'exercice du droit de grève. Il est fréquent que l'employeur fasse usage de son pouvoir disciplinaire pour lutter contre la grève en utilisant des moyens clairement répressifs.

La question qui se pose alors est de savoir s'il est possible d'invoquer les articles 15 et 28 de la loi de 1970 pour condamner la conduite de l'employeur. La jurisprudence la plus récente (même si elle semble contestée), suit le raisonnement suivant: si la grève est licite le comportement de l'employeur tombe sous le coup de l'article 28, il sera alors considéré comme antisyndical, il devient alors condamnable. En revanche si la grève est illicite conformément aux critères définis par la jurisprudence l'employeur conserve alors le droit de faire usage de son pouvoir disciplinaire, son comportement est alors sans reproche (77).

Ainsi, il ne fait pas de doute que le comportement de l'employeur qui gêne ou qui empêche de manière intentionnelle l'exercice de la grève ou de ses effets (par des menaces de sanctions disciplinaires les salariés qui veulent participer au mouvement de grève) adopte une conduite antisyndicale au sens des articles 15 et 28 de la loi de 1970 (78). La jurisprudence protège donc le droit de grève en interdisant à l'employeur de faire usage de son pouvoir disciplinaire à l'encontre du salarié qui use de son droit de grève ou qui aurait l'intention d'en faire usage (tant que l'usage de ce droit reste licite).

3) Conclusions comparatives


En droit italien, le contrat n'est pas suspendu pendant la grève. Le salarié n'est plus obligé d'accomplir sa prestation de travail, et l'employeur n'est plus tenu de verser la rémunération. Mais le rapport contractuel subsiste. C'est l'usage du droit de grève lui-même qui empêchera à l'employeur de faire usage de son pouvoir disciplinaire. Si le salarié fait un usage licite de son droit, le pouvoir disciplinaire est suspendu, il réapparaît en cas de grève illicite.

Le droit français considère que la grève suspend le contrat. L'employeur tenant ce pouvoir du contrat il ne peut plus en faire usage. Si l'acte du salarié n'est plus considéré comme un acte de grève, le contrat ne sera plus suspendu et en conséquence l'employeur disposera toujours de son pouvoir disciplinaire.

S/ § 2 : les libertés fondamentales du salarié


"Le progrès de la liberté des travailleurs, c'est tout d'abord le refus du paternalisme de l'employeur et de ses ingérences dans la vie privée du salarié." (79) -J. Savatier-

Lorsque l'on envisage les libertés du salarié on ne peut passer outre les libertés qu'il exerce en dehors du contexte professionnel et qui peuvent susciter une décision de l'employeur (A), un fait tiré de la vie privée peut-il constituer une faute disciplinaire? D'autre part, dans quelle mesure l'employeur peut-il réduire la liberté de ses salariés au sein de l'entreprise (B)?

A- La vie privée du salarié et faute justifiant une sanction disciplinaire


Le salarié de part son engagement contractuel renonce en partie aux libertés qui lui sont conférées par les lois, les règlements et bien entendu la Constitution. La subordination à laquelle il a consenti ne porte que sur l'exécution de la prestation de travail. Inversement le salarié n'est pas totalement libre, certains comportements pourront justifier la sanction de la part de l'employeur.

1) Importance des faits tirés de la vie privée


La notion de vie privée est ici perçue au sens large. Sont visés tous les faits et activités qui n'entrent pas dans le cadre professionnel ni même pendant les heures de travail. Il est vrai qu'a priori, on imagine difficilement comment le salarié peut être sanctionné pour un fait commis en dehors de l'entreprise.

En droit français, la question est surtout envisagée sous l'angle de la protection de la vie privée du salarié. Il n'est pas douteux qu‘elle fasse l'objet d'une protection (en droit français comme en droit italien), cependant il faut reconnaître que la notion reste particulièrement floue.

L'article 9 du Code civil français dispose que "chacun a droit au respect de sa vie privée". Ce principe trouve son application en droit du travail. Il fut d'ailleurs mentionné dans le visa de la décision de la Chambre sociale du 22 janvier 1992, (arrêt Ronsard) (80). Cette disposition fut rendue à l'occasion du licenciement d'une salariée qui avait acquis un véhicule de marque différente de celle commercialisée par son employeur (81). Il n'existe pas d'autre texte qui puisse limiter les prérogatives de l'employeur, c'est-à-dire qui puisse limiter son pouvoir de sanctionner un salarié pour un fait tiré de sa vie privée.

Pourtant, il ressort de la jurisprudence et à titre de principe que l'employeur ne peut pas ériger en faute disciplinaire un événement de la vie privée du salarié (82). Les exemples jurisprudentiels en la matière sont particulièrement variés. Ils visent notamment l'exercice des libertés civiles. L'arrêt Ronsard ne cherchait rien d'autre que protéger une telle liberté. Il faut encore mentionner les décisions rendues à propos de la liberté matrimoniale. Il s'agit de la célèbre affaire des hôtesses de l'air d'Air France (83), licenciées pour ne pas avoir respecté une clause du règlement intérieur de la société Air France qui interdisait à ses salariées de se marier (84). Dans ces affaires les licenciements avaient été considérés comme illégitimes parce qu'ils portaient atteintes à la liberté du mariage, ce qui est possible seulement dans des cas exceptionnels, selon les termes des juges de cassation. Il fut en outre décidé que la clause de non-convol (la clause du règlement intérieur interdisant aux salariées de contracter mariage), devait être déclarée nulle parce que intentatoire à un droit fondamental de la personnalité.

On retrouve ces aspects lorsque le salarié entend exercer sa liberté politique. Il s'agit surtout de la liberté pour le salarié de développer une activité politique qui ne soit pas en accord avec les idées politiques de l'employeur. Ainsi, la Cour d'appel de Metz a annulé le licenciement d'une salariée motivé par sa candidature aux élections municipales sous l'étiquette Front national, en relevant que "les engagements politiques personnels d'une salariée qu'ils soient publics ou non, échappent au contrôle de l'employeur et ne peuvent en aucun cas servir de fondement légitime à une décision de licenciement". Selon la Cour, le licenciement a porté gravement atteinte à la liberté d'opinion de la salariée (85). Dans une affaire similaire, l'employeur avait invoqué la violation de l'obligation de réserve (86). Il s'agissait d'un employé communal qui avait soutenu la candidature d'un concurrent du maire sortant. La Cour avait décidé que "la participation au débat politique est une liberté publique et que le salarié avait fait usage de cette liberté constitutionnellement protégée, c'est donc a tort qu'il a été licencié".

En ce domaine, il faut faire référence à l'affaire Painsecq (87). Un sacristain avait été licencié en raison du caractère homosexuel de ses moeurs qui n'ont jamais dépassés le cadre privé. De nouveau, les juges ont affirmé le caractère illicite du licenciement trouvant sa source dans la vie privée de la personne. La Cour avait conclu que "le salarié ne peut pas prendre valablement d'engagements qui seraient attentatoires à des libertés consacrées par des principes d'ordre public". De même qu'il ne pourrait pas "être sanctionné pour avoir exercé ces libertés fondamentales" (consacrées par des principes d'ordre public, en conséquence considérées comme étant non-dérogeables).

Enfin, le mensonge du salarié ou la rétention d'informations concernant des faits attenants à sa vie privée ne sauraient justifier son licenciement. Cette affirmation peut être faite à la lecture de la décision du 17 octobre 1971 (88), de la Chambre sociale. Dans cette affaire un salarié fut licencié parce qu'il avait caché sa qualité de prêtre au moment de l'embauche.

La Cour de cassation avait décidé que les renseignements et pièces demandées lors de l'embauche ont pour objet d'apprécier les qualités du salarié pour l'emploi sollicité et ne saurait concerner des domaines sans lien direct et nécessaire avec cette activité professionnelle.

En conséquence le salarié était en droit de cacher son état de prêtre. Dans le même sens il a été décidé que la dissimulation d'une condamnation pénale n'a pas de caractère dolosif, et que le licenciement prononcé pour ce fait est sans cause réelle et sérieuse (89). Une décision de la Cour de cassation du 25 avril 1990 (90) fut prise en ce sens. Dans cette affaire le salarié avait fait l'objet d'un licenciement parce qu'il avait caché à l'employeur au moment de l'embauche ses antécédents judiciaires. L'erreur en question est considérée comme inexcusable (dans le sens où l'employeur devait lui-même s'informer et la rétention d'information de la part du salarié n'avait aucun caractère dolosif, l'erreur sur la personne n'est admissible en droit du travail que dans la mesure où elle est excusable).

Il n'existe aucune obligation à charge du salarié lui imposant de révéler certaines informations lors de son embauche parce que l'employeur n'a pas à en tenir compte à cette fin (même si elles ont un caractère déterminant pour lui) (91). Enfin, le salarié n'est pas débiteur d'une obligation d'information, il a au contraire le droit de se taire. Ce qui fut admis à propos d'une femme qui avait caché son état de grossesse à l'employeur lors de l'embauche (92).

La question est abordée en droit italien sous un angle légèrement différent. Il convient tout d'abord de préciser que la jurisprudence dominante a énoncé le principe selon lequel, "les événements tirés de la vie privée du salarié sont insignifiants et par conséquent n'ont pas à être pris en compte par l'employeur pour justifier une sanction qu'il prendrait dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, dans la mesure où le fait reproché est étranger à l'exécution de ses obligations contractuelles". L'arrêt fait référence à "l'affirmation de la tendance insignifiante, sur le lien contractuel, des comportements extra-professionnels du salarié" zzz.

Lorsque la Cour de cassation pose le principe elle en fixe tout de suite les limites (comme le fait la Cour de cassation française). En revanche, une partie des juges du fond considère que les faits tirés de la vie privée ne peuvent en aucun cas avoir une incidence en droit disciplinaire (93).

Les dispositions relatives au licenciement (94) n'ont pas prévu la possibilité de sanctionner le salarié pour un comportement qui serait étranger au rapport de travail. Par ailleurs, l'article 8 du Statut des salariés (95) dispose qu'il est fait interdiction à l'employeur d'effectuer des enquêtes, des recherches sur les opinions politiques, syndicales et religieuses des salariés et sur les faits non nécessaires à l'évaluation professionnelle des salariés. Bien évidemment, ce texte sera utile afin de définir la liberté du salarié au sein de l'entreprise.

Selon la doctrine (96), cette disposition entend garantir les libertés du salarié, et son droit à la protection de la vie privée. Ainsi, on constate à nouveau que les faits issus de la vie privée du salarié font l'objet d'une certaine protection. Ils ne peuvent pas servir de base, de justification à une sanction prononcée par l'employeur dans le cadre de son pouvoir disciplinaire.

Il faut enfin rappeler qu'en droit italien, l'infraction disciplinaire pour être considérée comme telle doit figurer au code disciplinaire. Il est donc difficile pour l'employeur de sanctionner le salarié pour des faits non-professionnels.

Cependant il arrive que les conventions collectives prévoient ou plutôt érigent en infractions certains faits sans lien avec la relation contractuelle. Ainsi, des événements de la vie privée entrent dans le champ contractuel et échappent à la protection. Il s'agit de la première limite à la protection de la vie privée du salarié.

2) Limites au respect de la vie privée


La jurisprudence (italienne et française) a dégagé un principe général constituant la limite au principe selon lequel l'employeur ne peut pas prendre en considération un fait tiré de la vie privée (a). Il faudra par ailleurs prendre en considération l'obligation de non-concurrence et l'obligation de réserve qui s'imposent au salarié (b), ensuite et envisageant une situation plus spécifique, il s'agira d'examiner la situation des entreprises de tendance (c).

a- Le principe dégagé par la jurisprudence et illustrations du principe


Il ressort de la jurisprudence française que le fait reproché au salarié et considéré comme une faute de la part de l'employeur, doit avoir crée un trouble au sein de l'entreprise. Elle entend donc qu'il existe un lien direct entre l'activité de l'entreprise et l'activité reprochée.

Dans la décision du 20 novembre 1991, la Cour de cassation a affirmé que "si en principe il ne peut être procédé au licenciement du salarié pour une cause tirée de sa vie privée, il en est autrement lorsque le comportement de l'intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité propre de l'entreprise, a crée un trouble au sein de cette dernière (97)".

La Chambre sociale donne les éléments qui vont permettre de déterminer l'existence de ce trouble. Ainsi, pour le vérifier, il importe de s'intéresser non seulement aux fonctions du salarié mais aussi à la finalité propre de l'entreprise. Dans l'affaire objet de la décision du 20 novembre 1991, un agent de surveillance qui travaillait dans une entreprise de gardiennage avait été licencié pour faute. Le motif invoqué par l'employeur fut le vol commis dans un centre commercial par son salarié en dehors de ses heures de travail. La Chambre sociale en avait déduit que le licenciement était justifié notamment par le fait que l'entreprise de gardiennage a "l'obligation d'avoir un personnel dont la probité ne peut être mise en doute". La finalité de l'entreprise impliquait un personnel irréprochable sur le plan pénal. Les deux éléments caractérisant le trouble étaient réunis. La décision de l'employeur était justifiée.

Au contraire si le salarié avait travaillé dans une entreprise quelconque dont l'objet ne nécessitait pas une honnêteté particulière du salarié, le congédiement n'aurait pas été fondé. Le non-respect de la vie privée du salarié nécessitait alors l'annulation du licenciement. Ce qui fut le cas dans l'affaire déjà citée de la salariée qui avait acquis un véhicule de marque différente de celle commercialisée par son employeur (98). En effet la salariée qui occupait un poste de secrétaire, de part l'exercice de sa liberté n'avait pas apporté de trouble objectif dans l'entreprise. La décision aurait été différente, par exemple, si de part ses fonctions la salariée avait eu à prospecter la clientèle avec un véhicule qui n'était pas de la marque qu'elle était chargée de promouvoir. Le critère dégagé par la Cour de cassation française se rapproche de la perte de confiance, même si de toute façon il est plus que ça et qu'il ne suffirait pas à justifier l'atteinte à la vie privée (99).

Il est en revanche le critère admis par la jurisprudence italienne pour justifier le licenciement alors que la cause est tirée de la vie privée du salarié: "les comportements adoptés par le salarié dans sa vie privée et étrangers à l'exécution de la prestation de travail sont en général insignifiants au regard du rapport de confiance existant entre le salarié et son employeur. Ils peuvent au contraire être pris en compte et constituer une cause licite de licenciement lorsqu'ils sont d'une telle gravité qu'ils ne peuvent permettre au salarié de poursuivre l'exécution de sa tâche surtout quand la fonction réclamait un grand rapport de confiance étendu aux comportements privés du salarié" (100).

Plus récemment, la Cour de cassation a confirmé sa position (101): "afin de justifier un licenciement disciplinaire peuvent être pris en compte des comportements étrangers au rapport contractuel, quand ils ont eu une incidence sur la confiance réciproque des parties". En l'espèce, une banque avait licencié un salarié pour motif disciplinaire pour sa conduite patrimoniale sans rapport avec son activité professionnelle (émission de chèque sans provision, une charge cambiaire, l'usage irrégulier d'une carte de crédit et dettes non honorées envers des tiers). "Cette conduite étrangère à la sphère de l'activité professionnelle peut se répercuter de manière négative sur le rapport de confiance existant. Cette conduite est propre à constituer une cause licite de licenciement" (102).

Pourtant, il faut tout de même rappeler la nécessité du code disciplinaire en droit italien. Si l'employeur n'a pas prévu dans ce texte une disposition permettant une juste corrélation avec le fait reproché, il ne pourrait pas être considéré comme une faute disciplinaire. La Cour de cassation affirme que les circonstances doivent relever effectivement du domaine disciplinaire (103). Lorsque la convention collective contient une clause qui implique, en termes génériques, une conduite de vie irréprochable, digne et respectueuse de la moralité, et lorsqu'elle est insérée au code disciplinaire de l'entreprise, l'obligation est entrée dans le champ contractuel.

En l'absence de dispositions dans le code disciplinaire la jurisprudence admet encore que la procédure disciplinaire poursuivie par l'employeur puisse être valable. En effet, elle fait référence aux clauses générales de diligence et de bonne foi, issues du Code civil, considérées comme intégrées dans le rapport contractuel (104). Ce qui montre que les vieilles dispositions du Code civil relatives au pouvoir disciplinaire de l'employeur ne sont pas totalement oubliées. Bien que la loi de 1970 semble avoir tout prévu en matière disciplinaire, on constate que les articles rédigés en 1948 ont encore leur rôle à jouer, en dépis de l'espace restreint qui leur est laissé.

Le trouble crée dans l'entreprise pour l'ordre juridique français, l'atteinte portée au rapport de confiance pour l'ordre juridique italien sont les critères qui permettront à l'employeur de prononcer une sanction disciplinaire pour un acte commis hors contexte professionnel. Restent à examiner, maintenant, la situation particulière des entreprises de tendance et les obligations de non-concurrence et de réserve mises à la charge du salarié.

b- Obligation de non-concurrence et devoir de réserve


Le salarié pourrait être tenté de développer une activité concurrente à celle de son employeur. En effet, il aura acquis grâce à celui-ci un savoir faire et des connaissances lui permettant de le faire. Le travailleur est tenu dans sa vie privée à ne rien faire qui puisse nuire à la bonne exécution de la prestation de travail qu'il a promise. Ainsi, s'il est admis en principe qu'il ne peut être procédé au licenciement d'un salarié pour une cause tirée de sa vie privée (on le répète !), il en est autrement lorsque le comportement de l'intéressé, compte tenu de ses fonctions et de la finalité de l'entreprise, constitue une violation de ses obligations.

La Chambre commerciale (en France) considère notamment que la liberté du salarié est limitée par son obligation de non-concurrence: "Un employé ne peut, sans manquer aux obligations résultant de son contrat de travail, exercer une activité concurrente de celle de son employeur ppendantson contrat de travail (105)".

La liberté d'expression des salariés hors entreprise, par ailleurs, doit pouvoir se concilier avec l'obligation de réserve et de discrétion qui s'impose au salarié et dont le contenu varie selon la nature des fonctions occupées. Il faut souligner que si l'obligation de réserve qui s'impose au salarié constitue une limite au droit d'expression, elle constitue une obligation qui s'impose de manière générale au salarié. La divulgation de certaines informations relatives à l'entreprise pourra aussi faire l'objet d'une sanction pénale (il s'agira de la divulgation des secrets de fabrique), il s'agit de cas spécifiques. Tout salarié est encore tenu d'une obligation de réserve dans son expression sur l'entreprise et son fonctionnement.

Il est tenu à une certaine discrétion concernant les faits qui pourraient nuire à l'entreprise ou à des personnes déterminées (106). Il s'agit d'une obligation contractuelle de s'abstenir des comportements qui seraient incompatibles avec une exécution loyale de la tâche confiée. C'est pourquoi l'étendue de l'obligation dépend de la nature de la fonction occupée. La jurisprudence (107) se montre particulièrement sévère à l'égard des cadres. Elle considère notamment que constitue une faute grave le fait (pour un cadre) de divulguer des renseignements relatifs aux difficultés de l'entreprise et dont il a connaissance grâce à sa fonction" (108).

L'ordre juridique italien prévoit les mêmes obligations à la charge du salarié. L'article 2105 (109) du code civil dispose que le salarié ne doit pas traiter affaires pour son compte ou le compte d'un tiers, qui fassent concurrence à l'employeur, ni divulguer des informations sur le mode de production de l'entreprise. Cette obligation est entendue comme l'obligation de fidélité du salarié.

Elle constitue en réalité une double obligation: obligation de réserve et obligation de non-concurrence. L'obligation du salarié implique que le salarié doit s'abstenir d'accomplir tout acte de concurrence qui puisse nuire, même potentiellement à l'entreprise. Cette obligation est nécessairement entrée dans le champ contractuel, puisqu'elle résulte des dispositions du Code civil applicables en matière disciplinaire (110).

La deuxième obligation issue du même article 2105 est l'obligation de réserve. Elle se réfère à toutes les informations attenantes à l'organisation et à la production de l'entreprise et connues du salarié et dont la divulgation pourrait nuire à l'employeur. Selon l'opinion la plus répandue en doctrine le devoir subsiste tant que le lien contractuel existe (111). Le devoir de respecter les secrets de l'entreprise n'exclut pas la possibilité pour le salarié d'utiliser les compétences et les connaissances professionnelles acquises au cours de l'exercice de l'activité professionnelle. Il se réfère à toutes les informations exclusives de l'entreprise ou potentiellement dangereuses (112). Enfin, il convient d'ajouter que la divulgation des secrets de fabriques fait aussi l'objet d'une sanction pénale en droit italien.

Le droit français comme le droit italien mettent à la charge du salarié une double obligation dont l'employeur sera le créancier: il est tenu dans sa vie privée d'une obligation de réserve et d'une obligation de non-concurrence, dans la mesure où le non-respect de ses obligations pourrait causer un dommage à l'employeur.

c- La situation particulière des entreprises de tendances


Les entreprises de tendances sont des entreprises dont la raison d'être tient à la défense ou la promotion d'une doctrine ou d'une éthique. Il s'agit des institutions religieuses, des groupements politiques ou syndicaux....etc. A l'égard de tels employeurs, les salariés peuvent prendre des engagements relatifs à leur vie privée. La jurisprudence française admet que soit pris l'engagement de se maintenir en communion de pensée ou de foi avec l'employeur (113). Un engagement aussi spécifique n'est lié qu'à certaines fonctions ou tâches. Il est nécessairement volontaire. Il faut admettre que c'est aussi exercer sa liberté politique ou sa liberté religieuse que de s'engager à ce degré dans une institution religieuse ou dans un mouvement politique. De tels engagements étant entrés dans le champ contractuel, on doit admettre dans ce cas que le salarié soit sanctionné en cas de violation de ces obligations. Il s'agit cependant de savoir en quoi consistent ces obligations.

Dans l'affaire Painsecqc./ Fraternité Saint-Pie X (114), déjà citée (l'affaire du sacristain homosexuel), la Cour de cassation a relevé que l'on ne peut pas être membre dirigeant d'une organisation à caractère idéologique et défendre des idées contraires à celles de cette organisation. Mais en l'espèce, le salarié ne refusait pas les orientations de l'association à laquelle il appartenait, il n'encourageait pas les fidèles à suivre son exemple. L'arrêt d'appel s'était borné à mettre en cause les moeurs du salarié sans avoir constaté que les agissements de ce dernier avaient occasionné un trouble caractérisé dans l'entreprise (qui on le rappelle est selon la Cour de cassation le critère qui permettra d'affirmer qu'un fait tiré de la vie privée constitue une faute disciplinaire). Son comportement n'avait pas non plus un caractère public, une simple indiscrétion avait permis à l'entreprise de connaître l'homosexualité du sacristain. Le critère pris en compte par la jurisprudence reste toujours le même: celui du trouble crée dans l'entreprise. Dans le cas des entreprises de tendance il prend toute sa dimension. Dans l'appréciation du trouble il faudra bien entendu prendre en compte l'orientation de l'entreprise mais aussi le rôle joué par le salarié en cause.

Dans l'ordre juridique italien, les entreprises de tendances sont des entités constituées et opérant pour la poursuite d'idéaux politiques, religieux, syndicaux, etc. Il est reconnu que doit exister une correspondance entre le but poursuivi par l'entreprise et le comportement du salarié dans ces organisations. Il est aussi admis que la rupture de la communion d'esprit justifie le licenciement du salarié. Le salarié doit être le porteur de l'idéologie véhiculée par l'entreprise (115). Selon la thèse la plus répandue (116), la discipline spécifique des entreprises de tendances vaut seulement pour les salariés chargés de développer le concept idéologique de l'entreprise.

Il convient par ailleurs de mettre en relief cette disposition particulière de la loi n° 108 de 1990 relative au licenciement individuel. Elle prévoit l'ordre de réintégration du salarié dans l'entreprise en cas de licenciement illicite du salarié. Elle prévoit aussi que la réintégration n'interviendra pas lorsque l'entreprise en cause est une entreprise de tendance. La législation reconnaît aussi à cet égard la particularité de cette entreprise, mais elle fait preuve de réalisme en refusant une telle mesure.

Il faut reconnaître que le cas des entreprises de tendance est un peu particulier. La personne qui assume de grandes responsabilités (on parlera alors des dirigeants) le fait en fonction de ses convictions personnelles. Il s'effectue en quelque sorte une symbiose entre la vie privée et la vie professionnelle du salarié. A ce niveau, il n'est plus nécessaire de protéger la vie privée du salarié contre une éventuelle atteinte de l'employeur. Si l'on considère que le salarié prend des engagements contraires à ses libertés fondamentales on peut aussi considérer qu'il est libre de s'engager dans une telle entreprise idéologique. Il s'agit de l'exercice d'une autre liberté.

B- Les libertés dans l'entreprise


Le salarié est-il un citoyen en entreprise? Dans quelle mesure le salarié est-il libre d'adopter le comportement qu'il entend adopter?

1) L'approche française


La qualité de salarié implique nécessairement une renonciation à une partie de ses libertés. Il s'agit pour lui de se soumettre aux instructions de l'employeur pour l'exécution de sa tâche. L'article L.122-35 du Code du travail issu de la loi de 1982 dispose que le règlement intérieur ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. A noter que la jurisprudence avait déjà adopté une formule similaire avant la loi de 1982 (117).

Il apparaît que cet article s'applique non seulement au règlement intérieur mais encore aux ordres et instructions adressés au salarié au cours du travail. Ainsi, il est admis en doctrine que la transgression par le salarié des ordres de l'employeur ne saurait constituer une faute disciplinaire si ces ordres portaient atteinte sans nécessité aux libertés du travailleur (118). Les restrictions de libertés, qui caractérisent la subordination du salarié, ne sont pas justifiées dans la mesure où elles ne sont pas nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise. Il s'agit de respecter une certaine proportionnalité entre la mesure prise et le but poursuivi.

Certaines entraves à la liberté dans l'entreprise ne posent pas de problèmes et ne font pas l'objet de contestation. Il s'agit notamment de la liberté d'aller et venir, qui pourtant fait partie des libertés publiques. Il est admis que l'employeur puisse imposer une carte d'identité-usine permettant l'accès justement à l'usine (119), ou encore limiter la liberté de circuler à l'intérieur de l'entreprise (120). Certaines restrictions de liberté, telle que l'interdiction de fumer ou de boire (de l'alcool), sont admises puisque justifiées par des raisons de sécurité. De tels faits peuvent faire l'objet d'une interdiction de la part de l'employeur. La violation d'une telle interdiction pourrait entraîner sans aucun doute une sanction disciplinaire.

Les difficultés surviennent lorsqu'il s'agit de la tenue vestimentaire du salarié ou simplement dans sa façon d'être qui se trouve être contestée par l'employeur. Le contentieux est relativement abondant en la matière et parfois assez cocasse.

La Cour de Poitiers (121) a estimé qu'un chirurgien-dentiste, " dans l'état actuel des moeurs juvéniles, aux impératifs desquels la clientèle bourgeoise n'est pas la dernière à sacrifier, ne saurait trouver dans les seuls éléments d'une coiffure jugée trop vaporeuse, d'un fard estimé trop soutenu et d'une monture de lunettes trop volumineuse, une agression contre sa clientèle" susceptible de justifier le congédiement de son assistante à défaut de changement immédiat.

En revanche, la Cour de Nancy (122) a estimé justifié le licenciement d'une aide-comptable qui était "venue au travail porteuse d'un chemisier transparent sur une poitrine nue alors que loin de cacher quoi que ce soit, cette étoffe transparente ne faisait qu'accentuer le caractère accrocheur de la tenue adoptée par la jeune femme".

La Chambre sociale a décidé que le licenciement d'un ouvrier-charcutier, dont la tenue était malpropre, était justifié. A l'évidence, un minimum d'hygiène est indispensable à certaines professions. L'employeur est en droit d'exiger une tenue décente de la part du salarié afin qu'il ne soit pas causé de troubles, soit à l'égard des autres salariés soit à l'égard des clients de l'entreprise. Le tout doit rester en rapport avec la nature de la tâche confiée au salarié. Ainsi, la Cour de cassation a admis que l'employé d'une entreprise de prévention et de sécurité commettait une faute grave en refusant de porter la tenue réglementaire alors que "les dangers inhérents à la profession de gardien nécessitent le respect d'une stricte discipline, seule de nature à prévenir les accidents" (123). Dans ce cas, le justificatif est aussi la nécessité de pouvoir identifier certaines fonctions. La solution est la même au sens de la jurisprudence.

Il a aussi été admis que les droits de la personnalité puissent eux aussi faire l'objet de limitation. Ce fut notamment le cas à propos des visites médicales. Dans l'arrêt rendu le 29 mai 1986 (124), la Cour de cassation a estimé que "le refus de subir une visite médicale justifiait le licenciement du salarié alors même que ce dernier invoquait ses convictions religieuses de musulman intégriste". Toujours selon la Chambre sociale, le caractère impératif des dispositions légales et réglementaires régissant la médecine du travail justifie cette décision. Les questions de la santé et de la sécurité dans l'entreprise justifient ici la restriction à la liberté et la sanction de l'employeur face à ce salarié qui se refusait le contrôle médical. On constate donc qu'un autre critère peut justifier la restriction de la liberté du salarié. Il s'agit de l'existence d'un intérêt fondamental de l'entreprise qu'il s'agit de protéger (caractère que l'on retrouvera dans la jurisprudence italienne).

2) L'approche italienne


La jurisprudence italienne s'est elle aussi largement prononcée sur la question de l'habillement sur le lieu de travail. Elle décide que (125) l'adoption générale de la part des salariés d'un certain type d'habillement, correspondant généralement aux moeurs et aux règles de vie et de politesse ne peut déterminer un mode vestimentaire contraignant. L'employeur peut imposer une tenue vestimentaire à ses salariés seulement en présence de raisons spécifiques qui en justifient l'adoption et qui se concrétisent par les dispositions du règlement intérieur. En l'absence de ces conditions, la liberté dans l'habillement ne trouve pas d'autre limite, à moins que ce soit dans les lois et règlements.

Le pouvoir de direction de l'employeur devrait pouvoir lui permettre d'imposer une tenue vestimentaire, mais ce pouvoir trouve sa limite dans la liberté et la dignité du salarié. La garantie des droits et libertés, protégés constitutionnellement, est concrètement adaptée à la spécificité de la relation, de façon à consentir qu'elle puisse trouver une atténuation et éviter que l'excessivité de la protection ne nuise aux intérêts de l'autre partie. Le Statut des salariés (loi n°300/1970) admet que les droits reconnus aux travailleurs puissent faire l'objet de restrictions, et notamment la liberté et la dignité du salarié peuvent être sacrifiées au bénéfice des exigences d'organisation, de production ou de sécurité, mais seulement dans une mesure nécessaire strictement indispensable et avec des garanties adéquates (126).

Tout se joue à travers l'équilibre entre les pouvoirs de l'employeur et les droits du salarié. Ainsi, à titre de principe le salarié reste entièrement libre de décider comment il s'habillera, se maquillera, s'il doit avoir ou non les cheveux longs, et porter tous les apparats qu'il entend porter. Cette liberté trouvera des limites qui trouveront une juste motivation en vertu des valeurs constitutionnelles du droit qu'il s'agit de protéger.

Tout d'abord sont à mettre en évidence la protection de la santé et de la sécurité du salarié. L'introduction de limites de cet ordre semble normale afin de garantir la santé et la sécurité des salariés. L'article 378 du décret présidentiel du 27 avril 1955 va dans ce sens: " les travailleurs ne doivent pas utiliser sur leur lieu de travail effets personnels ou habillement qui en relation avec les opérations ou les caractéristiques des installations constituent un danger pour sa santé ou sa sécurité". On observera en outre que l'article 2087 du code civil met à la charge de l'employeur une obligation de sécurité. Il doit prendre toutes les mesures nécessaires qui selon l'expérience dans le travail permettent de protéger au mieux la personnalité physique et morale du salarié. A ce titre, il est amené à imposer au salarié une tenue pour l'exercice de son activité professionnelle, à défaut de quoi l'employeur violerait son obligation (127). Il est aussi admis qu'une certaine tenue puisse être imposée au salarié relativement à ses fonctions. Dans ce cas, la tenue vestimentaire est nécessaire à l'exécution de la tâche.

Il convient maintenant de confronter la question de la liberté du salarié aux différentes dispositions (article 8 Statut des salariés ; lois n°903/1977 et n°125/1991 sur le licenciement individuel) qui exigent une stricte pertinence entre les exigences de l'employeur et les exigences de l'entreprise. Le but sera ensuite de trouver le juste équilibre entre les exigences de l'entreprise et les libertés du salarié.

Par ailleurs, les salariés ont la charge de représenter leur entreprise auprès de la clientèle. L'image que donne le salarié sera l'image de l'entreprise aux yeux du public. Pour cette raison, l'employeur pourrait encore limiter la liberté du salarié. Le point d'équilibre entre les différents intérêts en cause sera mis en évidence par une juste appréciation qui tiendra compte des différents critères.

En recourant à des critères qui rendront acceptable le sacrifice partiel de la liberté du salarié, une fois éclaircie la stricte et cohérente connexion entre la décision de l'employeur et les effets sur le rapport de travail, il faudra démontrer l'inexistence de solutions alternatives également de nature à satisfaire l'objectif poursuivi. Un nouveau critère (que l'on retrouve dans le système juridique français) est ainsi mis en avant. Il s'agit du critère de proportionnalité. Lorsque l'on a admis que l'intérêt pouvait justifier la restriction de liberté, il s'agit de savoir s'il n'existe pas d'autre moyen pour atteindre ce but, qui ne vienne pas limiter la liberté du salarié.

3) Conclusions comparatives


L'employeur français peut exiger une tenue particulière de la part de son salarié seulement dans la mesure où elle est nécessaire pour l'accomplissement de la tâche qui lui est assignée. En droit italien, la démarche est plus compliquée car il s'agit d'apprécier quels sont les intérêts que l'employeur cherche à protéger (128) et de comparer leur valeur à celle de la liberté du salarié. Le rôle du juge sera d'apprécier si l'intérêt invoqué par l'employeur est suffisant pour sacrifier la liberté du salarié.

Voilà où s'arrête la liberté du salarié, tout moins là où s'arrête le domaine de la protection de la liberté du salarié dans l'entreprise. Ainsi dans la mesure où l'on a dépassé cette étape, l'employeur peut valablement sanctionner le salarié s'il considère le fait comme fautif.

Le salarié n'est donc pas un citoyen en entreprise. L'intérêt de cette dernière viendra toujours limiter sa liberté. Qu'elles soient prévues par un règlement intérieur ou imposées directement par le supérieur hiérarchique du travailleur, les restrictions aux libertés, qui caractérisent la subordination du salarié, ne sont justifiées que dans la mesure où elles sont nécessaires au bon fonctionnement de l'entreprise. Dans cette optique, l'employeur a la possibilité de limiter les libertés du salarié. Cette limitation devra être objectivement justifiée et proportionnée. Elle ne devra pas non plus correspondre à un caprice de l'employeur.

§ II : la faute de l'employeur


Il s'agit ici d'envisager les cas dans lesquels le salarié a objectivement commis une faute au sein de l'entreprise et/ou pendant ces heures de travail. Le plus souvent la faute en question se caractérisera par son insubordination. La dite faute du salarié sera justifiée par le comportement de l'employeur. On a déjà vu que l'ordre donné par l'employeur qui enfreint les droits et libertés du salarié pourra ne pas être exécuté, ou en tout cas la non-exécution dans ces conditions ne sera pas constitutive d'une faute.

L'insubordination ne pourra pas faire l'objet d'une sanction si elle résulte d'un ordre illégitime. Si l'employeur l'a sanctionnée, la sanction pourra être annulée. Si le salarié refuse un ordre en prétextant qu'il porte atteinte à sa liberté, c'est le contrôle judiciaire des sanctions disciplinaires qui permettra de déterminer s'il a commis une faute (A).

Le législateur est encore intervenu pour interdire à l'employeur de sanctionner le salarié pour certains motifs. Dans ce cas, il s'agira de protéger la dignité du salarié en interdisant radicalement à l'employeur de considérer certains faits comme fautifs. A l'évidence, l'employeur ne dira pas clairement quelle est la cause de la sanction, le salarié devra démontrer que la cause invoquée par l'employeur est une fausse cause (B).

A- L'insubordination du salarié


Avant tout, il convient de préciser que l'insubordination constitue une faute qui pourra justifier un licenciement dans les cas les plus graves. La jurisprudence, italienne ou française, pose toujours cette solution en principe. Le contrat de travail se caractérisant par l'existence d'un lien de subordination entre le salarié et son employeur, l'acte d'insubordination est habituellement retenu comme cause réelle et sérieuse de licenciement en droit français (129). La jurisprudence italienne considère que constitue une "cause légitime de licenciement, le refus caractérisé d'accomplir la prestation de travail, ou encore tous comportements susceptibles d'avoir une incidence négative sur l'organisation de l'entreprise à travers la mauvaise application des instructions de l'employeur" (130).

L'intérêt est donc de relever les cas dans lesquels le salarié peut prétendre ne pas devoir exécuter sa prestation, soit parce l'employeur n'a pas respecté les obligations qui lui incombent (1), soit parce que l'ordre donné par l'employeur n'est pas justifié (2).

1) Les obligations de l'employeur


Le droit du travail met à la charge de l'employeur des obligations dont le salarié sera le créancier. Les systèmes français (a) et italien (b) présentent des illustrations différentes de la question.

a- Approche française de la question


La sécurité dans le travail est une importance obligation mise à la charge de l'employeur. On parle d'un véritable droit du salarié à la sécurité. Il s'agit de protéger son intégrité physique sur la subordination à l'employeur.

Les articles L.231-8 et 231-8-1 prévoient cette situation. Le deuxième alinéa de l'article L.231-8 dispose que "l'employeur ne peut pas demander au salarié de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent". Ainsi, il a le droit de se retirer d'une situation de travail dont il a un motif de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa santé. La loi lui reconnaît le droit de se soustraire à l'autorité de l'employeur pour protéger sa sécurité personnelle.

Certains auteurs (131) analysent cette situation comme une application de l'état de nécessité, cause générale des obligations. Le sujet commet une faute, certes, en l'occurrence il s'agit de l'insubordination ou encore de l'abandon de son poste de travail. Cependant il s'agit d'un moindre mal, puisqu'il s'agit pour lui de sauvegarder sa vie ou son intégrité. Il s'agirait encore, selon ces auteurs, d'une conséquence de l'inaliénabilité du droit de la personne à conserver sa vie et à apprécier ce qui est nécessaire à cette conservation, le salarié n'est plus perçu comme un sujet subordonné, une certaine place est laissée à son initiative.

Il faut maintenant préciser dans quelles circonstances le salarié peut se prévaloir de ce droit. Le droit du salarié implique une acceptation des nuisances qui résultent des conditions de travail. Le travailleur ne peut pas échapper à ses conditions de travail, qu'il estime nocives pour sa santé, sans rompre le contrat. La situation de danger immédiat pour la sécurité du salarié caractérise l'application de ces dispositions. Dans ce cas, le salarié qui se retire de la situation de travail ne refuse pas d'exécuter son contrat de travail mais exerce un droit fondamental de sauvegarde de sa personne qui l'emporte sur son obligation d'obéissance. Dans un tel cas il ne pourra supporter aucune sanction, ni supporter aucune retenue sur son salaire.

En 1996, la jurisprudence est intervenue en la matière pour préciser l'étendue du droit de retrait du salarié (132). Dans l'affaire, un salarié prétendait ne pas pouvoir reprendre le travail parce que son état de santé était incompatible avec ses conditions de travail. Il invoquait les dispositions des articles L. 231-8 et 231-8-1, en arguant du fait que la reprise du travail constituait pour lui un danger grave et imminent pour sa santé. Dans un premier temps l'employeur l'avait mis à pied, puis avait prononcé son licenciement ne trouvant pas à le reclasser.

Selon la Chambre sociale, le droit de retrait peut s'exercer même si le risque couru par la poursuite du travail demandé au salarié résulte de son propre état de santé et non de conditions de travail présentant un danger pour un travailleur quelconque: "la condition d'extériorité du danger n'est exigée pas de manière exclusive par la loi".

b- L'approche italienne


L'article 2087 du code civil italien met à la charge de l'employeur une obligation de sécurité à l'égard de ses salariés. Elle lui impose de prendre toutes les mesures nécessaires qui selon l'expérience et la technique sont nécessaires pour protéger l'intégrité physique et morale des travailleurs. Il est admis en doctrine que le salarié peut refuser la prestation de travail lorsque l'employeur n'a pas adopté toutes les mesures propres à garantir l'intégrité physique et morale du salarié (133).

Le décret n° 626 de 1956 prévoit expressément l'obligation d'éloignement du travailleur lorsque son intégrité physique est exposée à certains risques. En cas de danger grave et immédiat qui ne peut être évité, le salarié doit s'éloigner du lieu de travail ou de la zone dangereuse. Il ne supportera aucun préjudice de cette situation et doit être protégé de toute situation dommageable. Ce qui signifie que le salarié conserve le droit à la rétribution et surtout ne peut faire l'objet de sanctions disciplinaires.

Il s'agit en réalité d'un cas plus ou moins extrême. L'employeur doit tout faire pour assurer la sécurité de ses salariés. Si malgré cette obligation, le salarié se retrouve face à une situation périlleuse il est tenu d'abandonner sa position de travail pour assurer sa sécurité.

2) l'ordre injustifié


Une décision fournie par la jurisprudence française (134) présente une solution originale. Le salarié aurait le droit de refuser d'exécuter un ordre lorsqu'il est manifestement injuste. Dans une affaire la Cour d'appel de Paris a admis que "le fait de se rendre au chevet de sa femme malade et hospitalisée dans un pays étranger, constitue un motif valable justifiant une absence de courte durée ". Le salarié s'était heurté au refus de son employeur de lui accorder une autorisation d'absence. Malgré cela le salarié s'était absenté pendant deux semaines. Le droit lui fut reconnu de désobéir à une décision injuste. L'injuste marquerait les limites du devoir de se plier aux ordres reçus, donc de la subordination juridique.

Le droit italien met spécifiquement à la charge du salarié une obligation d'obéissance (article 2104 du code civil) qui trouve ces limites dans la loi et les conventions collectives. Il a déjà été vu que l'intégration du salarié dans l'entreprise n'implique pas un élargissement de ses obligations à des comportements qui ne sont raisonnablement requis par les exigences de l'entreprise. Il est largement admis en jurisprudence qu'un salarié puisse refuser de manière légitime les ordres de l'employeur lorsqu'ils vont à l'encontre des dispositions légales et contenues dans les conventions collectives (135).

Cette approche jurisprudentielle italienne est à mettre en relation avec la solution jurisprudentielle française en matière de sanction disciplinaire. La situation est la suivante: l'employeur a prononcé une sanction disciplinaire à l'encontre d'un salarié se caractérisant par une modification du contrat de travail. Le salarié s'oppose à la mise en oeuvre de cette sanction parce qu'il la considère injustifiée (dans le cas du transfert il refusera de changer d'affectation). En représailles, l'employeur prononce le licenciement de ce salarié (136).

Pour apprécier la validité de ce licenciement la jurisprudence cherche à savoir si la première sanction était justifiée. Si tel est le cas, le licenciement sera fondé, dans le cas contraire il sera considéré sans cause réelle et sérieuse et donc illicite. Ainsi, il est admis en jurisprudence que le salarié puisse s'opposer à une décision illicite de l'employeur. Un contrôle judiciaire sera de toute façon nécessaire pour déterminer, si la décision de l'employeur était valable ou si le salarié pouvait justement s'opposer à l'ordre donné.

Le raisonnement sera similaire en matière de fouille. Si le règlement intérieur prévoit des mesures de fouilles, et que ces dernières sont pratiquées en dehors des limites fixées par la jurisprudence (137), le salarié est en droit de refuser de s'y soumettre (138).

De la même manière, le salarié qui refuse d'exécuter un ordre parce que le travail n'entre pas dans ces attributions ou ses qualifications ne commet pas une faute, et donc ne peut pas être sanctionné pour un tel refus (139). La Cour de cassation a encore admis que le salarié ne pouvait pas être sanctionné lorsque le refus doit être interprété comme l'exigence par le salarié du respect de ses droits (140). En l'espèce, la salariée avait refusé une nouvelle mission de travail pour protester contre le non-paiement des six précédentes. L'insubordination est perçue, dans cette hypothèse, comme une forme de protestation. Cette décision reste intéressante du point de vue de protection des droits du salarié, mais il faut admettre son caractère marginal, et voir avec réserve l'application de cette solution à d'autres cas.

La cause de la protestation étant justifiée lorsque la sanction n'est pas justifiée, il pourrait s'agir d'un cas d'exception d'inexécution. L'employeur manque à son obligation (qui en l'occurrence est une obligation principale puisqu'il s'agit de la rémunération), en retour on peut admettre que le salarié refuse d'exécuter sa propre obligation, qui est la prestation de travail.

La notion de liberté a encore été utilisée par la jurisprudence (141) pour justifier le comportement du salarié qui avait refusé d'exécuter un ordre. La Cour de cassation a considéré que la sanction en l'espèce n'était pas justifiée parce que l'attitude du salarié n'apparaît pas comme une liberté dans l'aménagement de son travail mais comme une volonté délibérée de s'opposer à l'autorité de son employeur. Cette solution apparaît comme marginale. L'application de cette solution à d'autres cas devra être vue avec certaines réserves.

Il ressort de ces deux affaires que le comportement du salarié n'était pas fautif, et donc aucune sanction ne peut être prononcée à l'égard du salarié. Cette situation est à distinguer de l'excès de pouvoir de l'employeur. Il s'agit des cas dans lesquels l'employeur a outrepassé ses pouvoirs, c'est-à-dire qu'il a donné des instructions qu'il n'avait pas le droit de donner. Dans une telle hypothèse, la situation est encore plus simple. L'employeur n'agit plus dans le cadre de son pouvoir de direction, l'ordre étant donné en dehors du contexte contractuel, on ne voit pas pourquoi le salarié devrait l'exécuter.

En 1996 la revue Droit social a publié un article intitulé "une illustration de l'insubordination du salarié: le refus d'exécuter une tâche" (142). L'auteur, à travers une étude de la jurisprudence, a défini la notion d'ordre illégitime. Il fait la distinction entre l'ordre illicite, immoral ou vexatoire et l'ordre dangereux. Dans la première situation l'employeur ne saurait user de son pouvoir de direction pour faire exécuter à son salarié un ordre qui conduirait le salarié à enfreindre la loi. Par ailleurs, l'employeur doit s'efforcer de respecter les valeurs morales du salarié. Et enfin l'ordre donné ne doit pas avoir pour objet de chercher à humilier le salarié. L'ordre dangereux est celui dont l'exécution conduirait à mettre en péril la vie ou la santé du salarié lui-même ou d'autres personnes. Dans cette hypothèse on rejoint le droit de retrait défini aux articles L. 231-8 et suivant du Code du travail. Dans ces situations, l'auteur affirme que le salarié aura la possibilité de se soustraire à l'autorité de l'employeur sans que son refus ne le conduise à une sanction.

Le Code du travail prévoit d'autres cas d'insubordination. L'article L.212-4-2 vise le cas du refus pour un salarié d'effectuer un travail à temps partiel. Ce refus ne peut pas faire l'objet d'un licenciement de la part de l'employeur.

Pour conclure, on insistera encore sur le fait que le salarié doit obéissance à son employeur. Ceci reste le principe. L'exception est la situation dans laquelle la jurisprudence considère que l'acte d'insubordination n'est pas constitutif d'une faute parce que l'ordre de l'employeur était dépourvu de justification, soit pour une raison d'équité, ou parce que l'employeur a donné un ordre qu'il n'avait pas le droit de donner. La jurisprudence a encore admis des cas marginaux, dans lesquels l'insubordination a été reconnue comme l'exercice d'une liberté, ou encore d'une forme de protestation de la part du salarié en vue de faire respecter ses droits.

B- Protection de la dignité du salarié


Il s'agit de la délicate question du principe de non-discrimination (143)(1). Lorsque l'on aborde cette question on pense à la discrimination d'ordre sexuelle, qui induit la question plus grave du harcèlement sexuel sur le lieu du travail (2), envisagé sous l'angle de l'abus d'autorité en matière sexuelle par le droit français, et sous l'angle de la non-discrimination par la jurisprudence italienne.

1) Le principe de non-discrimination


L'article L.122-45 dispose qu'aucun salarié ne peut être licencié ou sanctionné en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs (144), de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses activités religieuses.

De la même manière l'article L. 412-2 du Code du travail interdit en matière disciplinaire toute discrimination fondée sur l'appartenance syndicale ou sur l'activité syndicale.

Tous les actes fondés sur une discrimination prohibée seront considérés comme nuls. Par conséquent, toute décision disciplinaire ayant pour base un fondement discriminatoire sera nulle. L'employeur ne rédigera jamais la lettre de licenciement en invoquant un motif de cet ordre. Il incombera au salarié de démontrer la véritable cause de la sanction, et que le fait considéré véritablement comme fautif par l'employeur, est un fait discriminant.

La Cour de cassation (145) a décidé que ces interdictions ne font pas obstacle à ce que l'employeur sanctionne différemment les salariés qui ont participé à une même faute et ce, "dès lors que l'intérêt de l'entreprise légitime cette différentiation et que l'exercice du pouvoir d'individualisation des mesures disciplinaires ne traduit pas un détournement de pouvoir". L'employeur conserve donc d'une certaine manière son pouvoir d'individualisation, dans la mesure où il respecte ces conditions. La Chambre sociale (146) a admis que la différentiation puisse être fondée sur les comportements respectifs des salariés et tenir compte de leur ancienneté.

L'ordre juridique italien connaît une disposition. Il s'agit de l'article 15 du Statut des salariés (Loi n° 300 de 1970) issu de la loi 903/1977 relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Cet article déclare nul tout acte ou tout accord destiné à sanctionner un salarié pour une raison politique, religieuse, sexuelle, ethnique, linguistique ou raciale. L'acte discriminatoire est sanctionné par la nullité. En conséquence et comme en droit français, toute sanction disciplinaire fondée sur un motif discriminatoire est interdite. Et si malgré l'interdiction, la sanction est prononcée elle encourt la nullité si elle est demandée en justice.

2) Le harcèlement sexuel


La particularité de la législation française en matière de harcèlement sexuel est que le harcèlement est perçu comme un abus d'autorité de la part de l'employeur (a). Le droit italien ne contient pas (encore) de disposition spécifique en la matière. En revanche la question est quand même traitée en jurisprudence, mais sous l'angle de la non-discrimination (b).

a- L'abus d'autorité en matière sexuelle dans la législation française


L'objectif est d'empêcher l'employeur d'abuser de sa puissance économique pour obtenir des faveurs d'ordre sexuel. Le règlement intérieur lui-même doit rappeler les dispositions relatives à l'abus d'autorité en matière sexuelle (article L.122-34 du Code du travail), afin que l'information soit connue de tous les salariés.

Le système juridique français s'est doté de cette disposition particulière en la matière depuis la loi du 2 novembre 1992 relative à l'abus d'autorité en matière sexuelle dans les relations de travail (147). L'article L.122-46 est issu de cette loi. Il dispose "qu'aucun salarié ne peut être ni sanctionné ni licencié pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement d'un employeur, de son représentant ou de toute personne qui en abusant de l'autorité que lui confèrent ses fonctions, a donné des ordres, proféré des menaces, imposé des contraintes ou exercé des pressions de toute nature sur ce salarié dans le but d'obtenir des faveurs d'ordre sexuel à son profit ou au profit d'un tiers".

Il s'agit ici de sanctionner l'abus de pouvoir de l'employeur ou de toute personne ayant dans l'exercice de ses fonctions profiter de sa position hiérarchique. Cette disposition cherche à protéger de toute sanction tout salarié ayant subi ou refusé de tels agissements.

Par ailleurs, le second alinéa protège tous les témoins des actes énumérés au premier alinéa contre une éventuelle sanction disciplinaire. Ainsi, la protection s'étend à la personne qui a pu recueillir les confidences de la victime du harcèlement, qui les a relatées. Pour ces faits, elle ne peut pas faire l'objet d'une sanction de la part de l'employeur. En outre l'employeur encourt une sanction pénale, en application de l'article L.152-1-1 du Code du travail. La sanction prononcée contre la victime ou le témoin du harcèlement est nulle de plein droit.

La disposition en question cherche à protéger tout salarié victime ou témoin de harcèlement sexuel ayant fait l'objet d'une sanction. Cependant la disposition montre bien que l'employeur ne peut en aucun cas prendre en considération ces faits pour prononcer une sanction (148).

b- Le motif discriminatoire dans la jurisprudence italienne


La législation en matière de harcèlement sexuel est actuellement à l'étude en Italie. Un projet de loi est dans l'air. Quoi qu'il en soit le système juridique italien ne connaît pas de dispositions spécifiques en la matière. Cependant la jurisprudence reste confrontée au problème.

En 1989, elle s'est déjà prononcée à ce sujet (149). Une salariée avait fait l'objet d'un licenciement parce qu'elle avait annoncé publiquement avoir fait l'objet d'un harcèlement sexuel de la part de son employeur. La salariée avait contesté en justice ce licenciement en apportant la preuve de ce qu'elle avançait (150). Les juges ont décidé à cette occasion que le motif de licenciement n'était pas licite. Cependant ils ne s'étaient pas clairement prononcés sur la question du harcèlement sexuel. Ils avaient seulement décidé que la cause du licenciement était illicite et donc le licenciement nul. Or, la cause en l'occurrence n'était pas le harcèlement lui-même, mais le fait d'avoir fait état de cette situation.

En revanche, une décision de 1996 est beaucoup plus explicite (151). Dans ce cas, une salariée avait l'objet d'un licenciement. La motivation de ce licenciement était peu convaincante aux yeux des juges. Ils avaient affirmé que les motifs avancés par l'employeur n'étaient pas valables et qu'en tout cas, ils ne permettaient pas de justifier le licenciement. Par contre, la salariée avait apporté des présomptions de preuve d'un harcèlement sexuel à son égard. Il fut décidé que la véritable raison ayant motivé le licenciement était un motif discriminatoire d'ordre sexuel.

Le raisonnement suivi par les juges fut le suivant. Le licenciement était un licenciement discriminatoire au sens de la loi 903 de 1977, fondé sur une raison d'ordre sexuel. Cette loi est complétée par la loi 125 de 1991. Selon son article 4 alinéa premier "constitue un licenciement discriminatoire, tout acte ou comportement qui produit un effet préjudiciable discriminant en raison du sexe du salarié".

En outre l'alinéa 5 du même article dispose que "lorsque le demandeur fournit des éléments de fait de nature à fonder, en termes précis et concordants, la présomption de l'existence d'actes ou de comportements discriminatoires en raison du sexe, le défendeur devra prouver l'inexistence de la discrimination". En l'espèce, il fut admis que le régime de la preuve présumée. Le régime de la preuve fut largement facilité compte tenu des difficultés que la victime rencontre dans cette situation.

L'article 4 alinéa 5 de cette loi impose à l'employeur une inversion de la charge de la preuve. L'objectif est de faciliter la situation de la personne qui doit rapporter la preuve du harcèlement. Elle ne peut être rapportée facilement sinon au moyen de présomption. On peut cependant fixer d'emblée les limites d'une telle décision. Il sera particulièrement délicat de demander à l'employeur de prouver ce qu'il n'a pas fait. En effet, l'inversion de la charge de la preuve dans ce cas conduit à cette situation.

SECTION III : la preuve de la faute


Après avoir déterminé quels faits peuvent être considérés comme fautifs, le chef d'entreprise cherchant à mettre en oeuvre la procédure disciplinaire devra être en mesure le cas échéant d'apporter la preuve des faits reprochés au salarié. Il s'agira de voir quelles sont les limites en matière de preuve imposées à l'employeur par le droit disciplinaire.

Dans un premier temps, il faudra chercher à qui incombe la charge de la preuve (§1), puis confronter les moyens utilisés par l'employeur pour rechercher la preuve avec le respect de la dignité du salarié (§ 2).

§ 1 : la charge de la preuve


Le législateur précise toujours à qui incombe la charge de la preuve. On se rendra compte en droit français (1), comme en droit italien (2), que les textes cherchent toujours à faciliter la situation du salarié, ce qui en soi constitue une protection sérieuse en faveur du salarié.

A- Le régime de la preuve en droit français


La loi du 13 juillet 1973 est intervenue dans un premier temps. Elle a institué une procédure inquisitoire. L'article L. 122-14-3, issu de cette loi, dispose que "le juge forme sa conviction au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties et au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utile". Les parties ont en droit français une obligation de preuve , mais la charge de la preuve ne pèse pas sur une ou l'autre des parties.

La loi de 1989 ( 2 août 1989 ) constitue le second acte. Elle fut votée pour réagir contre une jurisprudence de l'apparence. Jusqu'alors, les juges se contentaient souvent de l'allégation par l'employeur de motifs en apparence réels et sérieux, pour en déduire de façon quasi-automatique le bien fondé du licenciement. Lorsque les éléments étaient contradictoires, le juge tranchait en faveur de l'employeur. Le dernier alinéa de l'article L.122-14-3 est issu de la loi de 1989. Désormais si le doute subsiste, il profite au salarié.

De part cette mesure, un effort est demandé à l'employeur dans la production de la preuve. Le salarié sur ce point est particulièrement bien protégé. Concrètement si l'employeur n'a pas de preuves ou si elles sont insuffisantes il ne pourra pas prononcer la sanction, ou s'il le fait malgré le manque de preuve, la sanction ne sera pas valable.

B- Le régime de la preuve en droit italien


Le régime de la preuve en droit disciplinaire italien est le régime de droit commun. L'article 2697 dispose: "qui veut faire valoir un droit en justice doit prouver les faits qui en constituent le fondement" et "qui invoque l'inefficacité de ces faits ... doit prouver les faits sur lesquels il se fonde". Ainsi, il incombe à l'employeur de prouver l'existence des faits reprochés au salarié.

Par contre il incombe au salarié de prouver que les faits qui lui sont reprochés sont dus à une situation particulière qui a conduit à leur commission, et qu'en conséquence les faits en question ne lui sont pas imputables (il s'agit toujours de l'application du régime de droit commun de la preuve- articles 1176 et 1218 du Code civil).

Des exceptions au régime de droit commun ont été insérées dans l'ordre juridique italien. Il a déjà été fait mention de l'une d'entre elle. La loi de 1991 relative à l'interdiction de la discrimination en son article 4 alinéa 5 dispose que lorsque le demandeur, en l'occurrence il s'agit du salarié, fournit des éléments de nature à fonder, en termes précis et concordants, la présomption de l'existence d'actes ou de comportements discriminatoires d'ordre sexuel.

Si on fait application du régime de droit commun le raisonnement est le suivant. L'employeur licencie pour une raison qui lui incombe de prouver. Le salarié qui intente une action en justice pour contester la validité de ce licenciement invoque la discrimination d'ordre sexuel. Dans ce cas le salarié tente de prouver que le motif invoqué par l'employeur ne lui est pas imputable et qu'il faut chercher ailleurs la cause du licenciement. Par application de la loi de 1991, le juge se contentera de présomptions de preuve. Il reviendra ensuite au chef d'entreprise de prouver que ces faits ne sont pas exacts.

C) Conclusions comparatives


Deux manières différentes de protéger le salarié. Dans le système français les parties avancent leurs arguments , leurs preuves et le juge décide. S'il a un doute il en fait bénéficier le salarié. En droit italien la preuve incombe directement à l'employeur. Le droit français impose à l'employeur l'apport des preuves solides à défaut de quoi il ne parviendra pas à faire admettre la validité de la sanction. Le droit italien impose à l'employeur d'apporter la preuve de ce qu'il avance face à un salarié qui fera tout pour contester la validité de son action, à défaut de quoi la sanction sera illicite.

§ 2 : la recherche de la preuve et protection de la dignité du salarié


Le chef d'entreprise peut-il considérer que tous les moyens sont bons pour établir la véracité de certains faits? Jusqu'à quel point peut-il aller dans son effort de recherche de la preuve?

Bien sur son pouvoir n'est pas sans limites. Le législateur et la jurisprudence sont intervenus à diverses reprises en France comme en Italie pour limiter, voire interdire les pratiques qui allaient contre la dignité du salarié, puisqu'en l'occurrence c'est ce qu'il s'agit de protéger. Tout d'abord, il faudra voir quelles sont les limites au pouvoir d'investigation de l'employeur ( A), et dans quelle mesure il peut procéder à une fouille du salarié(B).

A- La recherche d'informations


L'investigation à laquelle peut se livrer l'employeur a un champ d'application relativement limité. Il faut rappeler que l'article L.122-45 du Code du travail exclut toute recherche relative à l'appartenance du salarié. L'investigation peut être exclue en ce qu'elle serait, en soi de nature à porter atteinte au jeu de la liberté: tel est le cas lorsque au nom de la liberté de procréer, l'article L.122-25 du Code du travail interdit à l'employeur "de rechercher ou de faire rechercher toutes informations concernant l'état de grossesse d'une femme".

Le principe est que l'employeur n'a pas à rechercher l'information. L'exception est qu'il peut procéder à cette recherche lorsque l'information lui est utile pour évaluer la capacité professionnelle du salarié ou lorsque l'intérêt de l'entreprise est en cause.

De la même manière, l'article 8 du Statut des salariés en droit italien interdit à l'employeur d'effectuer des enquêtes et de rechercher des informations qui ne sont pas nécessaires pour évaluer l'aptitude professionnelle du salarié. Cependant, la jurisprudence admet que des éléments de nature à nuire au rapport de confiance considéré comme nécessaire dans la relation de travail, puissent être pris en compte (152). Le critère est le même que celui utilisé pour savoir si l'employeur peut considérer comme fautif un fait tiré de la vie privée.

L'employeur dispose principalement de deux moyens pour obtenir l'information: l'un matériel, avec les différents dispositifs de prise d'informations (1), l'autre humain, avec le personnel de surveillance (2).

1) Les dispositifs de prise d'informations


La loi n° 300 de 1970 en Italie, avait déjà envisagé la situation. Le système français en revanche ne connaît pas de texte spécifique qui réglemente la question. La jurisprudence est donc intervenue pour palier au vide juridique.

a- L'approche française


La Cour de cassation en France semble refuser, à titre de preuve tout enregistrement. De vieilles décisions témoignent que ce refus n'est pas une nouveauté en la matière. Un employeur avait reproduit par écrit une conversation téléphonique enregistrée. Il comptait prouver qu'un salarié s'était rendu coupable d'agissements fautifs. Les juges du fond avaient estimé que "l'enregistrement avait été réalisé à l'insu du salarié et qu'admettre un tel mode de preuve instaurerait, dans les rapports entre employeur et salariés, un climat de méfiance" (153).

Plus récemment, la Cour d'appel de Paris a estimé que "l'enregistrement sur cassette d'une conversation confidentielle tenue en dehors des heures de service, ne saurait constituer la preuve que l'un des deux salariés a tenu à l'égard de l'employeur de propos injurieux" et que "ce mode de preuve risquait de conduire, grâce aux moyens électroniques actuels, à des pratiques d'inquisitions attentatoires à la liberté individuelle et pouvait créer dans l'entreprise un climat de méfiance aboutissant à des pressions psychologiques inadmissibles" (154). On notera que l'on ne se contente pas de protéger la dignité du salarié, mais aussi sa liberté.

Pour sa part, la Cour de cassation a confirmé cette jurisprudence en refusant d'admettre comme mode de preuve l'enregistrement effectué par une caméra dissimulée à proximité de la caisse d'une vendeuse d'un magasin. Sur la base de cet enregistrement révélant que la salariée s'était rendue coupable d'un vol et avait tenu des propos désobligeant à l'égard de l'employeur, ce dernier alléguait une faute grave justifiant un licenciement. La Cour a considéré que "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu'en soit les motifs, d'images ou de paroles à leur insu constitue un mode de preuve illicite" (155). Plus récemment, la Chambre sociale a eu l'occasion de confirmer sa position (156): "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le temps de travail, il ne peut pas mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés" (157). Ainsi, si l'employeur veut mettre en oeuvre un tel dispositif il doit en informer le salarié . En l'absence d'information l'employeur porte atteinte à la vie privée et à la liberté des salariés. La jurisprudence considère que les salariés doivent être informés préalablement à l'installation dans l'entreprise d'un dispositif de contrôle par quelque moyen que ce soit. Si le salarié n'est pas informé de la présence du dispositif, les informations prélevées ne pourraient pas servir à prouver une éventuelle faute du salarié.

Il faut cependant relever que le contrôle de l'employeur sur l'activité de ses salariés dans l'entreprise n'est pas interdit en soi. Cette prérogative fait partie de son pouvoir de direction. La jurisprudence s'est trouvée être appuyée par le législateur dans une loi du 21 janvier 1995 dans ce sens. Cette loi soumet à autorisation préalable l'installation de dispositifs de vidéo surveillance, c'est-à-dire tout système permettant l'enregistrement et la transmission des images (158). L'autorisation préalable est donnée par le préfet après avis d'une commission départementale.

b- L'approche italienne


La solution dégagée par la jurisprudence française est celle posée par l'article 4 du Statut des salariés. Il interdit à titre de principe l'usage de dispositifs audiovisuels et autres installations de contrôle à distance de l'activité des salariés. Le même article prévoit l'exception au principe. L'employeur peut installer un tel dispositif mais seulement à deux conditions: il faut que l'usage soit justifié par des raisons de sécurité, d'organisation ou de production et il doit en outre obtenir l'accord des représentants syndicaux (159).

Selon la jurisprudence, cette disposition vise le contrôle à distance que l'on pourrait qualifier de physique, mais aussi le contrôle dans le temps de l'activité du salarié. Ce qui est rendu possible grâce aux dispositifs informatiques (160). Cette jurisprudence ne manque pas de bon sens. En effet lorsqu'elle fait observer que l'ordinateur permet de contrôler l'activité des salariés dans le temps et permet un contrôle plus efficace puisqu'il est possible d'effectuer des recherches croisées. Ainsi, a été retenue contraire à l'article 4, l'installation d'un système électronique, qui après avoir enregistré toutes les opérations effectuées par un opérateur identifié au moyen d'un code individuel, est capable d'effectuer une reconstruction et une analyse de ces données.

Pour être contraire à l'article 4, il suffit que l'installation électronique ait une finalité de contrôle, alors qu'il est absolument insignifiant ensuite que le contrôle sur le salarié soit utilisé concrètement. Dans ce sens a été considérée comme interdite l'installation électronique qui permet de contrôler à distance, mais en temps réel, que le salarié soit bien en train de travailler.

Quoi qu'il en soit, le contrôle est licite lorsqu'il a une finalité dans l'organisation du travail. Lorsque ce n'est pas le cas, l'employeur ne peut pas effectuer de contrôle et a fortiori il ne peut pas se servir de l'information obtenu grâce à ce contrôle. De part l'intervention syndicale, le salarié se trouve être du même coup informé du contrôle effectué par l'employeur. En droit italien, la liberté et la vie privée du salarié semblent être assurées sur ce point.

2) Le personnel de surveillance


La loi n° 300 de 1970 en Italie a envisagé la question. La jurisprudence est abondante sur la question et particulièrement détaillée. En revanche, elle ne semble pas avoir suscité un grand intérêt en France, sauf peut-être à travers la loi du 12 juillet 1983.

a- Approche italienne


L'article 2 du Statut des salariés précise que l'employeur peut embaucher des gardiens de sécurité, mais seulement dans le but de protéger le patrimoine de l'entreprise. Ces salariés ne peuvent intervenir que lorsque d'autres salariés portent atteinte au patrimoine de l'entreprise. Il est en outre fait interdiction à l'employeur d'assigner ces salariés à la surveillance du travail. Les gardiens de sécurité n'ont pas accès aux locaux où s'exerce l'activité de travail pendant son déroulement, à moins que ce soit pour l'exercice de leur activité professionnelle. L'article 3 du Statut des salariés précise que les noms et les fonctions du personnel de surveillance doivent être communiqués aux salariés intéressés.

Les résultats d'une enquête effectuée par un gardien en dehors du cadre de ses attributions sont inutilisables pour prouver une faute disciplinaire, selon la Cour de cassation (161). Cependant, il faut souligner que cette solution ne fait pas l'unanimité chez les juges du fond (162). On peut s'en étonner, puisque s'il est possible à l'employeur d'utiliser l'information à titre de preuve malgré l'interdiction, à quoi sert l'interdiction alors? Encore une fois, on s'en tiendra à la solution de la loi et appliquée par la Cour de cassation.

L'obligation pour l'employeur de communiquer les noms et les attributions du personnel de surveillance l'empêche d'effectuer des contrôles occultes cherchant à prouver la transgression de l'obligation de diligence du salarié (163)..La solution serait différente de l'esprit de la loi qui a voulu ces gardiens dans le but de protéger le patrimoine de l'entreprise et non le contrôle de l'activité de travail.

b- L'approche française


Le système juridique français est moins fourni sur la question. L'article 4 de la loi du 12 juillet 1983 (164) dispose qu'il est interdit aux entreprises exerçant des activités de surveillance, de gardiennage, de transport de fonds ou de protection de personnes de se livrer à une surveillance relative aux opinions politiques, religieuses et syndicales et de constituer des fichiers dans ce but, ou de s'immiscer ou d'intervenir à quelque moment et sous quelque forme que ce soit dans le déroulement d'un conflit de travail ou d'événement s'y rapportant.

L'article 11 de la même loi précise que les entreprises qui disposent d'un service interne chargé d'une telle activité, qu'elles relèvent du secteur public ou du secteur privé, doivent appliquer à ces services et à leur personnel les dispositions de l'article 4.

Le législateur s'est efforcé d'assurer la liberté des salariés dans l'entreprise. La question en droit français est liée plus spécifiquement à la question de la fouille du salarié, qui justement sera effectuée par le personnel de surveillance.

3) Le contrôle de l'ébriété du salarié


Il s'agit de la question de l'introduction de l'alcootest dans l'entreprise. Et plus précisément de la question qui est de savoir si le chef d'entreprise peut l'imposer à ses salariés.

Encore une fois il faut se tourner vers la jurisprudence pour avoir une réponse, la loi étant muette sur ce point. La décision qui sert de référence dans ce domaine est celle du Conseil d'Etat du 1er février 1980, dans l'Affaire dite des peintures Corona (165). Le règlement intérieur de l'entreprise réservait à la direction la faculté de soumettre les salariés suspects d'ébriété à l'épreuve de l'alcootest, le refus de l'intéressé étant considéré comme une faute disciplinaire et une reconnaissance implicite de l'état d'ébriété.

Le Conseil d'Etat a estimé que "ces dispositions ne pourraient être justifiées, eu égard à l'atteinte qu'elles portent aux droits des personnes, qu'en ce qui concerne les salariés occupés à des travaux ou à la conduite de certaines machines" (166). Le Conseil d'Etat a en outre précisé que dans le cas où l'épreuve de l'alcootest peut être licitement imposée au salarié, le règlement intérieur n'a pas à indiquer quels agents pourront procéder au contrôle, ni à prévoir le droit du salarié à une contre-expertise (167), ni même que le contrôle s'effectuera en présence d'un tiers (168).

Le recours à l'alcootest n'est justifié que s'il a pour objet de prévenir ou de faire cesser immédiatement une situation dangereuse. Il ne saurait permettre à l'employeur de faire constater une éventuelle faute disciplinaire. Il ressortirait donc de cette jurisprudence que ce contrôle ne constitue pas en soi un moyen de preuve de la faute du salarié, en tout état de cause il ne s'agit pas de sa fin.

La question en droit italien prend une dimension largement différente. En effet, l'article 688 du Code pénal érige en infraction (pénale) le fait pour une personne d'être en état d'ivresse manifeste dans un lieu public ou ouvert au public. Les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis à chaque fois "que l'état d'ébriété pourra être constaté de part le comportement de la personne et perceptible par tous" (169). Les termes de la jurisprudence restent particulièrement vague ce qui semble vouloir indiquer qu'elle cherche à couvrir le plus grand nombre de cas possible.

En outre, les examens ultérieurs, médicaux ou autres, ne sont pas nécessaires pour avoir confirmation de l'état d'ivresse (170), ils restent cependant parfaitement utilisables. Selon la doctrine majoritaire, la situation doit être perçue comme un cas de flagrance (au sens pénal du terme), d'où la grande marge de manoeuvre en matière de preuve (171). La Cassation pénale a elle-même précisé que "l'état d'ébriété n'a pas à être constaté par un représentant de l'ordre (officier de police judiciaire ou autres), il suffit qu'il soit constaté de visu" (172). L'ivresse étant une infraction pénale en soi, elle sera aussi une faute disciplinaire.

4) Conclusions comparatives


A l'évidence le système juridique italien est plus détaillé sur ce point garce aux dispositions de la loi de 1970. Cependant sur le plan de la protection du salarié, il semble que les deux systèmes parviennent à la même fin: le respect de la liberté et de la vie privée du salarié. En tout cas, il s'agit de la seule exigence de la jurisprudence française en ce qui concerne la prise d'informations, et ce but est atteint avec la législation italienne. Le droit italien semble vouloir limiter le contrôle du travail lui-même, en limitant le pouvoir des gardiens de sécurité ou encore en exigeant que l'installation de dispositif de surveillance soit lié à la sécurité ou à l'organisation du travail lui-même. L'objectif sera encore d'assurer la protection des droits et libertés du salarié. Cependant la règle semble bien inutile surtout lorsque l'on pense avec quelle facilité l'employeur invoquera un motif de sécurité ou d'organisation du travail pour pouvoir effectuer un contrôle du travail. Le contrôle de l'employeur est a priori légitime dès lors qu'il n'est pas fait à l'insu du salarié) puisqu'il entre dans son pouvoir de direction..

B- Le droit des fouilles


La fouille consiste en la recherche d'objets que la personne peut porter sur elle. Le problème se pose lorsque la personne s'empare d'objets appartenants à l'entreprise. Il s'agit d'un véritable dilemme pour l'entreprise. Elle doit s'efforcer de protéger son patrimoine, tout en respectant la dignité du salarié.

1) L'approche française


Le législateur français n'est pas spécifiquement intervenu en la matière. De nouveau, il s'agit de faire prévaloir un droit sur un autre et surtout savoir comment faire prévaloir un droit sur un autre. On a d'une part le droit de l'employeur de protéger ses biens, et d'autre part le droit des salariés à la protection de leur vie privée.

La jurisprudence française n'imposait pas à l'employeur de règles contraignantes en matière de fouille jusqu'à une époque récente. En 1962, la Cour de cassation a considéré qu'une salariée qui avait refusé d'ouvrir son sac à la demande des surveillants se rendait coupable d'une faute grave (173). La Cour de cassation confirma ensuite sa position (174).

La loi de 1982 relative aux libertés des travailleurs de l'entreprise est venue limiter cette marge de manoeuvre. Une circulaire d'application du 15 mars 1984 (175) a interprété de façon très restrictive les dispositions du Code du travail (176). La fouille peut-être prévue à titre préventif si l'activité de l'entreprise le justifie pour des raisons de sécurités collectives. Par contre, la fouille liée à la recherche d'objets volés ne saurait être imposée et effectuée par l'employeur.

Dans un arrêt du 12 juin 1987 le Conseil d'Etat (177) a considéré que la disposition du règlement intérieur prévoyant que la "direction se réserve le droit de faire d'ouvrir à tout moment afin de contrôler l'état et le contenu des vestiaires ou armoires individuelles". Cette disposition ne prévoit pas l'information préalable du salarié concerné, excède l'étendue des restrictions que l'employeur peut légitimement apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles en vue d'assurer l'hygiène et la sécurité (178).

Dans un jugement du 7 mai 1985, le tribunal administratif de Bordeaux (179) avait considéré que l'employeur ne pouvait se faire ouvrir les armoires qu'en présence des intéressés ou de leurs représentants. Ainsi, le juge administratif semble se contenter d'une information individuelle ou de la présence des intéressés ou de leurs représentants pour autoriser la fouille des armoires et des vestiaires. La protection du salarié est faible mais elle n'est pas inexistante sur ce point.

Le Conseil d'Etat est de nouveau intervenu le 9 octobre 1987 (180). A cette occasion il a défini plus précisément les circonstances dans lesquelles l'employeur peut contrôler les armoires et les vestiaires: lorsque le contrôle est justifié par des nécessités d'hygiène et de sécurité et ce en présence des salariés sauf cas d'empêchement exceptionnel.

En ce qui concerne la fouille du personnel à l'entrée et (surtout) à la sortie de l'entreprise, le Conseil d'Etat dans un arrêt du 8 juillet 1988 (181) a admis le contrôle des membres du personnel au moyen d'appareils permettant de détecter la présence de métal dans une entreprise spécialisée dans la métallurgie des métaux précieux où le risque de vol était grand. En revanche le tribunal administratif de Lyon (182) a considéré qu'il appartenait à l'inspecteur du travail de modifier une clause d'un règlement intérieur prévoyant des mesures de contrôle à la sortie et à l'entrée de l'entreprise. Ce contrôle ne peut être effectué que par un officier de police judiciaire.

Le juge judiciaire est lui aussi intervenu en la matière. Il a notamment précisé dans une décision rendue le 19 décembre 1973, que "la fouille du personnel féminin étant effectuée par un homme était illicite, une salariée est fondée à refuser de se soumettre à cette pratique, contraire à la plus élémentaire décence, quels que puissent être les termes du règlement intérieur qui l'avait établie" (183). Dans ce cas, l'article visé ne fut pas l'article 9 du Code civil, mais l'article 6. Il s'agissait d'une convention (le règlement intérieur), contraire aux bonnes moeurs.

De la même manière, le 9 avril 1987, la Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé qu'un cadre d'un grand magasin était en droit de refuser un contrôle effectué à la sortie du travail sur un véhicule stationné sur la voie publique. La Cour avait alors affirmé que "ce contrôle était exorbitant du droit commun puisqu'il donnait à l'employeur des prérogatives supérieures à celles conférées par la loi à un officier de police judiciaire" (184). La solution de la Cour de cassation rejoint ici celle du Conseil d'Etat du 8 janvier 1988 précitée. Selon la doctrine cette jurisprudence de la Cour de cassation est extensible aux fouilles pratiquées à l'intérieur des locaux, sous réserve des exceptions susceptibles d'être apportées dans le cadre des règles relatives à l'hygiène et à la sécurité (185).

La jurisprudence ne fait preuve d'aucune clarté sur la question. Elle n'a pas déterminé dans quelles conditions la fouille sera possibleou non. En revanche, il est possible d'affirmer que le chef d'entreprise ne se voit reconnaître aucun pouvoir l'autorisant à pratiquer des fouilles sur ses salariés. L'objectif du juge semble être de protéger la liberté du salarié sans tellement prendre en compte l'intérêt de l'employeur. Par contre, le droit italien présente une situation claire et respectueuse des droits du salarié.

2) L'approche italienne


Le Statut des salariés réglemente la situation (loi n° 300 de 1970). Son article 6 dispose que les visites personnelles de contrôle sur le salarié sont interdites dans la mesure où elles ne sont pas indispensables à la protection du patrimoine de l'entreprise, en relation avec les instruments de travail, les matières premières ou des produits. Si ces premières conditions sont réunies, les visites personnelles de contrôle pourront être effectuées à condition qu'elles soient exécutées à la sortie des lieux de travail, à fin que soient préservés la dignité et le droit au respect de la vie privée du salarié.

La jurisprudence précise que si la fouille est opérée de manière illégitime c'est-à-dire au mépris des règles fixées par l'article 6, l'acte est inutilisable à une fin disciplinaire. Cependant il sera possible de sanctionner le fait en alléguant d'autres preuves (186). Quoiqu'il en soit, l'employeur ne peut pas obtenir de preuves par ce biais, et si malgré l'interdiction il l'obtenait il ne pourrait pas s'en servir.

La Cour de cassation a par ailleurs précisé que le caractère indispensable de la fouille aux fins de protéger le patrimoine de l'entreprise s'apprécie en considération des divers moyens de contrôle techniquement et légalement utilisables de manière alternative à la fouille, et à travers la possibilité pour le chef d'entreprise de prévenir les manquements au moyen de l'enregistrement des mouvements de la marchandise (par l'adoption de mesure de nature à éviter la disparition et favoriser la diligence et la fidélité des salariés) (187).

Selon la même décision de la Cour de cassation, une fouille, même indispensable afin de protéger le patrimoine de l'entreprise, n'est pas admissible si elle constitue une ingérence dans l'intimité du salarié en prenant la forme d'une perquisition ou d'une inspection de nature à créer chez lui une situation de malaise, voire de dégradation psychologique. En conséquence, le refus du salarié de se soumettre à la fouille ne légitime pas l'application à son égard d'une sanction disciplinaire.

Enfin, la Cour de cassation a précisé que les exigences de l'article ne sont pas applicables aux effets personnels du salarié, tels que les sacs ou les paquets. La fouille dans ce domaine pourrait donc se faire sans avoir à vérifier les conditions imposées par l'article 6 (188).



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