JURIPOLE : Le contrat de fiducie : étude de droit comparé Allemagne, France, Luxembourg - Antoine BUREAU(Partie I)

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Le contrat de fiducie : étude de droit comparé Allemagne, France, Luxembourg
Antoine BUREAU



PREMIERE PARTIE



INTRODUCTION




D'origine romaine, la fiducie était le plus ancien des contrats réels. Elle est aujourd'hui une institution vivante dans de nombreux pays étrangers. Le concept de fiducie n'est toutefois pas très aisé à découvrir car il recoupe nombre d'institutions juridiques contradictoires. Elle est cependant définie comme l'acte juridique par lequel une personne, le fiduciaire, rendue titulaire d'un droit patrimonial, voit l'exercice de ce droit limité par une série d'obligations, parmi lesquelles figure généralement celle de transférer le droit au bout d'une certaine période soit au fiduciant, soit à un tiers bénéficiaire 1 . Le fiduciaire reçoit donc la propriété d'un bien à titre temporaire et à une fin déterminée. Ce transfert temporaire peut avoir des finalités multiples. Traditionnellement on distingue cependant, deux grandes variétés d'utilisation de la fiducie ; la fiducie-sûreté et la fiducie-gestion. La fiducie-sûreté s'explique par le souci du fiduciant de donner une sûreté efficace par transfert de propriété, en garantie de la dette dont il est tenu envers le fiduciaire. Quant à la fiducie-gestion, elle se justifie par le souci du fiduciant de donner les moyens d'une gestion efficace dans l'intérêt d'un tiers ou du fiduciant lui-même.

En France, malgré le grand nombre de travaux qui lui ont été consacré 2 , la fiducie semble éprouver quelques difficultés à être reconnue au sein de notre système juridique. D'origine romaine, la fiducia se présentait sous la forme d'un pacte (pactum fiduciae) adjoint à un transfert temporaire de propriété. On la retrouve dans notre Ancien Droit, où elle se manifestait timidement sous la forme des substitutions fidéicommissaires, lesquelles obligeaient l'héritier ou le légataire à conserver les biens transmis et à les retransférer à son décès à un tiers désignés d'avance. Elle fut volontairement oubliée par les rédacteurs du Code civil, pour des raisons idéologiques et économiques. En effet, les substitutions fidéicommissaires avaient pour fonction de maintenir l'intégralité du patrimoine familial, en rendant les biens inaliénables entre les mains du fidéicommissaire. Elles pouvaient s'étendre sur plusieurs générations successives et conserver ainsi la puissance des familles féodales. Les substitutions fidéicommissaires furent donc prohibées par une loi du 14 novembre 1792 3 .

Sans doute le législateur français est-il en train de l'écarter une seconde fois. En effet, cette institution est actuellement l'objet d'un projet de loi en France 4 . La Chancellerie avait élaboré ce texte après de nombreuses consultations auprès de l'ensemble des professionnels du droit, spécialement les banquiers, notaires, avocats et les entrepreneurs privés. Une fois complété par des dispositions fiscales, il avait été adopté en Conseil des ministres et enregistré à la présidence de l'Assemblée Nationale, le 20 février 1992. Cependant, ce projet n'a toujours pas été adopté et cela fait maintenant une vingtaine d'année que les praticiens réclament son introduction dans notre droit positif 5 . Les arguments développés en faveur de son adoption sont variés et les commentateurs constatent que la France est l'un des seuls pays à ne pas utiliser cette institution en Europe. En effet, parmi les pays d'origine romano-germanique, le Luxembourg s'est doté en 1983 d'un texte permettant son introduction 6 , l'Allemagne connaît également son utilisation, sous le nom de Treuhand, depuis la seconde moitié du siècle dernier 7 . En Angleterre s'est développé depuis plusieurs siècle une technique proche de la fiducie, le trust, qui se retrouve dans la plupart des pays anglo-saxon. Le trust est difficile à présenter en peu de mots, car il repose sur des notions juridiques très différentes de celles connues dans les pays latins. Il consiste schématiquement pour une personne à être propriétaire au bénéfice d'une autre 8 .

L'importante utilisation du trust et de la fiducie en Europe et dans le monde, place la France dans une position délicate par rapport à ses partenaires. Ainsi le risque que des banques ou des entreprises françaises constituent des trusts à l'étranger pour des opérations financières est réel comme le montre l'opération réalisée par le groupe PEUGEOT SA, en 1987 9 . Ce risque n'est pas à négliger notamment depuis l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye, relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, du 1er juillet 1985, qui doit favoriser la diffusion de ces mécanismes 10 . En outre, sa ratification par notre pays, combinée avec les règles de compétence juridictionnelle, de reconnaissance et d'exécution des décisions contenues dans la convention de Bruxelles, conduira probablement les magistrats français à statuer plus fréquemment sur les trusts anglo-saxon, sans références à un modèle national voisin.

La situation de l'Allemagne et du Luxembourg est à ce propos riche d'enseignement.L'Allemagne a développé une fiducie (Treuhand)essentiellement jurisprudentielle alors que le Luxembourg, par la voie d'un texte réglementaire, a introduit cette institution de façon limitée, sous le nom de contrat fiduciaire. Si le projet français a une orientation beaucoup plus général, la voie jurisprudentielle allemande ou restrictive à la manière du Luxembourg mérite sans doute d'être envisagée, d'autant plus que ces deux pays disposent d'une expérience et d'une pratique de la fiducie importante. Il sera donc intéressant d'examiner l'utilisation de la fiducie par ces deux pays, et les applications correspondantes en France. Toutefois, il convient auparavant de vérifier si la fiducie est entendue de la même façon dans ces trois pays. Nous étudierons donc dans un premier temps, au moyen d'une présentation du contrat de fiducie, les caractèristiques principales de ce contrat (Chapitre I). Ainsi, il sera possible de déterminer dans quelle mesure l'introduction de la fiducie en France est souhaitable. Il conviendra en conséquence de s'attarder dans un deuxième temps sur les applications du contrat de fiducie (Chapitre II).


CHAPITRE I. PRESENTATION DU CONTRAT DE FIDUCIE


Conformément à la tradition romano-germanique, la fiducie s'inscrit dans un cadre contractuel. Son mécanisme est simple d'apparence, il s'agit d'un transfert temporaire de propriété, à une fin déterminée. Ce transfert s'opère dans une relation à trois personnes : le fiduciant, appelé constituant dans le projet de loi français, transmet à titre fiduciaire des biens à un fiduciaire, au profit d'un bénéficiaire. Cette relation est donc contractuelle pour le fiduciant et le fiduciaire, en principe, le bénéficiaire n'est pas partie au contrat. Pourtant la fiducie demeure une institution ambigüe. Si le fiduciaire apparaît comme un mandataire, il reçoit cependant la propriété des biens confiés. Ce transfert est temporaire, les biens sortent du patrimoine du fiduciant, mais ils n'entrent pas totalement dans celui du fiduciaire, car il doit les retransférer. Ses prérogatives sont donc limitées par des obligations, dont celle correspondant à la finalité de l'opération, c'est-à-dire, soit l'obligation de gérer, soit l'obligation de conserver le bien transmis. Ce transfert est ainsi doublé d'une activité de service.

Il apparaît par conséquent que ce contrat présente deux "obligations fondamentales' 11 , l'obligation de transférer la propriété du fiduciant ou du constituant, et l'obligation pour le fiduciaire de rétrocéder la propriété après avoir effectuer sa mission. Il convient alors de rechercher si l'on retrouve ces deux caractèristiques dans la fiducie, telle qu'elle existe en Allemagne, au Luxembourg et en France dans le projet de loi. Nous étudierons donc successivement ces deux caractéristiques qui font de ce contrat dans le même temps, un contrat opérant un transfert de propriété et un contrat de service. Par la suite, il faudra examiner les effets de ces caractéristiques, afin de percevoir le plus complétement possible les éléments communs du contrat de fiducie.

SECTION I. Les éléments caractéristiques du contrat de fiducie

Le contrat de fiducie est un contrat synallagmatique qui opère en premier lieu, un transfert temporaire de propriété (I). Ce transfert a lieu en début d'opération et permet de constituer l'actif fiduciaire. En contrepartie, le fiduciaire est chargé d'accomplir une certaine mission (II), à l'issue de laquelle il doit restituer les biens transférés ou les transmettre à un tiers.

§-I. Un contrat opérant un transfert temporaire de propriété

La constitution de l'actif fiduciaire est logiquement réalisée en début d'opération. Le contrat, afin de permettre la formation de cet actif, est en principe translatif de propriété. Avant d'observer la réalisation de ce transfert de propriété (B), il convient d'en étudier le cadre contractuel (A).

A. L'organisation contractuelle du transfert de propriété

Si la fiducie est le plus souvent considérée comme une opération à trois personnes, seules deux d'entre elles sont parties au contrat, le fiduciant et le fiduciaire. On avance généralement comme argument l'impossibilité de contracter avec soi-même pour rejeter la possibilité pour le constituant d'être également fiduciaire 12 . Le bénéficiaire n'est pas partie au contrat, il est dans une position semblable au tiers bénéficiaire d'une stipulation pour autrui 13 .

1. Le contrat

Le contrat est toujours le fondement de l'opération (a). En revanche, son contenu et son organisation ne sont pas identiques selon les pays envisagés (b).

a). Le fondement de l'opération

Le fondement du mécanisme fiduciaire est toujours contractuel , à l'exception du domaine des libéralités. La fiducie "testamentaire' emprunte en partie le régime propre à ce domaine et est soustraite à la force obligatoire des contrats 14 . A la différence du trust anglo-saxon, il est logique de constater que la fiducie ne peut pas résulter d'une décision de justice.

Ces réserves évoquées, la source de la fiducie est donc dans chaque pays examiné, le contrat. Cependant quelques précautions à l'égard de cette notion ne sont pas inutiles. Le Grand duché de Luxembourg est encore un pays d'influence Napoléonienne, même après une courte période d'influence Allemande pendant la deuxième guerre mondiale. Le contrat est ainsi entendu de la même manière qu'en France. Concernant le droit allemand, une grande importance est attachée à l'acte unilatéral 15 . Mais une déclaration unilatérale de volonté est insuffisante pour constituer une Treuhand. Entre vifs elle ne peut être instituée que par contrat, la seule volonté du fiduciant de créer un rapport de fiducie n'est pas suffisante. En matière de libéralité la solution est différente, cependant, l'exécuteur testamentaire allemand doit accepter ses fonctions 16 . L'intention du fiduciant doit être librement exprimée et correspondre à sa volonté réelle.

Le contrat est en principe translatif de droit. Il réalise et [ou] organise le transfert de propriété. Ce transfert opéré au profit du fiduciaire "présente la particularité de ne pas s'insérer dans une des techniques translatives réglementées par le Code civil" 17 . Au Grand duché de Luxembourg, il existe depuis 1983, une technique translative de droit réglementé donc un contrat nommé. En France il est possible de parler de contrat presque nommé, du fait du projet de loi.

* Le contrat du Code Napoléon translatif de droits réels est composé d'un seul acte, avec effet immédiat 18 , de même en droit luxembourgeois 19 . Le transfert du droit de propriété est instantané (art. 1138 C.civ.).

* En droit allemand le contrat translatif de droit réel se compose de deux actes distincts, un acte créateur d'obligation "Verpflichtungsgeschäfte' et un acte translatif de droit Verfügungsgeschäfte ces deux actes sont considérés comme indépendants, abstraits 20 , la nullité de l'un n'entraîne pas systématiquement la nullité de l'autre. Il s'agit de la conséquence la plus évidente du principe d'abstraction (Abstraktionsprinzip) 21 . Le contrat fiduciaire allemand se compose de même de deux actes distincts ; l'acte fiduciaire créateur d'obligations et l'acte translatif de propriété des biens 22 . Si le contrat fiduciaire allemand se compose de deux actes distincts, à la manière du contrat de vente, ils sont cependant d'une dépendance plus étroite.

b). Le cadre du contrat

Il y a une disparité importante entre les droits français, allemand et luxembourgeois, puisque l'organisation du contrat de fiducie n'est pas la même dans ces trois pays. Si l'Allemagne a développé la fiducie à partir des travaux de la doctrine et de la jurisprudence, il a fallu attendre au Grand-Duché de Luxembourg, l'adoption d'un texte en 1983. En France, le texte préparant l'introduction de la fiducie n'a toujours pas été adopté.

* Il y a donc au Grand duché de Luxembourg , depuis l'entrée en vigueur du règlement du grand-ducal du 19 juillet 1983 23 , un contrat nommé. Elaboré par la Commission pour l'Amélioration de l'Infrastructure Législative de la place financière de Luxembourg, la particularité de ce contrat est d'être réservé aux établissements de crédit, qui peuvent seuls être fiduciaires. Cette limitation du règlement grand-ducal n'exclut pas que la fiducie soit pratiquée en dehors du champ d'application de ce règlement. Cependant, si la jurisprudence luxembourgeoise a déjà reconnu l'existence de la fiducie en dehors du règlement grand-ducal 24 , cette pratique est semble-t-il hasardeuse, le contrat est susceptible de dégénérer en simple mandat.

* En France , un projet de loi, déposé le 20 février 1992 à l'Assemblée Nationale, organise également un cadre légal. Le projet est divisée en deux chapitres, dont un contenant les dispositions générale devant s'insérer dans le Code civil. La place que doit prendre ces nouvelles dispositions se situe entre le dernier titre relatif aux contrats spéciaux et le premier titre consacré aux sûretés. Il s'agit d'un "signe opportun de la double vocation de l'institution : instrument de gestion et de sûreté" 25 . La fiducie française telle qu'elle est présentée, est plus ambitieuse que la fiducie luxembourgeoise de par sa généralité. Il s'agit d'un des seuls exemples européens de réglementation générale du mécanisme fiduciaire 26 . Il n'existe pas, semble-t-il, d'équivalent dans les autres pays d'Europe continentale et notamment en Allemagne. Mais pour des raisons fiscales, ce projet n'a toujours pas été adopté. Toutefois, il existe des mécanismes fiduciaires que l'ont rencontre ponctuellement en pratique et que la doctrine française a révélé 27 .

* En Allemagne , il n'existe pas de réglementation générale concernant la Treuhand. Plusieurs formes de Treuhand peuvent exister et parmis les institutions basées sur des rapports fiduciaires seules quelques unes font l'objet d'une réglementation par le législateur 28 . L'énumération exhaustive est fastidieuse, d'autant plus que le développement de la fiducie en Allemagne est ancien, et qu'il recouvre des concepts plus ou moins larges de la fiducie 29 . La notion de "Treuhand' est de fait, beaucoup plus vague et imprécise que celle de fiducie, telle qu'elle est connue notamment au Luxembourg et en France. Monsieur Dieter LIEBICH 30 relève l'existence d'une centaine de textes législatifs ou réglementaires qui mentionnent le Treuhänder sans en donner une définition 31 .

Il existe également des formes de Treuhand créées par contrat "Rechtsgeschäftliche Treuhandverhältnisse'. Le droit allemand connaît en effet plusieurs types de contrats de fiducie, développés par la doctrine et consacrés par la jurisprudence. La théorie du fiduziarisches Rechtsgeschäft a servi à valider certains actes, notamment les transferts de propriété à titre de sûreté. Cette théorie trouve son origine dans la fiducia du droit romain (la doctrine et la jurisprudence du XIXe siècle ont eu très souvent recours au droit romain pour suppléer les lacunes des droits régionaux et unifier ces droits). Le fiduziarisches Rechtsgeschäft a pour effet le transfert de la propriété du Treugut (les biens mis en fiducie) au Treuhänder (le fiduciaire), dont les pouvoirs sont définis par le Treuhandvertrag (le contrat fiduciaire). Le fiduciaire exerce ses nouveaux droits conformément au pacte fiduciaire et rétrocède ses droits en fin de contrat 32 . La fiduziarische Treuhand se compose de deux actes distincts, un premier acte créateur d'obligations notamment à la charge du nouveau titulaire ; la Treuhandabrede ou Pactum fiduciae. Il est accompagné d'un deuxième acte qui a pour effet de transférer des droits patrimoniaux au fiduciaire. Il faut également mentionner la deutscherechtliche Treuhand, développée surtout par Monsieur Alfred SCHULTZE, qui repose sur l'ancien droit germanique 33 . Peu utilisée, elle consiste en un transfert de propriété du Treugut au Treuhänder, mais ce transfert est effectué sous condition résolutoire. De même l'Ermächtigungstreuhand, qui sans opérer un transfert de propriété, confère au Treuhänder des droits si étendus que sa position vis-à-vis des tiers peut être assimilée à celle d'un propriétaire 34 . La fiduziarische Treuhand, opérant seule un transfert de propriété sans condition, sera donc comparée avec le contrat fiduciaire luxembourgeois et la fiducie française, car elle correspond à ces deux derniers exemples de fiducie.

Dès à présent, il est possible de constater de profondes disparités dans le choix du cadre fiduciaire. Ces disparités, si elles n'atteignent pas la substance même de la fiducie, illustrent cependant les approches juridiques propres à chaque pays. Le texte luxembourgeois est un texte spécial, non intégré dans le Code civil, comme l'est normalement le projet français. Le réglement grand-ducal se compose juste de cinq articles et ne contient aucune disposition modificative ou abrogatoire, ni aucune disposition fiscale. Il a en effet été jugé que les textes fiscaux en vigueur, d'origine allemande, suffisaient. A l'opposé, le projet français semble plus complet, mais à défaut d'introduction, la fiducie française paraît plus proche de la fiducie allemande, en raison de son développement par des voies détournées et multiples.

La fiducie, conformément à la tradition française et romano-germanique, procède du contrat, avec le cas particulier de la fiducie-libéralité. Elle se coule parfois dans les cadres du droit commun, mais le contrat de fiducie n'est pas assimilable à un contrat de vente. La fiducie est désormais un contrat nommé ou quasi-nommé, et dispose d'une spécialité reconnue. La convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance, ne prend pas parti sur la nécessité ou non d'un contrat. Cependant elle limite dans son article 2 le champ d'application au trust volontaire, elle qualifie avec pragmatisme le trust de relations juridiques créées par une personne le constituant - par acte entre vifs ou à cause de mort - [...]. L'art. 20 réserve toutefois aux Etats signataires une faculté d'extension au trust créés par décision de justice.

2. la forme du contrat

Le contrat de fiducie est contrat consensuel, il n'existe normalement aucun cas de fiducie implicite, constatée par voie judiciaire.

* L'article premier du règlement grand-ducal dispose que Le règlement ne s'applique qu'aux contrats fiduciaires expressément soumis à son application par les parties.... Cette exigence formelle destinée à éviter une recherche toujours difficile et aléatoire de la volonté des parties 35 , n'est pas une solennité. Exceptée cette référence ou mention expresse, la forme est en principe libre.

* En Allemagne , il n'y a pas de réglementation unique de la forme de la Treuhand. Entre vif, elle prend la forme d'un contrat qui peut être un mandat, une stipulation pour autrui ou un contrat synallagmatique lorsque le fiduciaire est rémunéré. Il n'est pas nécessaire que le mot Treuhand figure dans le contrat, il suffit que le caractère fiduciaire résulte du contenu. La forme est en principe libre. Dans quelques hypothèses, des formalités supplémentaires sont cependant requises, notamment dans le cas de transfert de la propriété d'un immeuble 36 . La forme notariée est en effet utilisée pour les contrats dans lesquels une partie s'engage à transférer la propriété d'un immeuble. On retrouve cette formalité authentifiée en France et au Luxembourg.

* En France , mise à part la fiducie libéralité, la règle est incertaine. Il faut se référer au projet d'article 2063 du Code civil. Selon cet article, la fiducie doit comporter un certain nombre de mentions et doit être expresse. Il semblerait qu'elle soit plutôt soumise à la formalité écrite, dite ad probationem 37 . Une chose est certaine, la fiducie ne se présume pas, elle doit être expresse. Un juge, par exemple français, ne pourrait pas créer de fiducie pour protéger les droits d'un héritier mineur ou incapable.

Aussi bien en France, qu'en Allemagne ou au Luxembourg, la fiducie est, semble-t-il, un contrat consensuel, soit organisé par la loi, soit par la jurisprudence et la doctrine. Elle est de plus un contrat translatif de propriété fiduciaire.

B. La réalisation du transfert de propriété

La réalisation s'opère par un transfert de propriété, au profit du fiduciaire (1). Toutefois, l'auteur du transfert n'est pas toujours le fiduciant (2).

1. Le transfert de propriété

A première vue, la fiducie consiste en un transfert de propriété, ce critère est déterminant. Il faut en effet, en début d'opération, un transfert au profit du fiduciaire. Outre qu'il permet d'écarter nombres d'institutions proches, notamment en droit allemand (Vollmachtstreuhand ou unechte Treuhand, qui n'est qu'un mandat dont l'irrévocabilité renforce les droits du mandataire et le rapproche ainsi de la Treuhand 38 ), il interdit de se constituer fiduciaire sur ses propres biens.

Par le contrat de fiducie, le fiduciaire devient pleinement propriétaire 39 . Il acquiert la pleine titularité des droits transmis. S'il transmet par la suite ces droits à un tiers, même à titre gratuit, celui-ci sera à son tour pleinement propriétaire. En conséquence, le fiduciant et le bénéficiaire ne bénéficient que de droits de nature personnelle, sous la forme d'une créance de restitution.

* Nonosbtant le contenu des travaux parlementaires tant français que luxembourgeois , la réalité de ce transfert de propriété est difficilement admise par la doctrine. Celle-ci éprouve quelques difficultés à s'accommoder à l'idée de propriété ad tempus. Dans le règlement grand-ducal et l'avant projet de loi français, le mot propriété ne figure pas. Les rédacteurs de ces textes, en dépit de l'affirmation de l'exposé des motifs et le contenu des travaux parlementaire, se sont en effet plus volontiers accordés sur des termes, certes ambigus, mais plus consensuels. Le règlement grand-ducal dispose en son article 2 que "le fiduciaire sera rendu titulaire de droits patrimoniaux" et l'avant projet de loi français que le "constituant transfert tout ou partie de ses biens et droits", art. 2062 C. civ. D'autre part, ce transfert de droit(s) réel(s) aboutit à une propriété d'une nature particulière 40 . Elle est caractérisée par un paradoxe existant entre l'étendue théorique de ses attributs, transférée au fiduciaire, et la réalité pratique des prérogatives conférés à ce dernier 41 . De plus ce n'est pas une ""propriété-actif' (le fiduciaire ne reçoit rien à l'actif de son patrimoine), mais seulement une "propriété-fonction' (il reçoit les pouvoirs aptes à assurer sa mission" 42 . Quelles que soient les contestations, et même s'il faut parler de propriété fiduciaire par opposition à la propriété ordinaire, il y a transfert de propriété 43 et non pas démembrement sui generis du droit de propriété 44 .

* En droit allemand , le fiduciaire est en principe, pleinement propriétaire du bien cédé. Le fiduciant/bénéficiaire n'a qu'un droit personnel à la restitution. Le pacte fiduciaire constitue un titre d'acquisition, le transfert matériel et effectif des avoirs et des biens du fiduciant constitue l'acte de disposition au profit du fiduciaire. Une aliénation par celui-ci serait valable et le fiduciant/bénéficiaire ne serait pas protégé, sauf le cas de collusion frauduleuse avec le tiers acquéreur 45 . Ce principe doit cependant être nuancé en cas de mesure d'exécution ou de procédure collective du fiduciant ou du fiduciaire 46 , dû à l'application du principe de substitution. A priori, le transfert de propriété à titre fiduciaire soulève peu de difficultés d'ordre thèorique. Sous l'impulsion des développements de la doctrine, la cession fiduciaire a été reconnue rapidement par la jurisprudence, particuliérement dans le cadre de la cession à titre de garantie. La distinction opérée entre les actes obligatoires et les actes translatifs a en effet permis de valider la réalité de ce transfert. Les magistrats ont décidé dans un premier temps que les conventions de vente, à titre de garantie, étaient simulées. Ils ont cependant considéré, dans un deuxième temps, que le transfert de propriété opéré par l'acte de disposition était valable, car réellement voulu par les parties 47 .

Si les droits germaniques et d'influences germaniques ne semblent pas trop troublés par ce transfert de propriété 48 , la difficulté demeure, semble-t-il au Luxembourg et particulièrement en France, où une affirmation aussi nette que celle du Code des Obligations suisse, n'existe pas. Il est vrai que la France tient une place particulière par la controverse soulevée, notamment parce qu'elle est à l'origine du développement de cette conception moderne et unitaire du droit de propriété. A tel point que l'on pu dire qu'il n'y avait pas transfert de propriété, mais transfert de nature nouvelle 49 . Ces considérations doctrinales, que l'on ne retrouve pas avec la même force en Allemagne, sont parfois d'une grande ampleur. Toutefois, elles ne doivent pas masquer la réalité du dépouillement du fiduciant. Il y a transfert de propriété, ce droit transmis est seulement limité dans son exercice et non dans sa nature 50 .

Le critère de distinction entre les actes soumis au droit et ceux qui ne le sont pas n'est plus le formalisme, comme en droit romain, mais le simple échange de volonté dotée d'une cause licite et morale. Concernant les actes translatifs de droits réels, le transfert a lieu dès l'échange des consentements, solo consensu. Par la conclusion du contrat fiduciaire, le constituant transfère les droits et les choses mobilières au fiduciaire, celui-ci en devient titulaire et propriétaire (avec cependant l'obligation d'exercer ces droits uniquement pour le compte du fiduciant/bénéficiaire et dans les limites de la convention de fiducie). Ce transfert doit être sérieusement voulu, sous risque de constituer un acte simulé.

2. L'auteur du transfert

Plusieurs solutions peuvent être envisagées quant à l'auteur du transfert, soit il est le fiduciant lui-même (a), soit il peut s'agir d'un tiers (b). Parce qu'il y a transfert nul ne peut se constituer fiduciaire sur ses propres biens, le cumul des qualités est donc exclu.

a). Le fiduciant, auteur du transfert

* Concernant la fiducie française , le projet d'art. 2062 du C. civ. dispose qu'il faut un transfert du constituant au fiduciaire. Il est donc exclu qu'un fiduciaire s'engage envers un constituant à acquérir un bien d'autrui, à le gérer, puis à le lui transférer au bout d'un certain temps. "Certes le fiduciaire acquerrait un droit, mais d'un tiers' 51 . Ce critère est trop restrictif, notamment en ce qui concerne les conventions de portage 52 .

* Le règlement grand-ducal est de ce point de vue plus souple, puisqu'il dispose que "[...] le fiduciaire sera rendu titulaire de droits patrimoniaux' (article 2). Le règlement permet donc au fiduciaire de recevoir les biens fiduciaires d'un tiers.

b). Le tiers, auteur du transfert

* En droit allemand , il est admis par la jurisprudence et la doctrine, que le fiduciaire peut acquérir le Treugut d'une autre personne que le fiduciant 53 . A défaut de réglementation du contrat par le législateur, le contrat est régi, en application et par analogie par les textes relatifs au mandat 54 . Il n'y a donc pas de restrictions légales semblables au projet de loi français dans sa rédaction actuelle.

Il serait tentant de penser que le seul intérêt de savoir s'il faut un transfert du fiduciant au fiduciaire, est un critère permettant la détermination du régime juridique d'opérations telles les conventions de portage. Cependant, en droit allemand, il existe un autre intérêt, développé par la jurisprudence, qui a pour effet de limiter le droit de revendication du bénéficiaire (Treugeber). Cette restriction est la conséquence du principe du transfert direct du Treugut du Treugeber au Treuhänder. Seuls les biens transférés directement du patrimoine du Treugeber dans celui du Treuhänder peuvent être revendiqués 55 par le Treugeber. A l'inverse, tout ce que Treuhänder a pu acquérir des tiers, même avec des fonds confiés par le fiduciant, ne pourra être revendiqué par le bénéficiaire. L'acquisition par le Treuhänder auprès de tiers est par conséquent tout à fait concevable dans le cadre jurisprudentiel et doctrinal de la Treuhand. Mais elle a pour effet de modifier l'étendue des droits du fiduciant, en phase d'exécution de la convention.

En droit français, si le fiduciaire avait la possibilité d'acquérir un bien d'autrui (comme en droit allemand dans le cadre de cette possibilité effective), le contrat de fiducie n'aurait plus exactement le même contenu. Il n'aurait alors pas d'effet translatif et n'engendrerait donc pas d'obligation de transférer la propriété (si courte fut-elle dans son existence). S'agirait-il d'un contrat sans obligation de transférer la propriété, la réponse n'est pas certaine, car ce même contrat organise (normalement) la liquidation de l'actif fiduciaire, c'est-à-dire la rétrocession de cet actif 56 . Il est par contre intéressant de remarquer que dans cette situation, mutatis mutandis, la convention fiduciaire française sera presque semblable à la convention de droit allemand. Elle comprendra un premier contrat générateur d'obligation et un deuxième acte postérieur translatif de droit.

Ces différentes modalités d'acquisitions ne modifient pas les traits fondamentaux de la fiducie. Le premier trait essentiel est le transfert de propriété au fiduciaire, et non pas les modalités de ce même transfert.

3. L'objet du transfert

L'opération fiduciaire présente la caractéristique d'organiser le transfert de droit au profit d'un cocontractant sans contrepartie. Il n'y a pas de prix en contrepartie de l'acquisition par le fiduciaire de l'objet du contrat fiduciaire. Si un prix est stipulé dans ce même contrat, il le sera au profit du fiduciaire, en contrepartie du service qu'il s'engage à rendre au fiduciant. Le contrat de fiducie est d'ailleurs synallagmatique, en raison de ce service rendu par le fiduciaire.

* En droit français , le projet d'article 2062 précise "tout ou partie de ses biens et droits". Certains auteurs critiquent le choix d'une telle formule 57 . D'autres lui trouve l'avantage d'insister sur le caractère translatif du contrat de fiducie 58 .

* Le règlement grand-ducal est de ce point de vue plus cohérent, car il emploie le terme de "droits patrimoniaux'. La doctrine s'accorde cependant pour dire qu'il peut s'agir aussi bien des biens corporels qu'incorporels.

* En Allemagne , tout bien ou droit susceptible d'être aliéné peut être Treugut. Ils doivent être déterminés dans le pactum fiduciae.

Dans le domaine bancaire, l'objet du contrat se compose fréquemment de créances, de titres ou valeurs mobilières, il peut s'agir également de biens corporels : métaux précieux, tout bien corporel dans le cadre de la fiducie sûreté. Ces biens constituent l'actif fiduciaire. Comme les règles applicables à tous les contrats du Code napoléon (art. 1128 et 1131 et s. C. civ.) ou les actes juridiques (§ 134 BGB "Tout acte juridique qui contrevient à une interdiction légale est nul lorsque la loi n'en dispose pas autrement" 59 ), l'objet ne doit pas être illicite ni immoral, comme par exemple lorsqu'il est la cause d'une fraude aux droits des créanciers du fiduciant, ou d'une fraude à des dispositions légales impératives.

L'opération de fiducie réalise ou permet de réaliser un transfert de propriété, d'une nature certes un peu particulière. La source de ce transfert est la convention fiduciaire. Celle-ci réalise donc soit elle-même ce transfert de droit réel, soit elle est la cause de ce transfert.

Il devient presque convenu d'évoquer, lors de la présentation des caractéristiques de la fiducie, la controverse relative au démembrement du droit de propriété. Selon une opinion répandue, le droit de propriété se dédoublerait en une propriété de la valeur ou "propriété juridique" transmise au fiduciaire et une propriété utile ou "propriété économique" que conserverait le fiduciant 60 . Cette dissociation a été avancée, notamment en France, comme un obstacle à la fiducie, par l'impossibilité de la création d'un nouveau droit réel. Ces arguments ont été réfutés par la doctrine contemporaine, aucun droit réel innomé ne serait créé, ni aucun démembrement sui generis du bien opéré 61 . De même quant à l'intérêt d'un éventuel démembrement de la propriété, il a été démontré son peu d'utilité 62 . On pourrait cependant regretter que ces considérations concernent le plus souvent le cas des sûretés et notamment, pour ce qui nous concerne de la fiducie-sûreté. Dans le cadre de la fiducie-gestion l'intérêt d'un démembrement mérite peut être une réflexion plus approfondie, sans doute parce qu' "[il] n'est pas exclu que dans un avenir plus ou moins lointain, la fiducie emprunte progressivement certains traits caractéristiques du trust, par contagion des trust contitués dans les pays de Common Law et dont la reconnaissance sera facilitée après la ratification par la France de la convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance" 63 .

Ainsi, le droit de propriété est transféré, mais il est seulement limité dans son exercice et non pas dans sa nature. Il est affecté à un but précis, pour cette raison il a un caractère temporaire. Ce qui est en effet attendu du contrat de fiducie, c'est l'accomplissement d'une certaine mission, c'est-à-dire une activité de service.

§-II. Un contrat de service

C'est l'originalité de ce mécanisme, puisqu'il regroupe au sein d'un même contrat, un transfert de propriété et une activité de service. Cette particularité qui participe de l'essence de la fiducie, vient du droit romain. La fiducia se présentait alors comme un transfert volontaire et solennel de propriété (mancipatio) auquel était adjoint un pacte (pactum fiduciae). Ce pacte déterminait les conditions dans lesquelles le bien devait être retransféré. C'est donc par l'association, au sein d'une même opération juridique, d'un transfert de propriété et d'un pacte contenant différentes obligations dont celles de retransférer la propriété, que l'on peut reconnaître le mécanisme fiduciaire. "C'est ce pacte qui donne le sens et, pour ainsi dire, la clé de l'opération" 64 . Il détermine la finalité de l'opération, la raison temporaire du transfert de propriété.

Ainsi, les stipulations qui résultent du pacte fiduciaire et qui constituent le fondement premier des relations contractuelles entre les parties, déterminent librement le but assigné à ce transfert. Cette faculté était à Rome principalement utilisée à fin de gestion (fiducia cum amico) et à fin de garantie (fiducia cum creditore). Introduite dans le champ contractuel, les possibilités d'utilisation sont désormais au service de l'imagination la plus fertile. Toutefois l'ordre publique et les bonnes moeurs sont toujours susceptibles de venir tempérer les excès possible de l'imagination humaine. Si en pratique les pourparlers se limitent en règle générale à la détermination du but à atteindre (mission), des applications originales ne sont pas exclues. Le plus souvent cependant, le but correspond aux finalités les plus classiques de la fiducie, savoir la fiducie-gestion et la fiducie-sûreté. Pour le reste, le fiduciant ne fait qu'accepter des clauses contractuelles préétablies. Mais comme il a été remarquée, on rencontre dans la pratique, du fait de la neutralité du transfert que seul "colore' la mission du fiduciaire 65 , des applications très diverses et parfois très surprenantes.

Ce but du transfert est décrit par le pactum fiduciae. Celui-ci précise à la fois les pouvoirs du fiduciaire, la durée du contrat, détermine le bénéficiaire, mais surtout il fixe pour le fiduciaire la charge "d'agir dans un but déterminé', selon les termes de l'article 2062 C. civ. On ne retrouve pas une telle mention dans le règlement grand-ducal luxembourgeois, mais sa nécessité est certaine, notamment parce qu'elle constitue le passif fiduciaire 66 . De même en droit allemand, la Treuhand n'est pas constituée en faveur d'une ou plusieurs personnes mais d'abord pour réaliser un certain but 67 .

La mission du fiduciaire caractérise la propriété transférée (on parle de propriété finalisée) et révèle l'opération que les parties ont en vue (A). Elle détermine dans le même temps les obligations nécessaires à la bonne exécution de cette mission (B).

A. Nature de la mission

La nécessité d'agir dans un but déterminé ne fait pas de doute, elle constitue un élément caractéristique du contrat de fiducie. A défaut, il s'agirait d'un contrat d'une autre nature. Le projet de loi français précise d'ailleurs que la définition de la mission du fiduciaire doit figurer à peine de nullité dans le contrat fiduciaire (art. 2063-2 C.civ.). De plus, la seule obligation de restitution de l'actif fiduciaire ne peut semble-t-il, constituer pleinement cette activité de service. Il deviendrait en effet alors difficile de distinguer le contrat d'un simple contrat de prêt 68 . De plus l'absence de cette obligation de restitution ou de transmettre à un tiers ferait entrer les biens fiduciaires dans le patrimoine du fiduciaire, avec le risque d'une confusion de patrimoine 69 . Ni le projet de loi français ni le règlement grand-ducal ne sont explicites à propos de ce but assigné à l'action du fiduciaire. L'article 2062 C.civ. dispose seulement que celui-ci doit "agir dans un but déterminé(...)conformément aux stipulations du contrat". Une telle rédaction est de nature à promettre les applications les plus diverses 70 . Le projet français distingue simplement selon la personne du bénéficiaire.

On distingue traditionnellement deux types de mission ; la gestion des biens mis en fiducie au profit du fiduciant ou d'un bénéficiaire, et dans le cadre de la fiducie-sûreté, la restitution éventuelle du bien au débiteur libéré ou au fiduciant. La fiducie peut cependant recouvrir bien d'autres fonctions, notamment, libéralité, transmission, crédit.

1. La fiducie à fin de gestion

Dans le cadre de la fiducie à fin de gestion, le transfert de propriété est modulé et finalisé par la mission confiée au fiduciaire de gérer dans l'intérêt du bénéficiaire. On peut regrouper dans ce type de fiducie les fiducie-libéraltés et les fiducies à fin de crédit.

* La fiducie gestion se présente comme la forme la plus simple du mécanisme fiduciaire. En droit allemand elle porte le nom de "Verwaltungstreuhand'. Le fiduciaire reçoit en propriété des biens qu'il se charge de gérer pour le compte soit du fiduciant, soit d'un tiers bénéficiaire. C'est le service qu'il devra effectué. Ce service comprend en fin de mission la restitution de l'actif fiduciaire géré au fiduciant. Dans la fiducie gestion, le fiduciaire peut d'autre part servir d'intermédiaire dans une transmission à titre onéreux. La restitution de l'actif fiduciaire prendra alors la forme d'une transmission au profit d'un tiers bénéficiaire. Si ce tiers n'est pas partie au contrat, la convention est assimilée à une stipulation pour autrui. En droit allemand, il est appliqué, par analogie, les § 328 et suivant du BGB 71 . De même, en droit français, le bénéficiaire est dans la position d'un tiers bénéficiaire d'une stipulation pour autrui. S'il est bénéficiaire acceptant, il acquerra un droit définitif et direct contre le fiduciaire promettant. 72

Cependant, la mission du fiduciaire sera irréductiblement la gestion, puis la transmission, des biens fiduciaires. Toutefois la transmission à un tiers bénéficiaire se conçoit plus aisément dans le cadre d'une fiducie-libéralité.

* La fiducie libéralité se présente comme un transfert du disposant (fiduciant) au fiduciaire, à charge pour celui-ci de transférer au bout d'un certain temps les biens fiduciaires au gratifié. Le disposant n'investit donc pas directement le gratifié de la propriété des biens qui composent la libéralité. Il préfére dans cette hypothèse, les céder au préalable à un tiers qui sera chargé de les gérer au profit du gratifié. En fin de mission il les transférera à ce dernier 73 . Il y a bien une double cession de biens, accompagnée d'un service. Cependant les fiducies de ce type sont soumis à un régime bien particulier, celui des libéralités qui déborde largement le domaine contractuel 74

* La fiducie à fin de crédit est une modalité de la fiducie gestion. Cependant dans le cadre de la pratique de cette forme de fiducie, la distinction de GAIUS s'obscurcit, car cette technique mêle les deux finalités distinguées par ce jurisconsulte romain. La fiducie à fin de crédit se présente dans sa forme la plus simple comme le transfert d'un actif au fiduciaire, afin que celui-ci utilise cet actif fiduciaire à fin de prêt au profit d'un tiers ou non désigné pour le fiduciant 75 . Le crédit accordé au bénéficiaire du prêt est financé par le moyen du contrat fiduciaire. Le fiduciaire gère un actif au profit du fiduciant, en même temps qu'il garantit un prêt par le moyen de cet actif fiduciaire.

Si la fiducie-gestion peut s'effectuer au profit soit du fiduciant, soit d'un tiers bénéficiaire, elle peut également être réalisée au profit des deux, c'est-à-dire au profit de plusieurs personnes. En revanche, elle ne peut jamais s'effectuer, dans aucun des pays étudiés, au profit du fiduciaire 76 . Il y a en effet peu d'intérêt et de sens à ce que celui-ci gère des actifs à titre fiduciaire pour son seul profit. Une telle mission se conçoit plus facilement dans le cadre de la fiducie-sûreté.

2. La fiducie sûreté

Ce n'est en effet que dans le cadre de la fiducie-sûreté que le fiduciaire ou le Treuhänder peut être le bénéficiaire du contrat fiduciaire. L'aliénation fiduciaire à titre de sûreté est fort ancienne et constitue de nos jours "une redécouverte de la fiducia cum creditore du droit romain, forme primitive des garanties réelles" 77 . La fiducie-sûreté se présente comme un contrat par lequel un débiteur transfère à son créancier la propriété d'un bien afin de garantir le paiement de sa dette. Le débiteur est le fiduciant et le créancier est fiduciaire. Il est cependant possible d'envisager le cas où l'aliénateur fiduciaire n'est pas le débiteur, mais un fiduciant désirant garantir la dette d'autrui 78 . Le fiduciaire peut également ne pas être le créancier de la dette garantie 79 . Quelques soient les hypothèses, le fiduciaire reçoit un bien à titre fiduciaire et il est chargé de le détenir en garantie d'une créance. Il est en outre, obligé par le contrat, en fin d'opération, de restituer ce bien mis en fiducie au bénéficiaire désigné. Il peut l'être lui-même dans l'hypothèse où il sera créancier ou ce peut être un tiers dans les autres hypothèses. Dans le premier cas, s'il y a non paiement de la dette, le transfert ne sera plus temporaire mais définitif. La mission du fiduciaire est dans ce cas une mission éventuelle de restitution 80 .

Cependant il convient de noter que l'utilisation de la propriété à titre de garantie ne prend pas toujours une forme fiduciaire. Il est d'ailleurs préférable de distinguer la forme fiduciaire avec d'autres formes pour éviter toute confusion. Tout d'abord il faut rappeler que la fiducie continentale (en dehors de l'hypothèse particulière des libéralités) procède d'un contrat spécial (et nommé) entre le fiduciant et le fiduciaire. Ce contrat organise un transfert de propriété au profit du fiduciaire. Ce transfert est limité dans son exercice par une série d'obligations à la charge du fiduciaire, notamment celle de retransférer la propriété en fin de contrat.. On peut en conséquence écarter toutes les garanties qui n'opère pas transfert de propriété à titre de sûreté, en début d'opération. Cette hypothèse se comprend facilement, il s'agit notamment des clauses de réserves de propriété. La propriété du bien n'est pas transmise, mais "réservée' par l'aliénateur. Cette clause est donc celle "par laquelle le transfert de propriété est suspendu, dans un but de garantie, à l'exécution de la prestation due en contrepartie" 81 . De plus le cadre de ce transfert "réservé' est un contrat de vente, ce que n'est pas le contrat de fiducie 82 . On peut encore exclure le cas où, s'il y a bien un transfert de bien, ce bien n'est pas ensuite rétrocédé en exécution d'une convention de fiducie, mais dans le cadre d'un contrat de vente avec réserve de propriété. Il y aura alors deux contrats distincts (deux ventes ou une vente et une promesse de vente) ou "une "symbiose' de techniques contractuelles traditionnelles" 83 , mais il n'y aura pas exécution d'un contrat fiduciaire. Il faut cependant remarquer que ces opérations sont souvent très proches sur le plan économique, ce qui à pour effet d'obscurcir la distinction dans l'ordre juridique 84 .

Le régime de la fiducie-sûreté est tout aussi délicat à mettre en oeuvre, notamment parce que le fiduciant n'a plus aucun droit de nature réelle sur le bien mis en fiducie et parce que la convention fiduciaire paraît être un moyen de frauder la prohibition des pactes commissoires et des clauses de voie parée 85 . On retrouve des risques similaires dans le cadre de la fiducie-gestion pour la même raison que le fiduciant a abandonné ses droits de nature réelle sur les biens fiduciaires. Pour cette raison, la mission du fiduciaire exige quelques garanties que la loi ou la jurisprudence et la doctrine a défini. Ces garanties prennent la forme d'obligations complémentaires à la charge du fiduciaire.

B. Les obligations du fiduciaire

Le fiduciaire doit exécuter sa mission et, celle-ci achevée, restituer ou transmettre les biens fiduciaires. Si le fiduciaire dispose des mêmes droits qu'un propriétaire ordinaire, il doit les utiliser à une fin qui ne lui est pas personnelle. Il ne doit donc pas abuser des droits qui lui sont confiés, notamment en dépassant ses pouvoirs de disposition ou en les exerçant dan son propre intérêt. Le contrat oblige donc le fiduciaire à exécuter fidèlement et personnellement sa mission (1). Ce ne sont pas les obligations du fiduciaire, mais elles sont exactement représentatives de la nature du contrat de fiducie et de la finalité du transfert de propriété. D'autant plus que figure parmis ces obligations celle de restituer la propriété au fiduciant ou tout autre bénéficiaire (2).

1. Les obligations du fiduciaire pendant l'exécution du contrat

a). L'obligation d'exécuter fidèlement le contrat

Cette obligation est la traduction juridique de la confiance du fiduciant à l'égard du fiduciaire. Comme l'indique le nom même du contrat, la confiance est inhérente au contrat fiduciaire. Il n'est donc pas étonnant que le pactum fiduciae ait donné son nom à l'institution.

* En droit français , le projet d'article 2070-1 C. civ. est très explicite à ce propos puisqu'il dispose que "Le fiduciaire exerce sa mission dans le respect de la confiance du constituant". Le fiduciaire est donc obligé à une exécution loyale de sa mission déterminée par le contrat. Ainsi pour s'assurer de l'exécution loyale de la mission du fiduciaire, des qualités objectives de moralité et de compétence sont requises pour cette fonction par le projet de loi. Il faut cependant les déduire a contrario de l'article 2066 C. civ. Celui-ci énumère en effet les hypothèses dans lesquelles une personne perdrait sa qualité de fiduciaire.

* On retrouve en droit allemand , une même obligation générale et essentielle de fidélité et de loyauté, mais affirmée par la doctrine et la jurisprudence. Le Treuhänder doit exécuter fidèlement sa mission. Il a un devoir de loyauté (Treupflicht), c'est-à-dire qu'il doit exercer les droits qui lui sont transférés dans le seul intérêt des personnes qui lui sont indiquées 86 . Le Treuhandvertrag oblige effectivement le fiduciaire à remplir fidèlement sa mission pour le compte du Treugeber ou d'un tiers bénéficiaire 87 . En cas de pluralité de bénéficiaires, il exécutera sa mission avec toute la neutralité et l'objectivité nécessaire 88 . Même dans la fiducie-sûreté ou Sicherungstreuhand qui profite essentiellement au fiduciaire, celui-ci est obligé de sauvegarder les intérêts du constituant 89 .

* Le règlement grand-ducal ne contient pas une telle obligation. Il faut se référer au passif fiduciaire et à la façon dont les auteurs luxembourgeois l'explicitent pour trouver une telle obligation 90 . L'absence de mention expresse de cette obligation n'est cependant pas surprenante, car le contrat fiduciaire est réservé aux établissements de crédit, mais également parce que ces mêmes établissements sont soumis à un contrôle rigide 91 .

Le fiduciaire doit, afin d'exécuter fidèlement sa mission, tout d'abord se conformer aux instructions contenues dans le contrat fiduciaire. Mais l'obligation de loyauté et de fidélité déborde le strict cadre contractuel. Un changement de circonstances peut mettre le fiduciaire dans l'obligation de demander de nouvelles instructions au fiduciant, ou d'agir, en cas d'urgence, en dehors des instructions fixées dans le contrat ou reçues par le fiduciant. Dans cette hypothèse, les obligations du fiduciaire sont issues par application et par analogie des dispositions relatives au mandat. En droit luxembourgeois cette solution ne fait pas de doute, car le règlement grand-ducal se réfère expressément aux dispositions du mandat 92 . De même en droit allemand , où à défaut d'une réglementation du contrat de Treuhand, il fait application des règles relatives au mandat par analogie 93 . En droit français la solution est incertaine, même s'il serait avantageux de prendre pour modèle à cet égard le devoir de fidélité du mandataire, avec ses diverses conséquences 94 . En effet le projet de loi français ne fait aucun renvoi exprès aux dispositions relatives au mandat.

b). L'obligation d'exécuter personnellement le contrat

Outre une exécution loyale, le fiduciaire est obligé en principe à une exécution personnelle. Cette obligation d'exécuter personnellement sa mission se retrouve aussi bien en droit allemand, qu'en droit français et luxembourgeois.

Concernant le droit allemand , le Treuhänder doit assumer personnellement sa mission. S'il peut se faire aider par le moyen d'une délégation, il ne peut en revanche, sauf stipulation contraire, se substituer à une autre personne 95 . En droit luxembourgeois , la même solution doit être retenue, en application des dispositions relatives au mandat 96 . En droit français la solution est plus explicite, puisqu'elle résulte expressément du projet d'article 2067 C. civ. En revanche cet article est silencieux sur la possibilité de substitution. Ces obligations du fiduciaire traduisent parfaitement l'intuitus personae qui est le corollaire de la confiance accordée au fiduciaire.

2. L'obligation de restituer la propriété

Si le fiduciaire dispose de la propriété des biens mis en fiducie, il doit, par l'effet du contrat, restituer ces biens ou les transmettre à un tiers. C'est là une des particularités principales du contrat de fiducie. Si celui-ci organise un transfert de propriété au fiduciaire, cette propriété n'a pas vocation à être perpétuelle, mais temporaire. C'est en raison de ce caractère ad tempus, que l'on a pu non seulement douter de la réalité de ce transfert mais également parler de "faux transfert de propriété" 97 . La restitution s'effectue par le jeu d'une obligation de retransférer la propriété (a). Cette obligation est en principe complétée par des garanties au profit du fiduciaire (b).

a). L'obligation de restitution

Cette obligation participe de l'essence du mécanisme fiduciaire. Normalement contenue dans le contrat fiduciaire, elle doit se retrouver dans chaque opération, même à titre de sûreté. La jurisprudence allemande a d'ailleurs décidé qu'en l'absence de prévision contractuelle, cette obligation est présumée 98 . La rétrocession des biens mis en fiducie est donc effectuée en vertu d'une obligation mise à la charge du fiduciaire et contenue dans l'acte constitutif de la fiducie 99 . Dans le cas d'un transfert fiduciaire de propriété à fin de garantie, la propriété du bien sera rétrocédée lorsque la garantie n'aura plus lieu de jouer. Le transfert étant immédiat par la seule volonté des parties, le transfert des biens fiduciaires (ce transfert peut prendre la forme d'une cession de créance) s'effectuera de façon instantanée, au moment fixé dans le contrat de fiducie. Ce moment peut être déterminé ou déterminable, le transfert s'effectuera au profit soit du fiduciant, soit d'un tiers bénéficiaire.

* En droit français et luxembourgeois , l'obligation de restitution ne figure pas dans la définition de la fiducie donnée par le projet d'article 2062 C. civ., ni dans celle donnée par le règlement grand-ducal. La restitution n'apparaît qu'implicitement à travers deux textes pour le droit français ; l'article 2063-4 C. civ. qui exige que les conditions de restitution des biens figurent, sous peine de nullité, dans le contrat fiduciaire et l'article 2070-11 C. civ. qui envisage la restitution des biens et droits au constituant si le bénéficiaire a disparu. Il est possible de s'étonner de ce que le règlement grand-ducal ne mentionne pas cette obligation. Le Conseil d'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, avec le soutien de la Commission chargée d'étudier l'amélioration de l'infrastructure législative de la place financière de Luxembourg (C.A.I.L.), avait pourtant proposé de rendre obligatoire la restitution de l'actif fiduciaire 100 . Cet avis n'a pas été suivi pour ne pas provoquer des difficultés d'interprétation. Cette curieuse justification n'a d'ailleurs pas manqué de surprendre la doctrine luxembourgeoise.

* En droit allemand , la restitution s'effectuera en vertu de l'obligation " Rückübertragungspfilcht'(obligation de retransfert), par un acte de disposition seul, l'acte obligationnel étant la convention fiduciaire. La restitution des biens devra être effectuée selon les règles prescrites en matière de transfert de propriété, par exemple pour un immeuble, l'inscription du transfert au livre foncier.

Dans le cadre de la fiducie-sûreté, il peut y avoir absence éventuelle de retransfert des biens cédés à titre de garantie. En effet, en cas de non paiement de son obligation par le débiteur, le fiduciaire demeure propriétaire des biens cédés. La défaillance du débiteur a pour effet de libérer le fiduciaire de son obligation de retransférer les biens fiduciaires, soit parce que cette obligation est soumise à la condition suspensive du paiement, par le débiteur, de son obligation garantie, soit parce que le transfert initial est accompagné d'une condition résolutoire. Dans ce dernier cas, le non paiement, par le débiteur de son obligation garantie, empêche la condition de se réaliser. Le transfert ne sera alors pas résolu 101 .

Par le jeu de la subrogation réelle, de nouveaux biens fiduciaires peuvent remplacer ceux qui ont été transférés ab initio, excepté en droit allemand 102 . D'autre part, le fiduciant/bénéficiaire ne semble pas pouvoir exiger la restitution d'une chose ou la cession d'un droit précis car il ne dispose que d'un droit de créance (créance de restitution) correspondant à la valeur des droits ou des choses données au fiduciaire ou acquises par celui-ci pour son compte.

b). Les garanties du fiduciaire

* La jurisprudence allemande reconnaît au Treuhänder la possibilité de faire valoir un droit de rétention, uniquement pour les créances qui résultent de la gestion du Treugut. Par contre elle lui refuse le droit de compenser la créance du Treugeber avec d'éventuelles créances qu'il a à son encontre et qui ne résulterait pas du rapport de Treuhand 103 .

* Le règlement grand-ducal (art. 3 alinéa 2) prévoit deux garanties au profit du fiduciaire, un privilège et un droit de rétention. Ces deux garanties portent sur la totalité de l'actif fiduciaire. Le droit français n'a pas prévu dans l'avant projet de semblables dispositions. Les dispositions du règlement grand-ducal sur les garanties du fiduciaire ont été regardées comme une "véritable hérésie' 104 , car un propriétaire ne peut pas être créancier de son propre patrimoine. Ces critiques ont cependant été réfutées par un auteur luxembourgeois, car "l'alinéa 2 de l'article 3 vise le cas de l'échéance du contrat fiduciaire, c'est-à-dire le moment où le droit de propriété du fiduciaire sur les avoirs donnés en fiducie a pris fin" 105 . Le fiduciaire disposerait en conséquence de moyen efficace pour s'opposer à la restitution des biens fiduciaires, en cas de non paiement par le fiduciant des frais et honoraires du fiduciaire. Le droit de rétention permettrait à celui-ci "d'exercer matériellement et en fait son privilège" 106 . Cette remarque n'est semble-t-il pas dénuée de sens, compte tenu de l'effet immédiat de l'obligation de transférer la propriété.

En l'absence de telles dispositions dans le projet français, il conviendrait de prendre quelques précautions dans la rédaction d'un contrat fiduciaire, éventuellement au moyen de la stipulation d'une condition. Tout autrement est tranchée la difficulté en droit allemand, car l'acte de disposition nécessite, outre le transfert immédiat de propriété (unmittelbar übertragen), l'accord des parties. Logiquement, faute d'accord entre les parties, l'acte de disposition ne sera pas formé.

Il y a donc présent, dans chacun des systèmes envisagés, les caractèristiques principales du contrat de fiducie, un transfert temporaire de droit, réalisé dans le cadre d'une activité de service. Il convient à présent d'étudier le statut des biens fiduciaires et les pouvoirs des parties, afin de constater la réalité de ce transfert fiduciaire.

SECTION II. Les conséquences du transfert fiduciaire

L'étude des conséquences de ce transfert nous conduit à envisager plus particulièrement la phase d'exécution de ce contrat. Cette période vient dans un deuxième temps et suit donc le transfert des droits. Elle peut se poursuivre pendant des années suivant la volonté des parties. Le transfert de propriété est temporaire et pour éviter toute confusion, les biens mis en fiducie sont administrés dans un intérêt distinct de celui à qui ils sont transmis. Pour éviter une confusion d'intérêt, ils constituent une masse autonome (I). Dans les rapports externes, le fiduciaire agit comme représentant indirect du fiduciant. Il noue des contacts avec les tiers, effectue des placements etc. Le fiduciaire s'engage personnellement, les relations qu'il établit avec les tiers ne lient pas le constituant, qui le plus souvent reste inconnu du cocontractant. L'ensemble de ces relations est en effet déterminé par les droits respectifs des parties au contrat (II).

§-I. Le statut des biens mis en fiducie

Les biens mis en fiducie sont en principe organisés sous la forme d'un patrimoine fiduciaire. Ce statut est à bien des égards déterminant pour le rayonnement de la fiducie 107 . En effet, le fiduciant abandonne la propriété de l'actif mis en fiducie. Il n'a plus aucun pouvoir sur les biens transférés et ne dispose plus que d'une créance de restitution. Afin de conforter la position de "l'appauvri temporaire', plusieurs mesures sont envisageables. Soit il est possible de renforcer ou de substituer ses droits personnels par des droits réels, soit il faut "cantonner' les biens fiduciaires, c'est-à-dire les mettre à l'abri des velléités du fiduciaire lui-même ou de tiers intéressés. Seul, le droit allemand a envisagé, en partie, la première possibilité, comme protection du fiduciant, mais dans des hypothèses et à des conditions précises. Pourtant il semble que l'organisation en un patrimoine d'affectation a été en revanche retenue par les trois pays 108 . Cette organisation présente le double avantage de protéger les intérêts du bénéficiaire du contrat de fiducie, non seulement en évitant une confusion au sein du patrimoine du fiduciaire, mais de plus en protégeant l'actif fiduciaire des revendications des créanciers personnels des parties au contrat de fiducie. L'originalité de la solution n'est pas tant le régime particulier de l'actif fiduciaire (constitution sous la forme d'un patrimoine séparé), que l'adoption de cette solution par ces pays qui connaissent la fiducie, même s'il faut nuancer cette affirmation pour les pays germaniques, dans lesquels l'organisation du patrimoine fiduciaire est plutôt envisagée sous un angle économique. Le droit allemand a en effet organisé différemment la protection du fiduciant. Afin d'éviter une confusion d'intérêt au sein du patrimoine du Treuhänder, il a exiger une séparation de fait du Treugut. Il a d'autre part renforcé les droits du Treugeber afin de le protéger contre la revendication éventuelle des tiers.

A. Le patrimoine affecté

On parle de patrimoine affecté à la gestion, à la conservation puis la transmission de l'actif fiduciaire. La notion de patrimoine d'affectation recouvre deux éléments fondamentaux : un but, qui fonde l'affectation du patrimoine et un maître. Le droit français s'accommode mal d'un droit sans titulaire 109 . Toute la difficulté est de faire en sorte que les biens transférés au fiduciaire entrent dans son patrimoine, il en a la pleine propriété, et en même temps d'éviter qu'il ne les considère comme totalement siens car il devra, après conservation et gestion, les restituer. L'organisation au sein d'un patrimoine séparé peut permettre de dépasser cette difficulté (1), même si elle n'est pas sans susciter quelques problème (2).

1. La technique retenue du patrimoine séparé

Celle-ci est, semble-t-il, plus facile à mettre en oeuvre dans le cadre d'une opération fiduciaire que la technique sociétaire. Aucun droit (français, allemand, luxembourgeois) n'a d'ailleurs organisé le statut des biens fiduciaires au moyen d'une personne morale, qui serait titulaire d'un patrimoine propre, le patrimoine fiduciaire 110 . La solution retenue est donc, en apparence, plus simple que la technique sociétaire. Elle consiste à placer les biens mis en fiducie dans une masse à part, où l'actif fiduciaire répond seul du passif du fiduciaire. La solution présente des avantages importants, elle permet notamment d'éviter toute confusion entre la propriété ordinaire et la propriété fiduciaire.

* L'article 3 (1) du règlement grand-ducal dispose que : "L'actif fiduciaire ne fait pas partie de la masse en cas de liquidation collective du fiduciaire...'. Le droit luxembourgeois a donc consacré expressément une séparation au sein du patrimoine du fiduciaire. Il existe donc un patrimoine fiduciaire, détaché au profit du bénéficiaire du contrat de fiducie.

* Dans l'avant projet français , la mention du patrimoine séparé figurait d'abord à l'article 2067. Sous la pression du Conseil d'Etat, cette mention est devenue partie constitutive de la définition de la fiducie 111 . Il s'agit en effet de regrouper les principales caractéristiques de ce contrat dans sa définition. Cette consécration du patrimoine d'affectation en droit français n'est pas réellement une innovation 112 , cependant cette solution est de nature à assurer la survie et le développement de l'institution.

* En droit allemand , le Treuhänder doit séparer le Treugut de ses propres biens, de même si ces biens consistent en une somme d'argent, il doit la placer sur un compte spécial. Ce principe a été affirmé de façon générale par la jurisprudence 113 . Il a été réglementé également dans certains domaines, notamment pour des raisons comptables, en matière de société d'investissement 114 .

Concernant la France et le Luxembourg, l'actif fiduciaire, une fois transféré, n'intègre donc pas purement et simplement le patrimoine du fiduciaire, mais forme "une masse séparée des biens', soumise donc à un régime juridique particulier. En Allemagne, cette séparation ne correspond pas à un véritable patrimoine d'affectation. Il s'agit d'une séparation qui correspond à une notion plus économique que juridique 115 . La qualification juridique des droits du fiduciant et du fiduciaire conduit en effet de façon logique la doctrine allemande à refuser l'actif fiduciaire comme une "masse autonome'. Ce raisonnement présente l'avantage de ne pas se heurter au principe de l'unicité et de l'indivisibilité du patrimoine.

2. Les obstacles à cette solution

Cette affectation au sein du patrimoine du fiduciaire est bien évidemment une "atteinte supplémentaire et importante au sacro-saint principe de l'unicité du patrimoine 116 ", informant toujours le droit positif des pays de droit civil. Il convient de remarquer, sans entrer dans les arcanes de cette controverse, que les auteurs français sont semble-t-il très attachés à la survie théorique de ce principe 117 , alors qu'en pratique ils s'accommodent des avantages de ces "trop nombreuses atteintes' 118 . La signification concrète de cette affectation patrimoniale est une réduction du droit de gage général des créanciers (art. 2092 et 2093 C. civ.). Le fiduciaire, comme d'ailleurs le fiduciant, s'il est en même temps aliénateur, ne répondra plus de ses dettes sur la totalité de son patrimoine 119 . Les incidences sur les "grands équilibres du droit' 120 sont certaines, même si elles ne sont pas de nature à en bouleverser les fondements.

B. La composition du patrimoine fiduciaire

Il se compose d'un actif et d'un passif correspondant.

1. L'actif fiduciaire

L'actif fiduciaire est composé de l'ensemble des biens transférés au fiduciaire.

* Pour le droit français et luxembourgeois , l'actif regroupe donc tous les biens et droits qui ont été transférés au fiduciaire, augmentés des fruits et revenus de ces mêmes biens et droits. Par le jeu de la subrogation réelle propre aux universalités 121 , l'actif comportera également les biens acquis en remploi des biens reçus ab initio et cédés par la suite 122 . Il en va de même pour l'actif fiduciaire au Luxembourg, il n'est pas immuable, il peut changer de consistance au gré de ce que les parties ont convenu 123 .

* La solution est un peu différente en droit allemand , compte tenu de l'existence de plusieurs formes de Treuhand et de l'interdiction de la subrogation réelle. La propriété des biens mis en fiducie, le Treugut, est donc transférée au Treuhänder dans le patrimoine duquel il forme, en pratique , un patrimoine à part ("Sondervermögen', patrimoine séparé). Le fiduciaire est tenu de le séparer et de le comptabiliser séparément de son propre patrimoine 124 . Toutefois, le régime juridique du Treugut n'est pas totalement celui du patrimoine du Treuhänder, notamment parce qu'en cas de mesure d'exécution, le bénéficiaire de l'opération fiduciaire dispose normalement d'un droit de revendication des biens fiduciaires (en cas faillite du fiduciaire) et un droit de faire tierce opposition à une saisie isolée pratiquée par un créancier du fiduciaire 125 .

L'exigence d'un transfert direct et la prohibition des subrogations réelles 126 portent donc largement atteintes à l'étendue des biens sur lesquels le bénéficiaire peut faire valoir ses droits. L'interdiction de la subrogation réelle ne permet pas, en effet, que les biens acquis par le Treuhänder, en vertu du contrat de Treuhand ou en remplacement de biens appartenant au Treugut, soient soumis au droit de distraction du Treugeber 127 . On le constate, l'absence d'un régime juridique uniforme, organisé par le législateur, conduit, semble-t-il, à envisager l'organisation des biens fiduciaires non pas comme un patrimoine d'affectation, mais à l'envisager comme tel sous l'angle de la protection des droits du bénéficiaire 128 .

2. Le passif fiduciaire

Il peut être défini comme les obligations qui découlent du contrat. De plus ces obligations déterminées par le contrat servent de cause au transfert des droits par le fiduciant. L'existence du passif fiduciaire a une importance qu'il ne faut pas négliger. A défaut le contrat changerait de nature.

* Selon le règlement grand-ducal , le passif fiduciaire correspond aux obligations qui limitent l'exercice des droits patrimoniaux transmis au fiduciaire (art. 2 in fine). Ces obligations consistent dans l'exécution des instructions contenues dans le contrat fiduciaire et la restitution de l'actif fiduciaire à l'échéance du contrat. Concernant l'obligation d'exécuter les instructions fixées conventionnellement 129 , le passif fiduciaire se composera alors des dettes correspondantes à la gestion ou conservation de l'actif fiduciaire.

* Le projet français d'article 2067 alinéa 3 indique de même que "les biens transférés au fiduciaire ne peuvent être saisis que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ces biens". Le passif est donc envisagé de la même manière qu'en droit luxembourgeois, malgré la rédaction différente des textes. Ce passif peut avoir plusieurs sources, surtout contractuelles, elles peuvent être également légales (par exemple : cotisations de sécurités sociales, droits d'enregistrement...), et sans doutes plus rarement quasi-contractuelles ou quasi-délictuelles.

En conséquence, les créanciers du patrimoine fiduciaire auront pour seul gage l'actif fiduciaire 130 , sauf si le fiduciaire n'a pas veillé à une éventuelle confusion de patrimoines. Les autres créanciers, qu'ils soient les créanciers personnels du fiduciant, du fiduciaire, ou du bénéficiaire, ne peuvent en principe atteindre cet actif 131 . En droit français et luxembourgeois, ils ne pourront atteindre cet actif que dans deux cas, s'ils sont titulaires d'un droit de suite antérieurement publiés ou par le jeu de l'action paulienne en cas de fraude (art. 2067 alinéa 3 C. civ.).

3. Règles comptables

Le patrimoine à affectation spéciale est donc détaché du patrimoine du fiduciaire 132 . Ce statut particulier explique l'obligation pour le fiduciaire luxembourgeois , qui est toujours un établissement de crédit, de comptabiliser l'actif fiduciaire en dehors de son bilan, "en dessous du trait' 133 . Cette obligation a été perçue comme avantageuse pour les établissements de crédit luxembourgeois, puisqu'elle permettait à ces établissements d'alléger leurs ratios de structure 134 . Elle ne l'est plus vraiment aujourd'hui. Les banques de la place disposent à présent de fonds propres plus important, d'autre part la réforme apportée à ces ratios par l'introduction des ratios Cooke, permet une plus grande souplesse de gestion 135 . Au terme de l'article 3 (1) du RGD, le fiduciaire doit comptabiliser l'actif et le passif fiduciaires séparément des autres éléments de son patrimoine. Selon l'Institut Monétaire Luxembourgeois (IML), le passif fiduciaire est l'engagement de la banque fiduciaire, c'est-à-dire la valeur qu'elle doit rétrocéder au bénéficiaire en fin d'opération. D'après l'IML, l'actif et le passif fiduciaire doivent être numériquement toujours identiques. Si l'actif fiduciaire est composé de titres ou valeurs, la conservation de ces titres par le fiduciaire ne posera pas de problème comptable, sauf s'ils sont l'objet de variation 136 .

* En droit allemand , les règles sont un peu différentes, on applique avant tout, comme d'ailleurs dans les autres droits, les principes généraux d'une comptabilisation régulière (Grundsetz der Bilanswahreit - Règle du bilan fidèle, véritable). On tient compte notamment de la comptabilisation de la propriété économique. C'est donc le fiduciant qui est tenu de faire apparaître le patrimoine fiduciaire dans son bilan. Le fiduciaire n'est pas quant à lui, obligé de faire apparaître le patrimoine fiduciaire dans son bilan principal, sauf pour les établissements de crédit 137 .

C. La durée du patrimoine fiduciaire

La durée du patrimoine fiduciaire est définie, en principe, par le contrat fiduciaire. A défaut il faut se reporter aux dispositions spéciales concernant la fiducie, ou aux dispositions de droit commun, notamment celles prohibant les engagements à perpétuité.

* Si en droit allemand , lorsque la Treuhand a été constituée entre vifs, il n'y a pas de limitation de durée édictée par un texte, elle résulte implicitement de l'interdiction de tout engagement personnel pour une durée excessive. C'est pourquoi le Treuhänder, après avoir assumé ses fonctions pendant 5 ans, est en droit de résilier le contrat de Treuhand conclu pour une durée supérieure, mais il doit respecter un préavis de 6 mois. (§ 624 BGB relatif au louage de service par analogie). Concernant la Treuhand sans rémunération, la limitation résulte du § 138 BGB. A défaut, la résiliation est possible pour un motif légitime, suivant le droit commun des contrats ou au plus tard par le décès du fiduciaire.

* Pour la fiducie luxembourgeoise , l'article 2003 C. civ. relatif au mandat, prévoit les causes d'extinctions relatives au mandat.

* Concernant la fiducie française : le projet d'article 2063 al. 2 C. civ. fixe une durée maximum de 99 ans 138 . Il existe par ailleurs des causes d'extinction anticipée qui figurent aux articles 2O66 et 2070-2 C. civ.

Après avoir déterminé le statut des biens fiduciaire, il convient de mesurer l'étendue des pouvoirs et droits de parties. En effet, il faut tenir compte de la particularité du droit de propriété fiduciaire. Il s'agit, en principe, d'un droit pleinement transmis, mais dont l'exercice est limité par le contrat fiduciaire.

§-II. Les pouvoirs et droits des parties

L'étude des droits de chaque partie à la convention peut s'effectuer le plus simplement par l'examen des pouvoirs du fiduciaire (A) et des droits du fiduciant (B).

A. La gestion du patrimoine fiduciaire ou les pouvoirs du fiduciaire

Le fiduciaire apparaît aux yeux des tiers comme propriétaire. Ces pouvoirs et droits ne sont cependant pas ceux d'un véritable propriétaire. (Il est propriétaire fiduciaire et pas exactement propriétaire ordinaire). Ils sont variables et dépendent du contenu du contrat fiduciaire et en droit allemand du type de Treuhand. Le fiduciaire n'acquiert pas forcement tous les pouvoirs que lui abandonnent le fiduciant. L'étendue de ces pouvoirs relève en effet du domaine contractuel, c'est d'ailleurs le contrat fiduciaire qui détermine ces pouvoirs (projet d'art. 2063 C. civ.). Le fiduciant n'a normalement plus aucun pouvoirs de gestion sur les biens sortis de son patrimoine. Cependant en cas de fiducie-sûreté, il pourra conserver le bien en sa possession et, à cette fin, il disposera des pouvoirs correspondants 139 .

Dans la gestion de l'actif fiduciaire, le fiduciaire n'a aucun pouvoir de représentation du fiduciant à l'égard des tiers. Cette exclusion de toute représentation du fiduciant par le fiduciaire interdit toute relation directe entre le fiduciant et les tiers.

* Elle est expresse dans le règlement grand-ducal , art. 3-(3). Cette disposition a un caractère impératif, le fiduciant ne peut pas percer le voile fiduciaire, pour créer un lien direct avec les tiers contractant du fiduciaire. Cette exclusion expresse est nécessaire en droit luxembourgeois car pour le surplus, la relation entre le fiduciant et le fiduciaire est régie par les règles du mandat (Art. 3 (3) et 3 (4) RGD) ; de même pour le droit allemand qui applique les règles relatives au mandat par analogie. Dans ce droit, si l'exclusion n'est pas expresse, elle est logique pour ce qui concerne la fiducziarische Treuhand.

* En droit allemand , outre les clauses qui peuvent être contenues dans le pacte fiduciaire, il convient de distinguer selon les types de Treuhand. Mais aux yeux des tiers, quel que soit le type de Treuhand, le fiduciaire apparaît comme un propriétaire. Ce qu'il est d'ailleurs de manière "formelle' dans le cas de la fiduziarische Treuhand. Il dispose en conséquence de plus de droits que de pouvoirs. Le Treuhänder, devenu propriétaire, est libre d'agir comme bon lui semble. Il agit toutefois dans la limite de l'objet défini par le Treuhandvertrag. Il doit, le cas échéant, respecter les modalités d'administration prévues par ce contrat. Il y a donc une limitation des pouvoirs entre les parties (Innerverhältnis) par rapport aux pouvoirs dont dispose le Treuhänder vis-à-vis des tiers (Aussenverhältnis) 140 . Dans les rapports externes, les pouvoirs du fiduciaire ne sont pas censés être limités.

B. Les tiers intéressés ou les droits du fiduciant-bénéficiaire

De manière générale, les biens fiduciaires se trouvent entre les mains et pouvoirs du fiduciaire, il en est propriétaire. Il doit, au terme du contrat, soit restituer ces biens au fiduciant, soit les transférer à un tiers bénéficiaire. Dans ce dernier cas, le bénéficiaire dispose de droits de même nature que le fiduciant, c'est-à-dire qu'il ne dispose que d'un droit personnel à recouvrer la propriété, après exécution du contrat fiduciaire (il peut en outre être bénéficiaire acceptant, c'est-à-dire dans la position d'un bénéficiaire d'une stipulation pour autrui). Le fiduciaire est vis-à-vis des tiers, le propriétaire formel. Il a l'obligation de déclarer qu'il agit à titre fiduciaire (Pour les établissements de crédit et pour le fiduciaire français, art. 2069 C. civ., mais cet article ne concerne que les mutations de droits et de biens soumis à publicité obligatoire). Il est d'autre part possible que le bien mis en fiducie soit toujours entre les mains du fiduciant qui en a conservé la possession. Seule la propriété en a été transférée au fiduciaire 141 .

Les droits du bénéficiaire économique, en principe de nature personnelle, peuvent se trouver compromis dans un certain nombre d'hypothèses et notamment en cas de mesures d'exécution forcée pratiquées par des tiers (2) ou d'aliénation par le fiduciaire (1). En cette matière comme dans beaucoup d'autres, la réglementation de ces situations constitue la démonstration de l'efficacité ou de l'inefficacité du mécanisme juridique considéré.

1. L'aliénation par le fiduciaire

* En droit français , outre que dans certain cas le fiduciaire doit mentionner sa qualité dans ses rapports avec les tiers, le projet d'art. 2068 C. civ. édicte une présomption simple pour le fiduciaire de disposer "des pouvoirs les plus étendus sur les biens et droits" fiduciaires. Etant propriétaire certes à titre fiduciaire, le fiduciaire peut néanmoins aliéner valablement le bien. Pour bénéficier de la présomption 142 les tiers doivent être évidemment de bonne foi, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas connaissance des limitations de pouvoirs du fiduciaire. Ils seront alors protégés par cette présomption, et l'aliénation en violation du contrat fiduciaire sera valable.

* Le droit allemand , dans le cas de la fiduziarische Treuhand, admet en principe la validité des aliénations faites par le Treuhänder, même en violation de ses obligations. Le Treuhänder est pleinement propriétaire des biens fiduciaires, et les limitations que contient le pacte fiduciaire ne peuvent atteindre son droit réel. L'obligation de ne pas disposer généralement acceptée conventionnellement par le Treuhänder, n'est pas opposable aux tiers. Le contenu du pacte est sans influence dans les rapports du fiduciaire avec les tiers (Aussenverhältnis). L'aliénation est valable, même si le tiers avait connaissance de la véritable situation de l'aliénateur fiduciaire. La seule limite apportée à ce principe est le cas de collusion frauduleuse entre le tiers et le fiduciaire 143 , la simple connaissance du tiers ne suffit pas 144 . La collusion frauduleuse, contraire aux bonnes moeurs (§138 BGB, "Est nul tout acte juridique qui porte atteinte aux bonnes moeurs') permet au fiduciant d'agir contre le tiers dans le cas d'une aliénation mobilière. En matière immobilière, le tiers acquéreur est protégé par l'inscription au livre foncier 145 . Cette solution rigoureuse est justifiée par le fait que le fiduciaire est propriétaire et que le pacte fiduciaire ne peut créer de droit réel 146 .

En droit français comme en droit allemand, le tiers acquéreur de bonne foi est protégé 147 , dans l'hypothèse où il ne connaissait pas l'existence du contrat fiduciaire, mais également pour le cas où, connaissant la qualité de fiduciaire de son cocontractant, il croyait que celui-ci agissait dans la limite de ses pouvoirs. Le tiers acquéreur luxembourgeois est également protégé, nonobstant le silence du règlement grand-ducal sur ce point, en vertu des solutions du droit commun. En matière mobilière, c'est la présomption de l'article 2279 du Code civil luxembourgeois qui s'applique. Sa portée semble cependant plus restreinte que la présomption édictée par le projet d'article 2068 du Code civil français, car sans doute ne pourrait-elle pas profiter à celui qui savait l'existence de la fiducie 148 .

Ces solutions sont logiques, le fiduciaire est propriétaire des biens cédés, par l'effet translatif du contrat fiduciaire. Il est présumé disposer, dans ses relations avec les tiers, des pouvoirs les plus étendus sur les biens fiduciaires. Le fiduciant ne dispose plus de droit réel opposable au tiers contractant avec le fiduciaire. Par la convention fiduciaire, il s'est dépouillé de tout droit sur les biens objet du contrat de fiducie, il n'est titulaire que d'un droit personnel de restitution (s'il est en même temps bénéficiaire). S'étant dépouillé de son droit réel, il perd donc les attributs de celui-ci. Il n'a donc aucun droit de suite lui permettant de revendiquer le bien entre les mains du tiers acquéreur. Il ne peut agir contre celui-ci en arguant de son droit à restitution issu de la convention fiduciaire, en vertu de l'effet relatif des contrats 149 . S'il agit en résolution du contrat fiduciaire, l'aliénation par le fiduciaire n'en sera pas moins valable, réserve faite de la mauvaise foi du tiers ou de la collusion frauduleuse 150 . Tout au plus pourra-t-il agir en responsabilité contre ce tiers s'il avait eu connaissance du contrat fiduciaire, au moment de l'acquisition du bien mis en fiducie. Les moyens d'action du fiduciant sont donc malmenés, reste à savoir s'il en est de même dans une situation proche, l'insolvabilité du fiduciaire.

2. Les mesures d'exécution dirigées contre le fiduciaire

A s'en tenir à la nature personnelle de ses droits, le fiduciant (ou du bénéficiaire), n'apparaît pas non plus forcément en bonne posture en cas d'insolvabilité du fiduciaire, puisqu'il sera en concours avec les créanciers du fiduciaire. Cependant la technique du patrimoine d'affectation 151 renforce efficacement sa position, sans pour autant modifier la nature de ses droits. En revanche, le droit allemand, en l'absence de constitution et d'organisation juridique d'un patrimoine autonome, trouble la délimitation de la nature des droits des parties aux contrats fiduciaires. En effet, dans un souci de protection des intérêts du fiduciant, il lui a reconnu, de façon certes restrictive, des prérogatives de nature réelle.

* En droit français et luxembourgeois , les droits du fiduciant sont préservés, dans leur nature et dans leur efficacité, par l'organisation des biens fiduciés sous forme d'un patrimoine d'affectation. L'actif fiduciaire ne se confond pas avec le patrimoine personnel du fiduciaire, et ne peut donc être saisi par ses créanciers personnels. Il ne peut pas non plus être intégré à l'actif du fiduciaire lorsque celui-ci fait l'objet d'une procédure collective. Son patrimoine sera scindé en plusieurs masses, une masse générale, et une masse par contrat fiduciaire 152 . Il faut bien entendu que le fiduciaire évite une confusion des biens mis en fiducie avec son patrimoine personnel. Toutefois, s'il est protégé contre les créanciers personnels du fiduciaire, il sera en concours avec les créanciers de la masse fiduciaire.

* En droit allemand , compte tenu de l'organisation des biens fiduciaires, la solution est différente. En cas de saisie isolée par un créancier du fiduciaire, la jurisprudence reconnaît au fiduciant les droits qu'a le propriétaire de faire tierce opposition sur le fondement du § 771 ZPO 153 . De même en cas de procédure collective du fiduciaire, le fiduciant peut revendiquer les biens objet de la fiducie par application de § 43 KO 154 . Le fiduciant se voit ainsi reconnaître un "droit de distraction' sur l'actif fiduciaire 155 . Dans le cas de la deutschrechtliche Treuhand, ce droit s'explique par le retransfert de la propriété automatique (propriété conditionnelle). En revanche la reconnaissance de ce droit de revendication au profit du fiduciaire, dans le cas de la fiduziarische Treuhand, est difficilement compatible avec la nature personnelle de son droit. Le droit à restitution du fiduciant est fondé sur le contrat fiduciaire, qui relève du droit des obligations et ne peut par conséquent justifier le droit de revendication. La jurisprudence, pour justifier de l'octroi du droit de revendication, fait valoir que le patrimoine fiduciaire n'est pas la propriété économique du fiduciaire 156 . La jurisprudence, en distinguant propriété "juridique' et propriété "économique', confère ainsi des effets réels à un droit purement obligatoire. Le fiduciant allemand a donc plus qu'un droit personnel, "il a un droit personnel teinté de réalité, un droit quasi-réel' 157 . Cependant, le droit de revendication du fiduciant est restreint par le principe du transfert direct et par le principe de l'interdiction de la subrogation réelle 158 . Le principe du transfert direct est toutefois écarté, lorsque le bénéficiaire de la Treuhand n'est pas le fiduciant.

Le Treugeber ne dispose en effet, d'un droit de revendication que s'il a transféré un élément de son patrimoine, directement dans celui du Treuhänder. Les autres biens composant l'actif fiduciaire qui n'ont pas fait l'objet d'un transfert direct, sont donc exclus du Treugut sur lequel porte ce droit de revendication du fiduciant. La jurisprudence a cependant admis quelques exceptions à ce principe 159 , jugé trop restrictif par la doctrine allemande 160 . Ce principe est pourtant justifié par la nécessité de protéger les intérêts des autres créanciers du Treuhänder, tiers intéressés au contrat, par une certaine publicité 161 .

L'appartenance initiale des biens fiduciaires au Treugeber, ensuite transférés au fiduciaire, permet de distinguer, en outre, ce que les auteurs allemands appellent l'echte Treuhand, ou fiducie véritable, lorsque le fiduciaire a reçu les biens directement du fiduciant, de l'unechte ou uneigentliche Treuhand, lorsque ces mêmes conditions ne sont pas réunies.

Tant en ce qui concerne la fiducie française et la fiducie luxembourgeoise, que concernant la fiduziarische Treuhand, les droits du bénéficiaire ou du fiduciant ne sont jamais des droits réels. Les rapports entre les parties de ces opérations relèvent du droit des obligations, et notamment du contenu du contrat fiduciaire. Les droits du fiduciant ou du bénéficiaire ne sont pas en principe opposables aux tiers intéressés. Leurs opposabilités dans le cas particulier de la Treuhand relèvent d'une fiction jurisprudentielle et sont sans influence sur le caractère obligatoire du rapport fiduciaire 162 , notamment le droit personnel de restitution de l'actif fiduciaire.

Quelles que soient les modalités distinguées, les traits essentiels et distinctifs de la fiducie demeurent identiques. Le fiduciaire acquiert la propriété temporaire d'un bien dont il ne peut tirer un profit personnel 163 . Cette structure suscite bien évidemment des questions de validités, notamment parce que la transitivité est considérée comme un signe de faible patrimonialité 164 . Cependant le régime de la fiducie est désormais mieux connu. Elle existe depuis longtemps en Allemagne, et son introduction au Grand-Duché de Luxembourg depuis plus de dix ans a familiarisé dans une certaine mesure cette institution en France. Il faut noter également les nombreux travaux réalisés par la doctrine dans ce domaine. La plupart de ces travaux se sont effectivement attachés, outre à démontrer l'intérêt de cette institution, à écarter tous les obstacles de nature à paralyser son introduction et son bon développement dans les législations nationales 165 . L'enjeu n'est pas à sous estimer, notamment au regard de la Convention de La Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance.


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