Année 1998


DEUXIEME PARTIE


ACTIVITE DES DELEGUES DEPARTEMENTAUX DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE






Nombre de délégués départementaux :
120 (dont 19 femmes)
Répartition territoriale des délégués départementaux :
83 départements disposent de 1 délégué
17 départements disposent de 2 délégués
1 département (le Rhône) dispose de 3 délégués
Profil des délégués départementaux :
43 délégués sont des fonctionnaires en activité dans les préfectures
33 délégués sont des retraités, anciens fonctionnaires de préfecture
43 délégués sont des retraités d'autres administrations
1 délégué vient du secteur privé


1.LE ROLE DES DELEGUES DEPARTEMENTAUX DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE

Le Médiateur de la République est représenté, sur le terrain, par des "délégués départementaux", en vertu d'un décret du 18 février 1986.
Ce sont des volontaires bénévoles qui rendent un service gratuit.
La quasi-totalité des délégués départementaux sont des fonctionnaires en activité ou retraités. Ils sont nommés par décision du Médiateur, après consultation du préfet, pour une durée d'un an, renouvelable. Ils tiennent leurs pouvoirs de la délégation que leur accord le Médiateur de la République.
Selon les instructions données dans une circulaire du Premier ministre, du 6 mai 1986, et régulièrement rappelées depuis, les préfets doivent fournir aux délégués départementaux du Médiateur de la République les moyens nécessaires à leur activité (mise à disposition d'un local d'accueil et de facilités de secrétariat). Les délégués départementaux assurent donc des permanences régulières à la préfecture et, parfois, dans d'autres localités du département.

1.L'ACTIVITE DES DELEGUES DEPARTEMENTAUX DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE

La mission des délégués départementaux du Médiateur de la République ne cesse de se développer.
Ils sont invités à régler une multitude d'affaires.
Pour nombre d'entre elles, ils n'ont pas besoin d'en référer au Médiateur, dès lors que leur connaissance de l'administration locale les met en mesure d'obtenir l'information adéquate ou la modification d'une décision (A).
En outre, les délégués départementaux reçoivent de nombreuses demandes, concernant des domaines extrêmement variés, qui n'entrent pas nécessairement dans leur champ de compétence. Dans ce cas, ils font en sorte de fournir aux citoyens des informations utiles pour les aider à résoudre leurs problèmes (B).

A. Les réclamations



En 1998, le nombre de réclamations reçues par les délégués départementaux a été de 18 698.

a. Quelques exemples de réclamations reçues par les délégués départementaux

* Un travailleur pensait avoir droit à la totalité de sa retraite, mais la validité de certains trimestres lui est contestée.

* L'ayant droit d'une succession se trouve surpris par les conséquences fiscales de l'évaluation sous-estimée d'un bien immobilier.

* Un agriculteur souhaite obtenir un permis de construire pour agrandir son exploitation et la rendre conforme aux normes européennes, mais le terrain concerné ne répond pas aux exigences du POS de la commune d'implantation.

* Un chômeur, qui n'a pas déclaré un changement de sa situation dans les délais, doit rembourser aux ASSEDIC des sommes indûment perçues.

* Une facture de téléphone devient brutalement " astronomique ", sans raison apparente, et l'opérateur affirme qu'il n'y a pas d'anomalie technique.

Dès que le délégué estime qu'une réclamation est recevable, c'est-à-dire qu'elle a fait l'objet de démarches préalables, et qu'elle correspond aux critères de compétence définis par la loi, un dossier est ouvert.

b. Le traitement des réclamations par les délégués départementaux

Le délégué est guidé dans sa démarche par trois lignes directrices, que l'on peut résumer ainsi : écouter, comprendre, intervenir.
L'écoute d'un usager - ou la lecture attentive d'un courrier - est la première étape essentielle qui va permettre d'ouvrir un dossier.
Il s'agit d'accueillir un citoyen confronté à un problème administratif qu'il se sent incapable de résoudre seul, ou pour lequel il n'a pas obtenu les réponses qu'il attendait.
A partir des documents présentés par le demandeur, et d'un échange de type "questions-réponses", le délégué départemental va pouvoir cerner l'origine du différend, sa nature même, ainsi que la situation sociale de l'usager, susceptible de constituer un élément important dans l'argumentation qu'il développera.
Le délégué saisit alors l'administration concernée au niveau local, généralement par écrit, en vue d'obtenir que le problème posé fasse l'objet d'un nouvel examen dans un sens plus favorable à l'administré.
Si l'affaire ne paraît pas susceptible de trouver une solution amiable sur le plan local (en raison de sa complexité, ou bien du fait qu'un ministère ait déjà été appelé à en connaître, ou encore qu'une juridiction en ait été saisie), le dossier peut être transmis au Médiateur de la République, par l'intermédiaire d'un parlementaire choisi par le réclamant. Le délégué aide alors celui-ci à préparer le dossier qui sera transmis.
En 1998, sur le total des réclamations reçues par les délégués, 1401 ont ainsi été orientées vers un parlementaire en vue d'être transmises au Médiateur de la République. Presque la moitié parvient effectivement dans les services de la Médiature. Pour l'autre moitié, on peut penser que l'intervention auprès de l'administration est réalisée directement par le parlementaire, ou que la réclamation est abandonnée par l'administré soit parce qu'il a obtenu satisfaction entre-temps, soit parce qu'il considère de lui-même que sa réclamation n'est pas fondée.
Bien que chaque réclamation constitue un cas particulier, les délégués retrouvent fréquemment les mêmes types de problèmes : RMI, allocation logement, indemnités journalières, prise en charge incomplète, ouverture de droits, remboursement d'indus, etc...

c. La répartition des réclamations par secteurs d'instruction

Secteur Social : 35 %
Secteur Administration générale : 27,5%
Secteur Fiscal : 24 %
Secteur Justice/Urbanisme : 10,5% (dont 3,5 % justice, et 7 % urbanisme)
Secteur Agents publics : 3 %

> Secteur social
Plus du tiers des réclamations adressées aux délégués départementaux concernent le secteur social, témoignant ainsi des difficultés économiques et sociales que connaît actuellement notre pays.

Les réclamations qui concernent le secteur social se répartissent de la manière suivante :
Caisses d'allocations familiales : 23%
Caisses de sécurité sociale : 23%
ASSEDIC : 23%
Caisses de retraite : 5%
COTOREP (handicapés) : 5%
URSSAF : 5%
Collectivités locales : 5%
ANPE et DDTE : 5%
DDASS : 2%
Offices HLM : 2%
Surendettements : 2%

> Secteur administration générale
27,5 % des litiges concernent le secteur administration générale.
Ce secteur se caractérise par la multiplicité des organismes saisis.
A l'occasion d'une étude réalisée sur les statistiques du 2e trimestre 1998, portant sur 938 réclamations relevant de ce secteur d'instruction, on a comptabilisé 80 organismes différents saisis par les délégués, ce qui montre bien la variété des questions traitées.
Beaucoup d'organismes ne sont cités qu'une fois, comme, par exemple, la Caisse des dépôts ou l'Imprimerie nationale. Par contre, le recours aux délégués pour des affaires concernant les communes (25 %) et les préfectures (21 %) est très fréquent.

Répartition des réclamations concernant les communes et les préfectures :
Communes : 25%
dont :
- Eau, assainissement et ordures ménagères : 60%
- Voirie : 30%
- Difficultés pour l'obtention de documents administratifs : 7%
- Divers : 3%
Préfectures : 21%
dont :
- "Gestion" des étrangers : 60%
- Délivrance des documents d'état civil, des permis de conduire et d'autorisations administratives
diverses : 35%
- Divers (expulsions, affaires sociales) : 4%
- Amendes de police : 1 %

Par ailleurs, on peut noter que le nombre de dossiers concernant la contestation de factures d'EDF-GDF (50) et de France Télécom (24) est faible, quand on songe au nombre de factures émises... De même, les litiges relatifs à l'Education nationale - problèmes de dérogation, d'inscription, de bourses - représentent 7 % des interventions des délégués, ce qui est relativement peu ; mais on constate, dans ce domaine, de réelles difficultés pour obtenir satisfaction.

> Secteur fiscal
Le secteur fiscal représente 24 % des réclamations examinées par les délégués.
Ce secteur concerne essentiellement deux administrations : d'une part, les services fiscaux et leurs centres des impôts ; d'autre part, le Trésor public et ses recettes-perceptions.
On trouve, par exemple, des réclamations concernant des redressements fiscaux à propos :
- de frais réels déduits des traitements et salaires (manque de justificatifs, conditions non remplies) ;
- de déductions pour travaux d'amélioration, de réparation et d'entretien dans l'habitation principale ou la propriété louée (les conditions ne sont pas remplies ou la nature réelle des travaux n'autorise pas de déduction) ;
- de la déduction des intérêts d'emprunt pour l'achat ou la restauration d'une maison destinée à devenir l'habitation principale avant le 1er janvier de la 5e année qui suit celle de la conclusion du prêt (engagement à prendre lors de ladite conclusion) ;
- de sommes non déclarées par les entreprises ou bien de livres de comptes mal ou non tenus ;
- de l'évaluation assez fortement sous-estimée d'un bien immobilier (maison, terres), ou d'un passif surévalué dans une succession.

Bref, souvent de simples erreurs involontaires, mais aussi, parfois, de fausses déclarations, de la dissimulation d'argent perçu, voire de la mauvaise foi...

Nombreuses également sont les demandes d'exonération ou de dégrèvement partiel pour les taxes foncières, la taxe d'habitation, la taxe professionnelle, la redevance de l'audiovisuel. Dans ces domaines, le caractère social de la réclamation intervient plus fréquemment
De même, les demandes de délais ou d'échéanciers pour le règlement des impôts de toute nature, pour cas de force majeure ou problèmes conjoncturels, font souvent l'objet d'interventions de la part des délégués départementaux.

> Autres secteurs
Les secteurs urbanisme/justice et agents publics ne représentent qu'une part assez faible des réclamations adressées aux délégués.
Les litiges qui concernent les certificats d'urbanisme, les permis de construire et les modifications d'un plan d'occupation des sols, constituent l'essentiel des demandes d'intervention en matière d'urbanisme. Celles-ci s'avèrent souvent assez difficiles, car il s'agit, la plupart du temps, de problèmes très localisés, et les maires se font quelquefois un peu prier pour répondre...
Les interventions des délégués départementaux dans le domaine de la justice sont rares, et portent principalement sur la non-exécution de décisions de justice. Dans la plupart des cas, souvent complexes, les délégués orientent les demandeurs vers le secteur d'instruction du siège de la Médiature, via un parlementaire.
Il en est de même pour le secteur agents publics, où il est fréquent de devoir interroger des administrations centrales, ce que ne peuvent pas faire les délégués.
Comme on peut le voir à l'issue de ce "survol" des principaux types de réclamations, tels qu'ils apparaissent dans leurs rapports trimestriels, les délégués départementaux ont une tâche très variée et souvent complexe, à l'image même de notre administration.

B. Les conseils donnés.



Le nombre de demandes de conseils, qui n'entrent pas dans le champ de compétence véritable des délégués départementaux, ne cesse d'augmenter. Il est passé de 11 126 à 21 431 entre 1992 et 1998.
Cela montre que la demande de médiation est très large. Il n'est pas rare que des personnes, retenant le terme de "Médiateur", pensent pouvoir trouver auprès du délégué départemental une aide pour leur permettre de faire face à des problèmes de diverses natures, qu'elles ne parviennent pas à régler seules.
C'est ainsi que des particuliers viennent demander conseil au délégué pour le règlement d'affaires d'ordre privé.
Face à de telles situations, le délégué ne peut que les orienter vers un "conciliateur" ou leur recommander de faire appel à un avocat pour défendre leur requête.
Toutefois, le fait que le délégué départemental prenne le temps de les écouter, en apportant un CC complément de réflexion", est toujours perçu très positivement par les particuliers. Ainsi, reçus, écoutés et conseillés, ils ont le sentiment que quelqu'un, enfin, s'est occupé d'eux.
D'une façon générale, on remarque que les délégués départementaux sont, de fait, entraînés, malgré eux, dans une certaine dérive. L'un d'eux disait un jour qu'il avait le sentiment d'être devenu "une sorte de psychothérapeute administrativo -social"... Le colloque portant sur l'avenir de la médiation, tenu à la Sorbonne les 5 et 6 février 1998, a d'ailleurs mis en relief la montée en puissance de cet aspect de la fonction.


2.LES RELATIONS ENTRE LES DELEGUES DEPARTEMENTAUX ET LE SIEGE DE L'INSTITUTION DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE

Pour assurer le succès de sa politique de déconcentration dans l'intérêt des usagers, le Médiateur de la République s'attache à resserrer les liens entre ses délégués départementaux et le siège de l'Institution.
Ainsi, une lettre d'information bimestrielle sur l'activité du Médiateur de la République leur est particulièrement destinée.
Par ailleurs, chaque fois que cela est nécessaire, ils sont consultés sur le règlement de cas particuliers, traités au siège de la Médiature, qui concernent des réclamants de leur département.
De plus, ils reçoivent la copie de toutes les réponses définitives adressées par le Médiateur aux parlementaires de leur département.
Ils sont invités, en outre, à formuler des suggestions de réformes. Certaines sont effectivement reprises par le Médiateur de la République, qui les propose aux ministères concernés.
Enfin, chaque délégué fait le point de son activité, sous la forme d'un rapport trimestriel, qu'il adresse au Médiateur de la République.
Ces rapports comportent cinq parties. Ils présentent :
- les dossiers que le délégué départemental n'a pas pu régler localement, et qui devraient parvenir au Médiateur de la République par l'intermédiaire d'un parlementaire ;
- les affaires traitées au cours du trimestre, avec indication des coordonnées du réclamant, de la nature de l'affaire, de l'administration saisie, du secteur intéressé, de la suite donnée (affaire close ou en cours), et de la solution des affaires closes (succès, échec ou réclamation non justifiée) ;
- les affaires plus anciennes closes au cours du trimestre, avec indication de leur nombre, de leur nature, et de la solution qui leur a été apportée ;
- les interventions locales faites par le délégué départemental, à la demande du Médiateur de la République, pour aider à régler certains dossiers traités au siège de l'Institution ;
- les initiatives prises par le délégué pour promouvoir l'Institution, c'est-à-dire ses relations avec les médias, les conférences ou exposés qu'il a faits devant différents organismes, et les relations qu'il entretient avec les parlementaires locaux et leurs assistants.
Toutes ces données sont reprises dans l'état statistique annexé au rapport trimestriel. Le délégué indique également, au début de ce document, le nombre correspondant aux demandes d'information et aux conseils donnés qui ne donnent pas lieu à l'ouverture d'un dossier.

3.LA RECONNAISSANCE DE L'ACTION DES DELEGUES DEPARTEMENTAUX DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE

A quelques exceptions près, l'action du Médiateur de la République et de ses délégués départementaux est maintenant bien connue dans tous les milieux administratifs.
Pour les délégués départementaux, la qualité des relations avec les chefs de service en cause est fondamentale. Ceux-ci, généralement ouverts et compréhensifs, s'efforcent d'apporter la meilleure attention aux litiges qui leur sont soumis et de trouver, si possible, une solution satisfaisante.
Tous les délégués départementaux ont notamment remarqué l'amélioration très nette de la communication avec les ASSEDIC, organismes très sollicités. Cela est également vrai pour la plupart des caisses d'allocations familiales et de sécurité sociale, ou, dans un autre domaine, avec des services fiscaux.
D'une façon générale, le Médiateur de la République et son délégué dans chaque département sont aujourd'hui reconnus comme des partenaires utiles dans le paysage administratif français.
De l'activité des délégués, on peut aussi déduire une évolution manifeste du type de public qui s'adresse au Médiateur. Il y a quelques années, les délégués recevaient fréquemment des personnes au fait des procédures, voire des procéduriers, connaissant le fonctionnement de l'administration. Aujourd'hui, il s'agit surtout de citoyens qui se sentent démunis face à l'administration, qui sont souvent précarisés, qui ont peur ou se méfient des services publics, qui sont perdus face au nombre croissant et à la complexité des textes administratifs.
Comme le soulignait une déléguée départementale lors du colloque de la Sorbonne, le simple fait, pour l'usager, de remplir un formulaire peut relever de l'épreuve. Il ne se rend pas toujours compte de l'importance de mettre une croix dans une case plutôt qu'une autre, et de l'incidence que cela pourra avoir sur sa situation personnelle.
Il est particulièrement important d'écouter les réclamants et de prendre le temps de les laisser exposer leur dossier, ce qui est une manière de les considérer.
Dans bien des cas, un effort d'explication, voire de pédagogie, suffit à débloquer un problème ou à le rendre compréhensible, car la majorité des réclamations sont essentiellement dues, à la base, à une communication défectueuse avec l'administration concernée.
Ainsi, à défaut d'un dialogue direct entre une administration, quelle qu'elle soit, et un administré, le délégué départemental du Médiateur de la République fait office d'intermédiaire, qui remplit un rôle de discussion, d'intercession et d'accélération.
A l'arbitraire supposé du comportement de l'administration succèdent ainsi la communication, l'explication et la réparation, dans des délais raisonnables.
Au cours des trois dernières années, le nombre de médiations réussies par les délégués départementaux a atteint la moitié de celui des médiations tentées.
Ce taux de succès prouve que les délégués savent, en général, trouver les bons arguments pour faire évoluer les positions de l'administration. Cela démontre également que celle-ci sait faire preuve de plus de souplesse et d'humanité dans le réexamen de certaines de ses décisions.
Cette démarche convergente pour placer les citoyens au coeur de la vie publique augure bien des tentatives engagées pour réformer le fonctionnement du service public. Comme le rappelait, il y a peu, un délégué, on peut dire que "le délégué départemental du Médiateur de la République, dans le sillage de l'Institution qui trace la route, participe, personnellement, à cette avancée, où l'attention portée à la personne fait, en définitive, oeuvre de civilisation".


2.LE TEMOIGNAGE DE DEUX DELEGUES DEPARTEMENTAUX.

1.TEMOIGNAGE DE M.JEAN-JACQUES FIEMS, DELEGUE DU NORD

" Délégué du Médiateur depuis 1983, je suis en même temps directeur du Centre interministériel de renseignements administratifs (CIRA) de Lille, l'un des neuf centres de France, dont la vocation est de renseigner téléphoniquement les usagers sur leurs droits et démarches.
Cette conjonction de fonctions, particulièrement heureuse, fait que je dispose, en tant que de besoin, de l'appui de mes collaborateurs sur certains dossiers complexes, situation fort enviable.
Les problèmes traités concernent des thèmes bien connus de l'ensemble de mes collègues : non-réponse ou réponse incomplète des services administratifs, délais élevés, absence de motivation des décisions, complexité ou inutilité de certaines démarches, absence ou refus de dialogue, incompréhension réciproque... Bref, tout ce qui relève du dysfonctionnement, bien plus que du non-respect de la règle.
L'évolution de notre rôle a, bien évidemment, été marquée depuis ces dix dernières années par la montée de la précarité, qui influe sur le type d'affaires et la façon dont elles doivent être traitées : ce qui pose déjà problème en période normale devient insupportable actuellement.
Un refus de prestation ou un différé de paiement, un indu réclamé alors que la somme a déjà été dépensée, une exonération refusée (taxe d'habitation, redevance), pour légitimes qu'ils puissent être, génèrent de plus en plus fréquemment des conflits, dès lors qu'ils touchent certaines populations pour qui rigueur est synonyme d'excès de sévérité, et parfois même de malveillance.
Le délégué doit ainsi être à la fois assistant social, écrivain public, informateur, "facilitateur", confident parfois, pris à partie ou à témoin, souvent, donc, émissaire. Il faut noter que ce sont les délégués départementaux du Médiateur de la République qui ont inauguré ce nouveau mode de relations entre l'administration et l'usager.
A titre personnel, cette évolution a pu engendrer des moments de lassitude, parfois intense : le fait, pour quelqu'un qui reste avant tout fonctionnaire, de voir l'administration dysfonctionner, parfois de façon outrancière, n'est pas neutre psychologiquement.
A la longue pourtant, ce que J'appelle mon "strabisme divergent" (un oeil sur l'usager, l'autre sur l'administration) m'apparaît comme un plus, comme une fenêtre ouverte, comme le moyen le plus immédiat de ne pas fonctionner idiot.
S'il me fallait émettre un souhait, ce serait de demander à l'administration d'user plus largement de sa faculté d'apprécier les choses, les situations et les gens.
Il ne lui est pas interdit d'avoir du bon sens et du discernement, à une époque où les situations l'exigent fortement. Ainsi, on ne devrait plus supprimer ou suspendre sans état d'âme le RMI ou une prestation à quelqu'un qui n'a plus d'autres ressources, ni mettre en oeuvre une saisie ou un arrêt à tiers détenteur pour des sommes dérisoires, alors que des délais de paiement pourraient être accordés.
Il faut évoluer de la coercition à la compréhension.

2.TEMOIGNAGE DE Mme FLORENCE BREDIN, DELEGUEE DU JURA

S'il n'y a pas de journée type pour un délégué départemental du Médiateur de la République, on peut néanmoins considérer qu'elle se décompose en trois grands secteurs d'activité :

1. L'accueil et l'écoute
2. L'instruction
3. Les relations externes

1. Le délégué reçoit, sur rendez-vous, toutes les personnes qui le sollicitent, mais il peut également être saisi par téléphone ou par courrier des sujets les plus divers, souvent en dehors de ses compétences.
Ainsi, par exemple, il m'a été demandé, par un syndicat de salariés, de régler un conflit dans une entreprise, ou encore, par un particulier, d'intervenir dans un différend entre deux voisins, car les volailles de l'un venaient gratter les graviers de la propriété de l'autre, malgré un mur de séparation... Le public, de plus en plus en difficulté, perdu face au fonctionnement de l'administration et incapable de décrypter son langage, trouve en l'Institution du Médiateur de la République l'assurance d'être écouté et conseillé, sans risque d'être jugé.
Le bureau du délégué du Médiateur est non seulement un lieu "neutre", mais aussi le refuge où peut, quelquefois, éclater toute la rancoeur des administrés face à l'Etat et aux collectivités locales.
Après avoir entendu les faits, examiné les documents, vérifié et analysé le problème, le délégué du Médiateur doit trancher : ou l'affaire est recevable et l'administré repart encouragé et confiant, ou l'affaire est hors compétence. Dans ce dernier cas, étant au service du public, je considère qu'il est de mon devoir de fournir à la personne concernée au minimum une adresse ou un numéro de téléphone. Mais, le plus souvent, c'est moi-même qui prends le rendez-vous avec le service qui pourra trouver une solution au litige.

2. Saisie de l'affaire, il faut alors que je choisisse mon mode d'intervention. Certaines affaires peuvent se régler par téléphone, d'autres nécessitent des courriers.
Le plus important est de contacter le bon interlocuteur, celui qui sera habilité à régler le différend, celui qui aura une oreille plus attentive.
Puis il faut argumenter, chercher l'élément nouveau qui permettra à l'administration de revenir sur sa position.
Par exemple, les décisions prises par les commissions paritaires des ASSEDIC le sont sur la base de documents types, remplis par les demandeurs d'emploi. Or, ces derniers hésitent souvent à étayer leur demande avec des arguments significatifs, en passant sous silence leurs problèmes personnels, et se voient ainsi refuser le bénéfice d'une aide quelconque. Un rapport circonstancié, faisant état de la globalité de la situation de l'intéressé, permet alors aux ASSEDIC de réexaminer leur précédente décision à la vue d'éléments nouveaux.
Dans le meilleur des cas, on obtient une réponse sous un mois, mais, souvent, deux relances, voire davantage, sont nécessaires pour obtenir ne serait-ce qu'un début de réponse. Cela se remarque particulièrement quand un litige survient entre un particulier et une petite commune.
Lorsque la réponse arrive, il faut alors en aviser l'intéressé. Dans le cas où elle lui est favorable, cela ne pose aucun problème, le délégué du Médiateur, auréolé d'un "pouvoir miraculeux", apparaît alors comme la bonne fée qui, d'un coup de baguette magique, a trouvé la solution. Dans le cas contraire, il faut reprendre l'argumentation du service concerné, l'expliquer et traduire la position de celui-ci en langage compréhensible. Le délégué du Médiateur peut alors se voir soupçonner d'être un "suppôt de l'administration" ou des élus...

3. La troisième partie de notre activité consiste en la prise de contact avec nos interlocuteurs privilégiés : rencontrer les chefs de service ; faire un point hebdomadaire avec des assistants parlementaires ; rencontrer les conciliateurs de justice ; faire, parfois, des propositions afin d'améliorer le fonctionnement au quotidien de différents circuits administratifs, en faisant, par exemple, désigner un fonctionnaire plus particulièrement attaché à la réception du public en difficulté.
En conclusion, la fonction de délégué départemental du Médiateur de la République est riche de rencontres, d'enseignements, d'expériences. Elle peut nous aider dans notre mission administrative traditionnelle, en nous donnant, en permanence, le souci de la simplification, celui de la lisibilité et celui de l'accessibilité de nos décisions, notamment pour les publics les plus en difficulté.
Mais, aussi riche soit-elle, notre fonction peut également être risquée si l'on ne prend pas garde à maintenir une certaine distance face aux citoyens et à leurs problèmes, face aux administrations et aux élus, attitude qui est aussi le gage de notre indépendance. "


3. QUELQUES CAS SIGNIFICATIFS TRAITES PAR LES DELEGUES DEPARTEMENTAUX.

Allocation de solidarité spécifique

M. E... s'était vu refuser par l'ASSEDIC le bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique, au motif qu'il ne remplissait pas les conditions prévues par l'article R. 351-13 du code du travail, à savoir "justifier de cinq ans d'activité salariée dans les dix ans précédant la fin du contrat de travail à partir de laquelle ont été ouverts ses droits aux allocations d'assurance".
Or, après une étude attentive du dossier de M. E..., le délégué départemental du Médiateur de la République a constaté que l'intéressé remplissait bien les conditions demandées. Il a alors adressé au directeur départemental du travail la photocopie de tous les bulletins de salaire remis à M. E... pendant les dix années concernées, soit plus d'une centaine.
Grâce aux preuves ainsi fournies, les droits de M. E... ont été reconnus, et le paiement des sommes dues, soit 92 975 F, a été effectué.

Allocation du conseil général

M. R... s'est vu confier un enfant, par décision judiciaire, le 7 décembre 1984.
Or, M. R.... qui n'a pas immédiatement eu connaissance de cette possibilité d'aide financière, a déposé sa demande très tardivement. Aussi n'arrivait-il pas à obtenir le paiement rétroactif des sommes auxquelles il aurait eu droit s'il avait déposé sa demande en temps voulu.
A la suite de l'intervention du délégué départemental du Médiateur de la République, le conseil général a accepté de verser à M. R... une indemnité rétroactive de 97 265 F, correspondant aux quatre dernières années.

Inaptitude - agent hospitalier

Mme B..., âgée de 34 ans, est agent des services hospitaliers.
A l'issue d'un congé maladie de longue durée, le comité médical départemental avait conclu à son inaptitude définitive aux fonctions d'agent des services hospitaliers et l'avait mise à la retraite pour invalidité.
Le dossier de Mme B... avait donc été adressé à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), mais cette caisse refusait sa mise à la retraite, en se fondant sur une contre-expertise médicale qui déclarait l'intéressée apte à exercer ses fonctions.
Mme B..., déroutée par ces décisions contradictoires, a alors demandé l'aide du délégué départemental du Médiateur de la République, qui s'est adressé à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Celle-ci a désigné un médecin expert, qui a conclu à la capacité de Mme B...
Grâce à cela, Mme B..., qui assume seule la charge de deux jeunes enfants, a été autorisée à reprendre son activité d'agent hospitalier.

Cotisations d'assurance personnelle

Mme T... a saisi le délégué départemental du Médiateur de la République d'un litige l'opposant à divers organismes sociaux.
En effet, l'URSSAF lui réclamait la somme de 26 245 F au titre de cotisations d'assurance personnelle pour la période allant du 3e trimestre 1995 au 1er trimestre 1997.
Or, selon Mme T..., ces cotisations avaient, jusque-là, toujours été entièrement prises en charge par la caisse d'allocations familiales.
Un mois après l'intervention du délégué départemental du Médiateur de la République, les organismes sociaux concernés reconnaissaient que Mme T... n'était redevable d'aucune cotisation, et mettaient un terme aux poursuites engagées à son encontre.

Bourse d'enseignement supérieur

Mlle C..., inscrite en maîtrise de philosophie, avait reçu, pour l'année universitaire 1996-1997, une bourse d'enseignement supérieur sur critères sociaux.
Après avoir obtenu sa maîtrise, Mlle C..., qui avait jusque-là connu un parcours scolaire et universitaire sans échecs, a raté le concours du CAPES, auquel elle s'était portée candidate en auditeur libre.
Pour l'année universitaire 1997-1998, Mlle C... s'est inscrite en formation pour accéder une seconde fois au concours du CAPES.
Après lui avoir été accordée dans un premier temps, sa nouvelle bourse lui a été supprimée, sur avis négatif du président du jury du CAPES.
L'intervention du délégué départemental du Médiateur de la République, faisant notamment valoir que la mère de Mlle C... venait de perdre son emploi, a conduit le rectorat à réexaminer la situation de Mlle C... et à rétablir sa bourse.

"Formulaire E III"

Lors d'un voyage au Portugal, Mme V... a dû être opérée d'urgence d'une appendicite aiguë.
Contactée immédiatement après l'opération, la caisse d'assurance maladie de Mme V... lui a affirmé que le remboursement de ses frais serait effectué à son retour en France.
Or, sur une dépense de 21432 F, seulement 2 823 F ont été remboursés à Mme au motif qu'elle n'avait pas demandé le "formulaire E III " avant de quitter la France.
Mme V..., qui ignorait la nécessité de remplir ce formulaire, a alors demandé au délégué départemental du Médiateur de la République d'intercéder en sa faveur.
La direction de la caisse d'assurance maladie concernée ayant accepté de réétudier le dossier de Mme V... il s'est avéré qu'en raison des modalités de calcul de l'arrêté du 4 mars 1978 le remboursement qui aurait dû être effectué en faveur de l'intéressée s'élevait à 14 260 F.
Mme V... a donc pu recevoir, à titre de régularisation, un nouveau versement d'un montant de 11 437 F.

Amende fiscale - travaux non conformes

En juin 1990, MM. G... et K... ont acheté, en indivision, un terrain constructible. Ils ont confié la construction d'une maison à la société P... qui a été déclarée en faillite quelques mois plus tard, alors qu'elle n'avait réalisé que les fondations.
M. R..., le maçon de cette entreprise, a alors proposé à MM. G... et K... de continuer la construction de la maison, ce qu'ils ont accepté.
Or, ne pouvant suivre les travaux que de loin, MM. G... et K... se sont aperçu tardivement que, outre des surfacturations et des vols de matériaux, de nombreux changements avaient été effectués par rapport aux plans initiaux de la maison (rehaussement de la maison, dégagement de caves, etc...) et n'avaient pas été déclarés par le maçon, qui avait, d'ailleurs, disparu...
Bien qu'ils aient déposé, dès qu'ils ont eu connaissance des faits, une demande de permis modificatif, un procès-verbal d'infraction a été dressé, et MM. G... et K... ont reçu un avis de paiement de taxes et amendes très élevé, dont ils ont contesté le montant.
N'arrivant pas à obtenir satisfaction, MM. G... et K... ont demandé au délégué départemental du Médiateur de la République de les aider à régler leur problème.
A la suite de l'intervention du délégué, il est apparu qu'un vice de forme avait entaché le calcul des taxes en question, et un dégrèvement total a pu être accordé à MM. G... et K...

Carte nationale d'identité

A cause d'une confusion entre son nom patronymique et celui de son grand-père, M. D..., fonctionnaire titulaire depuis plus de trente-trois ans, était dans l'impossibilité de produire une carte nationale d'identité en cours de validité.
Or, sans présentation de carte d'identité, M. D..., nouvellement retraité, ne pouvait obtenir de la Caisse des dépôts et consignations le règlement de sa pension.
M. D..., très inquiet à l'idée de ne pas pouvoir percevoir sa retraite, a sollicité l'aide du délégué départemental du Médiateur de la République.
Celui-ci est intervenu auprès de la préfecture concernée et a obtenu qu'une carte nationale d'identité soit délivrée à M. D...
Sur présentation de ce document, la Caisse des dépôts et consignations a procédé au versement rétroactif des huit mois de pension dus à l'intéressé.





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