LE MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE ET LE DROIT DES ETRANGERS




Dans son rapport au Président de la République et au Parlement pour l'année 1991, Paul Legatte soulignait que les réclamations concernant l'application des règles du droit à l'immigration représentaient 5 % des affaires reçues par le secteur compétent de la médiature (secteur " administration générale ") et qu'elles étaient en augmentation de 40 % par rapport aux deux années précédentes. Cette augmentation s'est poursuivie pour atteindre 18,5 % des affaires reçues par ce secteur au cours des sept premiers mois de l'année 1997.

Si on ajoute les litiges nés des problèmes de nationalité, les réclamations soumises par les étrangers représentent plus de 23,5 % des affaires reçues par ce secteur au cours de cette même période.

Cette appréciation chiffrée ne tient pas compte des réclamations présentées par le collectif des " sans-papiers de Saint-Bernard ". Deux cent soixante-sept dossiers individuels ont été transmis en leur nom, au Médiateur de la République, par Robert BADINTER, sénateur des Hauts-de-Seine (voir annexe 2, p. 44).

Le Médiateur de la République s'est prononcé à diverses reprises sur le droit des étrangers, non seulement en saisissant les administrations concernées par les réclamations qui lui sont adressées, mais également lors de l'élaboration de la loi du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l'immigration et modifiant notamment l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Il a ainsi été entendu, le 28 janvier 1997, par la commission des lois du Sénat, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi (voir annexe 1, p. 43).

Ce chapitre ne constitue pas une étude exhaustive du droit des étrangers en France, mais une présentation des questions les plus significatives ou les plus fréquemment relevées à l'occasion de l'examen des réclamations soumises au Médiateur de la République.

Il portera tout d'abord sur le visa d'entrée en France, puis sur l'octroi du statut de réfugié. Il traitera ensuite des autorisations de séjour et des conditions d'éloignement du territoire. Enfin, sera abordée la question de l'acquisition de la nationalité française.

I. LE VISA D'ENTRÉE EN FRANCE

Pour entrer en France, en vertu de l'article 5 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, tout étranger doit être muni, notamment, des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur. Ainsi, le principe est que, sous réserve de décisions unilatérales de la France ou d'accords bilatéraux, un étranger ne peut entrer en France que s'il est muni d'un visa. Ce visa est dit de court séjour si sa validité est inférieure ou égale à trois mois, ou de long séjour si sa validité est supérieure à cette durée.

Ces visas sont délivrés par les postes diplomatiques et consulaires, en application du décret no 47-77 du 13 janvier 1947.

Du 1er janvier 1993 au 31 juillet 1997, quatre-vingt-trois réclamations ont été présentées à l'occasion de refus de visas consulaires.

A. DES DÉCISIONS NON MOTIVÉES

En vertu de l'article 16 de la loi no 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires ne sont pas motivées, par dérogation aux dispositions de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public.

En application de ce texte, les étrangers ne connaissent pas les motifs qui ont présidé au refus de visa qui leur a été opposé, sauf s'ils exercent un recours, et cette simple absence de motivation peut, à elle seule, être à l'origine des réclamations présentées au Médiateur de la République.

En juillet 1993, Mlle V..., de nationalité mauricienne, qui sollicite un visa pour une visite de trois mois en France, se voit opposer des refus à plusieurs reprises. Elle s'étonne de ces refus réitérés qui ne sont motivés ni par écrit, ni même oralement. Elle saisit donc le Médiateur de la République afin de connaître les raisons qui s'opposent à l'octroi de son visa d'entrée.

Le service compétent du ministère des Affaires étrangères auprès duquel le Médiateur est intervenu l'a informé que ce refus était notamment fondé sur le fait que l'intéressée ne présentait pas de garantie de retour dans son pays d'origine (réclamation no 94-2468, transmise par M. Amédée IMBERT, député de l'Ardèche).

Cet exemple est significatif. En effet, l'examen des réclamations de refus de visa fait apparaître que dans la quasi-totalité des cas, la prise en compte du risque migratoire constitue la motivation essentielle de ces décisions.

B. LA PRISE EN COMPTE DU RISQUE MIGRATOIRE

Depuis plus de vingt ans, le contrôle des flux migratoires est une préoccupation constante de la France, comme de la plupart des États développés.

Le Conseil d'État reconnaît, en vertu d'une jurisprudence constante, un large pouvoir d'appréciation en matière de refus de visa aux autorités françaises qui peuvent se fonder, non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public, mais sur toute considération d'intérêt général.

Dans ce contexte juridique, lorsqu'il apparaît que le refus de visa est fondé sur le risque migratoire, sauf à démontrer que ce motif manque en fait, le Médiateur de la République ne peut utilement intervenir pour que satisfaction soit donnée aux intéressés.

Les réclamations soumises à la médiature laissent parfois apparaître que les postes consulaires ont, lors de l'examen des demandes de visa, un tel souci du risque migratoire qu'il leur arrive d'appliquer avec une rigueur excessive les consignes strictes qu'ils reçoivent. Mais la charge de travail qui pèse sur ces services peut expliquer cette attitude.
De nationalité française, installé en France depuis de nombreuses années, marié à une Française, M. L... a souhaité accueillir, à l'occasion des fêtes de fin d'année, ses parents à son domicile.

Ces derniers, de nationalité marocaine, demeurant au Maroc, ont demandé un visa au consulat général de Rabat. Ils devaient poursuivre leur séjour en Italie où est installée leur fille.

Ils ont obtenu sans difficultés leur visa pour l'Italie, mais le visa d'entrée en France leur a été refusé.

M. L..., qui dispose d'un vaste logement, est parfaitement en mesure d'héberger ses parents.

Compte tenu de sa situation professionnelle, il n'a aucune difficulté à subvenir à leurs besoins pendant leur séjour en France.

Le certificat d'hébergement a été visé et délivré immédiatement, sans qu'une enquête préalable soit diligentée, le maire de la commune de résidence de M. L..., qui connaît les intéressés, disposant déjà d'un dossier de même nature les concernant.

Lors de la confirmation de la décision de refus de visa, il a été précisé à l'intéressé qu'il pouvait présenter auprès de la préfecture de son lieu de résidence, une demande de regroupement familial au titre d'ascendants à charge. Bien que ses parents n'aient pas l'intention de s'installer durablement en France, M. L... s'est rendu à la préfecture dont il dépend, espérant trouver ainsi une solution à son problème. Or, le service compétent lui a fait remarquer qu'étant français, il n'était pas soumis aux règles relatives au regroupement familial et que, hormis le visa d'entrée, le séjour en France de ses parents n'était soumis à aucune procédure particulière.

Le ministre des Affaires étrangères, auprès de qui le Médiateur de la République est intervenu, a donné des instructions au consulat général de Rabat afin qu'il examine favorablement une nouvelle demande de visa de court séjour présentée par les parents de M. L... (réclamation no 94-0210, transmise par M. Laurent FABIUS, député de la Seine-Maritime, président de l'Assemblée nationale, ancien Premier ministre).

C. LES ATTEINTES À LA VIE FAMILIALE

40 % des dossiers de refus de visas concernent des conjoints de Français ou des conjoints de ressortissants étrangers résidant régulièrement en France.

Ces situations conduisent le Médiateur de la République à intervenir fermement auprès des autorités concernées. En effet, ces refus portent atteinte au droit des individus à avoir une vie familiale normale, principe énoncé à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

À cet égard, le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 93-325 DC du 13 août 1993, a rappelé l'obligation de respecter, à l'égard des étrangers, les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire national, et notamment la liberté de mariage et le droit de mener une vie familiale normale.

M. V..., qui est de nationalité française, séjourne régulièrement au Maroc, où il a connu Mlle K..., il y a plusieurs années. Souhaitant se marier, les intéressés se sont trouvés confrontés aux problèmes liés à l'entrée en France des ressortissants étrangers.

Ne voulant pas officialiser leur union en France alors que Mlle K... n'y serait pas en situation régulière, ils ont choisi de se marier au Maroc, en mars 1993.

M. V... a aussitôt fait transcrire son mariage au consulat de France.

Dans le même temps, son épouse a demandé au consulat général de France à Fès de lui délivrer un visa qui lui permettrait de rejoindre son mari en France. Ce visa lui a été refusé en janvier 1994.

Le Médiateur de la République est intervenu auprès du ministre des Affaires étrangères en faisant valoir que cette décision de refus était extrêmement préjudiciable à ce couple, qui, marié depuis le 17 mars 1993, n'avait jamais pu, depuis lors, mener une vie commune normale, alors que leur mariage avait été reconnu par les autorités françaises.

À la suite de cette intervention, Mme V... a pu obtenir un visa et rejoindre en France son mari (réclamation no 94-2237, transmise par M. Bernard DEBRÉ, député d'Indre-et-Loire, ancien ministre).

L'administration préfectorale peut aussi contraindre les intéressés à quitter la France. La réclamation no 94-3201, transmise par M. Jean-François MANCEL, député de l'Oise, en témoigne.

M. T..., ressortissant étranger, est entré en France en 1981 afin d'y poursuivre des études et s'est fixé dans la région parisienne près de ses frères et súurs qui y sont installés. Il a alors rencontré sa future épouse, de nationalité française, qu'il a épousée en février 1993 en France.

En janvier 1994, les services préfectoraux ont informé les intéressés que si M. T..., qui était en situation irrégulière depuis plusieurs années, voulait obtenir un titre de séjour, il devait regagner son pays d'origine et y déposer une demande de visa de long séjour. Il a aussitôt quitté la France. Son épouse en a avisé la préfecture. Or, en mai 1994, il a appris que sa demande de visa de long séjour était rejetée. Désemparé, l'intéressé a déposé alors une demande de visa de court séjour qui, elle aussi, a fait l'objet d'un rejet. Devant cette situation, M. et Mme T... ont sollicité l'aide du Médiateur de la République qui est immédiatement intervenu auprès du ministre des Affaires étrangères et un visa a été délivré à M. T...

D. DES SITUATIONS PARTICULIÈREMENT DÉLICATES

Parfois, les intéressés se trouvent dans des situations inextricables. Le rôle du Médiateur de la République consiste essentiellement à les assister dans leurs démarches.

Le Médiateur peut ainsi les aider à accomplir des formalités rendues difficiles par des situations locales.

M. A..., ressortissant algérien, avait déposé en décembre 1994, en faveur de son épouse et de leurs deux enfants, une demande de regroupement familial qui, après décision favorable du préfet en mars 1995, a été transmise à l'Office des migrations internationales (OMI).

Les demandes de visa ont alors été déposées, mais l'instruction des dossiers a été suspendue, en raison des problèmes rencontrés à cette époque par les postes diplomatiques et consulaires français en Algérie, puis du fait que la situation qui prévaut dans ce pays a rendu impossible le contrôle des actes d'état civil par les services du ministère des Affaires étrangères.

À la suite de l'intervention du Médiateur de la République, ceux-ci ont accepté de reprendre l'instruction. Il a fallu alors obtenir de la préfecture la confirmation de son accord. Ces formalités accomplies, les visas de long séjour ont été accordés en avril 1997. Mme A... et ses deux enfants sont aussitôt entrés en France (réclamation no 96-3429, transmise par M. Denis JACQUAT, député de la Moselle).

Il peut s'agir aussi de situations plus complexes encore, qui doivent en outre être réglées dans l'urgence.

Mme S..., de nationalité française, s'était mariée en janvier 1975 avec un ressortissant yougoslave d'origine bosniaque, M. S..., qui vivait alors en France, dont elle a eu un fils.

Ils ont divorcé en 1978, et son ex-mari a regagné son pays en 1982. Cependant, les intéressés sont restés en contact permanent afin de maintenir les liens entre leur fils et son père.

En août 1988, le jeune garçon a souhaité vivre auprès de son père qu'il a rejoint en Bosnie.

Puis en 1990, les intéressés ayant décidé de se remarier, M. S... devait revenir s'installer en France. La guerre ne leur a pas permis de concrétiser leur projet.

Après avoir perdu pendant plusieurs mois le contact avec son ex-mari et leur fils, Mme S... a pu retrouver leur trace grâce à la Croix-Rouge, dans un camp de réfugiés en Slovénie. Elle s'est alors rendue sur place, a constitué un dossier en vue du remariage mais ce projet a buté sur des obstacles multiples. Elle n'a pu par exemple obtenir des autorités françaises un visa afin que son ex-mari vienne se remarier en France.

Enfin, avec l'accord des trois pays concernés - France, Bosnie, Slovénie - le mariage a pu avoir lieu le 21 septembre 1996 à la mairie de Ljubljana en Slovénie. Il a été transcrit dans les registres de l'état civil français le 15 octobre 1996. Ils ont aussitôt déposé une demande de visa au consulat de France à Ljubljana. Le traitement de ce dossier présentait un caractère d'urgence certain. En effet, M. S..., bosniaque, avait une carte de réfugié, ce qui lui permettait de séjourner en Slovénie chez son frère qui avait pris la nationalité slovène. Cependant, dès la suspension des hostilités, il a été mis en demeure de regagner la Bosnie avant le 31 décembre 1996.

Face à cette situation, et craignant de perdre à nouveau le contact avec son mari ainsi qu'avec son fils, Mme S... a saisi le Médiateur de la République. Celui-ci est immédiatement intervenu auprès du ministre des Affaires étrangères en lui recommandant tout particulièrement ce dossier. Une décision favorable à l'octroi de ce visa a été prise le 19 décembre 1996 et cette famille au parcours mouvementée, qui venait de vivre cinq années particulièrement difficiles, a pu enfin être réunie le 24 décembre 1996. (réclamation no 96-4666, transmise par M. Jean-Claude ABRIOUX, député de la Seine-Saint-Denis).

E. LES VICISSITUDES DE L'ENTRÉE EN VIGUEUR DES ACCORDS DE SCHENGEN

La convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des États de l'Union économique du Bénélux, de la République fédérale d'Allemagne et de la République française, relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990, a été publiée par le décret no 95-304 du 21 mars 1995. Sa mise en vigueur a été effective le 26 mars 1995.

Cette convention prévoit, tout d'abord, que les Parties contractantes s'engagent à adopter une politique commune en ce qui concerne la circulation des personnes, et notamment le régime des visas.

Ainsi, un visa uniforme de courte durée (séjour inférieur à trois mois), valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes a été institué. En application de ces dispositions, un ressortissant étranger soumis à l'obligation de visa qui souhaite se rendre dans plusieurs pays de l'" espace Schengen " n'a plus à solliciter qu'un visa unique et non un visa par État visité.

Lorsque cette convention est entrée en vigueur, la France soumettait les ressortissants mexicains à l'obligation de visa. Celle-ci n'a été supprimée qu'à compter du 23 juin 1996.

M. et Mme C... - G..., ressortissants mexicains, souhaitant visiter l'Europe à l'occasion de leur voyage de noces, étaient en possession de billets d'avion de Mexico à Amsterdam, puis Venise, Paris et Barcelone, et à nouveau Amsterdam d'où ils devaient regagner Mexico.

Après avoir, notamment, présenté ces billets, ils ont obtenu de l'ambassade de France à Mexico un visa pour une entrée et un séjour de cinq jours à Paris, valable entre le 17 avril et le 15 mai 1995.

Ayant séjourné sans formalité particulière à Amsterdam puis à Venise (les Pays-Bas et l'Italie ne soumettent pas les ressortissants mexicains à l'obligation de visa), ils sont arrivés le 4 mai 1995 à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle.

Au contrôle de police, il leur a été reproché de pénétrer pour la seconde fois dans l'espace Schengen - dont les Pays-Bas font partie mais non l'Italie - alors que leur visa n'autorisait qu'une seule entrée. Ils ont alors été retenus dans les locaux de la police de l'aéroport, puis toute la nuit dans un hôtel sous contrôle policier très strict, dans des conditions matérielles et morales déplorables.

Le lendemain matin à onze heures, ils ont été expulsés vers Venise d'où ils venaient, alors qu'ils étaient en possession de billets pour Barcelone.

M. C... - G... a adressé alors aux autorités françaises une lettre précisant ses griefs.

N'ayant pas obtenu de réponse, il s'est tourné le 25 avril 1996 vers le Médiateur de la République. Celui-ci s'est rapproché du Président de la République qui lui a fait savoir que des instructions plus claires avaient été données afin d'éviter que ne se reproduisent des incidents aussi fâcheux que celui dont ont été victimes M. et Mme C... - G... (réclamation no 96-2521).

La convention a également mis en  uvre une coopération policière entre les Parties contractantes. À cet effet, elles ont créé un système d'information commun dénommé " Système d'Information Schengen " (SIS) qui a pour objet, en vertu de l'article 93, de préserver l'ordre et la sécurité publics, y compris la sûreté de l'État. Ce système permet, notamment, le signalement de personnes. Peuvent être ainsi signalés, aux fins de non-admission, les étrangers qui ont fait l'objet d'une mesure d'éloignement ou qui n'ont pas respecté les réglementations nationales relatives à l'entrée et au séjour des étrangers.

Mme C..., de nationalité turque, titulaire d'une carte de résident, a épousé en 1994 en Turquie, un compatriote, M. K..., dont elle a eu un enfant né en France en 1995.

Elle a déposé une demande de regroupement familial en faveur de son mari, pour laquelle la préfecture dont elle dépend a donné son accord le 15 mai 1996.

Les formalités à l'égard de l'Office des migrations internationales (OMI) ont été accomplies, à l'issue desquelles le visa d'entrée en France a été refusé à M. K..., par le poste consulaire d'Istanbul, l'intéressé étant inscrit au fichier SIS.

Cette mention se rapportait à un séjour de M. K... en Allemagne. Entré dans ce pays en 1988, il n'avait pas obtenu le statut de réfugié et était revenu en Turquie en août 1991 sans faire constater sa sortie du territoire allemand, alors qu'il faisait l'objet d'une décision de refus de séjour.

Le Médiateur de la République est intervenu auprès du ministre des Affaires étrangères, afin de faire hâter la rectification du fichier SIS.

M. K... ayant fourni aux autorités allemandes les pièces justifiant de son retour en Turquie, celles-ci ont procédé à la radiation de l'inscription devenue sans objet.

L'OMI a ainsi pu reprendre la procédure de regroupement familial.

M. K... a été convoqué pour passer la visite médicale et a aussitôt obtenu son visa d'entrée en France (réclamation no 96-3939, transmise par M. Robert POUJADE, député de la Côte-d'Or, ancien ministre).


II. LE STATUT DE RÉFUGIÉ

Les conditions actuelles d'admission au statut de réfugié sont régies en droit interne par l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, et par la loi no 52-893 du 25 juillet 1952 portant création d'un Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

En droit international, la qualité de réfugié est définie à l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967. Ainsi, la convention considère comme réfugié toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou ne veut, du fait de cette crainte, se réclamer de la protection de ce pays. Or, jusqu'à l'arrêt de Section du Conseil d'État en date du 27 juin 1983, M. Dankha, la France n'accordait le statut de réfugié qu'à ceux qui étaient persécutés ou qui étaient susceptibles de faire l'objet de persécutions de la part du Gouvernement légal de leur pays d'origine. N'étaient pas pris en compte les risques sérieux qui pouvaient peser sur l'existence d'un étranger, notamment lors d'une guerre civile, ou de conflits inter-ethniques si ceux-ci n'étaient pas le fait de l'État dont il était ressortissant. Par l'arrêt précité, le Conseil d'État a nuancé cette position en admettant que la qualité de réfugié pouvait être accordée lorsque les persécutions exercées par des autorités non étatiques sont en fait encouragées ou tolérées volontairement par l'autorité publique.

Ceux à qui la qualité de réfugié est reconnue se voient délivrer de plein droit, sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une carte de résident, en application de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 précitée.

Bien entendu, les étrangers menacés peuvent demander à séjourner en France à un autre titre. Ils doivent alors remplir les conditions exigées pour la carte de séjour sollicitée.

Cependant, une procédure spéciale a été mise en place pour admettre au séjour les Algériens menacés par les groupes islamistes armés. Mais la qualité de réfugié ne leur est pas reconnue. Cette procédure sera examinée dans la partie relative aux titres de séjour.

Le demandeur d'asile doit solliciter la reconnaissance de la qualité de réfugié auprès de l'OFPRA. Si cet organisme statue défavorablement sur sa demande, l'étranger peut déférer cette décision de refus devant la commission des recours des réfugiés qui est un organe juridictionnel et dont les décisions ne peuvent être contestées que devant le Conseil d'État par la voie de la cassation.

C'est toujours à la fin de ce parcours que le demandeur d'asile débouté s'adresse au Médiateur de la République pour que le statut de réfugié lui soit reconnu.

Or, en vertu de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973 instituant ses fonctions, le Médiateur de la République ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, ni remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle.

Par conséquent, le Médiateur de la République ne peut que rejeter la réclamation tendant à la remise en cause de la décision de refus de reconnaissance de la qualité de réfugié prise par la commission de recours.

Il peut toutefois aider le débouté du droit d'asile à obtenir un autre titre de séjour, s'il remplit les conditions prévues par les textes.

M. N..., né en 1972, de nationalité angolaise, a fui son pays en 1988. Il a été intercepté par la gendarmerie française en juin 1988 alors qu'il tentait de se rendre aux Pays-Bas, venant du Portugal. Âgé alors de seize ans, il a été confié par décision judiciaire aux services de l'aide sociale à l'enfance et placé dans un foyer. Cette prise en charge a été prolongée, à sa majorité, jusqu'à ses vingt et un ans.

Dès son arrivée en France, il a appris le français et poursuivi des études. Il a été reçu au baccalauréat en 1993, puis au cours de l'année universitaire 1993-1994 a entamé une première année de DEUG d'espagnol. Durant toute la période où il a été sous tutelle de l'aide sociale à l'enfance, personne ne semble s'être interrogé sur sa situation administrative au regard du droit au séjour, ni n'a entamé de démarche en ce sens. La question s'est posée brutalement lorsqu'il a atteint vingt et un ans. Il a alors cru bon de demander son admission au statut de réfugié auprès de l'OFPRA, mais n'ayant pu produire aucun document, du fait de sa fuite précipitée, il a vu sa requête rejetée par l'Office puis par la commission des recours. Un arrêté l'invitant à quitter la France a alors été pris en juillet 1994.

Cette décision plaçait ce jeune homme dans une situation très critique. Il souhaitait, en effet, poursuivre des études en France dans le but de s'installer en tant qu'enseignant dans un pays d'Afrique autre que son pays d'origine où il craignait de revenir.

Soucieux de lui permettre de réaliser ses projets et d'organiser son départ dans les meilleures conditions, le Médiateur de la République est intervenu auprès du préfet compétent qui a délivré à M. N... une carte de séjour temporaire " étudiant " (réclamation no 94-3970, transmise par M. Jean-Louis BORLOO, député du Nord).

Dans un cas cependant, le Médiateur de la République a estimé possible d'intervenir auprès du directeur de l'OFPRA. Il ne s'agissait pas de la reconnaissance de la qualité de réfugié, mais du maintien de ce statut.

De nationalité polonaise, Mme H... s'est vu reconnaître la qualité de réfugié, en application des dispositions de la Convention de Genève de 1951. À la suite du changement intervenu dans le régime politique de la Pologne, le directeur de l'OFPRA a signalé à l'intéressée son intention de ne pas lui renouveler sa carte de réfugié.

Mme H..., âgée de 71 ans est arrivée en France depuis de nombreuses années après avoir fui les pogroms et son pays où elle avait été victime de nombreuses persécutions. Bouleversée par cette décision venue raviver un passé douloureux, elle a saisi la commission des recours des réfugiés. Elle a sollicité parallèlement l'intervention du Médiateur de la République, afin que son dossier soit réexaminé.

En effet, Mme H... souhaitait que la France, qui lui a assuré sa protection depuis de nombreuses années, continuât à lui reconnaître le statut de réfugié.

Compte-tenu des circonstances particulières de ce dossier, le directeur de l'OFPRA a accepté de renouveler son titre de réfugié (réclamation no 96-0290, transmise par M. François LESEIN, sénateur de l'Aisne).


III. LES AUTORISATIONS DE SÉJOUR

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, tout étranger qui désire séjourner en France plus de trois mois, doit être muni d'une carte de séjour. Il existe deux catégories de cartes de séjour.

Tout d'abord, la carte de séjour temporaire qui est délivrée, sous certaines conditions, aux étrangers qui sont venus en France soit en qualité de visiteurs, soit comme étudiants, soit pour y exercer, à titre temporaire, une activité professionnelle. Elle est délivrée également aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions pour obtenir une carte de résident. La durée de validité de cette carte de séjour temporaire ne peut être supérieure à un an et ne peut dépasser la durée de validité des documents et visas exigés pour entrer en France.

La carte de résident est valable dix ans. Elle peut être délivrée aux étrangers qui justifient d'une résidence non interrompue, conforme aux lois et règlements en vigueur, d'au moins trois années en France.

Par ailleurs, ces titres de séjour sont délivrés de plein droit à certaines catégories d'étrangers dans les conditions définies à l'article 12 bis de l'ordonnance en ce qui concerne la carte de séjour temporaire et à l'article 15 en ce qui concerne la carte de résident.

Des conditions différentes d'attribution d'autorisation de séjour peuvent être aménagées par des conventions internationales.

Pendant la période étudiée, du 1er janvier 1993 au 31 juillet 1997, le secteur compétent de la médiature a reçu, si l'on ne tient pas compte des requêtes présentées par les " sans-papiers de Saint-Bernard ", deux cent cinquante-quatre réclamations relatives à des refus d'autorisation de séjour. Sur ce total, 16 % consistaient en fait en des demandes de renseignements sur les démarches à accomplir afin d'obtenir un titre de séjour. Cette proportion importante peut révéler la complexité du régime de délivrance des autorisations de séjour en France.

A. LES CONJOINTS DE FRANÇAIS ET LES PARENTS D'ENFANTS FRANÇAIS : DES REFUS SOUVENT INJUSTIFIÉS

L'examen de ces réclamations révèle que 20 % des refus de titres de séjour, autres que les demandes de regroupement familial, ont été opposés à des conjoints de Français ou à des parents d'enfants français, et dans la quasi-totalité des cas, le motif invoqué par l'administration était le séjour irrégulier du demandeur.

En vertu de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 1993, la carte de résident n'est délivrée de plein droit aux conjoints de Français et aux parents d'enfants français, que, notamment, s'ils sont entrés régulièrement en France et s'ils sont en situation régulière à la date de leur demande. Par conséquent, l'administration peut, en se fondant sur l'irrégularité de l'entrée ou du séjour, refuser de leur délivrer une carte de résident. Ce même motif la conduit à leur refuser une carte de séjour temporaire. Or, ces mêmes étrangers, en vertu de l'article 25 de l'ordonnance ne peuvent faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'un arrêté d'expulsion, sauf en cas de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou pour la sûreté publique, ou si l'étranger a été condamné à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. Ainsi, sous réserve des exceptions précitées, ces étrangers sont maintenus en situation irrégulière, alors qu'ils ne peuvent être éloignés du territoire.

Dans la quasi-totalité des cas dont le Médiateur de la République a été saisi, et à l'issue de son intervention auprès des préfectures concernées, un titre de séjour a été délivré aux intéressés.

Ressortissant camerounais entré en France en 1981 pour y poursuivre des études, M. E... s'est maintenu sur le territoire en situation irrégulière depuis le 23 septembre 1987.

Il vit depuis 1984 avec une Française avec laquelle il a eu un enfant qu'il a reconnu en août 1990.

À la suite de la déclaration d'exercice d'autorité parentale conjointe sur leur enfant, formulée devant le tribunal d'instance compétent par les intéressés, M. E... a sollicité la régularisation de sa situation administrative et l'octroi de la carte de résident en qualité de père d'enfant français.

Le préfet lui a opposé un refus en se fondant sur son séjour irrégulier depuis 1987.

Après l'intervention du Médiateur de la République, cette autorité a accepté de délivrer une carte de résident à M. E... (réclamation no 94-3296, transmise par M. Maxime GREMETZ, député de la Somme).

En revanche, dans le cas de la réclamation de Mme A..., ressortissante malgache, le Médiateur de la République n'a pu obtenir d'un préfet qu'il revienne sur sa décision de refus.

Mme A... est entrée en France en 1983 pour y poursuivre des études. À l'issue de celles-ci, elle n'a pu obtenir de titre de séjour en qualité de " salariée " et s'est trouvée en situation irrégulière à partir de mai 1991. En décembre 1992, elle a donné naissance à un enfant de nationalité française et a sollicité une carte de résident le 31 août 1993. Mais le préfet lui a opposé un refus en raison de l'irrégularité de son séjour, malgré l'avis favorable de la commission de séjour consultée. Le Médiateur de la République n'a pu infléchir sa position (réclamation no 94-1608, transmise par M. Franck SÉRUSCLAT, sénateur du Rhône).

La loi du 24 avril 1997 a modifié les conditions d'octroi de titres de séjour à ces étrangers. En effet, l'article 12 bis de l'ordonnance permet d'accorder de plein droit une carte de séjour temporaire aux parents d'enfants français sans condition de régularité de l'entrée sur le territoire ou du séjour et aux conjoints de Français sans condition de régularité du séjour.

Depuis l'entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, aucune réclamation n'a été présentée par cette catégorie d'étrangers.

B. LE REGROUPEMENT FAMILIAL

En application de l'article 29 de l'ordonnance de 1945, le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins deux ans, sous couvert d'un titre de séjour d'une durée de validité d'au moins un an, a le droit de se faire rejoindre, au titre du regroupement familial, par son conjoint et les enfants du couple, mineurs de dix-huit ans. Les membres de la famille, entrés régulièrement sur le territoire français au titre du regroupement familial, reçoivent de plein droit un titre de séjour de même nature que celui détenu par la personne qu'ils sont venus rejoindre, dès qu'ils sont astreints à la détention d'un tel titre.

Le regroupement familial peut toutefois être refusé pour l'un des motifs suivants :

- le demandeur ne justifie pas de ressources personnelles stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille;

- le demandeur ne dispose pas d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France;

- la présence en France des membres de la famille dont le regroupement est sollicité constitue une menace pour l'ordre public;

- ces personnes sont atteintes d'une maladie ou d'une infirmité mettant en danger la santé publique, l'ordre public ou la sécurité publique;

- ces personnes résident déjà sur le territoire français.

Pendant la période étudiée, les réclamations relatives à des refus de regroupement familial ont représenté 12 % des réclamations portant sur des refus d'autorisation de séjour.

Une grande partie des refus portés devant le Médiateur de la République était motivée par le fait que ceux pour lesquels le regroupement était demandé séjournaient déjà sur le territoire français. En effet, comme il vient d'être vu, en vertu de l'article 29 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, la résidence des personnes concernées sur le territoire français peut constituer un motif de refus du regroupement. Or il apparaît que dans la plupart des cas, les préfets s'estiment tenus de refuser le regroupement familial lorsque les intéressés sont sur le territoire.

Mme B..., de nationalité tunisienne, est entrée en France avec son mari en 1977. Elle est salariée et en possession d'une carte de résident.

Elle a eu un enfant en 1978 qui a été scolarisé en France.

Son mari est mort en septembre 1983 et Mme B..., atteinte d'une grave maladie, sans famille proche en France, a dû confier son fils à sa mère en Tunisie à l'automne 1984.

Dès qu'elle a été rétablie, elle l'a fait revenir auprès d'elle. Il poursuit depuis sa scolarité dans un lycée parisien.

Très ébranlée par la mort de son mari puis par sa propre maladie, l'intéressée, très peu au fait des règles administratives, ignorait qu'elle aurait dû engager une procédure de regroupement familial avant de ramener son fils. Elle n'avait d'ailleurs jamais rencontré de problème à l'occasion des passages des frontières, lorsqu'elle se rendait en vacances en Tunisie : son fils était inscrit sur son passeport.

Mais en septembre 1992, lors d'un retour en France, l'absence de décision de regroupement familial a été relevée.

Autorisée néanmoins à regagner la France avec son fils, elle a appris que la régularisation ne pouvait être opérée à Paris et que celui-ci devait retourner en Tunisie pendant la durée de la procédure.

Cette obligation posait de nombreux problèmes à Mme B... en raison notamment du coût du voyage et de la perturbation que cela entraînerait pour la scolarité de son fils. En outre, elle ne pouvait se libérer de ses obligations professionnelles. Aussi a-t-elle demandé de faire régulariser sa situation à Paris.

N'obtenant pas satisfaction, elle a sollicité l'aide du Médiateur de la République qui a fait valoir les difficultés de cette famille et le préfet de police a accepté, en janvier 1994, la régularisation de ce jeune garçon (réclamation no 93-1813).

En appréciant strictement les motifs qui peuvent la conduire à un refus de regroupement familial, l'administration peut parfois placer une famille dans une situation difficile comme le montre la réclamation no 95-2038, transmise par M. Daniel VAILLANT, ministre des Relations avec le Parlement, en sa qualité de député de Paris.

M. P..., ressortissant sri-lankais, marié, a eu six enfants nés entre 1962 et 1977. Il est venu en France en 1979, seul, son épouse ayant préféré rester à Colombo avec leurs enfants tant que ceux-ci ne seraient pas élevés. Toutefois, sa dernière fille née en 1977, est venue le rejoindre en 1984. Elle a poursuivi sa scolarité en France. Elle est titulaire d'une carte de résident depuis sa majorité. Son père a également une carte de résident depuis 1989.

Les enfants de M. P... restés au Sri-Lanka ayant grandi et quitté leur mère, celle-ci a décidé de rejoindre son mari en France.

M. P... a présenté une première demande de regroupement familial qui a été rejetée en raison de l'exiguïté de son logement. M. P... a emménagé dans un appartement plus grand et a présenté une nouvelle demande qui a été rejetée en 1993 au motif que ses ressources étaient insuffisantes.

Il a déposé au début de l'année 1995 une troisième demande. Craignant de se voir opposer un nouveau refus pour le même motif, il a sollicité l'aide du Médiateur de la République. Celui-ci est intervenu auprès du préfet compétent en faisant valoir que si M. P... ne remplissait pas les conditions de ressources, un nouveau refus seraitƒ

particulièrement préjudiciable à la vie de cette famille. En effet, Mme P... n'avait pas vu son mari et sa fille depuis leur départ en France. Cette dernière, séparée à l'âge de 7 ans de sa mère, a dû prendre très tôt des responsabilités tout en poursuivant sa scolarité. Elle a ainsi aidé son père, qui écrit mal le français, en l'assistant dans ses démarches administratives. Devenu malade, elle le soutenait maintenant moralement; la présence de Mme P... devenait nécessaire à la vie de cette famille.

Le préfet a accepté en février 1996 le regroupement familial de Mme P....

Face aux difficultés de mise en  uvre d'une procédure de regroupement familial, les étrangers sont parfois conduits à envisager d'autres solutions comme l'illustre la réclamation no 95-3343, transmise par M. Pierre MAUROY, député du Nord, ancien Premier ministre.

Mme K..., de nationalité russe, s'est remariée en 1993 avec un Français avec lequel elle vit en France. Sa fille, elle aussi de nationalité russe, est venue la rejoindre pendant l'été 1994 avec un visa touristique de trois mois. Mme K... a souhaité régulariser la situation de sa fille au regard du droit au séjour. La préfecture du département où elle réside lui a indiqué qu'une telle régularisation ne pouvait s'effectuer en France et que sa fille devait regagner la Russie en attendant l'aboutissement de la procédure de regroupement familial qu'elle devait engager. Une telle solution supposait un séjour de plusieurs mois à l'étranger. Elle aurait pu aussi solliciter un visa pour mineur scolarisé, qui l'aurait obligée à retourner en Russie chaque année pendant les vacances d'été, mais ce choix ne lui donnait pas de droit au séjour en France à sa majorité.

Face à ces difficultés, Mme K... s'est tournée vers le Médiateur de la République. En raison des refus réitérés de la préfecture compétente, et Mme K... souhaitant acquérir la nationalité française, il est apparu que la seule issue consistait à l'engager à souscrire une déclaration de nationalité en qualité de conjoint de Français, au titre de l'article 21-2 du code civil, en y mentionnant sa fille, qui ne devait devenir majeure qu'en décembre 1996, afin qu'elle bénéficie de l'effet collectif de cette déclaration.

Mme K... et sa fille ont ainsi acquis la nationalité française en mars 1996.

Cet exemple illustre en outre les problèmes qui peuvent naître à l'occasion du regroupement familial engagé au profit d'un enfant né d'une première union.

C. LES ÉTUDIANTS : LES DIFFICULTÉS DU DROIT AU SÉJOUR

En vertu de l'article 12 de l'ordonnance de 1945, l'étranger qui souhaite venir en France comme étudiant doit apporter la preuve qu'il y suit un enseignement ou qu'il y fait des études, et doit justifier qu'il dispose de moyens d'existence suffisants. Une carte de séjour temporaire lui est alors délivrée. Elle porte la mention " étudiant ".

L'administration est extrêmement vigilante sur la réalité et le sérieux des études et semble conduite à refuser un renouvellement de titre de séjour notamment lorsque l'étudiant en cause opère un changement d'orientation.

M. B..., ressortissant algérien, est entré en France pour y suivre des études. Après avoir présenté un BTS informatique de gestion qu'il a obtenu après trois années d'études - il a redoublé la première année - il a tenté pour l'année universitaire 1993-1994 de préparer un DEUG de sciences mais a échoué. Il s'est alors orienté vers un DEUG d'arabe.

Il a obtenu treize unités de valeur à la session de juin et cinq autres à celle d'automne.

Pour l'année universitaire 1995-1996, il s'est inscrit en DEUG et licence d'arabe et a sollicité le renouvellement de son titre de séjour. Une décision de refus de séjour lui a été notifée pour le motif que, depuis 1990, il n'avait pas progressé dans ses études et avait changé d'orientation à plusieurs reprises. M. B... soutenait que sa bonne connaissance en informatique était nécessaire au travail qu'il souhaitait mener pour enseigner la langue arabe.

À ces considérations s'ajoute le fait que cette famille est menacée à Alger. Le père, directeur d'école dans la Casbah mais aussi chanteur et poète, a envoyé ses deux fils en France pour leur permettre d'étudier et aussi pour les mettre provisoirement à l'abri.

Le Médiateur de la République est intervenu auprès de l'autorité préfectorale en faisant valoir ces éléments et M. B... a pu obtenir un titre de séjour pour l'année universitaire 1995-1996 (réclamation no 95-3772, transmise par M. Jean-François MATTEI, député des Bouches-du-Rhône).

De nombreuses réclamations illustrent également les difficultés que rencontrent les étrangers lorsqu'ils souhaitent rester en France à l'issue de leurs études. En effet, il n'est pas rare qu'après avoir été étudiant pendant quelques années en France, un étranger désire s'y installer plus durablement, notamment parce qu'il y a noué des attaches familiales. S'il sollicite alors une carte de résident, l'administration lui oppose presque systématiquement un refus pour le motif qu'il a été étudiant jusqu'alors, en s'appuyant sur l'article 15 de l'ordonnance de 1945. Cet article énumère les catégories d'étrangers qui peuvent bénéficier de plein droit d'une carte de résident. Au nombre de ceux-ci figurent les étrangers qui sont en situation régulière depuis plus de dix ans, sauf s'ils ont été, pendant toute cette période, titulaires d'une carte de séjour temporaire d'étudiant. Ainsi, en application de ce texte, dont la rédaction est issue de la loi du 24 août 1993, un étranger dans une telle situation ne peut obtenir de plein droit une carte de résident. Or, l'administration se croit souvent tenue de refuser un tel titre aux anciens étudiants qui le sollicitent pour le seul motif qu'ils ne peuvent se le voir attribuer de plein droit, alors qu'elle pourrait le leur délivrer en application de l'article 14 de l'ordonnance dès lors, notamment, qu'ils justifient d'une résidence non interrompue d'au moins trois années en France.

D. LES AUTORISATIONS DE TRAVAIL

En principe, un étranger ne peut exercer une activité salariée en France que s'il y a été autorisé au préalable. Ceux qui sollicitent une telle autorisation se voient souvent opposer la situation de l'emploi.

Dans un tel cas, en vertu de la jurisprudence, l'administration doit prendre en considération la spécificité de l'emploi sollicité, ce qu'elle ne fait pas toujours.

Mlle L..., ressortissante suisse, bénéficiait de deux promesses d'embauche en qualité de professeur de danse d'une association et d'un club omnisports. Elle s'est vu refuser en janvier 1996, par la direction du travail et de l'emploi de Paris, l'autorisation d'exercer, en raison de la situation de l'emploi dans cette discipline. Le préfet de police a refusé de lui délivrer un titre de séjour et l'a invitée à quitter le territoire.

Le recours hiérarchique qu'elle a présenté contre cette décision de refus ayant été rejeté, elle a saisi le Médiateur de la République. Celui-ci a fait valoir auprès du ministre du Travail et des Affaires sociales la spécificité de la formation de Mlle L....

Outre sa maîtrise des techniques de la danse classique et de la danse contemporaine, son parcours professionnel l'a conduite à compléter sa formation dans le domaine de la psychomotricité en assurant, en Suisse, des cours à des jeunes ayant des difficultés intellectuelles et motrices.

Or, ce sont tout particulièrement ces deux derniers domaines de compétences qui étaient requis pour les deux postes proposés et non celui, plus banal, de la danse classique ou moderne, où les professeurs sont nombreux.

En outre, l'éloignement de Paris, la nécessité de compétence en psychomotricité et l'aptitude à exercer sur le terrain dans des conditions très diverses, avec un public quelquefois difficile, n'avaient pas permis aux associations concernées, situées dans des quartiers dits sensibles, de recruter un professeur.

Face à ces arguments, une autorisation de travail lui a été accordée et le préfet de police lui a délivré une carte de séjour (réclamation no 96-0517, transmise par M. Jean-Luc MÉLENCHON, sénateur de l'Essonne).

D'autre part, il est apparu que dans un nombre significatif de réclamations, l'intervention du Médiateur de la République n'a pu aboutir, l'intéressé n'ayant pas été en mesure de produire un contrat de travail.

E. LES ALGÉRIENS MENACÉS

La France n'accordant, jusqu'à la jurisprudence Dankha, le statut de réfugié qu'aux personnes persécutées par leur Gouvernement légal, les Algériens menacés par des groupes islamistes ne se voyaient que très difficilement reconnaître la qualité de réfugié. Depuis cet arrêt, la commission de recours des réfugiés accorde le statut de réfugié aux Algériens menacés lorsque les autorités locales ont volontairement toléré les agissements des islamistes à leur encontre (commission de recours des réfugiés, sections réunies du 22/07/94, Mlle ELKEBIR et du 17/02/95, M. et Mlle MEZIANE).

Par ailleurs, une procédure d'admission exceptionnelle au séjour, dite d'asile territorial, a été mise en place en leur faveur.

Le dossier de ceux qui souhaitent, pour ce motif, séjourner en France est examiné par une instance interministérielle où siègent des représentants du ministère de l'Intérieur, du ministère de l'Emploi et de la Solidarité ainsi que du ministère des Affaires étrangères. Dès lors qu'ils établissent avoir fait l'objet de menaces de groupes islamistes, l'entrée sur le territoire français leur est facilitée.

Il s'agit néanmoins d'une procédure complexe qui ne dispense pas les intéressés de solliciter un titre de séjour auprès de la préfecture dont ils dépendent. En attendant qu'un tel titre leur soit délivré, ils doivent être munis d'une autorisation provisoire de séjour, ainsi que, le cas échéant, d'une autorisation provisoire de travail.

Universitaire menacé par des groupes islamistes depuis deux ans, tenu, pour des raisons de sécurité, de vivre séparé de son épouse, professeur de français ne pouvant exercer et qui vivait dans une autre ville avec leurs trois enfants, M. C... avait déposé pour toute sa famille une demande de visa en vue d'entrer en France dans le cadre de la procédure réservée aux Algériens menacés.

Grâce à l'intervention du Médiateur de la République auprès du ministre des Affaires étrangères, des visas leur ont été accordés. Les intéressés sont arrivés en France en janvier 1997. Ils ont aussitôt déposé à la préfecture compétente des demandes en vue d'être autorisés au séjour, puis M. C... bénéficiant d'un contrat de travail en région parisienne, a sollicité une autorisation de travail.

Le dossier en vue de leur admission exceptionnelle au séjour a été examiné par la commission interministérielle chargée de se prononcer sur les dossiers des Algériens menacés qui les a admis à " l'asile territorial " en avril 1997.

À la suite d'une nouvelle intervention du Médiateur de la République, des instructions ont donc été données au préfet, afin qu'il délivre à la famille une autorisation provisoire de séjour et une autorisation provisoire de travail à M. C... (réclamations no 95-3415 et no 97-1897, transmises par M. Yvon COLLIN, sénateur de Tarn-et-Garonne).

Même lorsqu'un membre d'une famille a été admis à séjourner en France au titre de cette procédure d'asile territorial, l'administration examine parfois de manière restrictive les demandes de regroupement familial qu'il peut être amené à présenter, comme le montre la réclamation no 95-0868.

Mme B..., qui exerçait la profession d'avocat en Algérie, a fait l'objet de menaces et a fui précitamment son pays en novembre 1994. Elle a rejoint, en France, son mari qui y terminait un doctorat d'État, laissant provisoirement ses trois enfants à la garde de leurs grands-parents. Admise à l'asile territorial, elle a obtenu un titre de séjour l'autorisant à travailler en mai 1995. Elle est employée, par contrat à durée indéterminée, en qualité de juriste dans un cabinet d'avocats. Ayant trouvé un logement, elle a déposé en août 1995 une demande de regroupement familial en faveur de ses enfants et de son mari retourné en Algérie pour s'occuper de ces derniers. Le refus lui a été opposé en mars 1996.

Le Médiateur de la République, que Mme B... avait saisi, est intervenu auprès du préfet qui avait pris cette décision et auprès du ministre compétent en faisant valoir que les trois motifs qui avaient été retenus pour opposer un refus à Mme B... lui paraissaient contestables en droit.

En effet, le préfet s'était tout d'abord appuyé sur le fait que le mariage des époux B... avait été célébré à l'étranger. Or, ni l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui régit les conditions d'entrée et de séjour des Algériens en France, ni d'ailleurs l'ordonnance de 1945 ne mentionnent l'obligation de la célébration du mariage en France comme condition au regroupement familial. En application des règles de droit international privé, les mariages célébrés à l'étranger sont reconnus en France et ouvrent droit, de ce fait, à la procédure de regroupement familial dès lors qu'ils respectent les conditions de fond posées par la loi française et qu'ils sont en conformité avec la loi du lieu de célébration, ce qui était le cas du mariage des époux B...

Le préfet opposait en outre à Mme B... le fait qu'elle ne justifait pas à la date de sa demande d'un an d'activité salariée. Or, l'accord franco-algérien n'impose aucun délai d'attente aux Algériens qui peuvent présenter une demande de regroupement familial dès qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour.

Enfin, le préfet avait estimé que le total des ressources de Mme B... rapporté sur les douze derniers mois étaient d'un montant insuffisant. ll avait pris en compte les salaires perçus par Mme B... pendant les trois mois d'activité de cette dernière depuis qu'elle avait été autorisée à travailler et avait divisé ce montant par douze. Là encore, le préfet avait ajouté une condition non prévue par les textes en appréciant de la sorte les ressources de Mme B....

En outre, les revenus mensuels de cette dernière étaient très supérieurs au SMIC.

À la suite de cette intervention, le ministre a accepté le regroupement de M. B... et de ses enfants.


IV. L'ÉLOIGNEMENT DU TERRITOIRE

L'étranger qui séjourne irrégulièrement en France peut, dans les conditions fixées à l'article 22 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, faire l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière.

Par ailleurs, l'étranger dont la présence constitue une menace grave pour l'ordre public peut être expulsé en application des articles 23 à 26 de l'ordonnance.

En outre, lorsqu'un étranger a été condamné par un juge à une interdiction du territoire, cette interdiction emporte de plein droit, en vertu de l'article 27 de l'ordonnance, reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement.

Le Médiateur de la République n'a pas été saisi de demande de relèvement d'interdiction du territoire. En tout état de cause, il ne pourrait que décliner sa compétence, une telle décision ne pouvant être prise que par le juge judiciaire.

En revanche, le Médiateur de la République a reçu des réclamations tendant à l'abrogation d'un arrêté d'expulsion ou de reconduite à la frontière ou à l'aménagement de l'exécution de ces mesures.

M. D..., ressortissant de la Communauté européenne, a été condamné en 1975 à une peine d'emprisonnement pour cambriolage. À sa sortie de prison, il a fait l'objet d'une mesure d'expulsion.

M. D... est revenu en France en 1982 pour s'engager dans la Légion étrangère, où il est resté plus de huit ans. Il a suivi le cursus habituel du légionnaire, a accompli des services outre-mer et obtenu citations et médailles.

Lorsqu'il a quitté la Légion en 1990, il souhaitait rester en France mais un refus a été opposé à sa demande de carte de séjour, bien qu'il ait été amnistié sur le plan judiciaire, au motif que l'arrêté d'expulsion pris à son encontre devait, au préalable, être abrogé par le ministre de l'Intérieur.

Ne parvenant pas à obtenir cette abrogation, il a sollicité l'aide du Médiateur de la République.

Cette absence de décision le contraignait, en effet, à la précarité, voire à l'exclusion : il ne pouvait travailler, n'avait aucune couverture sociale et vivait grâce à son amie qui l'hébergeait et subvenait à ses besoins. Le Médiateur de la République a appelé l'attention du ministre de l'Intérieur sur ce dossier et l'arrêté d'expulsion a été abrogé en janvier 1996 (réclamation no 95-0786, transmise par M. Jean-Jacques WEBER, député du Haut-Rhin).

La réclamation no 96-2518, transmise par M. Bernard de FROMENT, député de la Creuse, concerne une demande d'abrogation d'un arrêté de reconduite à la frontière.

Demandeur d'asile, M. K..., ressortissant turc d'origine kurde, a participé en août 1992 à une manifestation kurde, à Paris. Interpellé,ƒ

il a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière. Cependant, M. K... n'était pas en mesure de quitter le territoire français. En effet, il ne peut regagner la Turquie où sa vie est menacée et ses démarches en vue d'être admis au séjour dans d'autres pays se sont heurtées à des fins de non-recevoir.

Le ministre de l'Intérieur l'a par conséquent assigné à résidence dans un département du centre de la France en septembre 1992.

Depuis cette date, sa situation devenait de plus en plus difficile. Il n'avait pas l'autorisation de travailler et ne disposait donc d'aucune ressource. C'est dans ces conditions qu'il a sollicité l'aide du Médiateur de la République, le préfet, que M. K... avait saisi, ne pouvant envisager une régularisation de sa situation administrative tant que les arrêtés de reconduite à la frontière et d'assignation à résidence ne seraient pas abrogés.

Le Médiateur de la République est intervenu auprès du ministre de l'Intérieur, afin qu'il réexamine avec la plus grande bienveillance le dossier de M. K... en faisant valoir la situation extrêmement précaire dans laquelle celui-ci est maintenu depuis cinq ans, sans possibilité de travailler.

Ce dossier est en cours d'instruction.

D'autre part, dans le cadre de l'examen des dossiers des " sans-papiers de Saint-Bernard ", le Médiateur de la République a pu constater, bien qu'il n'ait pas été saisi sur ce point particulier, les conditions dans lesquelles sont parfois mises en  uvre les mesures d'éloignement du territoire.

Il est en effet apparu que lors de l'exécution de ces mesures, les étrangers n'ont pas toujours la possibilité de rassembler leurs effets personnels avant de partir, ni même de prévenir leur entourage.

Ce fut le cas de M. D.., de nationalité malienne, arrêté le 1er avril 1997 en fin d'après-midi. Faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière pris quelques mois auparavant, il a été placé en rétention administrative puis embarqué dans un avion à destination de Bamako le 2 avril à 10 heures 30 sans avoir eu le temps de faire ses bagages.

M. M..., ressortissant de la Guinée-Bissau, arrêté dans des conditions similaires et également placé en rétention administrative devait prendre l'avion le jeudi 13 mars 1997 à destination de son pays d'origine. Ayant eu le temps d'avertir ses proches, il fut convenu que ceux-ci lui apportent ses bagages le mercredi 12 mars après-midi. Quand ils sont arrivés, ils ont appris que M. M... avait été embarqué le matin même dans un avion à destination du Sénégal.

En effet, le vol du jeudi était à destination de la Guinée et non de la Guinée-Bissau. S'apercevant de son erreur, l'administration avait décidé d'envoyer M. M... au Sénégal d'où il pouvait prendre une correspondance pour la Guinée-Bissau.

M. C..., de nationalité malienne, a été arrêté le mercredi 19 mars 1997 en milieu de journée et a été placé en rétention administrative. Le lendemain, il a été embarqué dans un avion à destination de Casablanca d'où il a pris un avion pour Bamako via Nouakchott. Arrivé à Bamako, à défaut de documents transfrontières, la police ne l'a pas laissé pénétrer sur le territoire malien. Le vendredi matin, il a été réembarqué à destination de Nouakchott puis Casablanca, d'où il a pris un avion pour Paris, où il est arrivé le vendredi soir. Le samedi matin, il a été embarqué à destination de Bamako où il a enfin été admis. Du jeudi matin, où il a rencontré son avocat, au samedi, il n'a pas été mis en mesure de contacter ses proches. Une fois à Bamako, il n'a pu regagner son domicile que grâce à l'aide financière de la police malienne.

Si la légalité des arrêtés de reconduite à la frontière pris à leur encontre était indiscutable, rien ne justifiait qu'ils fussent traités de la sorte au mépris de leur dignité.


L'ACQUISITION DE LA NATIONALITE FRANCAISE

Les modalités d'acquisition de la nationalité française figuraient, jusqu'à l'intervention de la loi du 23 juillet 1993, dans le code de la nationalité. Depuis l'entrée en vigueur de cette loi, ce code a été abrogé et les dispositions relatives au droit à la nationalité ont été insérées dans le code civil.

L'acquisition de la nationalité française par un étranger résulte soit d'une déclaration, soit d'une décision de l'autorité publique.

L'acquisition par déclaration est ouverte à l'étranger ou à l'apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française, après un délai de deux ans à compter du mariage.

L'enfant qui a fait l'objet d'une adoption simple par une personne de nationalité française peut, jusqu'à sa majorité, souscrire une déclaration de nationalité.

Peuvent également réclamer la nationalité française par déclaration les personnes qui ont joui, d'une façon constante, de la possession d'état de Français, pendant les dix années précédant leur déclaration, c'est-à-dire, ceux qui pendant cette période ont cru de bonne foi être français, et qui ont été considérés comme tels par les autorités publiques françaises.

Par ailleurs, tout étranger né en France de parents étrangers peut, à partir de seize ans et jusqu'à l'âge de vingt et un ans, acquérir la nationalité française, sous certaines conditions, par manifestation de volonté.

L'acquisition de la nationalité par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. Le code civil fixe les conditions dans lesquelles intervient cette naturalisation. Notamment, nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment du décret de naturalisation et, sous réserve d'exceptions prévues par le code civil, la naturalisation ne peut être accordée qu'à l'étranger justifiant d'une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui précèdent le dépôt de la demande. En outre, nul ne peut être naturalisé s'il n'est pas de bonne vie et m urs ou s'il a fait l'objet de certaines condamnations précisées par le code. Par ailleurs, l'étranger qui souhaite être naturalisé doit justifier de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante de la langue française.

D'autre part, ceux qui ont perdu la nationalité française peuvent demander à y être réintégrés. Cette réintégration résulte, soit d'une décision de l'autorité publique, soit, plus rarement, d'une déclaration.

Les réclamations soumises au Médiateur de la République témoignent de la complexité de ce droit. En effet, pour plus du tiers d'entre elles, le rôle du Médiateur a principalement consisté à donner des explications aux intéressés sur le droit applicable à leur situation.

Dès qu'ils ont été informés qu'ils avaient perdu la nationalité française le 1er janvier 1963, à la suite de l'indépendance de l'Algérie, M. et Mme K.. ont souscrit, en 1989, des déclarations de nationalité par possession d'état de Français qui ont été enregistrées. Ils ont donc recouvré la nationalité française à la date de ces déclarations.

Lors de cette procédure, aucune information ne leur a été fournie sur la nature exacte et sur les conséquences de ces déclarations à l'égard de leurs enfants. Ils ont pensé qu'elles avaient un caractère rétroactif leur restituant la qualité de Français à la date de l'indépendance de l'Algérie et en ont conclu qu'elles avaient un effet collectif à l'égard de leurs trois enfants, K... née en 1960, T... né en 1963 et M... né en 1969.

Certes, un avis de la Chancellerie précisait que les enfants, étant majeurs au jour de la déclaration de nationalité de leurs parents, n'avaient pu acquérir la nationalité française par effet collectif, mais il n'a pas été compris par les intéressés qui, restés en possession de leurs documents d'identité français, se considéraient français.

T..., né à Alger en 1963, ayant perdu ses papiers en 1994, a véritablement pris conscience à ce moment-là de son extranéité. Son frère et sa s ur ont fait alors le même constat à l'égard de leur propre situation.

Tous trois, après avoir tenté diverses démarches pour se voir reconnaître la nationalité française, ont sollicité l'aide du Médiateur de la République.

T..., marié à une Française, remplissait les conditions pour souscrire la déclaration de nationalité par mariage. Il a donc opté pour cette procédure et a acquis la nationalité française à la date de sa déclaration.

Pour K... et M..., la situation était plus complexe, ce qui a amené le Médiateur de la République à intervenir à plusieurs reprises tant auprès des services du ministère de l'Intérieur que de celui du ministère des Affaires sociales, chargé des naturalisations.

K..., née en 1960 en France, a perdu la nationalité française au 1er janvier 1963, ses parents n'ayant pas souscrit la déclaration recognitive.

Disposant toujours de sa carte d'identité, de son passeport et de sa carte d'électeur français, elle a souscrit une déclaration de possession d'état de Français au titre de l'article 21-13 du code civil qui a d'abord été rejetée puis finalement enregistrée après recours gracieux. Le motif sur lequel s'appuyait l'administration dans sa décision initiale était en effet erroné.

K... a donc recouvré la nationalité française par déclaration enregistrée en 1995.

M..., né en 1969, ne pouvait, quant à lui, être considéré comme français, du fait de sa naissance en Algérie.

Il paraissait hasardeux d'envisager la procédure de déclaration par possession d'état de Français, un trop long délai s'étant écoulé depuis la découverte de son extranéité.

La naturalisation restait donc la solution la plus appropriée à la situation de l'intéressé. Elle supposait, dans un premier temps, le retrait des documents d'identité français et la délivrance d'un titre de séjour, ce qui a été réalisé à la sous-préfecture compétente.

Puis, M... a pu déposer un dossier de naturalisation. Il a été naturalisé par décret en 1996 (réclamation no 94-3872, transmise par M. Gilles CARREZ, député du Val-de-Marne).

Parmi les réclamations soumises au Médiateur de la République, il a été constaté que 20 % des intéressés se croyaient français. La découverte de leur extranéité est parfois mal acceptée par les réclamants qui subissent alors un véritable choc psychologique, comme l'illustre la réclamation no 95-4278, transmise par M. Roger QUILLIOT, sénateur du Puy-de-Dôme, ancien ministre.

Née en Algérie en 1955, fille de harki, Mme R... est arrivée en France en 1962. Sa mère et une vingtaine d'autres membres de sa famille ont en effet dû fuir l'Algérie afin d'échapper aux représailles frappant les proches des harkis.

Son père, qui a disparu au moment de l'indépendance, a très vraisemblablement été exécuté par le FLN, mais son corps n'ayant jamais été retrouvé, son décès n'a pu être constaté à l'état civil.

La mère de Mme R..., Mme K..., a souscrit, en 1964, une déclaration recognitive de la nationalité française, sur laquelle elle a mentionné ses enfants mineurs, dont l'intéressée.

Celle-ci s'est donc toujours considérée comme française. Elle a reçu en 1972 sa première carte nationale d'identité, qui a été renouvelée par la suite sans difficulté. De plus, elle est inscrite sur les listes électorales de sa ville, où elle est employée municipale, assermentée devant le tribunal d'instance en qualité d'agent de police auxiliaire.

À l'occasion du renouvellement de sa carte d'identité, un certificat de nationalité française lui a été demandé dont la délivrance a été refusée par le tribunal d'instance.

Celui-ci a considéré que les enfants de Mme K... ne pouvaient prétendre au bénéfice de l'effet collectif attaché à la déclaration recognitive de la nationalité française de leur mère, sa qualité de veuve n'étant pas établie au jour de la souscription de cette déclaration.

En effet, aux termes de l'article 153 de l'ordonnance no 45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité alors en vigueur, l'enfant mineur légitime suivait la condition de son père, ou en cas de décès de celui-ci, de sa mère survivante. Aussi, à défaut d'avoir pu prouver le décès de son père, Mme R... a-t-elle, au 1er janvier 1963, perdu la nationalité française et simultanément acquis la nationalité algérienne, aucune déclaration recognitive n'ayant, bien entendu, été enregistrée au nom de son père.

De plus, la possibilité de souscrire une déclaration de nationalité française par possession d'état de Français lui a été refusée au motif qu'elle avait été officiellement avisée plusieurs années auparavant de son extranéité, et qu'elle ne pouvait donc plus être considérée comme ayant joui de façon constante de la possession d'état de Français pendant les dix années précédentes.

En effet, le choc causé à Mme R... par la première découverte de son extranéité a été tel qu'elle s'est absolument refusée à y croire et à faire aussitôt la démarche nécessaire pour remédier à la situation.

Par la suite, la confirmation de cette extranéité, matérialisée par le retrait de sa carte d'identité lors de la demande de renouvellement, a été encore plus traumatisante. Elle l'a analysée comme un rejet de la France à son égard, d'autant qu'elle ne peut même plus souscrire la déclaration de possession d'état de Francais.

Privée de sa carte d'identité, n'ayant pas de passeport car elle n'a jamais quitté le territoire français depuis son arrivée, menacée dans son emploi qui exige qu'elle ait la nationalité française, craignant même d'être renvoyée en Algérie, elle a été victime d'une grave dépression nerveuse.

Saisi de ce cas douloureux, le Médiateur de la République a été conduit, dans un premier temps, à expliquer à l'intéressée les dispositions applicables à sa situation, afin de l'amener à entamer une procédure de réintégration qui seule lui permettrait de reprendre en toute sérénité le cours normal de sa vie privée et professionnelle.

Mais, pour que cette procédure soit mise en  uvre, il convenait, au préalable, que la situation de Mme R... soit régularisée au regard du droit au séjour des étrangers. En effet, en vertu de l'article 21-27 du code civil, nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité si son séjour en France est irrégulier.

Or, Mme R... récuse absolument la nationalité algérienne. Arrivée à sept ans dans des conditions épouvantables en France, chassée d'Algérie où son père venait de disparaître et où elle n'est jamais revenue, elle a eu sa vie marquée par une jeunesse difficile auprès de sa mère qui ne s'est jamais remise de ces épreuves.

Il est donc apparu au Médiateur de la République que cette affaire ne pourrait se dénouer que dans la mesure où Mme R... ne serait confrontée à aucune manifestation extérieure de la nationalité algérienne : passeport, certificat de résidence d'algérien...

Devant le caractère très exceptionnel de ce dossier, dans le cadre de l'intervention en équité que lui reconnaît l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, le Médiateur de la République a demandé au préfet compétent de bien vouloir faire constituer le dossier de réintégration dans la nationalité française de Mme R..., puis de le transmettre au ministre chargé des naturalisations, sans que la production de ces deux documents soit exigée.

Ce dossier est actuellement en cours d'instruction par les services de ce ministre.

Face à la complexité de ce droit de la nationalité, il arrive que les autorités françaises commettent des erreurs.

Né à Paris le 17 janvier 1975 de parents de nationalité tunisienne qui étaient alors étudiants en France, M. B... a regagné la Tunisie avec eux, à l'issue de leurs études, en 1977. Cette famille vit depuis lors en Tunisie.

M. B..., qui a fait toutes ses études primaires et secondaires à Tunis, est actuellement étudiant dans un établissement d'enseignement supérieur de cette ville.

En 1996, alors qu'il arrivait en France avec un visa, pour un séjour touristique, il a été intercepté par la police à son arrivée à l'aéroport, et emmené dans une caserne parisienne où il a été incorporé aussitôt. En effet, les autorités militaires considéraient qu'il était français.

Ne parvenant à faire reconnaître sa nationalité tunisienne, alors que les autorités consulaires avaient exigé de lui un visa pour son séjour en France, il a sollicité l'aide du Médiateur de la République. Celui-ci est intervenu auprès du ministre de la Défense en demandant que soit définitivement établi s'il bénéficiait ou non de la nationalité française et, dans l'affirmative, comment serait mise en  uvre la convention franco-tunisienne relative aux obligations du service national en cas de double nationalité.

En effet, M. B... qui est incontestablement tunisien comme ses parents, ne pouvait être considéré comme étant français du seul fait de sa naissance en France, l'article 44 du code de la nationalité française, applicable à la date de sa majorité, le 17 janvier 1993, prévoyait en effet que " tout individu né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu pendant les cinq années qui précèdent sa résidence habituelle en France (...) ". Or tel n'était pas le cas de l'intéressé qui avait regagné la Tunisie avec ses parents en 1977.

Il aurait pu néanmoins bénéficier de la nationalité française à un autre titre, et notamment par déclaration souscrite par ses parents à son nom, pendant leur séjour en France, en vertu de l'ancien article 52 du même code.

Le ministre de la Défense a fait savoir au Médiateur de la République que M. B... avait été recensé d'office par la mairie de l'arrondissement parisien où il est né, mais admettait qu'il ne remplissait pas les conditions de résidence prescrites par l'article 44 du code de la nationalité française.

Ayant fait vérifier qu'aucune déclaration en vue d'acquérir la nationalité française n'avait été souscrite durant sa minorité ou lors de sa majorité, le ministre de la Défense a fait rayer M. B... des listes de recensement de la direction du Service national.

À la suite de cette procédure, le tribunal de grande instance de Paris l'a relaxé des poursuites engagées à son encontre pour désertion, M. B... ayant profité d'une permission pour regagner la Tunisie (réclamation no 97-1926, transmise par M. Laurent FABIUS, député de la Seine-Maritime, président de l'Assemblée nationale, ancien Premier ministre).

Le droit applicable aux étrangers, qu'il s'agisse du droit de l'immigration ou du droit de la nationalité, est particulièrement complexe, et la nature des réclamations soumises au Médiateur de la République témoigne des difficultés de compréhension de la part des étrangers à l'égard des dispositions qui leur sont applicables.

En outre, les modifications successives apportées à l'ordonnance du 2 novembre 1945, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, entraînent chez les personnes concernées un sentiment d'insécurité juridique. En effet, depuis 1974, ce texte a été modifié vingt fois.

Dans ce domaine plus qu'ailleurs, le rôle du Médiateur de la République consiste bien souvent à expliquer aux intéressés le droit qui régit leur situation. Et s'il arrive que ceux-ci n'obtiennent pas, malgré l'intervention du Médiateur de la République, le titre ou le statut sollicité, ils manifestent fréquemment leur satisfaction pour les éclaircissements apportés sur les motifs qui ont conduit les autorités compétentes à leur opposer un refus. Le Médiateur de la République pallie ainsi, par ce rôle pédagogique, l'insuffisance des explications contenues dans les décisions administratives ou apportées lorsqu'elles sont notifiées. Même si celles-ci sont suffisamment motivées au sens où l'entend la jurisprudence, elles ne sont pas toujours comprises par les intéressés et les informations fournies par le Médiateur de la République, dans un contexte dépassionné, permettent aux étrangers d'accepter les décisions qui les concernent.

Il faut d'abord souhaiter que la réforme de l'État envisagée prendra en considération la nécessité d'un dialogue amélioré entre les administrés et les autorités administratives et que celles-ci auront les moyens d'assurer une plus grande compréhension de leurs décisions.

Il faut souhaiter également que les projets de loi, en cours d'examen à l'heure où ce rapport est rédigé, permettront de répondre à la fois aux attentes de simplification, aux besoins de dignité, de respect de la personne humaine, et d'équité, qui se sont exprimés sur ces sujets sensibles; tout en reconnaissant le droit de tout État de veiller à ses intérêts supérieurs, et dès lors de contrôler ses flux migratoires dans les limites d'une société démocratique.

ANNEXES

ANNEXE 1

L'audition du Médiateur de la République devant la commission des lois du Sénat, le 28 janvier 1997 : extraits du discours

" Vous m'avez aimablement proposé, M. Le Président, d'aborder au cours de cette audition les autres dossiers législatifs dont ma fonction me conduit à me préoccuper.

À ce titre, je me dois tout d'abord de vous indiquer que j'ai suivi, depuis six mois, le développement et les conséquences de l'affaire dite des sans-papiers de Saint-Bernard. La question de l'immigration me tient en effet à c ur. Elle est à l'origine de situations douloureuses auxquelles j'ai été souvent confronté dans mes fonctions d'élu, de ministre de la Coopération et du Développement et, aujourd'hui, de Médiateur de la République. C'est dans ce esprit que, pendant la crise de l'église Saint-Bernard, j'avais fait connaître aux plus hautes autorités concernées ma disponibilité pour participer au règlement de cette affaire, mon institution étant d'ailleurs fréquemment saisie de dossiers concernant le séjour des étrangers en France. À cet égard, constatant qu'un certain nombre de difficultés sont liées à l'application des textes actuels et conscient de l'impasse juridique et humaine de diverses situations de fait, j'avais accepté, en septembre dernier, à la demande de la Commission nationale consultative des droits de l'homme - dont le Médiateur est membre de droit - le principe d'une mission me permettant, dans le cadre de la loi de 1973, de suivre, en liaison avec les services compétents, l'instruction des demandes de régularisation et de faire des propositions de réforme, eu égard à l'expérience acquise par l'institution dans le traitement de ces affaires.

Par ailleurs, pour mettre en évidence certaines difficultés et proposer une première série d'adaptations, j'avais, le 11 octobre dernier, écrit au Premier ministre et au ministre de l'Intérieur. Mon courrier évoquait en particulier la situation des parents étrangers d'enfants français résidant en France et celle des étrangers mariés depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française. Je soulignais l'intérêt d'examiner en outre le cas des étrangers résidant habituellement en France depuis plus de quinze ans, des enfants d'étrangers arrivés en France avant l'âge de dix ans et des étrangers en situation irrégulière dont l'éloignement aurait, sur leur situation personnelle, des conséquences d'une extrême gravité. Enfin, j'attirais l'attention des ministres sur les conditions actuelles d'admission au droit d'asile et au statut de réfugié ainsi que sur la question des personnes pouvant prétendre à une vie familiale normale, leur demandant de me faire part de leur sentiment sur mes préoccupations et des suites qui pourraient leur être apportées.

Jean-Louis Debré m'a répondu le 16 décembre suivant, m'invitant en substance à me référer à son projet de loi qui, selon lui, prenait en compte les situations humaines bien spécifiques avancées par mon courrier. Alors même que ce texte m'apparaissait déjà bien timide, notamment au regard du respect du droit à une vie familiale normale - principe énoncé à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, dégagé par le Conseil constitutionnel du deuxième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et rappelé récemment par le Conseil d'État, dont des cas rapportés quotidiennement démontrent que la France est loin de l'appliquer -, voilà que l'Assemblée nationale l'a encore aggravé. Je le regrette, notamment parce que j'ai la conviction qu'une législation par trop restrictive, qui ne laisse guère de place à la prise en compte des situations individuelles, conduit nécessairement à sécréter des situations impossibles tant sur le plan juridique que sur le plan humain. Et comme, de surcroît, tout indique qu'en fait les instructions ne donnent pas aux décideurs les moyens d'user convenablement des latitudes d'appréciation que leurs textes paraissent leur offrir, je crains qu'avec cette loi l'avenir nous réserve bientôt d'autres " Saint-Bernard ", plus radicaux encore, à l'image du désespoir de certaines des personnes concernées. "

ANNEXE 2

Les " sans-papiers de Saint-Bernard "

En février 1997, Robert BADINTER, sénateur des Hauts-de-Seine, a transmis au Médiateur de la République cent cinquante réclamations présentées au nom d'un collectif d'étrangers en situation irrégulière connus sous la dénomination de " sans-papiers de l'église Saint-Bernard ".

Ce collectif s'était formé un an auparavant, regroupant des ressortissants de divers États africains, principalement du Mali. Installés pour la plupart de longue date en France, ils demandaient leur régularisation au regard du droit au séjour, d'autant que certains d'entre eux, conjoints de Français ou parents d'enfants français, ne pouvaient faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire. Ces derniers faisaient donc partie des étrangers qui furent qualifiés pendant l'été 1996 de " non-expulsables, non-régularisables ", expression d'ailleurs inappropriée, dans la mesure où, si elle ne pouvait effectivement les reconduire à la frontière, l'administration avait la possibilité de les régulariser, en vertu du pouvoir d'appréciation qu'elle détient en matière de droit au séjour.

Pour faire entendre leurs revendications, ils ont occupé différents lieux et, notamment, l'église Saint-Bernard située dans le 18e arrondissement de Paris. Après une occupation de plusieurs semaines, ils en furent expulsés le 23 août 1996, sans avoir obtenu satisfaction.

Début septembre 1996, leur porte-parole s'adressa au Médiateur de la République. Celui-ci lui fit savoir qu'il pouvait accepter leurs réclamations, à condition qu'elles soient présentées par l'intermédiaire d'un parlementaire comme l'exige la loi du 3 janvier 1973 instituant ses fonctions. Cette formalité fut accomplie en février 1997 par la saisine de Robert Badinter qui compléta cette première transmission par la présentation de cent dix-sept nouvelles réclamations le 1er juillet 1997.

Les services du Médiateur durent, en premier lieu, reprendre les dossiers de chacun d'entre eux afin d'établir clairement leur situation depuis leur entrée sur le territoire et la préfecture dont ils étaient susceptibles de relever. Cette mise en état a pu se faire avec l'aide du comité juridique de soutien des " sans-papiers de Saint-Bernard " et celle des services préfectoraux concernés.

Le Médiateur de la République a appelé l'attention des pouvoirs publics sur la situation de ces étrangers, notamment celle du Président de la République et du Premier ministre, lorsqu'il leur a remis son rapport public de l'année 1996. Il avait auparavant saisi le ministre de l'Intérieur.

Des représentants de ce collectif ainsi que des membres du collège des médiateurs qui s'était constitué pendant l'occupation de l'église Saint-Bernard ont été reçus par le Médiateur de la République le 18 mars 1997, date anniversaire de la constitution de ce mouvement. Ceux-ci ont notamment déploré le caractère fluctuant des conditions énoncées par l'administration en vue d'éventuelles régularisations et ont exprimé le souhait que des critères soient clairement définis.

Après le changement de Gouvernement en juin 1997, une circulaire du ministre de l'Intérieur a été publiée le 24 juin ayant précisément pour objet de fixer des critères de régularisation des étrangers en situation irrégulière. Malgré l'intervention de ce texte, les " sans papiers de Saint-Bernard " ont souhaité que le Médiateur de la République reste saisi de leurs réclamations.

À partir du mois de juillet 1997, ce dossier a été suivi en liaison étroite avec le cabinet du ministère de l'Intérieur et les services de la préfecture de police de Paris, qui s'est avérée être la préfecture la plus directement concernée par cette catégorie d'étrangers.

À la date où ce rapport a été rédigé, sur les deux cent soixante-sept réclamations dont le Médiateur de la République a été saisi, deux cent treize avaient fait l'objet d'une mesure de régularisation dont cent quarante trois en application de la circulaire ou de l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 issu de la loi du 24 avril 1997, vingt-trois avaient été reconduits à la frontière ou avaient quitté volontairement la France. Les autres dossiers étaient encore en cours d'instruction dans les services préfectoraux concernés.


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