LES COTOREP



Dans son rapport au Président de la République et au Parlement pour 1993, le Médiateur avait notamment souligné, dans un chapitre consacré aux difficultés rencontrées par les handicapés, la nécessité d'améliorer très rapidement le fonctionnement des commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP).

Les principales critiques ressortant des réclamations dont il était saisi portaient sur :
une année, voire davantage;

- le défaut d'approche globale et cohérente de la situation du handicapé tenant essentiellement à l'organisation des COTOREP en deux sections distinctes;

- la motivation le plus souvent incomplète et peu explicite des décisions.

Depuis, les pouvoirs publics, particulièrement préoccupés par le fonctionnement insatisfaisant des COTOREP, ont mis en úuvre un certain nombre de mesures visant à moderniser et harmoniser les modes de fonctionnement et d'organisation de ces instances

Dès lors, il a paru utile au Médiateur de faire à nouveau le point sur cette question, d'autant que la dégradation du contexte socio-économique pose de façon encore plus aigüe la question de la qualité et de la rapidité des réponses à apporter à cette population fragilisée.

I. UN BREF RAPPEL DU RÔLE DES COTOREP

La loi d'orientation no 75-534 du 30 juin 1975 a prévu la création d'une commission technique d'orientation et de reclassement professionnel dans chaque département. Cette instance est compétente pour recevoir toutes les demandes des handicapés adultes relatives à l'emploi et aux aides financières et sociales.
Elle est composée de l'ensemble des personnes et institutions qualifiées dans le département pour apprécier le handicap, proposer des solutions d'orientation, attribuer des aides.

La représentation des conseils généraux a été élargie en 1995 pour mieux associer ces collectivités aux décisions prononcées par les COTOREP, leur application et leur financement pouvant relever de la compétence départementale.

Le fonctionnement administratif des commissions relève de la compétence des directions départementales du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle (DDTEFP).
Les séances sont présidées alternativement par le directeur départemental du Travail et le directeur départemental des Affaires sanitaires et sociales (DDASS).

Les commissions sont organisées en deux sections spécialisées.

la première section se prononce principalement sur :

- la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé;

- le classement du travailleur handicapé dans l'une des catégories correspondant à ses capacités professionnelles;

- l'orientation du travailleur handicapé, soit vers une formation professionnelle, soit vers le milieu protégé, soit vers le milieu ordinaire de travail.
la deuxième section décide notamment :

- du taux d'invalidité de la personne handicapée;

- de l'attribution de certaines allocations (allocation aux adultes handicapés, allocation compensatrice...);

- de l'octroi de la carte d'invalidité;

- de l'admission éventuelle de la personne inapte au travail dans un établissement spécialisé.
Chaque COTOREP dispose d'un secrétariat permanent et prend ses décisions après consultation d'une équipe technique pluridisciplinaire (médecins, travailleurs sociaux, représentants du service public de l'emploi) qui procède à l'instruction des dossiers.
Ce bref exposé montre la diversité et la complexité des différentes missions assignées aux COTOREP et l'enjeu qu'elles représentent pour la population handicapée.

II. LE CONSTAT ET LES RÉALISATIONS

Les COTOREP ont fait l'objet de critiques sévères dans de nombreux rapports, notamment ceux de la Cour des comptes, ainsi qu'à l'occasion de l'interpellation, par les parlementaires, du ministre chargé de l'Emploi.
En premier lieu, l'inadaptation du barème utilisé par les COTOREP pour apprécier le taux d'invalidité des personnes handicapées, largement dénoncée, a conduit fin 1993, à la mise en place d'un nouveau guide-barème (A).
Par ailleurs, à la demande du Conseil supérieur pour le reclassement des travailleurs handicapés, formulée en fin d'année 1992, un groupe de travail présidé par M. Carcenac, inspecteur général des Affaires sociales, a procédé à une étude approfondie de l'activité et du fonctionnement des COTOREP.

Le rapport, rendu en juin 1993, présentait à la fois un constat critique du dispositif et des propositions concrètes pour en améliorer l'efficacité globale.

Par une note d'orientation en date du 1er août 1994, les ministres chargés respectivement du Travail, et des Affaires sociales ont donné les directives nécessaires à la mise en úuvre des principales recommandations du groupe de travail.

A. LE NOUVEAU GUIDE-BARÈME POUR L'ÉVALUATION DU HANDICAP

Le barème d'invalidité auquel faisaient référence les décrets d'application de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées était le barème d'invalidité du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre en vigueur depuis 1924.

Ce barème, rédigé essentiellement pour des personnes adultes handicapées à la suite d'un traumatisme, était inadapté à de nombreuses catégories de handicaps (handicaps congénitaux chez l'enfant et l'adulte, affections psychiatriques ...).

Faute d'une référence commune, des différences importantes étaient enregistrées d'une COTOREP à l'autre, comme il avait été relevé par le Médiateur dans son rapport de 1993.
C'est pourquoi, un nouveau guide-barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées, s'appuyant sur les concepts proposés par l'organisation mondiale de la santé (déficience, incapacité, désavantage), a été institué.

Applicable à compter du 1er décembre 1993, cet outil de travail est un guide méthodologique, destiné à unifier les pratiques des COTOREP. Il permet une appréciation du taux d'incapacité en matière d'allocation compensatrice, d'allocation aux adultes handicapés, d'affiliation à l'assurance vieillesse des mères de famille assumant la charge d'un handicapé et d'attribution de la carte d'invalidité.

En décembre 1996, trois ans après l'entrée en vigueur de ce nouveau guide-barème, le Médiateur a appelé l'attention du ministre du Travail et des Affaires sociales sur l'intérêt qu'il y aurait à réaliser un premier bilan de son application.

Le Médiateur reste particulièrement attentif aux conclusions de cette évaluation dont la mise en úuvre lui a été confirmée par les services compétents.

B. LA NOTE D'ORIENTATION INTERMINISTÉRIELLE DU 1er AOÛT 1994 RELATIVE À LA MODERNISATION DES COTOREP.

Les vingt propositions concrètes formulées par le groupe de travail présidé par M. Carcenac se situaient dans une politique de modernisation des COTOREP.

Elles visaient à promouvoir à moyen terme, sur l'ensemble du territoire, un service public efficace à l'écoute de l'usager.
La note d'orientation du 1er août 1994 a ainsi assigné aux COTOREP trois objectifs majeurs :

- la réduction significative des délais de décisions (1);

- l'amélioration de l'accueil et de l'information des personnes handicapées (2);

- le renforcement de la mission d'orientation et d'aide à l'insertion professionnelle (3).
Il convient de rappeler que ce processus de modernisation a été entrepris dans un contexte de forte hausse des demandes et des décisions prises par les COTOREP. En huit ans, (1987-1995), les demandes ont doublé, et entre 1991 et 1996, le nombre de décisions a augmenté de 70 %.
Au total en 1996, les COTOREP ont prononcé 1 236 200 décisions.

1. La réduction significative des délais de décisions

L'objectif prioritaire assigné aux COTOREP était de réduire les délais de traitement des demandes, de façon différenciée, en fonction du type de décisions.
À court terme, il s'agissait d'atteindre un délai moyen de décision inférieur à trois mois pour la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, l'attribution de l'allocation adulte handicapé (AAH) et de la carte d'invalidité. Le délai moyen de décision pour l'orientation professionnelle et l'octroi de l'ACTP devait être ramené à moins de six mois.

Les commissions étaient invitées, à la fois à résorber les stocks de dossiers en instance, et à agir de façon permanente sur le traitement des flux d'entrée.

Un premier bilan ministériel réalisé pour 1995 montre que les délais moyens de décisions ont été ramenés à des durées proches de celles préconisées en août 1994. À titre d'exemple, à la fin de l'année 1995, les délais moyens d'instruction en matière d'attribution de l'AAH et de la carte d'invalidité étaient de 3,4 mois et de 3,8 mois pour l'allocation compensatrice. En revanche, un délai moyen de traitement de 5,3 mois était encore enregistré pour les demandes de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé.

Parallèlement à l'effort de réduction des délais, il était demandé aux COTOREP d'améliorer la pertinence de leurs décisions.

Les commissions ont donc dû revoir leur mode d'organisation et de fonctionnement interne afin de mieux prendre en considération, dans sa globalité, la situation de la personne handicapée.

Les actions entreprises ont notamment porté sur le développement de la pluridisciplinarité de l'équipe technique, l'institution d'un médecin coordonnateur, l'unicité des secrétariats entre la première et la deuxième section.

2. L'amélioration de l'accueil et de l'information de l'usager

L'accroissement du nombre de demandes fait de l'accueil et de l'information un enjeu majeur pour restaurer l'image des COTOREP, mais aussi pour permettre une meilleure appréhension de la situation des usagers.

C'est dans ce sens que les recommandations de la note d'orientation d'août 1994 qui visaient la création d'un pôle d'accueil permanent et unifié dans chaque COTOREP, afin d'aider la personne handicapée à formuler sa demande.

Ainsi, de nombreuses COTOREP pratiquent désormais un accueil physique polyvalent et unifié au titre des deux sections. Dans un certain nombre de départements, le relogement des commissions dans des locaux neufs, plus accessibles, a également amélioré les relations avec le public.

Par ailleurs, des journées d'information collective sont de plus en plus souvent organisées.

Enfin les supports d'information ont été développés et les imprimés de demande rendus plus lisibles.

3. Le renforcement de la mission d'orientation et d'aide à l'insertion professionnelle

Afin de favoriser une nouvelle approche de l'orientation et de l'aide à l'insertion professionnelle, rendue nécessaire par l'évolution tant du contexte économique que des modalités du reclassement professionnel, il était notamment demandé aux COTOREP de développer leurs relations avec les intervenants extérieurs et tous les acteurs potentiels de l'insertion sociale et professionnelle.

Des résultats sensibles ont été enregistrés parmi lesquels on peut signaler la mise en place de " Programmes départementaux d'insertion des travailleurs handicapés " (PDITH) qui ont permis, dans soixante quinze départements, un partenariat plus diversifié et efficace.

Pour atteindre les objectifs ainsi fixés par la circulaire d'août 1994, des efforts ont été consentis par l'administration centrale. Ils ont porté en particulier sur l'informatisation et l'octroi de crédits de vacations supplémentaires pour les commissions les plus en difficulté...

Par ailleurs, en 1996, le processus de modernisation des COTOREP avait été retenu par le comité interministériel pour la réforme de l'État comme l'une des actions illustrant la volonté d'améliorer la qualité des relations entre l'État et les citoyens. Un financement spécifique du fonds pour la réforme de l'État avait été accordé à ce titre par le comité.

III. LA PERSISTANCE DE DIFFICULTÉS

Si, comme on vient de le voir à travers les bilans réalisés par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, des résultats positifs ont été indéniablement enregistrés dans le fonctionnement des COTOREP, le Médiateur constate toutefois, à travers les réclamations qui lui parviennent, que des difficultés subsistent.

A. LES DÉLAIS DE TRAITEMENT

Dans certains cas, les délais de traitement des demandes sont encore anormalement longs, alors que le contexte économique actuel exige que les personnes handicapées soient rapidement fixées sur leurs droits. L'amélioration des délais moyens, présentée par le ministère à partir de l'exploitation des données nationales, ne doit donc pas faire oublier la disparité des situations locales.

Les difficultés qui subsistent s'expliquent notamment par l'insuffisance des moyens en personnel mis à la disposition des COTOREP, tant par les DDTEFP que par les DDASS. Cette insuffisance concerne à la fois les secrétariats et les équipes techniques chargées de l'instruction des demandes. Certes, la situation est variable d'un département à l'autre, mais une attention particulière doit être portée à cette question compte tenu de l'accroissement du nombre de dossiers à traiter.

Si de ce fait, les COTOREP fonctionnent, jour après jour, en flux tendu, il apparaît cependant que certaines demandes de renouvellement sont inutilement exigées.

B. LES DEMANDES DE RENOUVELLEMENT

Le Médiateur a par exemple été saisi de plusieurs réclamations émanant de personnes dont le handicap, de par sa nature, n'est pas susceptible d'évolution positive. Or, ces personnes se voient malgré tout contraintes de demander à la COTOREP le renouvellement de leur carte d'invalidité et, par voie de conséquence, celui du macaron " Grand invalide civil " (GIC) lorsqu'elles bénéficiaient également de cet avantage.
Le Médiateur a appelé l'attention du ministre chargé de la Sécurité sociale sur la nécessité d'éviter, en pareilles circonstances, les tracasseries administratives liées aux demandes de renouvellement, qui sont particulièrement mal vécues par les intéressés et accroissent inutilement le travail des commissions.

À la suite de cette intervention, une circulaire ministérielle du 15 mai 1997, a rappelé aux préfets et aux directions concernées, qu'il convenait d'éviter aux personnes handicapées, dont le taux d'incapacité est au moins égal à 80 %, d'inutiles démarches pour solliciter le renouvellement de leur carte d'invalidité, alors que tout laisse à penser que leur handicap n'évoluera pas favorablement. Il a également été recommandé aux autorités compétentes de veiller à ce que soient délivrés, aussi souvent que nécessaire, à titre définitif, la carte d'invalidité et le macaron GIC lorsqu'il est expressément réclamé.

C. L'ACCUEIL TÉLÉPHONIQUE

L'accueil téléphonique fait encore l'objet de vives critiques, certaines COTOREP demeurant très difficilement joignables.
Par ailleurs, la mise en place de serveurs vocaux renseignant les usagers sur le cheminement de leur dossier ne paraît pas toujours répondre aux attentes d'une population particulièrement désemparée, et qui a besoin d'une information personnalisée.

D. L'EXAMEN MÉDICAL

Les conditions dans lesquelles se déroule l'examen médical sont souvent mises en cause par les requérants, le reproche le plus souvent formulé étant sa trop grande rapidité.

À cette occasion, il convient de rappeler les difficultés que rencontrent les médecins des COTOREP dans l'exercice de leurs missions.

Ces praticiens ont le statut de vacataires. Or, dans le contexte de contrainte budgétaire actuel, les crédits de vacation restent largement insuffisants.

En outre, les rémunérations versées à ces médecins vacataires obéissent à des règles particulièrement complexes et sont d'un montant peu attractif.

Le Médiateur note avec regret que les problèmes relatifs à la rémunération des médecins des COTOREP, connus depuis plusieurs années, ne sont toujours pas résolus au fond, même si quelques solutions partielles et ponctuelles ont été apportées.

Si des efforts ont été accomplis dans le sens d'une plus grande pertinence des décisions, les personnes handicapées se plaignent encore, dans certains cas, de leur insuffisante motivation.

Certes, les règles du secret médical s'imposent mais, davantage d'explications permettraient, sans nul doute, de mieux faire comprendre le bien-fondé des décisions.

E. LA COMPLEXITÉ DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE CONTENTIEUX DES DÉCISIONS COTOREP

Le Médiateur constate, par ailleurs, qu'une clarification des compétences s'impose en matière de contentieux des décisions des COTOREP.

Il existe dans ce domaine plusieurs instances compétentes : juridictions du contentieux technique de la Sécurité sociale, commissions départementales des travailleurs handicapés, des mutilés de guerre et assimilés ou, éventuellement, dans certaines situations, juridictions administratives de droit commun.

La répartition des compétences entre ces différentes instances, qui s'avère fort complexe en pratique, peut s'expliquer pour partie par la pluralité d'objets des décisions prises par les COTOREP. Elle constitue néanmoins une source d'incompréhension regrettable pour les usagers qui ne savent pas toujours devant quelle juridiction porter leur contestation.

À cet égard, il est apparu au Médiateur, à l'occasion de l'instruction d'une réclamation, qu'aucun texte ne précisait les voies de recours pouvant être exercées à l'encontre des décisions des COTOREP relatives à l'assurance vieillesse des mères de famille ayant la charge d'un enfant handicapé. Ces personnes peuvent en effet être affiliées gratuitement à l'assurance vieillesse du régime général de la Sécurité sociale, sous réserve de satisfaire à certaines conditions et dès lors que le maintien au foyer du handicapé est reconnu souhaitable par la COTOREP.

En l'espèce, la mère d'un adulte handicapé souhaitant bénéficier de ces dispositions s'est vu opposer un refus par les COTOREP au motif que sa fille handicapée était placée dans un établissement spécialisé. L'intéressée a formé un recours devant le tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI) qui s'est déclaré incompétent et l'a invitée à saisir le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS), lequel a également décliné sa compétence.

Le Médiateur, relevant que ce conflit de compétence, dû à une lacune juridique, privait les personnes concernées de toute action contentieuse, a demandé au ministre chargé de la Sécurité sociale de trouver très rapidement une solution : c'est l'objet de la proposition de réforme du Médiateur 95-R006.

En novembre 1996, à propos d'une affaire similaire, le Tribunal des conflits avait jugé que ce type de litige relevait de la compétence du juge du contentieux général (TASS).

Répondant, en décembre 1996 à la proposition de réforme du Médiateur, le ministre concerné a précisé qu'il envisageait d'inscrire dans un texte à venir que ce type de litige serait du ressort du contentieux technique (TCI).

Sur un plan plus général le Médiateur a bien noté que le principe d'une réforme d'ensemble du contentieux général et du contentieux technique de la Sécurité sociale était désormais acquis au niveau interministériel. La mise en úuvre de cette réforme, souhaitée dans un délai proche, devrait être l'occasion de clarifier et de simplifier le contentieux des COTOREP.

Le Médiateur constate les efforts consacrés depuis 1994 par les pouvoirs publics à la modernisation des COTOREP, dont les premiers effets positifs ont déjà pu être enregistrés.
Il apparaît cependant indispensable de poursuivre, voire de renforcer cette action, dans un domaine particulièrement sensible où les progrès restent fragiles face au volume important des demandes et à la dégradation du contexte socio-économique.

Pour le Médiateur de la République, la qualité du service rendu à la personne handicapée doit en effet demeurer un objectif prioritaire.


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