L'ACTION DU MEDIATEUR DANS LE DOMAINE DU LOGEMENT


Dans mon précédent rapport d'activité, j'ai rappelé, à plusieurs reprises, l'intérêt particulier que je porte aux situations humaines difficiles, voire dramatiques, que révèlent parfois les dossiers qui me sont transmis.

Dans un contexte économique défavorable, le logement constitue une préoccupation dominante pour un nombre croissant de familles.

Quand le Conseil constitutionnel, à l'égard du droit au logement, parle d'abord d'une " exigence d'intérêt national ", puis reconnaît ensuite le caractère d'" objectif à valeur constitutionnelle " à la " possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent " (décisions des 29 mai 1990 et 19 janvier 1995), il témoigne de cette préoccupation qui concerne la collectivité publique tout entière.

Le Gouvernement et le législateur ont fait du logement un grand chantier auquel sont associées les collectivités locales et les associations de solidarité : mise en place d'un plan d'urgence pour le logement des plus démunis, s'accompagnant notamment de la mise en úuvre de l'ordonnance du 11 octobre 1945 sur les réquisitions; politique de la ville et des banlieues; préparation d'une loi contre l'exclusion s'articulant autour de quatre grands domaines, en particulier celui de l'accès au logement.

La création de dispositifs favorisant l'accès au logement ne peut pourtant prétendre résoudre toutes les difficultés. L'activité de la juridiction judiciaire et, dans une moindre mesure, celle de la juridiction administrative, attestent du nombre important des problèmes liés au logement : litiges locatifs, contestations de loyers, accumulation de dettes locatives, expulsions, refus ou interruption du versement des aides publiques, enchevêtrement des compétences administratives, multiplicité des intervenants...

La dégradation de la situation économique est malheureusement souvent à l'origine d'une aggravation des problèmes en ce domaine. Aussi n'est-il pas surprenant que je sois régulièrement destinataire de réclamations en matière de logement.

I. LA DIVERSITÉ DES LITIGES LOCATIFS SOUMIS AU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE

La compétence du Médiateur de la République est bien entendu subordonnée à la condition que soit mis en cause un organisme chargé d'une mission de service public. Dans le domaine du logement, il s'agit principalement, des établissements publics d'habitations à loyer modéré (offices publics d'HLM et offices publics d'aménagement et de construction, OPAC) et des organismes privés d'habitations à loyer modéré (sociétés anonymes d'HLM). Il peut également s'agir d'une collectivité publique qui, dans le cadre de la gestion de son domaine privé, donne en location les biens immobiliers lui appartenant, ou d'une société d'économie mixte.

Dès lors que cette condition est satisfaite, la question se pose de savoir si la réclamation transmise au Médiateur de la République relève de sa compétence.

Un simple examen de la demande révèle parfois l'existence d'un litige d'ordre purement privé : contestation portant sur un reliquat de loyers impayés, sur une augmentation du montant du loyer, ou encore sur les modalités d'indemnisation d'un dégât des eaux (Réclamations no 93-4291, no 94-4588 et no 94-5311). Il en est de même des doléances d'un locataire concernant l'entretien des canalisations d'eau desservant son appartement (Réclamation no 95-1561). Dans ce cas, le Médiateur de la République n'est pas compétent et en informe le parlementaire qui l'a saisi.

En revanche, lorsqu'il résulte de l'analyse d'un dossier que le différend a pour origine un dysfonctionnement administratif, le Médiateur de la République retrouve toute sa compétence.

Il n'est pourtant pas toujours aisé de déterminer si le litige porte exclusivement sur les relations contractuelles de droit privé entre un propriétaire et un locataire, ou si l'activité de service public de l'organisme bailleur se trouve en cause.

À la lumière des dossiers instruits de 1992 à 1996, exception faite des réclamations en matière d'aides publiques au logement qui seront examinées plus loin, les interventions du Médiateur de la République peuvent se répartir de la façon suivante :

- informations données aux locataires, et plus souvent encore aux associations de locataires, sur les droits et obligations des organismes d'HLM;

- contestation en matière de supplément de loyer;

- contribution à la mise en place d'un dispositif de résorption d'une dette locative;

- expulsions locatives.

A. UN RÔLE D'INFORMATION ET D'EXPLICATION

Les dossiers transmis au Médiateur de la République révèlent parfois que la contestation s'est développée à partir d'un malentendu, né d'informations incomplètes ou inexactes.

Lorsque l'instruction du dossier confirme qu'aucune défaillance ne peut être reprochée à un organisme de logement dans l'accomplissement de sa mission, le Médiateur de la République s'attache à donner aux intéressés toutes explications et informations sur les droits et obligations des bailleurs et des locataires tels qu'ils résultent des textes en vigueur.

Une réclamation a été transmise au Médiateur de la République par une association de locataires qui contestait des augmentations de loyers importantes, résultant d'une opération de réhabilitation d'un ensemble immobilier.

L'examen de l'affaire a très rapidement confirmé que l'office public d'HLM avait respecté la réglementation applicable.

Il s'agissait, en l'espèce, de la mise en úuvre d'une convention conclue entre l'office et l'État en vertu des dispositions de l'article L. 351-2 et des articles L. 353-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

Lorsque des travaux d'amélioration et de réhabilitation sont réalisés dans le cadre d'une telle convention, l'organisme de logement est habilité à procéder à un relèvement général des loyers, supérieur aux limites fixées par la réglementation. Toutefois, le montant maximum du loyer ainsi arrêté ne doit pas dépasser le niveau du loyer plafond fixé par la convention (article R. 353-16 du code de la construction et de l'habitation).

Soucieux d'éviter de trop brusques variations de loyers, le ministre chargé du Logement a précisé, dans une circulaire du 1er février 1988 (annexe III) que : " dans le cas de travaux pour lesquels une hausse correspondant à 10 % du loyer antérieur se révélerait insuffisante pour l'équilibre de l'opération, la hausse du loyer pratiqué est limitée, au maximum, à 10 % (au plus) du coût des travaux, hors subvention de l'État ".

En l'espèce, la majoration des loyers avait été déterminée conformément à ces règles.

S'agissant de l'information des locataires, ceux-ci avaient été associés à la mise en place du projet de réhabilitation et avaient été invités à faire part de leurs observations au cours de deux réunions. Toutefois, l'opération ayant été retardée de plus de deux ans en raison de difficultés de financement, une nouvelle réunion avait dû être organisée avant le début effectif des travaux. Compte tenu de l'intervalle de temps qui s'était écoulé, les locataires n'avaient peut-être pas tous disposé des mêmes informations, lors de la notification du nouveau loyer.

En l'absence de dysfonctionnement, le Médiateur de la République s'est cependant attaché, dans sa réponse, à dissiper le malentendu résultant d'une information insuffisante sur le régime des logements conventionnés (Réclamation no 95-1126).

Il a procédé de la même façon en instruisant un litige opposant une association à un office public d'aménagement et de construction (OPAC). L'association ne contestait pas la nécessité de procéder à une opération de réhabilitation, mais estimait que cette opération ne devait pas comprendre des travaux d'isolation des façades.

Bien que le Médiateur de la République ne soit pas habilité à trancher un différend de cette nature, il a interrogé l'office sur les circonstances dans lesquelles était survenue cette contestation, qui avait divisé les locataires lors de la phase de consultation.

L'opération litigieuse se situait dans le cadre d'un plan d'amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale (PALULOS), qui permet de bénéficier d'une subvention de l'État (articles R. 323-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation).

Les projets de réhabilitation d'immeubles avec un financement PALULOS donnent lieu à une concertation avec les locataires. Diverses circulaires du ministre chargé du Logement, notamment celle du 6 août 1993, ont fixé le cadre de cette concertation.

En l'espèce, la moitié des locataires environ ayant manifesté son opposition, l'OPAC a saisi le représentant de l'État qui a donné son agrément au projet de réhabilitation dans son ensemble, estimant que les travaux d'imperméabilisation des façades ne pouvaient être dissociés des autres travaux d'isolation thermique et de modernisation du système de chauffage.

Ce dispositif est expressément prévu par cette circulaire du 6 août 1993 qui donne au préfet le pouvoir d'apprécier si les travaux litigieux sont indispensables " au maintien en l'état du bâtiment ou de la sécurité domestique ".

La procédure préalable au lancement des travaux n'ayant révélé aucune méconnaissance de la réglementation applicable, la réclamation de l'association ne pouvait aboutir. Là encore, ce sont des informations à caractère pédagogique qui lui ont été données (Réclamation no 95-2401).

B. LE SUPPLÉMENT DE LOYER

La loi no 96-162 du 4 mars 1996 a modifié et complété les dispositions du code de la construction et de l'habitation qui régissent le supplément de loyer (article L. 441-3 à L. 441-15).

Désormais, les organismes d'HLM peuvent mettre un supplément de loyer à la charge des locataires dès lors que les ressources des personnes vivant au foyer excèdent d'au moins 10 % les plafonds de ressources pour l'attribution du logement qu'ils occupent.

Cette possibilité se transforme en obligation - ce qui n'était pas le cas avec les dispositions précédentes - lorsque le dépassement du plafond de ressources atteint 40 %.

Le caractère obligatoire du supplément de loyer pour cette catégorie de locataires, soit 7 % des ménages occupant environ 240 000 logements du parc HLM, répond à un objectif de mixité sociale et correspond à la volonté du Gouvernement de maintenir un niveau élevé de construction de logements sociaux.

Il est donc demandé aux locataires concernés de participer à l'effort de solidarité par le paiement du supplément de loyer, dénommé d'ailleurs " supplément de loyer de solidarité ". Sont toutefois dispensés de cette contribution, les locataires de logements situés dans les grands ensembles, dans les quartiers d'habitat dégradé et dans les zones de revitalisation rurale. Les organismes d'HLM doivent reverser au budget de l'État une partie des sommes ainsi collectées, destinées au financement du logement locatif social.

Il a été indiqué plus haut qu'une contestation en matière de loyers et de charges présente le caractère d'un litige de droit privé pour lequel le Médiateur de la République doit, en principe, décliner sa compétence. Il n'en va pas nécessairement de même en présence d'une réclamation portant sur le supplément de loyer, institué et encadré par des dispositions législatives et réglementaires. La procédure qui permet de déterminer le montant de cette contribution fait en effet intervenir le représentant de l'État dans le département (article L. 441-3 du code de la construction et de l'habitation devenu, après la loi du 4 mars 1996, articles L. 441-7, L. 441-10, L. 441-11). Dans ce contexte, il n'existe pas d'obstacle de principe à ce que l'aide du Médiateur de la République soit sollicitée, sous réserve, bien entendu, de vérifier l'origine et la nature exactes du différend.

C'est ainsi que l'intervention du Médiateur de la République a permis la reprise des négociations entre un office public d'HLM et un locataire qui estimait avoir droit à une diminution du supplément de loyer mis à sa charge, compte tenu de l'évolution de ses ressources et de la présence au foyer de deux personnes âgées, dont l'une était handicapée.

L'office avait certes réduit le montant du supplément de loyer, mais à compter seulement du mois suivant celui au cours duquel lelocataire avait justifié de ses ressources, en application de la réglementation alors en vigueur. Ce dernier, qui s'était acquitté pendant plus de deux années consécutives d'un supplément de loyer supérieur à celui qu'il devait réellement, faute d'avoir produit en temps utile les justifications nécessaires, réclamait le remboursement du trop-perçu depuis l'origine.

À l'issue des démarches entreprises par le Médiateur de la République, l'office a accepté de réviser sa position et a remboursé à son locataire l'intégralité de l'excédent des sommes qu'il avait payées (Réclamation no 94-1574).

C. LA SITUATION DES LOCATAIRES EN GRANDE DIFFICULTÉ

Dans un contexte de précarité et de difficultés économiques, il est fréquent que les dettes locatives s'accumulent pour atteindre des sommes extrêmement élevées que les locataires ne sont pas en mesure de rembourser. L'existence d'une dette qui s'aggrave constitue un handicap très lourd.

Pour permettre un apurement des loyers impayés et assurer, dans toute la mesure du possible, le maintien des locataires dans les lieux, la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en úuvre du droit au logement a institué, dans le cadre de chacun des plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées, un fonds de solidarité qui intervient en matière d'aide financière et met en place des mesures d'accompagnement social.

Dans le courant de l'année 1996, le Médiateur de la République a été saisi d'un dossier faisant apparaître que Mme C..., locataire d'un logement appartenant à un office public d'HLM, se trouvait redevable d'une somme extrêmement importante.

L'intéressée réglait les loyers courants mais ne parvenait pas à réduire le montant de la dette, qui résultait de graves difficultés familiales.

En effet, quelques années plus tôt, Mme C... s'était trouvée dans l'obligation d'assumer seule la charge de ses cinq frères et s urs, à l'égard desquels elle assurait la fonction de tuteur. Au décès de son mari, les problèmes financiers se sont succédés.

Par la suite, n'ayant plus à sa charge que deux s urs d'âge scolaire, Mme C... s'est maintenue dans le logement d'origine dont le loyer était manifestement disproportionné par rapport à ses revenus, alors qu'elle aurait souhaité occuper un appartement d'une superficie moins importante.

Le Médiateur de la République est intervenu dans deux directions.

Il a demandé au préfet de la Seine-Saint-Denis d'engager, auprès du fonds de solidarité pour le logement, une procédure d'attribution d'aide financière au profit de Mme C...

Le montant très important de la dette risquait toutefois de compromettre la réussite de cette procédure.

C'est pourquoi le Médiateur de la République a également attiré tout spécialement l'attention de l'office public d'HLM sur la situation de sa locataire en lui demandant de rechercher, compte tenu du caractère très particulier de ce dossier, le moyen de consentir une remise partielle de la dette et de proposer à Mme C... un logement plus petit. Cette dernière mesure paraissait indispensable : il fallait en effet permettre à Mme C... de continuer à régler le loyer courant, tout en dégageant une solution pour apurer progressivement le reliquat de sa dette.

Ce dossier est en cours d'instruction (Réclamation no 96-0296).

L'aide financière accordée par le fonds de solidarité pour le logement est principalement destinée à permettre le maintien dans les lieux et, par conséquent, à éviter la résiliation du bail pour non-paiement du loyer. C'est pourquoi, tout commandement de payer signifié par l'huissier pour le compte du propriétaire doit reproduire, à peine de nullité, les dispositions de l'article 6 de la loi du 31 mai 1990, afin de mettre le locataire en mesure de saisir le fonds de solidarité dont il relève (cf. article 24 de la loi du 6 juillet 1989 modifiée, tendant à améliorer les rapports locatifs).

Dans le même ordre d'idées, le congé donné au locataire par le propriétaire en raison de l'expiration du bail constitue un obstacle à la mise en place d'une aide financière, s'il s'avère que le congé a été maintenu et que le logement a été libéré.

Le Médiateur de la République a été saisi d'une réclamation présentée par un propriétaire qui avait été informé que la commission du fonds de solidarité pour le logement, dans le département de la Vendée, avait donné un accord de principe à l'octroi d'un prêt de 12 800 F. Le versement de cette somme était toutefois subordonné à la condition que le locataire s'acquitte du paiement de son loyer, augmenté de 300 F par mois au titre des mensualités de remboursement.

Constatant par la suite que cette condition n'était pas satisfaite, la commission n'a pu mettre en place la mesure initialement prévue.

En effet, six mois avant l'expiration du bail, le propriétaire avait donné congé au locataire qui avait quitté le logement à la date prévue. Certes, l'arriéré de loyer n'avait pas été réglé mais il s'agissait là d'un litige d'ordre purement privé ne relevant pas de la compétence du fonds de solidarité. Le dossier a donc été clos sur cette base (Réclamation no 94-0219).

D. LES EXPULSIONS LOCATIVES

Après avoir érigé le droit au logement en droit fondamental (article 1er de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs), le législateur a adopté des mesures destinées à garantir ce droit en faveur des personnes en difficulté, comme en témoigne la mise en place, par la loi du 31 mai 1990, des plans départementaux d'action et des fonds de solidarité pour le logement.

Au cours de ces dernières années, on a donc assisté à la mise en place d'aides financières, de mesures de soutien et de mécanismes juridiques qui tendent à prévenir les causes d'expulsion.

Pourtant, dans l'immense majorité des cas, l'expulsion a déjà été ordonnée par une décision de justice lorsque le Médiateur de la République est saisi, ce qui rend son intervention extrêmement délicate.

1. Les possibilités d'intervention du Médiateur de la République à l'égard des propriétaires

L'expulsion d'un occupant ne peut être prononcée que par une décision de justice, qu'il s'agisse d'une défaillance du locataire qui cesse de payer les loyers et charges, du congé donné par le bailleur qui refuse le renouvellement du bail, ou encore du maintien dans les lieux d'un propriétaire dont l'immeuble a fait l'objet d'une saisie immobilière.

Une fois que l'expulsion est ordonnée par le juge, le concours de la force publique ne peut être demandé qu'à l'issue des formalités accomplies par l'huissier pour le compte du propriétaire : signification de la décision de justice et commandement d'avoir à libérer les lieux. Cet acte est lui-même soumis à diverses conditions, prévues par les articles 61 et 62 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution. D'une part, l'expulsion ne peut intervenir qu'à l'issue d'un délai de deux mois à compter de la signification du commandement, ce délai ne faisant pas obstacle au bénéfice d'autres délais susceptibles d'être consentis en application des dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du code de la construction et de l'habitation.

D'autre part, l'huissier doit adresser au préfet une copie du commandement d'avoir à libérer les lieux, en vue de permettre la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées.

Dès qu'il constate l'échec de la tentative d'expulsion, l'huissier requiert l'assistance de la force publique.

La décision appartenant au représentant de l'État dans le département, c'est le préfet qui apprécie, en fonction de chaque cas d'espèce, si les conditions permettant d'accorder le concours de la force publique sont ou non réunies.

Les propriétaires comprennent mal que le préfet puisse refuser l'octroi de la force publique, faisant valoir que la décision de l'autorité administrative porte atteinte à leur droit de propriété et constitue un obstacle à l'exécution d'une décision de justice.

Le préfet se trouve pourtant nécessairement conduit à refuser de prêter main-forte ou à différer son intervention s'il apparaît que des troubles de l'ordre public sont susceptibles d'être provoqués par l'exécution forcée d'un jugement d'expulsion.

La nécessité de maintenir l'ordre public va donc l'emporter sur les droits du propriétaire, bien que celui-ci soit nanti d'une décision de justice revêtue de la formule exécutoire.

Les dossiers reçus par le Médiateur de la République, en matière d'inexécution de décisions de justice, témoignent de la confusion qui est parfois commise. Certes, celui-ci exerce des compétences particulières qu'il tient des dispositions de l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973 complétée par celle du 24 décembre 1976. Mais ces dispositions concernent exclusivement les décisions rendues à l'occasion de litiges dans lesquels une collectivité publique s'est trouvée directement mise en cause. Tel n'est pas le cas de l'expulsion locative, qui constitue l'aboutissement d'un litige purement privé ayant opposé un bailleur et son locataire. Le Médiateur de la République doit donc parfois rappeler les limites de ses prérogatives en la matière (Réclamation no 96-1305).

Par ailleurs, le Médiateur de la République ne peut se substituer au préfet pour apprécier les risques de troubles de l'ordre public.

Toutefois, il serait très regrettable que les droits des propriétaires - qui sont souvent de petits épargnants - soient durablement méconnus. Aussi, le Médiateur invite l'autorité préfectorale à procéder à un nouvel examen de la situation des occupants et à une enquête locale afin d'évaluer sii les circonstances qui avaient justifié un refus de concours de la force publique ont évolué.

En matière d'expulsions locatives, l'action du Médiateur de la République consiste principalement à rechercher le moyen d'obtenir, pour le propriétaire, la réparation de son préjudice dans des conditions acceptables.

Rappelons très brièvement que le refus de concours de la force publique a, de tout temps, été considéré par la jurisprudence comme engageant la responsabilité de l'État, soit sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, soit, beaucoup plus rarement, sur celui de la faute lourde. Le législateur a tenu à consacrer ce principe en inscrivant expressément, à l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991, le droit à réparation de toute personne à laquelle est opposé le refus de concours de la force publique.

La responsabilité de l'État prend effet à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la date à laquelle l'huissier a saisi l'autorité administrative. Toutefois, le point de départ de la période de responsabilité de l'État se trouve parfois repoussé à la fin de la période hivernale, qui s'étend du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l'année suivante, au cours de laquelle il est sursis à toute mesure d'expulsion de l'occupant.

S'agissant d'un préjudice continu, la responsabilité de l'État ne prend fin, en principe, qu'à la date à laquelle le propriétaire peut reprendre possession des lieux.

Par méconnaissance de certaines règles, il arrive que le bailleur néglige lui-même ses droits à réparation. Le Médiateur de la République va donc l'assister pour lui permettre de chiffrer son préjudice et l'aider à réunir les pièces justificatives dont l'Administration a besoin pour procéder à une indemnisation à l'amiable.

Les services préfectoraux réparent le préjudice résultant de la perte de loyers et charges pendant la (ou les) période(s) de responsabilité de l'État, mais ne prennent pas en compte d'autres chefs de préjudices que la juridiction administrative accepte pourtant d'indemniser sous certaines conditions : privation de jouissance, troubles divers, dégradations des locaux. Cette position est certes regrettable et le Médiateur de la République la combat lorsque le dossier le permet (Réclamation no 94-3782) mais, dans l'immense majorité des cas, il paraît préférable d'éviter au propriétaire une procédure contentieuse longue et coûteuse.

Le traitement des demandes d'indemnisation par les services préfectoraux ne soulève pas, en principe, de difficultés. Récemment pourtant, le Médiateur de la République a dû intervenir pour permettre à un propriétaire d'obtenir la réparation de son préjudice.

L'autorité administrative avait rejeté la demande de M. S... au motif qu'il aurait fait preuve de négligence en donnant un logement en location à un ressortissant étranger en situation irrégulière.

Or, à la date à laquelle le bail avait été conclu, les éléments d'information dont disposait le bailleur ne lui permettaient nullement d'apprécier la situation du candidat-locataire au regard de la réglementation applicable aux ressortissants étrangers. Il s'agissait d'ailleurs d'une situation complexe puisqu'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière avait été annulé par un jugement du tribunal administratif et que la décision du préfet refusant ultérieurement la délivrance d'un titre de séjour avait, à son tour, été annulée par une décision du Conseil d'État.

L'indemnité réclamée était modeste, en raison de la brièveté de la période de responsabilité de l'État, mais le Médiateur de la République n'a pas cru devoir accepter la position de l'Administration. Deux interventions ont été nécessaires, à la suite desquelles le préfet compétent a accepté de réparer le préjudice résultant de la perte de loyers au cours de cette période (Réclamation no 95-3843).

Il arrive enfin, mais beaucoup plus rarement, que la décision de justice prononçant l'expulsion constitue l'aboutissement d'un conflit portant sur la reconnaissance du droit de propriété revendiqué par l'une des parties.

C'est ainsi que le Médiateur de la République a été saisi par les consorts B..., qui se plaignent de ne pas obtenir le concours de la force publique alors qu'une décision de justice a reconnu leur droit de propriété sur une parcelle de terrain et prescrit l'expulsion des occupants.

Il s'agit en réalité de plusieurs familles, installées depuis de nombreuses années, qui ont fait construire des bâtiments à usage d'habitation sur la parcelle litigieuse dont ils se croyaient propriétaires.

Leur expulsion présente donc de sérieux risques de troubles.

Privilégiant toute solution négociée en raison du contexte délicat de cette affaire, le préfet ainsi que le maire de la commune concernée ont invité les parties à se rapprocher et à rechercher les bases d'une transaction sous la forme d'une cession de la parcelle aux occupants, opération qui suppose, avant tout, un accord sur le prix.

En l'espèce, le Médiateur de la République ne peut que soutenir les initiatives prises par le préfet et encourager les consorts B... à aller dans la voie de la négociation, sans toutefois pouvoir prendre position, en raison du caractère privé du litige principal (Réclamation no 94-3753).

2. Les possibilités d'intervention du Médiateur de la République à l'égard des occupants

Le Médiateur de la République, qui a un devoir d'assistance à l'égard des personnes en difficulté, se trouve parfois dans une situation inconfortable pour leur venir en aide. C'est le cas en matière d'expulsion, les intérêts de l'occupant et ceux du propriétaire étant, par définition, inconciliables.

Bien entendu, il s'agit à titre principal d'un litige entre deux personnes privées auquel le Médiateur de la République doit rester étranger.

Ce n'est donc qu'à l'égard de l'autorité préfectorale que le Médiateur de la République peut intervenir :

- d'une part, pour transmettre des éléments d'information récents dont le préfet peut ne pas avoir eu connaissance, en raison du délai qui s'écoule parfois, entre la date d'octroi du concours de la force publique et la date à laquelle doit intervenir l'expulsion;

- d'autre part, pour s'assurer que les mesures appropriées sont en cours, afin de permettre le relogement des personnes menacées d'expulsion. Il s'agit d'une mesure prioritaire, comme en témoignent les dispositifs évoqués plus haut, mis en place par le législateur à travers les lois des 31 mai 1990 et 9 juillet 1991. Cette priorité, également inscrite à l'article R. 441-4 du code de la construction et de l'habitation, a été rappelée par une circulaire conjointe du ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, du ministre de la Justice et du ministre du Logement, en date du 26 août 1994.

Comme on le sait, le relogement ou la mise en place d'une aide permettant le maintien provisoire dans les lieux soulève de nombreuses difficultés, en termes de budget et de disponibilité de locaux.

En raison de leur caractère souvent très incomplet, les dossiers transmis au Médiateur de la République ne permettent pas de savoir quelles mesures de soutien sont envisagées à l'égard de l'occupant, alors que le concours de la force publique est accordé et que l'expulsion est fixée à une date très rapprochée.

Saisi de la réclamation d'une famille dont l'expulsion devait intervenir quelques jours plus tard, le Médiateur de la République a aussitôt demandé au préfet compétent d'accepter de surseoir à la mise en úuvre de cette opération, le temps de réunir les éléments d'informations indispensables à la recherche d'une solution de remplacement. Le logement occupé appartenait à un office public d'HLM, ce qui, il est vrai, était de nature à permettre l'intervention du Médiateur de la République plus facilement que s'il s'était agi d'un propriétaire du secteur locatif privé.

Le préfet a bien voulu accorder le sursis à l'expulsion et a chargé les services sociaux de procéder à une nouvelle enquête en recherchant les mesures permettant de venir en aide à cette famille.

Afin d'aider à l'apurement de la dette, le bureau d'aide sociale a accepté le versement d'une aide mensuelle, s'ajoutant à l'engagement des occupants de reprendre régulièrement le paiement du loyer courant.

Les services sociaux ayant conseillé la poursuite de cette période d'essai pendant plusieurs mois, l'expulsion a pu être évitée (Réclamation no 95-1631).

Il a été indiqué précédemment que le refus d'accorder le concours de la force publique engage la responsabilité de l'État, qui se trouve ainsi tenu de réparer le préjudice subi par le propriétaire. L'indemnisation comprend principalement le montant des loyers non payés par l'occupant pendant la période de responsabilité de l'État, qui peut être très longue.

Dès lors que l'État prend à sa charge des obligations qui ne lui incombent pas, il se trouve, après paiement de l'indemnité, subrogé dans les droits que le propriétaire détient à l'encontre de l'occupant : la créance détenue par le propriétaire contre son ancien locataire est ainsi transférée à l'État.

Si la mise en úuvre du mécanisme de la subrogation est juridiquement fondée, l'insolvabilité de nombreux débiteurs rend cette opération très aléatoire. L'occupation des lieux s'étant poursuivie pendant de nombreuses années, les sommes dues sont souvent très importantes. Aussi, des délais de paiement sont-ils consentis aux débiteurs par l'Administration, mais ce système constitue lui-même une contrainte pour les services chargés du recouvrement, lorsque la durée du remboursement s'échelonne sur une longue période.

Le Médiateur de la République a eu l'occasion d'intervenir en faveur des époux B..., qui avaient été propriétaires en viager d'une maison dans laquelle ils s'étaient maintenus à la suite de la vente de celle-ci, intervenue dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière.

Les circonstances de cette affaire étaient particulières.

En effet, le crédirentier s'était lui aussi maintenu dans les lieux jusqu'à son décès et les époux B..., débirentiers, lui avaient apporté aide et assistance pendant toute cette période bien qu'ils n'y soient pas tenus. En outre, la capacité financière de ces derniers, hébergés chez leur fils, était très réduite.

À la suite de l'intervention du Médiateur de la République et après réexamen du dossier, le ministre délégué au Budget a accordé aux époux B... une remise importante de la somme dont ils étaient redevables (Réclamation no 95-2477).

La nature même des litiges auxquels donnent lieu les expulsions locatives ne permet pas au Médiateur de la République, pour les raisons évoquées plus haut, de disposer d'une marge d'intervention très étendue. Il existe cependant un espace de négociation, variable d'un dossier à l'autre, qu'il convient d'explorer pour rechercher, dans toute la mesure du possible, le moyen de venir en aide aux personnes en difficulté.

II. LES AIDES PUBLIQUES EN FAVEUR DU LOGEMENT

A. LES AIDES PERSONNELLES AU LOGEMENT

La politique sociale du logement repose sur deux instruments :

- les aides à la pierre : l'État verse une subvention au constructeur, qui, en contrepartie, réserve le logement à des personnes dont les revenus ne dépassent pas certains seuils;

- les aides à la personne : la collectivité prend à sa charge une partie des loyers ou des mensualités d'accession à la propriété des ménages à revenu modeste, de façon à rendre supportable, par leur budget, la dépense de logement.

Les aides à la personne sont devenues, depuis la réforme de 1977, le principal instrument de cette politique sociale et du logement : environ 6 millions de ménages en bénéficient actuellement et près de 70 milliards de francs leur sont consacrés. Elles constituent un élément majeur de la solidarité nationale et de la lutte contre l'exclusion.

La vocation du dispositif, qui se veut d'abord redistributif, implique que les aides personnelles au logement soient modulées en fonction du revenu et de la composition de la famille.

L'aide à la personne étant également une aide économique, elle doit tenir compte des coûts du logement (remboursement en accession, loyer en locatif, charges) qui sont fort variables d'une opération à l'autre.

Le dispositif actuel, qui est un produit de l'histoire, et dont la complexité a déjà été dénoncée à maintes reprises, comprend trois types d'aides personnelles, et met en présence des intervenants multiples.

Malgré plusieurs mesures de simplification et d'harmonisation intervenues ces dernières années, les réclamations que reçoit le Médiateur montrent que le système reste source d'incompréhension pour ses bénéficiaires et n'est pas sans poser des difficultés de gestion aux organismes payeurs.

Une brève présentation des aides personnelles au logement et un rappel de l'enchevêtrement des compétences administratives existant en la matière permettront d'évoquer ce manque de lisibilité du dispositif pour les allocataires.

Par ailleurs, outre la difficulté d'appréhender tant les objectifs que les règles qui leur sont appliquées, les requérants se plaignent également des effets injustes générés par l'actuel fonctionnement des aides personnelles au logement.

L'examen des réclamations permettra de souligner certaines incohérences internes au dispositif.

1. Le manque de lisibilité du dispositif

a. La pluralité des aides personnelles au logement

Le système des aides personnelles s'est développé en plusieurs étapes.

L'allocation de logement familiale (ALF) a été créée en 1948, elle est versée aux ménages avec enfants et aux jeunes ménages dont le logement n'ouvre pas droit à l'aide personnalisée au logement (APL).

L'allocation de logement sociale (ALS), créée en 1971, visait à l'origine certaines catégories de la population (personnes âgées, jeunes travailleurs, personnes handicapées...). Puis, dans les années 1980, le droit à l'ALS a été ouvert aux chômeurs, aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI), avant d'être étendu à tous les ménages ne bénéficiant pas de l'APL ou de l'ALF.

L'aide personnalisée au logement (APL), créée en 1977, est quant à elle versée aux locataires de logements conventionnés (dans le parc social essentiellement) ainsi qu'aux accédants à la propriété dont le logement a bénéficié de certains financements. L'APL se subdivise elle-même en APL 1, APL 2, APL logement-foyer...

Depuis le 1er janvier 1993, avec le " bouclage ", c'est-à-dire la généralisation de l'ALS, dont les étudiants ont été les principaux bénéficiaires, tout ménage a droit à une aide personnelle au logement s'il remplit les conditions de ressources.

Le système à vocation universelle sous seule condition de revenu, que nous connaissons actuellement, est donc un produit de l'histoire, composé de dispositifs différents qui n'ont pas été remis en cause.

Ainsi, comme le relève la Cour des comptes dans son rapport de 1994, du fait de la pluralité des formes d'aides personnelles au logement, une même personne peut être soumise à des régimes successifs. Elle recevra l'ALS tant qu'elle est célibataire, elle pourra percevoir l'ALF si elle se marie, l'APL si elle bénéficie, par la suite, d'un logement HLM conventionné, puis l'ALS à nouveau, à 65 ans, si elle le quitte pour un autre logement.

L'allocataire, qui devra à chaque fois constituer un nouveau dossier et remplir des formulaires spécifiques à chaque aide, se verra appliquer des barèmes différents pour le calcul de la prestation, ainsi que des règles de versement et de recours distinctes.

b. L'enchevêtrement des compétences administratives

Cette pluralité des aides personnelles au logement s'accompagne d'un enchevêtrement des compétences administratives lié principalement aux modes de financement des prestations versées (répartition de la charge entre régimes sociaux et budget de l'État). Il en résulte un système peu compréhensible pour les allocataires qui peuvent être appelés à avoir des interlocuteurs multiples dans ce domaine.

- Il existe tout d'abord une diversité des sources réglementaires.

L'APL étant régie par le code de la construction et de l'habitation, le ministère chargé du Logement est donc compétent sur le plan réglementaire. Les allocations de logement (ALF et ALS) qui relèvent, pour leur part, du code de la sécurité sociale sont donc de la compétence du ministère chargé des Affaires sociales.

- La gestion des aides au logement était à l'origine assurée (sauf pour l'APL) par les différents organismes ou administrations chargés du versement des prestations familiales. En janvier 1995, dans un souci de simplification, a été opéré, vers les caisses d'allocations familiales (CAF), le transfert des bénéficiaires fonctionnaires. Il incombe toutefois aux caisses de mutualité sociale agricole (MSA) et encore à certains régimes particuliers, de liquider ces aides au profit de leurs ressortissants.

- Au niveau du versement des prestations, un effort d'harmonisation a également été effectué.

La règle en matière d'APL (locative ou d'accession à la propriété) est le versement direct au profit du bailleur ou prêteur. Cette procédure de règlement en tiers payant est également possible, depuis 1990, pour les allocations de logement, sous réserve toutefois de l'accord exprès de l'allocataire.

- Le dispositif s'avère particulièrement complexe pour les allocataires, pour connaître les instances compétentes en matière de contestations amiables, puis de recours contentieux.

S'agissant des allocations de logement, les contestations sont du ressort de la commission de recours amiable de l'organisme débiteur de la prestation, avec un recours possible devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.

Les différends relatifs à l'APL relèvent de la section départementale des aides publiques au logement (SDAPL), qui est présidée par le préfet ou son représentant. Cette instance est toutefois autorisée, depuis la loi du 21 juillet 1994 relative à l'habitat, à déléguer par voie de convention certaines de ses compétences à la commission de recours amiable de l'organisme liquidateur. Ainsi peuvent être délégués l'examen des contestations des décisions des caisses et les demandes de remise de dette. En revanche, les situations d'impayés demeurent du ressort exclusif de la section des aides publiques au logement.

Quelle que soit la commission qui se prononce au stade de la contestation amiable, le contentieux de l'APL relève du tribunal administratif.

La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) préconise en la matière une unicité du contentieux fondée sur un critère organique. Cette unification constituerait une mesure de simplification pour les allocataires et présenterait, en outre, l'avantage d'assurer une cohérence de jurisprudence entre les différentes aides au logement, mais également entre les aides au logement et les autres prestations familiales.

La situation de Mme A..., portée à la connaissance du Médiateur, illustre les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les allocataires dans ce domaine (Réclamation no 95-3407).

L'intéressée a en effet été considérée pour la même période, comme occupant son logement, par le tribunal administratif statuant au regard de l'APL, et, comme vivant maritalement chez M. X... par les juridictions de l'ordre judiciaire se prononçant sur les ressources à prendre en considération pour calculer ses droits à l'allocation aux adultes handicapés.

Même si les décisions rendues n'étaient pas contradictoires puisque le juge administratif ne s'était prononcé que sur l'occupation effective du logement et non sur la vie maritale, elles n'ont pas manqué de susciter des interrogations bien légitimes de la part de la requérante.

2. Les réclamations

Les réclamations relatives aux aides personnelles au logement représentent le tiers de celles adressées au Médiateur concernant la branche famille.

L'examen des requêtes montre les difficultés nombreuses auxquelles se heurtent les allocataires pour appréhender le dispositif actuel et le sentiment qu'ils ont d'une certaine iniquité dans l'attribution des aides.

Les motifs de contestation sont très divers en la matière. Ils sont liés aux conditions auxquelles le logement doit satisfaire, aux barèmes applicables, aux modalités d'appréciation des ressources, à la procédure des impayés de loyer et, enfin, à la récupération des aides indûment versées.

a. Les réclamations liées au logement

Pour être éligible aux aides personnelles, le logement occupé doit répondre à certains critères.

Bien qu'un effort d'harmonisation ait été entrepris par les pouvoirs publics ces dernières années en vue d'aligner les conditions liées au logement, des nuances subsistent encore.

Tout d'abord, le logement doit constituer la résidence principale. Sur ce point, mais seulement depuis 1995, une définition unique est applicable aux trois prestations. Désormais, la condition est satisfaite, quelle que soit l'aide, lorsque le logement est occupé au moins huit mois par an, soit par l'allocataire, soit par son conjoint ou concubin, soit par une des personnes à charge.

Le logement constituant la résidence principale ne doit toutefois pas être mis à disposition, à titre onéreux, par un ascendant ou un descendant.

Le Médiateur, qui a reçu plusieurs réclamations faisant grief aux caisses d'allocations familiales (CAF) de refuser le bénéfice de l'aide dans cette hypothèse, s'est vu confirmer le bien-fondé de la position des organismes tant par la Caisse nationale des allocations familiales que par les ministères intéressés.

Les dispositions réglementaires, souvent critiquées en la matière, trouvent leur justification essentielle dans le principe selon lequel la solidarité entre ascendants et descendants, qui a son origine notamment dans le principe d'obligation alimentaire, institué par le code civil, doit primer sur la solidarité nationale.

Le logement doit en outre répondre à certaines conditions de salubrité et de superficie.

Là encore, ce n'est que depuis 1995 qu'ont été unifiées les conditions de superficie requises pour que le logement soit éligible à l'ALF ou l'ALS.

Toutefois, à la différence des allocations de logement, l'attribution de l'APL n'est pas subordonnée au respect de normes précises de superficie et de peuplement. Ces normes sont en effet supposées remplies dans la mesure où l'APL s'applique le plus souvent à des logements neufs ou réhabilités qui ont été conventionnés par l'État.

Par ailleurs, après la publication de la loi de janvier 1990 étendant le bénéfice de l'ALS aux personnes âgées hébergées dans les unités et centres de long séjour, le Médiateur a été saisi de nombreuses réclamations.

Celles-ci dénonçaient le caractère discriminatoire des conditions de superficie et de peuplement exigées pour le versement de la prestation, et notamment le fait que le droit à l'allocation ne soit pas ouvert si la chambre est occupée par plus de deux personnes.

Ainsi, au sein d'un même établissement et à ressources égales, en fonction de la chambre qui leur était attribuée, certains pensionnaires bénéficiaient de l'ALS tandis que d'autres, plus mal logés, en étaient exclus.

En octobre 1990, le Médiateur a appelé l'attention du ministre chargé de la Sécurité sociale sur la disparité choquante de cette situation, et a proposé une réforme tendant à assouplir les règles critiquées.

Cette proposition a reçu un écho favorable.

Ainsi, depuis le 1er janvier 1992, un dispositif a été mis en place, permettant d'ouvrir le droit à l'ALS à toutes les personnes résidant en centres ou unités de long séjour, dès lors que l'établissement s'est engagé dans un programme d'investissement destiné à assurer, dans un délai de trois ans, la conformité totale aux normes fixées.

Ce programme doit toutefois avoir donné lieu à l'inscription au budget de l'établissement, approuvé par l'autorité administrative, de la première tranche de travaux.

Malgré ce dispositif dérogatoire qui permet d'élargir le droit à l'ALS, il est regrettable que certaines personnes âgées demeurent encore exclues du bénéfice de la prestation de logement, alors qu'elles ne sont pas responsables de leur accueil dans l'établissement.

Ce fut le cas de Mme K... qui s'est vu supprimer, en juillet 1993, le droit à l'APL à la suite de son transfert, pour raisons médicales, dans une chambre à trois lits. L'état d'avancement des travaux de l'établissement, dans lequel elle séjournait à cette date, ne lui permettait pas de prétendre à la dérogation aux règles générales de peuplement (Réclamation no 94-4970).

Malgré ses interventions le Médiateur de la République n'a pu obtenir le rétablissement de la prestation.

Le Médiateur appelle à nouveau l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité d'un effort financier accru pour accélérer la modernisation des établissements d'accueil.

b. La parution tardive des barèmes

Les aides au logement sont calculées selon des barèmes qui prennent principalement en considération les revenus du bénéficiaire, la composition de son foyer et les dépenses qu'il consacre à son logement.

Une déclaration de ressources est effectuée chaque année auprès des organismes liquidateurs. Le revenu ainsi déterminé au titre d'une année civile est pris en compte dans la liquidation des aides personnelles au logement à compter du 1er juillet suivant.

En principe, à la même date, les barèmes de calcul des prestations de logement sont revalorisés, conformément à la loi, en fonction de l'inflation.

En pratique, et exception faite de ces deux dernières années pour lesquelles il n'y a pas eu de revalorisation des barèmes, cette actualisation intervient avec plusieurs mois de retard.

En 1992, le Médiateur a appelé l'attention du ministre chargé des Affaires sociales sur les graves inconvénients résultant de cette situation qui alourdit la gestion des organismes, et ne fait qu'aggraver le manque de lisibilité de l'aide pour les bénéficiaires.

Les caisses sont, en effet, contraintes d'effectuer, à compter du 1er juillet, un premier calcul provisoire des droits, tenant compte des nouvelles ressources et du nouveau loyer (ou mensualité), mais de l'ancien barème. Puis elles doivent opérer un second calcul, définitif, de l'aide lors de la parution des nouveaux barèmes, avec régularisation de la situation des bénéficiaires par le versement de rappels ou la remise d'indus correspondant à la période provisoire.

Pour leur part, les allocataires qui reçoivent des notifications successives comprennent mal les évolutions subies par l'aide qui leur est allouée. En outre, pour certains d'entre eux, la prise en compte des nouvelles ressources sur la base de l'ancien barème se traduit par une situation de désolvabilisation pendant plusieurs mois, qui suscite un mécontentement légitime.

C'est pourquoi, à l'instar de la CNAF, le Médiateur a proposé aux pouvoirs publics une amélioration de la procédure de révision des barèmes (proposition de réforme STR 92-01).

Par ailleurs, l'application d'un barème unique a été préconisée, à plusieurs reprises (CNAF, rapport Choussat de 1994, Cour des comptes...).

Ces propositions demeurent à l'étude au sein des services ministériels concernés.

c. L'appréciation des ressources

Comme il a été indiqué, les aides personnelles au logement ont pour objet de compenser partiellement la dépense de logement que supporte le bénéficiaire en fonction du montant de celle-ci, des ressources de la famille et de sa composition.

L'appréciation des ressources est le domaine qui génère le plus de critiques de la part des allocataires. Outre l'incompréhension que suscite un dispositif sous-tendu par une volonté d'adaptation constante aux changements de situations des allocataires, les requérants dénoncent vivement les inégalités de traitement résultant de la réglementation actuelle.

Sans faire une étude exhaustive des règles nombreuses applicables en la matière, quelques situations, soumises au Médiateur, permettent d'illustrer et de souligner certains des effets inéquitables induits par le dispositif.

Pour l'attribution des aides au logement, comme pour les prestations familiales soumises à condition de ressources, les organismes prennent en compte les ressources perçues par l'allocataire au cours de l'année civile précédant la période de paiement annuelle qui débute le 1er juillet. Ces ressources (revenus nets catégoriels retenus pour l'établissement de l'impôt sur le revenu) sont toutefois affectées de règles spécifiques : certains revenus sont par exemple neutralisés, d'autres font l'objet d'un abattement...

- La neutralisation des ressources liée à certains évènements familiaux ou professionnels.

À titre d'exemple, il n'est pas tenu compte des ressources professionnelles, des indemnités journalières de l'assurance maladie ou des indemnités de chômage perçues pendant la période de référence dans les trois cas suivants : lorsque l'allocataire en chômage total depuis au moins deux mois consécutifs ne bénéficie pas d'une indemnisation, lorsqu'il est indemnisé au niveau plancher de l'allocation unique dégressive, ou enfin, lorsque le bénéficiaire de l'aide perçoit le RMI.

M. A... estimant sa situation particulièrement inéquitable a appelé l'attention du Médiateur sur ce dernier point.

Bénéficiaire du RMI, il a perçu une pension d'invalidité pendant la période de référence servant de base au calcul de l'APL. Cet avantage d'invalidité lui a été par la suite supprimé pour des motifs d'ordre médical.

À l'appui de sa réclamation, le requérant fait valoir, à juste titre, que s'il avait perçu, pendant la période de référence, au lieu d'une pension d'invalidité, des revenus professionnels, soit des allocations de chômage, ou encore des indemnités journalières en maladie, ses ressources auraient été neutralisées lors de l'appréciation de ses droits à l'APL, du fait de sa qualité de " Rmiste ".

Le Médiateur a interrogé les services ministériels sur la justification d'une telle différence de traitement, appliquée à une catégorie très modeste de la population, en fonction de l'origine des ressources perçues durant l'année civile de référence.

Ce dossier est en cours d'instruction (Réclamation no 96-2960).

- L'abattement opéré sur les ressources.

Lorsque l'allocataire bénéficie d'une indemnisation au titre du chômage, d'un avantage de vieillesse ou d'invalidité, de l'allocation aux adultes handicapés, un abattement de 30 % est effectué sur les revenus d'activité professionnelle relatifs à la période de référence.

Ces mesures, qui obéissent au souci constant de répondre en priorité aux situations les plus délicates, ajoutent largement à la complexité du dispositif et ne répondent pas toujours, pour autant, à l'objectif recherché.

Le cas de M. X... en est une bonne illustration.

L'intéressé, demandeur d'emploi, avait repris une activité salariée à temps partiel dans le cadre d'un contrat emploi solidarité (CES).

La prise en compte de cette activité salariale s'est traduite par une minoration du montant de l'APL qui lui était allouée, puisque M. X... ne pouvait plus bénéficier des mesures spécifiques applicables aux chômeurs, et ce alors même que les revenus perçus au titre du CES étaient inférieurs à son indemnisation par l'assurance chômage.

En l'espèce, le Médiateur n'a pu que constater l'exactitude de la révision des droits et le bien-fondé du trop-perçu réclamé, au regard de la réglementation en vigueur à l'époque.

Il s'est également assuré que la section départementale des aides publiques au logement avait accueilli avec bienveillance la demande de remise de dette formulée par l'intéressé (Réclamation no 94-2924).

Il faut préciser que l'incohérence révélée par l'affaire de M. X... a été corrigée par le décret 94-817 du 19 septembre 1994.

Désormais, une personne placée dans une telle situation peut contracter un CES sans perdre pendant six mois le bénéfice total de la neutralisation de ses ressources pour le calcul de son aide.

Cette amélioration apportée au dispositif laisse cependant subsister une autre incohérence.

En effet, à l'issue du CES, l'intéressé perçoit une allocation de chômage plus faible puisque le CES correspond à un travail à temps partiel. Or, bien que ses revenus mensuels soient inférieurs, son APL sera diminuée, puisque ses ressources ne seront plus neutralisées mais seulement affectées d'un abattement de 30 %.

Il est évident que cette grande réactivité du système aux changements de situation pose des problèmes de gestion aux organismes qui sont amenés à revoir le montant de l'aide en cours d'exercice. Les allocataires, quant à eux, se trouvent déstabilisés par ces variations du montant de la prestation.

Par ailleurs, la prise en compte de certains paramètres ajoute encore à la complexité.

Ainsi, un revenu minimal est appliqué, tant en accession à la propriété (mais selon des modalités différentes pour l'APL et les allocations de logement) qu'en secteur locatif. En outre, un montant minimum de la dépense de logement (taux d'effort) doit rester à la charge du bénéficiaire.

Le Médiateur a été amené à appeler l'attention du ministre chargé du Logement sur la situation de M. et Mme C..., à l'égard desquels les effets conjugués des règles relatives aux modalités de calcul de l'APL se sont révélés particulièrement inéquitables.

En 1989, les intéressés, alors parents de trois enfants, ont réalisé une opération d'accession à la propriété pour laquelle ils ont bénéficié d'une ouverture de droits à l'APL.

En 1993, la famille a enregistré la naissance d'un quatrième enfant. Dans le même temps, les ressources du foyer n'ont pas augmenté et ont même subi une petite diminution à la suite d'un accident du travail dont a été victime M. C...

Or, du fait des modalités de calcul inhérentes au dispositif (application conjuguée d'un revenu plancher de ressources et d'un taux d'effort minimum), la prise en compte de l'arrivée de ce nouvel enfant s'est traduite par une minoration du montant de l'APL versé à ce foyer.

Le Médiateur est intervenu en faveur de cette famille, dont les charges ont de fait augmenté, afin qu'elle puisse bénéficier d'un montant d'APL au moins égal a celui qui avait été déterminé lors de la souscription de son prêt.

Ce dossier est actuellement en cours d'instruction (Réclamation no 95-2068).

Cette variété des modes d'appréciation des ressources a pour effet de rendre l'aide au logement, qui est, par définition, une aide affectée, très sensible à la nature même des revenus. À ressources égales, des personnes occupant le même type de logement, se voient actuellement allouer une aide d'un montant plus ou moins important, en fonction de l'origine de leurs revenus.

Cette inégalité de traitement entre bénéficiaires ne repose sur aucune justification globale, et détourne l'aide spécifique au logement de son objectif.

d. La liquidation des aides au logement et la procédure des impayés de loyers ou des mensualités d'accession à la propriété

Il convient de préciser que les aides au logement ne sont pas versées lorsque le montant mensuel de la prestation est inférieur à 100 F.

Saisi de réclamations (nos 91-0466 et 94-1414) contestant ce seuil de non-versement institué en 1988, le Médiateur a proposé au ministre chargé de la Sécurité sociale, une réforme de la réglementation tendant à permettre un règlement différé, semestriel ou annuel, de la prestation.

Cette proposition de réforme (STR 94-03), qui conciliait les intérêts de gestion des organismes payeurs comme ceux des allocataires, a toutefois été refusée pour des raisons budgétaires. Le ministre a invoqué que la forte augmentation du nombre de bénéficiaires imposait une rationalisation et une maîtrise de ces prestations destinées aux plus démunis. Il a ajouté que l'institution de ce seuil de non-versement répondait à cet objectif puisqu'il concerne la frange des bénéficiaires les plus solvables.

Il est à regretter qu'actuellement certains allocataires, bien qu'ayant un droit ouvert à la prestation, se voient toujours refuser le bénéfice d'une aide annuelle au logement pouvant avoisiner 1 200 F.

En ce qui concerne les cas d'impayés de loyers ou de mensualités d'accession à la propriété, un nouveau dispositif a été mis en place en 1990 pour rendre la procédure applicable à la fois plus efficace et plus sociale. Ces mesures tendent également à harmoniser les règles applicables en matière d'allocation de logement et d'APL.

Antérieurement à la loi du 31 mai 1990 relative à la mise en  uvre du droit au logement, dès qu'un impayé était constaté, le principe consistait à suspendre le versement de l'allocation de logement. Cette suspension avait pour effet d'aggraver la situation de l'allocataire, sans pour autant se montrer incitative à l'élaboration d'un plan d'apurement de la dette par le bailleur ou le prêteur et accepté par l'allocataire.

Désormais, en cas d'impayés et si la procédure de tiers payant n'est pas déjà utilisée, le bailleur ou le prêteur peut obtenir le versement de l'allocation de logement au lieu et place de l'allocataire à condition de produire, dans les six mois, un plan contractuel d'apurement de la dette.

Sous réserve de la reprise du paiement des loyers (ou des mensualités d'accession) et de la bonne exécution du plan d'apurement, le service de l'allocation de logement est poursuivi en faveur du bailleur.

En cas de mauvaise exécution du plan d'apurement, ou lorsque la situation sociale et financière du requérant le justifie, la caisse peut saisir le fonds local d'aide au logement, chargé d'apporter aux intéressés des aides financières ainsi que des mesures d'accompagnement social.

L'objectif de ces mesures, mises en place en 1990, est de prévenir la constitution d'impayés de loyer, qui sont le plus souvent à l'origine des procédures d'expulsion.

Pour être pleinement efficace, le système exige un signalement rapide des situations d'impayés (après constatation, en général, de trois mensualités non honorées). Or, l'examen des réclamations révèle des retards de saisine de la section départementale des aides publiques au logement (SDAPL), imputables notamment aux organismes d'HLM bailleurs. Les conséquences de ces saisines tardives sont regrettables, car plus la dette de loyers est importante, plus le redressement de la situation du débiteur sera longue et aléatoire.

e. Les trop-perçus

Les contestations et les interrogations des requérants, nombreuses en la matière, portent tant sur les motifs à l'origine des trop-perçus que sur les modalités de récupération.

L'attribution des aides au logement reposant (comme les prestations familiales) sur un système déclaratif, les organismes payeurs sont chargés de vérifier les déclarations des allocataires, en ce qui concerne notamment leur situation de famille, leurs ressources, le montant de leur loyer et leursconditions de logement.

Pour ce faire, les caisses peuvent demander toutes les informations nécessaires aux administrations publiques, et diligenter des enquêtes menées par des agents assermentés. Leur mission consiste, par exemple, à vérifier sur place, compte tenu des ressources déclarées par l'allocataire, la réalité d'une situation d'isolement. La réglementation prévoit en effet qu'en cas de vie maritale, il est tenu compte du total des ressources perçues par chacun des concubins durant l'année de référence, pour apprécier les droits aux aides personnelles au logement.

À cet égard, le Médiateur constate que le déroulement des enquêtes et les éléments retenus pour conclure à l'existence d'une vie maritale font l'objet de vives critiques de la part des requérants, et donnent lieu à de nombreux litiges.

La Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), interrogée sur ce point, a précisé qu'elle était tout à fait consciente des problèmes posés par l'appréhension de cette notion, et que s'agissant de l'appréciation d'une situation de fait, elle était souvent amenée à apporter des informations ponctuelles aux CAF, à l'occasion des différends les opposant aux allocataires.

La notion de vie maritale n'étant, en effet, définie par aucun texte, c'est la jurisprudence qui apparaît comme source officielle de droit en la matière. La Cour de cassation la définit comme le fait pour un homme et une femme de vivre comme s'ils étaient mariés, ce qui suppose une communauté de vie, c'est-à-dire une adresse commune et des intérêts communs.

En pratique, les organismes payeurs considèrent que l'existence d'un domicile commun à deux personnes de sexe différent constitue une présomption forte de vie maritale. En cas de contestation, il incombe alors à l'allocataire d'apporter la difficile preuve de l'absence de vie maritale.

En outre, il convient de souligner que l'existence de deux résidences distinctes n'est pas pour autant considérée comme une preuve irréfutable de l'absence de vie maritale, puisque des conjoints peuvent disposer de deux résidences différentes.

Pour aplanir ces difficultés qui conduisent à des distorsions de traitement, et prévenir les nombreux recours qui en résultent, il apparaît indispensable que les études actuellement menées par les pouvoirs publics débouchent sur une définition plus claire des critères d'appréciation de la vie maritale.

Il n'est pas rare que le contrôle des déclarations des allocataires révèle l'existence de prestations indûment versées. La complexité du dispositif et la parution tardive des barèmes engendrent un taux d'indus plus important en matière d'aides personnelles au logement que pour les autres prestations familiales.

Les réclamations parvenant au Médiateur révèlent que l'origine des indus est imputable tantôt aux allocataires (déclarations erronées, signalisations tardives de changement de situation professionnelle et familiale...), tantôt aux caisses (traitements tardifs, erreurs de liquidation...).

Du fait des variations nombreuses dans le montant de l'aide et de la forme souvent sommaire que revêtent les notifications de trop-perçus, le Médiateur a un rôle important d'information et d'explication à jouer auprès des requérants. De nombreux recours pourraient être évités si les motifs à l'origine du trop-perçu étaient plus clairement explicités aux intéressés.

Il appartient aux organismes de poursuivre leurs efforts dans ce domaine.

En cas de précarité de la situation du débiteur, des remises de dette peuvent être accordées par les commissions de recours amiable et la section départementale des aides publiques au logement (SDAPL) en fonction de barèmes prenant en considération les ressources et les charges de l'intéressé.

Pour procéder à la récupération des trop-perçus, les caisses peuvent effectuer des retenues sur les prestations à venir, dans la limite de 20 % maximum du montant de ces prestations.

Les retenues ainsi opérées sont souvent contestées par les requérants qui les jugent trop importantes par rapport à leurs capacités contributives.

Sur ce point, la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille annonce que dans des conditions fixées par décret, les retenues sont déterminées en fonction de la composition de la famille, de ses ressources, des charges de logement, des prestations servies par les organismes.

L'objectif poursuivi est de supprimer ce taux de 20 % et d'instaurer une modulation du recouvrement fondée sur la situation globale et réelle du débiteur.

Le Médiateur ne peut que regretter les retards importants pris dans la publication du décret annoncé en 1994.

Le dispositif des aides personnelles au logement est devenu au fil du temps beaucoup trop complexe et a perdu de sa cohérence.

Il apparaît indispensable que les réformes engagées par les pouvoirs publics permettent d'apporter au système une plus grande lisibilité et une meilleure efficacité au regard des objectifs des politiques sociale et du logement.

B. LES PRIMES À L'AMÉLIORATION DE L'HABITAT

Les travaux d'amélioration de l'habitat peuvent ouvrir droit à des primes de l'État (articles R. 322-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation) ou à une aide accordée par l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) (articles R. 321-1 et suivants du même code).

L'octroi de ce concours financier est subordonné à diverses conditions qui varient notamment selon l'affectation de l'immeuble.

Une condition au moins est commune aux divers systèmes d'aides, qui tient à la date à laquelle les travaux peuvent commencer.

L'échec de la procédure de versement de l'aide est souvent imputable à une réalisation prématurée des travaux, comme l'illustrent les deux affaires suivantes.

Les époux S... ont sollicité le bénéfice d'une prime à l'amélioration de l'habitat auprès du directeur départemental de l'équipement et ont entrepris la réalisation des travaux dès que leur a été retourné l'accusé de réception de leur demande.

La décision accordant la prime a été notifiée aux époux S... postérieurement à la date figurant sur la facture établie par l'entreprise qui avait exécuté les travaux.

Cette décision a donc été annulée en application des dispositions de l'article R. 322-5 du code de la construction et de l'habitation qui subordonnent le bénéfice de la prime à la condition que les travaux ne soient pas commencés avant la notification de la décision octroyant la prime.

Des dérogations à cette condition peuvent toutefois être accordées par l'autorité administrative en fonction de l'urgence et de l'intérêt des travaux à réaliser.

Or, les circonstances de cette affaire auraient pu justifier une telle dérogation, si elle avait été expressément demandée par les époux S...

Ceux-ci, âgés et ne disposant que de faibles revenus, avaient choisi l'entreprise la moins disante, ce qui représentait une différence d'environ un tiers par rapport à l'entreprise qui avait proposé le devis le plus onéreux.

Toutefois, en raison du calendrier à venir de ses autres chantiers, l'artisan retenu s'était trouvé dans l'obligation d'intervenir à une période déterminée qu'il avait lui-même imposée et qui s'est située avant la notification de la décision accordant la prime.

Il s'agissait en outre de travaux indispensables portant sur la réparation de la toiture de leur maison.

Le Médiateur de la République a fait valoir ces divers arguments auprès du ministre chargé du Logement en insistant sur le fait que les conditions permettant de bénéficier de la dérogation instituée par l'article R. 322-5 du code de la construction et de l'habitation paraissaient satisfaites.

Cette analyse a conduit le ministre à réserver une suite favorable à la demande du Médiateur de la République, ce qui a permis aux époux S... de percevoir la prime initialement accordée puis retirée (Réclamation no 92-2807).

Les subventions accordées par l'agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) sont réservées, en principe, aux immeubles soumis à la taxe additionnelle au droit de bail.

En vertu des dispositions de l'article R. 321-6 du code de la construction et de l'habitation, l'ANAH fixe, par ses instructions, les règles d'attribution de ces subventions. Parmi ces règles figure celle selon laquelle, sauf urgence, le propriétaire doit attendre, avant d'entreprendre les travaux, la notification d'une décision valant, à la fois, attribution de l'aide et autorisation de commencer les travaux.

M. C... a sollicité auprès de l'ANAH une subvention destinée à contribuer au financement de travaux de couverture et de réfection de la cheminée d'un immeuble lui appartenant.

Ces travaux ont commencé alors que la commission compétente ne s'était pas encore prononcée sur la demande de subvention et n'avait donc pas encore donné son autorisation.

La demande de M. C... a de ce fait été rejetée.

L'instruction de cette réclamation a révélé que, lors du dépôt de son dossier, M. C... avait souscrit, conformément à une instruction de l'ANAH en date du 15 avril 1993, l'engagement de ne pas entreprendre les travaux tant qu'il n'en aurait pas reçu l'autorisation écrite, qui devait lui être notifiée en même temps que la décision de la commission compétente pour statuer sur sa demande de subvention.

Par ailleurs, M. C... n'avait pas sollicité l'autorisation de commencer les travaux de façon anticipée pour un motif d'urgence, alors que l'accusé de réception de sa demande l'informait de cette possibilité.

L'information du demandeur sur ses obligations ayant été correctement assurée, l'ANAH était fondée à rejeter la demande de subvention et le Médiateur de la République ne disposait pas d'élément particulier permettant d'espérer une modification de la décision de refus (Réclamation no 95-2823).

III. UN ASPECT PARTICULIER : LOGEMENT ET CONSTRUCTIONS ILLICITES

Le contexte économique et social actuel peut conduire des personnes défavorisées à se loger en privilégiant la sécurité immédiate de l'occupation sans se soucier de la régularité juridique de la situation. Le stationnement permanent de caravanes, l'implantation d'un mobil-home ou l'édification d'une maison dans des secteurs impropres à la construction constituent des exemples de moyens d'accéder au logement, au mépris des contraintes juridiques édictées par le droit de l'urbanisme.

Il est cependant nécessaire de trouver un point d'équilibre entre le droit au logement qualifié par le Conseil constitutionnel d'" objectif à valeur constitutionnelle " et les dispositions du code de l'urbanisme qui sanctionnent les constructions illicites.

Afin d'assurer l'effectivité des règles d'utilisation du sol, un dispositif pénal définit les infractions et prévoit les sanctions.

Trois catégories essentielles d'infractions peuvent être citées : la réalisation de travaux sans autorisation administrative préalable (L. 480-1 du code de l'urbanisme), la réalisation de travaux non conformes à l'autorisation accordée, et enfin la réalisation de travaux qui, bien que n'étant pas soumis à autorisation, ne respecte pas les règles d'urbanisme (L. 160-1 du code de l'urbanisme).

La constatation de ces infractions, par procès-verbal, incombe aux maires ou aux agents des directions départementales de l'Équipement (DDE).

Les procès-verbaux dressés sont alors transmis aux autorités judiciaires qui décident de l'opportunité d'engager des poursuites et de prononcer une sanction adaptée à chaque situation.

Outre les peines classiques d'amende ou d'emprisonnement qui sont prévues en répression de ces infractions, le tribunal peut assortir sa condamnation de " mesures de restitution " qui sont la démolition des ouvrages, la réaffectation du sol dans son état antérieur ou la mise en conformité des lieux avec l'autorisation accordée.

Pour permettre l'exécution effective de la décision, le tribunal doit accorder un délai et il peut, par application de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme, assortir sa décision d'une astreinte de 50 à 500 F par jour de retard.

L'astreinte court à compter de la date limite fixée par le juge pour l'exécution de la décision, jusqu'au jour où elle sera effective.

L'objectif visé est l'exécution la plus rapide possible de la décision de justice.

La liquidation de l'astreinte obéit à des règles précises. L'article L. 480-8 du code de l'urbanisme prévoit que " les astreintes sont recouvrées dans des conditions prévues par les dispositions relatives au recouvrement des produits communaux, au bénéfice de la commune sur le territoire de laquelle l'infraction a été commise; à défaut, pour le maire, de dresser l'état nécessaire au recouvrement et de le faire parvenir au représentant de l'État dans le département, dans le mois qui suit l'invitation qui lui est faite par ce fonctionnaire, la créance sera liquidée, l'état sera établi et recouvré au profit de l'État ".

Ce n'est donc pas le juge qui liquide l'astreinte mais le maire ou, à défaut, le préfet par un état exécutoire administratif.

Toute contestation relative à la liquidation ou au recouvrement de l'astreinte relève, aux termes de l'article L. 480-7 du code de l'urbanisme, de la compétence exclusive du juge pénal qui l'a prononcée. Il est également seul compétent pour autoriser le reversement d'une partie de l'astreinte si l'intéressé, une fois la situation régularisée, établit qu'il en avait été empêché par une circonstance imprévisible et insurmontable.

Enfin, ultime mesure destinée à garantir l'exécution de ces décisions de justice, le maire ou le préfet, peut, à l'expiration du délai fixé par le tribunal, faire procéder d'office à " tous travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice, aux frais et aux risques du bénéficiaire des travaux irréguliers ou de l'utilisation irrégulière du sol ".

L'exécution de la mesure de restitution prononcée est donc un mécanisme très complexe. Souvent assortie d'une astreinte, elle fait intervenir plusieurs acteurs : juge, maire, voire préfet. Le principal intervenant reste néanmoins l'institution judiciaire.

Ce dispositif structuré mais très complexe est non seulement d'une efficacité relative d'un point de vue statistique (446 exécutions pour 1 615 jugements en 1991), mais génère des difficultés d'application qui expliquent les réclamations reçues par le Médiateur de la République.

La compétence du Médiateur de la République en matière de " mesures de restitution " est limitée par l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973 qui institue ses fonctions aux termes duquel il ne saurait remettre en cause le bien-fondé d'une décision de justice intervenue.

Le principe de la mesure de démolition ou de réaffectation du sol à son usage, ordonnée par le tribunal, ne peut donc donner lieu à aucune intervention du Médiateur de la République.

En revanche, rien ne s'oppose à ce que les circonstances dans lesquelles cette décision de justice s'exécutera soient à l'origine d'une intervention auprès des autorités publiques.

Les difficultés rencontrées dans les dossiers instruits de 1992 à 1996 résultent souvent d'une exécution trop tardive de la décision de justice (A) dont il conviendra d'expliquer l'origine (B), la situation sociale du contrevenant faisant l'objet d'une attention particulière et d'interventions adaptées (C). Les pouvoirs publics ont récemment fait adopter, par le Parlement, diverses mesures destinées à améliorer la cohérence de la politique menée par les directions départementales de l'Équipement. Ce dispositif peut néanmoins être complété; c'est le sens d'une récente proposition de réforme du Médiateur (D).

A. DES DIFFICULTÉS RÉSULTANT D'UNE EXÉCUTION, SOUVENT TARDIVE, DE LA DÉCISION DE JUSTICE

Dans le courant de l'année 1994, le Médiateur de la République a ainsi été saisi d'une réclamation (no 94-0183) dans laquelle ilapparaissait qu'une DDE demandait au maire d'une commune d'émettre un état de recouvrement d'astreinte à l'encontre de Mme F..., vingt ans après l'arrêt de la cour d'appel l'ayant condamnée à la démolition d'une construction irrégulière.

Mme F... se voyait ainsi réclamer brutalement un montant d'astreinte d'environ 700 000 F.

En réalité, le délai très long pendant lequel l'astreinte avait couru résultait des nombreuses tentatives menées par Mme F... auprès des autorités locales pour obtenir, notamment à la faveur d'évolutions de la règle d'urbanisme, une décision administrative régularisant les travaux réalisés.

Celle-ci avait fini par s'installer dans une situation irrégulière qu'elle tendait à considérer comme acquise. Or, la construction n'étant régularisable qu'au prix de travaux très importants, il ne restait en l'espèce comme solution à Mme F... que l'exécution du jugement.

Il est évident que, dans de telles conditions, la liquidation de l'astreinte atteint des montants très importants qui pourraient être évités si l'Administration se montrait plus diligente.

B. ORIGINES DE L'EXÉCUTION TARDIVE DE LA DÉCISION DE DÉMOLITION

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'exécution souvent tardive des décisions de démolition.

1. La nature juridique de la mesure de démolition

Fortement pénalisante pour le contrevenant, les mesures de restitution prononcées par les tribunaux correctionnels ne sont pas, paradoxalement, de nature pénale.

Après avoir longtemps considéré que la mise en conformité des lieux ou des ouvrages, leur démolition ou la réaffectation du sol prévues par l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme avaient un aspect mixte de peine et de réparation civile, la Cour de cassation a jugé, en 1989, qu'elles constituaient des mesures à caractère réel, destinées à faire cesser une situation illicite, et non des sanctions pénales (C. Cass. AMELINEAU, 14 novembre 1989).

Cet aspect réel, qui signifie qu'il s'agit d'une mesure concernant un bien, et non une personne, a des conséquences matérielles importantes puisque l'exécution de ces mesures pourra être imposée à tous les titulaires successifs de l'immeuble, pendant trente ans.

La prescription trentenaire de ces mesures est plus longue que celle des sanctions pénales qui se prescrivent par vingt ans en matière criminelle et par cinq ans en matière correctionnelle.

2. Une information insuffisante

L'auteur de l'infraction n'est pas toujours clairement avisé des obligations résultant de la condamnation prononcée à son encontre.

S'il est présent à l'audience au cours de laquelle les faits qui lui sont reprochés sont évoqués, la copie de la décision pénale prononcée à son encontre ne lui sera pas adressée par courrier, conformément aux règles du code de procédure pénale.

Dans la meilleure des hypothèses, il assiste au prononcé de la décision, il entend alors la condamnation prononcée à son encontre et les obligations mises à sa charge, mais il n'est pas certain qu'il en mesure précisément les conséquences.

Il peut également ne pas attendre le prononcé de la décision, qui peut intervenir quelques heures ou quelques jours après que l'affaire ait été évoquée. Il ne connaîtra alors la condamnation prononcée à son encontre, l'étendue des obligations mises à sa charge, que s'il s'informe spontanément, auprès de la juridiction, des termes de cette décision.

Cette information insuffisante des contrevenants sur les obligations mises à leur charge est la source de difficultés, illustrées par la réclamation no 94-1074.

Un propriétaire est condamné à la démolition, sous astreinte, de certaines parties d'un mur de clôture entourant sa propriété. Le paiement de cette astreinte lui est réclamé huit ans après le jugement l'ayant condamné à démolir.

M. M... n'avait pas exécuté la décision, en raison de l'imprécision de la rédaction du procès-verbal constatant l'infraction, comme des termes du jugement le condamnant qui ne lui permettaient pas de connaître, avec certitude, les travaux dont la réalisation lui était reprochée.

Le Médiateur, en relation avec la DDE, a précisé à M. M... quelles parties du mur il devait démolir afin de se conformer au jugement, en indiquant qu'une remise gracieuse d'astreinte pourrait être envisagée, une fois la démolition réalisée.

En effet, dès lors que la décision de démolition est exécutée, le trésorier-payeur général à qui le recouvrement de l'astreinte a été demandé par le préfet peut accorder la remise gacieuse totale ou partielle de la somme due (décret no 62-587 modifié du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique).

Celui qui a versé l'astreinte peut également, ainsi que cela a été précisé, en solliciter, sous certaines conditions, le reversement auprès du tribunal qui l'a prononcée.

3. La multiplicité des intervenants et leurs actions, parfois contradictoires

Certains dossiers révèlent qu'une attitude conciliante dans le recouvrement de l'astreinte, alors que la construction n'est pas régularisable, peut expliquer les retards dans l'exécution de la décision de justice. Les délais ainsi écoulés auront, dans certains cas, des conséquences financières très lourdes pour le contrevenant.

Le Médiateur de la République a ainsi été saisi en 1996 d'uneréclamation (no 96-0623) émanant d'un propriétaire qui avait édifié une maison, sans obtention préalable d'un permis de construire.

Le tribunal de grande instance avait condamné M. V... à la démolition de la construction illicite dans un délai de six mois, sous astreinte de 100 F par jour de retard. Le jugement avait été confirmé en appel.

Pour essayer d'atténuer les conséquences de ce jugement, le maire avait pris l'initiative d'établir un protocole d'accord aux termesduquel il renonçait à la démolition de la construction illicite moyennant le paiement, par le contrevenant, d'une somme correspondant à la liquidation forfaitaire de l'astreinte (12 000 F).

Cette démarche aboutissait à une méconnaissance de la chose jugée.

En l'absence d'exécution de la décision de justice, le contrevenant a reçu des services de l'État une mise en recouvrement de la totalité de l'astreinte qui avait continué à courir.

Le Médiateur de la République, en concertation avec la commune, a conclu que la démolition ne pouvait pas être remise en cause. La construction illicite se trouvait en effet dans une zone à risques.

En cas d'accident, la responsabilité de la commune aurait nécessairement été engagée.

Le Médiateur de la République est intervenu auprès des autorités locales en faveur de l'attribution d'un logement social à M. V... et a obtenu, eu égard aux circonstances, une remise gracieuse de l'astreinte, une fois la démolition opérée.

Un autre dossier dont le Médiateur a été saisi en 1994 illustre les conséquences d'une intervention municipale ayant favorisé le maintien d'une situation irrégulière entraînant, par la suite, le recouvrement d'une astreinte importante :

M. et Mme C... (Réclamation no 94-0623) sont propriétaires d'un terrain sur lequel ils avaient installé une caravane puis édifié, petit à petit, une maison en bois crépi, pourvue de sanitaires raccordés à une fosse septique, et trois abris de jardin.

Or le terrain appartenant à M. et Mme C... est classé en zone NC du plan d'occupation des sols de la commune, non constructible.

Un jugement de démolition à exécuter dans un délai de deux ans, sous astreinte de 100 F par jour de retard, a été ainsi prononcé.

À la suite de ce jugement, M. et Mme C... ont déplacé leur caravane et démoli les trois abris de jardin, mais, avec l'accord du maire, ils ont maintenu en place la maison.

Les services de l'État, constatant l'inexécution partielle du jugement, ont invité le maire à recouvrer l'astreinte ordonnée par le tribunal qui, ayant continué à courir, représentait dès lors un montant important.

M. C... s'étant finalement conformé au jugement, le Médiateur est intervenu auprès du maire pour qu'il envisage la remise gracieuse de l'astreinte; elle a été obtenue en liaison avec la direction départementale de l'Équipement (DDE).

C. LA SITUATION SOCIALE DU CONTREVENANT

Les dossiers transmis au Médiateur de la République font apparaître que la construction illicite constitue souvent, pour certains groupes sociaux, un moyen d'accéder à la propriété foncière et au logement.

L'acquisition de terrains à bas prix, dans des secteurs impropres à la construction (zones naturelles au regard du règlement national de l'urbanisme (RNU) et du plan d'occupation des sols (POS) - espaces grevés de servitudes publiques - zones inondables - zones antibruit autour des aéroports) et la pratique de l'autoconstruction permettent en effet à des personnes disposant de faibles ressources, de se loger.

Les intéressés considèrent la sécurité immédiate de l'occupation comme beaucoup plus importante que sa régularité juridique. Dans un tel contexte, l'exécution d'une décision de justice ordonnant la démolition de la construction irrégulière est particulièrement difficile.

En raison de la précarité de leur situation, les contrevenants n'ont guère d'autre alternative que de rester sur les lieux.

Les autorités publiques retardent alors la mise en recouvrement de l'astreinte dont la charge devient, au moment de la liquidation, insupportable pour les contrevenants qui se retranchent derrière leur insolvabilité. L'astreinte ne joue alors pas le rôle coercitif qui est le sien.

Les différents services administratifs concernés n'ont souvent qu'une approche très parcellaire du problème, parce que limitée à leur seul champ de compétence; or, l'exécution de la décision ne peut intervenir que dans l'hypothèse où une réponse de relogement social peut parallèlement être apportée.

Dans certains cas d'espèce, reloger les occupants de constructions illicites n'est pas facile. Le passage d'un habitat individuel à l'occupation d'un appartement dans un immeuble collectif n'est pas toujours bien accepté.

S'agissant par exemple de populations atypiques telles que les gens du voyage, le Médiateur de la République oriente la recherche des autorités publiques vers des formes plus adaptées d'habitat telles que maison individuelle ou aire d'accueil.

Le Médiateur de la République a donc appelé l'attention du ministère de l'Équipement sur la nécessité d'engager une réflexion sur les moyens à mettre en  uvre pour que ce " relais social " soit satisfaisant.

On constate qu'en l'absence de relais social efficient, l'action pénale dans sa phase judiciaire, puis dans sa phase administrative d'exécution de la décision, n'atteint pas l'objectif de préservation de l'environnement qu'elle s'était fixée, puisque le maintien sur les lieux, dans un état de précarité, aboutit à l'apparition de zones de bidonville.

Ces constatations révèlent les difficultés d'exécution des sanctions en droit de l'urbanisme et expliquent leur relative inefficacité, attestée par le taux très faible d'exécution des mesures de restitution.

D. UNE AMÉLIORATION DE L'ENSEMBLE DU MÉCANISME EST NÉCESSAIRE

Elle passe, en premier lieu, par une prévention des infractions dont la première étape est une mise en úuvre adaptée des procédures juridictionnelles relevant du droit administratif.

Le juge administratif peut ordonner le sursis à exécution d'un permis de construire. Cette décision, très efficace, suspend l'autorisation de construire qui avait été délivrée jusqu'à ce que la juridiction se prononce, au fond, sur sa légalité.

Elle permet, si elle est respectée, de ne pas réaliser des travaux dont la légalité est contestée.

Les dispositions de la loi du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme ont donné la possibilité à un juge unique de prononcer un sursis à exécution afin d'améliorer la rapidité de l'intervention du prononcé des décisions de sursis à exécution.

Poursuivant cet objectif, la loi du 8 février 1995 a donné la possibilité au président du tribunal administratif, saisi en ce sens et au terme d'une procédure contradictoire, de prononcer, par ordonnance, la suspension, pour une durée de trois mois, de l'exécution d'une décision administrative faisant l'objet d'une demande de sursis à exécution.

En second lieu, la mise en úuvre des procédures pénales peut être adaptée; dans cette perspective, l'article 6 de la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, relatif à la médiation pénale, pourrait trouver un terrain d'élection. Cette procédure permet au procureur de la République, assisté du maire ou du directeur départemental de l'Équipement, d'obtenir du contrevenant l'exécution de la mesure de restitution sans avoir à faire intervenir un organe de jugement.

Ces mesures pourraient être complétées par un dispositif améliorant l'information des contrevenants sur les obligations mises à leur charge par les décisions de justice pour parvenir à une action diligente et cohérente des directions départementales de l'Équipement et dissiper, chez les contrevenants, le sentiment que certains bénéficient d'une impunité.

À partir de ce constat, il est apparu souhaitable de proposer une réforme.

En l'état des textes actuels, les contrevenants ne sont pas nécessairement en possession de la décision de justice mettant à leur charge, sous astreinte, une obligation de mise en conformité des lieux ainsi que cela a été précisé plus haut.

À la différence des sanctions pénales, qui sont portées à la connaissance de l'auteur de l'infraction par un agent qui exécute la décision - le policier pour une peine de prison, le trésorier pour le recouvrement d'une amende - l'auteur d'une infraction au droit de l'urbanisme pourra n'être informé de la décision pénale que lors du recouvrement de l'astreinte par le maire ou le préfet, quand ils le considéreront opportun.

La nature de mesure réelle reconnue par la Cour de cassation à la mesure de restitution prononcée par le juge pénal justifierait, par ailleurs, d'envisager la notification de la décision au contrevenant.

Le Médiateur de la République a donc proposé que les contrevenants bénéficient d'une meilleure information sur les obligations mises à leur charge par une décision de justice.

Les directions départementales de l'Équipement auront l'obligation de porter la décision de justice à la connaissance de celui à l'encontre duquel une condamnation à remettre en état des lieux sous astreinte a été prononcée.

Elles devront également préciser au contrevenant l'étendue des obligations résultant de la décision prononcée à son encontre, le point de départ du délai d'astreinte, les modalités de son recouvrement et enfin, la possibilité donnée par les textes à l'Administration de se substituer au contrevenant récalcitrant pour faire procéder d'office à la démolition de la construction irrégulière.

Compte tenu du rôle déterminant que revêt l'action des directions départementales de l'Équipement lorsque l'exécution de la décision de justice n'est pas spontanée, on peut penser que l'obligation qui leur sera faite de porter, à la connaissance de l'auteur de l'infraction, la décision de justice intervenue à son encontre conduira l'Administration à améliorer le suivi de l'exécution des décisions prononçant des mesures de restitution.

Pour que les directions départementales puissent effectuer cette information des contrevenants, il est nécessaire qu'elles soient elles-mêmes en possession des décisions de justice. La proposition de réforme sera donc complétée par :

- une incitation des autorités judiciaires à informer les DDE des décisions prononcées en matière de droit pénal de l'urbanisme;

- toutes les décisions intervenues en matière de droit pénal de l'urbanisme devront, et dans un délai raisonnable, être portées à la connaissance des DDE selon les modalités que le ministère de la Justice décidera d'adopter (par une fiche d'exécution par exemple);

- ce nouvel impératif pourrait être porté à la connaissance des parquets par une circulaire aux procureurs généraux qui préciserait les exigences d'une politique cohérente en matière de droit pénal de l'urbanisme.

Deux traits dominent à l'issue de cette étude consacrée au logement : l'extrême difficulté de certaines situations individuelles dans le contexte social d'aujourd'hui; la complexité et le manque de lisibilité des procédures et du droit.

Les réclamations transmises au Médiateur témoignent de ces difficultés et de cette complexité. Si son action vise d'abord à régler le cas de personnes défavorisées pour lesquelles le droit au logement demeure encore insuffisamment assuré, elle tend aussi à mieux informer l'usager ou le citoyen, à mieux expliquer les règles et les procédures applicables.

À travers ses observations, ses conseils, ses interventions, à travers les réformes qu'il lui semble nécessaire de proposer, le Médiateur contribue à mettre davantage de clarté et de justice dans la politique suivie en matière de logement.


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