LA LETTRE DU MEDIATEUR
Paris, le 9 mars 1994
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
En recevant à l'Élysée, lors du vingtième anniversaire de
l'institution, le Médiateur et tous ses collaborateurs, vous
avez bien voulu, Monsieur le Président de la République,
rappeler que cette institution avait surtout pour objet d'apporter
au citoyen, à côté d'un " appareil complexe, diversifié
et rodé par l'expérience ", une autre forme de protection,
" un supplément d'équité ".
Sa naissance, en 1973, résulte d 'un parfait accord des
pouvoirs exécutif et législatif, soucieux l'un et l'autre de
favoriser, dans les rapports entre l'administration et le citoyen,
une meilleure compréhension pour une prise en compte réciproque
des devoirs et des droits de chacun.
Ce souci avait déjà inspiré deux propositions de loi antérieures,
émanant de formations politiques opposées. Toutes deux
tendaient à doter la France d 'un organe spécifique de Défense
des droits de l 'homme et des libertés.
Les pouvoirs publics firent le choix plus modeste d'un Médiateur,
intercesseur entre les citoyens et l'administration. L'institution,
certes, n'avait reçu aucune mission de nature à empiéter sur
les attributions réservées, par notre Constitution, au
Parlement ou à l'autorité judiciaire. Mais le législateur n'interdisait
certes pas au Médiateur de se référer, pour ses interventions,
aux enjeux des droits de l'homme. Le Garde des sceaux, lors du débat
devant le Parlement, rappelait que la nouvelle institution s'inscrivait
dans une politique générale tendant à introduire plus de
liberté dans les rapports entre les citoyens et les pouvoirs
publics en évitant tout arbitraire.
Ainsi qu'il ressort des cas significatifs analysés, c'est bien dans le droit des intentions du législateur de 1973 que s'est établie la pratique quotidienne de ma mission, en collaboration avec vous, Mesdames et Messieurs les Parlementaires. Il n'est pas nécessaire de se référer formellement aux droits de l 'homme pour justifier mes interventions dans des affaires où le citoyen risquerait d'être privé, par quelque abus ou négligence de l'administration, de l'exercice de l'un des droits fondamentaux garantis par notre Constitution ou par la Convention européenne des Droits de l'Homme de 1950.
En invoquant l'équité ou en proposant d'amender certaines
dispositions législatives ou réglementaires qui s'avèrent
sources d'injustice, mon action tend toujours à obtenir des
pouvoirs publics un respect plus exigeant des droits des citoyens,
même si, inversement, il m'arrive parfois d'être contraint de
rappeler leurs devoirs aux auteurs de certaines réclamations
abusives.
A l 'examen des dossiers qui me parviennent, il apparaît qu'une
catégorie de personnes échappe difficilement à un état d'inégalité.
Je veux parler des handicapés qui, malgré l 'action du législateur
et des gouvernements, n'ont pas vu se réduire assez l'écart qui
les sépare de leurs concitoyens en matière de droits et de
libertés. C'est pourquoi j'ai souhaité, à l 'occasion de ce
rapport, attirer votre attention sur leur cas.
On ne peut non plus rester indifférent à la situation des
demandeurs d'emploi, douloureuse en soi, et qui est parfois
aggravée par les difficultés qu'ils rencontrent auprès des
collectivités ou organismes chargés de les indemniser.
La nature des dossiers présentés à mes délégués ou
parvenant à la Médiature reflète hélas une conjoncture économique
difficile qui, malgré les mesures prises, génère de plus en
plus de cas sociaux et entraîne un accroissement inquiétant du
nombre des " laissés-pour-compte " pour qui la
complexité des procédures administratives est encore trop
souvent facteur de marginalisation.
Je suis le témoin de trop de détresses pour accepter qu'elles
puissent être provoquées ou aggravées par la rigueur excessive
d'un texte ou l'esprit tatillon ou procédurier d 'un service
public. Cette expérience me convainc chaque jour davantage de l'utilité
de ma fonction et de la nécessité de lui garantir les moyens de
répondre à ceux qui la sollicitent.
Jacques
PELLETIER