LES PROPOSITIONS DE REFORME

A. LES QUESTIONS POSEES ET LEURS CARACTERISTIQUES


L'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 donne qualité au Médiateur de la République pour faire " toutes propositions tendant à améliorer le fonctionnement de l'organisme concerné " et " suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires ".

Ces dispositions permettent de saisir le Gouvernement de propositions de réformes.

Le Médiateur de la République est dans une situation privilégiée pour observer les dysfonctionnements de l'administration et pour y proposer des remèdes. L'examen des réclamations qu'il reçoit, les rapports de ses délégués départementaux, ses contacts avec les élus lui donnent un large aperçu des problèmes des usagers des services publics.

Quand la difficulté rencontrée par un administré résulte d'une information ambiguë ou incomplète, d'un comportement administratif critiquable, de la rédaction imparfaite d'un texte législatif ou réglementaire, ou encore lorsque la décision incriminée se réfère à un texte qui n'est plus adapté aux circonstances du moment, le Médiateur de la République peut proposer la solution qu'il estime la plus adéquate.

Cette solution peut se borner à la modification d'un imprimé administratif ou à l'amélioration d'une procédure administrative ou, au contraire, peut aller jusqu'à demander au Gouvernement de mettre en place un nouveau dispositif législatif.

C'est ainsi que j'ai présenté au Gouvernement la proposition de réforme FIN 92-05 ayant pour objet d'améliorer l'information des créateurs d'entreprise.

L'élaboration d'une proposition de réforme nécessite une longue préparation. Des contacts sont pris avec des personnes qualifiées et avec l'administration compétente. Il en a été ainsi à propos des problèmes exposés par des personnes handicapées qui souhaitaient que les dépenses d'aménagement et d'appareillage de leur domicile soient déductibles de leurs revenus imposables. Les services ministériels compétents m'ont informé qu'ils avaient conscience de cette situation et qu'il en serait tenu compte dans le cadre d'une refonte globale du dispositif d'aide au maintien à domicile des personnes handicapées.

De même, des titulaires de l'allocation adulte handicapé m'ont signalé que le montant de cette allocation, soit environ 3.000 F, est " réduit de moitié " au bout de deux mois d'hospitalisation et couvre dès lors à peine le montant du forfait hospitalier. L'adulte handicapé, totalement privé de ressources, ne peut préparer dans de bonnes conditions sa sortie de l'hôpital. Il est à noter que le ministère, saisi de ce problème le 10 avril 1992, n'a toujours pas répondu.

La proposition de réforme est adressée aux départements ministériels concernés, au ministre chargé des Réformes administratives et au secrétariat général du Gouvernement. Elle est examinée au cours d'une réunion interministérielle tenue sous l'autorité du ministre chargé des Réformes administratives.

Force est de constater que, malgré la bonne volonté du ministre chargé des Réformes, l'instruction des propositions est longue, laborieuse et que ses résultats sont souvent décevants.

Les propositions de réformes qui tendent à améliorer l'information des administrés aboutissent en général. Ainsi, la proposition FIN 92-02 relative à l'information des personnes sur les droits qui résultent d'une non-imposition a été inscrite comme objectif à atteindre dans la charte des services publics.

Un accord de principe des pouvoirs publics ne signifie pas pour autant que la proposition entrera dans les faits dans un proche avenir. Ainsi, la proposition de réforme STR 90-04 concernant la possibilité, pour l'assuré qui a perdu l'original de sa feuille de maladie, d'obtenir le remboursement des soins reçus sur production d'un duplicata a été reprise par le Gouvernement dans la charte des services publics. Une telle innovation rencontre cependant des obstacles et des réserves : la Sécurité sociale demandait que la mise en application de ce principe soit précédée d'une modification des textes réglementaires ; le ministère du Budget subordonnait son accord à la mise en place d'un système de contrôle évitant les doubles paiements.

Le ministre des Affaires sociales a néanmoins accepté de mettre en place, à titre expérimental pour une période de six mois à un an, un formulaire d'attestation sur l'honneur. C'est le bilan de cette expérience qui permettra d'apprécier s'il est possible de réaliser la réforme proposée.

Si les propositions de réformes relatives à l'information des usagers ou à la simplification des formalités administratives sont souvent suivies d'effet, il n'en va pas toujours ainsi pour les autres.

Les délais d'instruction peuvent être particulièrement longs dès que la réforme proposée implique un coût, même minime, ou qu'un principe semble en cause.

C'est le cas notamment des propositions AGP 89-02 relative à l'article L 55 du Code des pensions, AGP 90-02 sur le capital-décès dû aux ayants droit d'un fonctionnaire décédé ou encore FIN 90-02 concernant la situation des contribuables ayant remboursé au Trésor des sommes indûment perçues.

Ces propositions ont été soumises, en vain jusqu'ici, à l'arbitrage du Premier ministre.

Cette situation est particulièrement choquante pour la proposition AGP 90-02. Celle-ci n'a en effet pour but que d'obtenir du ministre du Budget le respect de la loi. En effet, le Code de la sécurité sociale fait bénéficier les ayants droit des fonctionnaires retraités d'un capital décès, quand le décès intervient dans le délai de trois mois qui suit le départ à la retraite.

Le ministère du Budget a attendu, pour prendre une décision, qu'un arrêt soit rendu par la Cour de cassation. Actuellement, le capital décès est versé aux seules personnes qui le réclament, mais l'administration n'applique pas spontanément la loi. Malgré l'ancienneté de ce dossier, l'arbitrage du Premier ministre n'a pu être obtenu.

D'autre part, les administrations ministérielles acceptent mal que leurs décisions soient critiquées, même lorsque celles-ci ne respectent pas les droits des administrés.

Pour illustrer ce qui précède, je rappellerai que mon prédécesseur avait, en 1991, attiré 1'attention du ministre de l'Education nationale, sur la nécessité d'améliorer les procédures et les critères d'attribution des bourses d'enseignement proposition ED91-02.

Les textes prévoient que les bourses scolaires sont attribuées par les recteurs, après avis d'une commission, en fonction des ressources des familles. En fait, des circulaires définissent strictement les barèmes permettant de calculer les droits des allocataires sans tenir compte des situations particulières. Les efforts faits par le Médiateur de la République pour régler les cas particuliers échouent, les services se retranchant derrière le contenu de ces circulaires.

De plus, certaines règles appliquées sont contestables, comme celle qui réintègre dans les revenus de la famille du candidat à une bourse le montant des amortissements professionnels déductibles.

La réforme consisterait à définir, par voie réglementaire, de nouveaux critères d'attribution des bourses, la décision appartenant aux services. Les recours seraient examinés par des commissions habilitées à apprécier les cas particuliers.

Dans sa réponse, le ministre de l'Education nationale constate que la procédure actuelle est satisfaisante et envisage de proposer au Premier ministre de mettre en place un groupe de travail interministériel pour examiner le problème.

Une telle réponse ne m'ayant pas satisfait, j'ai, dès ma prise de fonctions, saisi de nouveau le ministre de l'Education nationale, sans plus de résultat à ce jour. Depuis lors, de nombreux tribunaux administratifs ont annulé des décisions de refus de bourses. Ils considèrent principalement que les circulaires ministérielles contiennent des dispositions contraires au principe d'égalité entre les citoyens, et sanctionnent l'absence d'examen individuel des dossiers.

Dans un autre domaine, je rencontre des difficultés pour obtenir un traitement équitable des personnes âgées hébergées en établissement à titre payant, quand elles ont droit à l'allocation compensatrice pour aide d'une tierce personne. Une proposition de réforme STR 91-02 a été présentée au Gouvernement au mois de juillet 1991. Après avoir informé le Médiateur de la République que le problème serait pris en compte dans le cadre d'une réforme globale, le Gouvernement a précisé que si la mise au point de cette réforme était trop longue, sa proposition serait appliquée à titre transitoire. Malheureusement, rien n'a encore été fait pour venir en aide aux personnes qui réclament le versement de ce qui leur est dû.

Certains sujets sont trop complexes pour être traités au seul niveau du Médiateur de la République. Aussi peut-il demander la réalisation d'une étude par les services compétents.

A ce sujet, de nombreuses réclamations ont trait à la façon dont les ressources des familles sont évaluées pour l'attribution de leurs droits à prestations. Pour diverses prestations, ce ne sont pas les ressources de l'année en cours qui sont prises en compte mais celles de l'année antérieure, voire celles de l'avant-dernière année ! Les familles ne comprennent pas toujours pourquoi certaines prestations leur sont servies alors que d'autres leur sont refusées, bien que les plafonds de ressources soient quasi identiques. En effet, les ressources ne sont pas évaluées de la même façon selon qu'il s'agit de bourses scolaires, de l'allocation logement ou du revenu minimum d'insertion.

Mon prédécesseur avait adressé, le 11 février 1992, une lettre au Premier ministre pour lui suggérer de faire procéder à une étude ayant pour but la simplification et l'uniformisation des modes d'évaluation des ressources des familles pour la détermination de leurs droits à diverses prestations.

Des études de la Caisse nationale des allocations familiales montrent qu'il est possible de trouver une solution. Par ailleurs, mon expérience d'élu m'a confirmé l'utilité d'une telle démarche. Je regrette qu'aucune réponse ne m'ait été adressée à ce jour.

Enfin, les décisions gracieuses des organismes de sécurité sociale sont parfois ressenties comme arbitraires par les intéressés qui ont tendance à oublier qu'il s'agit de prestations facultatives.

Cependant, en application de l'article 6 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs, les caisses de sécurité sociale sont tenues de motiver leurs décisions, y compris celles qu'elles prennent à titre gracieux. Force est de constater que cette obligation est fréquemment méconnue et de s'interroger sur le point de savoir si l'absence de sanction n'expliquerait pas cette attitude.

Parallèlement, les personnes qui saisissent un organisme de sécurité sociale pour obtenir un secours ou la remise d'un indû ont trop souvent le sentiment que la décision intervient sans que leur situation particulière ait été prise en considération alors qu'il y a toujours un examen en commission d'action sociale à partir d'un dossier préparé par la direction de la caisse.

Ainsi, je suis intervenu en vain en faveur d'une veuve à qui des secours au titre des frais d'obsèques étaient refusés, au motif que les frais engagés dépassaient ceux figurant dans le barème établi par la caisse primaire d'assurance maladie. Celle-ci a refusé de me communiquer ledit barème et il a fallu que je demande à la Caisse nationale d'assurance maladie une enquête pour apprendre que tout secours était refusé dès lors que les frais engagés dépassaient 3.100 F, somme manifestement insuffisante pour couvrir des frais d'obsèques.

Enfin, l'article 6-1 de la convention européenne des Droits de l'homme stipule que " toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement [...] par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil... "

En l'état actuel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, les litiges relatifs aux prestations d'aide sociale opposant les caisses et les assurés sociaux entrent, à mon avis, dans le champ d'application de cet article. Or, les personnes qui se voient refuser une décision gracieuse par une caisse de sécurité sociale ne bénéficient actuellement d'aucun recours juridictionnel.

Il ne paraît pas normal que, dans un Etat de droit, des organismes investis d'une mission de service public puissent prendre des décisions dont les conséquences sont importantes pour les particuliers, sans les motiver et sans qu'elles puissent être contestées devant le juge.

Instaurer un tel recours aurait donc pour avantage d'améliorer les relations entre les usagers et les organismes de sécurité sociale et obligerait ces derniers à mieux étudier leurs décisions et à les motiver plus précisément. Aussi ai-je présenté au Gouvernement, le 8 octobre 1992, la proposition de réforme STR 92-04 relative au contrôle du juge sur les décisions des organismes de sécurité sociale prises à titre gracieux (action sociale, trop-perçus).

Il arrive que les plus hautes juridictions donnent raison aux interventions du Médiateur de la République contre la réglementation en vigueur. Ainsi, j'avais appelé l'attention du Garde des sceaux, ministre de la Justice, sur les difficultés considérables rencontrées par les " transsexuels " qui souhaitaient, pour des raisons évidentes, obtenir des documents d'identité conformes à leur sexe apparent. Les règles applicables en France avaient d'ailleurs valu à notre pays une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. En fondant sa décision sur le principe du respect dû à la vie privée, la Cour de cassation a reconnu aux transsexuels le droit de modifier leur état civil, par un arrêt rendu en assemblée plénière le 11 décembre 1992.

Il convient, pour terminer, d'exposer des thèmes de réforme qui ont donné lieu à des réponses satisfaisantes de l'administration.

Par la proposition STR 92.03, j'avais appelé l'attention des ministres concernés sur les difficultés que connaissent les personnes handicapées pour être informées de leurs droits : les réclamations reçues montraient que, par manque d'information, certaines de ces personnes étaient pénalisées, notamment du fait de la discontinuité dans le versement des aides. La réponse du ministre des Affaires sociales, si elle ne va pas aussi loin que ce que j'avais proposé, est globalement satisfaisante et fait état de sérieux efforts accomplis dans le domaine de l'information.

D'autres propositions, comme l'information des tiers sur leur droit de recours en cas de délivrance d'un permis de construire proposition URB 90.02, ont fait l'objet de réponses partielles, mais encourageantes.

La possibilité, pour les candidats aux concours de la fonction publique, de faire valoir des diplômes non prévus par les textes applicables, pourrait être ouverte dans le contexte de la prise en compte des diplômes européens proposition EUR 89 04 ; l'administration a donné un accord de principe à cette proposition, qui devrait être formulée dans les textes réglementaires en préparation. ;

Une réponse positive a également été apportée à ma proposition de réforme FIN 92.04, concernant la situation des agriculteurs partant à la retraite, qui étaient jusqu'ici imposés, au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties, dans des conditions qui m'étaient apparues peu équitables.

B. PROPOSITIONS DE REFORME EMISES DEPUIS LE 1er JANVIER 1992

Référence

0bjet

AGP 92.01

Assouplissement des modalités d'application des régimes des congés de longue maladie et longue durée : introduction d'une possibilité de travail à temps partiel

FIN 92.06

Amélioration de la protection des petits porteurs

FIN 92.07

Clarification des règles relatives au plafonnement des réductions d'impôt auxquelles les dons aux oeuvres d'intérêt général donnent droit (art. 200 du Code général des impôts)

STR 92.04

Contrôle du juge sur les décisions des organismes de sécurité sociale prises à titre gracieux (action sociale - trop-perçus)

AGE 92.01

Contrôle technique des véhicules

AGP 92.02

Validation des services effectués comme contractuels

JUS 92.01

Suppression pour les personnes nommées tuteurs de l'obligation de payer une taxe pour obtenir une copie authentique de l'acte les désignant

URB 92.01

Retrait du directeur des services fiscaux de la fonction de commissaire du Gouvernement auprès du juge de l'expropriation

STR 92.01

Amélioration de la procédure de révision des barèmes des aides au logement

FIN 92.02

Information des contribuables sur les droits qui résultent de leur situation de non-imposition

INT 92.01

Généralisation du certificat de non-gage en cas de vente de véhicule d'occasion

INT 92.02

Amélioration de la protection des acquéreurs de véhicules d'occasion au cas où des contraventions sont imputables à l'ancien propriétaire

JUS 92.02

Respect des garanties de procédure offertes aux personnes poursuivies pour avoir commis des contraventions

FIN 92.03

Suppression des clauses abusives dans les contrats d'eau

PTT 92.01

Suppression sur demande de la possibilité de recevoir des appels en PCV pour les abonnés dont le poste est en service restreint

FIN 92.04

Situation des agriculteurs partant à la retraite au regard de la taxe foncière sur les propriétés bâties

FIN 92.05

Information des créateurs d'entreprise

STR 92.02

Ouverture de droits à prestations en espèces du régime de l'assurance maladie pour les anciens détenus

STR 92.03

Information des personnes handicapées et de leurs familles sur leurs droits



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