LES COLLECTIVITES LOCALES ET LEURS ADMINISTRES


L'ambiguïté qui de tout temps a marqué le discours demandant l'émancipation des entités composant l'organisation territoriale de la France a fini par se dissoudre grâce à la mise en oeuvre d'une réelle politique de transfert et d'attribution de pouvoirs à ces collectivités, leur garantissant l'individualité et la liberté de gérer leurs affaires propres.

Cet événement constitue le couronnement d'une action née il y a deux siècles et qui, du fait des oscillations historiques, n'avait pu concrétiser ses objectifs plus tôt. Les entités territoriales de l'époque étaient contenues dans des rôles de gestionnaire au bénéfice de l'autorité centrale.

Lorsque le regard se pose sur le passé, et plus précisément sur la période, longue de plus d'un siècle, au cours de laquelle le concept de décentralisation progressivement s'élaborait, deux faits retiennent l'attention.

L'abord des grands principes, qu'on retrouvera plus tard dans l'édification de la notion de décentralisation, avait toujours nourri le sentiment qu'ils contenaient les germes destructeurs de l'uniformité nationale, gage d'égalité et de liberté. Même si, avec le temps, l'évolution de l'analyse du fait sociologique en a atténué l'intensité, cette crainte resurgira à chaque amorce du sujet. La collectivité territoriale continuera, pendant longtemps, à se contenter d'apporter son concours dans l'exécution des directives assignées par la représentation de l'Etat.

Lorsque, sous la lourdeur croissante de ses charges, l'autorité centrale redécouvrait l'opportunité de recourir au transfert de pouvoir à une autorité locale, se posait le problème de la dimension de l'entité destinataire. Une nécessaire harmonisation entre la compétence territoriale dont est investie l'entité destinataire et l'étendue territoriale du champ d'application du pouvoir transféré.

Les raisons qui avaient, hier, motivé le maintien de la centralisation requièrent, à présent, le passage à la décentralisation. La poussée aidant de facteurs sociaux et économiques, les collectivités territoriales deviennent désormais le ciment garantissant l'unité et la solidité de l'Etat.

Au contact direct de l'administré, la collectivité territoriale est devenue mieux à même d'apprécier ses besoins et d'y répondre. Les différences innées qui marquent la société civile trouveront cette fois l'écho utile.

Comment, aujourd'hui les collectivités vivent-elles leur mission ?

A. LES RAPPORTS ENTRE LES COMMUNES ET LE MEDIATEUR


Les lois fondant l'institution du Médiateur de la République précisent que sa mission porte sur le respect du droit de l'individu, le bon fonctionnement du service et l'équité au double plan de l'esprit et de l'application de la loi.

La notion d'équité a été introduite dans le champ de l'action du Médiateur par la loi du 24 décembre 1976. Survenant dans un monde de responsables, élus ou nommés, chargés de la conduite d'organismes assurant une mission de service public, cette notion n'a pas révélé une évidence telle que sa compréhension et sa mise en oeuvre eussent pu être immédiates.

Si elle ne fut pas " adoptée " spontanément par les serviteurs de l'Etat, elle l'est encore plus lentement par les élus locaux.

1. De 1973 à 1982


De 1973, date de création du Médiateur, à 1982, année de promulgation des lois de décentralisation, les litiges dont a eu à connaître le Médiateur ne mettaient en cause les communes que de façon accessoire, lorsque l'acte contesté avait une relation avec un avis obligatoire du maire, par exemple.

Il faut rappeler que les pouvoirs concernant la vie de ces collectivités étaient, pour l'essentiel, très largement dépendants de l'autorité du représentant de l'Etat, le préfet, qui était le principal interlocuteur du Médiateur.

Les interventions du Médiateur ne rencontraient pas une effective compréhension. Le concept de médiation en était à ses débuts, donc peu connu. Par ailleurs, l'administration préfectorale, nourrie de prudence, se devait de ne pas trop trancher sur l'attitude du pouvoir central, alors peu accessible à la philosophie de la médiation.

En revanche, pour les décisions prises dans un domaine relevant de l'initiative du maire, comme en matière de POS, par exemple, le contact était direct.

Seules les questions exclusivement de la compétence des maires les mettaient en relation avec le Médiateur. Elles concernaient principalement la méconnaissance par la collectivité de droits réclamés par son personnel, mais, s'agissant d'agents en activité, leurs causes étaient très rarement acceptées.

Venaient ensuite les questions d'urbanisme, tels que le classement en zone rurale, les lotissements, etc., et en moins grand nombre, les litiges concernant des problèmes d'eau, comme la captation du parcours de l'eau d'un ruisseau, les problèmes de voirie, etc.

Le maire se retranchait avec constance derrière la règle de droit et si, généralement, son attitude ne manquait pas d'objectivité, on rencontrait parfois des obstinations couvrant un parti pris : le cas type d'une modification d'un POS, opérée trois ans après pour mieux justifier la décision de refus d'implantation.

2. Depuis la décentralisation


Dès 1983, un certain nombre de maires manifestèrent dans leurs propos le sentiment que l'intervention du Médiateur constituait une immixtion dans les affaires communales et était contraire à l'esprit de lois de décentralisation. Cette représentation du rôle du Médiateur constitue un raccourci commode pour contenir ses interventions. Chacun sait que certains maires ont cherché à profiter de la décentralisation pour imposer leur conception de la vie de la collectivité qu'ils dirigent.

De cette attitude naissent bien des litiges. Tous sont provoqués par les effets d'une erreur, pas toujours préméditée, due à des réglementations insuffisamment réfléchies ou conçues de façon ambiguë concernant, l'un un transfert de dépouille, l'autre des biens vacants. On peut également citer le cas d'une réglementation en matière de tarifs communaux, assortie d'une application rétroactive, en décalage de plus d'un an. Comme aussi l'imposition à un administré d'une taxation illégale ou le refus d'exécution d'une décision de justice, refus contre lequel il a fallu recourir à la procédure de l'inscription d'office. D'autres fois, il fallait quatre ans d'attente pour obtenir l'exécution d'un jugement rendu en faveur d'un employé licencié.

On peut également relever l'absence de bonne foi dans les affirmations avancées pour refuser de payer ses dettes, ou de reconnaître l'imputabilité à la commune d'un dommage subi par un usager qui se voit contraint de saisir le juge.

Il en est de même lorsque la commune, en dehors de toute justification de valeur, use du droit de préemption au détriment des intérêts d'un administré.

On relève cependant des attitudes positives : par exemple, un maire qui accepte spontanément d'indemniser un dommage dans des conditions favorables à la victime, un autre qui, sans trop de retard, accède à la demande du Médiateur pour mettre fin à son refus d'exécuter une - décision de justice.

Il y a aussi des maires qui partagent le principe de l'équité. C'est le cas de l'un d'eux qui, tout en acceptant de donner suite à la demande d'un administré relative à un problème de POS, élargit sa décision de modification de ce document au prof1t d'autres administrés, ou de cet autre qui accède à l'intervention du Médiateur au nom de l'équité, bien qu'en droit sa position de non-indemnisation soit forte.

3. Une collectivité face à ses responsabilités


Il est concevable que les collectivités territoriales concernées, précisément les communes, aient eu des difficultés à assumer leurs mutations. Cela est vrai de toutes les communes, mais davantage de celles de petite taille, en raison des moyens limités dont elles disposent.

Diverses réclamations parvenues peu de temps après la mise en oeuvre du transfert des compétences démontrent que des élus des collectivités, même parmi les plus importantes, n'avaient pas bien perçu le sens de leur nouveau rôle. Déjà se dessinait, à travers les initiatives et les mesures prises dans le déroulement de leurs activités, l'idée de " souveraineté " dans l'exercice du pouvoir donné.

La collectivité territoriale, personne morale, se voyait en effet reconnaître des " affaires propres " et détenir un " pouvoir de décision "

A ces considérations s'ajoute le contexte dans lequel le législateur a conçu les réformes de l'institution, dans la loi du 2 mars 1982. La suppression de la tutelle, dans sa forme traditionnelle, le caractère exécutoire de plein droit des délibérations de l'assemblée communale -certes sous réserve de respecter des formalités précises - sans oublie, l'autonomie reconnue au maire, ordonnateur des dépenses, qui n'est plus contraint de se résigner devant le refus du comptable, sont des facteurs qui peuvent donner l'illusion d'une compétence illimitée D'ailleurs, la loi de 1982 ne titrait-elle pas : "droits et libertés des communes" ?

Dans leurs nouveaux habits, les élus locaux découvrent un nouveau mode de participation à des tâches jusqu'alors de la compétence exclusive de l'Etat et, par voie de conséquence, ont des relations d'un autre type avec ses services déconcentrés. C'est par exemple l'extension du rôle de la collectivité dans l'action éducative. C'est aussi, dans le cadre de la mission de développement industriel, la création notamment de zones industrielles ou d'activités. C'est également la participation à la création de zones dites de protection du patrimoine architectural. C'est encore l'élargissement de leur champ de compétences en matière d'urbanisme, domaine constituant, par sa complexité, par l'ampleur des tâches et des actes qu'il nécessite, une source de mésentente et une charge accaparante.

Accroissement des compétences signifie multiplication des choix. Ces choix, à leur tour, exposent le décideur aux reproches et à la contestation. Antérieurement à la décentralisation, la commune réglait le " affaires de son ressort ". Celles-ci n'étant pas définies, le champ de la compétence pouvait paraître vaste, bien qu'à travers sa représentation territoriale, l'Etat en exerçât l'encadrement.

La situation de l'exécutif communal, avant la réforme de 1982, était elle pour autant à l'abri du reproche et de la contestation ? Les conflits étaient à peu près de même nature. Le payeur était en général la collectivité auteur de l'acte incriminé, mais elle pouvait plus facilement faire rejeter la responsabilité sur l'autorité de tutelle.

4. L'usage fait de la décentralisation


Depuis plus d'un siècle, la commune, élément fort de notre système démocratique, est l'émanation de la volonté du groupe social dont elle est destinée à assumer une partie des besoins, des droits et des intérêts collectifs.

Le " pouvoir " que l'institution en a acquis devait donc, au sens du principe démocratique, répondre aux besoins d'expression et de participation des citoyens. Cela signifie que, dans la vie communale, le citoyen puisse être entendu et ses droits pris en considération.

Dans bien des communes, des efforts importants d'information, de communication, ont été faits sous diverses formes : enquêtes publiques, utilisation des sondages, de la consultation. Le développement de telles initiatives a créé dans la communauté des citoyens un besoin de plus en plus fort d'exprimer son sentiment, de proposer ses conseils pour la commune, le quartier…

Ces usages témoignent de la disposition de la commune à coller aux aspirations de ses administrés, au respect du droit de l'individu et à son bien-être. Sans doute, la confrontation d'un intérêt individuel l'intérêt général limite-t-elle le premier au profit du second. C'est tout à fait normal, et cela va dans le sens des principes démocratiques qui assurent l'existence de la collectivité.

Le rôle essentiel que la commune joue dans la vie quotidienne de ses administrés est très significatif des espaces chargés de sujets à litiges. De sa déclaration de naissance à son enterrement, qu'il ouvre son robinet d'eau potable ou qu'il dépose ses ordures ménagères, qu'il demande un permis de construire ou qu'il sollicite une aide du centre communal d'aide sociale, qu'il vote ou qu'il se fasse recenser pour le service national, le citoyen s'adresse nécessairement à la commune ou aux organismes qui en dépendent et, plus particulièrement, à cet homme à tout faire qu'est le maire.

Pourtant, dans l'ensemble des réclamations reçues par le Médiateur de la République, la proportion de celles concernant ces autorités est relativement faible. S'agit-il d'un manque d'information des citoyens ou plutôt de leur conviction qu'ils se heurtent à une puissance irréductible, ou les citoyens sont-ils globalement satisfaits des services communaux ?

Quoi qu'il en soit, le Médiateur de la République ne se sent ni juge, ni arbitre redresseur de torts. Il se veut conseiller de la collectivité locale. D'autant plus que, depuis la loi du 6 février 1992, elle peut demander son concours lorsqu'elle rencontre des difficultés auprès d'autres organismes investis d'une mission de service public.

Avant même que ne soit publiée la loi du 6 février 1992 sur l'organisation de l'administration territoriale de la République, de telles collaborations avaient eu lieu. Ainsi, dans le cas d'une petite commune dont le maire ne parvenait pas à obtenir de l'administration des Postes la réactualisation du montant du loyer annuel que lui versait cette administration au titre du bureau de poste et du logement du receveur. Le taux de ce loyer était resté stable depuis plus de six ans, et ce malgré le coût des travaux d'entretien et d'aménagement de ces locaux engagés par la commune. L'augmentation exigible totalisait, pour les six années de retard, quelque 80 000 F.

On peut aussi évoquer le refus de France-Télécom de déplacer à ses frais une cabine téléphonique reconnue comme gênante, ou le retard avec lequel l'INSEE communique aux communes les informations servant à la mise à jour des listes électorales.

Les affaires courantes, telles que les querelles de clocher ou de voisinage (police administrative, aménagement de la voirie...) ou les contentieux techniques (cadastre, service des eaux...) sont parfois des affaires très complexes mêlant droit de propriété, droit et interprétation des contrats, responsabilité de la puissance publique. Elles constituent un terrain naturellement propice à l'intervention du Médiateur de la République. Bien qu'elle apporte un éclairage utile aux parties, la médiation n'est pas toujours bien acceptée. Il n'échappe pas au Médiateur de la République que les réclamants et, cela peut arriver, le service public, peuvent ne pas être d'une totale bonne foi.

Même dans ces cas, il est indispensable que le maire saisi accepte de justifier sa position en exposant clairement les motifs du refus de donner à la réclamation une réponse positive. Les fins de non-recevoir ou les réponses qui n'apportent aucun élément justifiant sont de nature à accréditer des impressions de passe-droit chez les réclamants.

Bien des raisons, si la commune accepte de participer à la réflexion dans le litige qui lui est reproché, devraient l'inciter à de meilleures dispositions à l'égard de l'intervention engagée au profit du réclamant par le Médiateur de la République quelle que soit la taille de la collectivité.

Le Médiateur de la République est compétent pour connaître des litiges qui peuvent s'élever entre les administrés et la commune ou ses établissements. Aussi intervient-il, lorsqu'il est sollicité de le faire auprès de ces organismes, de la même façon qu'il le fait auprès des services de l'Etat. Son objectif est de rechercher la possibilité d'une solution dans le litige qui lui est soumis.

En vertu de la loi qui l'institue et fixe ses prérogatives, l'organisme qu'il saisit est tenu de lui répondre, que la réponse soit positive, réglant le litige, ou qu'elle explique les raisons majeures qui s'opposent à l'adoption d'une issue satisfaisante.

Les compétences réglementaires appartenant à la commune ne situent pas cette collectivité territoriale en dehors de notre de droit. La France est un État unitaire dont la Constitution affirme expressément l'indivisibilité. L'autonomie dont disposent la commune ou ses établissements ne les autorise pas à s'extraire du respect de la loi.

Refuser de répondre à l'intervention du Médiateur ou refuser de reconnaître son pouvoir d'intervention dans un litige opposant la commune à un administré serait méconnaître la volonté du législateur.

5. L'urbanisme, une charge bien écrasante


Antérieurement au transfert des compétences, la commune gérait les questions d'urbanisme sous la dépendance du préfet. Bien que la délivrance d'un permis de construire fût l'oeuvre du maire, celui-ci était censé agir au nom de l'Etat. Lorsqu'il commettait dans cette fonction une erreur d'appréciation ou une faute d'attention occasionnant un litige, la commune n'en assumait pas la responsabilité. C'est l'administration - c'est-à-dire le préfet représentant l'Etat - qui devait en répondre.

Sauf certains cas - comme par exemple la délivrance d'un permis de construire lorsqu'il n'existe pas de plan d'occupation des sols - la décentralisation a rendu le maire responsable de ses actes. Il agit désormais en général au nom de la commune.

Cette responsabilité n'est pas seulement morale - la crédibilité de l'élu dans l'opinion de l'électeur - mais, comme on le verra plus loin, une responsabilité juridictionnelle.

Dans de nombreuses communes, ces transferts de compétences étaient souhaités et attendus. Cependant, la vision de ces espérances n'était pas très précise. La vue de ceux qui voulaient le transfert des compétences ne dépassait pas les frontières territoriales de la cité. Cette ambition est louable en soi puisqu'elle traduit une intention d'agir pour le bien-être du corps social dans la collectivité, comme aussi de réaliser l'harmonie en son sein.

Or, le transfert de compétences dans le domaine de l'urbanisme s'est accompagné de plusieurs verrous pour maintenir l'équilibre entre l'intérêt général et l'intérêt particulier.

Si les plans d'occupation des sols et du schéma directeur sont bien devenus de la compétence de la commune, ce pouvoir n'est cependant pas entier. Il est subordonné au respect d'un certain nombre de contraintes induites par le souci de cohérence générale ou par le nécessaire respect des lois. Il s'agit principalement des " opérations d'intérêt national ", des " programmes d'intérêt général ", du " règlement national d'urbanisme ", enfin de toute autre mesure édictée en matière d'urbanisme par la loi, comme celle du 25 janvier 1985 sur la montagne, ou celle du 3 janvier 1986 sur le littoral. Ces verrous forcent la commune à intégrer ces contraintes dans ses choix.

Les libertés de décision imaginées au départ se sont donc accompagnées de divers freins qui restreignent l'initiative de la commune et sont de nature à influer sur ses choix.

Le maire pourrait-il se retrancher derrière cette circonstance pour débouter l'administré de l'objet de sa demande ?

On sait que, d'une manière générale, dans la décision d'application d'une règle de droit, le motif de fondement est bien souvent sujet à discussion, tant au plan de la légalité intrinsèque de l'acte incriminé que de la procédure ou de la forme. Dans sa démarche, le Médiateur de la République n'écarte jamais cette hypothèse.

En contentieux de contrôle de la légalité exercé par le préfet dans le cadre du déféré préfectoral, on voit le juge administratif, saisi d'un recours, former son appréciation en tenant compte non seulement de la légalité intrinsèque, mais également des spécificités du rôle des élus et de l'administration dans la gestion des affaires de la collectivité.

Rappelons qu'en matière d'urbanisme, le poids onéreux du contentieux est, pour les communes, sans commune mesure avec leurs ressources. Le législateur, pressentant de tels risques, les a d'ailleurs invitées à s'assurer contre les risques financiers des décisions juridictionnelles rendues dans ce domaine.

Ne convient-il pas, lorsqu'un litige survient, que la commune, au lieu d'attendre l'issue d'une procédure juridictionnelle aléatoire, prête un peu d'attention à la démarche du Médiateur de la République, à l'opinion qu'il exprime et aux voies d'arrangement qu'il propose ou qu'il demande de rechercher ?

Dans le traitement d'un litige porté devant le Médiateur de la République, tout un dispositif d'analyse et d'études, composé de spécialistes du droit tels que les magistrats des juridictions administratives ou les magistrats honoraires des tribunaux judiciaires, lui apporte les données des solutions possibles, au regard desquelles il construit ses interventions.

Certes, les outils que la loi met à la disposition du Médiateur de la République ont un nom commun : l'équité. Mais cette notion ne signifie pas que la règle de droit qu'une autorité applique dans le champ de sa compétence soit devenue obsolète. Elle conduit simplement à suivre une approche spécifique raisonnée donnant à la règle de droit un sens moins restrictif que sa lecture ne l'avait permis.

B. LE CONSEIL GENERAL ET LE SYSTEME DE PROTECTION SOCIALE


Les lois de décentralisation ont également concerné les départements et les régions.

Cependant, c'est surtout avec les conseils généraux que le Médiateur de la République est le plus souvent en rapport pour les réclamations qui lui sont transmises dans le domaine social.

Les conseils généraux ont en charge le versement des principales prestations d'aide sociale :

- aide médicale

- allocation compensatrice pour tierce personne -prestations d'aide sociale à l'enfance ;

- prises en charge par l'aide sociale (personnes âgées placées en établissements) ;

- aide à domicile et aide au placement familial.

Les réclamations que reçoit le Médiateur de la République portent généralement sur les politiques départementales relatives :

- aux personnes âgées ;

- aux handicapés

- à l'aide à l'enfance.

Dans ces trois domaines, les attitudes des interlocuteurs du Médiateur de la République ont été très diverses.

1. L'aide sociale en faveur des personnes âgées

a. Les problèmes liés au versement de l'allocation compensatrice



Sur ce sujet, les litiges concernaient les conditions de versement, par les conseils généraux, de l'allocation compensatrice pour aide d'une tierce personne. Cette allocation, instituée par la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, pour compenser leurs charges particulières, a été également accordée, dans certains départements, aux personnes âgées en état " dépendant ", maintenues à domicile ou accueillies en établissement. L'attribution de cette allocation relève de la compétence de la COTOREP. Son versement est assuré par le département.

Concernant les personnes âgées, cette aide, additionnée, atteint en année pleine quelque quatre milliards de francs pour une population de bénéficiaires d'environ 110.000 personnes. Elle devient, pour certains conseils généraux, très pesante au regard de la faiblesse de leurs ressources. La charge financière qui leur revient pourrait les contraindre à limiter le niveau de leurs contributions, en particulier lorsque la personne âgée est accueillie en établissement. Diverses voies s'offrent à eux :

- en refusant catégoriquement de verser l'allocation lorsque la personne est hébergée à titre payant en centre de long séjour ;

- en réduisant le montant de l'allocation ;

- en exigeant des justificatifs d'emploi d'une tierce personne extérieure à l'établissement d'accueil pour assister la personne âgée dans les actes essentiels de la vie ;

- en remplaçant l'allocation compensatrice par la prise en charge des frais de placement au titre de l'aide sociale ; cette pratique permet de récupérer plus tard, auprès des héritiers, les prestations versées.

Le Médiateur de la République, chaque fois que le grief porte sur de tels points, rappelle au département concerné la réglementation applicable commentée dans une circulaire ministérielle du 25 mai 1990 et confirmée par la jurisprudence. Il est regrettable que certaines autorités départementales s'obstinent dans leur position, entraînant des contentieux en nombre croissant. Le Médiateur, pour y pallier, use de son pouvoir de recommandation, voire d'injonction lorsqu'il s'agit d'obtenir l'exécution d'une décision de justice ayant donné raison au réclamant contre le département.

A l'encontre de ces positions restrictives illégales, d'autres conseils généraux acceptent d'assumer leur rôle, allant même jusqu'à prendre des dispositions plus favorables en instaurant un complément à l'allocation compensatrice.

Une telle différence de traitement entre les usagers, qui en l'espèce sont en outre des personnes âgées lourdement handicapées et disposant de ressources modestes, révèle une iniquité puisqu'elle crée entre les intéressés une discrimination condamnée par la jurisprudence de la commission centrale d'aide sociale.

Aussi, dans le cadre de la mission qui lui a été confiée, tant au niveau du respect de la réglementation que de la défense de l'équité et de la prévention du contentieux, le Médiateur de la République a adressé au ministre des Affaires sociales et de l'Intégration une proposition de réforme (référencée STR 91-02) demandant une clarification des textes applicables pour lever les ambiguïtés dont certains départements se servent pour éluder le versement de l'allocation compensatrice, et préconisant de moduler, en application d'un texte de référence, le montant de cette prestation en tenant compte, d'une part, des ressources des intéressés et, d'autre part, du coût de leur hébergement.

La proposition du Médiateur de la République rejoint le constat et les orientations des rapports rédigés sur le problème plus général de la dépendance (Rapport BOULARD à l'Assemblée nationale ; rapport SCHOPFLIN pour le Commissariat général au Plan.)

Le ministère des Affaires sociales, qui étudie par ailleurs une réforme du dispositif d'aide à la dépendance, a précisé qu'il n'excluait pas la possibilité de mettre au point, en collaboration avec le secrétariat d'Etat chargé des Handicapés, une modification de la réglementation actuelle dans le sens de la réforme proposée par le Médiateur.

Le Médiateur de la République a, par ailleurs, pris l'attache de M. PUECH, président de l'Assemblée des présidents de conseils généraux de France, pour lui demander qu'une solution équitable puisse être trouvée très rapidement en vue de corriger les politiques divergentes adoptées par les départements au regard de l'allocation compensatrice. Il compte sur la collaboration de cette assemblée pour amener les conseils généraux les plus réticents à respecter les droits des usagers en attendant les réformes à venir.

b. La récupération des frais d'aide sociale



Des réclamations lui parviennent aussi évoquant les difficultés financières que rencontrent les personnes âgées (et leurs familles) qui, du fait de la faiblesse de leurs ressources, ne peuvent faire face aux frais de séjour engendrés par un placement en établissement de long séjour ou en maison de retraite.

Une personne âgée dont les ressources se révèlent insuffisantes pour faire face aux dépenses occasionnées par son placement en hébergement collectif peut bénéficier d'une prise en charge totale ou partielle de ses frais de placement par le département au titre de l'aide sociale.

Toutefois, à travers les réclamations qui lui parviennent, le Médiateur constate que nombre de personnes ignorent encore, d'une part, que lors de l'évaluation des ressources du demandeur de l'aide sociale, on tient compte de l'aide financière que sont susceptibles de lui apporter ses obligés alimentaires (notamment enfants et petits-enfants) en vertu des articles 205 et suivants du Code civil et, d'autre part, qu'il peut y avoir récupération, dans certaines conditions, des prestations versées, soit auprès de son donataire, soit sur la succession du bénéficiaire.

La mise en jeu de l'obligation alimentaire est donc source de nombreux litiges portés à la connaissance du Médiateur. La commission départementale d'aide sociale fixe le montant de la participation des débiteurs d'aliments après examen de leur situation familiale et financière (article 144 du Code de la famille et de l'aide sociale).

L'usage qui est ainsi fait du principe de l'obligation alimentaire, aussi bien lors de l'évaluation du besoin d'aide par l'organisme bailleur que pour la récupération par celui-ci de la somme supposée incomber aux obligés alimentaires, fait de la règle de l'obligation alimentaire un moyen de garantie ou d'assurance du remboursement de l'aide consentie.

Par ailleurs, la Cour de cassation a plusieurs fois rappelé que l'obligation alimentaire ne peut être imposée qu'à compter de la date de la demande en justice, selon l'adage " aliments ne s'arréragent pas ". Le Médiateur a pourtant été saisi de plusieurs réclamations sur ce point, certains conseils généraux tentant de faire supporter aux obligés alimentaires les frais engagés par l'aide sociale entre l'admission et la date de saisine du juge.

La complexité du sujet et les résultats parfois incohérents engendrés ont provoqué un sensible accroissement des réclamations. Le Médiateur de la République mène actuellement une réflexion sur les améliorations pouvant être apportées dans ce domaine. Il souhaite enfin, à l'usage des familles, une meilleure information.

2. La politique en faveur des handicapés


Les parents d'enfants handicapés ou certains adultes handicapés rencontrent des difficultés en matière :

- de placement ou d'hébergement

- de financement de la prise en charge

Le contexte est marqué, en la matière, par une pénurie d'établissements d'hébergement pour handicapés, de structures adaptées à certains handicaps, par l'étroitesse de la marge de manoeuvre dont disposent les départements, et par la nécessité d'actualiser la loi d'orientation du 30 juin 1975.

Les lois de décentralisation ont défini les principes de répartition des compétences par catégories d'établissements sociaux ou médico-sociaux. Cependant la frontière reste floue, ce qui conduit à des conflits de compétences et alimente les débats sur les transferts de charges entre l'Etat et les collectivités locales (auxquels s'ajoute l'intervention des caisses d'assurance maladie).

Cette situation tient à l'absence de critères précis du handicap et aux difficultés d'orientation et de placement pour certains types de handicaps (autisme, par exemple). L'orientation du handicapé vers telle ou telle structure résulte autant des places disponibles (d'où les transferts d'un département à l'autre) que de l'évaluation du handicap, parfois sujette à caution.

Les réclamations transmises au Médiateur de la République se font l'écho de ces difficultés :

- En l'absence de structure adéquate sur place, la personne handicapée est orientée vers un établissement situé dans un autre département que le sien, voire à l'étranger (Belgique, par exemple). Mais qui va payer les frais de prise en charge et de séjour ?

- Un jeune handicapé est accueilli en centre d'apprentissage par le travail (CAT) dans les Hautes-Alpes alors que ses parents sont affectés en Nouvelle-Calédonie. Qui prendra en charge le séjour ? (problème du domicile de secours).

- Les parents d'un jeune handicapé, hébergé en institut médico-éducatif (IME) jusqu'à sa vingtième année, cherchent une place en maison d'accueil spécialisé (MAS). Mais la direction de l'action sanitaire et sociale du département (Moselle) est confrontée à un cruel manque de place. Où aller ? Quelle solution trouver ?

- En application des dispositions liées à l'amendement CRETON, certains jeunes handicapés ont, dans ce cas, la possibilité d'être maintenus dans l'institut médico-éducatif (IME) où ils ont été jusque-là accueillis avec prise en charge par l'Etat et les caisses maladie. Mais, dans le cas de cette procédure dérogatoire, qui va payer ? Le conseil général qui doit, en théorie, assumer la prise en charge de l'hébergement de l'adulte handicapé ? Ou les caisses maladie qui l'ont jusqu'ici assurée ?

Ces quelques exemples illustrent les difficultés auxquelles sont confrontés les réclamants. Heureusement, dans de tels cas, souvent dramatiques et douloureux, le Médiateur de la République arrive à trouver une solution grâce à la bonne volonté des uns et des autres : conseils généraux, ministère, préfectures. La mise en oeuvre de la décentralisation n'exclut pas la coopération des bonnes volontés dans l'action de médiation.

3. L'aide sociale à l'enfance


En matière d'aide sociale à l'enfance, la décentralisation a également confié des responsabilités étendues aux conseils généraux. La protection de l'enfance est en effet le secteur où s'exercent pleinement les pouvoirs du président du conseil général.

Il s'agit de pouvoirs propres hérités de l'Etat et d'autre part d'interventions délicates, dans la mesure où les décisions prises déterminent l'avenir d'un individu, d'une famille.

Il s'agit enfin d'un domaine sensible au niveau de l'opinion publique, très attentive aux problèmes de l'enfance maltraitée, des droits de l'enfant ou de la famille. Le Médiateur de la République a été saisi de plusieurs réclamations dans deux domaines :

- celui des conséquences sur la personne devenue adulte des conditions dans lesquelles le placement a été effectué par les services d'Etat anciennement dénommés " services de la population ", puis " services de l'aide à l'enfance " ;

- celui des conditions actuelles de placement familial (familles d'accueil' agrément des assistantes maternelles, adoption).

a. Les conséquences des actions de l'Etat en matière de placement


Antérieurement au transfert aux conseils généraux des attributions en matière de placement, l'Etat en assumait la charge, tant au niveau de l'accueil familial que sur le plan du suivi médical, de la scolarité ou du droit au travail. Ce transfert de compétences s'est accompagné du rattachement des personnes placées à ces nouveaux pôles de compétence. Il est arrivé que, parmi celles-ci, des contestations se sont fait jour sur les conditions dans lesquelles elles ont été suivies dans leur enfance par les services de l'Etat. La question de la désignation de l'entité qui doit en répondre s'est posée.

Les conseils généraux hésitent dans certains cas à réparer les erreurs anciennement commises et qui ne leur sont pas imputables. Certains savent pourtant se montrer compréhensifs et acceptent, lorsque la responsabilité des pouvoirs publics a été engagée, de contribuer à l'indemnisation de personnes placées par les services de l'aide sociale et victimes de fautes graves en matière de surveillance ou de soins lors de leur placement (Rapport du Médiateur de la République - Année 1991, p. 73).

b. Les procédures de placement et d'accueil des enfants à domicile (assistantes maternelles)


Des personnes désirant bénéficier d'un agrément en tant qu'assistantes maternelles en vue de l'accueil d'un enfant (accueil à la journée ou accueil permanent) font appel au Médiateur de la République qui, avec l'aide des conseils généraux, cherche à clarifier les motivations opposées aux réclamants lors de leurs démarches.

La nouvelle loi du 12 juillet 1992 est venue par ailleurs simplifier la procédure d'agrément, tout en améliorant le statut des assistantes maternelles.

Conclusion: Bilan des relations entre le Médiateur de la République et les conseils généraux en matière d'aide sociale

Les départements, du fait de leur compétence de droit commun en matière d'aide sociale, sont devenus des interlocuteurs obligés du Médiateur de la République. En effet, action et aide sociale ont un rôle croissant dans le traitement de la demande sociale, d'où les sollicitations et les réclamations de plus en plus nombreuses. D'où aussi les difficultés des départements pour faire face à des charges croissantes.

Si, dans l'ensemble, les conseils généraux manifestent le souci de répondre à cette demande sociale et aux besoins des plus défavorisés, et ce malgré les contraintes financières qui pèsent sur les budgets départementaux, quelques améliorations pourraient cependant être apportées.

Le Médiateur de la République doit encore trop souvent, à l'occasion du traitement des réclamations qui lui sont soumises, rappeler aux conseils généraux qu'ils ont à respecter le droit et la loi, obligation fondamentale du service public (Cf. les problèmes liés au versement de l'allocation compensatrice).

D'autre part, force est de constater que la capacité des personnes à défendre leurs droits en cas de conflit avec l'administration est proportionnelle à leur formation et à leurs moyens. Trop de citoyens se trouvent encore démunis pour affronter une administration dès qu'ils rencontrent un problème, surtout lorsqu'ils sont dans une situation précaire.

C'est pourquoi les conseils généraux devraient retenir plus souvent, dans leur appréciation, la notion d'équité que le Médiateur de la République est chargé de défendre auprès des administrations et organismes publics. L'équité, en effet, humanise le droit, prend en considération la situation particulière des personnes auxquelles s'applique la règle. Exigeant une appréciation toujours individualisée de la situation, elle conduit à faire une application plus réaliste de cette règle et souvent plus favorable au réclamant.

Le Médiateur de la République sait que ce souci d'humaniser les rapports entre administration et usager est présent à l'esprit d'hommes et de femmes qui, élus ou fonctionnaires, jouent un rôle essentiel dans l'aide aux personnes en difficulté.

Mais les conseils généraux doivent avoir présent à l'esprit le souci d'informer leur public, de simplifier les procédures et de clarifier les compétences, afin d'aider l'administré à mieux faire valoir ses droits.

Ainsi la décentralisation entamée depuis 1982 saura-t-elle assurer au citoyen, dans l'unité de gestion proche et humaine que représente le département, une meilleure prise en compte des besoins sociaux, dans le souci du respect des droits de l'homme et des conditions d'exercice d'une véritable citoyenneté. A cette tâche fondamentale, le Médiateur de la République demeure très attaché et il peut assurer les conseils généraux de l'appui de sa médiation.

N.B.


Les constatations du Médiateur de la République sur les difficultés rencontrées par les usagers en matière d'action et d'aide sociales avec les conseils généraux rejoignent celles qui ont été faites dans deux rapports parlementaires :

- rapport BOULARD intitulé " Vivre ensemble " (personnes âgées)

- rapport DEROSIER sur " l'aide et l'action sociales des collectivités territoriales ".

Le Médiateur de la République a été invité et a participé, en septembre 1990, au premier colloque national de l'action sociale des départements, parrainé par l'APCG et organisé à Rennes par le conseil général d'Ille-et-Vilaine.

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