LES GRANDS PROBLEMES GENERAUX DANS L'ACTION DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE



A.LES DROITS DE L'HOMME


Lors de la présentation du projet de loi instituant un Médiateur, le document soumis au débat à l'Assemblée nationale comportait la référence de classification "Droits de l'Homme". Le rapporteur du projet, M. Claude Gerbet, confirmait ce lien en déclarant qu'il s'agit bien d'un projet qui institue une défense des droits et des libertés de l'homme.

Le même rapporteur avait d'ailleurs proposé que le titre même de l'ombudsman français marquât formellement cet aspect de sa mission l'intitulant "Médiateur défenseur des droits et libertés".

Ce souci de compléter la défense des droits des citoyens face à l'administration s'était d'ailleurs manifesté peu avant la présentation du projet du Gouvernement. L'Assemblée nationale avait en effet été saisie de deux propositions de loi, émanant de formations politiques opposées, qui toutes deux tendaient à doter la France d'un organe spécifique de défense des droits et libertés.

Du côté de la droite, M. Poniatowski, au nom des républicains indépendants, avait proposé qu'un Haut-Commissaire soit chargé de la défense des droits de l'homme, tandis que du côté de la gauche, M. Chandernagor, au nom du parti socialiste, proposait la désignation d'un Délégué parlementaire aux libertés.

Le Gouvernement ne retint ni l'une ni l'autre de ces propositions et présenta le projet d'un Médiateur intercesseur entre les citoyens et l'administration. Ni juge, ni arbitre, il devait, selon le Garde des sceaux, exercer "une haute magistrature d'influence".

Si le Gouvernement écarta les projets d'initiative parlementaire qui affirmaient la finalité "défense des droits de l'homme" ou le vocable "défense des libertés", et si, dans la même logique, il ne retint pas la proposition du rapporteur, M. Gerbet, d'inclure cette mission dans le titre même de la nouvelle institution, c'est qu'il considérait qu'en France, la répartition constitutionnelle des pouvoirs confiait au Parlement, d'une part, à l'autorité judiciaire, de l'autre, la responsabilité de veiller à la défense des droits de l'homme et des libertés. Le Médiateur n'étant ni un juge, ni le délégué du Parlement, il n'y avait pas lieu, estimait-il, de lui confier spécifiquement cette mission.

Devait-on alors considérer que la loi finalement adoptée par le Parlement le 3 janvier 1973 (complétée le 24 décembre 1976) interdisait au Médiateur de s'inspirer pour ses interventions des exigences de la défense des droits de l'homme ?

A l'évidence, telle n'a pas été l'intention du législateur français, ni d'ailleurs du Gouvernement. En même temps, en effet, qu'il affirmait son souci que le Médiateur n'empiétât pas sur les prérogatives constitutionnelles du Parlement et de la Justice, le Garde des sceaux rappelait que la nouvelle institution s'inscrivait dans une politique générale tendant à introduire plus de liberté, moins d'arbitraire, dans les rapports entre les citoyens et les pouvoirs publics.

Les Médiateurs successifs montrèrent d'ailleurs dans la pratique quotidienne de leur mission qu'il n'était pas nécessaire de se référer formellement aux droits de l'homme pour justifier leurs interventions dans de nombreuses affaires où le citoyen risquait d'être privé, par quelque abus ou quelque défaillance de l'administration, de l'exercice de l'un des droits fondamentaux garantis par la Constitution ou par la Convention européenne de 1950, dont la France était signataire.

Le rappel des circonstances qui ont entouré la création d'un Médiateur en France permet de comprendre pourquoi celui-ci, lors de ses interventions, ne se réfère à aucun des grands textes formels institutionnalisant les droits de l'homme, tout en en respectant l'esprit et en contribuant de façon significative à en développer le champ d'application, surtout depuis que la loi du 24 décembre 1976 est venue compléter sa compétence en lui permettant d'intervenir "en équité".

En effet, si dans de nombreux cas, les actions menées par le Médiateur de la République tendent à la défense des droits de l'homme, c'est que le législateur lui a donné certaines possibilités d'intervention allant au-delà d'un contrôle de légalité ou du bon fonctionnement des services publics.

La première est l'obligation qui lui est faite de s'assurer que l'application des lois ou des règlements n'aboutit pas à une "iniquité". C'est bien en se référant implicitement à la philosophie des droits de l'homme pour considérer qu'il existe une situation inéquitable que le Médiateur de la République est conduit à recommander à l'administration responsable une solution qui déroge à l'application mécanique de la loi.

L'autre possibilité offerte par la loi au Médiateur de la République pour élargir le champ des libertés dans des domaines de sa compétence est la faculté de proposer des réformes. Le caractère très concret et divers des réclamations permet de constater les lacunes et parfois les effets pervers des lois, des règlements et des comportements des services. Les propositions que le Médiateur de la République est amené à formuler pour éviter le renouvellement des dysfonctionnements constatés tendent à améliorer la position de l'usager dans l'exercice de ses droits. C'est en proposant des réformes qui élargissent le bénéfice des textes et facilitent l'accès aux avantages consentis, que le Médiateur de la République apporte sa contribution à la défense des droits de l'homme.

On peut rappeler quelques-unes de ces propositions :

- cesser de lier l'indemnisation des victimes d'accidents thérapeutiques à la recherche préalable d'un responsable, au risque de laisser plusieurs années, sans le moindre secours, ces victimes ;

- reporter sur l'administration la charge de prouver le bien-fondé de la facturation des prestations (P.T.T. en l'espèce), alors qu'à présent, c'est à l'usager de le faire ;

- réglementer la durée des expertises à l'occasion des procès pour éviter qu'elle ne soit excessive ;

- développer les consultations bénévoles d'avocats, d'huissiers, de notaires, pour prévenir le plus possible les contentieux ;

- assurer une meilleure couverture sociale des jeunes appelés pendant leur service national ;

- assurer une meilleure égalité des étudiants justifiant de diplômes français et de diplômes étrangers de même niveau pour leur inscription aux concours de la fonction publique ;

- indemniser rapidement et convenablement les victimes d'attentats terroristes ;

- assouplir les exigences de la vérification de nationalité française pour les agents des services publics demandant la liquidation de leur retraite.

En conclusion, il est permis de dire que si, au départ, les initiateurs du projet de loi créant en France un Médiateur ont écarté toutes les propositions parlementaires tendant à en faire formellement le défenseur ou le promoteur des droits de l'homme, ils étaient d'accord pour que la nouvelle institution contribuât à la défense et à l'élargissement

des droits de l'usager dans la société française. Aussi l'action du Médiateur de la République tend-elle toujours à favoriser une conception élargie des droits des citoyens et à contribuer à leur respect. Qu'il invoque les exigences de l'équité ou qu'il propose de réformer quelque disposition législative ou réglementaire source d'injustice, il est bien, en pratique, ce "défenseur des droits et libertés" qu'avait souhaité le rapporteur de la loi de 1973.

B.L'EUROPE


Depuis les décisions du Conseil d'Etat de 1990, il est clair que la législation et la réglementation européennes prévalent sur les textes français.

Cependant la construction communautaire, au stade de l'élaboration des phases décisives, pose un certain nombre de problèmes relatifs notamment à la définition des compétences des organismes gestionnaires de droits sociaux ainsi qu'à leurs obligations, ou encore aux questions de "libre circulation des travailleurs".

Le nombre croissant de réclamations concernant les droits économiques et sociaux a amené le Médiateur de la République à intervenir dans le champ d'action de la réglementation communautaire. Cette réglementation pose des problèmes d'assimilation à l'administration française qui est obligée de faire une place aux concepts de la réglementation communautaire qui s'inspire parfois de principes étrangers au droit français.

Dans sa démarche, le Médiateur de la République s'est rapproché de ses collègues européens et procède à des échanges réguliers avec plusieurs d'entre eux. C'est ainsi qu'il reçoit et traite les demandes d'intervention que ceux-ci lui adressent et qu'il saisit lui-même certains d'entre eux quand leurs administrations nationales sont en cause (cf. cas n° 89-2475, p. 200 et n° 90-3944, p. 202).

Des mécanismes de liaison ont également été créés avec la commission des pétitions du Parlement européen, celle-ci renvoyant sur le Médiateur de la République les réclamations dont elle est saisie lorsqu'elles paraissent relever plutôt de la compétence de ce dernier que de celle du Parlement.

Bien que ces "arrangements" aient permis de répondre aux besoins les plus immédiats, ils ne sauraient suffire, à eux seuls, à satisfaire 1 l'attente des citoyens de la Communauté aux prises avec des problèmes de plus en plus complexes. C'est dans ce contexte qu'a été avancée de divers côtés l'idée de créer un Médiateur ou Ombudsman européen. Nous y reviendrons dans la dernière partie de cette étude.

D'ores et déjà le constat d'une interférence croissante des législations ou réglementations nationales et communautaires appelle à une harmonisation des règles de fonctionnement de la Médiature et peut-être à l'institution d'un Médiateur européen.

1) L'extension de la procédure de saisine


Le développement du contentieux communautaire incitera probablement un nombre croissant de citoyens à saisir de leurs problèmes leurs élus au Parlement européen. Or l'article 6 de la loi du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur, dispose que les réclamations qui lui sont destinées doivent lui être transmises par "un député ou un sénateur". De ce fait, le Médiateur de la République n'est pas habilité à examiner les réclamations qui lui sont transmises par des parlementaires européens. Une modification de cet article, étendant à ceux-ci, sans distinction de nationalité, la faculté de saisine, répondrait mieux que l'actuelle rédaction aux problèmes nouveaux, problèmes que ne pouvait pas prévoir le législateur de 1973.

L'extension aux parlementaires européens de la faculté de saisine se justifie aussi par l'intérêt que pourrait présenter, dans l'appréciation des données du litige évoqué, la participation du parlementaire intervenant qui est mieux à même de connaître les causes et les circonstances de la mesure incriminée et d'aider, au niveau de sa fonction, à sa solution.

2) Les domaines des litiges


La construction européenne passe aussi par l'application de règles communes, notamment en matière de Droits de l'Homme ou de libre circulation des personnes. Dans ce domaine, les adaptations s'opèrent par décisions juridictionnelles rendues par la Cour européenne des Droits de l'Homme, lorsque la question évoquée s'y rapporte, ou par la Cour de justice des Communautés européennes dans les autres cas.

Dans la défense des Droits de l'Homme, l'institution compétente se garde bien de se comporter en juge supérieur des juridictions nationales. Elle s'en tient aux seuls principes au respect desquels sont assurés ces droits. Une circonstance qui, dans les faits, peut suppléer l'action du Médiateur de la République lorsqu'il se trouve confronté à l'obstacle posé par des décisions juridictionnelles définitives, contre lesquelles la loi l'empêche naturellement d'intervenir (cf. cas n° 90-0476, p.203).

Dans le domaine de la libre circulation, le principe reconnaît à tout ressortissant d'un Etat membre le droit d'exercer sur le territoire d'un autre Etat membre une profession salariée.

L'article 48 qui pose ce principe prévoit, en son alinéa 4, la faculté d'y déroger pour les emplois dans l'administration publique. Leur définition sera précisée par la Cour de justice des Communautés européennes. Un arrêt rendu par cette instance le 26 mai 1982, sur recours de la Commission des Communautés européennes (affaire n° 149/79) a précisé que l'exclusion prévue à l'article 48 du traité ne vise que "les activités participant à l'exercice de la puissance publique ou les fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques".

Ultérieurement, sur recours de ressortissants d'Etats membres qui se sont vu refuser l'accès à un emploi d'infirmier d'hôpital public ou à un emploi d'enseignant dans un établissement scolaire, deux arrêts en date du 3 juin 1986 et du 3 juillet 1986 condamneront la République Française "pour manquement aux obligations posées par l'article 48 du Traité".

Ces décisions ont le mérite d'avoir clarifié le sens, en matière d'accès à la fonction publique, de la notion d'"emplois dans l'administration publique" citée à l'alinéa 4 de l'article 48 du Traité comme espace d'exclusion à l'exercice du droit de libre circulation des travailleurs. Cependant, ces décisions n'avaient pas résolu au fond le problème de l'accès au corps de fonctionnaires en dispense des règles statutaires fixées, par exemple le concours de recrutement et l'exigence de la condition de nationalité française.

Une réflexion collective a été engagée sur cette question. Il en est résulté la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 qui a résolu le problème de la nationalité dans le recrutement des fonctionnaires. Ceci, dans le sens de l'appréciation émise par la Cour de justice des Communautés européennes. Par ailleurs, des résultats concluants sur les équivalences de diplômes commencent à prendre forme. Le but étant d'instituer la reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur sanctionnant des formations professionnelles d'une durée de trois ans. Cependant, beaucoup reste à faire dans bien des domaines.

Dans le domaine social, par exemple, les divergences entre les systèmes de protection sociale des assurés, dans les divers Etats membres, posent de sérieux problèmes de compatibilité, en regard de l'objectif communautaire d'harmonisation (cf. cas n° 90-3649, p. 205).

En matière de pensions, un manque de coordination des régimes propres aux Etats membres rend difficile le transfert des droits d'un régime à un autre. C'est le cas par exemple entre le régime des fonctionnaires communautaires et le régime des fonctionnaires français.

Bien que, en réponse à la proposition de réforme EUR 89-03, le problème de la protection sociale des fonctionnaires français détachés pour exercer leur activité sur le territoire d'un Etat membre ait reçu une solution, des pans entiers, en matière de sécurité sociale, restent à régler.

C'est le cas, parmi d'autres, de la prise en charge par la sécurité sociale des soins dispensés dans un autre Etat membre (cf. cas n° 89-1796, p. 153)

C'est également le cas en matière d'indemnisation du chômage des personnes appelées à quitter un Etat membre de la Communauté pour s'installer en France et y chercher un emploi. Un dispositif complexe assure bien une coordination des régimes d'assurances sociales des pays membres mais il reste encore très éloigné des intentions spécifiquement communautaires.

Certes, ce dispositif comporte des aspects positifs, comme par exemple :

- la règle appliquée de la totalisation des périodes d'assurance sans distinction des pays membres où elles ont été accomplies ;

- ou la règle de la prise en charge des prestations par le pays dans lequel le prestataire a été assuré, quel que soit son pays de résidence.

Il reste que, dans d'autres domaines, il institue des règles contraignantes :

- en matière d'assurance-chômage, le ressortissant de la C.E.E. doit justifier, en dernier lieu, d'une période d'activité salariée en France ;

- de même, en matière de pensions, un ressortissant de la C.E.E. installé en France et victime d'une maladie professionnelle contractée dans un autre pays membre, percevra les prestations prévues par la législation du pays où il était assuré quand il a contracté sa maladie.

Ainsi, pour percevoir leurs prestations, les personnes quittant un Etat membre pour un autre Etat membre doivent, avant leur départ, effectuer une multitude de formalités.

Enfin, une personne désireuse de se faire soigner dans un autre pays de la Communauté ne sera prise en charge que si elle obtient l'accord préalable des autorités compétentes du pays dans lequel elle est assurée.

Ce dispositif nourrit des habitudes interétatiques diamétralement opposées aux objectifs que suppose, selon l'attente de la vocation communautaire, la notion de libre circulation. Une notion qui permet au citoyen d'un Etat d'être le ressortissant de tout Etat membre sur le territoire duquel il se trouve. C'est-à-dire de n'avoir pour interlocuteur que le service dans le ressort duquel il est installé.

Il crée aux bénéficiaires des droits des quantités de difficultés administratives dans le déroulement des procédures.

Il arrive que par suite d'un oubli d'information, imputable à une caisse, l'assuré court le risque de perdre ses droits.

La conclusion à tirer de ces exemples est qu'un effort institutionnel est nécessaire pour mieux assurer la protection des citoyens, et que les administrations communautaires et nationales devraient être invitées à mieux informer les usagers et à simplifier leurs procédures.

Il n'est pas douteux que la confirmation par un texte communautaire des responsabilités des médiateurs nationaux en ces matières renforcerait grandement le dispositif général de protection du "citoyen européen".

Le déficit ainsi enregistré dans le développement de l'esprit communautaire est le fait des institutions de tous les Etats membres. Il n'est que de lire les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes pour en mesurer le poids.

Le souci est certes manifeste d'aplanir les difficultés posées. La Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux adoptée il y a deux ans par les chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres en est une preuve. Au plan intérieur, des actions sont en cours pour doter l'administration française d'une meilleure connaissance du droit communautaire. Pour favoriser cette prise de conscience, le Médiateur de la République a obtenu que soit désormais publié au Journal officiel de la République française le sommaire des règlements pris par la Commission des Communautés européennes (proposition de réforme EUR 89-02) et que soit accélérée la mise en application dans le droit français des règlements européens (EUR. 88-01).

Il ne faut pas se cacher que l'entreprise n'est pas aisée. Il ne dépend pas que de la France d'harmoniser les règles d'accès aux avantages sociaux ou aux emplois de la fonction publique. Les autres Etats membres ont aussi un devoir d'harmonisation à accomplir. La difficulté tient aussi aux déficits dans la politique sociale entre les Etats et aux charges économiques que pourrait générer pour certains d'entre eux une complète harmonisation. Ces faits étaient, dès le départ, prévisibles et ils font souhaiter l'institution d'un Médiateur européen.

3) Le Médiateur européen


L'idée de créer un Médiateur ou Ombudsman européen a été avancée de divers côtés.

Soucieux d'éviter qu'une création plus ou moins improvisée ne tienne pas suffisamment compte de l'expérience précieuse acquise dans ces domaines par les ombudsmans ou médiateurs nationaux, le Médiateur français, en accord avec ses homologues espagnol et britannique, a émis le vúu que dans chaque pays de la Communauté, leurs collègues soient associés par leurs autorités nationales aux études qui seraient entreprises sur le projet d'un Médiateur européen. En France, le ministre délégué aux affaires européennes a bien voulu faire droit à cette requête.

Concernant le projet lui-même, le Médiateur de la République, à 1 instar de plusieurs de ses collègues, est favorable, sous certaines réserves, a une telle initiative. Il lui semble en effet qu'un Ombudsman européen ne devrait pas faire double emploi avec les institutions nationales. Un médiateur national, connaissant l'administration de son pays, est mieux placé pour venir en aide aux particuliers auprès des administrations nationales, et il est inutile de créer des conflits de compétence entre une instance européenne et une instance nationale.

En revanche, l'Ombudsman européen pourrait plus facilement intervenir auprès des institutions européennes chaque fois que l'une d'elles est directement mise en cause, comme c'est le cas en matière de droits sociaux des fonctionnaires européens. Il pourrait également remplir un rôle d'information auprès de ses collègues nationaux soucieux de mieux comprendre et appliquer une réglementation complexe. Enfin, il est certain que la transposition dans les droits nationaux des directives européennes n'ira pas sans divergences, sources de difficultés et de procès, qu'il conviendra de traiter à 'amiable dans toute la mesure du possible.

Aussi, le rôle de l'Ombudsman européen serait particulièrement utile en matière de propositions de réformes d'harmonisation s'il avait la capacité d'intervenir auprès des autorités européennes pour suggérer éclairer et modifier les réglementations lorsqu'elles ont des incidences inéquitables comme pour combler certaines insuffisances ou proposer des adaptations des législations nationales.

Au terme d'une première phase de concertations au niveau de la communauté, une proposition intéressante, répondant assez largement aux problèmes évoqués plus haut, a été formulée.

Elle concerne le rôle des Médiateurs ou Ombudsmans nationaux dont les instances de la Communauté souhaitent que soit confirmée la compétence nationale pour tous les litiges nés de l'application ou de la non-application interne de textes communautaires ainsi que leur capacité de proposer à leurs gouvernements d'amendement de ceux de ces textes dont l'expérience montrerait qu'ils peuvent entraîner des conséquences inéquitables pour les administrés Je leur pays.

L'action complémentaire des Médiateurs nationaux et du Médiateur européen devrait permettre d'assurer la meilleure défense des citoyens des différents Etats de la Communauté ou des personnes qui y résident, aussi bien vis-à-vis des administrations de chacun de ces Etats qu'envers les institutions proprement communautaires.

La conclusion à tirer est qu'un effort institutionnel est nécessaire pour mieux assurer la protection des citoyens, et que les administrations communautaires et nationales devraient être invitées à mieux informer les usagers et à simplifier leurs procédures.

Il n'est pas douteux que la confirmation par un texte communautaire des compétences des médiateurs nationaux en ces matières, ainsi que la création d'un Médiateur ou Ombudsman européen, telle qu'envisagée plus haut, renforceraient grandement le dispositif général de protection du "citoyen européen".

C.LES LITIGES NES DES PROBLEMES DE NATIONALITE


Au cours de son mandat, l'attention du Médiateur de la République a été attirée à plusieurs reprises sur les problèmes de nationalité, qu'il s'agisse de Français ayant des difficultés à obtenir de l'administration des documents attestant leur nationalité ou d'étrangers perdus dans le labyrinthe que constitue le dispositif d'examen des demandes de naturalisation.

Il a ainsi été amené à présenter cinq propositions de réforme.

1) Les propositions du Médiateur de la République


La proposition STR 89-02 présentée le 27 avril 1989 contenait quatre suggestions :

- La première suggestion partait de la constatation que le caractère essentiellement écrit de la procédure ne favorisait pas la compréhension entre le candidat et l'administration.

Le Médiateur de la République proposait que des agents d'un rang suffisant soient habilités à recevoir les candidats, à leur présenter le point de vue de l'administration, à recueillir leurs observations et à donner une suite concrète à cet entretien.

- La deuxième suggestion visait à un raccourcissement des délais par la déconcentration des procédures ou une simplification de l'examen au niveau ministériel des dossiers transmis avec avis favorable.

- La troisième suggestion avait pour but l'instauration d'un parrainage.

- La quatrième suggestion avait pour objectif de remédier au manque de transparence des décisions. Leur absence de motivation interdit au candidat de savoir s'il a intérêt à représenter une demande ou à prendre d'autres dispositions. Elle est source de contentieux.

Aucune de ces propositions, pourtant modestes et de nature à faciliter les rapports entre les candidats à la nationalité française et l'administration, n'a pu être concrétisée, principalement pour des raisons pratiques ou d'opportunité.

2) Le doute de l'administration


Il arrive aussi qu'à l'occasion de la constitution d'un dossier, par exemple pour obtenir sa pension de retraite, un Français ait la surprise d'avoir à faire la preuve de sa nationalité et d'y parvenir difficilement

Le Médiateur de la République a présenté le 17 novembre 1986 la proposition de réforme FIN 86-02 et a obtenu que cette vérification n'intervienne que si les agents chargés de la liquidation avaient une raison de penser que le fonctionnaire avait pu perdre sa nationalité.

Le 22 février 1988, le Médiateur de la République a attiré l'attention du ministère de l'intérieur par le biais de la proposition de réforme INT 88-01 sur le fait que les documents présentés lors d'une demande de carte nationale d'identité devaient être immédiatement restitués. Le ministre lui a confirmé que tel était bien le contenu de la réglementation applicable.

En revanche, le Médiateur de la République a pu personnellement constater qu'aux yeux de l'administration, la possession d'une carte nationale d'identité ne valait pas preuve de sa nationalité, et qu'en cas de perte de ce document, l'obtention d'un nouveau titre n'allait pas sans difficultés.

Par ailleurs, l'administration française demande facilement, par exemple lors de l'entrée dans la fonction publique, la production d'un certificat de nationalité et, pour celui dont les quatre grands-parents et les deux parents ne sont pas nés français, en France, l'obtention d'un tel document peut présenter de grandes difficultés.

Le Médiateur de la République a pu constater que des Françaises qui s'étaient vu délivrer avant leur mariage avec un étranger un certificat de nationalité pouvaient être amenées, à l'occasion du renouvellement de leur carte d'identité par exemple, à recommencer l'ensemble des formalités nécessaires pour la délivrance d'un tel certificat et devaient, à cette occasion, prouver qu'elles n'avaient pas renoncé à leur nationalité. Il serait plus simple que l'administration, au vu du premier certificat, s'assure auprès du tribunal d'instance de son domicile que cette personne n'a pas engagé une procédure de renonciation à sa nationalité française.

Il est compréhensible, dans un tel contexte, que le Médiateur de la République ait dû retirer les propositions de réforme MAE 87-01 et PRM 87-04 relatives à la délivrance du certificat de nationalité française et à la simplification des formalités de preuve de la nationalité française pour accéder aux emplois de la fonction publique.

Ces deux propositions avaient pour objectif le raccourcissement des délais nécessaires à l'obtention d'un certificat de nationalité française. La proposition MAE 87-01 demandait que soit recherchée une amélioration des conditions de fonctionnement des services de l'état-civil des Français nés à l'étranger, situés à Nantes et placés sous l'autorité du ministère des affaires étrangères. La proposition PRM 87-04 mettait l'accent sur la situation faite aux candidats aux emplois de la fonction publique. Certains d'entre eux étaient dans l'impossibilité de compléter leur dossier de candidature ou de le régulariser dans les délais fixés. Le Médiateur de la République souhaitait l'établissement d'une liste unique de documents faciles à obtenir, exigibles des candidats aux divers emplois publics, pour leur permettre de faire la preuve de leur nationalité.

Le Médiateur de la République a fait observer que les délais mis pour l'obtention d'un certificat de nationalité étaient incompatibles avec l'accomplissement des formalités pour lesquelles il est demandé.

Le 1er octobre 1991, il réunit les divers responsables des services ministériels intervenant dans les procédures de délivrance des documents administratifs prouvant l'appartenance à la nationalité française. Ces documents sont exigés en matière de droit à pension, d'inscription aux concours de recrutement de la fonction publique, de renouvellement d'une carte d'identité, etc. C'est-à-dire dans des circonstances qui ne se prêtent pas à des délais dépassant la mesure.

Les services dont il s'agit sont :

- la direction des Français à l'étranger et des étrangers en France (ministère des affaires étrangères) ;

- la direction des libertés publiques (ministère de l'intérieur) ;

- la direction de la population et la direction des naturalisations (ministère des affaires sociales) ;

- la direction des affaires civiles et du sceau (ministère de la justice).

L'explication donnée aux observations du Médiateur de la République attribue à la complexité des procédures d'application les difficultés dont se plaignent les réclamants. En raison des conséquences importantes que pourrait engendrer une décision, positive ou négative, en la matière, l'administration s'estime obligée de s'entourer de toute information éclairante sur l'état du demandeur.

Un bilan est tracé des améliorations intervenues depuis les propositions de réforme présentées :

- un arrêté en date du 24 avril 1991 (J.O. du 15 mai 1991) rétablit le livret de famille dans la liste des documents probants, au même titre que l'acte de naissance (intéressant principalement les Français nés à l'étranger) ;

- une circulaire en date du 27 mai 1991 invite les préfets à une certaine souplesse en ce qui concerne les justifications de la nationalité française.

En sont bénéficiaires :

- les personnes âgées de plus de soixante ans, nées à l'étranger et titulaires d'un passeport ;

- les personnes nées à l'étranger, pouvant justifier de la nationalité française par un parent ;

- les mineurs nés à l'étranger, ayant un parent immatriculé auprès d'un poste consulaire ;

- les personnes ayant acquis la nationalité française.

Pour le ministère de la justice, des améliorations plus poussées pourraient être obtenues par une réforme du système propre à l'institution judiciaire, notamment par le partage des compétences entre le juge et le greffier et une formation adéquate sur la question afin d'éviter que la concentration sur le seul juge de la procédure de déclaration n'aboutisse à une situation desservant le demandeur.

L'intention est manifeste chez les participants de poursuivre leurs recherches vers de nouvelles améliorations simplifiant les modalités de délivrance des documents sur la possession de la nationalité française.

D. LES PROBLEMES DE L'IMMIGRATION


Les réclamations concernant l'application des règles du droit à l'immigration représentent 5% des affaires reçues par le secteur compétent. Elles sont en constante augmentation : 40% par rapport aux deux dernières années.

L'ordonnance du 2 novembre 1945, modifiée, a posé un certain nombre de conditions à l'entrée des étrangers en France, que ce soit à titre ordinaire de séjour ou à titre de demandeur d'asile. En ce domaine, les pouvoirs publics disposent naturellement d'un large pouvoir d'appréciation. La loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 (article 16) précise que les décisions de refus de visa d'entrée en France n'ont pas à être motivées et que l'administration dispose, en la matière, d'un pouvoir discrétionnaire. Aussi, les décisions de refus apparaissent-elles pour les intéressés, comme trop rigoureuses.

La France accueille 36% de la masse des immigrés dans la Communauté européenne. C'est plus que les contingents d'immigrés dans les autres Etats, même si la Grande-Bretagne, de son côté, en accueille 16%.

La position du Médiateur de la République n'est, en la matière, ni aisée, ni confortable.

La méconnaissance de la loi apparaît rarement en cas de contestation portant sur les titres de séjour, les autorisations de travail ou les mesures d'expulsion. Par ailleurs, les demandes de traitement en équité des litiges ne peuvent qu'être très exceptionnelles et lorsque des faits précis plaident en faveur de la personne concernée (cf. cas n° 90-2285, p. 155).

Or, la plupart du temps, la situation du réclamant n'est pas défendable. En particulier lorsqu'elle résulte de l'application de conventions conclues avec le pays d'origine du réclamant. Ce fut le cas d'une jeune Algérienne qui, après avoir résidé en France jusqu'à l'âge de vingt-trois ans, était retournée vivre en Algérie et, à son retour, s'était vu opposer la qualité de primo-immigrante (cf. cas n° 91-0199, p. 157).

Certaines demandes d'entrée sur le territoire français révèlent, par leur ambiguïté, des manúuvres occultant les véritables intentions de leurs auteurs. C'est le cas d'un étranger qui sollicite, pour un membre de sa famille, un visa de court séjour d'une durée de trois mois, mais qui compte en fait faire durer ce séjour pendant plusieurs années (cf. cas n° 91-0575, p. 158).)

Plus discutable, par contre, la requête d'un étranger sollicitant un visa de séjour pour un membre de sa famille qu'il voudrait faire bénéficier du régime français de protection.

Parfois aussi, le dossier du candidat à l'immigration reflète des situations où s'entrecroisent des intentions pures et des faits qui font penser à la manipulation (cf. cas n° 90-4332, p. 159).

En fait, le Médiateur de la République n'intervient que dans les cas où la sévérité des mesures prises apparaît hors de proportion au regard des nécessités de l'ordre public ou des intérêts économiques du pays. Dans ses interventions, il n'a pas à contester les choix politiques adoptés par le législateur ou le Gouvernement. Lorsqu'il estime opportun de saisir l'administration, il constate d'ailleurs, en général, que la légalité a été respectée. Mais il se heurte souvent, sur le plan de l'équité, à une position de principe de ses interlocuteurs.

Il doit donc justifier avec soin ses interventions s'il souhaite être entendu. D'autant qu'il ne peut ignorer que certains postulants n'ont garde de mentionner dans leurs réclamations les aspects négatifs de leurs dossiers.

E. LES PROBLEMES D'URBANISME


Dans le domaine de l'urbanisme, l'intervention du Médiateur de la République est sollicitée pour des litiges concernant le droit de construire, l'usage de l'expropriation, les emprises, et même l'exécution de décisions de justice. La majeure partie des cas mettent en cause des collectivités territoriales, plus particulièrement des communes.

Par rapport aux litiges, moins nombreux, dans lesquels sont incriminées des décisions d'autorités départementales, les relations avec les communes sont parfois conflictuelles (cf. chapitre "les relations avec les collectivités territoriales", pp. 291 et suivantes).

Il faut dire, un peu à la décharge des communes, que l'urbanisme est l'une des matières où peuvent s'opposer de manière aiguë les droits individuels et l'intérêt général.

Le Médiateur de la République est sollicité d'intervenir notamment en cas de retards apportés à la réponse à une demande de permis de construire (cf. cas n° 91-0368, p. 160).).

D'ailleurs, il arrive que le retard ou les atermoiements cachent une volonté déterminée de discrimination, d'exclusion (cf. cas n° 90-1069, p. 161). Devant de telles pratiques, le recours aux dispositions de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 devient alors nécessaire. Ces dispositions ouvrent au Médiateur de la République la faculté de faire

"... toutes les recommandations qui lui paraissent de nature à régler les difficultés dont il est saisi" et, "à défaut de réponse satisfaisante dans le délai qu'il a fixé", de "rendre publiques ses recommandations".

L'importance des problèmes que les questions d'urbanisme soulèvent incite le Médiateur de la République, à la lumière de l'expérience acquise, à suggérer soit des modifications (article 9, 2ème alinéa de la loi modifiée du 3 janvier 1973), soit simplement des pistes de réflexion, comme il en a été récemment à la demande du Conseil d'Etat.

1) Les conditions d'intervention du Médiateur de la République


Dans ce domaine, la règle de droit impose de fortes contraintes, au nom de l'intérêt général et surtout du droit des tiers. Aussi, les solutions "en équité" prévues à l'article 9, 2ème alinéa, ne peuvent guère être proposées.

L'intervention du Médiateur de la République repose généralement sur un rappel de l'objectif poursuivi par la loi lorsque le maire a confondu pouvoir d'appréciation et pouvoir arbitraire.

Il suffit alors de rappeler les limites et les impératifs de la loi :

- un organisme habilité voulant user de son droit de préemption sur la vente d'un immeuble, à un prix sensiblement inférieur à celui offert par un acquéreur, se désiste à la demande du Médiateur de la République (cf. cas n° 89-3764, p. 163).

Des litiges peuvent survenir à l'occasion d'une décision relevant du domaine de la compétence lice, circonstance dans laquelle l'administration n'a aucune marge d'appréciation dans la prise de décision. La réparation ne peut être demandée qu'au plan d'une faute commise, imputable à l'administration car, dans ce cas, l'équité peut jouer pour compenser des conséquences imputables à la puissance publique.

- Par exemple dans le cas où, après annulation du permis de construire, la démolition d'une construction a été prononcée par un tribunal civil, le Médiateur de la République ne peut que conseiller le respect de la chose jugée ; toutefois, lorsqu'il est établi que le propriétaire a agi de bonne foi, convaincu de la justesse des avis ou indications qui lui ont été communiqués, un appel à l'équité peut être engagé auprès de l'administration de l'équipement pour obtenir la réparation des conséquences dommageables (cf. cas n° 89-0961, p. 164).

Dans d'autres circonstances, l'application de la règle de droit génère des situations individuelles d'une évidente gravité, pouvant conduire à la ruine d'un citoyen. C'est le cas, par exemple, d'une personne qui acquiert, au prix fort, un terrain constructible, puis ne commence pas la réalisation de son projet de construction avant qu'un nouveau plan d'occupation des sols classe son terrain en zone non constructible (cf. cas n° 90-3094, p. 166 et n° 91-0968, p. 168). L'acquéreur se heurte alors aux dispositions de l'article L. 160-5 du Code de l'urbanisme qui interdit toute indemnisation des propriétaires de terrains constructibles dont le bien est reclassé en zone non constructible.

En fait, devant les conséquences de la dévalorisation trop lourde du bien acquis et la réévaluation considérable des terres voisines, le respect du principe de l'égalité devant les charges induites par l'intérêt général est difficile à réaliser. L'appel à l'équité sera cependant vain. Sauf à pouvoir opérer un échange de terrains. C'est ainsi que le Médiateur de la République a pu obtenir de la commune l'échange du terrain dévalorisé contre une parcelle dans une zone non interdite de construction (cf. cas n° 90-3608, p. 169). Compensation tout à l'honneur du maire.

Tout en reconnaissant les vertus de la décentralisation et en respectant la liberté de choix des collectivités locales en matière d'urbanisme, le Médiateur de la République reste attentif aux effets discriminatoires des mesures prises. La discrimination, quand elle apparaît, peut résulter d'un mauvais usage des pouvoirs de la collectivité dans une opération de classement de terrains (cf. cas n° 90-1069, p. 161).

Elle peut aussi résulter d'un usage différencié de la faculté d'appréciation de l'autorité qui agit. C'est l'exemple de l'interdiction faite, par l'article L. 3-1-2 du Code de l'urbanisme, au préfet d'autoriser des constructions nouvelles, en dehors des parties déjà urbanisées dans les communes dépourvues de plan d'occupation des sols. Les décisions de refus qui en découlent sont mal supportées par les demandeurs, surtout lorsque des permis de construire ont déjà été accordés sur des terrains voisins et que, dans cette zone, l'urbanisation est déjà bien avancée. Dans ces circonstances, l'appréciation du maire sur la politique de construction est déterminante.

L'urbanisme s'avère ainsi le domaine où l'exercice d'un droit individuel doit respecter les impératifs de l'intérêt général. Devant la confrontation de ces deux intérêts, le Médiateur de la République subordonne son intervention à l'existence de faits la méritant, tels que les difficultés particulières de la situation du réclamant, sa bonne foi, les conséquences du choix (cf. cas n° 90-4245, p. 170).

2) La part des collectivités territoriales dans les problèmes


L'étude des réclamations donne parfois l'impression que les décisions en matière d'urbanisme sont prises à la légère et que les litiges sont portés automatiquement devant le juge (cf. cas n° 90-1752, p. 172)

Parfois, l'attitude des collectivités territoriales confine à la voie de faits (cf. cas n° 91-0161, p. 174, et n° 90-0311, p. 175).

En matière d'expropriation, le particulier est placé dans la situation du pot de terre contre le pot de fer ; l'intervention du Médiateur de la République n'est sollicitée, la plupart du temps, qu'une fois l'opération terminée ; Même la décision juridictionnelle établissant une illégalité intervient trop tard.

Trop tard parce qu'un ouvrage public, même mal planté, ne se détruit pas. Trop tard parce que, en matière d'ouvrage non public, l'expropriant peut être distinct du promoteur qui peut faire valoir sa bonne foi et dégager sa responsabilité. De sorte qu'il ne reste plus à l'exproprier qu'à racheter l'ouvrage construit ou à se contenter d'une indemnisation généralement peu en rapport avec le préjudice (cf. cas n° 90-2214, p- 176)

L'opposition du propriétaire du bien exproprié peut ne porter que sur le prix proposé. Le propriétaire peut en effet être consentant à la cession de son bien mais refuser l'offre de prix qui lui est faite et qu'il estime, par rapport au marché de l'immobilier, nettement insuffisante. Il est vrai que la référence au marché de l'immobilier, devant le poids de l'intérêt général qui motive l'opération d'expropriation, manquera d'effet.

Sauf à contester sur un fondement juridique sérieux la procédure d'expropriation, le détenteur du bien concerné sera contraint de se soumettre à la volonté de la collectivité publique (cf. cas n° 90-1089, p. 178).

Voisines de l'expropriation, de la même façon les servitudes ne ménagent pas mieux les droits du propriétaire du fonds servant. Avec leurs procédures simplifiées par rapport à celles de l'expropriation, et leurs effets, en apparence moins envahissants, les servitudes n'en contiennent pas moins un risque de dépossession (cf. cas n° 90-1095, p. 179)

Les effets de l'expropriation peuvent ne porter que sur les valeurs du bien exproprié. Le possesseur consentant à la cession du bien, mais pas au prix proposé. Le poids de ces effets n'en lèse pas moins les droits et intérêts de l'exproprié. Sous la pression exercée, l'attitude de la collectivité s'apparente à la spoliation (cf. cas n° 90-1089, p. 178).

L'Etat aussi se trouve parfois impliqué dans des litiges liés à la constitution de servitudes (cf. cas n° 90-1095, p. 179). Mais dans les litiges, il se montre accessible (cf. cas n° 90-2960, p. 181).

3) Les propositions du Médiateur de la République


En fonction des circonstances dans lesquelles les problèmes se produisent, le Médiateur de la République estime que si l'expropriation reste une procédure indispensable, elle ne doit plus être considérée comme un instrument commode pour surmonter les objections légitimes du propriétaire du bien concerné. La nécessité de l'expropriation doit découler de l'équilibre entre un besoin d'intérêt général vérifié, compatible avec les principes assurant le respect des droits de l'homme et du citoyen.

Aussi, le législateur devrait-il reconsidérer, dans le sens de la limitation, les motifs pour lesquels les personnes publiques sont en droit d'exproprier. Entourer les modalités de l'usage de ce droit de moyens de contrôle permettant de vérifier la réalité du besoin au titre duquel l'expropriation est mise en úuvre. L'administration de cette preuve devrait naturellement incomber à la collectivité publique intéressée.

Le contrôle du juge devrait être beaucoup plus sévère et plus rapide, ne serait-ce que pour éviter le fait accompli. Les règles de fixation des indemnités devraient être corrigées pour permettre une indemnisation équitable des propriétaires et des occupants.

Parallèlement, une action d'information du public à tous les stades de la procédure, devrait être rendue obligatoire à la charge de la collectivité expropriante. L'information devrait se faire dans des Sormes adaptées aux destinataires. Il est en effet constaté que la formule selon laquelle l'ordonnance d'expropriation entraîne le transfert de propriété n'est pas toujours comprise par tous. Les droits et devoirs des propriétaires et des occupants, ainsi que leurs possibilités le contester, n'apparaissent pas clairement aux yeux des intéressés.

Une meilleure garantie des droits des particuliers suppose une refonte de la procédure administrative, et au minimum :

- l'unification des procédures d'enquête publique,

- la modification de l'article R. II-3 du Code de l'expropriation relatif à la composition du dossier soumis à enquête,

- un nouveau statut du commissaire-enquêteur.

Une adaptation du Code de l'urbanisme et des procédures juridictionnelles paraît nécessaire pour améliorer le système ; pour que, par exemple, le juge administratif puisse arrêter les procédures douteuses. 'par ailleurs, du fait que, dans la plupart des cas, les deux ordres de juridictions interviennent dans les litiges, une coordination devrait être assurée entre le juge administratif et le juge judiciaire pour que les décisions prises soient exécutables.

En cas d'impossibilité d'exécution d'une décision, les personnes évincées devraient percevoir des indemnités dont le montant élevé constituerait la meilleure des dissuasions.

F. LES PROBLEMES DE LA CLIENTELE DES H.L.M.


Les offices publics d'H.L.M. ont le statut juridique d'établissements publics de caractère administratif (article L. 41 l-2 du Code de la construction et de l'habitation), contrairement aux sociétés et autres organismes de droit privé pratiquant le logement à prix modéré.

Au regard du champ de compétence du Médiateur de la République, ces offices possèdent une double identité. Dans l'exercice de leur mission de service public, ils sont considérés comme des administrations, alors que pour certaines de leurs activités de gestion, ils se situent dans le domaine du droit commun propre aux entreprises et autres organismes de droit privé.

Les services centraux de la Médiature reçoivent annuellement en moyenne quelque trente réclamations émanant de clients des offices publics d'H.L.M. Ces réclamations portent principalement sur l'évaluation des frais de remise en état du logement quitté, la réévaluation de la surface corrigée effectuée à la suite de la rénovation du logement ou le transfert sur le nouveau locataire des conséquences d'une fuite d'eau antérieure à son installation dans le logement.

Les circonstances de l'origine de ces organismes et le concours financier de l'Etat donnent de leur fonction une finalité sociale.

Cette vocation sociale avait inspiré la loi du 30 novembre 1894, connue sous le nom de son auteur, Jules Siegfried. Cette finalité a été maintenue au cours des lois successives qui, depuis, ont posé les principes du droit au logement des populations défavorisées et du droit des locataires à participer à la gestion des H.L.M.

Malgré cette vocation sociale, les offices publics d'H.L.M. adoptent l'égard de leurs clients une attitude fort éloignée de la mission qui leur est dévolue. Certains de leurs usagers, ignorant la nature et 1 étendue de leurs droits, se résignent à exécuter les volontés de 1 l'organisme. D'autres s'en remettent à l'aide des élus. Peu nombreux

Par rapport à la masse des mécontents sont ceux qui sollicitent l'aide Lu Médiateur de la République (cf. cas n° 91-0064, p. 183).

En dépit du bien-fondé des propositions qui leur sont faites, les offices s'opposent- très souvent, pour ne pas dire toujours, aux interventions du Médiateur de la République en faveur des locataires.

Cependant, l'intervention du Médiateur de la République est prudente ; il sait que l'équilibre financier des H.L.M. est difficile à assurer, que le risque du "précédent" est grand. Mais la réaction des H.L.M. est trop systématique. Elle abuse des procédures de recouvrement, des interventions d'huissiers de justice pour recouvrer une créance au montant à peine supérieur au coût de ces interventions. Ce fut le cas, récent, d'un litige concernant une créance de faible montant. Le réclamant, à la solvabilité établie, saisit le juge qui lui donne raison et annule les titres de perception délivrés par le trésor public. L'intéressé en est venu à rechercher la condamnation pénale des officiers qui avaient été chargés s de recouvrer cette créance (cf. cas n° 90-4480, p. 184).

Cette attitude fondée sur le rapport de force devient choquante lorsque la personne poursuivie est trop démunie pour organiser sa défense.

Cependant, un premier pas vient d'être accompli pour un meilleur accueil des interventions du Médiateur de la République grâce à la relation établie avec l'Union nationale des fédérations d'organismes d'H.L.M..

G. LES DROITS DES MALADES


Le progrès des techniques thérapeutiques et une plus grande conscience des individus concernant leurs droits entraînent une remise n cause des garanties du pouvoir médical.

Les personnes hospitalisées et leurs proches n'admettent plus sans réagir les erreurs du corps médical qui aggravent notablement l'état de santé des malades, notamment en portant atteinte à leur intégrité corporelle. Les conséquences de ces accidents, sont de plus en plus vécues comme des violations des droits des patients et de leurs roches.

Bien que le Médiateur de la République n'ait vocation à venir en aide qu'aux particuliers victimes d'un mauvais fonctionnement des services administratifs ou assimilés, donc, en l'espèce, des hôpitaux publics, il a reçu beaucoup de réclamations concernant le droit à l'intégrité corporelle, le droit à l'information des patients et l'indemnisation du risque thérapeutique, c'est-à-dire la prise en charge des conséquences d'un accident survenu lors de l'accomplissement d'un acte médical, et plus particulièrement d'une intervention chirurgicale.

1) Le dommage thérapeutique devant le juge


Le Médiateur de la République a constaté que, dans la plupart des cas, l'auteur de la réclamation avait incontestablement subi une lourde aggravation de son état de santé, consécutive à l'accomplissement d'un acte médical dans l'établissement hospitalier public qui, en première instance, devant le tribunal administratif, avait été condamné à indemniser le dommage.

Ce jugement avait été exécuté normalement et le plaignant avait bien perçu de l'assureur de l'hôpital l'indemnité fixée par le tribunal. Mais l'hôpital, poussé par son assureur, avait fait appel et obtenu gain de cause devant la juridiction compétente, en l'occurrence la cours administrative d'appel, et pouvait même, en cas de confirmation du premier jugement par la cour d'appel, saisir dans un second stade le Conseil d'Etat. Chez l'une et l'autre de ces deux juridictions, la perception des circonstances du litige est généralement différente de l'appréciation du premier juge. Le caractère fautif attribué à l'acte générateur du dommage est en effet diversement interprété par ces juridictions. Cette diversité se traduit soit par une diminution du montant de l'indemnité (cf. cas n° 91-0742, p. 186), soit par une décision d'annulation du premier jugement obligeant le malade à rembourser les indemnités qu'il avait perçues plusieurs années auparavant, augmentées des intérêts des sommes allouées (cf. cas n° 89-3713, p. 188 C'est alors qu'il saisissait le Médiateur de la République pour éviter le remboursement d'une indemnité qu'il avait généralement soit dépensée, soit investie dans une construction.

2) La position du Médiateur de la République


Bien que le jugement constituait un titre exécutoire permettant à l'assureur de récupérer les sommes versées, qui étaient bel et bien dues, le Médiateur de la République a pu, auprès des établissements publics concernés et de leurs compagnies d'assurances, user de ses pouvoirs de suggérer des arrangements en équité pour qu'ils renoncent, pour des raisons essentiellement humanitaires, au recouvrement des créances (cf. cas n° 87-3698 p. 190).

Dans la quasi-totalité des cas, l'intervention du Médiateur de la République est couronnée de succès. Certes, des délais trop longs au regard des exigences que lui impose sa mission s'écoulent avant que la solution recherchée ne soit obtenue. Mais l'effort que les centres hospitalier et leurs assurances consentent au profit des victimes compense bien cette attente.

Ces solutions individuelles, pour satisfaisantes qu'elles soient, ne règlent pas le problème de fond qui reposait sur le principe d'une faute lourde pour la reconnaissance du droit à indemnisation du malade. Principe posé par la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Cette jurisprudence aboutissait à ce qu'un patient, amputé d'un membre à la suite d'une intervention chirurgicale bénigne, soit privé d'indemnisation parce que le Conseil d'Etat considérait que le service public n'avait pas "commis une faute de nature à engager sa responsabilité".

La répétition de ces faits et la somme d'efforts que chaque cas nécessite dans son traitement ont conduit le Médiateur de la République à user de son pouvoir de proposer des réformes. Il a suggéré de changer la jurisprudence du Conseil d'Etat et de venir en aide aux victimes durant les procédures à fin d'indemnisation.

3) Assurer la réparation du dommage


L'étude qui a porté sur ce sujet a permis de conclure que les difficultés des victimes d'un accident thérapeutique relevaient de deux causes principales :

- d'une part, les règles applicables en matière de responsabilité e médicale, d'origine purement jurisprudentielle, sont trop sévères pour les malades ou leurs ayants droit par l'exigence qui leur est imposée d'apporter la preuve d'une faute du praticien ou de l'établissement de soins, preuve si difficile à administrer que les cas de reconnaissance d'une responsabilité médicale sont d'une extrême rareté, outre le fait que les notions de faute sont diverses et mal définies ;

- d'autre part, la lenteur et la lourdeur des procédures sont longues, coûteuses et surtout aléatoires du fait de l'incertitude qui entoure la qualification du fait fautif.

a) Les propositions du Médiateur de la République


Le 30 mars 1988, le Médiateur de la République a donc présenté au Gouvernement un avant-projet de loi (cf. pp. 263 à 265). Il s'inspire des principes suivants :

- tout dommage résultant de l'aggravation de la santé antérieure du malade, imputable au service hospitalier ou a un membre d'une profession médicale, est susceptible d'ouvrir un droit à réparation ;

- la responsabilité est une "responsabilité sans faute" dont les personnes mises en cause ne peuvent s'exonérer qu'en prouvant qu'elles ont eu un comportement normal ; c est un système analogue à celui qui existe pour la réparation des dommages causés par l'exécution des travaux publics ou par l' existence des ouvrages publics ;

- un fonds d'indemnisation serait créé pour permettre à la victime de subsister durant la procédure, l'assister devant les juridictions compétentes et, le cas échéant, la représenter.

Ce projet n'a soulevé l'enthousiasme ni des professions médicales, ni de leurs assureurs, ni des administrations concernées. Mais personne ne représente vraiment les "usagers" des hôpitaux.

Le corps médical objecte que dans les traitements médicaux profonds, il y a un risque et que ce risque thérapeutique constitue un risque social qui doit donc être pris en charge par la collectivité. Il s'élève par ailleurs contre ces propositions qui, selon lui, impliquent pour le médecin une obligation de résultat, dont il ne peut se dégager qu'en prouvant qu'il n'a pas commis de faute.

b) Les autres propositions


Le Médiateur de la République a cependant eu la satisfaction d'enregistrer, en 1990, plusieurs signes encourageants qui le confortent dans sa volonté de faire aboutir les réformes qu'il a proposées

Le premier signe est venu des médias qui se son vivement intéressés aux personnes victimes d'accidents thérapeutiques et à leurs difficultés, créant dans l'opinion publique une sensibilisation à ces questions.

Le second signe est venu de l'intérêt marqué sur ce sujet par plusieurs parlementaires qui ont posé et continuent de poser régulièrement des questions écrites au Gouvernement pour connaître ses intentions, et notamment la suite qu'il envisageait de donner à la proposition de réforme du Médiateur de la République.

De leur côté, plusieurs sénateurs ont déposé, le 24 avril 1990, une proposition de loi bien plus audacieuse, suggérant un système d'indemnisation fondé sur la notion de risque et non de faute professionnelle.

Enfin, le projet de directive présentée le 20 décembre 1990 par la Commission des Communautés européennes au Conseil des ministres, relative à la responsabilité du prestataire du service lorsqu'un "consommateur" a subi un préjudice du fait du prestataire. Ce dernier en est présumé responsable. Il doit le réparer, sauf s'il démontre qu'il n a pas commis de faute. Or, du point de vue de la législation française comme de la réglementation européenne, le médecin a le statut d'un prestataire de service. C'est sur la base de 1'article 1147 du Code civil que la jurisprudence judiciaire a fixé les conditions de la responsabilité des médecins. C'est pourquoi le juge judiciaire, compétent en matière de recours mettant en cause la responsabilité d'un praticien du secteur privé, prend pour base l'article 1147 du Code civil, alors que la responsabilité des médecins dans les hôpitaux publics repose entièrement sur la jurisprudence du Conseil d Etat.

Il faut signaler que par rapport à la proposition du Médiateur de la République qui, pour dégager la responsabilité du praticien, se suffit de la démonstration d'un comportement professionnel normal, le projet de la Commission des Communautés européennes qui exige d'apporter la preuve de l'absence de faute, est plus contraignant pour les services hospitaliers et les membres des professions médicales.

4) La position des pouvoirs publics


Ces marques multiples et convergentes de l'intérêt pour une révision des droits et de la jurisprudence en matière thérapeutique ont provoqué une réflexion approfondie au niveau gouvernemental. La nécessité d'une réforme a été admise.

Un groupe de travail interministériel réunissant les ministères de la santé, de la justice et celui des finances, créé il y a près de trois ans pour réfléchir sur les propositions de réforme présentées par le Médiateur de la République vient de faire connaître sa position sur le principe de l'indemnisation du risque thérapeutique. Le 23 octobre 1991, le Président de la République annonçait qu'un projet de loi portant réforme du régime d'indemnisation des accidents thérapeutiques sera soumis au Parlement à la prochaine session.

Ainsi, le fait est acquis d'une solution prochaine au problème douloureux des victimes d'accidents thérapeutiques.

Ce point acquis, il reste à voir de quels ingrédients sera pourvu le dispositif réformant les modalités actuelles de prise en compte des droits des victimes d'accidents thérapeutiques.

Le projet, dans son état actuel, est plus proche d'une déclaration d'intentions que d'un catalogue de mesures arrêtées. Certes, l'intention d'organiser une politique d'information sur les droits du patient et la mise en place dans chaque département d'un médiateur est, dans son principe, un point de départ constructif. Mais s'agissant d'une personnalité choisie sur une liste de praticiens établie par le Conseil de l'ordre des médecins, cette initiative pourrait ne pas assurer les conditions propices à une vision assez neutre des droits du malade.

Le rôle du médiateur consiste à déterminer les circonstances de fait qui ont conduit à l'accident, en recourant éventuellement à une expertise amiable, pour proposer une indemnisation.

A ce stade, si la médiation amiable n'aboutit pas, il est offert à la victime deux voies d'action :

- si le désaccord porte sur le principe ou le montant de l'indemnisation, l'affaire peut être portée devant une juridiction ;

- si le désaccord porte sur l'étendue du préjudice, la victime peut saisir une juridiction, soit après consultation d'un comité d'experts, constitué à l'échelon national, soit directement.

Cette proposition, en maintenant la nécessité du recours à une juridiction sans réformer le régime contentieux à l'origine de ce débat, ne diffère aucunement du mécanisme actuel.

Enfin, au plan du financement, le projet suggère la possibilité d'un système d'indemnisation qui repose sur une contribution privée réalisée par l'augmentation des primes des contrats d'assurances multirisques-habitation et qui subordonne la réparation à l'existence d'un dommage anormalement grave, condition qui risque de n'être souvent remplie que par le décès du patient.

En ouvrant la possibilité d'une indemnisation, certes en l'absence de faute, il fait en quelque sorte porter à la victime la charge de son indemnisation. Il exclut par conséquent la contribution du corps médical exerçant dans le secteur public qui s'en trouve, de ce fait, totalement déresponsabilisé.

Aux yeux du Médiateur de la République, ce projet est loin de répondre aux besoins des victimes d'accidents thérapeutiques. Si actuellement la victime, engageant une procédure juridictionnelle procède directement, dans les propositions avancées, elle se trouve astreinte à une procédure de saisine compliquée, comme le passage par un médiateur, puis en seconde phase devant un comité d'experts avant de pouvoir saisir le juge. C'est-à-dire qu'aux délais déjà estimés fort longs avant d'obtenir une décision , s'ajoutent d'autres délais aggravants.

Or, son état l'expose à des dépenses devant lesquelles, dans la plupart des cas, elle est financièrement démunie.

Dans le projet de proposition de loi relatif à la responsabilité médicale et à l'assistance aux victimes d'un accident thérapeutique (cf. pp.263 à 265), le Médiateur de la République a mis en évidence ce que, à partir des litiges dont il a été saisi, attend la victime d'un accident thérapeutique.

5) Le malade et le prix de son entretien


Sur un chapitre moins dramatique existent des cas de malades accueillis dans un hôpital public soit à la suite d'un accident, soit pour es troubles nécessitant de soins spécialisés, et dont l'établissement ne parvient pas à récupérer les frais de séjour. C'est le cas lorsque la couverture sociale du malade est inexistante ou simplement ignorée des services hospitaliers.

D'autres circonstances peuvent aussi être à l'origine du non-paiement

- la prescription biennale (article L. 332-1 du Code de la sécurité sociale) est opposée à la demande de prise en charge ;

- la demande d'aide médicale est rejetée ;

- l'hospitalisé n'adhère pas à une mutuelle permettant la prise en charge du forfait hospitalier ;

- l'application de la carte sanitaire laisse à la charge de l'assuré la différence entre les frais exposés et le montant du remboursement basé sur les tarifs de l'établissement le plus proche du domicile.

Dans ces dernières hypothèses, l'établissement public hospitalier ou l'hospice utilise, pour recouvrer sa créance, la procédure prévue à l'article L. 708 du Code de la santé publique qui autorise ces établissements à exercer une action directe pour recouvrer leurs créances. Cette notion permet de procéder au recouvrement sans passer par une juridiction

L'établissement émet un titre exécutoire au nom de la personne qu'il avait accueillie. Dans le cas où sa démarche n'aboutit pas (domicile du débiteur inconnu ou insolvabilité de celui-ci), il peut se tourner vers les parents du patient, à savoir : les ascendants, les descendants et le conjoint, désignés par les articles 205 à 207 et 212 du Code civil comme les obligés alimentaires du débiteur ou ses héritiers en cas de décès.

Souvent, ces parents sont pris au dépourvu, soit qu'ils aient ignoré l'hospitalisation, soit que leurs attaches avec le patient aient été rompues (cf. cas n° 91-0958 8, p. 193). Ces faits, cependant, ne les dispensent pas de leurs obligations même si, le patient étant décédé, ils ont renoncé à la succession qui leur était ouverte.

Certes, la voie leur est ouverte, en cas de contestation du principe de l'obligation, de son quantum ou de sa répartition, d'en appeler au juge. La référence à la notion d'obligation alimentaire, contenue dans le Code civil, conduit en effet à apprécier la faculté de contribution du parent en fonction de ses ressources et non du montant de la dette du patient. Or, s'agissant de moyens empruntés au Code civil, seul le juge judiciaire est compétent.

Il faut cependant noter la complexité du système. La première chambre civile de la Cour de cassation n'a d'ailleurs pas manqué de relever, dans le rapport de la Cour pour l'année 1989, cette complexité et les résultats quelquefois incohérents auxquels elle conduisait. Ces problèmes juridiques mériteraient d'être rapidement clarifiés, compte tenu de l'augmentation récente de ce type de contentieux.

Les hôpitaux sont en effet confrontés à un nombre très élevé de factures impayées, liées souvent à la situation précaire du patient, et dont le total se chiffre par plusieurs centaines de millions de francs. Ces situations sont souvent créées par l'absence de contrôle sur les ressources de couverture dont peut disposer le malade accueilli. Le recours à l'usage de la règle de l'obligation alimentaire servant alors de garantie ou d'assurance.

Cette défaillance peut aussi être à l'origine d'une procédure de recouvrement mal justifiée (cf. cas n° 90-3713, p. 195, et 89-1538, p. 197).

Devant ces cas particuliers, le Médiateur de la République ne peut que se référer à l'équité pour suggérer aux établissements de consentir des remises gracieuses.

A défaut de réponse positive, suggérer l'échelonnement des remboursements dans le temps ou, en cas d'insolvabilité momentanée du débiteur, le recours à la procédure comptable d'admission de la créance en non-valeur qui offre la possibilité de différer le recouvrement à un moment plus favorable (cf. cas n° 91-0595, p. 199).

Lorsque la difficulté provient de la non-prise en charge par un régime de couverture sociale, fondée sur un motif de forclusion, suite à des raisons de formalisme, il oriente sa démarche vers la levée de cette forclusion (cf. cas n° 90-3713, p. 195).).

Mais les succès éventuels qu'il peut obtenir au cas par cas laissent le problème entier et ne protégera pas d'autres parents contre ce genre de risque. C'est pourquoi certaines réformes apparaissent souhaitables.

Il a envisagé plusieurs propositions de réforme relatives au recouvrement des créances hospitalières :

- dans le cas de l'aide médicale (palliant l'absence de couverture sociale), lorsque le débiteur est sans domicile connu et que, l'enquête n'ayant pas abouti, aucune décision sur le fond n'a donc été prononcée (cf. cas n° 91-0958, p. 193), il suggère d'approfondir les enquêtes préalables afin d'éviter que ne continuent d'être prises à la légère les décisions de rejet des demandes d'exonération ;

- il a souhaité le rattachement au juge civil des procédures jusqu'ici du ressort des commissions d'aide sociale ;

- il a demandé la réduction de la durée de la prescription (trentenaire) concernant le principe de l'obligation alimentaire et la modification de son contenu, notamment par l'instauration de barèmes de références ou de planchers de recouvrement, comme il en existe en ce qui concerne les saisies-arrêts sur salaires.

L'adoption de ces propositions présenterait un triple avantage :

- rendre plus juste la répartition de la charge de la dette entre les obligés alimentaires, souvent désemparés par l'importance de dettes mises à leur charge et dont ils ignoraient l'existence.

- réduire le nombre des procédures juridictionnelles ;

- donner à l'hôpital plus de chance de recouvrer sa créance, même fractionnée, dans les meilleurs délais.

C'est donc un nouveau champ d'action qui s'ouvre au Médiateur de la République avec l'augmentation des problèmes de recouvrement des frais d'hospitalisation et les situations inéquitables qui peuvent en résulter.

Il tente de résoudre au mieux les cas particuliers qui lui sont soumis, et ce grâce à la compréhension et à la bonne volonté des gestionnaires hospitaliers. Mais au-delà, il peut aussi proposer, par voie de réforme, des solutions globales permettant de limiter en amont les problèmes de recouvrement de frais hospitaliers en recherchant un compromis raisonnable entre les intérêts légitimes des collectivités hospitalières et ceux des particuliers.

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