EN GUISE DE PREAMBULE


Le rapport pour 1990 sur le bilan de l'activité du Médiateur de la République est présenté en quatre parties.

Dans la première partie, intitulée " Les faits marquants ", sont présentés les trois événements qui ont constitué pour l'Institution les prémices d'un essor attendu.

Ce fut d'abord la marque d'intérêt qu'a bien voulu lui témoigner le Président de la République par sa visite lors de l'inauguration du nouveau siège de la Médiature.

Ensuite, l'attention portée par les médias à l'action du Médiateur de la République à l'occasion d'affaires retentissantes résolues.

Enfin, l'acceptation par les services publics de faire une part à l'équité dans la résolution des litiges.

La deuxième partie est consacrée à l'activité courante du Médiateur de la République au cours de l'année. Elle met en relief les circonstances d'apparition du litige et la part que l'administrateur ou le citoyen y prennent. Il y est exposé la méthode et les moyens de l'intervention. Elle précise la nature des services que l'Institution rend à la fois à la collectivité publique et à l'administré. L'action engagée pour la prévention des litiges y apparaît avec ses résultats.

Dans la troisième partie est présentée une réflexion qualitative sur la fonction du Médiateur de la République, son développement, tant au plan intérieur qu'en considération de la perspective communautaire européenne.

Enfin, la quatrième partie, intitulée " Évaluation de l'activité du Médiateur de la République ", analyse les résultats au profit de la collectivité publique et l'évolution de l'action du Médiateur de la République.

LES FAITS MARQUANTS


L'Institution du Médiateur de la République n'a cessé depuis sa création, et particulièrement au cours des cinq dernières années, de s'adapter et d'augmenter ses moyens pour mieux accomplir sa mission.

Cette évolution n'est pas terminée.

Mais en 1990, les progrès se sont accélérés. Ils ont été suffisamment grands et stimulants pour faire supporter au Médiateur de la République et à tous ses collaborateurs la très lourde charge de travail que ce mouvement impose.

Des faits nouveaux se sont en effet produits en 1990, dont les conséquences influeront durablement sur la vie de l'institution.

Les trois principaux faits qui ont influencé, en 1990, l'Institution du Médiateur de la République et qui devraient être déterminants pour son avenir sont: l'installation 53, avenue d'Iéna, l'intérêt des médias et la prise en compte de l'équité.

A. L'INSTALLATION AVENUE D'IENA


Le Président de la République, accompagné du Premier Ministre, a honoré l'institution d'une visite le 30 janvier 1990, au cours de laquelle il a inauguré les nouveaux locaux, sis 53, avenue d'Iéna, en présence de très nombreuses et très hautes personnalités.

Je voudrais renouveler mes remerciements à tous ceux qui ont contribué à doter l'Institution d'un local adapté aux tâches de sa mission et digne de sa place dans les instances de la République. Il est certain que ce résultat n'eût pas été atteint sans la contribution bienveillante du Premier Ministre et du Secrétariat Général du Gouvernement.

Rien n'eût pu être fait aussi sans la compréhension du Ministre du Budget et de la Direction du Budget.

Mais il est évident que chacun savait que cette réalisation était souhaitée par le Président de la République.

Les nouveaux locaux, dont l'aménagement s'est poursuivi tout au long de l'année 1990 et devrait être presque achevé en 1991, permettent au personnel de travailler dans le silence et le calme que requiert l'étude des problèmes juridiques.

L'institution dispose enfin de salles de réunion nécessaires à son fonctionnement et où elle accueille volontiers les divers organismes extérieurs à la Médiature qui souhaitent y abriter des débats dans un cadre neutre qui ménage les susceptibilités et facilite les accords. Le Médiateur de la République est d'autant plus heureux de répondre à ces demandes qu'elles confortent sa vocation à favoriser la réduction des tensions, quels qu'en soient les promoteurs et les procédures.

Ce nouveau genre de recours au Médiateur a d'ailleurs été suscité par l'image que les médias ont donnée de l'institution en 1990.

B. L'INTERET DES MEDIAS


Il faut bien le reconnaître, malgré une création qui remonte à 1973, l'institution du Médiateur n'était pas assez connue par ceux à qui elle était destinée à rendre service.

Certes, le Médiateur est une institution personnalisée. Mais cela n'empêchait pas qu'elle fût confondue trop souvent avec d'autres personnes ou organismes chargés de missions occasionnelles et désignés également sous le nom de " Médiateur ".

Sans budget de publicité, le Médzateur de la République ne pouvait être connu que par la voie du " bouche à oreille " de ceux qui s'étaient adressés à lui. Cette méthode est de nos jours insuffisante pour faire apprécier rapidement même les meilleurs produits. On le sait dans le commerce.

Mais même dans ce contexte difficile, la qualité des services rendus finit par se savoir. On peut penser que c'est parce que les propos tenus ici et là sur le Médiateur étaient bons que quelques journalistes firent mention de ses activités. Parallèlement, la politique de communication en direction de l'ensemble de la presse générale et spécialisée mise en place dès ma prise de fonctions commence à porter ses fruits.

Mais il est indéniable que la visite du Président de la République à la Médiature, en janvier 1990, a été un facteur déclenchant pour les médias.

Aussi est-ce en 1990, pour la première fois, que les médias ont considéré, à l'occasion de la remise du rapport annuel du Médiateur de la République, que l'activité de cette institution intéressait le

grand public. Depuis, la presse informe assez bien sur des actions retentissantes, comme l'affaire dite " des Époux Saint-Aubin " (cf. communiqué de presse relatif à l'affaire n° 90-0672,, page 15 ) ou à propos de propositions de réforme, comme celle intéressant l'indemnisation du risque thérapeutique (cf. projet de proposition de loi, page 19).

Cet intérêt des médias pour le Médiateur est évidemment de la plus haute importance pour l'avenir de l'institution, notamment pour la solution des conflits sur la base de l'équité.

C. LA PRISE EN COMPTE DE L'EQUITE


La prise en compte de l'équité par le Médiateur de la République demande quelque développement concernant sa légitimité, ses objectifs et sa pratique.

1) La base juridique


L'intervention du Médiateur dans le domaine de l'équité est fondée sur la loi et inspirée par la solidarité.

En effet, la loi du 24 décembre 1976 a ajouté un alinéa 2 à l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, qui est ainsi rédigé:

" Lorsqu'il apparaît au Médiateur de la République, à l'occasion d'une réclamation dont il a été saisi, que l'application de dispositions législatives ou réglementaires aboutit à une iniquité, il peut recommander à l'organisme mis en cause toute solution permettant de régler en équité la situation du requérant, proposer à l'autorité compétente toutes mesures qu'il estime de nature à y remédier et suggérer les modifications qu'il lui paraît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires. "

Cette loi du 24 décembre 1976 confère d'ailleurs simplement au Médiateur de nouveaux moyens pour lui permettre d'atteindre l'objectif fixé par le Parlement " de résoudre des difficultés qui échappent au contrôle juridictionnel, mais qui blessent l'équité ou le bon sens ". Elle se borne à appliquer le devoir de solidarité qui existe entre tous les membres d'un groupe social.

Les décisions des services publics étant destinées à permettre l'accomplissement d'une mission d'intérêt général au bénéfice d'une collectivité, la réclamation contre une de ces décisions ne fait que traduire une opposition entre les intérêts du particulier et ceux du groupe lorsque le premier estime être trop desservi.

Cette réaction est normale, puisque les lois et règlements ne devraient pas avoir pour conséquence de générer une situation trop inéquitable pour un des membres, sous peine de porter une grave atteinte au devoir de solidarité.

Lorsque cette situation se produit, le Médiateur de la République a mission de proposer une compensation au nom de la solidarité entre les membres d'un même groupe.

Le devoir de solidarité légitime donc bien l'intervention du Médiateur de la République.

Mais dans un État de droit, l'intervention du Médiateur en équité ne peut qu'être limitée et bien définie.

2) Le caractère complémentaire


L'intervention en équité ne peut être qu'un complément dans un Etat de droit pour la protection des droits individuels.

L'intervention en équité n'est légitime que pour améliorer l'application de la règle de droit à laquelle elle ne peut porter atteinte.

Loin d'affaiblir la règle de droit, l'intervention en équité la renforcera en l'adaptant mieux à la volonté du corps social. Elle lui permettra de durer plus longtemps.

Car changer la règle de fonctionnement d'un groupe, qu'il s'agisse d'une loi ou d'un règlement, est une opération lourde et coûteuse pour le groupe: il est préférable de conserver le plus longtemps possible la règle de droit existante en la rendant acceptable par tous.

Le Médiateur jouit des mêmes pouvoirs d'intervention en équité envers les conséquences d'une décision de justice. La loi ne l'a pas expressément prévu. Mais l'adage " qui peut le plus, peut le moins " s'applique en la matière.

Il convient encore de préciser que l'intervention du Médiateur en équité ne doit pas être confondue avec celle qu'il déclenche pour

demander à l'administrateur de modifier la décision qu'il a prise en vertu du pouvoir d'appréciation qui lui appartient dans le cadre de la légalité

Le rapporteur du projet de loi devant le Sénat, M. Pierre Schiele, l'a expliqué ainsi:

" L'article 9 actuel est incomplet; dans certains cas en effet, si l'administration a agi d'une manière inéquitable, c'est en application de textes législatifs ou réglementaires qui ne lui laissent aucune liberté d'action. En agissant différemment, elle se serait exposée à être sanctionnée par le juge administratif. Dans cette situation, que le droit administratif qualifie de " compétence lice ", il importe de permettre au Médiateur de la République de proposer une solution réglant en équité et non en droit la situation du requérant. "

Il n'y eut pas de débats devant le Parlement précisant ce que le législateur entendait par " équité ". Il n'y eut pas non plus de directives données au Médiateur de la République pour l'usage qu'il devait en faire.

Force est d'ailleurs de reconnaître qu'il n'existe aucune définition universellement reconnue de l'équité. Chacun doit donc s'en faire une opinion. Mais dans la pratique, les désaccords ne sont pas grands sur l'application de l'équité.

3) Les conditions d'intervention


L'intervention en équité du Médiateur doit être suffisamment équilibre pour se concilier avec le respect de l'État de droit, la sauvegarde de l'intérêt général et la préservation de l'autorité des administrateurs.

a) Respecter l'esprit de la loi


Pour respecter l'État de droit, le Médiateur veille à ce que la solution qu'il préconise, qui contredit forcément la lettre stricte de la règle de droit, demeure conforme à son esprit. Par exemple: si une loi a prévu un avantage fiscal pour un couple qui adopte un enfant, il est conforme à l'esprit de la loi de ne pas priver de cet avantage le conjoint survivant qui adopte après que le couple eût entamé la procédure d'adoption.

Autre exemple:

L'État ne refuse pas d'honorer ses dettes. Mais il n'aime pas débourser. Aussi la loi n'a pas prévu, dans tous les cas, un remboursement automatique et immédiat de l'excédent versé par le contribuable qui a payé trop d'impôts, par exemple s'il a perçu à tort une somme indue. Cela pourra lui être remboursé progressivement les années suivantes, par réduction du montant des impôts, lorsque lui-même remboursera.

Mais la loi n'a pas prévu la situation où peut se trouver une personne habituellement non assujettie à l'impôt, en raison de la faiblesse de ses revenus.

Si cette situation se produit, la personne devra payer des impôts sur une partie de l'excédent de ressources qu'elle a perçu. Mais lorsque l'erreur concernant le versement du supplément de ressources indu sera constatée, la personne bénéficiaire devra le rembourser. Il sera généralement prélevé progressivement sur ses ressources normales, même si elles sont faibles. La récupération de la somme qui correspond aux impôts payés, eux aussi indus, serait à ce moment-là fort utile au contribuable malgré lui. L'État, en institution honnête, en convient.

L'ennui, c'est que si la loi a bien prévu une récupération par la voie de la réduction des impôts à venir, elle n'a pas envisagé une situation où l'État devrait faire un décaissement pur et simple parce que la personne intéressée ne sera pas imposable à l'avenir.

Cette situation s'étant produite dans un cas voisin, les conséquences de l'application de la loi, qui aboutissaient en fait à refuser le remboursement du trop-perçu d'impôt, étaient inéquitables. L'inspecteur des impôts, comme le percepteur, en étaient bien conscients. Mais les textes ne leur permettaient pas de régler le problème autrement que dans les conditions prévues par la loi: ils avaient compétence liée pour s'en tenir à cette solution.

Le Médiateur pouvait seul cautionner une autre solution fondée sur l'équité permettant ce remboursement. Tout le monde s'y prêta de bonne grâce (cf. affaire n° 89-3816, page 22).

De même, si le règlement n'a pas prévu le remboursement d'un élément de traitement des soins nécessaires à la santé, il faudra recourir à l'équité pour que ce remboursement soit autorisé s'il y est recouru par nécessité absolue, faute d'inscription sur la liste des produits remboursables (cf. affaire n° 90-072 I, page 23).

Encore, si une décision de justice définitive refuse de reconnaître une responsabilité en matière d'indemnisation du risque thérapeutique dans des circonstances telles que le bon sens n'y trouve pas son compte, le Médiateur demandera à l'organisme qui bénéficie de ce jugement de renoncer à en tirer, à son profit, les conséquences. Cela dans le but de préserver ce que le sens commun estime devoir être la justice (cf. affaire Douet, n° 89-3713, page 24 affaire Dupont, n° 90-0058, pages 26 et 28, et affaire G..., n° 89-3458, page 29).).

Pour respecter l'État de droit, le Médiateur s'assurera encore que le législateur n'a pas accepté, en connaissance de cause, les conséquences qui paraissent inéquitables.

Ainsi en matière de forclusion des droits, le dépassement des délais a souvent des conséquences inéquitables. Mais lorsque le législateur les a acceptées, le Médiateur ne plaidera pas l'iniquité pour le retardataire, sauf si le retard est imputable au service, car il arrive que ce biais soit préférable à une action en responsabilité.

b) Respecter l'intérêt général


Pour respecter les droits de la collectivité, il faut d'abord que l'iniquité soit incontestable. Pour qu'il y ait iniquité, il faut que le particulier soit indiscutablement et fortement lésé par la mesure prise dans l'intérêt de la collectivité. Mais le Médiateur ne demandera qu'une compensation réalisable: si l'annulation de la décision inéquitable est possible, cette mesure sera proposée. Dans le cas contraire, il lui faudra inventer autre chose.

On a vu le cas où des propriétaires avaient obtenu l'annulation d'une expropriation de terrains sur lesquels une cité H.L.M. avait été construite pendant la durée de la procédure. Le jugement subordonnait la récupération des terrains par les propriétaires à l'achat des bâtiments qui avaient été édifiés illégalement. Le Médiateur ne pouvait ni laisser subsister cette condition, ni les obliger à acheter les logements. Il fallait proposer une compensation acceptable par les propriétaires et par la société H.L.M.

Il arrive aussi que la décision légalement prise, mais aux conséquences inéquitables, soit susceptible de s'appliquer à d'autres personnes que le réclamant. Il convient alors de bien mesurer les conséquences d'une décision en équité.

Le cas doit être suffisamment exceptionnel pour n'avoir pas été prévu par la loi et pour ne pas être susceptible de créer un précédent.

Pour se préserver du risque du précédent, l'administrateur est invité à mentionner, dans sa décision modificative, la demande du Médiateur. Si les cas semblables risquent d'être nombreux, le Médiateur proposera une modification de la règle de droit.

c) Respecter l'administration


Pour respecter les intérêts de l'administrateur, la demande du Médiateur d'adopter une mesure en équité vaudra transfert de la responsabilité morale de la décision de l'administrateur au Médiateur.

Ce transfert de la responsabilité morale préserve l'administrateur du reproche de faute professionnelle. Ce n'est pas sans intérêt dans le déroulement d'une carrière administrative.

4) L'avenir de l'intervention en équité


Une place peut et doit être faite à la solution en équité dans le règlement des conflits entre l'administration et les particuliers.

Le Médiateur peut en être l'instrument:

- parce que la loi française l'y invite ;

- parce que le devoir de solidarité l'y pousse;

- parce que l'équité est une notion reconnue par le droit européen; par exemple, la convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme à laquelle la France a adhéré prévoit que, devant un tribunal, " toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement "...;

- parce que, finalement, les administrateurs français n'y sont pas hostiles comme le démontre le nombre croissant, et déjà très significatif, des solutions en équité proposées par le Médiateur de la République et acceptées par l'administrateur, quand elles ne sont pas suggérées par lui !

Mais le Médiateur de la République doit agir avec prudence pour respecter le rythme de l'évolution des esprits dans le cadre d'un État de droit qu'il convient de préserver (cf. une intervention en équité pour l'affaire n° 90-1180, page 30).

Ces faits nouveaux que constituent l'installation de la Médiature au 53, avenue d'Iéna, l'intérêt des médias pour l'Institution et les progrès de la prise en compte de l'équité ont beaucoup aidé le Médiateur de la République dans son activité traditionnelle.

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