Année 1983


INTRODUCTION



Le rapport annuel du Médiateur au Président de la République et au Parlement a été, pour l'année 1981, essentiellement consacré au problème de l'information. Celui de l'année 1982 a établi le constat de la prise de conscience, par la plupart des administrations, de la nécessité de réformes internes, et d'une ouverture plus large aux critiques et aux suggestions des administrés.

D'où une amélioration sensible, dans certains secteurs, de la prise en considération des dossiers soumis par le Médiateur, et l'établissement d'un climat plus coopératif. Certains " îlots de résistance " continuant cependant à s'opposer, par tradition plus que par mauvaise volonté, à l'évolution, pourtant indispensable, vers la concertation, la compréhension, la simplification...

Le rapport pour l'année 1983 aura un caractère spécial. Il fera largement écho à la commémoration du dixième anniversaire de l'Institution, événement d'importance pour le Médiateur. Une partie de ce document reflétera donc le bilan de dix années d'existence de l'Institution du Médiateur, soulignant l'évolution de son activité, en particulier après l'extension de ses pouvoirs découlant de la loi du 24 décembre 1976.

Ce bilan rendra plus longuement compte des trois dernières années, 1973 marquant le mi-chemin du mandat de six ans qui m'a été confié. Un chapitre spécial sera donc réservé à l'évocation de la cérémonie solennelle du 21 octobre, et rapportera les textes des discours prononcés à cette occasion.

Mais quel que soit l'intérêt de cette partie " historique ", un rapport annuel ne peut se satisfaire de jeter un regard sur le passé. Il doit esquisser les contours de l'action à mener dans l'avenir.

Mon sentiment à ce sujet rejoint le voeu exprimé par M. Pierre Mauroy, Premier ministre, qui a souhaité voir s'étendre l'action du Médiateur vers davantage encore de propositions de réformes, en particulier dans le domaine de la simplification administrative. Propos repris et renforcés par le Président de la République dans ses voeux aux " Corps constitués " le 3 janvier 1984.

C'est pourquoi, après présentation de quelques exemples significatifs - tirés des milliers de litiges qui nous sont annuellement soumis (6886 en 1983 le record !) - qui prouvent à la fois la persistance des errements administratifs et la persévérance du Médiateur dans leur redressement, une seconde partie, plus étoffée que l'an passé, sera consacrée aux propositions de réformes.

Ainsi s'accentue l'évolution de l'Institution dans le sens que j'ai moi-même préconisé :

poursuite sans faiblesse, mais dans la collaboration la plus compréhensive possible avec l'Administration, du combat quotidien en faveur de l'équité; à travers l'instruction approfondie des dossiers qui nous sont confiés, recherche constante des causes des litiges afin d'y porter remède.

L'objectif du Médiateur ne peut être seulement la satisfaction ponctuelle de quelques milliers d'administrés victimes de lenteurs, d'erreurs ou de sévérité excessive, mais, au delà, la suppression à leur source des motifs ayant entraîné ces lenteurs ou ces erreurs.

Hardiesse et prudence des propositions de réformes législatives


Cette ambition doit être tempérée par la prudence qui s'impose lorsqu'il s'agit de remettre en cause des articles de loi faisant partie intégrante d'un ensemble cohérent, auquel il est difficile de toucher sans risquer de faire s'écrouler tout l'édifice.

Par ailleurs, l'évolution naturelle des techniques et des moeurs amène le Gouvernement à proposer au Parlement d'importants trains de projets de loi s'ajoutant à ceux qui découlent de changements d'orientation politique.

Le Médiateur est conscient de la difficulté que représente pour l'Assemblée nationale et le Sénat l'accumulation de projets et de propositions, pour la plupart très importants. Les sessions parlementaires exigent souvent d'être prolongées pour que l'ordre du jour puisse être épuisé.

Nos services ont donc quelques scrupules à alourdir encore le travail législatif par des propositions complémentaires, découlant pourtant de réflexions logiques, et susceptibles d'apporter des solutions équitables et humaines. Ces améliorations touchent parfois un groupe restreint d'individus, maïs plus souvent encore de larges couches sociales ou professionnelles, parmi les plus méritantes.

Le Médiateur est également conscient des conséquences de ces réformes pour les Administrateurs, pour les agents de la Fonction publique. Un simple amendement parlementaire entraîne la modification des textes d'applications, puis des circulaires. D'où la mise en oeuvre d'une paperasserie parfois hors de proportions avec l'amélioration proposée.

Ce risque est particulièrement sensible dans le domaine fiscal. La moindre note de service peut exiger l'impression et la diffusion auprès du personnel et des contribuables de deux à quatre millions d'imprimés nouveaux... Et, au delà du coût de l'opération, s'inscrit le temps passé à s'informer de la novation, et à en informer le public.

Certaines réformes s'imposent pourtant dans le domaine législatif, que le Médiateur continuera à proposer quand elles lui apparaîtront indispensables et urgentes.

Mais il lui arrive parfois de songer que, dans certains domaines, un " moratoire " législatif, ou tout au moins un ralentissement du rythme des textes nouveaux pourrait permettre une " remise en ordre " tout aussi nécessaire.

Une loi nouvelle n'efface pas toujours entièrement la loi précédente. D'où source de conflits, d'interprétations différentes... Et de procédures qui viennent gonfler un peu plus les contentieux administratifs et judiciaires.

Nécessaire harmonisation des textes de lois.


Ce n'est pas un voeu pieux : il est souhaitable - et possible - que soient harmonisés, uniformisés les textes de lois ayant trait aux mêmes sujets.. Quel soulagement cette simplification ne serait elle pas pour ceux qui sont chargés de leur application pratique, et, par voie de conséquence, pour les administrés qui se perdent dans le labyrinthe de textes souvent contradictoires.

Ce ralentissement, cette mise en ordre au plan législatif ne sont pas incompatibles avec une accélération du processus des réformes, en particulier dans le domaine de la simplification.

D'abord parce que l'arsenal législatif est déjà si complet que la seule application de la loi (parfois tombée en désuétude) permettrait de résoudre nombre de difficultés sans obligation de modifier les textes existants.

Les réformes réglementaires


Ensuite parce que beaucoup des obscurités, des contradictions, des difficultés d'application naissent, non pas des textes législatifs ; mais de leurs décrets d'application et des circulaires qui en précisent la pratique.

Beaucoup de réformes logiques et faciles pourraient donc être mises en oeuvre sans recourir à l'intervention du Parlement. Un décret ministériel, une circulaire émanant d'une direction y suffiraient.

C'est vers ce type de réforme que s'orientent surtout mes services, recherchant rapidité et efficacité sans alourdir la tache du législateur.

Une autre considération doit prévaloir dans le choix des propositions de réforme : c'est leur coût budgétaire éventuel.

Dans la période de rigueur que nous traversons, la recherche des bons moyens de simplifier la vie quotidienne du citoyen-administré doit être conciliable avec les moyens financiers dont dispose la collectivité.

C'est pourquoi, par exemple, me heurtant au déséquilibre financier de la S.N.C.F. pour rendre gratuite, comme il le serait souhaitable, la carte vermeil des personnes âgées, je propose qu'à défaut de cette gratuité soient améliorées les conditions de son usage (abaissement de l'âge d'attribution à 60 ans pour les hommes comme pour les femmes, utilisation plus large pendant les week-end).

Le changement des comportements


Mais il est un autre domaine, sans doute le plus important de tous, où des réformes peuvent être entreprises sans engager l'action parlementaire, et sans incidence budgétaire notable.

Je veux parler du changement de comportement et du changement des mentalités.

Et pas seulement du côté de la Fonction publique. C'est chaque citoyen qui doit faire effort sur lui-même pour réfréner une agressivité qu'exacerbe le tourbillon de la vie moderne. La violence aveugle du terrorisme naît d'abord de l'égoïsme, de l'indifférence de chacun au sort de l'autre ; on commence par ignorer son voisin de pallier, le clochard qui dort sur la bouche de métro, puis on laisse - pas d'histoires ! - des parents indignes martyriser leurs enfants, où l'on ne voit pas un blessé de la route pour ne pas être témoin...

L'insulte vient à la bouche dès que le démarrage au feu rouge est trop lent ; le couteau sort dès qu'on se dispute une place de parking.

Tous les milieux sont contaminés par la violence verbale. La présidence de l'Assemblée nationale s'est émue de la verdeur du langage employé dans l'hémicycle...

Pour ma part, je ne cesse de dénoncer les conséquences de ce laisser aller, inadmissible dans une administration qui ne doit jamais oublier qu'elle est " au service du Public ", mais qui peut malheureusement se référer à de fâcheux, exemples, venus d'en haut ; Qui peut trouver à sa propre sécheresse d'expression ou d'accueil, l'excuse de l'agressivité des usagers eux-même, forts de ce qu'ils croient être leur bon droit, et dont les exigences s'expriment parfois sans nuances...

C'est donc chacun de nous qui est concerné. Depuis la simple courtoisie (qui n'est pas désuète mais si appréciable), jusqu'au sens du devoir, tout est à réapprendre dans ce domaine qu'on appelle aujourd'hui la convivialité.

Apprendre à vivre en bons termes avec les autres : c'est presque au berceau que la leçon commence. En tous cas dès les bancs de l'école.

C'est pourquoi, me répétant sans me lasser, je préconise un retour à l'enseignement des valeurs immuables qui permettent la vie en société, et que l'on peut nommer tantôt l'instruction civique, tantôt la morale, tantôt tout simplement, l'éducation.

Une nouvelle fois j'en appelle au Gouvernement et en particulier au ministre de l'éducation nationale, dans une lettre qui figure dans ce rapport au chapitre des réformes.

Je ne crois pas pour autant sortir de mon rôle : car Médiateur, je reste citoyen. Et c'est aussi à ce titre de simple citoyen qui a la chance de pouvoir s'adresser au Président de la République et au Parlement - parfois aussi à l'opinion - que je m'exprime.

L'indépendance dont jouit ma fonction me permet de parler, d'écrire librement. Je n'ai jamais hésité à rappeler à chacun, fut-il haut placé, ses responsabilités.

Elles sont aujourd'hui, au niveau de ceux qui exercent le Pouvoir, écrasantes.

Le Gouvernement, les responsables politiques, syndicaux, associatifs sont absorbés par les taches quotidiennes en matière financière, économique, sociale, de sécurité.

Ils doivent, dans le même temps faire face au tourbillon diplomatique, aux rencontres et conférences internationales. Ils doivent encore trouver le temps de la réflexion pour étudier les plans à moyen et à long terme pour prévoir l'évolution scientifique, industrielle, démographique...

N'est ce pas trop leur demander que se pencher aussi sur la santé morale de la Nation, faite de l'addition, - et souvent de la multiplication - des états d'âme de chacun de nos concitoyens ?

C'est pourtant, à mes yeux, l'essentiel. Une nation qui se contente de vivre au jour le jour, dans la recherche des satisfactions matérielles que peut apporter un niveau de vie en accroissement que l'on voudrait constant ; une nation qui tend à préférer l'assistance à l'entreprise ; une nation qui n'a plus d'autre idéal que plaisirs et jouissances égoïstes, qui refuse la solidarité avec les sans-travail, les nouveaux pauvres, les affamés du tiers monde ; une nation saturée d'images d'agressions, de tortures, de guerres ; une nation qui se replie sur elle-même, et tombe dans le malthusianisme économique et démographique ;

Une telle nation est en décadence ; c'est déjà une nation morte, rejetée de la course aux civilisations nouvelles.

Il suffirait pourtant de peu de choses pour que notre jeunesse - saine dans son immense majorité - se détourne de la drogue - évasion ou des tentations des extrémismes. Elle ne demande qu'à sortir de son indifférence, à retrouver des raisons de vivre, de lutter. Elle est prête - que l'on y prenne garde - à se jeter dans les bras de ceux qui détourneront à leur -profit, avec l'appât d'une mauvaise cause, telle le racisme, son enthousiasme inemployé.

Certes on ne peut qu'approuver toute tentative de décrispation, de dialogue, de rapprochement. Mais ce ne sont pas les calculs électoraux, les manoeuvres éventées d'états majors politiques qui redonneront à nos jeunes le goût de l'engagement. Les confrontations excessives, le manichéisme tant de fois dénoncé leur font englober dans la même réprobation l'ensemble du personnel politique. Et le fossé se creuse davantage entre l'opinion et la " classe politique"

Il est toujours désagréable d'être Cassandre. Il est tellement plus confortable d'annoncer des lendemains qui chantent !

Et, dans un pays riche des potentialités de la France, il serait si facile de préparer des lendemains prometteurs !

Pour cela faudrait-il que changent réellement nos mentalités. Que chacun se considère comme porteur d'une parcelle de responsabilité nationale ; comme concerné par l'effort collectif à accomplir, effort accepté comme une joie et non comme un sacrifice.

J'écrivais, dans mon premier rapport, que le Médiateur ne devait se prendre ni pour Zorro, ni pour Don Quichotte...

Moins encore pour un prophète. Mais pour un homme de bonne volonté, qui voudrait susciter d'autres vocations d'hommes et femmes de bonne volonté. Car l'on n'a pas le droit, étant le témoin quotidien de l'iniquité, du désarroi, de la désespérance, de se taire, et de devenir ainsi le complice de ceux qui baissent les bras.

Le devoir de chacun - donc mon devoir - est de participer à sa modeste mesure, à l'indispensable campagne de réflexions, de prise de responsabilité, de solidarité et de fraternité qui, seule peut éloigner l'échéance de l'abandon et nous rendre quelque confiance dans l'avenir.

Je voudrais qu'à travers - et au-delà - des statistiques, des bilans, des exemples, des projets qui forment ce rapport, transparaisse cette volonté, et soit reçu ce message.

Robert FABRE

Médiateur de la République

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