Année 1983


COMMEMORATION DU XEME ANNIVERSAIRE DE L'INSTITUTION



Le 3 janvier 1973 paraissait au Journal officiel le texte de la loi instituant un Médiateur.

Dix années se sont écoulées. Il était nécessaire de célébrer le Xème anniversaire de l'Institution, à la fois pour établir le bilan de son activité, et pour mesurer la place acquise par le Médiateur au sein des institutions de la République.

Placée sous le haut patronage du Président de la République, et sous la présidence effective du Premier ministre, cette cérémonie, qui s'est déroulée le 21 octobre 1983 dans le cadre du Conseil économique et social, devait revêtir une grande solennité.

Aux côtés du Premier ministre, représentaient également le Gouvernement
Mme Catherine Lalumière, secrétaire d'Etat à la consommation,
M. Anicet Le Pors, secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique et des réformes administratives,
M. Roger-Gérard Schwartzenberg, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'éducation nationale.

Tous les grands corps de l'Etat étaient représentés.

Quinze pays d'Europe avaient délégué leur Ombudsman.

Les anciens médiateurs, MM. Antoine Pinay et Aimé Paquet, étaient présents.

Quatre allocutions ont été successivement prononcées par MM. Gabriel Ventejol, président du Conseil économique et social, Robert Fabre, Médiateur, Joaquin Ruiz Gimenez Cortes, défenseur du peuple espagnol, Pierre Mauroy, Premier ministre.

Le texte de ces discours est rapporté intégralement dans ce rapport.

Allocution de M. Gabriel Ventejol

Président du Conseil économique et social


Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres et secrétaires d'Etat,
Monsieur le vice-président du Conseil d'Etat,
Monsieur le Médiateur de la République,
Messieurs les médiateurs et anciens médiateurs,
Messieurs les représentants du Président du Sénat de la République et du Président de l'Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs,

Vous êtes ici, aujourd'hui, les invités de M. Robert Fabre, Médiateur de la République.

Je manquerais toutefois aux convenances si, au nom des membres du Conseil économique et social et en ma qualité de Président de cette assemblée constitutionnelle, je n'exprimais mes plus cordiales salutations aux personnes qui ont répondu à l'invitation du médiateur.

Le Conseil économique et social est honoré de les accueillir comme il a été heureux de répondre à la demande de M. Robert Fabre de mettre aujourd'hui le Palais d'Iéna à sa disposition. Je le remercie pour ma part d'avoir eu la courtoisie de me permettre de vous adresser ce salut d'accueil.

Je n'aurai certes pas l'audace de me substituer au Médiateur pour parler de l'activité de son institution. De même, il est tout à fait exclu que j'aille présenter une analyse détaillée des missions du médiateur et de ses compétences, telles que les ont fixées les textes législatifs et réglementaires qui, au cours des dix années écoulées, ont confirmé l'Institution. Enfin, loin de moi l'intention de m'aventurer dans des comparaisons entre le Médiateur de la République française et ceux qui, à l'étranger, tantôt sous la même appellation, tantôt sous des noms différents, remplissent des fonctions à peu près similaires.

Là ne peut être mon propos alors que, tout comme chacun de vous, j'ai hâte d'entendre les leçons de l'expérience prononcées par ceux qui sont orfèvres parce que, journellement, ils sont plongés dans le vif du sujet et que c'est ici le concret qui importe. Mon propos sera autre.

En diverses circonstances, M. le Président de la République s'emploie à rappeler aux Français combien il estime impérieuse la nécessité de leur entente mutuelle.

Qui ne serait attentif à cette insistance répétée de la plus haute autorité de l'Etat, et à la preuve ainsi donnée que ce thème lui tient tout particulièrement à coeur ?

Et n'est-ce pas tout récemment encore - c'était le jeudi 15 septembre dernier - qu'amené à clore son entretien avec les journalistes de l'émission " l'enjeu ", il déclara, non sans gravité et en pesant ses mots : " Tout le problème d'ordre psychologique, moral, de la politique moderne, au-delà de l'économie et de l'industrie, c'est comment organiser la communication ".

Ce Xème anniversaire de l'institution, en France, du Médiateur, m'apparaît à l'évidence comme une de ces opportunités à saisir pour faire écho aux appels de M. le Président de la République.

S'il est un domaine, me semble-t-il, où le passage des principes à la réalité rencontre des difficultés de diverses natures, c'est bien celui des relations entre le citoyen, en tant qu'individu, et l'Etat, en tant que corps social organisé. Et s'il est un domaine où les difficultés dans la communication présentent des dangers, dont les conséquences peuvent être très lourdes pour une démocratie, c'est bien celui-là.

Car enfin, le principe, c'est que nul n'est censé ignorer la loi. Sur ce principe, nous sommes tous d'accord. Mais notre propre expérience, à nous-même qui que nous soyons, nous autorise à penser que notre belle assurance d'être toujours en règle est bien souvent illusoire.

Sans doute, l'évocation de la relation de l'usager avec l'Administration est-elle trop souvent schématique ou représentée de manière caricaturale. N'oublions pas cependant les trop nombreux exemples des conséquences de cette non-communication qui peuvent être tragiques.

Alors, se demande-t-on, qui donc a tort, qui a raison, du timide ou de l'insolent qui présente au guichet son cas personnel, en s'embrouillant dans ses explications ? Qui a tort, qui a raison du représentant de l'Administration féru de ses connaissances réglementaires qui lui sont à la longue devenues si familières qu'il en est arrivé à les considérer simples comme bonjour ?

La question n'est pas de chercher des responsabilités mais des causes et de mesurer les conséquences.

Car, n'est il pas vrai qu'à ce niveau le plus terre-à-terre du quotidien, le citoyen se trouve parfois aux prises avec un complexe de frustation ? Des déceptions accumulées personnellement, grossies par les on-dît, nourrissent sa méfiance qu'à la fin il va transférer sur l'administration en général, puis sur le législateur, puis sur l'Etat qu'il soupçonne et accuse de noirs desseins.

Ce n'est pas bon pour la démocratie.

Il est bien vrai, nous en conviendrons, que la législation et la réglementation sont complexes. Mais cette complexité, pour peu que nous prenions la peine de réfléchir, ne répond-elle pas précisément à un souci louable de faire descendre les principes au niveau du concret et de se rapprocher, autant que faire se peut du particulier dans sa grande diversité ?

Entre équité et simplicité, il y a une antinomie telle qu'en fiscalité, par exemple, nous savons bien que plus un système est simple, moins il est juste tandis qu'il sera d'autant plus compliqué qu'il s'efforcera d'être plus équitable, de sorte que, au niveau du redevable face à son inspecteur, le mieux paraîtra pour ainsi dire l'ennemi du bien.

Cet état de fait est connu et on disait naguère qu'il avait engendré ce qui fut appelé : crispation. A tout le moins, il a donc été diagnostiqué, à la fois dans ses causes qui, à l'évidence tiennent pour une large part aux carences dans la communication entre les usagers et leur administration et dans ses conséquences qui sont cette exaspération toujours si mauvaise conseillère et si nuisible au climat social.

Comment, les choses étant ce qu'elles sont, n'aurait-on pas tenté d'y apporter des remèdes ? Cela est fait, et la lourde responsabilité de les mettre en oeuvre revient au Gouvernement à travers une action qui doit être aussi résolue que persévérante.

Elle appartient en outre à l'activité du Médiateur qui si souvent a pu et pourra rétablir la communication indispensable.

Tous deux s'appuient pour tendre à un même objectif et, me semble-t-il, se complètent dans cette volonté de parvenir à des relations sociales qui, sans étouffer les divergences, permettent d'affirmer des convergences supposant la confiance mutuelle et la loyauté.

Permettez au Président du Conseil économique et social de rappeler en terminant que le Conseil économique et social est lui aussi un vecteur de ces relations sociales. Dans son rapport, qui date de 1936 - nous avons nos lettres de noblesse - le Président Paul Ramadier définissait ainsi le Conseil : C'est, disait-il, le lien nécessaire du politique et de l'économique, l'instrument de leur communication.

Ainsi, ni l'idée ni le mot ne sont d'aujourd'hui. Et c'est vrai que la mission du Conseil économique et social est de " favoriser la collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles et d'assurer leur participation à la politique économique et sociale du Gouvernement ". C'est le premier article de notre loi organique.

Nous sommes étroitement associés au Parlement de la République dans ses deux assemblées. Les groupes socio-professionnels du Conseil économique et social ont la charge d'éclairer à leur manière les principaux débats avant la décision politique.



C'est vrai aussi que selon une formule trop connue pour ne pas être indiscutable, le Conseil économique et social est " le lieu privilégié de la concertation ".

Enfin - tous ceux qui en France et ailleurs se sont interrogés sur le Conseil économique et social en ont été frappés - c'est vrai qu'il y règne, nonobstant les oppositions fondamentales et les confrontations parfois vives, un climat qui permet la communication.

Peut-être - je suis conduit à me le demander - est-ce pour cette raison que M. Robert Fabre a souhaité que le Xème anniversaire de la création de l'Institution du Médiateur et de la fonction - car il n'est pas d'institution sans les hommes qui les inspirent et les animent - ait lieu dans nos murs.

Sans doute nos liens profonds de très cordiale amitié devaient-ils me conduire à accepter d'enthousiasme de lui offrir l'hospitalité du Palais d'Iéna ; et ce d'autant plus que ces liens se trouvent encore renforcés par l'appartenance au Conseil de son plus proche collaborateur, mon collègue M. Pierre Bracque, qui siège au Conseil économique et social au titre des personnalités désignées en raison de leur compétence dans les domaines économique, social et culturel.

Je veux pourtant y trouver une autre raison : au-delà de ces contingences, je vois une sorte de similitude, un vrai parallélisme ou plutôt une complémentarité certaine dans l'esprit qui doit animer nos institutions : il consiste à favoriser la compréhension mutuelle, pour que s'instaurent les conditions d'une meilleure communication qui, chez nous, se fait entre les groupes sociaux et les catégories économiques et, chez vous, entre les citoyens libres et soucieux de leurs droits.

J'ai toujours cru que la démocratie vivante, donc permanente, exigeait des corps intermédiaires, représentatifs entre l'Etat et le citoyen : associations, syndicats, institutions fonctionnant librement. Je constate avec plaisir que la médiation remplît aussi ce rôle éminent dans la République française.

Je tenais à en témoigner et à vous en féliciter.

Allocution de M. Robert Fabre

Médiateur


Je tiens à vous remercier, monsieur le Premier ministre, d'avoir accepté de présider effectivement cette cérémonie du Xème anniversaire de la création de l'Institution du Médiateur.

En accordant à cette manifestation son haut patronage, M. le Président de la République a voulu marquer l'importance qu'il lui attribue, et la place que tient cette institution récente parmi celles, plus anciennes, de la République française.

Par votre présence, monsieur le Premier ministre, vous témoignez l'intérêt que porte le Gouvernement à ce moyen original mais efficace de rapprochement entre les administrés et leur Administration, entre les citoyens et leur Etat.

Permettez-moi de vous remercier, non seulement en qualité d'actuel titulaire la fonction, mais aussi, à titre personnel, au souvenir de l'action commune que nous avons menée en faveur d'une société plus juste et plus humaine.

J'exprime ma gratitude à Mmes et MM. les ministres présents ou représentés, qui m'apportent, dans l'exercice de ma mission, un constructif concours, en particulier grâce aux correspondants ministériels du Médiateur qui assurent une liaison permanente entre Gouvernement et Médiateur et contribuent à la solution plus rapide des litiges qui nous sont soumis.

Je salue particulièrement la présence de M. Anicet Le Pors, secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, dont la responsabilité au sein du Gouvernement couvre les réformes administratives, et avec qui nous nous tenons en constant contact dans l'étude de nos projets de réformes respectifs ou communs.

Grâce à l'obligeance de M. Gabriel Ventejol, Président du Conseil économique et social, cette cérémonie peut se dérouler dans l'hémicycle où siège habituellement cette assemblée, lui conférant ainsi une solennité particulière. J'ai été très sensible aux mots de bienvenue qu'il nous a adressés en ouvrant cette séance. Qu'il soit assuré de la considération que porte le Médiateur, connue l'ensemble des pouvoirs publics, à une assemblée dont les études si riches et les avis si pertinents, doivent faire l'objet de réflexions approfondies. Et en raison aussi de l'appartenance à cette assemblée de mon directeur de cabinet et ami Pierre Bracque.

Je ne peux saluer individuellement les hautes personnalités du Parlement, de la Magistrature, de l'Université, de l'Armée, de l'Administration, des grands services publics, qui ont répondu si nombreuses à notre invitation. Mais je les remercie à la fois de leur présence et de la compréhension dont elles font preuve dans les rapports quotidiens qui sont les nôtres, ou la collaboration cordiale, voire amicale a largement pris le pas sur le conflictuel.

Une mention spéciale ira à nos invités étrangers, Ombudsmans ou représentants du Conseil de l'Europe.

J'ai le plaisir de saluer la présence de la plupart des Ombudsmans européens, avec, à leur tête, M. Pier-Erik Nilsson, Ombudsman de Suède, et actuel Président du Conseil international permanent des Ombudsmans.

Je salue tour à tour la présence de :

M. Randall Ivany, ombudsman d'Alberta (Canada) directeur de l'Institut international de l'Ombudsman qui siège à Edmonton accompagné de son assistant M. Robert Wyatt,

Sir Cécil Clothier, Ombudsman auprès du Parlement de Grande-Bretagne,
M. Alain Jones, Ombudsman du Pays de Galles,
M. Kenneth Bratton, Ombudsman d'Ecosse,
M. Jorma S. Aalto, Ombudsman de Finlande,
M. Jacques Vontobel, Ombudsman de Zurich (Suisse),
M. Audvar Os, Ombudsman de Norvège,
M. J.F. Rang,
M. G. Alkema, Ombudsmans des Pays-Bas,
M. Eudoro Pamplona Corte-Real, Ombudsman du Portugal,
M. Jossek, député et Ombudsman d'Autriche,

et enfin,

M. Joaquin Ruiz Gimenez, Défenseur du Peuple espagnol, qui prendra tout à l'heure la parole, en qualité d'Ombudsman d'un pays voisin et ami, mais aussi parce qu'il est le dernier-né des Ombudsmans d'Europe.

Je me réjouis de la présence de M. le Bâtonnier Louis Pettiti, représentant M. Wiarda, Président de la Cour européenne des droits de l'Homme, et qui a toujours porté à l'institution du Médiateur un bienveillant intérêt.

J'ai voulu adresser en dernier mes remerciements aux deux personnalités qui ont donné à l'Institution, vie, efficacité, et considération.

J'ai nommé MM, Antoine Pinay et Aimé Paquet.

Aimé Paquet m'a transmis le flambeau. J'évoquerai tout à l'heure la grande art qu'il a prise au développement de nos services et à l'affirmation de l'Institution.

L'amitié déjà ancienne et l'estime que je lui porte me rendent plus précieuse encore sa présence parmi nous.

La venue, tout à fait exceptionnelle, du Président Pinay me va droit au coeur. Chacun sait le rôle éminent qu'il a joué à la tête du Gouvernement de la France dans des années cruciales. Mais il convient de rappeler qu'il a accepté, pour donner tout son poids à l'Institution, la fonction de Premier Médiateur de notre pays, conférant ainsi à l'Institution son rang et son éclat.

Je lui exprime ma très vive gratitude pour avoir bien voulu en venant, dans sa verte quatre-vingt-douzième année, assister à cette solennelle cérémonie, et manifester son attachement à l'Institution et sa sympathie personnelle.

Dix années d'existence, c'est peu pour une institution, surtout au regard de l'Institution suédoise, fondée en 1809.

Doyenne, et exemplaire, cette dernière a servi de modèle aux autres nations démocratiques, qui ont créé ce que l'on appelle Ombudsman, ou Protecteur des libertés, ou Défenseur du Peuple, ou Médiateur.

Après mûre réflexion cependant : la Finlande a suivi, mais seulement en 1918, puis en 1954 le Danemark, puis les autres pays scandinaves et anglosaxons. Depuis lors, cette heureuse contagion s'est étendue à près de soixante nations, du Canada à l'Espagne, d'Israël à Fidji...

Une caractéristique commune : l'Institution ne peut s'instaurer que dans les pays à forte tradition démocratique et parlementaire.

Un objectif commun : la lutte contre les abus ou les errements d'une administration souvent trop puissante ; la défense du citoyen et de ses libertés contre les éventuels excès des pouvoirs publics.

D'où la nécessité de donner à l'Administration, au citoyen, à l'individu, un recours nouveau pour mieux se défendre, et bénéficier à la fois de la justice et de l'équité.

Chaque Etat a modelé sa propre institution en fonction de son organisation administrative et judiciaire, de ses traditions parlementaires.

Solon disait déjà, en réponse à qui lui demandait quel était le meilleur système politique, " dites-moi quels sont les hommes, quel est le pays et je vous dirai quel gouvernement leur conviendra le mieux ".

On observe dans beaucoup de cas, que l'Ombudsman n'a pas de pouvoir de décision puisque, indépendant, il n'est ni le législatif, ni l'exécutif, ni le judiciaire.

Pour faire prévaloir ses avis, il s'appuie sur le Gouvernement, sur le Parlement, et, si nécessaire, sur l'opinion. Ce qui oblige l'administration à prendre en considération ses recommandations ou ses injections.

Déjà lors de la création de l'Ombudsman suédois, on qualifiait sa fonction de " Magistrature d'influence ".

C'est donc essentiellement en vertu de son poids personnel que l'Ombudsman peut être écouté et suivi.

Sans doute est-ce en France que la personnalisation de l'Institution est la plus marquée.

Une courte tradition s'est déjà établie : le Médiateur n'a pas été choisi parmi des juristes éminents, mais parmi des hommes politiques d'expérience.

M- Antoine Pinay était industriel, mais ancien Président du Conseil de grand prestige.

M. Aimé Paquet était exploitant agricole, mais ancien ministre, élu local et national de l'Isère.

J'étais moi-même pharmacien, mais député, maire, ancien Président du Mouvement des Radicaux de Gauche...

Nous avons en commun de n'être pas des spécialistes du Droit administratif, mais d'avoir acquis, au fil de longues années de mandats politiques, l'expérience humaine, l'autorité, la capacité de persuasion nécessaires à la recherche par conciliation de solutions amiables aux problèmes les plus difficiles.

M. Gerbet, rapporteur du projet de loi 2746 portant sur la création du médiateur en faisait le portrait dans l'exposé des motifs :

" Une personnalité de haute réputation, aisément accessible pourrait par le seul poids de ses recommandations, aux besoins publiques, aider à la solution d'affaires qui n'en ont pas trouvé par les voies normales, tant administratives que contentieuses. ".

Et M. Pleven, alors Garde des Sceaux du gouvernement Messmer le peignait ainsi :

" Un homme d'une grande force de caractère, d'une grande autorité morale, doué d'intrépidité - car il lui en faudra pour foncer contre les citadelles de l'Administration -, un homme enfin qui exerce son action en vertu d'une sorte de magistrature d'influence. ".

S'il ne m'est pas permis de m'interroger sur mes propres capacités, je peux affirmer que ces vertus ont bien été celles de mes deux prédécesseurs. Grâce à eux l'Institution s'est imposée et est devenue aujourd'hui un rouage démocratique irremplaçable.

Mais tout ne repose pas sur l'homme qui incarne l'Institution. Il est entouré d'une équipe structurée, compétente, motivée, qui travaille avec des moyens modernes d'étude, de gestion et de prospective.

Tout cela n'a pas été bâti en un jour. La naissance de l'Institution a été laborieuse.

Les débats parlementaires ont été animés : multiples amendements, trois lectures devant l'Assemblée nationale, Commission paritaire mixte, le tout dans la hâte d'une fin de session, avant l'approbation finale et la parution de la loi au Journal officiel du 3 janvier 1973.

Toute innovation est redoutée.

Toucher à nos institutions est déjà aventureux dans notre pays de droit écrit. En créer une nouvelle, quelle audace !

Parmi nos législateurs, les uns craignaient qu'une Institution aux pouvoirs trop restreints ne fasse figure de gadget.

Les autres redoutaient qu'avec des pouvoirs trop étendus cet investigateur ne vienne braconner sur les chasses-gardées de l'exécutif ou du judiciaire.

D'où des controverses passionnées à l'Assemblée et au Sénat.

Allait-on faire du Médiateur un dérisoire Don Quichotte ou un dangereux Superman ?

Allait-on laisser l'Administration à ses lenteurs, à ses errements, ou bien lui imposer les diktats d'une sorte de contre-pouvoir incontrôlé ?

Comment éviter ces excès et trouver une efficace solution médiane ?

Tout était parti d'un constat : avec la croissante complexité des lois, décrets et circulaires, le citoyen se sentait de moins en moins capable de s'opposer à ce qu'il considérait comme le Pouvoir d'inertie - voire d'arbitraire - de la toute Puissante administration.

L'image du pot de terre contre le pot de fer s'était solidement implantée dans l'opinion.

Or, - c'est le rapport de M. Gerbet qui l'affirmait, et nul ne le contestait - " les rapports entre l'Etat et le citoyen constituent l'un des problèmes essentiels de notre société L'autorité de l'Etat, sans cesse, doit veiller au respect de l'intérêt général. Mais toujours aussi, elle doit rester attentive au libre exercice de ses droits par chacun des citoyens. ".

Malheureusement, poursuivait le rapport, " il existe des difficultés que la lenteur, l'inertie, la complication ou l'anonymat des mécanismes administratifs ne permettent ni à la juridiction la plus attentive, ni à l'administration la plus diligente de résoudre ".

D'où la nécessité de créer une Institution qui aurait pour mission - admirez la Prudence des termes - " non de censurer les actes de l'Administration, mais d'inciter celle-ci, dans des affaires précises, à reconsidérer son attitude ou à remettre en cause des règles, des pratiques ou des décisions qui gagneraient à être modifiées ou améliorées ".

Malgré le désir évident de ne pas inquiéter l'Administration, pointe déjà entre les lignes la mission de réformateur qui sera par la suite confiée plus ouvertement au Médiateur.

Les débats ont donc porté sur l'appellation du Médiateur, sur son mode de désignation, ses pouvoirs, les moyens de son indépendance, ses rapports avec la justice, les modalités de sa saisine.

Ombudsman devant être francisé, les uns, avec M. Chandernagor, proposaient " délégué parlementaire à la liberté ", les autres, comme M. Krieg " Défenseur des droits et libertés ", d'autres " Protecteur du citoyen ".

Ce fut Médiateur qui prévalut.

Appellation révélatrice du rôle de conciliation dévolu à son titulaire. Elle ne pêche que par son défaut de spécificité, le vocable figurant dans tous les dictionnaires, et pouvant donc être excessivement banalisé. Des médiateurs n'ont-ils pas été créés pour tenter de résoudre des conflits sociaux ? D'autres pour régler au sein de certaines municipalités des problèmes d'assistance ou de logement ? J'ai dû intervenir, moi-même, pour éviter la dévolution de ce titre à des fonctionnaires chargés de résoudre certains conflits à la base dans le domaine de l'urbanisme, dans le domaine médical...

Je tiens à souligner la compréhension, à cet égard, de M. Charles Hernu, ministre de la Défense, qui a renoncé à la création d'un médiateur militaire, laissant logiquement le soin aux inspecteurs généraux de l'armée de jouer ce rôle.

La multiplication de cette appellation créerait en effet une confusion préjudiciable au Médiateur national créé par la loi de 1973, et dont l'efficacité tient largement à son unicité.

C'est pourquoi, j'ai tenu à préciser que le Médiateur est bien le Médiateur de la République.

Le mode de désignation du Médiateur a été au coeur des débats parlementaires dé fin 1972.

Il varie en effet selon les pays, les Ombudsmans étant tantôt élus par le Parlement , tantôt désignés par le Gouvernement ou le Chef de l'Etat.

L'indépendance du Médiateur devant être garantie, la crainte de " politisation " fut exprimée, si le titulaire était élu par une majorité parlementaire.

S'il était désigné par le Gouvernement, la crainte était de voir le Médiateur réduit au rôle d'un super-fonctionnaire, honoré certes, mais soucieux de ne faire aucune peine, sauf légère, au pouvoir en place.

L'expérience en a apporté la preuve, ces craintes étaient vaines.

L'actuel Gouvernement n'a-t-il pas lui-même reconnu que la désignation par ses soins d'un haut responsable (en l'occurrence Mme Michèle Cotta) à la présidence de la Haute Autorité de l'Audivisuel, n'était pas incompatible avec indépendance et objectivité ?

A contrario, lorsque M. Antoine Pinay voulut prendre ouvertement position dans une élection nationale, il estima devoir démissionner de la fonction du Médiateur qu'il occupait depuis moins de dix-sept mois.

Faut-il illustrer d'autres exemples cette faculté d'autonomie du Médiateur, quel que soit son mode désignation ?

Issus des rangs de la majorité de l'époque, mes deux prédécesseurs ont fait preuve à l'égard de leurs propres amis politiques d'une remarquable indépendance, n'hésitant pas à interpeller avec loyauté mais avec courage des ministres ayant participé à leur désignation,

Mon propre exemple peut-être cité

J'ai été nommé en Conseil des ministres par un Président de la République, M. Valéry Giscard d'Estaing et un Gouvernement contre lequel j'ai pris position dans le cadre de mes activités parlementaires, participant en adversaire aux campagnes électorales législatives et présidentielles.

Désigné bien que membre de l'opposition de gauche d'alors, j'ai accompli ma tâche de Médiateur avec objectivité et loyauté, m'abstenant de prendre parti lors de la campagne de 1981.

M. François Mitterrand, aux côtés duquel j'ai lutté pendant de longues années, a succédé à M. Valéry Giscard d'Estaing. Une nouvelle majorité parlementaire s'est établie à l'Assemblée nationale.

J'ai continué, avec la même objectivité, la même loyauté, la même sérénité, à poursuivre ma mission de Médiateur.

Et ma satisfaction est de constater que les parlementaires, qu'ils soient anciens ou nouveaux, et quelle que soit leur appartenance politique, continuent à me témoigner sympathie et confiance, en me saisissant des dossiers - souvent bien délicats - qui relèvent de mes attributions. Je considère cette attitude de parfaite coopération comme un hommage rendu à l'indépendance - sans doute aussi à l'efficacité - de l'institution.

Car chacun sait bien quelles sont mes idées personnelles, en tant qu'homme, en tant que citoyen, Chacun sait que je suis resté fidèle à l'idéal radical d'humanisme, de défense des libertés, de promotion de l'individu, de solidarité, d'égalité des chances. Ce qui, dans mon esprit, est une motivation puissante dans l'exercice d'une mission vouée au dialogue et à la conciliation.

Mais je me suis dépouillé de tout esprit partisan. Et si je m'exprime parfois en homme politique, c'est pour rappeler à chaque citoyen, à quelque niveau qu'il se situe, ses responsabilités, ses droits, ses devoirs.

Il ne s'agit plus là de politique dite péjorativement " politicienne ", mais, Prise au sens noble du mot, du rappel de la prééminence de l'intérêt général, de la nécessité du rapprochement entre citoyens et Etat, de la recherche d'une meilleure compréhension entre Français.

A une époque où l'agressivité s'exacerbe, où les sujets de mécontentement, de discorde, se traduisent trop souvent par l'exaspération, la menace, ou lé découragement, à un moment où la coupure politique de la France en deux camps opposés n'a jamais paru plus réelle, tout ce qui peut contribuer à la recherche de consensus, de réconciliation, donc de motifs d'espérance, doit être tenté.

Ces propos me rapprochent de la deuxième partie de mon allocution, consacrée à l'évolution de l'Institution, à son actuel fonctionnement, à la conception personnelle que j'ai de mon rôle, avant d'aborder, en conclusion, quelques perspectives d'avenir.

L'évolution a été rapide.

Vite apaisée la peur d'un empiétement sur l'exécutif, le législatif ou le judiciaire, il est apparu que les pouvoirs du Médiateur étaient insuffisants. Qu'il fallait les développer au niveau de son rôle réformateur et de son rôle de, gardien vigilant des libertés.

Une révision de la loi étant nécessaire, une loi complémentaire était votée le 24 décembre 1976.

Les principales innovations portent sur

- la possibilité indirecte de saisine par une personne morale,

- la possibilité de saisine directe par les membres du Parlement,

- la transmission de pétitions à la demande des Commissions des Assemblées,

- la possibilité d'intervenir pour des agents de la fonction publique ayant cessé leur fonction,

- le recours à la recommandation, ou à l'injonction en cas d'inexécution d'une décision de justice,

- l'appui accru que doivent apporter au Médiateur les Ministres et les autorités publiques,

- la recherche de solutions en équité, notion devenue fondamentale pour le Médiateur, et constituant un considérable pas en avant dans la prise en compte de l'aspect humain des litiges. Finie l'attitude froide et incompréhensive d'une Administration s'en tenant à l'aspect formel des règlements !

Enfin, fait très important, la reconnaissance (article 9 de la loi) de la vocation du Médiateur à " proposer à l'autorité compétente les modifications qu'il lui apparaît opportun d'apporter à des textes législatifs ou réglementaires ".

Cet aspect nouveau de l'activité du Médiateur me parait déterminant. A quoi servirait, au-delà de la satisfaction accordée éventuellement à un requérant - ce qui n'est pas négligeable - de résoudre quelques milliers de litiges par an, si l'erreur ou la lacune qui est à l'origine du conflit persistait, et continuait à provoquer le mécontentement de centaines de milliers ou de millions d'usagers, d'administrés, de citoyens.

De l'évolution de l'Institution au cours de ces dix années, trois aspects principaux peuvent être retenus :

- l'accroissement de son activité, au niveau des dossiers soumis et traités, de ses moyens en personnel et en matériel, de son efficacité, donc de sa crédibilité,

- le développement de son rôle réformateur, tant dans le domaine législatif que réglementaire, et, plus encore dans la modification des comportements administratifs,

- enfin, l'affermissement de l'audience de l'Institution au niveau national, au niveau européen, au niveau international.

Ces éléments positifs ne devant pas masquer les aspects négatifs que sont l'insuffisance de connaissance de l'Institution par l'opinion publique, la faiblesse de certains de ses moyens, et les noyaux de résistance passéistes qui subsistent dans certains secteurs de l'Administration.

Accroissement de l'activité : les rapports annuels ont souligné la forte augmentation du nombre de dossiers soumis au Médiateur, depuis les quelques centaines de la première année jusqu'aux 6 410 de 1980 - année record -. Un record qui sera battu en 1983 puisqu'au le, octobre ce nombre était déjà de 5893.

Malgré ce considérable accroissement de travail pour mes collaborateurs, le nombre de ceux qui enregistrent, instruisent les dossiers, assument leur traitement, leur classement, étudient les propositions de réforme, est resté pratiquement inchangé depuis trois ans. La petite poignée de pionniers qui entourait M. Pinay en 1973 a atteint le nombre de 40 collaborateurs en 1980 et s'y est maintenue depuis, bien que la masse des dossiers se soit alourdie de 50 %.

Le surcroît d'efforts et le dévouement qui en découle, à permis à l'institution de conserver cet atout irremplaçable : la dimension humaine.

Je tiens à rendre hommage à l'ensemble de mes collaborateurs de l'Institution, qu'il s'agisse des membres de mon cabinet, des conseillers techniques, hauts fonctionnaires retraités bénévoles, motivés par la valeur sociale et morale de notre activité ; des assistants et rédacteurs qui avec compétence et remarquable conscience professionnelle instruisent à fond les dossiers et en extraient des idées de réforme ; qu'il s'agisse aussi de tous ceux qui, de l'informatique à la documentation ou à la dactylographie, assument une tâche délicate et absorbante. Ceux qui n'en bénéficient pas encore méritent bien d'obtenir les avantages qui s'attachent à l'appartenance à la fonction publique.

Je tiens à étendre cet hommage à mon prédécesseur M. Aimé Paquet, auquel nous devons les locaux fonctionnels qui sont les nôtres, et aussi la mise en place d'un classement informatisé, avec un ordinateur qui nous est propre, système que nous avons élargi et perfectionné par branchement sur une banque de données juridiques, le C.E.D.I.J. L'ensemble faisant l'objet, en raison de l'efficacité de son fonctionnement, de l'étude de nombreuses administrations, françaises et étrangères, désireuses de s'inspirer de notre expérience avancée dans ce domaine technologique.

Nous devons aussi à M. Paquet, la création des correspondants départementaux du médiateur, qui siègent dans chaque préfecture et dont le rôle - que la décentralisation ne peut qu'accroître - est de guider, conseiller les administrés désireux de soumettre leur litige au Médiateur.

De même, la désignation, au niveau de chaque ministre, d'un correspondant Ministériel de haut niveau (cabinet, direction ou inspection générale) chargé de suivre tout particulièrement les dossiers soumis par le Médiateur, ou ses propositions de réforme.

Qu'il me soit permis de souligner l'intérêt que chacun des ministres a bien voulu porter aux travaux du Médiateur, en nommant à ce poste un de ses collaborateurs les plus directs.

Et de préciser à cette occasion la parfaite collaboration qui s'est instaurée, au niveau de nos propositions de réforme, entre M. Anicet Le Pors et moi-même, comme entre nos cabinets respectifs, pour coordonner notre action et aboutir à une heureuse complémentarité. Les propositions du Médiateur touchant aux réformes administratives s'insèrent ainsi dans le cadre de l'ensemble des mesures proposées au Gouvernement et au Parlement par le Secrétariat aux réformes administratives, et leur prise en compte s'en trouve accélérée.

Celles qui relèvent d'autres ministères sont négociées avec chacun des départements ministériels concernés : par exemple la réforme touchant aux syndics et aux tribunaux de commerce, reprise dans la loi d'ensemble proposée par M. Badinter au Parlement.

Les " arbitrages " lorsque les propositions intéressent plusieurs ministères - cas fréquent - sont demandés au Premier ministre, et débattus au niveau du Secrétariat général du Gouvernement, avec lesquels nos liens se sont renforcés.

Ouverture permanente aux citoyens en difficultés administratives, liaison permanente avec les parlementaires, contact permanent avec le Gouvernement, les rouages de l'Institution et ses courroies de transmissions fonctionnent bien.

Cette mécanique - presque d'horlogerie - débouche-t-elle sur des succès, des améliorations - sans lesquels elle n'aurait pas de raisons d'être - ?

Les statistiques donnent une première réponse : en constant accroissement, le taux de satisfaction des litiges soumis (qui était de 23 % en 1974) a atteint le chiffre de 39 %. Ce qui, compte tenu de la difficulté, de la complexité, de l'ancienneté parfois des dossiers - et aussi du fait que les requérants ont déjà reçu plusieurs réponses négatives -, constitue un réel succès.

Quant aux propositions de réforme (plus de deux cents ont été élaborées) c'est 50 % d'entre elles qui ont été prises en compte et appliquées.

Enfin - et c'est peut-être là le résultat dont je peux, personnellement, être le plus satisfaisant, les comportements administratifs commencent à évoluer dans le sens d'une conception plus nette des contraintes et les devoirs du Service public, et d'une attention plus vigilante à porter aux critiques et suggestions de l'usager.

J'ai souligné dans le rapport annuel pour l'année 1982, la prise de conscience de l'Administration (du moins de certaines administrations) à son plus haut niveau, de la nécessité d'un changement de méthodes d'informations, d'accueil, de plus de rapidité dans les réponses, les traitements de demandes ou de dossiers. La simplification des formulaires est en marche. J'ai cité l'administration des Postes et Télécommunications en exemple. Tout n'est pas encore parfait. Mais la facturation détaillée des communications téléphoniques est amorcée. on peut demander, sur un simple appel, un branchement téléphonique, réalisé parfois - à Paris - en quarante huit heures.

Par contre, ne cesse de s'accroître, aux guichets des postes, la perception frauduleuse de chèques ou mandats, tant s'avère difficile, surtout en heures de pointe, la vérification d'identité des bénéficiaires.

Pas de clarté sans zone d'ombre.

Je pourrais multiplier les exemples de mal-administration qui subsistent. Et, à l'instar de certains chroniqueurs en quête de permanent sensationnel, choisir les cas les plus aptes à faire pleurer dans les chaumières, en pointant un doigt vengeur vers les ronds de cuir survivants de l'époque courtelinesque.

Est-il nécessaire d'attiser davantage certains mécontentements, justifiés certes, pour dresser un peu plus les administrés contre ce bouc émissaire commode qui serait l'anonyme Administration ?

Il ne s'agit pas davantage de jouer la politique de l'autruche, et d'oublier, au bénéfice de quelques améliorations, l'immense travail qui reste à accomplir, tant au niveau des comportements que de la réglementation.

Pour ne citer que quelques exemples d'errements perpétués :

- faute de changement d'inscription cadastrale des impôts sont réclamés à toit, pendant des années, à des contribuables ayant vendu depuis longtemps leur immeuble... ou ne l'ayant jamais possédé...

- une jeune fille, handicapée à 80 % demande le 20 décembre 1982 le renouvellement de sa carte d'invalidité. Pour ce simple renouvellement, de mairie en préfecture et en commissions, la nouvelle carte ne lui sera délivrée que le 23 août 1983, huit mois après. Le renouvellement ne pourrait-il être immédiat pour les cas évidents d'invalidité irréversible ?

On pourrait multiplier les exemples de lenteur, d'absence totale de réponse, de mauvais renseignements fournis, d'interprétation trop stricte des textes... Si l'évolution vers la perfection était si facile, l'Ombudsman suédois ne continuerait pas à exister 175 ans après sa création !

Les Français, eux, adorent le changement, à la condition qu'il ne mette pas en cause leurs habitudes, ne porte pas atteinte à leurs privilèges, qu'ils ont tendance à appeler " Droits acquis ".

Ils applaudissent ceux qui leur rappellent leur devoir de solidarité, la prééminence de l'intérêt national, le sens du service public... à la condition qu'efforts Ou sacrifices soient essentiellement demandés au voisin...

C'est vrai pour l'ensemble des citoyens, c'est donc vrai aussi pour ceux qui assument les plus hautes responsabilités administratives ou politiques.

Le Médiateur, que ne guide aucun intérêt partisan, propose des réformes logiques, de bon sens, découlant de l'observation quotidienne des sources de complexité, de conflits ; il ne devrait donc avoir aucun mal à être suivi.

Lorsqu'il préconise, par exemple, l'instauration d'un " livret de carrière " permettant à chacun de tenir à jour sa situation professionnelle, ses versements sociaux, il facilite considérablement, au moment du départ à la retraite, la reconstitution d'une carrière souvent embrouillée.

Cet " oeuf de Christophe Colomb " dont personne ne conteste l'intérêt, est cependant mis à l'étude depuis près de deux ans, tout simplement parce qu'il s'agit d'une innovation, même bénéfique...

J'ai pris cet exemple parmi tant d'autres ! Je pourrais en effet citer la lenteur de prise en compte de certaines autres propositions touchant aux marchés publics, aux expropriations, aux aides aux entreprises, aux contrôles des véhicules d'occasion, et surtout au développement de l'instruction civique dans les programmes scolaires (idée qui commence à avoir partout des échos favorables).

La puissance d'inertie hélas, est l'ennemi le plus sûr de tout progrès...

Les moyens dont dispose le Médiateur restent trop faibles au regard de l'ambition réformatrice qui l'anime.

Je ne fais pas seulement allusion à ses moyens financiers et en personnel. Car il doit éviter - et je m'y emploie - que l'institution, en devenant pléthorique, ne perde l'échelle humaine, qui fait sa valeur et son efficacité. L'Institution est personnalisée : il faut que le Médiateur, lui-même, puisse continuer à contrôler l'étude des dossiers, à orienter les propositions de réforme.

Mais il est regrettable que l'opinion soit si mal informée de son existence, et de la voie à suivre pour s'adresser à lui.

C'est pourquoi nous avons fait éditer un dépliant, que nous voulons, par le canal de nos correspondants départementaux, diffuser auprès des administrés, et qui, très succinctement, indique les buts et les moyens de l'Institution.

Ce sera encore insuffisant. A travers la presse, les médias, il convient de faire savoir qu'existe un moyen de rechercher gratuitement une solution amiable à des conflits qui, ainsi résolus, n'iront pas gonfler les contentieux et encombrer les juridictions administratives, si surchargées.

Les consommateurs disposent quotidiennement de quelques minutes de télévision pour mieux se défendre. Pourquoi les administrés, les citoyens, ne pourraient-ils faire entendre leur voix dans une émission disons mensuelle - accordée au Médiateur ?

Il ne s'agirait pas de mettre en exergue quelques cas particulièrement scandaleux. Mais de faire mieux connaître, dans des domaines aussi divers que pensions, permis de construire, fiscalité,... les droits et les devoirs des citoyens comme de l'administration, et de jouer ainsi un rôle préventif et simplificateur.

Une autre mission, plus noble et plus ambitieuse incombe au Médiateur. C'est du moins la haute idée que je me fais de cette fonction.

Au Québec, l'Ombudsman est appelé Protecteur du Citoyen. A Madrid, Défenseur du Peuple. Partout, il est considéré comme l'un des éléments essentiels du système démocratique de protection des libertés. Lors des débats parlementaires de 1972 et de 1976, certains intervenants de l'opposition d'alors, de la majorité d'aujourd'hui, ne voulaient-ils pas que le Médiateur de la République française soit appelé Protecteur des libertés ?

Bien sûr, à lui seul, il ne peut constituer un rempart contre les menaces, toujours larvées, d'autoritarisme, de fascisme ou de collectivisme. Mais il peut impitoyablement dénoncer, non seulement les " inéquités ", les injustices que subit le citoyen dans sa vie quotidienne, mais toute action, voire toute expression qui porte une atteinte quelconque à la liberté individuelle ; mais encore, aussi, toute tendance, toute évolution, tout encouragement à la remise en cause des principes essentiels de liberté sur lesquels sont fondées les démocraties.

Ce combat ne peut être limité aux frontières nationales. Où que soit menacée la liberté, c'est dans le monde entier que la démocratie est en danger.

Ce qui implique le rapprochement qui s'est tout naturellement fait entre les Ombudsmans de tous les pays où cette institution existe, qui se sentent tous - au-delà de leur spécificité nationale - concernés par le problème de la défense des libertés.

Ils se réunissent tous les quatre ans en congrès, mais leur bureau permanent qui a bien voulu m'accueillir, se retrouve plus fréquemment,

Ils ont fondé en commun, l’Institut international de l'Ombudsman, dont le siège est à Edmonton, au Canada, et dont le directeur, M. Randall lvany, est aujourd'hui parmi nous.

Institut dont l'objet est de recueillir toutes les études, toutes les publications portant sur le thème de l'Ombudsman, mais aussi d'assurer la diffusion de l'information et de coordonner l'action internationale des Ombudsmans.

Le Médiateur français a, dans cet organisme, une place de choix, puisqu'il siège au Conseil d'administration de l'Institut.

Je me suis efforcé de concilier ma nécessaire présence à Paris, avec l'établissement de liens amicaux avec mes collègues ombudsmans d'Europe (ils sont venus nombreux à cette cérémonie) et du monde entier.

J'ai reçu de nombreux ombudsmans. Des délégations, des professeurs de droit et chercheurs étrangers, des étudiants s'instruisent de nos objectifs et de nos moyens.

Partisan du dialogue entre administrations et administrés, entre citoyens et Etat, comment ne serais-je pas un ardent pionnier du rapprochement entre les nations, à travers nos objectifs communs : la promotion de l'individu, l'exaltation de la responsabilité, le respect des droits et devoirs, la défense de la liberté ?

Voilà toute tracée, la voie que devra suivre dans l'avenir le Médiateur de la République française. Voilà la mission que je m'efforcerai de remplir. Parvenu à mi-chemin de mon mandat, j'emploierai les trois années qui me restent à accomplir, à consolider - si besoin est - une institution déjà solidement implantée, mais qui doit encore s'affirmer, se faire mieux connaître. Et qui doit s'adapter à une heureuse évolution. Celle qui tend à transférer à chacun plus de responsabilité, de sens du devoir.

Il reste de grands combats à mener, amorcés par des opérations telles que " A votre service ", ou la " Charte du citoyen ".

Pour ma part, j'ai agi en faveur d'une meilleure information de l'administré, et pour la levée de l'anonymat qui faisait de l'administration ce " monstre froid " et déshumanisé, dénoncé par certains.

Peut-être faudra-t-il, dans l'avenir, amorcer une réflexion nouvelle sur un éventuel élargissement des pouvoirs du Médiateur - ainsi le proposait M. Chazelle au cours de débats au Sénat -, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle de protecteur des libertés.

Mais dès aujourd'hui, sans sortir du cadre que lui a tracé le législateur, le Médiateur peut, et doit, sans réserve, participer à la lutte quotidienne pour la défense des idéaux démocratiques, pour le respect de la personne humaine.

Robert FABRE

Médiateur

Allocution de M. Joaquin Ruiz-Gimenez Cortès,

Défenseur du Peuple (Espagne)


Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le Président du Conseil économique et social,
Monsieur le Médiateur,
Mesdames, messieurs,

Je tiens, monsieur le Médiateur, a vous remercier, au nom de tous nos collègues, et de moi-même, de votre gentille invitation à participer à cette cérémonie ; c'est pour nous tous un honneur et je voudrais rendre un hommage de loyale solidarité à votre personne et à votre haute mission, que vous exercez avec tant de dignité et d'efficacité.

Le Défenseur du Peuple est le dernier né des Ombudsmans et la plus récente illustration du développement croissant et du renforcement progressif de cette Institution. Je suis donc bien conscient du privilège que vous m'accordez en me donnant la parole dans cette solennelle célébration du dixième anniversaire de la création (de l'Institution) du Médiateur. D'une part, c'est un honneur qui me réjouit et m'encourage en tant que témoignage de votre amitié, monsieur Fabre ; d'autre part, c'est un privilège que m'inquiète et, en quelque sorte, m'intimide un peu aussi, non seulement parce que je dois m'exprimer - et avec quelle maladresse - dans votre belle langue, mais aussi parce que je dois parler au titre, non mérité, de porte-parole de ceux qui depuis de longues années, voire depuis plus d'un siècle, (comme le cas de la Suède) accomplissent la tâche fondamentale de la défense des libertés civiles et des droits de l'homme face aux erreurs, aux abus ou aux défauts de l'Administration.

En profitant de votre compréhension, je vais essayer de souligner une triple signification de l'événement qui aujourd'hui nous réunit.

1. Cette fête est, tout d'abord, la fête d'un joyeux anniversaire. Dix ans, c'est encore trop peu de temps pour chanter victoire. Car la mission du Médiateur n'est pas une mission facile, cela nous semble bien évident nous trouvant nous mêmes affrontés à des problèmes de la même nature.

Mais on peut déjà affirmer, en stricte justice, que le bilan de cette décennie est clairement positif. Cela ressort non seulement des données, scientifiquement vérifiables, que contiennent les rapports annuels rendus par l'Institution. Cela ressort aussi de la " Communis opinio " de ceux qui en Espagne et ailleurs, ont analysé, parfois avec un esprit critique, la tâche accomplie par le Médiateur.

Le fait même qu'il s'agissait d'une institution neuve, jeune exigea plus d'effort et d'imagination qu'il n'aurait fallu s'il s'agissait d'institutions enracinées à travers les siècles.

Certes, un historien pourrait trouver des précédents dans le passé, notamment au cours du Moyen Age, de chaque avance juridique ou politique. Ainsi, les Anglais peuvent rappeler la Magna Carta de Jean sans Terre de Mille deux cent vingt cinq (1225). Les Espagnols pourraient évoquer les décrets d'Alphonse XI dans les Cortès (états généraux) de Léon de Mille cent quatre vingt huit (1188) où les Pragmatiques de Pierre 111 d'Aragon. Il semble donc très opportun d'évoquer ici, en France, le fait qu'en mille deux cent quarante sept (1247), sous le Conseil de la régente Blanche de Castille, son fils Louis IX, le futur Saint Louis, envoya des lettres patentes en chargeant des enquêteurs de la mission de " recevoir par écrit et examiner, suivant la forme que nous leur avons indiquée, les plaintes que l'on peut faire valoir contre nous ou nos ancêtres, ainsi que les dires relatifs aux injustices, exactions et toutes autres fautes dont nos baillis, prévôts, forestiers, sergents et leurs subordonnés se seraient rendus coupables depuis le commencement de notre règne ".

On a écrit avec sagesse (Régine Pernoud, La Reine Blanche, édition Albin Michel, Paris, 1972) " qu'auparavant quand les rois envoyaient par le royaume des délégués, baillis ou sénéchaux chargés de les représenter dans la gestion des intérêts locaux, c'était essentiellement au profit de la royauté elle-même, pour surveiller les agents inférieurs ; (mais) avec les enquêtes ordonnées en 1247, il ne s'agit plus de surveiller les mécanismes de son administration s'il est permis d'employer ce terme encore anachronique pour l'époque.

Les " Seigneurs enquêteurs " auront à faire directement au peuple ; ce ne sont ni grands prélats ni de grands seigneurs, mais de, ces frères mendiants qui par vocation sont mêlés au peuple : des franciscains, des dominicains ; on les nomme " les frères qui s'occupent des restitutions " ; leur mission consiste à faire rendre gorge aux agents du roi toutes les fois que ceux-ci ont abusé de leur pouvoir ".

Ce fait historique si éloquent, mais trop lointain, ne nous oblige cependant pas à rectifier notre jugement : le Médiateur a su, sans compter sur des précédents immédiats, bâtir sur terrain vierge, et " hacer camino al andar " - faire du chemin en marchant - comme aurait dit notre Antonio Machado qui dort son sommeil de liberté, de justice et de paix, dans cette accueillante terre de France.

2. Une terre, un peuple - et je vous livre ma deuxième réflexion - qui a vécu la première grande révolution contemporaine pour la liberté de tous les êtres humains. Un peuple qui a écrit la " Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen " de 1789, qui aura bientôt deux siècles ; un peuple qui a inscrit sur ses drapeaux et dans ses textes, la devise " Liberté, égalité, fraternité ".

Tout au long de presque deux siècles, la France a su rester fidèles à ces valeurs et à ces principes fondamentaux, au-delà d'épisodes sanglants et de douloureuses expériences.

Et surtout, ce qui retient plus notre intérêt : un peuple qui a su consacrer dans son Droit public (constitutionnel et administratif) un système très complet de lois, de règlements et d'instructions qui ont un but : la protection des libertés des citoyens.

Il suffit de signaler ici le remarquable parcours du Conseil d'Etat. Ses arrêts ont servi de source et de base non seulement au Droit administratif français mais aux Droits administratifs de divers Pays, dont l'Espagne.

Nous pouvons dire sans exagération que la création du Médiateur en mil neuf cent soixante treize a parachevé l'édifice de l'Etat de Droit. Il lui a donné plus de souplesse et l'a rendu plus adapté aux demandes des citoyens. Il a, au-delà de la protection des droits civils et politiques, promu et encouragé aussi les réformes et l'amélioration des services publics. Tout ceci permettra, enfin, de satisfaire pleinement et réellement les droits économiques, sociaux et culturels. Des droits qui se trouvent désormais consacrés dans les constitutions de beaucoup de pays, dans les traités et conventions internationales, mais qui sont loin d'obtenir une protection efficace.

En somme, la tradition française de défense des libertés est vive et puissante. Cette réunion n'est qu'une preuve de plus, parmi d'autres.

3. Mais il y a dans cette réunion ce qu'on pourrait appeler une troisième dimension.

La présence ici - à côté des nombreuses personnalités du Gouvernement et de la société française - des Ombudsmans de presque toute l'Europe, donne à cette réunion un profond sens transnational.

Même si nous respectons sincèrement l'opinion et la pensée de ceux qui n'ont jamais reconnu la vraie portée de la mission de l'Ombudsman dans la société contemporaine, il faut réaffirmer, une fois de plus, que la naissance et le renforcement progressif de cette institution, n'est pas gratuit ni dû au hasard.

Aujourd'hui, le citoyen faisant partie d'un Etat démocratique - le seul où l'on puisse parler d'Ombudsman - tout en ayant ses droits reconnus dans les textes constitutionnels a besoin plus que jamais de l'appui et du soutien des pouvoirs publics pour pouvoir vraiment exercer ses droits.

C'est un fait inéluctable que le citoyen dépend de plus en plus des services publics. C'est donc normal que l'Ombudsman soit devenu une pièce importante dans tout le système de contrôle du pouvoir et de l'administration, avec le Parlement et les juges.

Nous avons accueilli votre aimable invitation,' Monsieur le Médiateur, et nous sommes ici, conscients de la gravité du moment historique que nous vivons. Une époque dans laquelle des milliers d'êtres humains subissent encore l'injustice et la violence, à la fin même du vingtième siècle.

La vieille devise révolutionnaire " Liberté, égalité, fraternité " reste encore l'enjeu de l'humanité. Aujourd'hui, quand nous risquons notre destruction ; au moment même où les avances scientifiques permettraient d'atteindre la réalisation de ces principes, de faire réalité la belle utopie humaniste de la paix universelle.

Malgré tout, rejetant tout fatalisme, ce qui nous rassemble ici c'est l'espoir dans ces trois principes. La libération de toutes les femmes et de tous les hommes, l'établissement de la justice - c'est à dire de l'égalité - dans chaque pays, et la solidarité entre tous les peuples.

Nous avons le sentiment que le vrai défi n'est pas seulement la liberté mais la continuité du genre humain. Une fois de plus nous devons rappeler l'affirmation d'un des esprits les plus nobles de l'Europe, Goethe : " Celui qui ne sait pas chaque jour conquérir la vie et la liberté, ne les mérite pas ".

Merci, monsieur le Médiateur, merci mesdames et messieurs. Je vous remercie car cette rencontre nous encourage à poursuivre notre engagement dans le combat pour la paix dans la justice, la seule paix vraie et durable.

Allocution de M. Pierre Mauroy

Premier Ministre.


Monsieur le Médiateur,


Mesdames, messieurs,



C'est avec plaisir que j'ai répondu à votre invitation. Je suis heureux en effet de pouvoir saluer, au nom du Gouvernement, aussi bien l'homme que l'Institution.

Vous avez évoqué l'action commune que nous avons menée dans le passé. Croyez que je ne l'ai pas oubliée et que je connais votre attachement aux valeurs de progrès et de justice qui inspirent notre action.

Votre fonction actuelle correspond d'ailleurs au combat qu'avec nous, vous n'avez cessé de livrer. Je veux parler du combat pour les droits des citoyens. Des droits qui ne doivent pas être simplement reconnus de manière formelle mais qui, chaque jour, doivent pouvoir être exercés de manière concrète.

Cette tâche, vous l'accomplissez, monsieur le Médiateur avec la mesure, le sens des réalités et la chaleur humaine qui vous caractérisent.

Permettez-moi aussi de saluer tous les Médiateurs rassemblés aujourd'hui et dont la présence témoigne du caractère stable d'une institution dont le besoin s'est fait sentir depuis tant d'années dans un si grand nombre de pays.

Au fur et à mesure que nos sociétés se développent, leur fonctionnement devient plus complexe et, se faisant, plus lourd. La part des administrations s'accroît à la fois pour valoriser les initiatives en les appuyant ou en les fédérant, mais aussi pour assurer la protection souhaitée par les citoyens dans tous les domaines.

Ce développement s'est accéléré au cours du XXème siècle et il n'est, bien sûr, pas allé sans inconvénient. Au premier rang je rangerai, évidemment, la bureaucratie, c'est-à-dire l'oubli progressif de la finalité de l'action au profit de la seule fonction. La logique profonde de toute bureaucratie consisterait en effet à tourner en circuit clos.

Cela dit, ce type de déviation n'est pas propre, vous le savez bien, aux administrations d'Etat. On les retrouve plus ou moins dans toutes les structures un peu lourdes, y compris dans les groupes industriels privés !

Il convient aussi de ne pas se laisser prendre au piège de l'imagerie d'Epinal ou de ce que j'appellerai la " tradition courtelinesque ". L'administration en général, et l'administration française en particulier, ne ressemble, fort heureusement pas à la caricature que nous avons tous quelque part en tête, du fait de nos souvenirs de lectures ou de théâtres. Elle ne se limite pas non plus aux excès, imperfections ou bavures que les Français entendent relater chaque matin sur pratiquement toutes les chaînes de radio !

Notre administration est consciencieuse et efficace. Et les rapports effectués depuis dix ans par les Médiateurs l'illustrent abondamment.

Et pourtant, il existe des imperfections.

Et pourtant nous ne devons pas laisser le citoyen sans moyen de recours face à ce qui deviendrait un arbitraire administratif.

Et pourtant nous devons prévoir des procédures qui permettent d'assurer un contrôle et une régulation complémentaires des mécanismes propres à l'administration elle-même.

Ainsi est né le Médiateur.

Vous avez rappelé l'historique de cette institution et décrit sa vocation. Je n'y reviendrai donc pas.

Vous avez surtout évoqué ses perspectives d'avenir.

Cet avenir, croyez que le Gouvernement est décidé à le favoriser. L'institution a fait ses preuves, elle doit poursuivre son action.

Je souhaite, à ce propos, que les rapports annuels du Médiateur soient, toujours plus, l'occasion non seulement d'un bilan de l'action menée, mais surtout de propositions de réformes ou d'adaptation.

Vous avez su utiliser efficacement la possibilité, offerte depuis 1976 au Médiateur, de préconiser des mesures d'adaptation des administrations, voire même la révision de certains textes.

Je ne peux que vous encourager à continuer d'explorer courageusement cette voie, en liaison avec le secrétaire d'Etat à la fonction publique, qui a également en charge les réformes administratives.

Et celà, bien sûr, dans le respect total des responsabilités de chacun, du Médiateur d'un côté et du Gouvernement de l'autre. Car votre indépendance est l'une des conditions de l'autorité morale que vous exercez.

Et, puisque vous avez évoqué le problème de la titularisation de vos collaborateurs, je me bornerai à vous poser une question : " ne craignez-vous pas qu'une telle intégration dans les services administratifs nuise à l'indépendance du Médiateur ? "

Je précise que vous seul êtes juge de la réponse et que le Gouvernement prendra les mesures nécessaires pour s'y adapter.

Le souci constant du Gouvernement d'améliorer les relations entre l'administration et les administrés s'est d'ailleurs traduit par plusieurs initiatives du secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique, M. Anicet Le Pors.

Une campagne gouvernementale s'engage contre la bureaucratie dans les administrations et pour l'amélioration des relations entre ces deux catégories de citoyens qui sont d'une part les fonctionnaires et d'autre part les usagers. Les premiers passant d'ailleurs souvent parmi les seconds, tout comme il est vrai qu'à un moment ou à un autre les automobilistes deviennent des piétons !

Il s'agit d'une initiative de caractère inédit, tant par les objectifs visés que par les formes d'action retenues et les moyens utilisés.

Cette campagne nationale doit aider à mettre en oeuvre les décisions des conseils des ministres des 3 février 1982 et 16 février 1983.

Sept actions prioritaires ont été, je vous le rappelle, retenues :

1. l'élaboration d'une charte des relations entre l'administration et les usagers. Et je sais que cette charte a été préparée en étroite concertation avec vous, monsieur le Médiateur. Le Gouvernement vous en remercie très sincèrement.

2. la seconde action consiste en une mise en oeuvre, dans l'administration, d'une politique cohérente d'utilisation des technologies nouvelles ;

3. la poursuite des huit opérations-pilote dites " Administration à Votre Service " lancées en 1982 dans les départements du Pas-de-Calais, de la Sarthe, de la Drôme et de l'Essonne ;

4. un programme de simplifications administratives

5. la déconcentration des services de l'Etat en liaison avec la mise en oeuvre de la politique de décentralisation ;

6. l'amélioration des instruments d'analyse et de contrôle de l'activité administrative ;

7. enfin, une synthèse des actions de réformes menées dans chaque ministère.

En prenant ainsi appui sur ce qui a été déjà réalisé et sur ce qui est cours, nous visons deux objectifs.

Avant tout, nous voulons nous adresser au grand public. Nous voulons mieux faire connaître l'action du Gouvernement tendant à l'amélioration des relations quotidiennes des Français et de leur administration.

En même temps, nous entendons conduire un effort concret afin de faire naître des comportements nouveaux parmi les usagers d'une part, parmi les personnels de l'administration d'autre part. Il faut qu'ils dialoguent et qu'ils deviennent ainsi, les uns et les autres, les artisans quotidiens des changements à apporter dans le fonctionnement des différents services publics.

Pour atteindre ces objectifs, trois types d'actions ont été retenues.

D'abord un dispositif juridique permettant de fonder, sur des bases plus claires et donc mieux assurées, les relations entre l'administration et les usagers. Il s'agit d'un décret, actuellement au conseil d'Etat et dont le conseil des ministres sera saisi bientôt.

Cette " Charte des relations administrations-usagers " constituera, en quelque sorte, un " code de bonne conduite " entre l'administration et les usagers.

Ce texte traitera notamment de l'information des usagers, des accusés de réception des demandes, de la réorientation des demandes mai dirigées, des audiences qui devront être accordées aux intéressés, des modalités de l'assistance ou de la représentation dont ils pourront bénéficier, des notifications des décisions, des délais de recours administratifs et contentieux, des retraits, de l'abrogation ou de la régularisation des actes administratifs illégaux.

Le second type d'actions consiste en une série de mesures de simplifications administratives et de rapprochement de l'administration et des usagers. Ces évolutions sont conduites dans le cadre de l'extension des opérations-pilote " Administration à Votre Service " (A.V.S.)

Il s'agit d'un système d'information et de conseil amélioré sur les démarches administratives. Il s'agit également de développer des comités de liaison administration-usagers.

Cette expérience tient compte à la fois d'autres expériences qui sont déjà menées dans divers secteurs au titre de l'amélioration des relations administration-usagers, des applications informatiques et des changements que doit entraîner la décentralisation.

Dans ces départements comme ailleurs, l'administration est devenue complexe dans son fonctionnement et si ramifiée dans ses structures qu'une minorité de gens. parviennent à en maîtriser le " mode d'emploi ".

Où aller ? A qui s'adresser ? Comment s'y prendre ? Telles sont les questions élémentaires qu'un nombre croissant d'usagers se posent et auxquelles ils souhaitent être aidés à répondre.

Les centres A.V.S. ont répondu à ces questions, ont prodigué conseil, information, orientations et parfois assistance.

L'opération A.V.S. incite à concevoir des documents avec une optique nouvelle. Cette confrontation a été positive dans la mesure, d'abord, où elle a obligé les agents publics à adopter, autant que faire se peut, le point de vue du publie. Ils ont donc été amenés à dégager des solutions qui concilient la réalité complexe des procédures ou des textes administratifs avec le besoin de clarté et d'information des usagers.

C'est ainsi que des fiches thématiques sur support papier ou informatique ont été élaborées dans la Sarthe, la Drôme et le Pas-de-Calais, avec, dans ce dernier cas, recours à un comité de lecture ouverts aux usagers,

Il me semble d'ailleurs évident que l'outil télématique va permettre d'améliorer profondément les relations entre l'administration et les usagers. Déjà, des expériences significatives ont été engagées. Je citerai, par exemple, la banque de donnée Claire produite à l'initiative de la ville de Grenoble avec l'aide de l'Etat.

Des obstacles institutionnels et des lenteurs administratives demeurent qu'il convient de voir disparaître. Il serait souhaitable à terme, que les centres A.V.S. deviennent des producteurs de " pages locales " d'une banque de données nationale.

Il ne suffit cependant pas que l'administration s'organise pour bien informer les usagers. Il importe aussi qu'elle assure sa propre information sur les besoins, les attentes, les réactions du public et fasse son profit de ses critiques et de ses suggestions.

Dans la Drôme et dans le Pas-de-Calais, par exemple, des comités locaux sont devenus le lieu privilégié de contacts et d'échanges avec les élus, les représentants d'associations, de syndicats de fonctionnaires et de salariés du secteur Privé, d'organisations professionnelles, agricoles et industrielles. Ces comités locaux par leur composition et la variété des interventions qui y sont faites peuvent déboucher sur des décisions concrètes.

Il se crée ainsi, à l'échelon de ces expériences, cette " nouvelle citoyenneté " que je ne cesse d'appeler de mes voeux. La " nouvelle citoyenneté " n'est-ce pas, en effet, d'abord inclure le citoyen, par l'intermédiaire de ses représentants les Plus proches, dans le processus de décision administrative ?

Les expériences locales A.V.S., conduites depuis la fin de l'année 1982, permettent donc, et c'est peut-être l'essentiel, de rapprocher l'administration des citoyens.

Au vu du bilan, nous envisageons d'étendre le champ de ces expériences.

Enfin, notre troisième volet repose sur une initiative, au plan national, d'information et de concertation sur les relations entre l'administration, les fonctionnaires et les citoyens. Il s'agira, en particulier, de favoriser des initiatives diverses dans l'ensemble du pays, au cours d'une " semaine nationale ", fin novembre. Nous voulons permettre, dans le plus grand nombre possible d'établissements administratifs, la discussion entre les fonctionnaires et les usagers sous des formes décidées localement. Il pourra s'agir de l'organisation de journées " portes ouvertes ", de " réunions-débats ", de questionnaires spécifiques aux différents établissements permettant d'analyser la situation et sollicitant des suggestions.

Vous le voyez, nous sommes décidés à mobiliser les énergies pour lutter contre les routines et favoriser ce dialogue essentiel qui doit toujours exister entre les administrés et l'administration.

En effet, s'il est vrai que les citoyens ont des devoirs à l'égard de la nation et de la République, ils ont aussi, et surtout, des droits vis-à-vis de l'administration.

Le premier de ces droits, c'est le droit au service public. C'est la possibilité ouverte à chacun de recourir en toute confiance à des services collectifs efficaces.

Ce droit, nous l'avons restauré. Depuis mai 1981, un nouvel élan a été donné aux services publics, souvent dangereusement négligés depuis de nombreuses années, dans des domaines particulièrement importants de la vie quotidienne des Françaises et des Français. Je pense en particulier à la santé et à l'éducation. Pour ce faire, nous avons dégagé les moyens financiers nécessaires, nous avons créé des emplois. Nous avons engagé le service publie sur la voie de la modernisation et de la décentralisation.

Le second de ces droits des citoyens, c'est le droit de comprendre. Les formalités administratives sont, bien souvent, encore trop compliquées. Il faut changer tout cela. Dans ses rapports avec l'administration, le citoyen ne doit plus avoir l'impression d'entrer dans un labyrinthe ou d'avoir à se frayer un chemin dans une jungle épaisse. Deux programmes de simplification des procédures administratives ont été mis en oeuvre, l'un en 1982, l'autre cette année. Les formulaires de la sécurité sociale ont été revus et corrigés : ils sont plus clairs et moins compliqués. L'accueil et l'information des assurés sociaux ont été améliorés.

Le troisième droit, c'est celui à l'information, On connaît la vieille règle du droit français. " Nul n'est censé ignorer la loi ". Fort bien. Encore faut-il qu'on puisse connaître et comprendre la loi.

C'est dans cet esprit que j'ai demandé à mon service d'information et de diffusion d'élaborer des guides pratiques qui permettent à différentes catégories de Français, confrontés à des problèmes similaires, de trouver des réponses appropriées aux questions qu'ils se posent. De trouver des réponses, et de les comprendre : l'administration doit en finir avec la " langue de bois " qui rend parfois son message totalement incompréhensible au commun des mortels.

Après le guide des droits et démarches des citoyens, après le guide des jeunes, est ainsi publié un guide de la retraite que je présenterai officiellement demain, en compagnie du secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

Vous le voyez, mesdames et messieurs, le Gouvernement n'aborde pas le problème des réformes administratives sous un angle technique. Il entend, par cette action, approfondir la démocratie dans notre pays.

Il est d'ailleurs significatif que l'institution du médiateur soit née dans un pays de vieille démocratie comme la Suède. Il est également significatif qu'elle se soit développée dans les démocraties.

Votre rôle, monsieur le Médiateur, entre l'Etat et les citoyens, entre le collectif et l'individu, est donc essentiel. Depuis dix ans, vous-même et vos prédécesseurs, avez contribué à faire mieux fonctionner notre société.

Tout Gouvernement ne peut donc que se réjouir de votre action et contribuer à la rendre toujours plus efficace.

Croyez que tel est bien notre état d'esprit.

Monsieur le Médiateur, mesdames, messieurs, je vous remercie.

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