Année 1983


QUELQUES DOSSIERS SIGNIFICATIFS




La sécheresse des rapports d'activité masque un peu le caractère parfois douloureux des cas soumis au Médiateur. Voici, dans leur émouvante simplicité, deux de ces cas :

Domestique agricole pendant sept ans :
plus de traces des cotisations d'assurances sociales.
(dossier n° 82.1397)



Le 17 mai 1983, le Médiateur recevait la lettre suivante, dont seule l'orthographe a été rectifiée afin de ne pas altérer l'authenticité du document :

Monsieur le Médiateur,

Je m'excuse tout d'abord de ma lettre, mais je ne sais plus que faire. On me renvoie de bureaux en bureaux et sans résultat. Je suis née le ... 1916, de père et de mère inconnus. J'ai été abandonnée à ma naissance à l'Assistance publique. J'ai été placée en nourrice dans la commune de... jusqu'à l'âge de 13 ans. A 13 ans. J'ai été placée dans diverses fermes pour travailler la terre. Je garde un mauvais souvenir des travaux pénibles. J'ai été à la charge de l'Assistance publique jusqu'à 21 ans. C'étaient des contrats de travail qui étaient établis entre l'Assistance publique et les employeurs.

Le 27 mai 1981, j'ai établi un dossier pour ma retraite vieillesse, vu que j'avais atteint l'âge de 65 ans. J'ai été surprise de recevoir 100 F par mois. Vraiment déçue de cette pension versée par la Caisse vieillesse agricole.

M'étant rendue à la Caisse mutuelle de retraite agricole en septembre 1981, on m'a dit qu'on ne trouvait que 8 trimestres de paiement. Ils m'ont envoyée pour réclamer à la Caisse départementale des affaires sociales. Cette caisse m'a envoyée à la Caisse régionale d'assurance maladie. Ils me disent : voyez avec la direction départementale des affaires sociales qui remplace l'Assistance publique, car cette dernière, me dit-on, ne trouve plus les contrats signés par les employeurs. Enfin, depuis un an, on me renvoie de bureaux en bureaux et ils ne veulent rien savoir.

Avec mon mari on touche une petite retraite, juste de quoi vivre. En hiver, c'est dur avec le chauffage. Monsieur le Médiateur, auriez-vous la gentillesse [de déterminer] qui doit prendre en charge et qui doit payer de 1929 à 1936, vu que [j'ai bien été] affiliée à la Caisse agricole sous le n° ... Vous trouverez ci-joint les attestations (photocopies).

En vous remerciant, je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Médiateur, mes sentiments les plus respectueux.

L'enquête menée par le Médiateur a permis d'établir la genèse de l'affaire. La requérante avait bien été placée comme domestique agricole de 1929 à 1936, c'est-à-dire de l'âge de 13 ans à l'âge de 20 ans, chez trois agriculteurs différents. Mais les archives de l'Assistance publique ne permettaient plus de retrouver que les deux derniers contrats de placement. Toutefois, les comptes rendus des visites d'inspection mentionnées sur la fiche de la pupille devaient permettre d'établir une attestation confirmant la totalité de la période contestée.

Cela devait suffire pour que la Caisse centrale de mutualité sociale agricole qui, de son côté, n'avait pas retrouvé trace des cotisations d'assurances sociales versées de 1929 à 1936 par les employeurs (par l'intermédiaire de l'Assistance Publique), accepte, dans le cadre des dispositions prévoyant la validation par présomption, de prendre en compte la période litigieuse. Il en est résulté le relèvement (avec rappel à la date de cessation d'activité) de la retraite principale et de la retraite complémentaire.

Il est à peu près certain qu'en l'absence de l'Institution du Médiateur la requérante n'aurait pu surmonter le double handicap de la carence totale des archives des assurances sociales et partielle de celles de l'Assistance publique.

Cette affaire illustre une fois de plus l'intérêt qu'il y aurait, pour l'avenir, à instituer un livret de carrière qui présenterait la description complète de la vie professionnelle de tout salarié, de telle façon qu'arrivé à l'âge de la retraite, celui-ci n'éprouve aucune difficulté à faire reconnaître ses droits.

Cette formule a fait l'objet en 1982 d'une proposition de réforme de la part du Médiateur. Une expérience conduite par l'Inspection générale des Affaires sociales devrait être tentée pendant le deuxième semestre 1984 dans une région et un secteur où la mobilité des actifs est particulièrement importante.

Du malheur de décéder sur la voie publique
(dossier n° 83.0695)



Autre affaire navrante dans laquelle la requérante qualifie de laxisme (comprendre indifférence administrative) le comportement évidemment blasé (mais cela ne peut-il être corrigé par le tact et la bonne volonté ?) des agents des services publics auxquels les parents des décédés doivent s'adresser :

Monsieur le Médiateur,

Le décès de mon père survenu le 26 janvier 1983 à 16 h. sur la voie publique à Paris, VIIIe, rue P., me conduit à vous faire part des tracasseries administratives que soulève ce genre de problèmes.

Ma mère (74 ans) a été prévenue par un coup de téléphone venant du commissariat. Un inspecteur, gentil au bout du fil, mais imprévoyant de la réaction de ma mère, a dépêché ensuite trois agents de police pour lui porter secours en cas de malaise ! Si cela avait été le cas, pourriez-vous m'expliquer comment ils seraient entrés ?

Ma mère prévenue à 17 h, il ne nous a pas été possible de voir mon père aussitôt à la morgue pour des raisons d'horaires. Nous n'avons pu le voir que le lendemain derrière une vitre. Quand un être cher s'en va, la moindre des choses est l'envie de l'embrasser une dernière fois tout de suite. Mais ceci n'est pas possible puisque les établissements ont des horaires stricts qui n'ont rien à voir avec quelque besoin humanitaire. Une permanence pour recevoir les familles ne pourrait-elle exister ? Est-ce trop demander ?

Mourir sur la voie publique entraîne pour la famille toutes sortes de démarches longues et pénibles. D'abord la déclaration au commissariat. Ensuite à la morgue où les employés ne sont pas toujours au courant de la marche à suivre pour les démarches à faire et donnent des renseignements erronés, qui font des déplacements inutiles de mairies en mairies. Désirant les services des pompes funèbres municipales, la morgue nous envoie à la mairie du XXe où l'on S'entend dire que nous dépendons du VIIIe, mairie du décès. Seulement au VIIIe c'est d'accord pour les certificats de décès, mais il n'y a pas de pompes funèbres et il faut aller au Xe Comme vous le voyez c'est simple !

Mon père est décédé de mort naturelle, ceci a été constaté par le médecin du S.A.M.U. qui l'envoyait à l'Institut médico-légal après sa chute. Seulement comme il faut le passage du médecin légiste avant de continuer toutes les paperasseries, et que ce monsieur n'est passé que le surlendemain, ce n'est que le vendredi soir que nous obtenions les papiers du parquet, et parce que nous nous sommes dérangés au parquet même afin de les porter à la morgue pour obtenir le permis d'inhumer. Si nous n'avions pas agi ainsi, cela demandait trois ou quatre jours de plus.

Tout ceci vous paraît peut-être normal; à moi pas. Pour quelqu'un, mort de façon naturelle évidente, il serait temps de simplifier les choses et de consacrer cette énergie gaspillée à d'autres faits plus importants.

Voilà, si ces quelques lignes peuvent servir à faire réfléchir les responsables de tous les services concernés pour des cas semblables et combien pénibles, j'en serais ravie. J'ai pu constater dans les services publics un laxisme de la part des employés, pénible à supporter dans de pareilles situations. Imaginez ma mère seule à se débrouiller dans de tels embarras, en plus du chagrin. Tout le monde parle des personnes du 30 âge, mais que fait-on dans ce genre de situations pour leur faciliter la vie ? Toutes les démarches nécessaires ne pourraient-elles être regroupées en un seul endroit ? Ne pourrait-on pas simplifier les choses quand il s'agit de mort naturelle ? Il y a bien sujet à réflexion pour humaniser ces situations pénibles.

Dans l'attente de votre réponse, je vous prie d'agréer, ... etc.

Cette requête à laquelle il convient de rendre un hommage spécial, car il s'agit cas très rare - d'une requête dans l'intérêt général, a provoqué une intervention du Médiateur auprès du Ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation. La réponse fournie à montré la complexité du problème soulevé. En particulier le fait que, sinon toutes, du moins beaucoup d'améliorations de la qualité des services fournis au publie par les administrations ont un coût. Si l'on veut que l'Institut médico-légal reste ouvert 24 heures sur 24, il s'ensuivra inéluctablement un accroissement important des dépenses de personnel. Aussi souhaitable que puisse être l'humanisation de la réglementation funéraire, elle soulève, comme, par exemple, l'humanisation des hôpitaux, un problème financier qu'on ne peut pas négliger.

Toutefois, il est hors de doute que l'étude de la filière suivie obligatoirement par les parents des décédés devrait permettre de supprimer ou, tout au moins, d'atténuer les anomalies les plus choquantes. Aussi, est-ce avec satisfaction que le Médiateur a enregistré dans la réponse du Ministre la phrase suivante : " Cela étant, je reconnais combien une telle procédure peut paraître contraignante pour les familles et je vous confirme que j'envisage un certain nombre d'assouplissements dans le domaine de la réglementation funéraire ".

Un cas de requête frauduleuse
(dossier n° 83.3599)



L'un des rôles du Médiateur, peut-être son rôle essentiel, est d'humaniser le système administratif. Il doit donc examiner les requêtes qui lui sont soumises en portant une attention particulière à leur aspect humain. Mais cette attention particulière ne doit pas signifier aveuglement. Il se présente - et c'est naturel - des requêtes où le réclamant soutient de bonne foi une thèse qui n'est défendable ni en droit ni en équité. Mais il arrive aussi, heureusement fort rarement, que le requérant, comme dans le cas exposé ci-après, est d'une mauvaise foi insigne. D'où la nécessité pour le Médiateur de ne pas céder au premier mouvement de compassion que pourrait lui inspirer une requête habilement présentée. il doit vérifier les assertions du requérant et solliciter le point de vue de l'administration incriminée. Ce n'est qu'ensuite qu'il peut se former un jugement qui ne sera pas forcément défavorable au service public.

En mai 1983, le Médiateur recevait une requête formulée par M. X... qui se plaignait d'avoir été informé, par lettre recommandée, qu'il ne recevrait plus les allocations de chômage. Or, disait-il, il avait créé (un mois après la date de cessation de versement des allocations) une société coopérative ouvrière de production. La décision de l'Administration avait pour conséquence que cette société ne pourrait plus prétendre à la prime d'aide à la création d'entreprise par les demandeurs d'emploi et à l'exonération des charges sociales pendant six mois.

J'occupe dans cette société, disait M. X... (sans préciser la nature de la fabrication) le poste de directeur de la production. Et il se déclarait surpris que le fait de créer une entreprise n'ait pas été pris en considération comme élément positif de son dossier.

M. X... estimait en somme que la décision de le rayer de la liste des demandeurs d'emploi était un de ces cas où une administration (en l'occurrence la direction départementale du Travail et de l'Emploi) n'ayant pas fonctionné conformément à sa mission de service public, le recours au Médiateur était justifié.

Tout cela pouvait, à première vue, paraître vraisemblable mais la direction départementale incriminée, à laquelle le Médiateur avait demandé des explications, répondait par une lettre qui éclairait l'affaire d'un tout autre jour. Cette réponse, il convient de la citer, car elle démonte un mécanisme de fraude fort onéreux Pour les finances publiques :

" En réponse à votre intervention j'ai l'honneur de vous faire connaître que M. X.. a été effectivement exclu, sur ma décision, du bénéfice des allocations d'assurance-chômage.

Il s'agit d'un spécialiste de l'abus de ce type d'assistance.

Ancien liquidateur principal de l'A.S.S.E.D.I.C. de …. dont il a été " démissionné " pour avoir fait bénéficier certaines de ses relations personnelles d'allocations indues, il connaît parfaitement les modalités de fonctionnement de l'assistance chômage.

Il effectuait régulièrement des périodes minimales d'activité d'une durée suffisante toutefois pour ouvrir droit aux allocations qu'il percevait le plus longtemps possible.

Une autre de ses spécialités consiste à postuler pour des emplois hautement salariés pour lesquels il n'a aucune qualification réelle (directeur artistique, enseignant, etc.) en produisant de fausses références. Immanquablement licencié au cours du mois d'essai, il acquiert ainsi un nouveau droit aux allocations sur la base d'une rémunération importante.

De plus M. X... a formé à son école deux autres personnes dont sa concubine,

Les éléments ci-après permettent de juger de la rentabilité du système pratiqué par ces faux chômeurs.

M. X... a reçu en allocations 134 057 F pour 25 jours d'activité professionnelle d'avril à mai 1980 à la société N... à ..., puis une période de maladie du 5 août 1981 au 7 mai 1982, puis une période d'essai en qualité de directeur artistique à ... pendant 11 jours.

Mlle Y..., sa compagne, a travaillé sept mois pendant la période du 7 octobre 1977 au 28 août 1982, en percevant 89 231 F d'allocations de chômage et 34 748 F d'aide à la création d'entreprise, soit 123 979 F au total.

M. Z..., son comparse, a travaillé seulement 8 mois et 20 jours du 17 octobre 1977 au 16 février, 1983, période pour laquelle ses allocations de chômage se sont élevées à 119 945 F.

Après avoir quitté la région de ... où il commençait à être trop connu, M. X... s'est installé dans le département de ... où il a tenté de rééditer ses errements antérieurs, toujours avec l'assistance de ses amis.

C'est ainsi que son dossier d'allocataire A.S.S.E.D.LC. est parvenu à la connaissance de nos services de contrôle qui ont établi la réalité de son pseudo-système de recherche d'emploi et la fausseté de ses prétendues références.

En remontant la filière de ses activités jusqu'à l'origine de son chômage, notre service de contrôle a pu avoir connaissance du passé de M. X...

J'estime dans ces conditions que la décision de radiation des allocations de chômage que j'ai prise à son encontre est amplement justifiée,

J'ajoute que l'A.S.S.E.D.I.C. de ... vient de demander à M. le procureur de la République de ... l'ouverture d'une information à l'encontre de M. X.. et de ses complices.

C'est avec trois de ceux-ci qu'il a tenté une variante à ses activités lucratives en créant une société coopérative de production. Celle-ci aurait dû lui permettre, si elle n'avait été suspendue pour complément d'information, de s'octroyer, vraisemblablement, en contre partie d'une activité fictive, outre la prime d'aide à la création d'entreprise, le bénéfice, pour lui-même et ses associés, de salaires d'un niveau suffisant pour lui assurer une indemnisation ultérieure importante par l'A.S.S.E.D.I.C. en cas d'échec.

La cause était entendue et l'affaire, pour ce qui concerne le Médiateur en est restée là.

Un administré " difficile ":
son terrain était à cheval sur deux communes.

(dossier n° 83.1451)



Lorsqu'un cas soumis à l'Administration est tout à fait clair, c'est-à-dire lorsqu'il correspond parfaitement à un cas répertorié pour lequel la solution figure sur la liste des solutions homologuées eu, mieux encore, confirmées par une longue pratique, il est rarissime que l'administré n'obtienne pas normalement (dans des délais plus ou moins courts) satisfaction. Mais si, par malchance pour l'administré, son affaire n'entre pas exactement dans l'alvéole d'un modèle opératoire, la tentation de l'Administration est de la rejeter pour cause de non-conformité. Ce rejet peut être parfaitement justifié. Mais il peut aussi être injustifié parce qu'interprétant la réglementation, soit d'une façon si littérale qu'elle en devient absurde au regard de la logique juridique elle-même, soit d'une façon si brutale qu'elle en devient choquante au regard de l'équité.

L'Administration ne doit pas fonctionner comme une trieuse de cartes perforées. Elle doit avoir, sans aucun doute, le respect des cadres juridiques qui lui ont été fixés. Mais elle doit avoir aussi l'intelligence des cas. Cela demande un certain esprit d'initiative, la perception de la marge (souvent très étroite) qui Peut être dégagée entre l'application mécanique et l'application nuancée de la réglementation, enfin la conscience que l'exception, si elle est justifiée et si elle reste l'exception, ne ruine pas la règle mais au contraire la conforte en lui évitant de tomber dans le ridicule ou l'odieux.

M. B... possédait (voir le plan ci-dessous) un terrain de 1 880 m2 situé, pour partie (l 160 m2), sur le territoire de la commune de L... et, pour partie (720 m2), sur le territoire de la commune de T...

Le C.O.S (coefficient d'occupation des sols) était :

- de 0,10 pour la commune de L..., Soit 116 m2 constructibles sur la partie " L " du terrain (dont 60 ml déjà construits correspondant à la maison habitée par M. B ... ) . 1

- de 0,30 pour la commune de T.... soit 216 m2 constructibles sur la partie " T " du terrain.

En 1980, M. B... projetait de céder sa maison et une portion de son terrain (651 m2 : polygone B.C.D.E.F.O. sur le plan) et, sur la portion restante (l 229 m2), de construire, pour y habiter, une autre maison.

L'implantation de cette maison, conditionnée par différentes contraintes, faisait qu'elle se trouvait, elle aussi, à cheval sur les deux communes : 79 m2 sur la commune de L…&², 17 m2 sur celle de T...

Le C.O.S du terrain de M. B... considéré dans sa totalité deviendrait alors

60+79+17 = 0,08

1880

très inférieur au C.O.S autorisé sur la commune de T... (0,30) et inférieur encore à celui autorisé sur la commune de L.. (0,10).

Mais le C.O.S de la partie " L " du terrain deviendrait alors de :

60+79 = 0,12

1160

excédant, par conséquent, le C.O.S autorisé (0,10).

Le permis de construire fut donc refusé.

M. G... avait entendu parler d'un projet de révision du plan d'occupation des. sois de la commune de L... et d'une possibilité que le C.O.S soit, à cette occasion, relevé. Mais rien de tel ne se produisit. Si bien qu'en désespoir de cause il soumit une requête au Médiateur.

Celui-ci intervenait auprès du Ministre de l'Urbanisme et du Logement et provoquait la solution qui semblait répertoriée dans les archives du ministère mais non dans celle de la direction départementale dans un cas de ce genre la surface autorisée sur l'ensemble de l'unité foncière est la somme des surfaces autorisées sur chaque partie (soit, en l'espèce, 116 + 216 = 332 m2, supérieure donc au total des deux constructions). Bien plus, la localisation de cette surface autorisée peut se situer à n'importe quel endroit du terrain bicommunal.

Si cette solution avait été connue de la direction départementale, trois années de tracas auraient été évitées à M. B...

Droits de succession sur un héritage fantôme
(dossier n° 83.0268)



En novembre 1978 décédait dans la région parisienne M. R... dont le seul héritier, par testament, était un neveu, M. M.... exploitant agricole dans un département de l'Est.

Le testament n'était pas du goût de Mme H..., nièce du défunt qui résidait comme lui dans la région parisienne et qui, deux mois avant le décès, avait tenté d'obtenir une Procuration en vue de s'approprier 94 000 F déposés par M. R... sur ses livrets de caisse d'épargne. Mais comme la procuration était irrégulière, la somme ne peut être retirée et resta acquise à la succession.

Mme H... ne pouvait s'en tenir là. Après le décès de M. R... elle se livrait à un nouvel abus de confiance, cette fois auprès de M. M... Sous prétexte de lui faciliter certaines démarches, elle obtenait de lui une procuration, malheureusement en bonne et due forme, grâce à laquelle elle pût s'approprier les fonds convoités. M. M... avait été victime de sa trop grande confiance et Mme H.... mandataire infidèle, refusa toute restitution.

La victime dût engager une instance devant les tribunaux qui condamnèrent Mme H... à six mois de prison avec sursis et à 100 000 F de dommages-intérêts à verser à M. M... Mais Mme H... avait entre temps organisé son insolvabilité en dissimulant les fonds et en vendant l'ensemble de ses biens immobiliers.

C'est alors que le centre des impôts du domicile du défunt réclama à M. M... une somme de 53 850 F correspondant aux frais de succession, d'une succession qui s'était volatilisée.

M. M... crut pouvoir sortir de cette mauvaise passe en faisant, devant le tribunal, acte de renonciation pure et simple à la succession de son oncle.

Le centre des impôts n'accepta pas cette solution, objectant qu'une renonciation n'est opposable à l'Administration que lorsqu'elle n'a pas été précédée d'une acceptation par l'héritier renonçant. Or, la procuration signée par M. M... au profit de Mme H... équivalait à une acceptation de la succession. Ayant signé cette procuration, M. M... se trouvait, par là-même, être le seul ayant-droit de M. R... et, en conséquence, soumis à taxation d'office.

Autrement dit, la soustraction frauduleuse opérée par Mme H.... grâce à la Procuration accordée par M. M... était opérée sur un bien qui, du fait même de cette Procuration, avait été transmis juridiquement à ce même M. M... Celui-ci étant sans doute victime, mais il n'en était pas moins taxable.

Cette position, irréfutable sur le plan du droit, était inconcevable sur le plan de l'équité et bouffonne au regard du simple bon sens. L'intervention du Médiateur auprès du Secrétaire d'Etat chargé du Budget devait permettre d'obtenir une solution exceptionnelle de tempérament et l'abandon des poursuites engagées contre M. M...

Taxe sur les propriétés bâties
et taxe d'habitation sur une maison n'ayant jamais existé.

(dossier n° 83.5450)



La mésaventure qui est arrivée à M. N... aurait sûrement inspiré un de nos grands humoristes de la lignée d'Alphonse Allais.

En avril 1976, M. N... habitant Paris, acquiert dans un lointain département, sur le territoire de la commune de V.... un terrain sur lequel il s'engage à construire un immeuble dans le délai de quatre ans, cet engagement le dispensant de verser les droits d'enregistrement.

Des difficultés familiales ne lui permettront pas de réaliser cette construction. Il s'acquittera donc, quatre plus tard, des droits non versés initialement, sans, du reste, contester leur exigibilité.

Mais, ce que, malgré toute sa bonne volonté de citoyen respectueux des lois et d'honnête contribuable, il ne peut admettre c'est qu'en 1980 l'Administration, en référence à cette maison non réalisée, exige le versement de la taxe foncière sur les propriétés bâties (704 F) et de la taxe d'habitation (1 308 F). Cette dernière a été calculée sur la base d'une valeur locative brute évaluée (comment ?) à 8900F.

M. N... proteste donc. Il ne reçoit pour toute réponse qu'une lettre de rappel indiquant que son retard à verser lesdites taxes lui vaudra une majoration de 10%.

Comme une fiction qui se perpétue finit par acquérir une sorte de réalité et comme le fait d'exiger des taxes aussi exactement déterminées finit par constituer une sorte de preuve de l'existence de la matière imposable, l'Administration, imperturbable, sourde aux réclamations, exige à nouveau en 1981 taxe foncière (relevée à 886 F) et taxe d'habitation (relevée à 1 543 F).

Nouvelle protestation de M. N.... toujours sans effet puisqu'en 1982 le fisc exige à nouveau ces mêmes taxes (relevées à 974 F et 1 783 F).

M. N... proteste encore, toujours en vain et sans même obtenir de réponse. En juillet 1983, il reçoit l'avis d'avoir à régler la taxe foncière (relevée à 1 112 F, soit une augmentation de 58 % en trois ans). De guerre lasse, il saisit alors le Médiateur qui soumet la question au directeur départemental des services fiscaux.

Celui-ci, après enquête, reconnaît que la réclamation de M. N... est entièrement fondée et prononce la décharge des impositions.

Il impute l'erreur tenace du centre des impôts à l'inexactitude des renseignements fournis à l'Administration par la commission communale lors du recensement annuel opéré en vue de l'établissement de l'assiette des impôts locaux. Par ailleurs il précise qu'en raison du retard pris par les services dans le traitement du contentieux, la réclamation de l'intéressé n'a pu être instruite dans les délais normaux. Admettons ; mais en l'espèce, le contentieux était des plus simples puisqu'il s'agissait seulement de vérifier la non-existence de la maison.

Le cas de M. N... s'est donc réglé. On peut douter cependant qu'ait été rompu en même temps dans ce département le cycle infernal erreurs - réclamations - contentieux surchargé- redoublement des erreurs, etc. Le Médiateur espère que l'Administration s'y emploie.

Le contribuable avait laissé passer les délais
il était en cure de sommeil

(dossier n° 81.4074)



Le 30 septembre 1975, M. H.... agriculteur, miné par la maladie, cédait son exploitation. L'exercice comptable 1974-1975 était donc clos à cette date et l'imposition sur les résultats était mise en recouvrement le 30 avril 1976. M. H... décédait le 24 juillet 1976. Mme H.... très affectée, mal informée de la gestion passée de l'exploitation et se débattant dans les difficultés de la succession sombrait dans une grave dépression qui devait durer plusieurs mois. Elle devait même subir une cure de sommeil.

C'est pendant cette période très difficile pour Mme H... qu'était publié le décret NO 76.903 du 29 septembre 1976 apportant des modifications au régime des bénéfices agricoles. Les exploitants se voyaient offrir la possibilité de renoncer au régime du forfait et de passer au régime du bénéfice réel. Une des dispositions du décret était qu'en cas de cession ou de cessation d'exploitation, les améliorations du fonds résultant des pratiques culturales venaient en déduction de la plus-value éventuellement réalisée par l'exploitant sur les éléments cédés.

L'intérêt de Mme H... eût été d'opter (pour le passé) pour le régime du bénéfice réel. Mais la date limite de l'option avait été fixée par le décret au le, décembre 1976. Or, à la fin de l'année 1976, l'état de santé physique et psychique de Mme H... la rendait tout à fait incapable de s'informer de l'évolution de la législation, d'opter pour le régime du bénéfice réel et de faire connaître ce choix à l'Administration.

En 1979, bien tardivement, Mme H... dont l'état de santé s'est amélioré et qui a pu réexaminer en toute connaissance de cause son passé fiscal, demande au directeur des services fiscaux de son département la révision des impositions mises à sa charge. Elle souligne le préjudice qu'elle a subi, non du fait de sa négligence mais du fait de son incapacité temporaire, et elle demande que l'Administration admette qu'elle puisse bénéficier, par une option hors délai, des dispositions du décret du 29 septembre 1976.

Le 12 niai 1980, il lui est notifié que sa réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet. Mme H... laisse malencontreusement passer le délai de 2 mois qui lui aurait permis de contester cette décision devant le tribunal administratif. Il ne lui reste plus comme dernier recours que la saisine du Médiateur. Ce qu'elle fait le 24 avril 1981.

Le directeur départemental des services fiscaux à qui des éclaircissements sont demandés répond que la requête de Mme H... est irrecevable et explique :

- que la demande visant l'impôt sur le revenu 1975 mis en recouvrement en 1976 a été présentée après l'expiration du délai légal de réclamation.

- que l'option expresse proposée par le décret de 1976 n'a pas été exercée dans le délai légal.

- que, s'agissant d'une question de droit, il n'était pas possible de donner satisfaction à la requérante dans le cadre de la juridiction gracieuse.

- qu'enfin l'examen de la situation financière de Mme H... n'avait pas révélé qu'elle se trouvait dans une situation de gêne pouvant justifier une remise d'impôt.

En droit, la position prise par le directeur des services financiers était incontestable. Mais elle n'était pas satisfaisante en équité. C'est ce que le Médiateur faisait valoir en plaidant la cause de Mme H... auprès du Ministre délégué chargé du Budget. Il était assez heureux pour obtenir de celui-ci une mesure de conciliation et, qu'à titre tout à fait exceptionnel, ne soit pas opposé à Mme H... la forclusion de son option.

Vente d'un terrain à un syndicat intercommunal le vendeur est défavorisé pour avoir accepté une cession à l'amiable plutôt que d'attendre d'être contraint à vendre par une procédure d'expropriation. (dossier n° 80.4986)

En 1976, le ministère de la Jeunesse et des Sports, lance une opération " Mille piscines " destinée à stimuler par des subventions la création rapide, sur l'ensemble du territoire, d'établissements sportifs et de loisirs de cette catégorie.

Le syndical intercommunal de D.... désireux de bénéficier de ces dispositions se propose d'acquérir pour y construire une piscine un terrain de pâtures de 7 900 m2 appartenant à Mme R... Celle-ci n'est pas désireuse de vendre. Mais devant l'insistance du syndicat et, plus particulièrement, du maire de D..., elle finit par accepter de signer, le 12 mars 1977, une promesse de vente. Le maire de D... a fait valoir, au nom de l'intérêt général des habitants du canton, que la cession était urgente puisque l'opération " Mille piscines " touchait sa fin. Et, en effet, le syndicat intercommunal de D... sera le réalisateur de la millième et dernière piscine subventionnée. Un refus de vente aurait contraint le syndicat à recourir à la procédure d'expropriation, longue normalement de plusieurs mois, et aurait donc exclu la collectivité intercommunale du bénéfice de la subvention.

La promesse de vente stipulait que la vente prévue se situerait dans le cadre des dispositions de l'ordonnance n° 58.997 du 23 octobre 1958 relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Mais l'arrêté préfectoral en date du 7 octobre 1977 déclarant l'acquisition d'utilité publique stipulait dans son article 2 que cette acquisition se situait dans le cadre de l'article 1042 du Code général des impôts, lequel article précise que " les acquisitions immobilières faites à l'amiable et à titre onéreux par les communes ou syndicats de communes, les départements, les régions ou par les établissements publics communaux, départementaux ou régionaux ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor ". Cette même référence à l'article 1042 se retrouvait dans l'acte de vente daté du 11 octobre 1977. Elle avait l'avantage d'exonérer la vente des droits de timbre, d'enregistrement et d'hypothèque.

Mais elle avait un inconvénient très grave pour Mme R... car elle excluait que la vente puisse se situer dans le premier cadre, celui de l'ordonnance du 23 octobre 1958. La conséquence en était que Mme R... non expropriée, ni en fait, ni par convention comme le stipulait la promesse de vente, ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article 150 Q du Code général des impôts. Or celui-ci prévoit que le total imposable des plus-values réalisées au cours d'une même année, subit un abattement de 75 000 F lorsque l'opération visée a été effectuée à la suite d'une déclaration d'utilité publique prononcée en application du Code de l'expropriation, pour cause d'utilité publique. Ainsi pour un prix de cession de 204.450 F, la plus-value taxable était évaluée par le fisc non à 110.000 F comme l'avait déclaré Mme R.... mais à 181.230 F ce qui entraînait un redressement fiscal de 69.000 F. Mme R... était si durement taxée qu'elle regrettait amèrement d'avoir cédé à la sollicitation pressante du syndicat intercommunal.

Le législateur devait bien déceler l'anomalie de dispositions qui incitaient les possesseurs de biens immeubles à refuser toute cession amiable et à contraindre dans tous les cas l'Administration à engager une procédure d'expropriation. Aussi la loi de finances pour 1978 comportait-elle un article 28 étendant le bénéfice de l'abattement de faveur aux cessions faites à l'amiable aux collectivités publiques lorsque les biens cédés ont des destinations d'intérêt général définies et lorsqu'un arrêté préfectoral a déclaré et leur urgence et leur utilité publique. Mais cette disposition intégrée dans la loi de finances 1978 n'avait d'effet qu'à compter du le, janvier 1978. Elle ne pouvait donc concerner la vente opérée par Mme R... puisque l'acte de vente datait du 11 octobre 1977.

Il y avait là une situation paradoxale et inéquitable. Si Mme R... avait refusé la cession, une procédure d'expropriation aurait été engagée. Mme R... aurait obtenu, grâce à cette procédure, peut être un meilleur prix et une indemnité de remploi non taxable, sûrement un abattement de 75 000 F non contesté sur le total imposable des plus-values.

En outre, du fait que la promesse de vente signée le 12 mars 1977 prévoyait que l'opération serait placée dans le cadre de l'ordonnance du 23 octobre 1958 (et par conséquent traitée comme une expropriation), on pouvait soutenir que l'Administration n'avait pas, à cet égard, tenu ses engagements et avait fait subir à Mme R... un préjudice certain.

Le Médiateur saisi de cette affaire faisait valoir tous ces arguments et finissait par obtenir en mars 1983 une révision du calcul de la taxation dans le sens souhaité par la requérante.

Un cas " irritant " : deux redevables
et deux taxes d'équipement pour une seule construction

(dossier n° 81.3348)



En novembre 1976, M. D... avait acquis de M. V... un pavillon en construction qui avait fait l'objet d'un permis de construire délivré le 18 mai 1974. Toutefois ce permis de construire n'avait pas été rigoureusement respecté par M. D... qui avait ajouté sous une terrasse un garage entraînant une création de surface hors d'œuvre nette de 32 m2.

L'existence de ce garage ayant été constatée à la suite de la déclaration d'achèvement des travaux formulée le 16 août 1979 par M. D..., celui-ci fut invité à déposer une demande de permis en régularisation, lequel fut accordé le 21 décembre 1979.

L'ensemble de la construction était passible de la taxe locale d'équipement. C'est la bipartition de cette taxe qui devait soulever un problème.

La plupart du temps, l'Administration n'a à connaître que du cas le plus simple : un permis de construire, une construction, une taxe, un redevable. C'est à ce cas simple qu'elle essaya de ramener le problème de la construction de M. D... Elle réclama donc à celui-ci une somme de 5 661 F correspondant pour partie (2 656 F) à la construction principale édifiée sur la base du permis de construire de 1974 et pour partie (3 005 F) au garage régularisé par le permis de construire de 1979.

M. D... ayant protesté, il lui fut répondu que la prise en charge de la taxe par le vendeur au regard des conditions d'acquisition définies dans l'acte de vente était " un problème de droit strictement privé qui devait être réglé entre l'acquéreur, le vendeur et le notaire. "

L'Administration tirait ainsi un mauvais argument du fait que l'acte de vente avait stipulé que la taxe d'équipement resterait à la charge du vendeur.

Mais le fait générateur de la taxe d'équipement est le permis de construire. indépendamment des dispositions de l'acte de vente, c'était donc bien (en l'absence d'un transfert du permis de construire) au vendeur à acquitter la taxe correspondant à la construction principale.

En revanche, c'était bien à M. D... à acquitter la taxe correspondant au garage puisque c'est à lui qu'avait été délivré le permis de construire régularisant cette construction additionnelle.

Le Médiateur saisi de cette affaire en avril 1981 a pu enfin obtenir en juin 1983 qu'aboutisse dans les faits la solution que dictaient à la fois le droit et l'équité.

Opposition irrégulière d'un maire
à un branchement E.D.F.

(dossier n° 82.1848)



En novembre 1979, M. M... fait l'acquisition d'un terrain sur le territoire de la commune d'A.... terrain sur lequel a été édifié un chalet en bois. L'acte de vente passé par devant notaire le 21 novembre 1979 et enregistré à la conservation des hypothèques précise bien que, ce chalet a été édifié en 1969.

En mai 1980, M. M... engage les formalités nécessaires pour que le chalet bénéficie d'un branchement d'électricité. Le devis E.D.F. est établi et accepté, les travaux extérieurs et l'installation intérieure sont menés à bien et la mise en service est prévue pour le 14 août 1981 .

A ce moment E.D.F. avise M. M... que le branchement ne peut être effectué, le maire de la commune d'A... s'y opposant.

Le maire d'A... estimait que la construction était irrégulière faute d'autorisation de construire et qu'en outre le plan d'occupation des sols de la commune, alors à l'étude, la situait en zone non constructible.

Le requérant, lui, affirmait qu'une autorisation avait été délivrée par la mairie d'A... le 3 mai 1969, soit douze ans auparavant. Les recherches opérées à la demande du Médiateur ne pouvaient confirmer ce point, les archives communales ne remontant pas au-delà de dix ans ; mais il demeurait que l'acte de vente de 1979 faisait référence expresse à ce document.

D'autre part, le plan d'occupation des sols, approuvé seulement le 31 juillet 1981, ne pouvait avoir d'effet rétroactif sur une construction remontant à 1969.

Enfin, à supposer même que la construction ait été irrégulière, on ne pouvait lui appliquer les dispositions de l'article L Il 1-6 du Code de l'urbanisme, article issu de la loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 qui dispose que " les bâtiments, locaux ou installations..., ne peuvent, nonobstant toutes clauses contraires des cahiers des charges de concession, d'affermage ou de régie intéressée, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée ".

En effet le texte lui-même a prévu que l'entrée en vigueur de ces dispositions serait le ler juillet 1977 d'où on peut aisément conclure qu'elles n'étaient pas en vigueur en 1969. L'article L 111-6 n'aurait pu d'ailleurs sans absurdité avoir d'effet rétroactif puisqu'il aurait privé du droit à branchement, tout bâtiment d'âge vénérable, antérieur à l'instauration d'une réglementation de la construction comme, par exemple, l'hôtel de Roquelaure construit entre 1722 et 1733 et qui a longtemps abrité le Ministre de l'Equipement.

De surcroît, construire sans autorisation constitue un délit qui se prescrit par trois ans. L'irrégularité de la construction du chalet de M. M..., à supposer qu'elle ait existé, ne pouvait plus être juridiquement invoquée.

Le Médiateur ayant fait valoir toutes ces raisons, le maire de la commune d'A... renonçait à son opposition et le branchement d'électricité était enfin opéré en décembre 1983.

Paiement par la poste d'un mandat volé
(dossier n° 83.1022)



Le problème des mandats volés (généralement dans les boites aux lettres) et réglés aux guichets des postes sur présentation d'un document d'identité falsifié est un problème permanent et particulièrement irritant. D'autant plus que c'est bien rarement que les réclamations des victimes sont satisfaites.

En février 1982, le centre de Sécurité sociale parisien dont dépend M. T... lui envoie un mandat de 1 340 F correspondant à des indemnités journalières dues à la suite d'un arrêt de travail pour cause de maladie. M. T... ne recevra jamais ce mandat. Sa réclamation se heurte à la réponse suivante : le mandat a été payé au bureau de poste de la rue...

M. T... effectue des démarches auprès de la Sécurité sociale, puis auprès du bureau de poste qui dessert son domicile. On lui fait remplir un imprimé sans lui laisser beaucoup d'espérance sur une issue favorable de sa démarche.

Un an plus tard, en février 1983, n'ayant été avisé d'aucune suite, M. T... adresse une requête au Médiateur.

En ce genre d'affaires, l'Administration des P.T.T., se fondant sur le Code des Postes et Télécommunications, estime que sa responsabilité n'est pas engagée si l'agent payeur s'est vu présenter une pièce d'identité figurant sur la liste des pièces admises et portant des indications (nom et prénom) strictement conformes à celles portées sur le titre. Par ailleurs l'agent est tenu de s'assurer que l'acquît donné par la partie prenante est identique à la signature figurant sur la pièce d'identité produite lorsque celle-ci en comporte une (ce qui n'est pas toujours le cas, le porteur pouvant être analphabète).

Notons au passage que la position de l'Administration repose sur le postulat que si un mandat a été payé à un fraudeur, ce qui est automatiquement présumé c'est la perfection de la fraude et non pas le défaut de vigilance et de perspicacité de l'agent-payeur. Le fraudeur disparaît toujours avec la pièce d'identité qu'il a produite (et l'argent du mandat) et, par, conséquent, il n'est jamais possible de vérifier après coup si la fabrication de cette pièce était assez réussie pour tromper un agent payeur, même très attentif. La victime est donc dans tous les cas incapable de prouver la faute de l'Administration. Elle peut évidemment déposer une plainte, mais comme, ni l'agent payeur, ni, à plus forte raison, elle même, ne peut - sauf cas très exceptionnel - fournir le moindre indice sur la personnalité du voleur, cette plainte n'aboutira à rien.

La chance relative de M. T... a été que, dans son cas, la mention portée au dos du titre de paiement par l'agent payeur (mention obligatoire décrivant la pièce d'identité produite) était " certificat de réfugié n° ... délivré le 5 mars 1980 par la direction de la Police - Paris ". Or - comme le ministère des P.T.T. l'a reconnu - cette mention trahissait une falsification grossière, car les certificats de réfugiés ne sont pas délivrés par les services de police mais uniquement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (O.F.P.R.A) qui dépend du ministère des Relations extérieures. Par ailleurs la mention " délivré Par direction de la Police-Paris " est inusitée (l'usage administratif aurait donné : délivré par la Préfecture de Police de Paris ").

Ces détails fournissaient la preuve du défaut de vigilance de l'agent payeur et, par conséquent, de la responsabilité de l'Administration. Le Ministre des P.T.T. en convenait et donnait des instructions pour qu'une autorisation de paiement soit établie au profit de l'organisme expéditeur du mandat (le centre de Sécurité sociale) qui a pu reverser ensuite à M. T... le montant du premier mandat détourné.

Par-delà le cas de M. T... qui n'est qu'un cas parmi beaucoup d'autres, le Médiateur, conscient de l'étendue du mal, a tenu à alerter spécialement en décembre 1983 le Ministre de l'intérieur sur la nécessité de réétudier le problème des documents d'identité et le Ministre des P.T.T. sur celle d'appeler les agents payeurs des bureaux de poste à une vigilance accrue dans l'examen des documents présentés.

Encore le problème des factures de téléphone
(dossier n° 82.2414)



Autre problème particulièrement irritant, celui des augmentations brusques, massives et inexplicables des factures de téléphone qui, lorsque l'enquête permet de considérer comme improbable l'affirmation mensongère de l'abonné ou l'utilisation à son insu de son appareil, tiennent sans doute à une anomalie technique passagère non identifiée et peut-être non identifiable.

En mars 1981, M. C.... modeste employé, marié, père de deux très jeunes enfants (2 et 3 ans), fait installer une ligne téléphonique à son domicile situé dans la proche banlieue parisienne.

La première facture correspondant aux communications données jusqu'au 10 avril 1981 indique 67 unités (coût : 33,50 F, l'unité étant alors taxée à 0,50 F).

La deuxième facture (communications du 11 avril au 11 juin) indique 49 unités (coût : 24,50 F).

Mais, à la stupéfaction de M. C.... la troisième facture, (communications du 12 juin au 11 août) indique 19 051 unités (coût 9 525,50 F). Réclamation de M. C... qui prend l'honnête précaution de régler ce qu'il estime correspondre approximativement à sa consommation réelle, c'est à dire une somme d'un montant égal à celui de la facture précédente (soit 24,50 F plus abonnement et acompte sur frais d'accès au réseau, au total : 178,50 F).

La quatrième facture (communications du 12 août au 11 octobre) est encore extrêmement lourde. Elle indique 10 686 unités (coût : 5 343 F). M. C... qui ne gagne que 3 500 F par mois comprend alors que le téléphone est un instrument à haut risque, ruineux pour son budget et traumatisant pour sa santé psychique. Il demande donc la suspension de sa ligne.

Le 23 novembre 1981, l'Agence commerciale des télécommunications dont il dépend lui adresse la lettre suivante

Monsieur,

Suite à vos réclamations des 14 septembre et 02 novembre 1981, par lesquelles vous contestiez le montant des communications enregistrées au compteur de voire ligne téléphonique pour les périodes du 11 juin au 10 août 1981 et du 11 août au 10 octobre 1981, j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'une enquête a été effectuée afin de déterminer les motifs d'accroissement de votre trafic pendant ces période.

Les recherches comptables n'ont fait apparaître aucune erreur dans l'établissement de vos relevés. La ligne et les équipements desservant votre installation ont fait l'objet de vérifications qui ont confirmé leur bon état de fonctionnement.

L'augmentation constatée peut être le fait d'un usage inhabituel de votre installation par vous-même ou par toute personne pouvant y avoir accès.

D'autre part, ainsi que vous le demandez par votre lettre du 07 novembre 1981, votre ligne téléphonique a été suspendue le 19 novembre 1981.

Vous voudrez bien me faire, connaître avant la fin du prochain bimestre, c'est à dire le 15 décembre 1981, si vous désirez le rétablissement ou ta résiliation de cette ligne.

En conclusion, je vous confirme l'exactitude des relevés qui vous ont été adressés, et vous invite à les honorer.

Cependant, compte tenu de la somme très élevée que vous devez, je vous propose de venir au service de l'accueil, 17, place... afin de signer un engagement de paiement dans des délais que nous fixerons.

Veuillez agréer, etc...

M. C... proteste de nouveau le 30 novembre 1981 et souligne :

- que ses moyens modestes ne lui permettent pas (ce dont il était conscient dès l'origine) un usage somptuaire du téléphone ;

- qu'il ne téléphone jamais à l'étranger et presque jamais hors de la région parisienne (tout au plus une fois par mois, brièvement et après 20 heures, à son beau-frère résidant à Troyes)

- qu'il est exclu que toute autre personne que lui ou son épouse puisse faire usage de son poste téléphonique.

L'Administration sourde à ces arguments répond le 18 janvier 1982

Monsieur,

Par lettre du 30 novembre 1981 adressée à Monsieur le Ministre des P. T. T. vous avez appelé l'attention des services des Télécommunications sur la contestation de taxes que vous avez formulée et concernant le montant des relevés 4D et 5DI81 afférents à votre abonnement téléphonique.

L'enquête effectuée à la suite de votre première réclamation, n'a permis de déceler d'anomalie, ni dans l'établissement des relevés litigieux, ni dans les fonctionnement de votre installation.

Une mise en observation de voire ligne effectuée du 16 au 30 septembre 1981, a permis de confirmer le bon fonctionnement du compteur et l'exacte taxation des communications passées.

Un relevé suivi des index compteur a permis de constater que la consommation a nettement diminué à partir du 16 septembre, c'est à dire, aussitôt après que vous ayez formulé votre première réclamation.

En effet, 10 617 unités ont été enregistrées entre le 13 août 1981 et le 16 septembre et 69 seulement entre le 16 septembre et le 12 octobre 1981.

Cette différence peut résulter d'un usage plus intensif de votre installation pendant ces périodes par vous même ou tout autre personne pouvant y avoir accès.

En conséquence, aucun élément ne permet de vous accorder un dégrèvement.

Toutefois, des délais de paiement peuvent vous être proposés, conformément à la lettre de l'Agence commerciale.

Je vous prie de croire, Monsieur, à l'assurance de ma considération distinguée.

Sur ces entrefaites, M. C... reçoit une facture indiquant une communication pour le bimestre allant du 16 décembre 1981 au 15 février 1982, alors que sa ligne, sur sa demande, a été suspendue le 19 novembre 1981. Erreur minime Sans doute, mais si les compteurs téléphoniques peuvent commettre des erreurs minimes, c'est qu'ils ne sont pas absolument infaillibles et dès lors, pourquoi ne pourraient-ils pas commettre aussi des erreurs massives ? M. C... demande donc l'explication de cette erreur minime. Elle ne lui sera jamais fournie.

Une intervention parlementaire auprès du Ministre des P.T.T. n'aura aucun effet. L'Administration se cramponne à sa position initiale : ni les vérifications comptables ni les vérifications techniques n'ont révélé des faits susceptibles de faire douter du bien-fondé de la taxation.

L'Administration esquisse même le raisonnement vaguement accusateur que, la chute des unités relevées se situant après la réception de la première facture anormale, la chute de trafic serait due à une rectification du comportement de l'usager. C'est le raisonnement post hoc, ergo propter hoc dont les faiblesses sont connues.

La chute de trafic peut correspondre tout aussi bien, soit à la décroissance de l'effet perturbateur, soit à une répercussion imprévisible de la technique de mise en observation de la ligne.

En août 1982, le Médiateur est saisi et finit par obtenir en décembre 1983 du ministre des P.T.T. une décision exceptionnelle ramenant forfaitairement à 250 unités la consommation bimestrielle de M. C... pour la période litigieuse.

Il y a longtemps que ce genre d'affaires préoccupe le Médiateur qui est intervenu à plusieurs reprises auprès du Ministre des P.T.T. Celui-ci, il convient de le souligner, n'est nullement insensible au problème et particulièrement à son aspect humain puisqu'il peut provoquer de véritables paniques chez des abonnés à faibles ressources. Le système de facturations détaillées qui va être mis en place progressivement devrait faire disparaître peu à peu ce genre de litiges qui, hélas, est encore trop fréquent.

Renseignement erroné entraînant un préjudice grave :
la Caisse régionale accepte de dédommager

(dossier n° 82.2619)



Le Médiateur estime indispensable que les services publics deviennent de plus en plus conscients de la responsabilité qu'ils peuvent encourir à l'égard de tout administré et qu'ils acceptent, dans les cas où leur faute n'est pas raisonnablement contestable de réparer le préjudice causé. En outre l'intérêt non seulement de la victime mais du service publie lui-même est que ce préjudice soit réparé rapidement et de bonne grâce.

Il convient de rompre avec cette habitude séculaire des administrations de ne jamais céder qu'à une décision des tribunaux, c'est à dire d'obliger, dans tous les cas, le citoyen lésé à engager un recours et à lutter pied à pied sur le terrain juridique pour obtenir, avec beaucoup de retard, réparation.

Il faut reconnaître qu'à cet égard un progrès a été réalisé au cours de la dernière décennie, progrès imputable pour partie à l'action du Médiateur.

M. V... né en septembre 1920 s'était engagé dans la Marine le 6 juin 1939. Embarqué en mars 1940, il se trouvait le 26 juin 1940 sur un des bâtiments bloqués en rade d'Alexandrie par les autorités britanniques. Il devait ensuite rallier les Forces françaises libres le 9 septembre 1943, puis être démobilisé le 18 août 1945.

En novembre 1951, M. V... était embauché dans une papeterie. il y travaillait encore au début de 1978 lorsque cette entreprise, se trouvant en difficultés, dut procéder à des compressions de personnel. M. V... fût toutefois maintenu dans son emploi pour lui permettre de bénéficier de la pré-retraite consentie, par un accord d'entreprise, à partir de 58 ans, aux anciens combattants pouvant prétendre à une retraite complète à l'âge de 60 ans.

En effet, la loi n° 73-1051 du 21 novembre 1973 prévoyait dans son article 1er que les anciens combattants, titulaires de la carte du combattant, pouvaient prétendre dès l'âge de 60 ans à la retraite anticipée aux taux normalement applicable à 65 ans, s'ils comptaient 54 mois de service actif sous les drapeaux. Or, M. V... engagé le 6 juin 1939, démobilisé le 18 août 1945, pouvait être considéré comme ayant accompli 6 ans 2 mois et 12 jours, soit 74 mois et 12 jours de service militaire actif . C'était le décompte sur lequel tout le monde semblait d'accord, en particulier la Caisse régionale d'assurance maladie qui écrivait le 25 octobre 1977 : " J'ai l'honneur. de vous faire connaître que mes services ont procédé au calcul approximatif de la prestation vieillesse à laquelle vous pourriez prétendre à compter du 1er octobre 1980, au titre des anciens combattants et prisonniers de guerre ".

Or, à la fin de sa période de pré-retraite, en septembre 1980, M. V... , sollicitant de cette même caisse la liquidation de sa pension de retraite, voyait sa demande rejetée pour le motif qu'il totalisait seulement 40 mois de services militaires en temps de guerre au lieu des 54 mois exigés. En effet, en vertu de la réglementation en vigueur, la période du 26 juin 1940 au 9 septembre 1943 ne pouvait être prise en considération du fait qu'elle avait été effectué dans l'armée d'armistice.

De surcroît, non seulement M. V... avec seulement 40 mois de services de guerre ne pouvait prétendre à une retraite anticipée avant l'âge de 62 ans, mais il ne pouvait non plus bénéficier, de l'âge de 60 ans à l'âge de 62 ans, du bénéfice de la garantie de ressources. En effet, après son licenciement prononcé pour motif économique le 27 juillet 1978, il avait perçu non les prestations de chômage qui lui auraient ouvert à 60 ans le droit à la garantie de ressources mais, selon l'expression du ministère des Anciens Combattants, " un avantage exclusif desdites prestations servi en vertu d'un accord particulier d'entreprise ".

Les requêtes auprès de la commission de recours gracieux de la Caisse régionale, du ministère des Anciens combattants, des ASSEDIC, du ministère de la Solidarité nationale n'ayant abouti qu'à des rejets, M. V... subsistait, difficilement, son revenu depuis le ler octobre 1980 étant tombé à 1 500 F par mois.

En septembre 1982, il saisissait le Médiateur de cette situation pénible dont la responsabilité incombait incontestablement à la Caisse régionale, qui, en octobre 1977, avait fourni à M. V... des renseignements erronés sur ses perspectives de retraite. A cette considération juridique on peut d'ailleurs ajouter qu'il n'est peut être pas très équitable d'assimiler le sort des marins bloqués à Alexandrie, consignés sur leurs bâtiments et recevant leur part des bombardements de l'aviation ennemie, à celui des militaires de l'armée d'armistice tenant garnison en zone non occupée. Surtout dans le cas de M. V... engagé dans la Marine avant l'armistice de juin 1940 et ayant terminé la guerre dans les Forces françaises libres.

L'intervention du Médiateur devait permettre de réparer cette injustice. La commission de recours gracieux, procédant à un réexamen de l'affaire, devait, en réparation du préjudice subi par M. V.... décider de lui verser les arrérages d'une pension de vieillesse à compter du 1er octobre 1980.

Arrêté de nomination erroné suivi d'une rétrogradation rectificative :
L'Administration, en considération du préjudice subi, accepte, 5 ans après,
de compenser les retenues pour trop-perçu.

(dossier n° 77.3023)



Pendant l'été 1976, Mme T... formule une demande d'emploi auprès d'une U.E.R. de médecine dépendant de l'université de X... L'U.E.R donne une suite favorable et, le 22 octobre, propose au rectorat le recrutement de Mme T... en qualité de secrétaire d'administration universitaire (indice de rémunération 248). Cette proposition est acceptée et Mme T... prend son service et le remplit, semble- t - il, à la satisfaction de ses supérieurs.

Soudain, au début de 1977, le rectorat s'aperçoit qu'il a commis une erreur. Les diplômes possédés par Mme T... n'étaient pas suffisants pour un recrutement de ce niveau. Un arrêté rectificatif en date du 14 janvier 1977 la reclasse dans un emploi d'auxiliaire de bureau (indice 191).

Mme T... est donc rétrogradée et perd d'un coup 57 points d'indice. Mais ses déboires ne s'arrêtent pas là. Elle reçoit en effet peu après un ordre de reversement de 964,99 F correspondant au trop-perçu dans la période où elle a été rémunérée comme secrétaire d'administration universitaire. Le travail qu'elle a effectué alors est en quelque sorte dévalué parce que, quelle que soit sa valeur intrinsèque, il a été produit par une sous-diplômée.

Le 16 mars 1977, Mme T... formule auprès du Payeur général une demande de remise de débet. En effet, s'il est exact juridiquement qu'elle a été surrémunérée pendant 4 mois et demi, il est non moins exact qu'elle n'est pas responsable de cette sur-rémunération et qu'elle a subi un préjudice moral sérieux du fait de l'erreur de l'Administration. Celle-ci, faute de vérifier exactement ses titres, l'a recrutée dans des conditions irrégulières équivalent à une promesse fallacieuse. En outre la situation de Mme T... qui élève deux filles dont l'une est à la recherche d'un emploi n'est pas très florissante. Lui réclamer le trop-perçu apparaît donc, sinon comme odieux - le mot serait excessif - du moins comme abusif et inélégant.

Compte tenu de la situation financière difficile de Mme T..., le Payeur général lui accorde le 18 novembre 1977, une remise gracieuse de 350 F, ramenant ainsi sa dette de 964,99 F à 614,99 F. Cette remise partielle ne satisfait pas Mme T... qui estime que son cas ne relève pas de la mansuétude mais de l'équité, laquelle ne peut être satisfaite que par l'annulation de la dette. En attendant que cette solution soit obtenue, elle sollicite des services du Trésor un sursis à règlement. Parallèlement, elle saisit le Médiateur.

A la demande du Médiateur, le ministère de l'Education nationale fait procéder à une enquête. Transmettant en février 1978 les résultats de celle-ci, il explique que le service du personnel de l'U.F.R. de médecine a proposé le recrutement de Mme T... et que " les services de l'université de X.. ont, en toute bonne foi, pensé que la proposition était valable et, en attendant l'arrêté rectorat de nomination de la candidate, ont établi un certificat administratif universitaire ". Le ministère conclut avec une évidente bonne conscience : " Il ne semble pas qu'il y ait dans cette affaire une faute caractérisée de la part des services tant rectoraux qu'universitaires. Toutefois, compte tenu de ce que Mme T.. ne peut être tenue pour responsable des dispositions prises par l'université de X..., le recteur de l'académie a émis un avis favorable pour qu'elle puisse bénéficier d'une remise gracieuse intégrale de sa dette ".

Cette réponse laisse perplexe. Si Mme T... ne peut être tenue pour responsable et si les services tant rectoraux qu'universitaires n'ont commis aucune faute caractérisée le dommage causé à Mme T... est sans cause, du moins sans cause humaine. Il y a là rien moins que l'amorce d'une théorie de la calamité administrative assimilable aux calamités naturelles dont personne ne peut être tenu pour responsable.

Nouvel échange de correspondance avec le ministère de l'Education nationale qui répond, le 25 juillet 1979 : " J'ai l'honneur de vous faire connaître que seul le ministère du Budget par l'office des trésoriers payeurs généraux est habilité à accorder des remises de débet ".

Le Ministre du Budget consulté répond le 29 juillet 1980 : " En ce qui concerne la demande en remise gracieuse présentée par Mme T..., la décision de remise partielle prise le 18 novembre 1977 par le Payeur général du Trésor ne peut, après un examen approfondi du dossier de l'affaire, qu'être confirmée ".

Le Médiateur se tourne de nouveau vers le ministère de l'Education nationale, insistant pour qu'intervienne enfin un règlement amiable. Il reçoit le 1er décembre 1980 une nouvelle réponse négative en deux points :

1° Seul le ministère du Budget est habilité à accorder des remises de débet, les autres administrations ne pouvant que donner un avis.

2° Un ordre de reversement qui arrive dans une trésorerie générale ne peut plus (sauf erreur matérielle ou de droit) être annulé par l'administration qui l'a émis.

Tout cela est parfaitement exact. Mais si la dette de 614,99 F ne peut être abolie par annulation de l'ordre de reversement, elle peut être compensée par une juste indemnisation d'un montant égal, réglée sur les crédits de l'Education nationale, administration responsable du préjudice.

Cependant l'Education nationale persiste dans son refus. Le recteur consent toutefois à adresser, le 4 mai 1981, au Payeur général une lettre demandant un réexamen de la situation de Mme T.... démarche vaine puisque les règles très strictes de la comptabilité publique, le fait que la situation financière de Mme T... ne s'est pas aggravée depuis la décision de remise partielle du 18 novembre 1977 et la décision de rejet du Ministre du Budget en date du 29 juillet 1980 dictent la réponse évidemment négative.

Le 26 mars 1982, le ministère de l'Education Nationale, visiblement peu enclin à assumer ses responsabilités dans l'affaire T.... écrit au Médiateur :

" Comme suite à ma note du 15 mai dernier, j'ai le regret de vous faire connaître que la Paierie générale du Trésor a refusé le réexamen de la situation de Mme T.. en vue d'un éventuel remboursement.

Dans ces conditions je ne peux que vous suggérer de saisir vous mêmes les services du Trésor, seuls compétents pour connaître de cette affaire ".

De nouvelles études et de nouvelles démarches sont entreprises par le Médiateur aux termes desquelles il apparaît que la situation ne peut être débloquée que par l'usage des pouvoirs que lui accorde la loi. Il se résout donc a écrire le 23 février 1983 à la rue de Grenelle une lettre qui, après avoir rappelé brièvement l'historique de l'affaire, souligne que sa solution n'appartient pas au ministère du Budget mais au seul ministère de l'Education nationale dont les services ont commis l'erreur génératrice du dommage. " C'est pourquoi, conclut-il, je vous recommande, conformément à l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973 instituant un médiateur (le texte de cette loi est reproduit à la fin du présent rapport), de bien vouloir prendre toutes dispositions en vue de régler favorablement la situation de Mme T.. et de me faire connaître dans un délai de deux mois la suite que vous réserverez à cette recommandation ".

Cette lettre d'une fermeté très mesurée n'était pourtant pas suffisante pour que l'Administration abandonne la ligne de crête du refus de principe. Aussi n'est-ce pas sans étonnement que le Médiateur reçoit, le 6 juillet 1983, soit non pas deux mois mais quatre mois plus tard, la lettre suivante du cabinet du Ministre de l'Education nationale :

Par votre lettre citée en référence du 23 février 1983, vous m'avez recommandé, conformément à l'article 9 de la loi instituant un médiateur, de prendre toutes dispositions en vue de régler favorablement la situation de Mme T.. qui sollicite le remboursement de sommes qu'elle estime indûment prélevées sur son salaire.

J'ai l'honneur de vous faire connaître que, dans cette affaire, la procédure mise en œuvre par le recteur de l'académie de ... a été engagée réglementairement par application de l'article 91 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique complété par l'article 13 du décret du 24 juin 1963.

Il ressort de l'examen des faits signalés que l'intéressée a présenté en 1977 une demande de remise gracieuse et le Payeur général, seul compétent en ce domaine, lui a accordé une remise partielle de sa dette bien que le recteur ordonnateur de la dépense eût donné un avis favorable à la remise totale du trop-perçu.

Je suis privé dans ces conditions de tout moyen de donner satisfaction à l'intéressée.

Veuillez agréer, etc...

Le Médiateur ne pouvait se satisfaire de cette réponse qui reprenait simplement l'argumentation antérieure et reposait implicitement sur l'idée que le dédommagement ne pouvait être assuré que par une remise totale de la dette par le Trésor.

Un rappel de la recommandation du 23 février et de la possibilité de dédommager par une indemnité est donc opéré le 30 août 1983.

Par lettre du 23 février 1983, le Médiateur vous a recommandé, conformément à l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, de prendre toutes dispositions en vue de régler favorablement la situation de Mme T...

Vous indiquez, par lettre du 6 juillet 1983, que l'intéressée ayant fait l'objet d'une procédure régulière vous êtes dépourvu des moyens de lui donner satisfaction.

Or, une nouvelle étude de ce dossier fait apparaître que le montant de la dette réclamée à Mme T.. ayant été prélevé sur son salaire, rien ne s'oppose à ce que le Ministre de l'Education nationale lui accorde une indemnité visant à compenser le préjudice que lui a causé l'erreur commise lors de son recrutement.

Dans ces conditions, je vous saurais gré de bien vouloir faire procéder à un nouvel examen de cette affaire qui, en raison même de son ancienneté, me paraît exiger une solution urgente.

Le 3 novembre 1983, le courrier du Médiateur contenait enfin, cette bonne nouvelle émanant du ministère :

Pour faire suite à la recommandation du Médiateur dont vous m'avez fait part le30 août dernier au sujet de la réclamation formulée par Mme T..., j'ai l'honneur de vous faire connaître qu'une indemnité de 614,99 F sera versée à l'intéressée, sous réserve de l'accord du contrôleur financier.

Le 15 novembre 1983 le contrôleur financier visait et le 16 novembre 1983 (5 ans, 10 mois et 2 jours après l'arrêté déclassant l'intéressée) était signée une décision qui, " compte tenu du préjudice que lui a causé l'erreur commise lors de recrutement, " accordait à Mme T... une indemnité de 614 F, 99 centimes.

Cette affaire démontre, notamment, combien une erreur administrative qui paraît légère à l'administration fautive peut être riche de complications ultérieures, surtout si ladite administration persiste à nier sa faute et à en refuser la juste réparation. Un simple défaut d'inattention (portant en l'occurrence sur la vérification des titres d'une candidate à un emploi) comporte des suites qui ont un coût exorbitant en correspondance ultérieure, en irritation tant de l'Administration que de l'administré, en retards, en études, en réajustements, en réparations. Dans le cas particulier de Mme T..., le coût total réel de l'erreur initiale est certainement très supérieur aux 614,99 F en litige.

Il faut rappeler qu'il y a dans le coût des services publics une part qui correspond au coût des erreurs. On ne peut sûrement pas ramener cette part à zéro, mais il conviendrait tout de même de la limiter. Le coût de certaines de ces erreurs est parfois entièrement supporté par l'usager : par exemple lorsqu'est donné à celui-ci un renseignement erroné qui le fait courir inutilement de Picpus aux Batignolles ou de Clignancourt au Petit-Montrouge.

Une bonne administration est une administration dans laquelle on commet très peu d'erreurs, non seulement parce qu'on contrôle et vérifie mais aussi parce qu'on fait la chasse aux erreurs en ne se contentant pas de les rectifier mais en analysant chaque cas, en recherchant la cause de l'erreur, en étudiant les moyens d'éviter sa répétition et en mettant en œuvre ces moyens. Si ces méthodes sont négligées, il en résulte un abaissement de la qualité courante du service public et - c'est bien compréhensible - l'exaspération des usagers. La recherche du travail bienfait n'est pas seulement une vertu civique dont l'Administration devrait être particulièrement soucieuse. C'est aussi un facteur de rendement si l'on veut bien considérer que celui-ci est le produit de la quantité par la qualité. Et c'est aussi un élément essentiel de la fiabilité des rouages sociaux donc de la qualité de la vie. Cela démontre au passage que lorsque le Médiateur parle de la nécessité pour la société de se fonder sur des valeurs aujourd'hui quelque peu oubliées - civisme, solidarité, sens des responsabilités et goût de l'effort, il ne tient nullement un langage extérieur à sa mission.

Une illégalité tranquille
la rétroactivité des arrêtés fixant les prix de journée
des établissements hospitaliers.

(dossier n° 82.2159)



Une sorte de non-droit coutumier peut avoir tendance à s'instaurer à partir de la perpétuation d'irrégularités administratives. L'Administration tend à considérer que l'ancienneté et la constance de celles-ci, le fait qu'à leur sujet les recours devant les tribunaux administratifs sont rarissimes, le fait qu'elles sont non seulement tolérées mais admises et presque homologuées par le ministère de tutelle, les commodités de gestion qu'elles procurent, tout cela a fini par atténuer tellement leur caractère irrégulier qu'elles seraient devenues, par la vertu de l'érosion des principes, quasi-régulières. D'où l'opiniâtreté des bureaux à les défendre, c'est-à-dire à les imposer, leur étonnement à les voir contester, leur irritation lorsqu'un réclamant ne se replie pas, à la première sommation, sur l'acceptation résignée.

Le 19 août 1978, décédait à l'hospice dépendant du Centre hospitalier général de N..., Mme L... âgée de 93 ans, veuve du fait de la guerre de 1914-1918. Sa seule famille était sa petite fille, Mme P.... qui résidait à 10 km, de là, la visitait et réglait ses frais d'hospitalisation. Ceux-ci, lors de l'entrée de Mme L... à l'hospice, en novembre 1977, s'élevaient à 61,85 F par jour correspondant au prix de journée du centre hospitalier.

Mais l'équilibre financier de ce centre était sur le point d'être bouleversé du fait de la construction d'un nouvel ensemble hospitalier nécessitant des emprunts importants. Cet élément nouveau devait se répercuter lourdement sur le prix de journée.

En mars 1978, Mme P... était prévenue par le directeur du centre que ce prix serait relevé pour l'année en cours. Il lui envoyait une facture provisoire et indiquait qu'une facture complémentaire lui serait adressée dès réception de l'arrêté préfectoral fixant ledit prix de journée pour 1978.

Le 1er octobre 1978 (six semaines après le décès de sa grand-mère), Mme P... recevait, en effet, l'avis que le prix de journée avait été relevé de 61,85 F à 161,20 F, soit une augmentation de 160 % avec effet rétroactif au 1er janvier. Mme P... qui avait déjà réglé sur la base du prix de journée provisoire la période d'hospitalisation du let janvier au 30 juin se voyait présenter une facture de 26 042,35 F, soit 50 jours (du le, juillet au 19 août) à 161,20 F et un rappel de 99,35 F pour chacun des 181 jours du le' semestre 1978.

Des protestations indignées ayant accueilli cette hausse tardive, rétroactive et excessive, le centre hospitalier informait les débiteurs, le 28 décembre 1978, " qu'en raison des conséquences dommageables entraînées par l'application des prix de journée 1978 avec effet rétroactif ", le conseil d'administration avait décidé, dans sa séance du 20 décembre 1978, le principe d'une réduction du supplément dû pour la période du let janvier au 30 septembre 1978. Cette réduction n'était rien moins que de 88 % pour les pensionnaires valides de l'hospice. Mais il était précisé que la décision du conseil ne pourrait entrer en vigueur qu'après avoir reçu l'approbation de l'autorité préfectorale.

Celle-ci devait d'ailleurs être refusée - ainsi qu'il était prévisible - car on ne change pas un arrêté préfectoral comme une étiquette sur un étal de fruits et légumes. Si bien que le 14 mai 1979 les débiteurs étaient informés, à leur grande déconvenue, que leur dette restait entière. Il leur était vivement conseillé " d'effectuer les démarches nécessaires d'aide sociale ", c'est-à-dire de chercher à se décharger d'une partie du fardeau sur les fonds d'aide sociale du département.

Mme P... formulait donc au début de 1980 une demande d'aide sociale qui était rejetée pour le motif surprenant que cette demande était déposée en 1980 alors que le décès de sa grand-mère qui en était la cause initiale remontait à 1978.

Par ailleurs, Mme P... qui avait obtenu du percepteur un sursis au paiement de sa dette mise en recouvrement voyait ce sursis expirer. Fin décembre 1981, elle se voyait mise en demeure par la Trésorerie générale de s'acquitter des sommes exigées. Sur son refus, elle était condamnée par le tribunal de F... à une saisie-arrêt sur son salaire.

En désespoir de cause, Mme P... adressait une requête au Médiateur en juillet 1982. Celui-ci, le 29 juillet 1982, rappelait au directeur du centre hospitalier que les actes administratifs ne peuvent en principe avoir d'effet rétroactif et que le domaine particulier du prix de journée n'échappe pas à cette règle. La jurisprudence de la juridiction administrative spécialisée dans cette matière est d'ailleurs sans ambiguïté (cf. section permanente du Conseil supérieur de l'Aide sociale, 1er janvier 1960, Caisse régionale de Sécurité sociale de Paris). Les seules dérogations résultent des textes. Elles concernent d'ailleurs exclusivement les révisions de prix en cours d'année et la rétroactivité ne peut alors excéder un mois.

Le Médiateur, estimant la réclamation de Mme P... fondée en droit, recommandait, en vertu des pouvoirs que lui ont conférés l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, l'annulation de la décision créant une dette rétroactive à la charge de l’ intéressée et l'abandon des poursuites dirigées contre elle.

Le directeur du centre présentait cette recommandation au conseil d'administration le 8 octobre 1982. Le conseil décidait que l'affaire devait être soumise à l'autorité de tutelle. Le directeur, sans hâte particulière, répercutait cette information en écrivant au Médiateur, le 10 novembre 1982 : " Le conseil d'administration a estimé qu'il n'y avait pas lieu de rouvrir ce dossier, dès lors que les mesures de règlement touchant toutes les familles, qu'il avait proposées dès 1978, avaient été rejetées par l'autorité de tutelle. "

Le 23 novembre 1982, le Médiateur répondait par la lettre suivante :

Monsieur le Directeur,

J'ai pris connaissance de votre lettre du 9 novembre dernier relative à une recommandation que j'ai formulée en application de l'article 9 de la loi n° 73-6 du 3 janvier 1973 instituant ma fonction.

Les termes et la teneur de cette lettre m'ont surpris et il me paraît impossible que la réclamation qui m'a été soumise, et que j'ai tout lieu de penser parfaitement fondée, ne provoque pas un réexamen complet et une solution nouvelle. Si l'intéressée a été poursuivie pour le paiement d'une somme importante qui, en toute rigueur, n'aurait pas dû être mise à sa charge, il est indispensable de réparer une erreur qui est, sans doute, tout à fait explicable, mais ne lui incombe absolument pas.

Je poursuis donc l'instruction de cette affaire dans le cadre de mes attributions, et je pense que la réponse que vous M'avez fait parvenir ne peut s'expliquer que par une confusion entre une simple intervention laissant place à l'opportunité et les attributions légales du Médiateur.

Indépendamment de l'étude nouvelle indispensable, je vous demande de me communiquer, en application de l'article 13 de loi citée plus haut, la copie du procès verbal de la séance du conseil d'administration du 8 octobre 1982, ou du moins de l'intégralité des passages relatifs à ma recommandation.

Ne pouvant différer les démarches nécessaires à la poursuite de l'affaire, je vous serai obligé de me faire parvenir ce document sous quinzaine.

Je vous prie de croire, etc.

L'affaire avait pourtant été soumise au préfet qui l'avait transmise au directeur départemental de l'action sanitaire et sociale. Celui-ci écrivait le 13 décembre 1982 au directeur du centre hospitalier :

Objet: Réclamation de Mme P...

Comme suite à votre lettre en date du 20 octobre 1982, relative à l'affaire citée en objet, j'ai l'honneur de vous faire connaître que la demande d'aide sociale a été présentée une nouvelle foie à la commission départementale d'aide sociale qui a maintenu la décision de rejet prise dans sa séance du 14 janvier 1981.

Il appartient donc à la requérante, Mme P... de régler les frais qui lui incombent, étant entendu qu'elle peut utiliser toute voie de recours à sa disposition contre cette décision.

Le moins qu'on puisse dire est que cette lettre est aussi brève que décevante J'affaire P... n'y est pas traitée comme découlant d'une irrégularité administrative mais comme un cas social, ce qui est proprement escamoter le problème posé par le Médiateur.

Le directeur du centre s'empressait de communiquer la lettre à Mme P... qui, au comble de l'indignation, adressait alors le 25 janvier 1981, à son auteur, le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, une lettre recommandée. Cette lettre mérite d'être citée. Compte tenu des vicissitudes subies par la requérante, il y a lieu d'en admirer le ton, somme toute, modéré.

Monsieur le Directeur,

J'ai le regret de vous aviser de mon étonnement devant le mutisme de la direction départementale de l'action sanitaire et sociale malgré la recommandation faite par M. Fabre, Médiateur, dans sa correspondance adressée le 29 juillet 1982 au directeur de l'hôpital de N.. et relative à la facturation et au rappel pour l'hébergement des vieillards à l'hospice de N.. en 1978.

Comme moi, plusieurs familles sont concernées, mais pour m'en tenir à mon cas personnel je vous rappelle que la lettre du Médiateur confirme que mon refus de règlement est fondé puisque l'arrêté préfectoral était daté du 8 août 1978. Il s'avère donc que votre position sur la rétroactivité du prix de journée et que les poursuites ayant entraîné la saisie-arrêt sur mon salaire sont tout à fait illégales.

A la suite d'une convocation à la direction départementale, il m'avait été conseillé de déposer une demande d'aide sociale. Je l'ai fait, en son temps, certaine du refus qui en découlerait car ce service n'a pas été créé pour pallier une erreur administrative ou une difficulté de gestion d'un hospice. Je vous demande donc de ne plus systématiquement me rétorquer comme motif à refus de remboursement ou de dégrèvement le rejet de la commission d'aide sociale (cf. votre lettre du 13 décembre 1982 au président du conseil d'administration du centre hospitalier).

Cette pseudo-solution de l'aide sociale entraînant une perte de temps ne pouvait que jouer en votre faveur, puisqu'elle pouvait laisser espérer un découragement de ma part dans ma poursuite d'une obtention de réparation.

Je tiens également à vous retracer rapidement les tracasseries dont je suis victime depuis cette erreur:

- annulation par décision préfectorale d'une diminution du rappel annoncée préalablement par le président du conseil d'administration,

- relance en décembre 1981 par le Trésorier payeur afin de connaître mes intentions d'où confirmation de ma part de non-paiement mais cependant acceptation d'un versement de 2 000 F (cette somme représente maintenant plus que l'augmentation de 12 jours d'hébergement du 8 août 1978, date de l'arrêté, au 19 août 1978, date du décès de ma grand-mère).

- Intervention de l'huissier de justice, Maître R... pour saisie-exécution de mes facultés immobilières (ceci à la suite d'une erreur d'envoi d'imprimé par la perception de N ...) et l'information à mon domicile par ledit huissier qu'en cas d'impossibilité de pénétrer chez moi, en dernier ressort, après recours à un serrurier, possibilité de faire enfoncer ma porte.

- convocation au tribunal d'instance de F.. pour saisie arrêt sur mon salaire. Je tiens à vous faire part de la surprise du juge à l'égard du comportement de la direction départementale de l'action sanitaire et sociale et du fait qu'il a approuvé mon intention d'adresser une requête au Médiateur.

Je vous confirme que depuis août 1982, une retenue mensuelle de 4 300 F environ m'est imposée sur mon traitement, ne me laissant pas le salaire minimum vital.

Malgré la recommandation du Médiateur d'abandonner les poursuite, cette saisie a été maintenue.

J'aimerais connaître quelle serait votre réaction si vous-même étiez victime d'une semblable erreur et de ses conséquences ?

Ma patience a cependant une limite et puisque vous vous retranchez derrière une " erreur administrative " pour dégager votre responsabilité et vous éviter de prendre une décision, je vous fais savoir que je ne peux plus rester sans faire état des faits, de la non observation de la recommandation du Médiateur et du préjudice pécuniaire et moral que je subis.

J'ose espérer que cette lettre sera prise en considération et suivie d'effet pour un remboursement des sommes indûment réclamées.

Veuillez agréer, etc.

Quelques jours après, le 6 février 1983, Mme P... informait le Médiateur que la somme réclamée avait été totalement réglée par un dernier prélèvement ,office sur son salaire de janvier.

Le 24 février 1983, le Médiateur intervenait à nouveau auprès du préfet :

Monsieur le Préfet,

Par lettre du 18 janvier 1983, j'ai appelé votre attention sur un litige opposant Mme P... à l'hôpital de N....

Je n'ai reçu pour l'instant aucune réponse directe de vos services.

Cependant, par l'intermédiaire du parlementaire qui m'a régulièrement saisi en application de la loi instituant ma fonction, j'ai eu communication d'une lettre datée du 13 décembre 1982, émanant du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales et adressée au président du conseil d'administration du centre hospitalier.

D'après cette lettre, l'affaire a été à nouveau soumise à commission départementale d'aide sociale, qui a maintenu sa décision de rejet.

Je ne puis que m’étonner de voir une nouvelle fois l'aide sociale mise en cause dans un litige qui ne concerne absolument pas ce service.

La confusion qui en résulte ne soulève pas seulement dés difficultés de procédure. Elle conduit à subordonner la solution du litige à une appréciation des ressources de l'intéressé, alors que ses droits n'en dépendent nullement.

Il est clair, et il n'a d'ailleurs jamais été contesté, que le centre hospitalier a exigé de Mme P... le paiement de sommes qui ne pouvaient être mises à sa charge car elles résultaient de l'application d'un arrêté de prix de journée rétroactif.

C'est le remboursement de ces sommes qui est présentement demandé à l'hôpital.

Le conseil d'administration a soumis l'affaire à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales.

Mais cette demande d'avis ne devrait pas apporter de confusion sur l'identité des parties en cause. Il s'agit en l'état actuel, de l'hôpital d'une part et de Mme P... d'autre part. Je pense que vous conviendrez que l'autorité de tutelle ne peut pas dissuader le centre hospitalier de réparer l'erreur commise à l'encontre de Mme P... et qu'elle ne peut au contraire qu'encourager le reversement à l'intéressée des sommes perçues indûment.

La responsabilité de l'Etat pour le préjudice subi par l'hôpital du fait de la fixation tardive des prix de journée est un problème tout à fait distinct du présent litige. Cette responsabilité ne pourrait être recherchée qu'à l'initiative du centre hospitalier et ne concerne pas Mme P...

Cependant, cette affaire ne conduit à apprécier le fonctionnement des services mis en cause, en vertu de la loi qui me donne cette mission. Je souhaite donc savoir si l'arrêté de prix de journée pour 1983 concernant le Centre hospitalier de N... est intervenu et à quelle date.

Ce renseignement me permettra de déterminer si les causes de l'anomalie observée en 1978, et dont la réparation individuelle est demandée, ont été supprimées pour la présente année par la fixation des prix en temps voulu.

Je vous prie de croire, etc....

Le 21 mars 1983, le Médiateur recevait la réponse suivante (qui, soit dit en passant, ne répond pas à la question posée dans les deux derniers alinéas de la lettre du 24 février).

Monsieur le Médiateur,

Vous avez bien voulu appeler mon attention sur la recommandation que vous avez formulée le 29 juillet 1982 à l'encontre de la décision du Centre hospitalier de N... exigeant de Mme P... domiciliée à... le versement d'une somme correspondant à un prix de journée fixé rétroactivement.

J'ai l'honneur de vous faire connaître, qu'en application de cette recommandation et au vu des résultats de l'enquête à laquelle j'ai fait procéder, M. le directeur du Centre hospitalier de N... - a été mis en demeure de rétablir la délibération n° 37179 du 8 juin 1979 décidant l'annulation de la dette de Mme P...

Cette dernière est donc accréditée à recevoir du Centre hospitalier de N.. une somme de 22 942,35 F représentant la différence entre l'ancien et le nouveau prix de journée pour la période allant du 1er janvier au 9 août 1978, date à laquelle sa grand-mère Mme L... est décédée.

Veuillez agréer, etc.

Cette lettre révèle - ô surprise ! - l'existence d'une délibération prise 4 ans plus tôt qui donnait satisfaction à Mme P... Comme celle-ci n'en a jamais fait état, il faut supposer que la délibération avait été tenue secrète ce qui, a priori, ne peut être considéré comme normal.

Cependant la pression de la légalité s'accentuait sur le centre hospitalier. Le 22 avril 1983, le conseil d'administration décidait non pas de reconnaître l'irrégularité du prix de journée rétroactif (pilule trop amère) mais tout de même, " à titre exceptionnel et en application de la recommandation pressante du Médiateur et des autorités de tutelle ", de procéder à l'annulation de la dette de Mme P... et au remboursement des sommes versées, soit un montant total de 22, 942,35 F correspondant à la différence des prix de journée pendant la période de rétroactivité de l'arrêté préfectoral fixant le prix de journée 1978.

Le 16 juillet 1983, enfin, Mme P... écrivait au Médiateur : " J'ai le plaisir de vous faire savoir que, ce jour, le Trésorier payeur vient de créditer mon C.C.P. du montant de la somme exigée à tort ". Ainsi s'achevaient les tribulations de Mme P... qui avait dû supporter de novembre 1978 à janvier 1983 de lourds prélèvements sur son modeste salaire pour régler une dette inexistante en droit.

Soucieux d'éviter le renouvellement de tels errements, le Médiateur avait, dès la fin de 1981, saisi le Ministre de la Santé du problème de la rétroactivité des prix de journée. Le 7 janvier 1982, le Ministre répondait par la lettre suivante :

Monsieur le Médiateur,

Vous avez appelé mon attention sur les difficultés des usagers des établissements d'hospitalisation liées au caractère rétroactif de certains arrêtés préfectoraux fixant les prix de journée de ces établissements.

Cette anomalie que l'on a constatée par le passé était, pour une bonne part, la conséquence des procédures excessives de centralisation qui conduisaient à faire examiner par les services centraux entre un tiers et la moitié des budgets des établissements.

Pour 1982 ces procédures ont été supprimées et les pouvoirs restitués aux préfets d'arrêter sous leur propre responsabilité les budgets et les prix de journée des hôpitaux, ce qui devrait entraîner une réduction des délais de 3 semaines à 2 mois. Cela paraît suffisant pour permettre dans la grande majorité des cas que les prix de journée soient fixés avant le 1er janvier de l'année pendant laquelle ils sont applicables.

Je vous prie d'agréer, etc.

Il semble cependant que des difficultés techniques très complexes rendent toujours impossible, au moins dans certains départements, la seule solution conforme au droit : la non-rétroactivité rigoureuse du prix de journée. Le Médiateur persiste à souhaiter que l'Administration ne relâche pas son effort visant, dans ce domaine, à aligner le fait sur le droit.

Démolition d'un pavillon par décision de justice.
L'Etat responsable de la délivrance d'un permis de construire irrégulier
dédommage le propriétaire

(dossier n° 81.4656)



L'affaire de M. G... a défrayé la chronique pendant le 1er semestre 1983.

En 1974, M. G... s'était porté acquéreur d'un terrain inclus dans un lotissement situé sur le territoire de la commune normande de C...

Un permis de construire, délivré le 16 novembre 1974 par le maire de C... sur avis favorable de la direction départementale de l’Equipement, autorisait M. G... à édifier un pavillon sur ce terrain.

Il existait un plan de masse annexé à l'arrêté préfectoral en date du 3 novembre 1958 portant création du lotissement. Toute l'affaire est née de la non-conformité de la construction autorisée avec ce plan de masse et du refus d'un voisin, M. S... d'accepter cette non-conformité. Celle-ci consistait dans le fait que la maison de M. G... au lieu d'être en équerre par rapport au chemin rural qui limitait et desservait au Nord le lotissement, se trouvait en biais par rapport à celui-ci. M. S... estimait que cette différence d'orientation entraînait pour lui-même une diminution de l'ensoleillement.

Les travaux de construction ayant commencé fin novembre 1974, M. S... introduisait en janvier 1975, un recours gracieux auprès du préfet et du maire ; puis, le 14 avril 1975, 2 mois avant l'achèvement de la maison, un recours contentieux auprès du tribunal administratif tendant à l'annulation du permis de construire accordé le 16 novembre 1974. Le tribunal administratif faisait droit à cette requête et, le 4 novembre 1975, prononçait l'annulation.

L'Administration tentait alors de réparer son erreur initiale consistant à avoir accordé un permis de construire non conforme au plan de masse et à l’arrêté qui avait donné à celui-ci valeur réglementaire. Cette tentative de rectification se fondait sur l'article L 315-3 du Code de l'Urbanisme qui permet de prononcer une modification de tout ou partie du cahier des charges d'un lotissement à la demande des deux tiers des propriétaires détenant au moins les trois quarts de la superficie totale. M. G... ayant pu obtenir l'accord de 9 propriétaires sur 11, un arrêté préfectoral en date du 4 juin 1976 approuvait une modification du plan de masse qui régularisait l'orientation du pavillon. Un nouveau permis de construire était alors délivré par le maire de C...

Cela ne donnait nullement satisfaction à M. S... qui introduisait un nouveau recours devant la juridiction administrative, soutenant que l'arrêté préfectoral du 4 juin 1976 était entaché de détournement de pouvoir. Par jugement du 6 juin 1978, le tribunal lui donnait raison, estimant que la modification du plan de masse " avait eu pour unique objet et avait pour seul effet défaire coïncider la partie du lot sur laquelle devait obligatoirement s'élever une construction avec celle qui avait effectivement été utilisée pour édifier le pavillon litigieux ". De telle sorte que l'autorité administrative avait usé de ses pouvoirs " pour un objet autre que celui en vue duquel ils lui étaient conférés ". Autrement dit, l’arrêté du 4 juin 1976 n’avait pas pour objet réel de modifier le plan de masse selon des considérations d’intérêt général, mais de "permettre de régulariser la situation de fait irrégulière d’un immeuble existant dont le permis qui ne respectait pas les prescriptions du cahier des charges d’un lotissement régulièrement approuvé, avait été annulé".

Concurremment à la procédure engagée devant la juridiction administrative, M. S... avait assigné M. G... devant la juridiction civile. Par jugement du 31 janvier 1977, le tribunal de grande instance de C.... donnant satisfaction à M. S.... condamnait M. G... à détruire le pavillon et à verser à M. S... 5 000F de dommages-intérêts.

M. G... ayant fait appel, la Cour d'appel de C..., par arrêt du 5 octobre 1979, déboutait M. S... de sa demande tendant à la démolition du pavillon litigieux " eu égard à l'inadéquation grossière entre le préjudice réel [la diminution de l'ensoleillement] et le mode de réparation sollicité ". La Cour jugeait pourtant que M. G... devait entière réparation du préjudice et, pour l'évaluation de celui-ci, renvoyait les deux parties devant le conseiller de la mise en état.

Mais l'affaire ayant été portée par M. S... devant la Cour de cassation, celle-ci par un arrêt en date du 19 mai 1981, censurait l'arrêt de la Cour d'appel de C... et rappelait que, par application des article 1142 et 1143 du Code Civil (Article 1142: " Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur " - Article 1143 : " Néanmoins le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l'engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s'il y a lieu "), le propriétaire d'une parcelle située dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été édifié en contravention des engagements du cahier des charges, soit détruit, indépendamment de l'importance du dommage, dès lors que, la réalité de l'infraction aux clauses du cahier des charges étant établie, aucune impossibilité matérielle d'exécution de la démolition n'est invoquée.

Enfin l'affaire, arrivant à son dernier stade judiciaire, était renvoyée devant la Cour d'appel de R.... Celle-ci, par un arrêt du 8 février 1983, condamnait M. G... à supprimer la construction édifiée par contravention au cahier des charges inclus dans l'acte d'acquisition. Faute par M. G... de procéder à cette suppression dans le délai de 2 mois, M. S... était autorisé à y procéder lui-même, aux frais de M. G..., sans préjudice d'une astreinte, à l'encontre de celui-ci, de 200 F par jour.

M. G... était condamné à payer à M. S...10 000 F de dommages-intérêts plus 5 000 F de dépens.

Enfin la société constructrice était condamnée à garantir M. G... pour tiers des condamnations et des frais qu'elles entraîneraient, à l'exception l'astreinte encourue le cas échéant.

Le Médiateur avait été saisi du problème en août 1981, au lendemain de l'arrêt de la Cour de cassation. Mais l'affaire était alors dans sa phase judiciaire finale et la détermination du plaignant, M. S..., à mener celle-ci jusqu'au bout était si évidente qu'il n'y avait d'autre possibilité pour le Médiateur que d'attendre le jugement définitif. Celui-ci était fourni par l'arrêt du 27 février 1983 de la Cour d'appel de renvoi. A partir de là, seul un arrangement amiable supposant un fléchissement de la position de M. S... pouvait éviter à M. G.... marié et père de deux jeunes enfants, la destruction d'une maison qui avait abrité son foyer pendant six années.

Cette négociation n'avait que bien peu de chances d'aboutir et il n'entrait pas dans les attributions du Médiateur de la mener puisque la loi ne lui donne pas qualité de conciliateur dans les litiges entre personnes privées. Cependant, compte tenu de la gravité de l'enjeu, son représentant, M. Bracque, directeur de son cabinet, accompagné du responsable du secteur " urbanisme ", M. Offroy, devant conférer avec les services de la préfecture, se rendait à C... à cette occasion et avait un entretien avec M. S.... Celui-ci, comme il était prévisible, ne modifiait pas sa position mais accordait tout de même une concession : il s'engageait à ne pas demander avant l'été l'exécution du jugement ordonnant la démolition du pavillon, afin de permettre aux enfants de M. G... de terminer sans trop de perturbations leur année scolaire.

A la demande expresse du Médiateur se tenait donc à la préfecture une table ronde réunissant ses deux représentants, le secrétaire général représentant le préfet, le directeur départemental de l'Equipement et le chef de son service du contentieux. L'ensemble du problème était examiné et il était convenu que la direction départementale chiffrerait les différents éléments du préjudice et établirait un mémoire qui serait adressé d'une part au Ministre de l'Urbanisme et du Logement, et d'autre part au Médiateur.

Une réunion se tenait peu de temps après au Ministère pour examiner ce mémoire. Le document ne proposait qu'une réparation partielle du préjudice. M. Bracque s'élevait alors contre cette conception, rappelait que c'était en raison d'erreurs administratives répétées que M. G... subissait un tort très grave et qu'il serait inéquitable que le préjudice, tout au moins le préjudice matériel, ne soit pas couvert en totalité. Une négociation délicate devait faire prévaloir ce point de vue que le Ministre entérinait.

Cette solution se concrétisait par une convention passée le 15 avril 1983, en présence de représentant du Médiateur, entre le Ministre et les époux G... Par cette convention, l'Etat s'engageait à verser la somme de 560 000 F, à titre de réparation globale et définitive du préjudice subi, dès qu'auraient commencé les travaux de démolition. Cette somme couvrait les frais de démolition et de reconstruction, les conséquences directes de la démolition (déménagement et relogement temporaire, détérioration du terrain), les dommages-intérêts à verser à M. S... et les frais de procédure.

La démolition était achevée en juin 1983 et l'indemnité versée à la fin de ce mois. Ainsi se terminait une affaire complexe et pénible dans laquelle l'intervention du Médiateur a évité la ruine à une famille très éprouvée moralement et matériellement.

Du moins l'Etat ne s'est-il pas soustrait à ses responsabilités et a-t-il, en fin de compte, réglé les préjudice sans attendre d'y être contraint par la décision d'une juridiction administrative. Cette décision n'aurait pu intervenir qu'après une longue procédure qui aurait encore aggravé la situation dans laquelle se trouvait M. G...

Douze ans pour obtenir un dégrèvement
(dossier n° 73.1483)



Voici une affaire qui, née en juin 1970, n'a trouvé sa solution qu'en avril 1982. Il a donc fallu près de 12 ans, l'opiniâtreté remarquable d’un requérant spécialement bien informé de ses droits (M. D... est inspecteur principal des impôts) et la ténacité de trois médiateurs successifs, pour que l'Administration s'incline et satisfasse une requête d'une incontestable légitimité.

En 1966, dans un département côtier particulièrement ensoleillé, la société civile immobilière du Val d'A... obtient un arrêté préfectoral (en date du 8 juillet) autorisant le lotissement en 30 lots d'une propriété de 56 000 m2 située sur le territoire de la commune de R.... L'un de ces lots sera acquis par M. D... qui y fera édifier en 1970 sa résidence principale, en vertu d'un permis de construire daté du 14 avril 1970.

Tous les lots du lotissement sont riverains d'une voie publique. L'arrêté préfectoral a imposé au lotisseur la réalisation d'infrastructures (voirie, égouts, électricité) qui devront être obligatoirement remis à la commune et incorporés au domaine publie lorsque tous les lots seront vendus.

En juin 1970, M. D... reçoit de la recette principale dont il dépend un avis de mise en recouvrement individuel d'une somme de 1 647 F correspondant à la taxe locale d'équipement. Cette taxe qui frappe essentiellement les constructions nouvelles est recouvrée au bénéfice de la commune d'implantation.

M. D... conteste le bien fondé de cette imposition en rappelant que l'article 2 du décret n° 68-838 du 24 septembre 1968 prévoit que, dans le cas où le terrain faisant l'objet d'une autorisation de construire est issu d'un lotissement autorisé antérieurement au 1er octobre 1968, le constructeur n'est soumis à la taxe locale d'équipement que sous déduction d'une quote-part de la participation du lotisseur aux dépenses d'équipements publics réalisées pour desservir le lotissement. La quote-part est calculée au prorata de la superficie du terrain.

La réclamation de M. D... est rejetée par le directeur départemental des services fiscaux qui ne nie pas le principe de la déduction mais qui estime que, pour qu'elle soit appliquée, il faut que le lotisseur soumette à l'approbation du maire un état de ses dépenses correspondant à des travaux d'équipements publics. Le maire devra transmettre le document revêtu de son approbation à la direction départementale de l'Equipement.

Celle-ci pourra alors fournir à la direction départementale des services fiscaux une attestation qui lui permettra d'opérer le dégrèvement.

M. D... se tourne donc vers le maire de R... et produit un état des dépenses établi par le lotisseur. Le maire déclare (verbalement) que sans être a priori opposé au visa de cet état, il estime ne pouvoir prendre à l'égard du conseil Municipal la responsabilité de viser sans avoir pris avis de sa commission des finances et du préfet. Notons au passage que la " commission des finances " n’est qu'un groupe de travail de quelques conseillers municipaux sans personnalité légale et que la simple certification d'un fait matériel n'exige peut-être pas qu'un maire procède à tant de consultations. Notons aussi que, dans la circonstance, le maire de R..., attristé peut-être à l'idée que sa commune pourrait se voir frustrée de tout ou partie de trente taxes individuelles d'équipement, se refuse à notifier par écrit sa position à l'égard de la demande de M. D...

Entre temps M. D... s'aperçoit qu'aucun texte ne prévoit formellement l'intervention du maire dans la procédure. Il est prévu seulement que, lorsqu'une déduction est possible, les éléments nécessaires à la détermination de la quote-part à déduire doivent être fournis par l'intéressé, avec le concours éventuel du lotisseur, à la direction départementale de l'Equipement. Celle-ci notifie ultérieurement ces renseignements au directeur des services financiers. Si le redevable de la taxe ne parvient pas à obtenir directement ces éléments, il peut exposer sa situation aux services départementaux du ministère de l'Equipement qui feront le nécessaire pour se procurer les informations indispensables. Cette position du ministère est connue par la réponse à une question écrite parlementaire publiée au Journal officiel du 23 octobre 1969.

M. D... saisit donc par écrit le directeur départemental de l'Equipement qui répond que les travaux réalisés étant susceptibles d'être partiellement des travaux d'intérêt privé " c'est la raison pour laquelle le maire d'une commune est qualifié pour déterminer s'il y a eu des dépenses d'exécution d'équipements publics et en évaluer le montant ".

Ainsi s'est instaurée une situation dite de ping-pong administratif, dans laquelle l'administré, renvoyé d'une administration à une autre, ne sait plus à quel saint se vouer.

Le 10 décembre 1971, M. D... pense pouvoir désembourber son affaire en écrivant directement au préfet. Il propose qu'une réunion soit organisée, rassemblant un représentant de la direction départementale, le maire et le lotisseur, réunion qui permettrait d'évaluer dans les dépenses de ce dernier la part correspondant à la création d'équipements publics.

Le 27 décembre 1971, le préfet répond : " Je soumets votre requête à l'examen de mes services [comprendre : au directeur départemental] et ne manquerait pas de vous tenir informé, dès que possible, de la suite susceptible de lui être donnée ".

Trois mois plus tard, n'ayant été informé d'aucune suite, M. D... se rend à la direction départementale où on lui affirme qu'on est tout disposé à intervenir à l'occasion d'un entretien entre le lotisseur, les propriétaires et le maire de R... à condition que ce dernier demande que cet entretien ait lieu. Mais que ce dernier ne veut agir qu'avec l'approbation de l'autorité de tutelle (c’est-à-dire le préfet qui transmettra sans doute à la direction départementale qui ... etc.).

M. D... écrit pourtant de nouveau au préfet le 19 avril 1972 en attirant l'attention de celui-ci sur " la fâcheuse impression que procure aux propriétaires cette absence de coordination entre les différentes administrations concernées au mépris de toutes les réponses et circulaires ministérielles ". Autrement dit, tout se passe comme si la direction départementale de l'Equipement restait sourde à toute directive du ministère et toute impulsion de la préfecture et comme si elle n'était réellement sensible qu'au point de vue du maire de R...

Le 5 mai 1972, le préfet écrit à M. D... qu'il n'est pas encore en possession du rapport du directeur départemental de l'Equipement qu'il avait consulté à la suite de sa lettre du 10 décembre 1971 et qu'il priait ce chef de service de hâter l'envoi de sa réponse.

Ne voyant toujours rien venir au fil des mois, M. D... se rend au début de février 1973 à la direction départementale, accompagné du lotisseur. On lui assure qu'une enquête sera effectuée par un ingénieur des Ponts et Chaussées.

Quelle n'est pas sa stupeur lorsque quelques jours après, il reçoit de la préfecture (sous le timbre du service de la coordination et de l'action économique), datée du 14 février 1973, la lettre suivante :

Monsieur,

En réponse à votre lettre en date du 19 avril 1972 et comme suite à ma correspondance du 5 mai suivant, j'ai l'honneur de vous faire connaître que M. le directeur départemental de l'Equipement vient de m'informer des visites que vous avez faites à ses services en compagnie de M. M... promoteur du lotissement du " Val d'A... " sis à R... et que vous êtes engagés à fournir les éléments nécessaires pour établir le montant de la participation du lotisseur aux dépenses d'équipement, afin de déterminer dans quelles proportions pourrait être éventuellement réduit le montant de la taxe locale d'équipement qui vous a été imposée à l'occasion de la délivrance d'un permis de construire.

J'ai tout lieu de penser, dans ces conditions, qu'une solution favorable sera apportée à brève échéance au problème qui vous préoccupe.

Veuillez agréer, etc.

Nourrissant l'espérance que l'affaire approche de sa solution, M. D.... par courrier du 20 février 1973 envoie les plans, devis états et factures exigés.

L'hiver s'achève, puis le printemps, puis l'été, sans que rien ne se produise. Si bien que, le 25 octobre 1973, M. D... saisit le Médiateur.

Celui-ci, le 20 novembre 1973, demande l'avis du ministère de l'Equipement. Il intervient par ailleurs auprès du ministère de l'Economie et des Finances (direction générale des impôts) pour que le receveur principal chargé du recouvrement de la taxe contestée veuille bien continuer à surseoir audit recouvrement jusqu'au règlement du problème de la déduction, la mesure devant s'étendre à tous les propriétaires du lotissement puisqu'ils sont tous dans une situation similaire à celle de M. D...

Le 27 janvier 1974, se tient à la mairie de R... une réunion provoquée par la direction départementale. Mais cette réunion ne se traduit par aucune décision. Tirant les conséquences de cette inertie, le Ministre de l'Equipement écrit le 6 février 1974 au directeur départemental, pour l'informer que les dispositions du décret n° 68-838 du 24 septembre 1968 ne prévoient pas expressément la consultation de la municipalité et qu'il lui appartient à lui, directeur départemental, de chiffrer le montant des travaux correspondant à des équipements publics et de fournir à M. D... l'attestation réclamée par les services fiscaux.

En informant le Médiateur, le 16 mai 1974, qu'il vient de donner ces instructions à son directeur départemental, le ministre de l'Equipement affirme avec optimisme : " On peut donc penser que ce document permettra à M. D... d'obtenir prochainement satisfaction ".

L'affaire entre alors non dans sa phase terminale mais dans une trompeuse période de latence. M. D... qui croyait qu'elle s'était réglée par l'envoi par le directeur départemental de l'Equipement au directeur des services financiers de l'attestation exigée, est tiré de son erreur le 16 octobre 1979 par une mise en demeure du receveur principal des impôts. Celui-ci lui réclame les 1 647 F de la taxe. M. D... saisit, une fois de plus, la direction départementale de l'Equipement qui répond, le 9 novembre 1979, par une lettre dont la clarté n'est pas le trait dominant :

Monsieur,

Par lettre citée en référence, vous m'avez adressé en vue d'un nouvel examen copies des correspondances reçues en mai 1974 du Médiateur, concernant la taxe locale d'équipement de l'ensemble des propriétaires du lotissement du Val d'A... à R...

Celles-ci font apparaître qu'en l'absence de précision, il était en principe possible de prendre en compte pour le calcul de la quote-part des équipements publics supportés par le lotisseur, les dépenses concernant l'élargissement de la voie communale au droit du lotissement ainsi que l'éclairage publie de cette portion de voie.

Or, jusqu'à présent, les factures fournies en justification concernant la voirie et les réseaux du lotissement n'ont pas permis de déterminer la part exacte des dépenses relatives à cette portion de voie.

Je précise que les dépenses d'équipement à l'intérieur du lotissement et des branchements particuliers jusqu'au droit des parcelles ne peuvent être prises en considération.

En effet, si l'autorisation de lotir a été accordée à M. M.. gérant de la société civile immobilière " le Val d'A... " c'est bien au vu des documents graphiques et de l'engagement de réalisation qui figure au programme des travaux annexé à l'arrêté de lotissement.

Dans ces conditions, je vous confirme qu'il ne me sera possible d'examiner la révision éventuelle de la taxe locale d'équipement que dans la mesure où me seront fournies les justifications précisées ci-dessus.

Veuillez agréer, etc.

Ainsi, plus de 5 ans après que le Ministre ait donné au directeur départemental de l'Equipement des instructions précises, ce dernier n'en a tenu aucun compte. Plus de 6 ans après que M. D... ait fourni plans, devis, états et factures, ce même fonctionnaire estime qu'il ne dispose pas des justifications nécessaires. Que ne les a-t-il réclamés au cours de ces six années !

Fin 1979, M. D... se résout à saisir le Médiateur (ce n'est plus M. Pinay, c'est M. Paquet) par la lettre suivante :

Monsieur le Médiateur,

Comme suite à ma précédente correspondance qui vous a été transmise par Monsieur le député-maire de T... le 5 novembre 1979, j'ai l'honneur de vous faire parvenir photocopie de la lettre que m'a adressée la direction départementale de l'Equipement.

Je vous laisse juge de ses termes. Je me permets simplement de faire remarquer qu'il n'a jamais été contesté que le lotisseur avait fourni toutes les factures et devis permettant d'évaluer les dépenses d'équipements publics. Que la direction de l'Equipement, service technique par excellence, qui emploie des ingénieurs hautement qualifiés, et qui, de surcroît, a étudié en son temps le projet de lotissement, se réfère à " des documents graphiques et à l'engagement de réalisation " pour refuser de procéder à une évaluation qui, en toute hypothèse, sera très supérieure au montant de la taxe locale globale, relève de la mauvaise volonté délibérée, puisque cette tâche avait paru possible en 1974.

Notre situation est analogue à celle d'un contribuable qui contestant une imposition non motivée se verrait conseiller de rechercher dans le Code général des Impôts l'article qui la justifie...

Je vous prie de croire, etc.

Le Médiateur fait rouvrir le dossier et procéder aux vérifications nécessaires. Le 22 mai 1980, il écrit au directeur départemental en lui demandant de réexaminer l'affaire et de résoudre le litige dans le sens des instructions qu'il a reçu du Ministre le 6 février 1974.

Le directeur départemental va-t-il s'exécuter ? Hélas, non. Si bien que le 20 novembre 1981, le Médiateur (ce n'est plus M. Paquet, c'est M. Fabre) saisit le Ministre de l'Equipement (qui est devenu, entre-temps, Ministre de l'Urbanisme et du Logement) en rappelant l'historique de l'affaire et en demandant fermement que les directives du 6 février 1974 soient enfin appliquées. Le Médiateur souligne que le maintien par les services fiscaux du sursis à paiement d'une créance remontant à onze années finirait par poser de sérieux problèmes. Il exprime le souhait que l'affaire soit réglée avant le 1er janvier 1982, souhait qui ne se réalisera d'ailleurs pas.

Toutefois le ministère commence à s'inquiéter de l'atonie de sa direction départementale. Le directeur départemental, mis en demeure d'agir par le cabinet du Ministre, déclare qu'il fait son affaire personnelle du règlement du litige. Celui-ci avait été en réalité créé par un chef de service dont toute la carrière s'était effectuée sur place et qui avait - par aveuglement ? pas entêtement ? - fait endosser aux directeurs départementaux qui s'étaient succédés la responsabilité du blocage de l'affaire.

Le 25 mars 1982, le Ministre fait connaître au Médiateur qu'il a décidé de trancher le problème en évaluant forfaitairement à 50 % de la facture des travaux d'équipements exposés par le lotisseur la part des équipements publics.

Or, ce qui est admirable c'est que cette évaluation forfaitaire établit à 6 459 F la quote-part des coûts d'équipements publics supportée par M. D..., soit quatre fois la taxe d'équipement réclamée (1 647 F). Douze ans ont été nécessaires pour obtenir un dégrèvement dont il était évident qu'il était acquis d'avance, ainsi que le requérant l'avait fait observer en son temps.

Le 26 avril 1982, M. D... écrivait au Médiateur : " J'ai le plaisir de vous faire connaître que, non seulement j'ai été officiellement informé par les services de l'Equipement du dégrèvement intervenu, mais qu'il en est de même pour les autres propriétaires du lotissement ce qui évitera des recours en cascade. " Et le 1er juin 1982 le directeur des services fiscaux confirmait que le dégrèvement avait bien été exécuté.

Le rideau tombait sur une guérilla administrative qui avait duré aussi longtemps que la guerre de Succession d'Espagne. On ne saurait échapper à des perplexités quand on considère le temps perdu et l'énergie gaspillée, le pouvoir de blocage de rouages subalternes, l'art avec lequel ceux-ci peuvent compliquer les affaires les plus simples et se retrancher derrière les complications qu'ils ont eux-mêmes créées ; et aussi l'indifférence ou plutôt l'incuriosité des supérieurs hiérarchiques devant ces mécanismes qu'ils devraient contrôler. Que serait-il advenu de la juste réclamation de M. D... si celui-ci avait eu une moindre connaissance des textes et des méthodes administratives ou une moindre persévérance dans la volonté de faire respecter ses droits ou s'il n'avait pas connu la possibilité de recourir au Médiateur ? L'histoire ne retient que les luttes contre les grandes tyrannies. Mais la lutte quotidienne contre le petit arbitraire est tout aussi nécessaire pour faire prévaloir ce qui est la condition de notre liberté : la préservation de l'Etat de droit.

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