Année 1981


INTRODUCTION



Une institution née voici huit ans, dont les pouvoirs ont été élargis dès la troisième année de son existence, ne peut être qu'en permanente évolution.

Devenue un rouage indispensable de notre système démocratique, l'Institution du Médiateur traverse encore une période de croissance et d'adaptation, à la recherche de la meilleure harmonie possible entre les droits des citoyens et les contraintes de l'Administration.

Dans le rapport annuel 1980, j'ai exposé ma conception personnelle du rôle de Médiateur, vigilant défenseur des libertés et de l'équité, promoteur de réformes ; à l'écoute permanente de l'opinion, il est aussi au contact d'une Administration qu'il n'a pas pour objectif de pourfendre, mais de comprendre, voire d'aider.

Car, s'il est vrai que l'Administration, se confondant parfois avec la Bureaucratie, peut oublier qu'elle est au service du public, et offre des exemples fâcheux de lenteur, de désinvolture, d'errements, ou d'excessive rigueur, il convient d'éviter la condamnation globale née d'un jugement hâtif et ponctuel.

Il ne faut pas ignorer la responsabilité du législateur lui-même : dans le louable souci d'améliorer les textes régissant l'économique, le social ou le juridique, il multiplie les initiatives gouvernementales et parlementaires aboutissant à l'adoption de nouveaux projets de loi. Suivent l'élaboration et la rédaction des décrets d'application et des circulaires explicatives qui en découlent.

D'où un constant effort de mise à jour de la part des services administratifs, croulant déjà sous le poids accablant des textes précédents, et tenus d'assimiler, dans une permanente reconversion, les directives fraîchement parues. Malgré une volonté de simplification générale, les textes nouveaux, s'ils apportent des avantages à certains administrés, ne brillent pas toujours par la clarté et la précision.

Par ailleurs, l'administré plaignant, qu'anime parfois une prévention trop répandue à l'égard des services administratifs, n'est pas toujours un agneau innocent. Nombreux, il est vrai, sont les cas où le citoyen trop ignorant de la loi et de ses contraintes, est une victime qui doit être secourue.

Mais il y a aussi les malins, adeptes du système D, et les naïfs qui refusent de reconnaître leur propre erreur.

Dialogue et concertation


C'est en vertu de ces considérations non contradictoires, que j'ai choisi, dans mon action de Médiateur, abandonnant volontairement l'agressivité, sans pour autant récuser l'obstination, la voie sereine du dialogue, de la concertation.

Au "règlement de comptes", je préfère la conciliation qui, au cas de mauvaise volonté évidente, doit, à mon regret, laisser la place au plein exercice de l'autorité morale de l'institution et aux moyens de pression légaux dont elle dispose (recommandations, injonctions ... )

Ayant en l'occasion d'exposer ces conceptions aux Ministres que j'ai pu rencontrer, aux divers responsables de l'Administration avec lesquels j'ai été amené à collaborer, ayant dans quelques articles de presse précisé cette orientation, j'ai perçu un significatif changement d'attitude des responsables administratifs, aux divers échelons, envers l'institution du Médiateur.

Celui-ci, dont l'un des objectifs est de relever les oublis, les erreurs, les fautes, était en effet, souvent perçu comme un gêneur, venant mettre son nez dans des affaires que l'on croyait réglées -bien ou mal-, provoquant des enquêtes d'inspecteurs généraux, des expertises sur place, des tables rondes au niveau de Préfectures ou de Directions...

Tout ce qui peut perturber le ronronnement régulier d'une machine bien huilée, dont les mécaniciens estiment que les à-coups sont l'exception (à-coups dont ils se sentent rarement responsables !) constitue une désagréable complication.

Le Médiateur n'est pas une nouvelle Administration, et moins encore un organisme chargé de sanctionner, mais il a pour vocation d'être le trait d'union entre les citoyens et leur Administration.

Une collaboration efficace


Il a donc été nécessaire - et cette persévérante croisade ne fait que commencer - de persuader les "Administrations", les agents de la Fonction Publique et assimilés que l'action ponctuelle du Médiateur, si elle a pour but de redresser un tort, de mettre fin à une iniquité, débouche aussi, et peut-être surtout, sur la recherche commune de solutions simplificatrices, plus équitables, et de réformes favorables à tous.

Favorables au citoyen administré, certes, mais favorables aussi à l'Administration. Faciliter la tâche de l'administré, lui éviter dès la première démarche qu'il effectue, les pièges de l'information tronquée, de la circulaire périmée ou mal rédigée, n'est-ce pas déjà éviter le contentieux ou la forclusion ultérieurs ?

Mes collaborateurs comme moi-même nous sommes efforcés de faire comprendre à nos interlocuteurs, à tous les niveaux de l'Administration, que nous n'étions pas des adversaires -encore moins des ennemis !- mais des collaborateurs dans la grande tâche d'humanisation des rapports qui s'impose afin d'éviter les incompréhensions, les heurts et les inimitiés aggravant les conditions de l'existence quotidienne des Français.

Nous avons la satisfaction de percevoir une meilleure compréhension de notre rôle, qui se traduit par une attention accrue portée à nos critiques, à nos demandes d'éclaircissement, à nos suggestions.

D'où aussi une meilleure possibilité de transaction, d'accords amiables, qui, statistiquement, se révèle par une progression, légère mais significative, du taux des dossiers ayant obtenu satisfaction - partielle ou totale -. Ce taux étant, d'une année sur l'autre, passé de 33 % à 36,06 %.

Cet effort de conciliation n'exclut pas, lorsqu'a été relevée une irrégularité, une illégalité, ou une faute grave, la sévérité du jugement et la fermeté dans la demande de réparation. Le désir de conciliation ne va pas jusqu'à la faiblesse et l'abandon de l'exigence de l'équité.

Coordonner les propositions de réformes


Ces intentions ont reçu un accueil particulièrement favorable au niveau des divers Ministres et Secrétaires d'Etat auxquels j'ai pu rendre visite, non seulement pour une prise de contact à la fois protocolaire et amicale, mais en vue de séances de travail concernant lés réformes élaborées et proposées par les services du Médiateur.

Depuis la création de l'institution, plus de deux cents propositions de réforme ont été soumises par le Médiateur aux Ministres successifs dont les départements étaient concernés.

40% ont été totalement ou partiellement satisfaites. Certaines se sont trouvées, depuis leur conception, dépassées par d'heureuses évolutions, d'autres gardent toute leur actualité.

J'ai donc été amené à proposer aux nouveaux Ministres du Gouvernement dirigé par Monsieur Pierre Mauroy, un réexamen de l'ensemble de ces réformes - qu'il s'agisse de réformes législatives ou simplement réglementaires.

Certaines ont été presque immédiatement satisfaites. Telle la prise en compte par le Ministre de la Défense Monsieur Charles Hernu de mes démarches en faveur d'une révision de l'attitude adoptée envers certains objecteurs de conscience assimilés à des insoumis. A souligner également que, répondant au voeu exprimé dans mon rapport pour 1980 concernant la nécessité du maintien du caractère unique et national du Médiateur, Monsieur Hernu a renoncé à la création d'un Médiateur militaire. Ont été chargés de cette tâche conciliatrice les inspecteurs généraux des armées, avec lesquels j'ai aussitôt noué de fructueuses relations.

Monsieur Louis Mexandeau, Ministre des P.T.T. a également pris en considération les suggestions présentées, après contact avec la C.N.I.L (Commission Nationale Informatique et Libertés) et les associations d'usagers, concernant la perspective (à assez long terme...) de la mise en place de la facturation détaillée des communications téléphoniques. Avec la possibilité, en attendant, de faire placer chez soi un compteur agréé et faisant foi. .

D'autres propositions de réforme exigent des études plus approfondies, l'estimation de leurs conséquences financières, et, la plupart du temps, plusieurs Ministères étant concernés, impliquent des arbitrages interministériels.

C'est pourquoi nous avons tenu avec Monsieur Anicet Le Pors, Ministre délégué auprès du Premier Ministre, chargé de la Fonction Publique et des Réformes Administratives, des séances de travail portant plus spécialement sur les projets nécessitant une coordination entre les divers Cabinets et Directions Ministériels.

J'ai fait part de ces contacts et de ces travaux au Premier Ministre Monsieur Pierre Mauroy et au Président de la République Monsieur François Mitterrand, qui ont approuvé l'orientation que j'entendais donner à l'Institution du Médiateur tant sur le plan du traitement des dossiers que sur celui des réformes.

Harmoniser les textes


L'institution doit, à l'évidence, tenir compte -tout en gardant farouchement sa précieuse indépendance- de l'évolution politique, économique et sociale, pour y adapter son mode d'intervention.

Considérer par exemple qu'un Parlement se livrant à une activité réformiste considérable, appelé à traiter, presque sans relâche, des multiples propositions et projets de loi qui lui sont soumis, ne pourra prendre en compte les propositions du Médiateur que si elles s'insèrent dans un ensemble cohérent, ou si elles s'imposent par leur urgence.

Sans déborder du cadre de ses prérogatives, le Médiateur pourra cependant appeler l'attention des gouvernants et des législateurs sur les risques d'une prolifération de textes non harmonisés avec les textes précédents, ou sur les difficultés qui résulteraient d'obscurité ou de contradiction prêtant à interprétations pour l'élaboration des décrets d'application et des circulaires destinées à les clarifier. Que la recherche des simplifications n'ouvre pas la porte à de nouveaux contentieux !

Sans doute devrait-on ériger en principe que toute loi nouvelle devrait simultanément effacer la loi précédente ayant le même objet et non pas -ce qui est le cas fréquent- s'y surajouter...

A l'origine de nombreux litiges : l'insuffisance de l'information de l'administré.


Ce souci permanent de simplifier la vie de chacun qu'anime le Médiateur et ses services, l'ont amené à constater qu'un nombre important -et croissant- des dossiers qui lui sont soumis révèlent, à l'origine du litige, un manque d'information de celui qui en est la victime.

De nombreuses réclamations proviennent de ce que l'administré n'était pas au courant d'une date limite d'appel, d'une possibilité de recours, qu'il ignorait parfois un droit à pension complémentaire... Qu'il avait mal constitué un dossier, mal rempli un formulaire. Parfois même que le formulaire utilisé était périmé...

Est-ce sa faute ? Est-ce la faute de l'Administration ? Il n'est pas vain de le découvrir, cas par cas, pour situer les responsabilités.

Mais il sera plus efficace de lutter tous ensemble, contre les causes de cette mauvaise information, qui, à l'examen se révèle multiple, profuse, abondante, mais mal irriguée, cloisonnée, fractionnée, parfois tronquée.

Le temps n'est plus où l'on pouvait, devant la méconnaissance des règlements affichée par un administré, répondre à son mécontentement par le péremptoire "nul n'est censé ignorer la loi".

Depuis "l'honnête homme" du dix-septième siècle qui pouvait encore prétendre enfouir dans une tête bien faite l'ensemble des connaissances de l'époque, nul ne peut accumuler dans ses cellules grises la totalité des informations concernant la vie administrative et la jurisprudence.

C'est bien l'une des raisons qui ont obligé l'homme du vingtième siècle à inventer l'ordinateur, qui supplée à l'insuffisance de notre mémoire.

Comment est conçue l'information administrative


Nous avons donc été amenés à engager, au cours de l'année 1981, une enquête sur l'information administrative, au niveau de sa conception, au sommet (Services du Premier Ministre : S.I.D, C.C.D.A.... ) ... etc ... puis au niveau des différents organismes tels Sécurité Sociale, Mutualité Sociale Agricole, Chambres Consulaires ... etc... qui organisent leur information spécifique, en suivant la filière qui tend à faire "descendre" cette information jusqu'au niveau du "consommateur" (en l'occurrence l'administré, le citoyen) en passant par le canal des services régionaux, départementaux (et enfin des fonctionnaires au contact direct -guichet ou téléphone-).

Cette enquête a été menée par Madame Marie-Claude Gizard et Monsieur Patrice Sotero chargés, dans nos services, de l'information et de la documentation, qui ont consacré plusieurs mois à ces contacts, ces études, nous amenant à une réflexion commune qui a fourni la matière de ce rapport. Cette enquête a été menée en liaison avec nos correspondants départementaux.

J'ai souhaité en effet -et j'avais déjà exprimé ce voeu dans le rapport 1980- que ce document revête une autre forme que celle de l'accumulation de données, certes très intéressantes, mais ne dégageant ni unité de réflexion, ni philosophie d'ensemble.

Au style "présentation de dossiers exemplaires", Ministère par Ministère, ce qui lui donnait le caractère d'un Palmarès (chaque administration concernée avait la tentation de regarder uniquement les pages qui lui étaient consacrées, pour voir si la "note" était bonne ou mauvaise) j'ai préféré le choix d'un thème général.

En l'occurrence l'information Administrative. Sa genèse, son cheminement, son efficacité. Et, au fur et à mesure, découlant naturellement des observations critiques, sont suggérés les remèdes.

Cet essai n'a pas la prétention d'être exhaustif. Il eut fallu disposer de beaucoup plus de temps pour répertorier et visiter la totalité des organismes publics et privés qui visent à informer nos concitoyens de leurs droits et de leurs devoirs. Ce qui a été étudié -qui est cependant l'essentiel- permet déjà, grâce à la variété de l'échantillonnage, grâce au bon accueil reçu, aux documents fournis, aux appréciations, parfois aux confidences recueillies, de se faire une idée d'ensemble ; de mesurer face à l'énorme effort accompli, à la tâche considérable entreprise, la progression certaine, mais aussi les insuffisances, les lacunes. De découvrir les obstacles auxquels se heurte l'organisation de tout système. D'estimer le gigantesque pas qu'il reste à franchir pour donner dans le domaine de l'information administrative la fameuse "égalité des chances", du moins au départ.

En allant ainsi "sur le terrain" mes collaborateurs mettaient d'abord en pratique l'une des volontés prioritaires du Médiateur exposé dans son rapport précédent (page 13) : "être aussi bien à l'écoute des agents des services publics qu'à l'écoute des usagers et des administrés ".

Ils atteignaient ensuite un double objectif : découvrir, par le contact direct, les problèmes qui se posent quotidiennement à ceux qui ont pour mission d'informer.

Les instruire des orientations et des méthodes du Médiateur, dont le souci est de déceler les freins à une meilleure information.

Un foisonnement de bonnes intentions


Cette nécessité était également apparue à d'autres responsables.

Dès novembre 1981 le Premier Ministre et ses Services, par une circulaire, par une réunion autour du S.I.D. à laquelle participait d'ailleurs un représentant du Médiateur, souhaitaient une conjugaison des efforts des services d'information, en particulier en ce qui concerne l'édition des guides destinés à informer diverses catégories d'administrés et usagers. Guides susceptibles d'apporter des éléments très intéressants aux personnes âgées, aux handicapés, aux contribuables, aux assurés sociaux ... etc... mais pouvant également, par doubles emplois, constituer d'inutiles gaspillages. Par ailleurs des lacunes restent à combler. Le Médiateur lui-même n'a-t-il pas inspiré (et ce fut le fruit d'un groupe de travail interministériel, animé par Monsieur Paul Ripoche, Délégué du Médiateur) les Guides de l'Expropriant et de l'Exproprié ?

Mais, entre l'insuffisance et la profusion, une coordination planificatrice s'impose.

N'a-t-on pas été obligé, pour mettre un peu d'ordre dans ce foisonnement, d'éditer un Guide des Guides ?

Double symbole : du désir légitime de rationaliser, et d'une excessive profusion.

Le Ministre délégué chargé de la Fonction Publique et des Réformes Administratives, ayant pris lui aussi conscience de la nécessité de cette mise en ordre organisait le 9 décembre 1981, une réunion dont le but était de définir les moyens à mettre en oeuvre pour mieux faire connaître l'existence de lois récentes consacrant l'existence d'un droit à l'information (loi "informatique et libertés" - loi sur l'accès aux documents administratifs - loi sur la motivation des actes administratifs).

Dans le même temps, certains quotidiens ou hebdomadaires publiaient, témoignages à l'appui, des articles de fond consacrés à l'insuffisance - du moins apparente - de l'information.

Nécessité d'une action concertée


L'initiative du Médiateur répondait donc bien à un besoin ressenti aussi bien par les responsables gouvernementaux que par l'opinion.

La contribution qu'il apporte aujourd'hui au débat permettra, il l'espère, d'aller au-delà de cette sensibilisation, déjà amorcée, vers les modifications de comportements, de règlements et, s'il le faut, de structures qui apparaîtront indispensables.

Les réflexions qui vont suivre n'ont d'autres prétentions que de suggérer les contours d'une action concertée. Elles prennent leur point de départ du constat de carence, ou d'erreur, ou d'iniquité établi lors de l'examen d'un dossier, reçu par le canal d'un parlementaire, ainsi que la loi l'exige. Le lecteur trouvera dans ce rapport un certain nombre d'exemples concrets particulièrement significatifs, qui illustreront mon propos.

Ces réflexions se sont ensuite nourries et enrichies des propres réflexions et suggestions des interlocuteurs rencontrés au cours de cette enquête.

Elles débouchent parfois sur une impasse ; la rigidité d'un système juridique souvent basé sur le principe de non-rétroactivité et sur le système des forclusions.

Elles orientent parfois sur des solutions de bon sens, faciles à mettre en oeuvre pour un esprit logique, mais se heurtant à la pesanteur des traditions.

Elles incitent enfin, dans certains cas, à poursuivre en profondeur une oeuvre de réforme qui appelle la volonté des gouvernants et du législateur.

Ces différents types de réflexions se retrouveront tout au long du parcours que nous allons effectuer dans le monde complexe des arcanes administratives, au sein des dossiers débordants, des Journaux Officiels jaunis, des jugements faisant jurisprudence, des circulaires contradictoires, des réponses ministérielles aux parlementaires, des arrêts du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation...

Forêt touffue où chaque arbre en cache un autre, et où se perd le citoyen Petit Poucet, tremblant à l'idée que l'Ogre-Administration lui enlève les rares cailloux blancs qui jalonnent son chemin.

Mais, avant même d'en arriver aux maux, et à leurs éventuels remèdes qui feront l'objet de notre conclusion, quelques constatations d'ordre général peuvent être dégagées, qui éclaireront mes propos ultérieurs.

Deux phénomènes liés à la trop rapide accélération de notre civilisation technicienne sautent immédiatement aux yeux :

Le premier, qui a été maintes fois dénoncé comme étant la difficulté majeure d'une information convenable, c'est la complexité croissante de notre système administratif.

Le second, moins souvent mis en accusation, car il n'affecte qu'une partie de notre population, c'est l'obstacle que constitue l'insuffisance d'instruction et de formation.

La complexité croissante du système Administratif


Complexité croissante : comment peut-il en être autrement ?

Chacun se plaint de la réglementation étouffante, mais, en même temps réclame à son profit, protection, sécurité, statut particulier. Toute profession tient à être reconnue, contingentée par examen ou concours. Celui qui veut entrer dans la forteresse se plaint des barbelés et des fortins qui l'entourent. Dès qu'il a pu y pénétrer, il verrouille les cadenas et tire à vue sur ceux qui n'ont pas eu la chance de le suivre. On pourrait multiplier les exemples, depuis les architectes, qui ont entrouvert les portes aux "techniciens du bâtiment", jusqu'aux préparateurs en pharmacie et aux moniteurs d'auto-école...

Chacun veut son statut social, puis fiscal. Il reste, malgré un sévère rapport du Conseil des Impôts, des dizaines de professions bénéficiant d'avantages fiscaux spécifiques.

Chacun veut sa protection sociale perfectionnée, avec des avantages -dits acquis- qu'il est hors de question de remettre en cause. On en reste ainsi à une multiplicité de caisses plus ou moins complémentaires, qui cherchent, lorsqu'un malheureux "assujetti" ayant changé plusieurs fois de profession dans sa vie active, à rejeter sur la voisine la prise en charge de la pension de retraite de "l'indésirable" (à qui il appartient de faire la preuve de ses versements, aussi lointains soient-ils).

Voilà peut-être, avec la difficile perspective d'une harmonisation des prestations sociales, et la plus hypothétique encore unification des systèmes de protection, un bon sujet d'études pour les responsables politiques (amorcées par le Médiateur dans un rapport de 1977).

Le Président de la République a évoqué, au cours d'un entretien télévisé, la difficulté de vivre née du passage de la civilisation pastorale à la civilisation citadine.

Immense champ pour la réflexion et la prospective ! Comment "humaniser" la vie du citoyen de 1982 projeté de feux verts en feux rouges, ballotté dans le métro, l'autobus, inquiet pour la stabilité de son emploi, inquiet pour l'avenir de ses enfants et qui, pour son repos vespéral s'adonne, sevré de télévision, à la rédaction de sa feuille d'impôt, d'une déclaration de maladie ou d'accident, au calcul de retenues sur salaires, de cotisations sociales, de charges locatives ... Il est condamné à utiliser une fraction de son "temps libre" à remplir d'épais dossiers pour solliciter le permis de conduire, le permis de construire, pour obtenir sa pension de retraite, d'invalidité, sa carte d'ancien combattant, la reconstitution de sa carrière, l'allocation logement, la prime à la création d'emploi, la prime à l'investissement, la prime zone de montagne ... Il doit veiller aux dates limites, sous peine de pénalités. Il doit jongler avec des sigles, familiers ou obscurs, URSSAF, ANAH, POS, ASSEDIC, UOC, UDSMA .... ne pas confondre la notice A 2044 sur papier bleu avec l'annexe D 2049 sur papier vert...

Et ce n'est la "faute à personne !"

La responsabilité est collective : chacun souhaite et redoute à la fois un mode de vie qui lui apporte un confort incomparablement supérieur à celui de ses grands-parents, mais qui lui inflige, en compensation, des contraintes de plus en plus lourdes : inscriptions, immatriculations, cotisations, rémunérations, indemnisations, robotisation ...

Revenir en arrière ? Même les écologistes, dont le combat, dans l'idéal, est justifié par la nécessité de protéger la nature, n'exigent pas te retour à la roue à aubes ...

Dans notre système structuré, toutes les pièces de l'édifice sont solidaires. En retirer brutalement une c'est condamner le château de cartes à s'écrouler.

Mais il n'est pas interdit d'ouvrir un oeil neuf sur ce qui a tendance à devenir une routine, subie comme inéluctable, avec deci-delà quelques tentatives de révolte.

De détecter les complications inutiles. D'élaguer les formulaires. De les rendre compréhensibles au rédacteur peu lettré, même s'ils doivent rester déchiffrables par l'ordinateur.

De rapprocher les sources d'information de celui qui les sollicite. D'éviter les renvois style "punching-ball" d'un guichet à un autre, d'un correspondant téléphonique à trois autres, avant que le préposé idoine ne soit découvert... D'ouvrir des bureaux d'accueil agréables, où une hôtesse souriante guide le solliciteur intimidé, hésitant. De flécher clairement les parcours dans des couloirs tortueux. De personnaliser les interlocuteurs par des badges portant leur nom.

J'arrête, car les suggestions simplificatrices, humanisantes ; sont nombreuses, plus ou moins aisées à traduire dans les faits.

Nous essaierons, dans les pages qui suivent, d'en dégager quelques-unes.

Insuffisances de la formation du citoyen.


L'autre réflexion d'ordre général porte sur l'insuffisance de la formation de nos concitoyens face aux difficultés de la vie administrative.

Il existe actuellement deux catégories de Français : ceux dont les études ont été poussées, et dont la formation scolaire, universitaire et professionnelle a permis d'aborder le Droit, la gestion des entreprises... Ceux-là sont mieux armés pour se défendre contre les obscurités, les complexités du système administratif. Lorsque la chance leur a souri dès le berceau, l'environnement familial les a initiés, dès leur jeune âge, aux problèmes les plus simples. Savoir ce qu'est un compte en banque, la gestion d'un portefeuille, le respect des dates d'échéance, les possibilités de déduction fiscale, tout cela leur devient compréhensible. Plus tard, ayant accédé à la Direction d'une entreprise, à une profession libérale, un commerce, ils auront la possibilité d'avoir recours à un expert-comptable, à un conseiller juridique, à un spécialiste en organisation qui les guideront dans le maquis procédurier et fiscal, leur signaleront les abattements à faire jouer, les réévaluations de bilans, les frais professionnels à déduire ...

Ces citoyens là, ayant complété leur instruction civique par une solide instruction économique passeront rarement à côté des avantages que procure une législation touffue, une réglementation sujette à interprétations.

Pour éviter que le jeu subtil ne s'oriente vers la tricherie, il convient déjà, de s'en prémunir par la clarté, la transparence des textes, des formulaires, des notices, des déclarations...

Mais il y a tous les autres, tous ceux qui ne bénéficient ni d'une formation personnelle convenable, ni des moyens de s'entourer du réseau protecteur dès conseillers habiles mais nécessaires.

C'est à ceux-là qu'il nous faut penser.

Non pas seulement en simplifiant les démarches auxquelles ils ne peuvent échapper.

Mais en leur donnant, dès l'école, sinon une totale égalité des chances, du moins les moyens de compréhension leur ouvrant l'espoir de ne pas être, à perpétuité, voués au rôle ingrat du pot de terre face à l'Administration pot de fer.

C'est au niveau des programmes scolaires, et dès les premières classes, que doit s'opérer le changement. Que doivent être introduites des notions de droit privé, commercial, public, de gestion des affaires, d'initiation aux systèmes de protection sociale, d'initiation à la participation à la vie de la -cité, de la collectivité.

Le développement harmonieux de l'individu, ses chances d'une meilleure insertion dans la vie collective passent par cette information de base sur les bancs de l'école primaire, puis du collège et du lycée.

En ce domaine, comme dans beaucoup d'autres la décentralisation peut jouer un rôle important, favorisant le rapprochement des centres de décision des élus et responsables locaux.

J'ai, à tous les échelons des responsabilités que j'ai assumées, prôné cette formation de notre jeunesse. Je ne peux que souscrire à tout pas effectué dans ce sens. La révolution informatique favorisera cette évolution.

Les deux démarches : simplification, humanisation du système administratif, mise à la portée de tous du dialogue administré administration, se complètent harmonieusement.

Il ne s'agit pas de baisser les bras après un constat pessimiste de l'évolution vers la complexité et, l'acceptant comme une fatalité, se satisfaire d'opposer au poison son contrepoison.

Une nouvelle génération de citoyens


Il s'agit de former une nouvelle génération de citoyens capable de se libérer de l'esclavage de l'assistanat économique et social pour assumer elle même ses propres responsabilités.

Lorsque le courant informatif circulera aussi bien dans les deux sens : du législateur et de la haute administration vers la base, d'une part, du citoyen de base vers le décideur au sommet, d'autre part, alors de grands progrès auront été accomplis vers -ce qui est notre but- la réconciliation de l'Etat et des citoyens.

C'est-à-dire vers une forme de civilisation où chacun, conscient de ses droits et de ses devoirs, respectera mieux les droits des autres.

C'est l'une des facettes de la liberté indivisible.

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