Année 1981


CONCLUSION




Lorsque le législateur français a créé l'Institution du Médiateur, son objectif a été de donner à l'Administré un défenseur, face à une Administration parfois tentée d'abuser de sa position de puissance. Il n'a pas osé en faire d'emblée un véritable Ombudsman, Protecteur du peuple, défenseur des libertés. Une courte réflexion -trois années- a cependant conduit le Parlement à élargir considérablement ses pouvoirs en lui confiant, en 1976, l'initiative de propositions de réformes.

Ce qui a transformé l'esprit même de l'Institution, en faisant un instrument original, et désormais indispensable, de notre système démocratique.

Car l'indépendance dont jouit le Médiateur -irrévocable et non renouvelable- vis-à-vis des divers pouvoirs, l'absence de pression partisane, de motivations électorales, lui permettent une totale liberté d'expression dans la critique comme dans la proposition.

Son objectivité dans l'analyse des faits s'enrichit de la subjectivité dans l'appréciation. Respectueux du droit, le Médiateur n'en est pas prisonnier puisque l'aspect humain des problèmes l'incite à instruire en équité, l'application stricte des règlements pouvant parfois déboucher involontairement sur l'injustice.

Cette injustice risquant de devenir répétitive, il est donc amené à suggérer des textes législatifs nouveaux, des modifications réglementaires, et, peut être le plus important, une évolution dans les comportements.

Procédant par petites touches -il ne dispose que du pouvoir de persuasion, mais qui reflète les voeux de l'opinion publique- il est amené à tracer, avec quelque ambition, les contours d'une société meilleure, une société où dialogue et concertation, solidarité et civisme prendraient le pas sur agressivité, incompréhension et égoïsme.

Cette nécessaire évolution, sans laquelle la complexité croissante de notre civilisation technicienne mettra en cause les fondements même de la Démocratie, s'appuie sur trois principes de base : Formation, Information, Responsabilité.

C'est dans cet ordre progressif que ces principes devraient être pris en compte, et que devraient être formulées les propositions de réforme les concernant.

Car l'essentiel demeure bien la formation de l'individu -lui donner les moyens de se former- qui passe par une adaptation du système scolaire, comportant une plus large ouverture sur la vie. Mais il s'agit là d'une oeuvre de longue haleine, ne pouvant porter ses fruits qu'au terme d'une nouvelle génération.

Quant au sens de la responsabilité, il ne peut s'épanouir que chez le citoyen bien formé et convenablement informé.

Il reste donc, dans l'immédiat, et sans négliger pour autant les deux autres branches de cette trilogie, à développer ce qui peut l'être sans attendre, l'Information.

C'est à cette tâche immense que le Médiateur a voulu, dans ce rapport, apporter sa modeste contribution, en la limitant à ce qui relève de ses attributions, l'Information Administrative.

Il est conscient des insuffisances et des lacunes de cette tentative. Il sait aussi que d'autres par des voies différentes, ont abordé ou vont aborder ce sujet difficile.(le ministère de la Fonction Publique et des Réformes Administratives va, à titre expérimental, mettre en place des "Conseillers" au niveau de quelques préfectures. Certaines villes importantes ont créé des Services d'accueil et d'information. D'autres, plus modestes, ont amorcé leur commune connexion à un ordinateur) Mais quel sera l'impact, au niveau de l'opinion publique de ces louables initiatives ? Et ce Rapport lui-même, tant en ce qui concerne l'Information administrative que le fonctionnement des services du Médiateur, touchera-t-il ce qu'il est convenu d'appeler le grand public ?

C'est de la conjonction de ces efforts que pourra naître, chez les responsables -l'opinion étant sensibilisée- la certitude de la nécessité d'un rapide changement.

Changement dans les structures, changement dans les méthodes, mais surtout changement dans les comportements.

Point n'est besoin, dans le domaine de l'Information administrative, de modifications profondes dans l'arsenal des textes législatifs.

Au reste Montesquieu ne disait-il pas, déjà : "quand on veut changer les moeurs et les manières, il ne faut pas les changer par les lois".

Tout procède d'une volonté politique. Il appartient au Gouvernement de donner l'impulsion. De coordonner les divers services d'information administrative qui dépendent directement des Ministères et des Administrations d'Etat et des Services Publics. L'initiative de réformes doit venir aussi des responsables, à l'échelon le plus élevé, des associations, des Chambres, des Syndicats, des Mutuelles, des Organismes de protection sociale... qui participent chacun dans leur sphère à cette gerbe informative, à la fois riche et dispersée. De cette moisson, le Médiateur, réceptacle privilégié, a une vocation naturelle à faire la synthèse.

L'initiative doit aussi venir de la base. Pas seulement des "usagers" qui se plaignent de mauvais accueil, de réponses dilatoires, de dossiers complexes, d'imprimés incompréhensibles ; mais aussi des agents de la fonction publique ou assimilés, à tous les échelons, qu'ils soient ou non au contact de l'administré, car ils sont, comme eux, des citoyens. Et que leur responsabilité est plus engagée encore parce qu'ils sont au service de l'Etat.

Il n'y a pas deux catégories de citoyens, séparés par une barricade -le symbolique guichet-. Chacun a ses droits, mais aussi ses devoirs. Il ne faut pas que se creuse le fossé de l'incompréhension.

Que les uns, détenteurs de l'autorité, et de surcroît, dans la plupart des cas, exempts d'inquiétude quant à l'avenir de leur emploi, mais contraints à des servitudes, ne soient pas imbus de leur supériorité et s'ouvrent plus facilement aux difficultés des autres.

Que les autres, qui n'ont pas toujours choisi librement la voie du risque, ne soient pénalisés ni de leur réussite, ni de leur échec.

Dans la vie associative de la cité, ils se retrouvent côte à côte pour encourager leur équipe de football ou applaudir leur société folklorique. Les clivages politiques, philosophiques, ne suivent pas la ligne de démarcation Administrés-Administration. Comment pourrait-on en rester à une animosité circonstancielle, fondée, plus que sur les faits réels, sur une méconnaissance réciproque des problèmes qui se posent, en termes différents, aux uns et aux autres.

Aux administrés, insuffisamment formés, échoit la difficulté de chercher les bonnes sources d'information, et, les ayant éventuellement trouvées, de comprendre les explications données, aussi claires qu'elles soient.

Aux administrateurs, la difficulté d'assimiler l'avalanche des circulaires et d'en faire, avec une infinie patience, la limpide traduction à un interlocuteur peu réceptif.

Permettre l'accès à une meilleure information n'apportera certes pas la solution miracle, et ne rétablira pas du jour au lendemain l'harmonie dans les rapports entre Administrés et Administration.

Il ne faut pas sous estimer cependant l'impact psychologique que pourraient avoir certaines mesures. Pour ne prendre qu'un seul exemple, l'ouverture, dans les Mairies, les Sous-préfectures, les Préfectures, les Bureaux des diverses administrations de l'Etat, des Collectivités, des Entreprises Nationales, de guichets d'accueil d'un style nouveau.

Où, dans un cadre agréable et fleuri, une hôtesse personnalisée par un badge à son nom, s'informerait, courtoise et souriante, du problème du visiteur, pour aussitôt, d'un coup de fil ou en utilisant les services de banques de données administratives donner le renseignement juste, aiguiller sur le bureau responsable ; indiquer, par écrit, l'adresse, le numéro de téléphone ; remettre le formulaire, en donnant toutes indications utiles pour le remplir.

Ce n'est pas une utopie... Cela existe, mais reste encore l'exception.

Quel changement dans le caractère des rapports engagés, et quelles chances de désamorcer les conflits, si de telles conditions étaient partout remplies !

La décentralisation favorisera-t-elle ce rapprochement entre Administration et Administrés ? Sans doute, si s'engage simultanément cet effort réciproque de compréhension.

Le Médiateur, pour sa part, apportera en chaque circonstance sa contribution à l'indispensable prise de conscience, pour chacun, de ses devoirs de citoyen.

Ce que l'on a appelé la nouvelle citoyenneté, n'est-ce pas la prise en main lucide de notre avenir commun ?

N'est-ce pas la reconnaissance de notre propre responsabilité -et non pas la dénonciation de la responsabilité du voisin- dans la construction de cet avenir ?

Au-delà des divergences sur les moyens, il peut y avoir communauté de vues sur les buts.

Qui pourrait ne pas souscrire à cet objectif : mettre au service de la collectivité nationale le sens retrouvé de la responsabilité individuelle du citoyen.

Cela porte un autre nom : le Civisme. Naguère on disait aussi la Morale. Notion périmée ou, au contraire, à faire revivre ? Dans "Ici et maintenant" François Mitterrand a écrit : "Faire ce qu'on peut là où l'on est, je ne connais pas d'autre morale".

Que chacun fasse ce qu'il peut là où il est, et la société sera déjà transformée.

Robert FABRE.

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