Année 1979


CONCLUSION



Comme les rapports précédents, celui de 1979 fait le point de l'action et des réflexions du Médiateur. Mais plus qu'un bilan annuel il est aussi le dernier rapport du Médiateur actuel.

Il est donc naturel qu'il soit l'occasion d'une vue d'ensemble, à partir de l'examen de plus de 17 000 dossiers sur l'activité d'une Institution qui a maintenant 7 années d'existence, c'est-à-dire 7 années déjà riches d'enseignement.

A cet égard, et s'il fallait n'en retenir que l'essentiel, on peut dire qu'au-delà des péripéties quotidiennes de l'instruction des dossiers, le Médiateur a buté sur trois problèmes fondamentaux mais que par contre il en a fait progresser trois autres de façon décisive.

Les trois problèmes sur lesquels il a buté sont ceux du conflit entre l'intérêt général et les intérêts particuliers, de l'inégalité entre l'Administration et les administrés, et enfin des limites en matière administrative.

1 - Le conflit entre l'intérêt général et les intérêts particuliers


Ce conflit est dans la nature des choses.

L'administré est peu conscient de l'intérêt général. Quand il le découvre, c'est pour le contester dans la mesure où sa situation personnelle en souffre. Encore n'est-ce pas à l'intérêt général qu'il oppose le sien propre, mais à d'autres intérêts particuliers qu'il estime mieux sauvegardés.

L'Administration a tendance à ne pas tenir suffisamment compte des intérêts particuliers. Elle se heurte aussi à la difficile question de déterminer dans quels cas l'intérêt général peut être assimilé à une simple majorité d'intérêts particuliers.

Il est évident qu'il y aura toujours, pour le Médiateur, obligation de tenir compte des deux sortes d'intérêts pour en tenter la conciliation équitable. A cet égard, sa proposition de renforcer la légitimité des décisions administratives par une plus large participation des administrés à ces décisions, devrait permettre d'obtenir leur consensus dans de plus nombreuses occasions.

Mais il n'en demeure pas moins que le point de jonction entre ces deux types d'intérêt est souvent un point de friction susceptible de créer des motifs de mésadministration.

2 - L'inégalité entre l'Administration et les administrés


Ayant en charge l'exécution de la loi et la défense de l'intérêt public, l'Administration dispose, et devra toujours disposer, de certaines prérogatives.

Dans tous les cas, en revanche, où rien de ce qui justifie ces prérogatives n'est en jeu, il n'existe pas de raison de maintenir l'administré dans une situation d'infériorité.

Il en est ainsi, notamment, en matière de prescriptions et de forclusions, où aucune considération ne justifie que pour engager une instance, faire un acte, ou bénéficier d'une action, l'Administration profite de délais spécialement " avantageux ".

C'est dans ce domaine que le Médiateur a commencé à faire accepter et mettre en oeuvre un " principe de l'égalité des droits et obligations respectifs de l'Administration et des administrés ", directement opposé au principe inégalitaire sur lequel repose notre droit public.

Cette égalité peut être poursuivie dans bien d'autres domaines. Mais on s'y heurtera sans doute à de plus légitimes prérogatives de l'Administration.

La frontière entre les deux principes antagonistes n'est pas encore partout atteinte. Le règlement de leur conflit sera difficile et apparaît encore lointain.

3. Le problème des " limites" en matière administrative


L'administré est enserré dans un réseau de conditions (de délai, d'âge, de ressources, de situation à une date ou dans un lieu donné...) qui sont au fond des limites. Que la limite soit un plafond ou un plancher, c'est sa position par rapport à elle qui déterminera l'étendue de son droit, et très souvent l'existence même de ce droit.

A l'évidence, toute limite est inégalitaire : du bon côté sont les " élus ", de l'autre les " exclus" -souvent de bonne foi, comme c'est particulièrement le cas en matière de délais.

L'existence de ces limites se justifie par celle des contraintes de tous ordres qui pèsent sur l'action administrative : on ne peut " donner tout à tout le monde " n'importe quand et n'importe où.

Mais, sans exclure la notion de limite, ne pourrait-on envisager l'instauration d'un " ordre administratif " plus souple, où ne régnerait plus le " tout ou rien ", où viendrait s'atténuer la rigueur des lois et règlements ? Entre 1"’obligatoire " et l "’illicite " qui gouvernent les choix de tout agent public, n'y a-t-il pas quelque place pour un " facultatif " qui ne serait autre que l'aspect humain du " discrétionnaire " ?

A ce vaste problème, des solutions partielles peuvent être imaginées, ou sont déjà mises en oeuvre.

Ainsi, le recours à l'indexation éviterait la rigueur des plafonds et planchers de ressources. La modulation des avantages - notamment sociaux - selon les situations concrètes des bénéficiaires, introduirait une plus exacte justice dans des législations, qui, malgré leur complication croissante, sont bien loin d'épouser la complexité du réel.

Il y a, déjà, l'action des juridictions administratives, qui, chaque fois qu'il leur est possible, " mettent de l'huile " dans les articulations de la loi ou du règlement.

Il y a bien sûr d'autres solutions à imaginer ou à développer ... Mais le problème de fond reste entier.

Ces trois problèmes sont incontestablement la cause sinon toujours de mauvais fonctionnement de l'Administration, du moins d'incompréhensions de la part des administrés. C'est en effet aux confins de ces trois domaines que les risques d'incompréhension sont les plus grands. Force est de reconnaître que le Médiateur n'a pu les faire évoluer de façon significative.

Heureusement il est aussi des problèmes, tout aussi fondamentaux qu'il a fait progresser considérablement.

Ce sont par ordre d'importance, la pénétration de la notion d'équité, la participation à la réforme et enfin la meilleure connaissance de l'administré et de ses besoins.

4 - L'équité et le droit


La mission qu'il a reçu de servir l'équité et le combat qu'il a mené pour en assurer le triomphe constituent l'apport majeur du Médiateur à l'ordre juridique et à l'ordre institutionnel de notre pays.

En premier lieu, il a convaincu l'Administration que le seul moyen d'atteindre à la réalité des situations individuelles, dans un système de lois, de règlements et de procédures évidemment conçu pour des groupes, était de tempérer le droit par l'équité. Son succès, sur ce point, n'est pas à mettre en doute.

Mais le triomphe de l'équité dans un cas particulier entraîne l'injustice, puisque n'en bénéficie que la seule personne qui s'est adressée au Médiateur, alors que beaucoup d'autres pouvaient ou pourront se trouver dans la même situation.

Il fallait donc, en second lieu, passer de l'équité individuellement distribuée, à l'équité collective, " sociale ".

C'est précisément ce que réalise l'action réformatrice du Médiateur, lorsqu'elle aboutit à faire modifier telle disposition législative ou réglementaire dans le sens de l'équité.

Ainsi l'équité, traditionnellement sa concurrente, réintègre-t-elle le droit : cela aussi est un apport majeur.

5 - La participation à la réforme


L'originalité de l'action du Médiateur, en tant que participant à la réforme de l'ordre administratif dans son ensemble, réside dans le fait que toutes les améliorations qu'il propose lui sont dictées par l'examen de situations concrètes, qu'il " ne va pas chercher ", mais qui lui sont soumises. C'est le seul organe de réforme qui procède, ainsi, par " induction ".

L'intérêt de cette politique de réformes est de fournir à l'Administration les moyens d'adapter son action à la réalité actuelle - par l'abrogation ou le remplacement de textes désuets, en général par l'adoption de dispositions propres à régler les situations du moment, sans pour autant provoquer d'effets pervers dans un avenir prévisible.

Les acquis de cette politique sont nécessairement sporadiques - quoique certaines propositions de réformes touchent à de vastes secteurs de la législation.

Mais elle se développe, et devra continuer à le faire - avec une certaine prudence toutefois, compte tenu de la conjoncture budgétaire actuelle : le Médiateur ne saurait apparaître comme un faux ministère dépensier.

6. La connaissance de l'administré et de ses besoins


Avec le Médiateur, c'est la première fois que les pouvoirs publics en France disposent d'un organe capable de les renseigner rapidement sur la façon dont les administrés subissent et perçoivent les effets de l'action administrative - c'est-à-dire sur leurs besoins. Il leur offre, de ce fait, la possibilité de corriger et d'adapter cette action aux besoins ainsi déterminés et les règles de droit sur lesquelles elle se fonde.

Un organe permettant à l'appareil administratif de s'auto-régler par ses effets, voilà ce qu'est le Médiateur. C'est donc sans abus de mots qu'on a pu dire de lui qu'il était le " service de marketing " de l'Administration.

L'insertion d'un tel organe parmi nos institutions traditionnelles préfigure le développement, dans tous les systèmes sociaux, de cette fonction de détection - régulation qui offre à l'organisateur et au politique moderne le plus puissant moyen connu d'assurer l'efficacité dans la liberté.

Ici, le Médiateur se sent un précurseur.

Ce sont d'ailleurs ces six problèmes qui ont été discutés au cours du colloque organisé sur le thème général " Les rapports entre l'administration et les administrés ", et qui s'est tenu le 13 mars 1980 et dont il sera rendu compte dans le prochain rapport.

Il apparaît ainsi que l'Institution du Médiateur, encore dans sa première jeunesse, a réalisé et même dépassé les espoirs que certains, peu nombreux, avaient placés en elle.

Au-delà des chiffres qui démontrent son audience grandissante dans l'opinion, son action a été bénéfique dans la mesure où elle a amélioré le climat des rapports entre l'Administration et l'administré, en les rendant plus humains : c'est bien là l'essentiel de sa mission.

Le fait que les fonctionnaires soient désormais sensibilisés au problème de la qualité de leurs relations avec le public constitue une étape fondamentale sur la longue route qui mène de l'administré passif à l'administré actif. D'autres devront être franchies en vue d'aboutir à une véritable coopération entre partenaires égaux en droit et animés d'un même esprit d'équité.

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