Année 1979


BILAN GENERAL


A - BILAN D'ENSEMBLE

SECTION 1 : BILAN CHIFFRE

1. LES DOSSIERS

a) Dossiers reçus


En 1979, le Médiateur a reçu un total de 4 316 réclamations dont 3 673 transmises par des Députés et 643 par des Sénateurs.

b) Résultats


- Dossiers traités en 1979 :

Le total des dossiers traités par le Médiateur pendant l'année 1979 s est élevé à 6 040 dont 1 724 dossiers de réclamations antérieures à cette année.

- Réclamations irrecevables :

Parmi les 4 316 dossiers reçus en 1979, 512 ont été déclarés irrecevables dont 206 au titre de l'article 7 (absence de démarches préalables).

Cet accroissement du nombre des irrecevables article 7 par rapport à l'année dernière (70) est dû au fait que tous les dossiers incomplets, en attente de précisions, ont été classés dans cette rubrique.

- Instruction des réclamations recevables :

Sur les 5 498 réclamations jugées recevables :

- au 31 décembre 1979, le Médiateur avait terminé l'instruction de 2 097 d'entre elles (soit 38 %) ;

- 3 401 demeuraient en cours d'instruction à la même date (soit 62 %).

- Résultat des affaires terminées :

Sur 2 097 affaires terminées au 31 décembre 1979 :

- 771 (soit 36,76 %) doivent être considérées comme satisfaites ;

- 1 281 (soit 61 %) ont été rejetées après instruction ;

- 23 (soit 1,09 %) avaient été rejetées mais ont donné lieu à propositions de réforme.

- 22 (soit 1,04 %) ont été abandonnées par leurs auteurs.

2. LES RECOMMANDATIONS


Ont été émises ou suivies en 1979, 10 recommandations élaborées en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, dont 1 émise en 1975, 1 en 1976, 1 en 1977 et 7 émises en 1979.

Au 31 décembre 1979 :

- 1 de ces recommandations avait été satisfaite ;

- 9 demeuraient en cours de négociation avec l'administration intéressée.

Ces recommandations seront analysées dans la IIème partie du présent rapport, sous la rubrique du département ministériel qu'elles concernent.

3. LES PROPOSITIONS DE REFORME


Au 31 décembre 1978, le Médiateur avait élaboré 140 propositions de réforme, dont 7 " Synergies ".

Sur ce total :
- 43 (dont 1 Synergie) avaient été satisfaites ;
- 51 (dont 6 Synergies), demeuraient en cours d'étude ;
- 40 avaient été retirées par le Médiateur.
L'année 1979 a vu la présentation de 18 propositions nouvelles.
Au 31 décembre 1979, le total des propositions élaborées depuis l'origine s'élevait donc à 158 (dont 7 Synergies).

A la même date, l'état d'avancement de ces propositions était devenu le suivant : - 68 (dont 3 Synergies) satisfaites ;
- 46 (dont 4 Synergies) demeurant en cours d'étude ;
- 44 retirées.

SECTION 2 : BILAN THEMATIQUE


Depuis le rapport de 1977, ce bilan rassemble les cas les plus typiques de mésadministration constatés pendant l'année.

Ces cas sont tantôt simples - parce qu'on y voit les défauts simples, pour ainsi dire primaires, de notre administration ; tantôt complexes - parce que s'y manifestent des " attitudes " plus particulières, qui laissent deviner, sous-jacentes, l'existence et l'effet d'un ou plusieurs défauts de base.

Que ces derniers demeurent aussi vivaces d'une année sur l'autre n'incite évidemment pas le Médiateur à pavoiser. Mais il n'a jamais pensé que six ans d'activité de l'Institution suffiraient pour guérir radicalement notre administration, ne fût-ce que d'un seul de ses maux.

1. Lenteurs


Les manifestations de la lenteur administrative semblent toujours aussi nombreuses. On n'en donnera que deux exemples, mais significatifs :

n° 79.1323

La réclamante reçoit à quinze jours d'intervalle deux avis d'avoir à payer la redevance de télévision. Croyant à une erreur, elle ne satisfait qu'au premier.

Ce n'est qu'après un long échange de correspondance avec les services compétents qu'elle a pu comprendre que les deux avis se rapportaient à deux années différentes. Mais cela n'a pas empêché les services en cause de lui appliquer une majoration de 60 % pour le retard accumulé pendant ce temps...

Le Médiateur a demandé, et obtenu, l'annulation de cette pénalité.

n° 78.2142

Les établissements d'enseignement privé qui ne sont pas " sous contrat " peuvent encore bénéficier de l'allocation prévue par la " loi Barangé ".

A cet effet, ils doivent, par l'intermédiaire du Préfet, demander l'agrément du ministre de l'Education, qui se prononce après avis d'un " comité national de conciliation".

Les directeurs de deux écoles privées constituent un dossier de demande d'allocation pour certaines de leurs classes. Le premier dossier est adressé au Préfet en Mars 1970, le second en Mars 1973.

Le comité national de conciliation donne un avis favorable à l'agrément en Janvier 1977. Cet agrément porte, rétroactivement, pour la première école sur les années scolaires 1967-1968 et 1968-1969, pour la seconde sur l'année 1970-1971 - les deux classes en question ayant été ensuite placées sous contrat.

Mais comme le Préfet n'avait transmis les dossiers de demande au ministère que le 2 Juin 1975 -soit, respectivement, plus de quatre ans et plus de deux ans après leur réception, le contrôleur financier du ministère juge - et l'administration le suit - que les sommes dues au titre de l'allocation demandée sont atteintes par la prescription quadriennale des créances contre les personnes publiques. Du coup, la première créance disparaît, la seconde est sauvée in extremis...

Le Médiateur a vigoureusement protesté contre cette façon d'agir. Si c'est seulement la transmission par le Préfet au Ministre de la demande d'allocation qui peut interrompre la prescription, alors les établissements en cause n'avaient pas à supporter les conséquences d'une station prolongée de leurs dossiers dans les services préfectoraux.

Mais il est peu concevable que le dépôt d'une demande, auprès de quelque échelon administratif que ce soit, effectué personnellement par le titulaire éventuel d'un droit, puisse ne pas constituer un acte interruptif de prescription.

Le Ministre de l'Education s'est rendu à ces arguments et a finalement accepté de verser l'arriéré d'allocation indûment retenu.

2. Contradictions


L'administration n'est pas assez " solidaire ". Trop souvent, ce que fait un service n'engage pas les autres. D'où des contradictions surprenantes pour l'administré qui, raisonnablement, s'était imaginé qu'une question unique appelait une réponse unique :

n° 79.574

A la suite d'un redressement fiscal, les gratifications de fin d'année allouée à ses collaborateurs par un avocat avaient été réintégrées dans les revenus imposables de celui-ci, les services fiscaux les considérant comme des libéralités.

Mais à la suite d'un contrôle ultérieur d'une U.R.S.S.A.F., voilà que ces mêmes gratifications sont appréhendées comme " salaires ", et, de ce fait, soumises à cotisations de sécurité sociale. - Elles se trouvent ainsi avoir été taxées deux fois.

Le Médiateur a obtenu la remise de l'imposition fiscale.

n° 79.341

Deux époux, tous deux fonctionnaires, signalent à l'autorité qui les emploie qu'elle a commis une erreur dans le calcul de leur traitement, et lui demandent de réparer les conséquences de cette erreur.

Leur demande ayant été implicitement rejetée, chacun d'eux forme un recours pour excès de pouvoir devant la juridiction administrative.

Ces recours sont tardifs. Mais alors que le Conseil d'Etat rejette pour ce motif la requête du mari, il n'oppose pas la forclusion à celle de la femme et annule, pour ce qui la concerne, la décision implicite de refus de l'autorité en cause.

Or, cette contrariété de jugements s'explique par le fait que l'administration, appelée à présenter ses observations sur les deux pourvois, avait soulevé la forclusion dans le cas du mari - ce qui obligeait le Conseil d'Etat à statuer sur la recevabilité, mais non dans le cas de la femme - ce qui a permis à la même juridiction de confirmer le caractère libéral de sa jurisprudence en matière de forclusion, en n'opposant pas d'office la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours.

Le Médiateur en déduit que les requérants ayant tous deux raison sur le fond, l'équité commande de faire disparaître les conséquences d'une contrariété de décisions particulièrement difficile à admettre pour deux époux qui avaient fait valoir des griefs absolument identiques.

Il demande en conséquence au ministre compétent de reconsidérer la situation du mari. - L'affaire est en cours.

3. Encore le " ping-pong administratif "...


n° 79.183

Une dame âgée avait été gérante d'un bureau de tabacs pendant trente ans. Sa fille apprend que cette activité donne droit à un avantage spécial de vieillesse, et il lui est conseillé de s'adresser à cet effet aux services financiers du département, ce qu'elle fait.

Mais ceux-ci la renvoient à la caisse régionale de sécurité sociale, qui la renvoie à une première caisse de retraites, qui la renvoie à une seconde, qui la renvoie aux services financiers du département...

Par bonheur l'intéressée ne sera pas contrainte à un deuxième tour de circuit, ces services lui ayant enfin indiqué l'organisme de retraites compétent (IRCANTEC).

Elle écrit deux fois en vain à cet organisme, et il faut une intervention du Médiateur pour que la pension demandée soit liquidée. Le tout a pris plus de deux ans...

4. Mesquineries


Le formalisme, la " manie restrictive " de l'administration, signes de sa tendance au repliement sur soi, et, partant, à un certain mépris du " client ", l'entraînent quelquefois à des décisions d'une mesquinerie indigne d'elle, dont voici deux exemples frappants :

n° 78.2546

Un contribuable se voit reverser en cours d'année le montant des deux acomptes prévisionnels qu'il avait payés au titre de l'impôt sur le revenu : c'était une erreur des services fiscaux.

Au moment de la mise en recouvrement du solde, le comptable du Trésor lui réclame naturellement l'imposition entière, puis assortit celle-ci d'une majoration de 10 % pour retard...

Certes, l'intéressé ne s'est acquitté qu'après la date d'exigibilité de cette imposition.

Mais si ses acomptes ne lui avaient pas été reversés, il aurait très probablement pu verser le solde dans les délais, alors que le paiement en une seule fois de la somme entière a pu lui être impossible.

En toute hypothèse, l'administration avait commis une erreur en rendant au contribuable des sommes dont il pouvait croire n'être plus débiteur (quand le fisc vous rend de l'argent, il est permis de se dire que ce ne peut pas être sans raison sérieuse...).

Elle devait se borner à la réparer, et non pas, en réclamant un versement supplémentaire à l'intéressé, lui faire en quelque sorte payer les frais de cette réparation : c'est parfaitement indécent.

n° 79.1809

Une Française, travaillant en France, a voulu accoucher en Côte d'Ivoire auprès de son mari. C'est dans ce pays qu'elle a pris son congé de maternité.

Aujourd'hui, une caisse de sécurité sociale lui demande de rembourser les indemnités journalières perçues au titre de ce congé ; selon l'organisme, les dispositions du code de la sécurité sociale s'opposent à ce qu'en pareil cas, l'assurée puisse bénéficier d'une quelconque prestation.

Mais quand on se reporte à ces dispositions, on constate qu'elles n'excluent que le remboursement des soins dispensés hors de France : il n'y est nulle part question de l'indemnité journalière.

Cela se conçoit, car la vocation de cette indemnité est d'être un revenu de remplacement pour l'assuré qui n'est pas en état de travailler : le lieu où il prend son congé ne saurait donc avoir aucune incidence sur ses droits.

Encore un bel exemple de " manie restrictive "...

5. Désinvolture


Lettre communiquée au Médiateur

"Par lettre en date du ... vous aviez bien voulu nous réclamer le règle ment de vos factures des... et... 1979.

"Comme suite nous sommes au regret de vous indiquer qu'en raison de graves difficultés de Trésorerie auxquelles nous essayons de remédier activement, nos délais de paiement sont actuellement de 180 jours fin de mois, au minimum.

"En conséquence vos mémoires seront réglés dans ces délais sauf amélioration de notre Trésorerie.

"Comptant sur votre compréhension et avec nos remerciements anticipés, nous vous prions de croire, etc ......

Qui a signé cette lettre, où les beautés du style commercial le disputent à la désinvolture naïve avec laquelle est traité le fournisseur ?

L'économe d'un hôpital public... qui lui-même n'est pas responsable puisque les hôpitaux publics ne disposent pas de la trésorerie indispensable à leur gestion. - Ceci au détriment des finances publiques et de la sécurité sociale puisque les délais de paiement des hôpitaux sont la cause unique du renchérissement de leurs achats, donc de leurs prix de journée. (Voir le rapport de 1978 p. 117 à 132).

6. Acharnement


n° 75.1516, 76 872

Un entrepreneur de construction est à la tête d'une affaire qu'il a montée lui-même, et qu'il a su rendre florissante : une cinquantaine d'employés, une bonne gestion, des réalisations nombreuses, variées et importantes.

Mais, depuis une dizaine d'années, la mise en oeuvre de ses projets se heurte aux obstacles administratifs les plus divers, derrière lesquels il est difficile de ne pas voir un parti pris de rigueur, pour ne pas dire d'hostilité, qui est avant tout le fait du maire de sa commune.

Il faut dire que l'intéressé n'est pas lui-même à l'abri de tout reproche. C'est un homme qui a coutume, lorsqu'il a obtenu une autorisation de construire, et lorsqu'il a constaté sur le terrain les défauts du plan initial, d'entreprendre immédiatement les travaux, ou d'en modifier le cours, dans la direction qui lui paraît préférable. Trop souvent, malheureusement, il le fait sans attendre la délivrance du permis rectificatif, ce qui le met ipso facto en contravention avec la législation sur l'urbanisme. Plusieurs de ces " impatiences " lui ont d'ailleurs valu des condamnations pénales.

Mais en regard de cette attitude légalement répréhensible, celle de l'administration apparaît en l'espèce inacceptable.

Sur les cinq affaires dont l'intéressé a saisi le Médiateur, et où il s'est trouvé en butte, à des degrés divers, à l'hostilité administrative, on ne retiendra que la suivante, qui paraît la plus exemplaire :

Ayant acquis un terrain - par le moyen de la constitution d'une société civile immobilière - l'intéressé demande au début de 1974 l'autorisation d'y édifier des immeubles d'habitation, après démolition d'un hôtel en mauvais état.

L'avis du Maire est défavorable : le coefficient d'occupation du sol des constructions projetées dépasserait la norme prévue au P.O.S. ; une décision du Conseil municipal s'opposerait à la disparition des hôtels dans la zone où le terrain est situé.

La Commission départementale d'urbanisme surseoit à statuer.

La Commission des sites émet un avis défavorable.

Ces avis conduisent le Préfet, en Août 1974, à refuser le permis de construire.

L'intéressé forme contre cette décision un recours gracieux, qui donne lieu de la part du Préfet à de nouvelles consultations.

La Commission des sites donne cette fois un avis favorable, au vu de nouveaux plans prévoyant des bâtiments moins hauts, donc s'intégrant mieux au site.

Le Maire maintient son opposition : le groupe de travail du P.O.S. aurait décidé que la zone où seraient implantés les immeubles projetés devrait conserver une vocation strictement hôtelière.

Sans nouvelle de son recours gracieux, l'intéressé saisit le Tribunal Administratif, au début de 1975, du rejet implicite de sa demande.

En 1977, dans un jugement avant dire droit, ce tribunal demande au Préfet de lui préciser les motifs " légaux et circonstanciels " de son arrêté de refus.

Au début de 1978 intervient le jugement sur le fond. La décision en cause est annulée, " les nouvelles observations du Préfet ne permettant pas de conclure que la construction envisagée porterait atteinte au caractère des lieux ".

Au mois de juin suivant, le Maire prend lui-même un arrêté refusant le permis : le P.O.S., maintenant public, n'autorise que la construction d'hôtels dans la zone considérée...

L'intéressé se pourvoit devant le Tribunal Administratif contre cette décision et contre l'arrêté du Préfet portant publication du P.O.S.

Le Médiateur, qui suivait l'affaire depuis 1975, se fait remettre les conclusions du commissaire enquêteur désigné dans le cadre de l'enquête publique ouverte à la suite de cette publication. Il y apprend que la vocation hôtelière de la zone considérée n'est nullement évidente. Au sentiment personnel du commissaire enquêteur, l'obligation de n'y construire que des hôtels constituerait même un " abus d'autorité ".

Le Directeur Départemental de l'Equipement s'en remet à la sagesse du tribunal. Il signale que le P.O.S. va être remanié, et que, conformément aux conclusions de l'enquête publique, le nouveau P.O.S. prévoira, pour la zone d'habitation considérée, la possibilité d'édifier des constructions à usage d'habitation.

Mais le Maire transmet le projet du nouveau P.O.S. Dans la zone en question, le coefficient d'occupation des sols est réduit à une valeur si faible qu'elle interdira toute construction d'immeubles collectifs à usage d'habitation...

On saisit particulièrement bien dans cette affaire l'acharnement avec lequel le Maire s'est opposé aux projets de l'intéressé, passant d'un argument à l'autre au gré des circonstances, pour terminer par une manoeuvre - le remaniement du projet du P.O.S. - visiblement dictée par tout autre chose que le souci de l'intérêt public...

Quant aux conséquences de cet acharnement sur la situation financière du réclamant, elles sont déjà substantielles. L'acquisition du terrain avait nécessité un emprunt de 2 millions de francs ; il a fallu également payer des indemnités d'éviction aux occupants de l'immeuble à démolir... Au total on peut évaluer à 3 500.000 Frs le montant de l'investissement immobilisé.

C'est payer cher l'imprudence commise en 1976 par l'intéressé, qui s'était permis d'entreposer sur le terrain du matériel de construction, dont l'aspect " hétéroclite " avait ému l'administration...

Cette imprudence a d'ailleurs eu une suite pénale...

La leçon des affaires groupées dans ce dossier est double :

En premier lieu, c'est dans des cas aussi complexes, où les questions de personnes prennent une telle importance, où la bonne foi des parties en présence est si difficile à discerner, que le Médiateur est le mieux à même de jouer ce rôle d'arbitre, qui n'était pas prévu par la loi qui l'a institué, mais qui est devenu avec le temps un des modes principaux de son activité.

En second lieu, il faut résoudre le problème posé par les procédures de rectification des autorisations de construire. On conçoit aisément qu'au cours de la construction d'un immeuble, des modifications aux plans initiaux apparaissent nécessaires à l'entrepreneur. La législation a prévu le cas, et le principe des demandes en rectification déposées en cours d'ouvrage est parfaitement admis.

Malheureusement ces modifications sont en général à faire immédiatement, si l'on veut que les travaux entrepris prennent tout de suite la " bonne direction ". Que fait alors le maître d'oeuvre ? Il demande à la mairie, ou aux services de l'Equipement, une autorisation officieuse, verbale même, qui lui permettra de poursuivre sa construction sans discontinuité : s'il devait attendre que sa demande en rectification ait accompli le " circuit complet " des avis favorables précédant l'autorisation définitive, le chantier serait immobilisé pendant plusieurs semaines, sinon plusieurs mois.

Si les services consultés montrent quelque compréhension, il n'y a pas de problème. Mais si l'entrepreneur n'attend même pas d'avoir déposé sa demande de rectification pour réaliser ses nouveaux plans, et s'il se heurte à une rigueur excessive de la part des services publics concernés, alors on aboutit aux très pénibles situations que l'intéressé a rencontrées.

La solution pourrait être d'engager ces services à donner une priorité aux demandes de rectificatifs en cours d'ouvrage dont ils sont saisis, et d'admettre que faute de réponse à la demande dans un délai assez bref (trois semaines par exemple) le permis rectificatif serait considéré comme tacitement accordé.

Le Médiateur se mettra en rapport à ce sujet avec le Ministre compétent.

7. Partialité


Quand une jurisprudence lui est favorable, l'Administration s'y conforme scrupuleusement. Elle le fait sans délai, et parfois même rétroactivement, lorsque cette jurisprudence est nouvelle...

Mais l'instruction de plusieurs affaires a appris au Médiateur qu'il n'en allait pas tout à fait de même dans le cas contraire... L'exemple suivant le montre de façon particulièrement nette :

. 79.2367

L'article 71 de la loi du 26 Décembre 1969 a remplacé par des indemnités annuelles, ni révisables ni réversibles, les pensions acquises par les nationaux de pays ayant appartenu à l'Union Française ou à la Communauté.

En raison de l'interprétation donnée en 1971 à l'article 15 des accords d'Evian, sur la demande du Conseil d'Etat, par le ministre des Affaires Etrangères, la disposition ci-dessus n'est pas applicable aux nationaux algériens ayant acquis des droits à pension avant l'indépendance. Trois arrêts du Conseil d'Etat l'ont confirmé.

En ce qui concerne les droits acquis après l'indépendance, d'autres arrêts et même plusieurs dispositions législatives ou réglementaires, ont écarté, en faveur de certaines catégories de personnes, l'application de l'article 81 du code des pensions, selon lequel la perte de la nationalité française entraîne celle de tout droit à un avantage de vieillesse quelconque.

Mais l'administration des finances n'a jusqu'ici appliqué ni cette jurisprudence ni ces textes, … notamment parce que, d'après elle, les accords d'Evian seraient devenus caducs...

Le Médiateur lui a demandé d'adopter une position plus conforme au droit, à l'équité, et à la répartition des compétences ministérielles.

Elle n'en continue pas moins à attendre que le ministre des Affaires Etrangères revienne sur sa position, et déclare que l'Algérie n'exécute pas les accords d'Evian.

Mais même si cela se produisait, il resterait à sa charge d'avoir " mis au réfrigérateur " pendant plusieurs années une jurisprudence qui lui déplaisait. Et il est à présumer que pour les " bénéficiaires " de cette jurisprudence, il ne serait guère question de " droits acquis ".

8. Difficultés pour obtenir qu'un engagement soit tenu.


Application d'une proposition de réforme du Médiateur

L'article 16 de la loi n° 78.753 du 17 Juillet 1978, concrétisant certaines propositions de réforme du Médiateur, avait autorisé la prise en compte, pour la constitution du droit à pension, des services accomplis pendant la guerre de 1939-1945, dans une unité combattante des armées alliées, par des étrangers ayant acquis par la suite la nationalité française.

Mais en fixant au 1er Janvier 1978 la date d'effet de cette disposition, le législateur avait exclu de son application les personnes dont la pension était déjà liquidée à cette date.

Cette application du principe d'intangibilité des pensions une fois liquidées apparaissait en l'espèce particulièrement inique, s'agissant de personnes dont le seul tort avait été de se battre pour la France avant de devenir Français.

Elle pouvait aussi sembler quelque peu malhonnête, car les étrangers naturalisés, anciens combattants de la dernière guerre, dont le droit à pension ne se serait ouvert qu'après 1977, ne doivent pas être légion. Peut-être même sont-ils moins nombreux que ceux qui se trouvent dans le cas contraire...

Dans ces conditions, le Médiateur avait élaboré une nouvelle proposition de réforme tendant à donner au texte en question une rétroactivité qui lui paraissait s'imposer, et qui ne devait pas être très coûteuse, puisque, parmi les personnes qui l'avaient saisi, six, en tout et pour tout, devaient en profiter.

Mais le Ministre du Budget a demandé au Médiateur de ne pas porter cette proposition à l'arbitrage du Premier Ministre, car - argument classique - il lui semblait inopportun de stipuler une rétroactivité " qui risquait de constituer un précédent ".

En revanche, il lui proposait de lui soumettre les cas dont lui, Médiateur, avait été saisi, promettant d'apporter à chacun d'eux, à titre individuel, " une solution conforme à l'esprit de la loi " - c'est-à-dire, en termes clairs, de reconnaître à chaque intéressé le droit à la révision de sa

pension.

Le Médiateur depuis a obtenu satisfaction.

9. Refus d'obéissance
(Voir rapport de 1978, pages 13, 21 et 22).


n° 79.0416

Une institutrice n'aurait pas atteint, à 60 ans, le nombre d'annuités de services lui permettant de bénéficier d'une pension de retraite complète.

Cette perspective la conduit à demander une prolongation d'activité, en se fondant sur les dispositions de deux décrets qui paraissent autoriser pareille mesure dans son cas.

L'inspecteur d'Académie rejette sa demande, et elle reçoit peu après notification de l'arrêté qui la met à la retraite.

Mais l'intéressée était intervenue auprès du ministre alors en exercice, et celui-ci l'informe que cet arrêté va être rapporté.

Ce qui n'est pas fait, et, ne l'est toujours pas, en dépit d'une première intervention du Médiateur.

Certes, dans l'intervalle, le ministre a changé. Mais l'administration n'était-elle pas, et n'est-elle pas toujours, tenue d'appliquer la décision prise par le Ministre en fonction à l'époque des faits ? C'est d'ailleurs celui-ci qui a transmis la réclamation de l'intéressée au Médiateur...

L'instruction de l'affaire se poursuit.

10. Illogismes


L'administration n'est pas d'essence divine. Pourtant ses voies paraissent à l'occasion impénétrables, surtout quand elles conduisent à des absurdités souvent comiques - sauf naturellement pour ceux qui en sont les victimes :

n° 79.1507
Une jeune femme obtient en 1970 le CAP d'aide maternelle et est engagée dans une clinique comme auxiliaire de puériculture. Huit ans après, l'administration lui demande de subir les épreuves du CAP... d'auxiliaire de puériculture, ce qui implique qu'elle quitte son poste pour suivre un stage...

Pour bien apprécier le piquant de la situation, il faut savoir que cette expérience professionnelle de huit années est utilisée au profit de stagiaires dont l'intéressée assure la formation, et cela dans l'établissement même où l'administration veut l'envoyer suivre des cours...

n° 79.0215

Une institutrice remplaçante, exerçant depuis dix ans, se voit obligée, pour être titularisée, de subir avec succès les épreuves du baccalauréat. Bien plus, en cas d'échec, elle serait rayée de la liste des institutrices remplaçantes...

Or elle possède le certificat d'aptitude pédagogique et une équivalence du baccalauréat.

Interrogé, le Ministère de l'Education signale que l'intéressée, mariée à un Français, est d'origine belge. C'est pour cette raison que la possession du baccalauréat français serait une condition de sa titularisation.

Mais, observe le Médiateur, lorsqu'elle a été admise à se présenter au certificat d'aptitude pédagogique, elle ne possédait pas davantage le diplôme qu'aujourd'hui on exige d'elle. C'est à ce moment-là qu'on aurait dû lui en faire grief, et non pas après dix ans d'enseignement, au cours desquels elle a donné toute satisfaction, et obtenu le C.A.P., c'est-à-dire, si les mots ont un sens, le droit d'exercer dans l'enseignement primaire français.

Cela devrait lui être un mérite suffisant à la titularisation, sans qu'on exige d'elle, de façon aussi tardive, un diplôme dont elle possède d'ailleurs l'équivalent.

L'affaire se poursuit.

n° 78.2049

La réclamante est victime d'un grave accident alors qu'elle était en vacances loin de son domicile.

Elle commet l'imprudence de se faire transporter en ambulance dans une clinique de son département de résidence, et a la naïveté de demander le remboursement des frais correspondants : impossible lui répond-on, car la législation exigeait que vous vous fassiez soigner sur place...

Pourtant, la différence des prix pratiqués par l'établissement qui aurait dû l'accueillir et celui où elle a été hospitalisée pendant deux mois est telle qu'elle couvre très largement les frais de transport.

Ainsi, à une assurée qui fait économiser à la collectivité plus de 20.000 Frs, laisse-t-on à sa charge près de 2.000 Frs...

Le Médiateur a demandé le réexamen du dossier.

11. Discriminations


On connaît le succès de l'expression " Je ne suis pas raciste, mais ...". A considérer les exemples suivants, il semble que l'Administration la reprenne parfois à son compte :

Huit veuves d'anciens militaires marocains ayant servi sous le drapeau français demandaient à ce titre la réversion de la pension de retraite de leur mari, ce qui les obligeait à apporter la preuve de leur mariage.

L'Administration a cependant rejeté ou ignoré toutes leurs demandes, pour des motifs dont la valeur n'est pas absolument évidente, comme on va pouvoir en juger :

Trois d'entre elles produisaient à l'appui de leur demande, non seulement leurs actes de mariage, mais aussi les autorisations de mariage délivrées par l'autorité militaire : cela n'a pas été jugé suffisant...

Trois autres avaient épousé des goumiers militaires qui pouvaient se marier sans l'autorisation de leur chef de corps. A l'une, il a été reproché l'absence de la mention du mariage sur les pièces militaires de son mari... Quant aux deux autres, elles apportaient comme preuves supplémentaires de leur mariage des extraits d'actes de naissance des enfants : en vain...

Les deux dernières avaient été empêchées, par leur ignorance, de produire en temps utile leurs actes de mariage : elles ont réussi à compléter leur dossier, mais l'Administration a continué à les ignorer...

Le Médiateur est naturellement intervenu avec vigueur auprès du ministre compétent pour que le cas de ces personnes, dépourvues de ressources et illettrées, soit favorablement réglé, comme la simple humanité le commandait.

Ce règlement est en cours.

n° 78.0995

Un médecin, né au Cameroun, avait exercé dans ce pays jusqu'en 1960, puis est venu travailler en France, où il est décédé en 1974.

Sa veuve, de nationalité française, a demandé, en vain jusqu'à présent, le bénéfice d'une pension de réversion à raison des droits acquis par son mari auprès de la caisse des retraites de la France d'Outre-Mer.

Pour s'opposer à cette demande, le ministère compétent entasse des arguments juridiques qui tendraient à démontrer que l'intéressé n'appartenait pas à la fonction publique française.

Or tel n'a jamais été l'avis des autorités camerounaises, qui, après l'indépendance de leur pays, l'ont sommé de demander sa radiation du cadre français et d'intégrer la fonction publique camerounaise, et, devant son refus de rejoindre son poste, l'ont finalement révoqué.

Par ailleurs, l'intéressé avait demandé sa naturalisation française, et s'il ne l'a pas obtenue, c'est qu'il est mort alors que plus d'un an après le dépôt de sa demande, celle-ci n'était pas encore instruite...

Voici donc une Française, dépourvue de ressources, ayant à sa charge cinq enfants en bas âge, veuve d'un " étranger malgré lui " pourrait-on dire, à qui l'on refuse une pension de réversion, alors que la veuve étrangère d'un fonctionnaire " plus nettement français " l'obtiendrait, elle, sans aucune difficulté...

Le Médiateur poursuit son intervention afin qu'il soit mis un terme à cette situation injuste et paradoxale.

12. Renoncements


La tâche du Médiateur est, essentiellement, de révéler et de tenter de corriger les abus du " pouvoir administratif " : c'est à quoi il s'emploie quotidiennement.

Mais il n'en est que plus à l'aise pour dénoncer, dans certains cas, l'affaiblissement injustifié de ce pouvoir.

Cet affaiblissement peut résulter, comme dans le premier exemple qui suit, d'une délégation de fait de son pouvoir de décision par l'autorité qui en est légalement investie - le Préfet en l'occurrence - au profit d'un organe (le groupe de travail du P.O.S.) dont le rôle est d'élaborer la décision, mais n'est que cela.

Le second exemple met en scène une société d'H.L.M. C'est un organisme de statut " quasi-privé ", mais qui admet en son sein un représentant de la collectivité publique, qui fonctionne sur fonds publics, et qui est régi par la législation applicable à tous les organismes de statut " plus ou moins public " institués en matière d'H.L.M. Or la société en cause refuse d'appliquer un point de cette législation.

On peut mettre cette attitude au compte du représentant de la collectivité publique, qui n'a pas fait son devoir, ou dont la voix n'a pas été écoutée. On peut l'imputer à la faiblesse de l'autorité de tutelle, qui aurait dû imposer le respect de la loi. On peut même, en dernier ressort, en faire grief au législateur qui a " démembré ", au profit de toute une gamme d'organismes, allant de l'office public à la société purement privée, un domaine d'activités soumis aux mêmes règles, sans se donner les moyens de faire respecter ces règles dans toute l'étendue de ce démembrement.

Quelle que soit la leçon retirée de cet exemple, elle renvoie à la même idée d'affaiblissement de l'autorité administrative, de " braderie " de celle-ci - qui se dégageait de l'exemple précédent.

Lettre d'un Préfet au Médiateur

On peut lire dans cette lettre - qui n'est d'ailleurs pas seule de son espèce - l'étonnante affirmation suivante :

" Je puis vous faire connaître que le plan d'occupation des sols n'est pas une décision de la Direction Départementale de l'Equipement mais d'un groupe de travail de nature municipale qui émet, de façon souveraine, ses propositions de délivrance ou de refus de permis de construire en imposant le sursis à statuer ".

Or, selon le Code de l'Urbanisme (articles L 123-3 et R 123-4 à 7), si le projet du P.O.S. est effectivement élaboré par un groupe de travail ad hoc, d'ailleurs constitué par le Préfet, encore doit-il être ensuite soumis à l'approbation du Conseil Municipal de la ou des communes concernées, qui peut, dans un certain délai, lui apporter des modifications, avant d'être définitivement arrêté par le Préfet, qui le publie. Le ministre compétent a même reçu de la loi un " pouvoir d'évocation " qui lui permet de se substituer à l'autorité préfectorale dans les cas difficiles.

On ne saurait donc soutenir que le groupe de travail dispose d'une quelconque " souveraineté " en matière d'adoption du P.O.S. A plus forte raison est-il juridiquement incapable d'opposer, de façon " souveraine ", les dispositions d'un projet en cours d'élaboration aux demandes de permis de construire qui ne lui sont soumises que pour avis.

Il est donc étonnant - et sans doute inquiétant, puisque le cas n'est pas isolé - de lire sous la plume d'un Préfet - c'est-à-dire de la seule autorité qui possède, avec le Conseil Municipal, un pouvoir de décision en la matière - qu'un organisme chargé de préparer le contenu d'un acte aurait en outre le pouvoir de donner l'existence juridique à cet acte. C'est, de sa part, un étrange abandon de "souveraineté".

n° 78.891

Une société d'H.L.M. s'oppose à l'acquisition par un de ses locataires du logement qu'il occupe, parce qu'elle n'accepte pas l'estimation faite par l'administration du Domaine de la valeur de ce logement.

Or, selon la législation et la réglementation en vigueur, la demande d'acquisition était recevable. Pour s'y opposer, la société disposait d'un délai qu'elle a laissé expirer : légalement, elle était donc réputée y avoir acquiescé, et ne pouvait revenir plus tard sur cet accord tacite. Quant au prix de vente, il ne pouvait être que celui résultant de l'estimation des Domaines, à moins que l'organisme ne lui oppose une valeur plus élevée prise en compte dans sa comptabilité - ce qui n'a pas été fait.

La société en cause n'en a pas moins maintenu avec acharnement sa position de refus. A la demande du Médiateur, le Préfet l'a mise en demeure de procéder à la vente : elle a ignoré cette mise en demeure. Le Médiateur a ensuite fait procéder à une enquête sur place, à l'occasion de laquelle s'est tenue une réunion groupant les représentants des parties et de toutes les administrations intéressées : contre l'avis général, le représentant de la société a maintenu son refus - ouvrant cependant la possibilité d'un compromis sur le prix.

L'intéressé s'étant prêté à la transaction, l'affaire s'est trouvée ainsi réglée.

On a dit plus haut toutes les leçons que l'on pouvait tirer de ce dossier.

On ajoutera que ce n'est pas de gaieté de coeur, mais seulement en considération des intérêts de la personne qui s'était adressée à lui, que le Médiateur ne s'était pas élevé contre la solution de compromis qui s'ébauchait, et qui est finalement intervenue.

Car cette solution consacre l'impuissance de l'autorité à faire respecter la loi par un organisme qui lui est strictement soumis.

Le Médiateur a demandé au Ministre de l'Environnement et du Cadre de Vie de prendre les dispositions nécessaires pour que pareille situation ne se reproduise plus.

B – UNE PROPOSITION POUR L'AVENIR

INTRODUCTION
LA " LEGITIMATION " DES DECISIONS ADMINISTRATIVES. SA NECESSITE.


Depuis plusieurs années se développe un vaste effort en vue d'améliorer les rapports entre l'Administration et les administrés.

A cet effort, le Médiateur n'a cessé de participer : par son travail quotidien sur les dossiers ; par ses propositions de réforme de la loi ou du règlement ; par les études et les suggestions contenues dans ses rapports annuels.

C'est ainsi qu'il avait demandé :

- que soit intensifiée la lutte contre l'insuffisance de l'information donnée aux administrés ; - avec la création en 1976, auprès du Premier Ministre, du " Service d'information et de diffusion ", qui ajoute ses actions propres et son activité de coordination à celle des services spécialisés des diverses administrations, cet objectif paraît aujourd'hui atteint ;

- que soit organisée, dans un esprit aussi libéral que possible, la liberté d'accès des citoyens aux documents administratifs ; - la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, complétée par la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, est venue répondre à cette préoccupation ;

- que le plus grand nombre possible de décisions administratives soient désormais motivées ; - la même loi du 11 juillet 1979 pose en principe que les personnes physiques ou morales doivent être informées sans délai des motifs des décisions individuelles défavorables qui les concernent ; elle règle les modalités de cette information.

Par ailleurs, en matière de "communication administrative" - notion plus large que l'information proprement dite - des progrès peuvent également être constatés : ainsi l'accueil fait au public dans les administrations a-t-il été considérablement amélioré. Mais le problème est vaste...

Ces résultats sont importants, mais il faut aller au-delà.

L'instruction de nombreuses affaires soumises au Médiateur montre en effet qu'aux yeux de bien des administrés, les décisions dont ils ont à supporter les effets, quoique prises dans les formes légales, n'apparaissent pas pour autant " légitimes ".

C'est que la justification ne leur en semble pas évidente, et que - à tort ou à raison - ils les croient prises sans que leurs auteurs aient préalablement recueilli les avis, ou accueilli les participations nécessaires. Ils ne comprennent pas ; ils y voient l'acte arbitraire de décideurs solitaires, le fait du prince abusivement généralisé.

Ainsi, par exemple, est-il particulièrement difficile de faire comprendre aux usagers qu'une opération déclarée d'utilité publique a bien été conçue dans leur intérêt...

Un tel état de choses, préjudiciable à l'administré, ne l'est pas moins à l'Administration, qui endosse trop souvent une responsabilité qui n'est pas la sienne.

Le seul moyen d'y mettre fin est de faire en sorte que la légitimité des décisions administratives apparaisse clairement aux yeux des administrés - autrement dit, qu'une légitimité " subjective " vienne s'ajouter pour eux à une légitimité " objective " qui va de soi, toute décision prise, dans le cadre de ses attributions, par une autorité régulièrement instituée étant a priori légitime.

I - LES INSUFFISANCES DE LA SITUATION ACTUELLE.

1 - L'administré devant la décision : ce qu'il conteste en elle.


La décision peut être " le fait d'un seul ", d'une autorité individuelle. Mais hormis les cas où il pouvait agir en opportunité, il est exceptionnel que le décideur se soit prononcé sans consultations préalables - consultations que la complexité croissante des problèmes administratifs rend d'ailleurs de plus en plus diverses et de plus en plus souvent obligatoires.

Or le Médiateur constate ceci : l'administré n'a en vue que " l'homme qui a signé ", et qu'il tient pour seul responsable, non seulement en droit mais en fait, de la décision prise. - Cela, évidemment, parce que le processus de préparation de celle-ci lui échappe, en tout ou en grande partie.

Ignorant de ce qui pourrait étayer l'acte administratif qui le concerne, il en contestera donc le bien-fondé, et, finalement, la légitimité.

Il est encore plus frappant de rencontrer semblable attitude lorsque la décision émane d'une autorité collégiale, et alors même, le cas est fréquent, que l'administré s'y trouve représenté...

Cela donne à penser que subsiste, en France, un véritable " mythe de l'autorité ". Pour nos administrés, à quelque niveau qu'elle s'exerce, l'autorité est solitaire, et ses décisions personnalisées : " C'est le Ministre (le Préfet, le Maire...), c'est le Président (de la Commission ... ) qui a signé - c'est lui qui a tout fait ".

Conception anachronique, qui ne pouvait que conduire à une vision déformée et simpliste de ce qu'est aujourd'hui le processus de décision.

De très nombreux exemples pourraient illustrer ce qui précède. En particulier, il est significatif de constater, à l'analyse de certaines affaires, qu'à travers les griefs mis en avant de façon expresse par le réclamant (" La décision me cause tel ou tel préjudice injustifié ", " Telle ou telle formalité a été omise ou incorrectement remplie ", etc ... ), transparaît, plus ou moins nettement exprimé, le véritable objet de la réclamation : " La décision est critiquable au fond ; elle n'aurait pas dû être prise ; elle est illégitime ".

Cette structure de la réclamation est particulièrement nette lorsque le litige porte sur les conséquences d'une opération d'aménagement du territoire ou d'urbanisme. Dans ce domaine en effet, le préjudice causé à l'administré ne provient pas de l'application, correcte ou non, d'une disposition législative ou réglementaire - qui pourrait d'ailleurs être contestée, mais c'est un autre problème ; il a sa cause première dans un acte administratif - la déclaration d'utilité publique - qui apparaît particulièrement fragile quant à sa légitimité " subjective ".

En voici un exemple :

n° 79.2856

Une propriété agricole fait l'objet d'une procédure d'expropriation en vue de permettre l'extension de la zone industrielle d'une commune, opération déclarée d'utilité publique par un décret.

Pour écarter cette menace de leur exploitation, les intéressés font valoir les moyens les plus divers : caractère incomplet et peu explicite du dossier mis à l'enquête publique ; absence d'étude d'impact sur l'environnement ; vice de forme de la décision ayant déclaré l'utilité publique ; responsabilité du maire, qui serait personnellement intéressé au développement de la zone industrielle, etc...

Mais " en deuxième ligne " viennent les arguments de fond : avis défavorable des commissaires enquêteurs à l'extension projetée, qui, notamment, outre les nuisances qu'elle entraînerait, priverait une commune à vocation essentiellement agricole de terres de première catégorie - alors qu'elle pourrait tout aussi bien être réalisée ailleurs ; attitude peu favorable, même chez les industriels concernés par le projet... ; coût de l'opération disproportionné aux possibilités financières de la commune.

L'affaire a été portée devant la justice administrative. Mais la position des réclamants a paru au Médiateur suffisamment forte pour qu'il demande au ministre compétent de faire procéder à une enquête sur place en vue de déterminer s'il ne conviendrait pas, sans attendre l'issue des instances en cours, de rapporter le décret ayant déclaré l'utilité publique.

Dans cette affaire, comme on le voit, l'administré critique directement le bien-fondé, la légitimité, de la décision qui est à l'origine de ses " ennuis ". Dans d'autres, cette critique n'est qu'implicite. Entre ces deux extrêmes, il y a les cas où la même critique est exprimée, mais peu crédible : on sent bien que le réclamant a voulu par ce moyen noyer l'atteinte portée à ses intérêts personnels dans une prétendue méconnaissance de l'intérêt public... Mais toujours on la rencontre, expresse ou sous-entendue.

2 - Ce que l'administré devrait savoir.


Il existe beaucoup d'autorités collégiales dont la décision est prise avec la participation - souvent majoritaire - de représentants des administrés, quand elle ne l'est pas par ces représentants eux-mêmes.

Mais combien d'administrés savent-ils, par exemple :

- que les commissions de recours gracieux de la sécurité sociale (organismes préjuridictionnels) sont constituées sur une base paritaire ; que, notamment, pour ce qui concerne les caisses maladie et vieillesse du régime général, les caisses d'allocations familiales et les unions de recouvrement, la décision est prise par un collège de quatre administrateurs (de l'organisme en cause), dont deux appartenant à la même catégorie d'assujettis que le requérant, deux à d'autres catégories ; et que par conséquent, comme ces administrateurs sont élus, l'Administration au sens strict n'est pour rien dans cette décision ?

- qu'une telle représentativité se retrouve même dans les commissions de première instance du contentieux général, dont le président, un magistrat, est assisté d'assesseurs représentant toutes les catégories d'assujettis ?

- que les A.S.S.E.D.I.C. sont des organismes purement privés, sur lesquels aucun service d'Etat n'exerce la moindre tutelle, et dont les décisions sont prises par des commissions paritaires réunissant représentants des salariés et représentants des employeurs ?

- que la commission communale de remembrement (organisme quasi-juridictionnel) est présidée par un juge, et que, face à quatre représentants de l'Administration, on y trouve, outre le maire, trois exploitants désignés par la Chambre d'agriculture et trois propriétaires désignés par le Conseil Municipal ?

- que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires - à laquelle les contribuables peuvent soumettre leurs litiges avec les services fiscaux lorsque ces litiges portent sur des " questions de fait " (également, dans certains domaines, sur des questions de droit) - est elle aussi présidée par un magistrat et que, là encore, les représentants de l'Etat (trois fonctionnaires) sont en minorité par rapport à ceux des usagers (quatre pour chaque branche professionnelle) ?

Quant aux décisions émanant d'autorités individuelles, mais dans l'élaboration desquelles la représentation des usagers joue un rôle - parfois considérable - elles sont également nombreuses, et le processus qu'elles couronnent également ignoré.

- Pour ne prendre qu'un exemple, l'administré sait-il qu'en matière de plans d'occupation des sols, le groupe de travail du P.O.S., organisme constitué sur une base paritaire, décide pratiquement à lui seul ce que sera le P.O.S. - le pouvoir de décision étant en passe d'être transféré, du préfet qui l'exerce en droit, et du Conseil Municipal qui l'exerce en fait, à cet organisme consultatif ? - Cette évolution soulève d'ailleurs des critiques, comme on l'a vu au " Bilan thématique ".

II - LES MOYENS D'Y REMEDIER.


Ces moyens, comme on l'a annoncé, sont ceux que peuvent procurer l'amélioration et l'extension de la participation des administrés aux décisions de l'Administration.

Pour qu'ils soient utilisables dans leur totalité, et dans leur diversité, il faut évidemment prendre le mot " participation " dans son acception la plus large.

Il faut donc avoir en vue une notion qui recouvre aussi bien la simple consultation des administrés ou de leurs représentants, que leur participation stricto sensu - conjointement avec l'autorité administrative, ou même, cas extrême, sans elle - à la prise de la décision, en passant par les diverses modalités de ce qu'on désigne du terme assez vague de " concertation ". - En un mot, l'ensemble des accès ouverts à l'administré aux différentes étapes du processus complet de la décision.

Cela précisé, il apparaît que l'effort à entreprendre dans le domaine étudié devra se développer suivant deux axes :

A : Faire connaître et améliorer ce qui existe déjà en matière de participation ;

B : Etendre systématiquement la participation dans tout le domaine de l'action administrative, et plus particulièrement dans certains secteurs, mais sans jamais dépasser certaines limites.

A - Faire connaître et améliorer ce qui existe.

1 - Informer les usagers


Ceux-ci devraient mieux connaître l'existence de structures de participation et leur rôle dans l'élaboration ou la prise de diverses catégories de décisions.

En général, leur attention devrait être attirée sur les avantages de la participation, et leur intérêt pour celle-ci, actuellement très insuffisant, fortement stimulé : " Participez à la participation "...

L'action à entreprendre devrait faire plus spécialement appel aux moyens d'information ayant une aire de diffusion locale.

2 - Sensibiliser les autorités et agents publics


Les autorités et agents publics appelés à prendre ou à appliquer une décision comportant intervention d'une structure de participation devraient être invités :

- à prendre conscience du surcroît de légitimité que la participation apporte aux décisions de ce type, et de la part de responsabilité dont elle exonère le décideur nominal ;

- à en informer les usagers concernés.

3 - Améliorer le régime actuel de la participation


Certes il existe déjà en France ce qu'on peut appeler une " administration consultative ", sur laquelle le décideur s'appuie, à tous les échelons de l'Exécutif. Mais, pléthorique, elle appelle un sérieux élagage, et devrait s'ouvrir davantage à la participation des citoyens.

En revanche on rencontre des structures plus spécifiques, fonctionnant suivant les divers modes de la participation au sens large, et qu'il suffit d'améliorer.

a) " L'administration consultative "


On ne peut qu'être frappé de la prolifération des organes consultatifs de toute appellation (" Hauts –comités ", " Comités supérieurs ", " comités ", " conseils ", " supérieurs " ou non, " commissions ", " centrales " ou non, etc ...) directement rattachés aux autorités de l'Exécutif, et à tous les niveaux de celui-ci (depuis le Président de la République et le Premier ministre jusqu'aux préfets, en passant par les ministres, et même les chefs de certaines directions de ministères...).

A cet appareil consultatif - dont l'utilité de principe est hors de discussion - on peut d'abord reprocher sa lourdeur. Le nombre des organes qui le composent a quelque chose d'effrayant : on en a recensé 2 000 en tout, dont 46 pour le seul Premier ministre - sans compter la centaine de commissions consultatives fonctionnant dans chaque département...

Le choix des membres de ces organes - et par conséquent leur " qualité " - soulève une autre remarque. Ce sont certes, comme il se doit, des personnes, et même des personnalités - issues ou non de l'Administration - éminemment qualifiées dans leur spécialité. Mais il s'agit souvent d'hommes ou de femmes parvenus au terme de leur carrière, dont on ne peut attendre beaucoup de célérité dans l'examen, ni de hardiesse dans la proposition...

Il en résulte un ralentissement, pour ne pas dire une paralysie, de l'action gouvernementale, que le Médiateur a pu constater dans certains domaines (notamment celui de la Santé, où la consultation du " Conseil Supérieur d'hygiène publique de France " n'accélère pas, c'est le moins qu'on puisse dire, l'adoption de certaines propositions de réforme, comme par exemple la reconnaissance légale d'une nouvelle maladie professionnelle, etc ... ).

Par ailleurs, on peut compter sur les doigts (" Conseil Supérieur des Postes et Télécommunications ", " Conseil Supérieur des Transports ", " Conseil Supérieur des classes moyennes ", " Comité du travail féminin " ...) ceux de ces organes qui admettent en leur sein une représentation des usagers. Encore cette représentation apparaît-elle parfois noyée dans la masse des " technocrates ", sans compter que ces usagers sont, eux aussi, des " personnalités ".

Assurément, il est des compétences (les questions de défense par exemple) et des types de consultation (les comités interministériels) qui interdisent a priori toute représentation du " citoyen quelconque ". Mais dans bien d'autres domaines, les questions soumises à consultation intéressent si directement la vie quotidienne et les intérêts essentiels de l'administré qu'on s'étonne de ne pas le voir admis à dire son mot, ou à le mieux faire dire.

De ces réflexions, trop rapides sans doute, se dégage néanmoins la certitude que l'appareil consultatif étudié gagnerait à être allégé, rajeuni, et ouvert davantage à la représentation des citoyens. C'est cette certitude que le Médiateur souhaiterait voir partagée par les plus hautes autorités de l'Exécutif, et c'est en ce sens qu'il leur suggère d'entreprendre un effort difficile, de grande ampleur, mais sans conteste prometteur.

b) Quelques structures spécifiques


Le Médiateur n'a évidemment pas fait l'inventaire de toutes les structures de participation instituées dans les différents secteurs de l'action administratives. Il n'en examinera donc ici qu'un petit nombre, mais dont l'amélioration lui est apparue s'imposer.

1) C'est particulièrement le cas en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme, où les atteintes au droit de propriété, aux conditions de logement ou de travail, à la jouissance d'un certain environnement et, en général, d'un certain cadre de vie, se font avec les années de plus en plus nombreuses et graves. Si donc il est un domaine où l'information, et, au-delà, la participation des citoyens doivent être développées, c'est bien celui-là.

Le Ministre compétent doit en être aujourd'hui pleinement convaincu après les travaux du colloque qu'il a organisé en Octobre 1978 sur le thème " Urbanisme et libertés ".

Les idées générales qui se dégagent de ces travaux rejoignent les considérations développées par le Médiateur dans son rapport de 1978 sur la déclaration d'utilité publique et par le Comité central d'enquête sur le coût et le rendement des services publics dans son récent rapport consacré aux " problèmes posés aux administrations territoriales par les nouvelles réglementations en matière d'urbanisme ". Elles permettent d'aboutir aux conclusions suivantes :

- En matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme, les structures existantes assurent mal leur fonction ;

- Certaines soulèvent des aspects fondamentaux du problème de la représentativité : étroitesse de la représentation directe des usagers concernés ; choix entre celle-ci et la représentation d'un autre type qui est assurée par les élus locaux ;

- D'autres posent les problèmes connexes, et non moins fondamentaux, de la composition de l'organe de participation et des pouvoirs qui peuvent lui être dévolus. Il apparaît que le pouvoir de décision en ce domaine doit rester à l'autorité publique, envisagée comme unique décideur possible et comme arbitre nécessaire, quoique souvent contesté. En contrepartie, ce pouvoir devrait être largement décentralisé : dans ce sens, des initiatives ont déjà été prises ;

- Un courant puissant, et, au fond, unitaire, semble emporter tous les " acteurs " de la participation vers le renforcement de celle-ci dans le domaine étudié. Le Médiateur s'en félicite. Mais il ne peut, quant à lui, faire de propositions spécifiques qu'à partir des situations concrètes qui lui ont été soumises.

On a rappelé ses suggestions de 1978 en matière d'utilité publique. Ce qui précède lui permet aujourd'hui d'aller plus loin, en proposant, notamment, que les commissions d'enquête publique - dont la multiplication, aux dépens du commissaire unique, lui semblait déjà nécessaire et urgente - soient présidées par un magistrat. La directive du Premier Ministre en date du 14 Mai 1976 se borne en effet à indiquer que les anciens magistrats peuvent faire partie de la Commission, et la nomination à la présidence de celle-ci reste à l'entière discrétion du Préfet.

2) L'admission à l'aide sociale et le contentieux de cette aide sont, comme on sait, le domaine d'attribution d'une organisation complète et nettement structurée : au niveau cantonal, les commissions d'admission - Organismes " quasi-juridictionnels " ; aux niveaux départemental et

national, les vraies juridictions de l'aide sociale : commissions départementales et commission centrale.

Ces organismes, constitués sur une base paritaire, pourraient-ils être plus largement ouverts à la représentation des intérêts de ce type particulier d'administrés que sont les ressortissants de l'aide sociale ?

Pour la commission d'admission, la question ne se pose pas. Y siègent en effet, en même temps que deux fonctionnaires de l'administration des finances, deux élus locaux, dont le maire de la commune où réside le demandeur d'aide sociale : qui pourrait, mieux que ce magistrat, connaître la situation exacte du futur assisté et soutenir sa demande quand elle est fondée ?

En ce qui concerne la commission départementale, où la représentation des administrés est assurée par trois conseillers généraux du département - évidemment moins informés des situations personnelles qui leur sont soumises - on pourrait envisager qu'elle accueille, parmi ceux de ses membres qui n'ont pas voix délibérative, des représentants d'associations de défense des intérêts des assistés.

Le Médiateur invite le ministre compétent à étudier cette suggestion.

Mais avec la commission centrale d'aide sociale, la parité qui est de règle dans tout l'édifice a perdu toute espèce d'intérêt pour les administrés. Elle s'institue en effet, dans chaque section de cet organisme, entre deux magistrats (issus du Conseil d'Etat, de la Cour des Comptes ou des tribunaux judiciaires) et deux membres désignés par le ministre de la Santé " parmi les fonctionnaires des administrations centrales ou parmi les personnes particulièrement qualifiées en matière d'aide sociale ". L'une de ces personnes est d'ailleurs désignée " en accord avec les ministres de l'Intérieur et des Finances "…

Si la voix des ressortissants de l'aide sociale peut parvenir à un organisme aussi " élitiste ", ce ne peut être évidemment qu'à l'état de filet presque inaudible. L'expérience le confirme, car le Médiateur a pu constater que la jurisprudence de cette commission centrale était généralement fort sévère pour les demandeurs d'aide.

Si donc un effort " d'ouverture " s'impose, c'est bien surtout à ce niveau. Aussi le Médiateur demande-t-il instamment au ministre compétent d'étudier les moyens d'assurer au sein des sections de la commission centrale la présence obligatoire et constante d'un représentant des organisations de défense des assistés.

3) Autre exemple, celui du " comité des parents ", institué en 1976 dans les écoles maternelles et les établissements du premier degré. Associé au " conseil des maîtres " il compose le " conseil d'école ", organe qui, dans l'esprit de la " réforme Haby ", doit assurer la participation des parents à la vie des établissements du premier degré.

Ce dernier conseil est un organe consultatif, dont la compétence a pu être jugée trop restreinte : bien qu'elle porte sur un nombre important de sujets (règlement intérieur, information mutuelle des familles et des enseignants, soutien des élèves en difficulté, classes de nature, transports scolaires, garde des enfants, activités péri et post-scolaires, hygiène), il y manquerait selon certains l'essentiel, c'est-à-dire la pédagogie. - Mais la participation des parents à la pédagogie soulève un classique et grave débat, qui est loin d'avoir abouti, et dans lequel le Médiateur ne saurait entrer.

Quant au comité des parents, sa composition n'est pas critiquable (2 à 5 délégués des parents, et un représentant de la municipalité, face au directeur de l'établissement) et le mode d'élection des représentants des familles semble le plus démocratique qui se puisse concevoir (scrutin de liste à la proportionnelle avec prise en compte du plus fort reste...).

Mais la pratique a montré que cet organe fonctionnait mal : faute de moyens, les membres élus communiquent peu avec l'ensemble des parents ; les rapports sont également difficiles avec le conseil des maîtres et la direction ; enfin, et sans doute surtout, le système d'élection, pour démocratique qu'il se présente, apparaît en fait confectionné " sur mesure " au bénéfice des deux grandes fédérations de parents d'élèves que l'on connaît - ce qui n'est pas sans conséquences.

En effet, seules ces fédérations ont la possibilité de faire face aux frais des candidatures. Cela peut, notamment, expliquer le fait - paradoxal et regrettable -que les candidats ne se sentent même pas tenus à la " profession de foi " qui pourrait éclairer leurs mandants sur leur position face aux problèmes concrets, spécifiques, de l'établissement.

Le Médiateur est bien conscient des difficultés que soulève la participation des parents à la vie des établissements d'éducation - et pas seulement dans le premier degré. L'exemple cité l'autorise cependant à suggérer au ministre compétent de poursuivre ses efforts en vue d'accroître les moyens dont disposent les organes de cette participation, et de rendre ceux-ci plus directement représentatifs.

B - ETENDRE SYSTEMATIQUEMENT LA PARTICIPATION.

1 - Nécessité de cette extension et principes directeurs


a) Il y a des structures de participation qui auraient pu, et dû, être créées - ce qui eût évité à l'Administration d'engager inutilement sa responsabilité.

A cet égard nul exemple ne peut être plus frappant que celui que nous offrent les modalités d'attribution de l'aide spéciale compensatrice aux commerçants et artisans âgés, telles qu'elles ont été fixées par la loi du 13 Juillet 1972 et les textes subséquents.

Le problème a fait l'objet d'un développement important dans le rapport du Médiateur pour 1977. En bref, on rappellera que la loi, afin de réserver l'aide aux seuls vrais commerçants ou artisans, a subordonné son attribution à des conditions strictes et relativement complexes. Il en est résulté de nombreux problèmes de " cas limites ". En fait, ces problèmes se réduisaient à un seul : déterminer, dans chaque cas d'espèce, si le requérant devait être, ou non, considéré comme commerçant (ou artisan). Dans ces conditions, et après avoir dénoncé la lourdeur d'un appareil législatif dont la complexité conduisait dans certains cas à des situations absurdes, le Médiateur insistait sur le rôle essentiel qui aurait dû revenir aux commissions prévues par les textes, qu'il s'agisse de celles chargées de l'attribution de l'aide, ou de celle qui accorde les dispenses aux conditions d'activité et d'âge posées par la loi.

Certes, la loi du 26 Mai 1976 a apporté des améliorations au régime en vigueur. Mais il reste qu'il aurait été plus expédient de confier à des commissions mixtes, largement ouvertes aux commerçants et aux artisans, et présidées par une personnalité indépendante (un magistrat par exemple) la mission d'accorder ou de refuser l'aide suivant les cas, et cela selon des critères beaucoup plus simples que ceux fixés par la législation actuelle.

b) Il apparaît que trois éléments permettent de définir un organe de participation :

- son niveau d'intervention : il situe son action ;

- les modalités de choix des administrés appelés à participer : elles conditionnent sa représentativité ;

- sa composition : elle mesure son indépendance.

Les principes directeurs en la matière se dégagent alors immédiatement :

(1) Si l'on considère l'ensemble du processus qui conduit à tel ou tel type de décision, il devrait exister un organe de participation intervenant au plus haut niveau possible de ce processus - sans dépasser, naturellement, ce que les circonstances et le bon sens autorisent pour le type de décision en question.

(2) Si l'on considère isolément les étapes de ce processus, l'organe, ou les organes, intervenant à chacune d'elles, devrai(en)t présenter les caractères suivants :

. Compte tenu du niveau d'intervention, des " pouvoirs ", et en général une responsabilité aussi étendus que possible - dans les mêmes limites assignées par les circonstances et le bon sens ;

. Une représentativité maximale, garantie par un système électif aussi démocratique que possible, c'est-à-dire réduisant au minimum la distance entre les représentants des citoyens concernés et leurs mandants ;

. Une composition assurant une indépendance maximale vis-à-vis de l'Administration : donc, à tout le moins, une large majorité de représentants des administrés, et la présidence confiée à une personnalité " neutre ".

En résumé, l'extension de la participation se ferait par l'effet d'un double mouvement :

- un mouvement vertical, qui l'entraînerait dans son ensemble vers les niveaux les plus élevés du processus de décision ;

- un mouvement horizontal qui, à chaque niveau, entraînerait ses organes vers davantage de responsabilités, de représentativité et d'indépendance.

2 - Domaines privilégiés de la participation.


Ce sont d'abord, à l'évidence, ceux où la décision de l'Administration risque de porter atteinte aux droits ou intérêts fondamentaux de la personne, sans oublier les droits nouveau-nés des transformations de notre société (jouissance d'un environnement, et en général d'un cadre de vie acceptable).

D'un point de vue différent, on pourrait ajouter tous les domaines dans lesquels :

- il a été fait appel à la solidarité d'une catégorie sociale ou professionnelle pour constituer les ressources nécessaires à une aide publique destinée à certains de ses membres. Les décisions sur l'attribution de cette aide devraient être prises, et de façon autonome, par des organismes largement ouverts aux représentants de la catégorie concernée ;

- des droits spéciaux ont été reconnus à une certaine catégorie de personnes (prisonniers, résistants et déportés, par exemple). Dans ce cas, il serait légitime que des représentants de ces personnes puissent au moins donner leur avis sur l'attribution de ces droits.

3 - Limites de la participation


a) D'une manière générale, comme on l'a observé plus haut, les circonstances et le bon sens peuvent imposer des limites au développement d'un organe de participation selon son niveau, tant en ce qui concerne sa représentativité que sa composition ou ses pouvoirs.

b) Il est des domaines où la prise de la décision - même préparée par une succession de concertations aussi ouvertes que possible - ne peut que demeurer de la seule compétence de l'autorité publique. C'est particulièrement le cas dans tous les secteurs de l'action administrative où se prennent des actes de " puissance publique " (décisions intéressant l'ordre public, la sécurité des personnes, etc...).

c) Même dans les domaines où la décision paraît pouvoir être prise par un organe indépendant de l'Administration, une certaine prudence s'impose. Il s'agit en effet d'un véritable démembrement du pouvoir exécutif, fort démocratique d'inspiration, mais qui peut présenter des inconvénients.

d) L'extension du nombre des organes de participation à la décision administrative ne doit pas avoir pour conséquences de diminuer le rôle imparti aux organisations professionnelles et syndicales dites représentatives, non plus qu'aux différents " corps intermédiaires ", et encore moins de restreindre la place qui revient aux élus nationaux et locaux dans la représentation du citoyen.

CONCLUSION


Le temps n'est plus où il suffisait d'imposer pour administrer.

Aujourd'hui, l'action de l'Administration ne peut être pleinement efficace que si sa légitimité est admise. Convaincre devient plus important que contraindre.

D'où la nécessité de faire participer l'administré à cette action dans la plus large mesure possible : c'est son intérêt, c'est aussi celui de l'Administration.

Certes, il faut au préalable persuader l'une et l'autre de cette nécessité et de ce double intérêt. Cela suppose une action d'information et de sensibilisation propre à créer un choc psychologique suffisant pour que, dans un premier temps, ce qui existe déjà en matière de participation soit d'une part connu, et d'autre part renforcé.

Mais une fois l'élan donné, on peut penser que les choses iront d'elles-mêmes plus avant ; que la participation, souhaitable, deviendra systématique ; que son extension se fera tout naturellement, limitée seulement par les impératifs de la défense du bien public.

Les chemins de ce renforcement puis de cette extension ne seront donc pas tellement ardus. Il ne s'agit pas tant, en effet, de se lancer dans une vaste et volontariste réforme de structures que de faire naître, à partir d'une certaine prise de conscience, certaines méthodes d'action.

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