Année 1977


BILAN GENERAL


A - BILAN D'ENSEMBLE

SECTION 1 : Bilan chiffré



1. - LES DOSSIERS

a) Dossiers reçus

En 1977, le Médiateur a reçu un total de 3 539 réclamations, dont :

2728 transmises par des députés,

496 par des sénateurs,

315 instruites en raison de leur caractère d'urgence, quoique n'ayant pas été transmises par des parlementaires.

b) Résultats

Dossiers traités en 1977 :
Le total des dossiers traités par le Médiateur pendant l'année 1977 s'est élevé à 6 955, dont 3 416 dossiers antérieurs à cette année.

Réclamations irrecevables :
Sur ce total, 641 réclamations ont été jugées purement et simplement irrecevables, soit moins de 10 %.
Instruction des réclamations recevables :
Sur les 6 314 réclamations jugées recevables :
- au 31 décembre 1977, le Médiateur avait terminé l'instruction de 2 992 d'entre elles ;
- 3 322 demeuraient en cours d'instruction à la même date.
Résultat des affaires terminées :
Sur 2 992 affaires terminées au 31 décembre 1977 :
- 1 255 réclamations (soit 41,2 %) doivent être considérées comme satisfaites ;
- 1 515 (soit 51 %) ont été rejetées après instruction ;
- 222 (soit 7,8 %) ont été abandonnées par leurs auteurs.
Remarques :

- Affaires " satisfaites " : Dans ces cas, le Médiateur a constaté qu'il y avait un mauvais fonctionnement du service public et a fait modifier la décision contestée.
Le Médiateur considère qu'il a obtenu satisfaction - même si certaines conclusions de la requête initiale n'ont pas été retenues - lorsqu'il a acquis l'intime conviction d'avoir fait rétablir le requérant dans ses droits.

Il faut noter d'ailleurs que dans certains cas, en raison de l'attitude négative de l'Administration, ces résultats favorables n'ont été obtenus qu'après une relance de l'affaire par le Médiateur ou l'envoi d'une recommandation élaborée en application de l'art. 9 de la loi du 3 janvier 1973 (voir ci-après).

- Affaires " rejetées " : Dans ces cas, et après enquête auprès de l'Administration concernée, le Médiateur a constaté qu'il n'y avait pas eu mauvais fonctionnement du service public, la loi ou le règlement ayant été correctement appliqués.

Mais dans certains cas c'est la règle de droit elle-même, la procédure suivie, ou les modalités d'information de l'usager qui sont à l'origine du préjudice subi : le Médiateur en demande alors la modification par une proposition de réforme (voir plus loin).

2. LES RECOMMANDATIONS

Ont été traitées en 1977, 21 recommandations élaborées en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, dont 12 émises en 1976, 9 en 1977.

Au 31 décembre 1977 :
- 10 de ces recommandations avaient été satisfaites ;
- 3 avaient été abandonnées par le Médiateur, mais l'une d'entre elles (affaire n° II.50) va donner lieu à une proposition de réforme, la réglementation interdisant la mesure d'équité recommandée ;
- 8 demeuraient en cours de négociation avec l'administration intéressée.

Ces recommandations seront analysées dans la IIe partie du présent rapport, sous la rubrique du département ministériel qu'elles concernent.

On peut toutefois citer ici la recommandation adressée au Ministère de l'Equipement à propos d'une affaire (n° IV-1261), dans laquelle on voit l'Administration faire montre, pour le moins, d'une certaine inconscience...

Le réclamant, âgé de 85 ans, avait obtenu du Conseil d'Etat, en 1976, l'octroi d'une indemnité de dommages de guerre s'élevant à environ 40 000F.

Or, l'Administration s'est bornée, pour exécuter cette décision, à remettre à l'intéressé des titres à 3, 6 et 9 ans d'échéance émis par la Caisse autonome de Reconstruction.

Il est facile de calculer que la remise de ces titres n'aurait permis au réclamant d'être définitivement indemnisé qu'à l'âge de 94 ans...

Le Médiateur a naturellement recommandé au Ministre de substituer à ce mode de règlement le versement en une seule fois de l'indemnité allouée par le Conseil d'Etat. Il a été entendu.

On peut également mentionner la recommandation adressée au Ministre de l'Agriculture à propos du dossier n° III-969.

Les réclamants avaient vu leurs terres illégalement incluses dans le périmètre d'une association de chasse, et la seule réponse du ministère était pour les inviter à se pourvoir en justice : le Médiateur a rappelé que rien ne s'opposait à une réparation du préjudice par accord amiable, et recommandé au ministère de préparer les bases de cet accord.

Cette affaire est à joindre aux exemples qui seront donnés au I B ci-après, où se trouve justement traitée la question de la réparation amiable de tels préjudices.

3. LES PROPOSITIONS DE REFORME

(Article 9, alinéa 2 in fine de la loi 73-6 du 3 janvier 1973 modifiée par la loi 76-1211 du 24 décembre 1976).

Jusqu'au 31 décembre 1976, le Médiateur avait élaboré 99 propositions de réforme (dont 6 synergies) tendant pour la plupart à une modification de la législation ou de la réglementation.

Pendant l'année 1977, il en a présenté 19 nouvelles (dont 1 synergie).

La discussion des propositions les plus récentes et des propositions antérieures qui n'avaient pas encore abouti à une décision, a donné en fin d'année les résultats suivants :
- propositions retirées par le Médiateur... : 36
- propositions satisfaites...... : 37 (dont 1 synergie)
- propositions à l'étude .......... : 45 (dont 6 synergies)
- TOTAL........................... : 118

En ce qui concerne les propositions satisfaites, il y a lieu de noter que du fait du retard apporté au vote du projet de loi dont il va être question, 9 sont acceptées mais non acquises à ce jour.

D'autre part, pour 6 d'entre elles, les mesures acceptées n'ont pas encore fait l'objet des textes réglementaires permettant leur application.

Le fait marquant en ce domaine est qu'à la suite d'un conseil des ministres tenu le 11 mai 1977, et qui avait précisé la procédure à suivre pour donner une suite aux propositions de réforme faites par le Médiateur, les Ministres et Secrétaires d'État ont été invités par le Premier Ministre à soumettre à son arbitrage celles de ces propositions sur lesquelles ils n'étaient pas d'accord.

Les résultats numériques de ces arbitrages, qui ont porté sur 27 propositions de réforme, et se sont déroulés en septembre et octobre 1977, figurent dans le tableau suivant :
- Propositions retirées par le Médiateur 6
- Propositions satisfaites ..... 14
- Propositions ajournées .... 7
Ainsi, le Médiateur aura-t-il été cette année à l'origine d'une vingtaine de dispositions législatives nouvelles. Celles-ci, conformément à la procédure fixée au Conseil des Ministres dont il a été question ci-dessus, ont été introduites dans un projet de loi " portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et ses usagers ", qui devait être soumis au Parlement au cours de sa session d'automne sous le n° 3 229. Le projet comporte aussi un certain nombre de mesures de " simplification administrative ", résultats des travaux récemment commandés par le Premier Ministre aux différents départements ministériels sur ce sujet.

On trouvera à la IIe partie du présent rapport (A, Section 2) l'analyse succincte et le commentaire des dispositions législatives émanant du Médiateur. Il sera traité au même endroit des importantes conséquences de cette intervention du Premier Ministre dans la politique de réformes du Médiateur, et les objectifs de cette dernière seront, par la même occasion, précisés ou rappelés.

4. INJONCTIONS

La loi du 24 décembre 1976 a ajouté à l'article 11 de la loi du 3 janvier 1973 un deuxième alinéa d'après lequel le Médiateur peut, " en cas d'inexécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée, enjoindre à l'organisme mis en cause de s'y conformer dans un délai qu'il fixe. Si cette injonction n'est pas suivie d'effet, l'inexécution de la décision de justice fait l'objet d'un rapport spécial présenté dans les conditions prévues à l'article 14 et publié au Journal Officiel ".

Le Médiateur n'a eu jusqu'ici qu'une occasion de faire usage de ce pouvoir d'injonction qui lui a été nouvellement dévolu. (L'affaire, fort complexe et mettant enjeu de délicates questions juridiques ainsi que de gros intérêts pécuniaires, est toujours en cours).

5. LES QUESTIONS ET PETITIONS TRANSMISES PAR LE PARLEMENT

Aux termes des deux derniers alinéas de la loi du 3 janvier 1973 modifiée par celle du 24 décembre 1976 :
- " Les membres du Parlement peuvent, en outre, de leur propre chef, saisir le Médiateur d'une question de sa compétence qui leur paraît mériter son intervention ".
- " Sur la demande d'une des six commissions permanentes de son assemblée, le président du Sénat ou le président de l'Assemblée Nationale peut également transmettre au Médiateur toute pétition dont son assemblée a été saisie ".
En application du premier alinéa ci-dessus, le Médiateur a été saisi par les parlementaires, de leur propre initiative, de cinq questions d'intérêt général (sort des pensionnés de la marine marchande ; application de la loi sur l'enseignement privé ; situation de vacataires assurant des missions d'alphabétisation ; limites de chasse d'un parc national ; statut du personnel d'un organisme d'information).

Le second alinéa n'a reçu jusqu'ici qu'une application par la transmission d'une pétition relative à la situation de certaines assistantes sociales de l'Etat.

Le cas de l'une d'elles a donné lieu de la part du Médiateur à une recommandation qui est en cours de discussion.

SECTION 2 : Bilan thématique


Après ce bilan chiffré, on trouvera dans les pages qui suivent l'inventaire des cas les plus typiques de mésadministration que le Médiateur a rencontré pendant l'année 1977, et qu'il a pu régler, en tout ou en partie.

Ces cas seront groupés en catégories, caractérisées par un certain type de mésadministration, et, au-delà, par un certain trait du comportement administratif. Pour la correspondance entre les uns et les autres, le lecteur pourra se reporter aux considérations développées dans le rapport de 1976, pages 18 et suivantes.

Rappelons simplement ici que certaines attitudes de l'Administration peuvent difficilement s'expliquer sans faire appel à de véritables défauts caractériels, tels qu'on en rencontre chez l'individu.

Comme il paraît naturel, on commencera par les plus classiques de ces attitudes, pour terminer par les plus difficilement concevables.

Le retard.
Le retard à répondre aux demandes des administrés ou à instruire leurs dossiers demeure, l'expérience le confirme, l'un des défauts les plus invétérés de nos services publics.

Bien entendu, ces lenteurs s'expliquent et se justifient, au moins partiellement, par les charges sans cesse accrues qui pèsent sur notre appareil administratif.

Il s'agit donc d'un défaut important, mais qui ne met pas directement en cause la psychologie profonde de l'Administration.

En voici deux exemples significatifs, pris parmi bien d'autres :

- Affaire n° IV-105 :

En 1974, un agriculteur demande à l'administration compétente de vérifier le bien-fondé d'une hausse importante de prix intervenue dans la facturation d'engrais acquis en avril de la même année.

La réponse lui est fournie en octobre 1977, après intervention du Médiateur.

- Affaire n° IV-906 :

Les modalités du reclassement indiciaire des agents des poudreries retraités avant le 1er janvier 1974 n'étaient pas encore publiées en juillet 1977...

Le Médiateur poursuit l'affaire (cf. IIe partie, Secrétariat d'État chargé de la Fonction Publique).

L'erreur.

On peut dire de l'erreur à peu près ce qu'on vient de dire du retard. Il s'agit d'un défaut fréquent, généralement excusable et psychologiquement superficiel.

On en donnera deux exemples, également choisis parmi bien d'autres.

- Affaire n° III-350 :

Il s'agit d'une erreur dans un relevé, commise par les services d'E.D.F. - G.D.F., mais à leur détriment. Cependant le redressement de cette erreur en fin de contrat étonne l'abonné, et motive sa réclamation auprès du Médiateur. Sur l'intervention de celui-ci, G.D.F. présente ses excuses à l'abonné, qui règle les sommes dues.

- Affaire n° III-901 :

L'Administration de l'Education retire, après l'expiration du délai de recours contentieux, un arrêté par lequel elle avait accordé - à tort - à une maîtresse de l'enseignement privé un congé de maternité avec plein traitement.

Les règles du retrait des actes administratifs d'une part, la simple équité d'autre part, commandaient que l'intéressée fût maintenue dans sa situation. C'est ce que l'Administration a accepté, après intervention du Médiateur.

Abus et excès de pouvoir, détournements de procédure, etc.

Nous entrons là dans le domaine de la faute caractérisée, où l'on voit l'autorité administrative abuser des prérogatives de la puissance publique au détriment des administrés.

A des exemples illustrant les notions classiques d'excès de pouvoir et de détournement de procédure, on a cru pouvoir en ajouter un troisième, significatif de ce qu'on pourrait appeler l'" abus de procédure ".

- Affaire n° IV-495 :

Le maire d'une commune n'acceptait d'autoriser le réclamant, son voisin, à faire passer une canalisation dans le sous-sol d'un chemin communal qu'à condition d'obtenir, pour lui personnellement, un droit de passage sur la propriété de ce voisin.

Sur l'intervention du Médiateur, le réclamant a obtenu, sans aucune condition, ce qu'il avait demandé.

- Affaire n° III-1099 :

Un agriculteur acquiert une parcelle de terre faisant partie d'un bien vacant à la suite d'un appel d'offres.

Bien que l'arrêté de cessibilité ne soit pas intervenu, il s'en croit le légitime propriétaire et l'occupe. 20 jours plus tard, sur la demande formée par la commune d'utiliser cette parcelle pour constituer une réserve de chasse, le Préfet de région compétent met en mouvement une procédure d'urgence en vue de déclarer d'utilité publique l'acquisition par la commune du terrain litigieux.

Le réclamant est donc devenu occupant sans titre, comme la commune le fait peu après constater par procès-verbal...

Saisi de l'affaire, le Médiateur interroge le Préfet. Celui-ci reconnaît l'antériorité des droits du réclamant et la validité de la vente faite dès l'appel d'offres. Il saisit toutefois du litige le vendeur - c'est-à-dire l'Administration des Domaines - laquelle maintient la légalité de la cession faite à la commune.

Finalement et compte tenu des conclusions de l'étude menée sur cette affaire par le Conseil d'Etat, on pouvait affirmer :

- Que le réclamant était fondé à se considérer comme le légitime propriétaire de la parcelle, l'arrêté de cessibilité n'ayant qu'un caractère accessoire ;

- Que la vente consentie à la commune était nulle, l'Administration ayant utilisé une procédure d'urgence pour déclarer d'utilité publique la cession d'un bien destiné à une réserve de chasse. Or une telle destination ne présentait nullement un caractère d'utilité publique, d'autant que l'objectif recherché étant avant tout... d'exonérer la commune des droits de mutation, et que l'urgence de la procédure ne semblait s'expliquer que par le désir de la commune d'empêcher le Préfet de signer l'arrêté de cessibilité.

Fort de cette argumentation, le Médiateur a demandé au Préfet d'intervenir auprès du Maire afin que la parcelle litigieuse soit restituée au réclamant : c'est ce qui a été fait peu après.

On notera pour terminer que l'étude du Conseil d'Etat a permis de relever dans cette affaire un certain nombre d'attitudes curieuses de l'Administration : " tour de passe-passe " du Maire, qui est à l'origine de toute la " manoeuvre " ; hâte suspecte avec laquelle la procédure d'urgence a été décidée ; excès de pouvoir commis dans la déclaration d'utilité publique d'une parcelle manifestement impropre à compléter une réserve de chasse ; détournement de procédure (déjà signalé) puisque cette déclaration avait en réalité pour but d'exonérer la commune des droits d'enregistrement... Voilà, semble-t-il, un tableau de chasse assez complet pour le juriste, et de quoi frémir quand on songe que de tels abus peuvent se commettre pour une cause aussi minime.

- Affaire n° III-1188 :

Cette affaire est d'abord un exemple des difficultés, voire des injustices, qu'a pu entraîner le remembrement dans certaines villes sinistrées par la guerre : c'est ainsi qu'une telle opération avait fait perdre aux réclamants un fonds de bar restaurant et un entrepôt de transit douanier.

Elle illustre aussi les lenteurs de la procédure que les intéressés ont dû engager pour être indemnisés : cette procédure, introduite en 1961, ne s'est en effet achevée que fin 1976, par une décision de la Commission spéciale de remembrement du Département accordant une indemnité aux réclamants.

Enfin, son instruction a montré que ces lenteurs ont un responsable : le Ministère de l'Equipement, qui a toujours rejeté un arrangement amiable et multiplié les procédures et manoeuvres dilatoires, et cela jusqu'après le prononcé de la dernière sentence, de sorte que l'affaire n'a été véritablement terminée que dans le dernier trimestre de 1977, après intervention du Médiateur.

La manie restrictive.

On sait bien que les textes législatifs ou réglementaires doivent être appliqués avec la rigueur qu'ils supposent. Mais l'Administration n'est nullement tenue - sinon par ses contraintes d'ordre psychologique - de leur donner aussi souvent une interprétation aussi restrictive.

Cette " manie restrictive " qui équivaut à un refus de tirer toutes les conséquences d'un texte et à une sorte d'impuissance à généraliser, est particulièrement apparente dans l'exemple ci-après :

- Affaire n° II-1776 :

Un propriétaire qui avait équipé une chute d'eau d'un générateur lui permettant d'utiliser pour son chauffage l'énergie ainsi dégagée, souhaitait pouvoir déduire de son revenu global imposable les dépenses ainsi effectuées.

Et de fait, une série de textes récents (article 8 - II de la loi de Finances pour 1975 ; décret n° 75-52 du 29 janvier 1975 ; décret n° 77-864 du 22 juillet 1977) sont intervenus pour inciter les utilisateurs d'appareils de chauffage, en rendant déductibles les frais qu'ils exposeraient, à améliorer le rendement de leur système de chauffage, à le moderniser, voire à le remplacer par des appareils utilisant les " énergies nouvelles " (solaire et géothermique).

Mais l'utilisation d'une chute d'eau privée, ou même celle de l'énergie éolienne, n'étaient pas visées dans ces textes, et le Ministre de l'Economie et des Finances avait opposé un refus à la demande de déduction formée par le réclamant - demande qui était pourtant tout à fait conforme aux impératifs d'intérêt national qui commandent d'économiser l'énergie.

Finalement, sur recommandation du Médiateur formulée en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, le Ministre des Finances a accepté de préciser dans l'instruction qu'il prépare pour l'application du décret du 22 juillet 1977, que les dépenses exposées pour le remplacement d'une chaudière à fuel par une installation utilisant l'énergie d'une chute d'eau ou l'énergie éolienne " entrent dans les prévisions " de l'article 8-II de la loi de finances pour 1975. En outre, cette solution s'appliquera rétroactivement aux dépenses effectuées depuis l'entrée en vigueur de l'article 8-II.

Le ping-pong administratif.

On connaît le principe de ce jeu : l'administré s'adresse au service X, qui le renvoie au service Y, qui le renvoie au service X, etc. Souvent d'ailleurs d'autres services entrent à leur tour dans le jeu, ce qui donne à la fin des dossiers d'une belle complexité...

L'explication la plus évidente de tels comportements administratifs réside dans le manque de coordination entre les services.

Mais derrière ce manque de coordination, n'y a-t-il pas en action une cause psychologique plus profonde ? Ne serait-ce pas, comme le rapport de 1976 le soulignait, que nos fonctionnaires oublient trop souvent que l'acte d'un service engage tous les services susceptibles d'être concernés par une même affaire, et cela parce que l'Administration, telle que la voit l'administré, et il a raison de la voir ainsi, est " une " et devrait toujours se comporter comme telle ?

Plus profondément, on aboutit ainsi au repliement sur soi, à la manie de l'isolement c'est-à-dire à la tare fondamentale de notre Administration, toujours d'après le rapport cité. Que peut faire l'administré contre la féodalité locale des services ?

Il peut succomber à la tâche, comme on le verra dans un des exemples ci-après. Car le jeu en question n'est pas seulement irritant, exaspérant, désespérant pour l'administré : il peut être aussi cruel.

- Affaire n° IV-590 :

La réclamante se plaint de la négligence fautive et du manque de coordination des services de l'Equipement de son département, qui n'ont toujours pas fait procéder (en 1977) à l'entretien d'un chemin départemental désenclavant sa propriété, et rendu impraticable par l'existence d'un gué servant de limite entre sa commune et une commune voisine.

Or, la première démarche de l'intéressée remonte à 1969 : elle s'adresse à l'ingénieur subdivisionnaire d'une première localité du département, lequel rejette sa demande au motif que les crédits disponibles sont cette année-là insuffisants.

Ayant renouvelé sa demande en 1973, le même ingénieur subdivisionnaire lui répond que seule la subdivision de l'Equipement d'une autre ville est compétente.

Elle s'adresse alors à ce dernier service, qui lui précise que l'affaire relève en fait de la compétence de la subdivision qu'elle avait saisie initialement...

Elle revient naturellement à la charge auprès de celle-ci pour s'entendre dire que le chemin étant rural, les travaux à faire incombent aux deux communes limitrophes...

Mais le maire de la commune voisine, interrogé à son tour, affirme qu'aux dires mêmes des services de l'Equipement, le chemin étant départemental, sa réfection incombe au Département.

La réclamante met alors, pour ainsi dire, " tout le monde dans le même bain ", en renouvelant sa demande auprès du Directeur Départemental de l'Equipement, des différents ingénieurs subdivisionnaires, et du maire de la commune voisine.

Elle apprend de ce dernier que des travaux de réfection ont été exécutés par la première subdivision mise en cause, mais seulement sur la partie la concernant, c'est-à-dire jusqu'au gué. Ainsi ce gué ne sert-il pas seulement de frontière entre les deux communes, mais aussi entre les deux subdivisions mises en cause.

Elle s'adresse alors de nouveau, en 1975, au premier ingénieur subdivisionnaire, qui lui indique qu'il a transmis son dossier au second afin que le complément de travaux soit effectué.

Depuis lors, et en dépit de nombreuses interventions, aucune suite positive n'a été donnée à la demande de l'intéressée.

Il est inutile d'ajouter que la volonté du Médiateur d'aboutir à un règlement prochain de cette affaire est particulièrement forte, d'autant que la réclamante est âgée de 77 ans...

- Affaire n° II-161 :

Une femme âgée souhaite vendre sa maison pour se retirer dans une institution de retraite.

L'autorisation de vendre lui est refusée au motif que sa propriété est touchée par l'élargissement d'une rue et par un projet de rénovation de la voirie.

Elle intervient alors auprès de la communauté urbaine de sa ville. Elle reçoit l'assurance que, l'opération d'urbanisme projetée, aura lieu très prochainement, et qu'une vente à l'amiable de son immeuble est tout à fait possible préalablement. Elle est invitée à présenter une évaluation chiffrée de son bien aux services de l'Equipement.

Mais ceux-ci l'informent que l'opération projetée n'est inscrite à aucun plan : aucune acquisition à l'amiable de la propriété n'est donc possible.

L'intéressée meurt - à l'hospice public. Ses héritiers reprennent les démarches.

De nouveau ils s'adressent au Président de la Communauté urbaine. Celui-ci fait connaître à la fille de l'ancienne propriétaire que son immeuble n'est plus affecté en totalité par l'opération d'urbanisme projetée.

Le Médiateur, saisi entre temps de l'affaire, suggère à cette héritière de mettre en demeure la Communauté urbaine d'acquérir sa propriété, conformément à l'art. L 123.9 du Code de l'Urbanisme. La même solution lui est d'ailleurs conseillée par le Préfet.

En janvier 1977, la réclamante procède à la mise en demeure prévue auprès du Président de la Communauté urbaine.

Celui-ci répond aussitôt qu'il n'est pas compétent, et invite l'intéressée à s'adresser au Préfet.

A la fin de janvier 1977, la mise en demeure est adressée au Préfet. Le Médiateur intervient de nouveau, afin d'accélérer l'affaire.

Fin mai 1977, le Préfet répond qu'il ne peut envisager rapidement l'acquisition de la propriété, faute de disponibilités budgétaires, et en raison de difficultés diverses rencontrées au sein de la Communauté urbaine...

Finalement, et sur l'intervention particulièrement pressante du Médiateur, le Président de la Communauté urbaine donne des instructions en vue d'une acquisition rapide de la propriété. L'affaire aura duré 10 ans.

La contrariété des positions prises par différentes administrations dans une même affaire - autre résultat du manque de coordination entre services - peut entraîner l'administré dans un jeu assez semblable à celui que l'on vient de voir se dérouler dans toute son ampleur :

- Affaire n° II-516 :

Le litige porte sur les difficultés rencontrées par un entrepreneur - qui était en même temps propriétaire du terrain - pour construire un garage à bateaux dans le sous-sol d'un immeuble d'une ville de la côte méditerranéenne.

L'intéressé obtient d'abord du Préfet, sur avis favorable du Maire, un permis de construire régularisant les travaux déjà faits.

Mais un contentieux particulièrement délicat prend naissance entre le Maire, les services de l'Equipement et l'intéressé à propos du bien-fondé de l'autorisation qui vient d'être accordée.

Pour sa part, le Maire fait valoir qu'on a mal interprété son avis favorable, lequel ne portait en réalité que sur la construction d'un garage à usage de voitures, et qu'au surplus, les travaux auraient dû faire l'objet d'une délibération du Conseil Municipal.

Le Préfet retire alors le permis délivré, ce qui conduit l'intéressé à se pourvoir devant le Tribunal Administratif.

Mais avant même que ce Tribunal n'ait statué, l'intéressé présente une nouvelle demande de permis de construire, en même temps qu'il saisit le Médiateur.

Sur le rejet de cette nouvelle demande par le Préfet, le réclamant forme un recours gracieux, qui est laissé sans suite.

C'est alors que le Médiateur fait procéder à une enquête sur place : à la suite de cette intervention et avant même que le Tribunal administratif n'ait eu à se prononcer sur l'affaire, le Préfet accorde au réclamant l'autorisation objet d'un litige qui durait depuis quatre ans...

L'affaire ainsi résumée est donc aussi une illustration de l'efficacité des enquêtes sur place effectuées par les collaborateurs du Médiateur à sa demande, et du grand intérêt que présente cette forme d'intervention puisque, dans l'espèce, elle a permis de dénouer un important contentieux et d'éviter une instance juridictionnelle.

L'inconscience administrative.

L'isolement de l'Administration est tel qu'il lui fait parfois méconnaître les réalités les plus élémentaires.

On est en droit alors de parler d'inconscience, comme le démontrent les exemples suivants :

- Affaire n° IV-1261 :

On ne citera que pour mémoire (cf. plus haut section 1, rubrique des recommandations) cette affaire où l'on a vu une personne âgée recevoir de l'Administration des bons à 3, 6 et 9 ans d'échéance, de sorte qu'elle n'aurait été complètement indemnisée qu'à l'âge de 94 ans...

- Affaire n° IV-1828 :

Le réclamant était employé dans une société commerciale à un niveau modeste. Pour faciliter des opérations bancaires, il accepta cependant la présidence de certaines autres sociétés.

Lors d'un contrôle fiscal, le constat d'opérations frauduleuses conduit à son arrestation. Il est libéré peu de temps après, mais reste poursuivi en recouvrement d'une somme de près de 20 milliards d'anciens francs !

Or, à l'époque des faits délictueux, l'intéressé était très jeune et n'a vraisemblablement fait que se conformer aux ordres de ses employeurs pour gagner sa vie. Prétendre qu'il aurait disposé de revenus dépassant plusieurs milliards d'anciens francs, alors qu'il a peine à nourrir aujourd'hui une femme et un enfant, n'est pas soutenable.

Par ailleurs, s'il avait disposé de ces revenus, ce ne pourrait être que par détournement de fonds sociaux. Des poursuites pénales auraient été lancées contre lui à ce titre, ce qui n'apparaît pas au dossier.

Dans ces conditions, le Médiateur a demandé au Ministre de l'Economie et des Finances qu'une démarche auprès du parquet retarde l'inscription de l'affaire au rôle afin qu'il puisse l'examiner, et que, dans l'attente, les mesures d'exécution contre l'intéressé - qui a fait l'objet d'un avis à tiers détenteur pour une somme de 164 376 652 F - soient suspendues. Compte tenu de la partie saisissable des salaires de l'intéressé, il lui aurait suffi, à revenus constants, de 12 452 ans pour s'acquitter de sa dette...

Sur ce dernier point, tout permet d'espérer que le Ministère de l'Economie et des Finances consentira à un dégrèvement.

Il n'en demeure pas moins qu'avoir réclamé une pareille somme à une personne, qui n'était manifestement pas et ne serait jamais en mesure de la payer, relève de l'inconscience.

En plus de ces cas de mésadministration, si typiques et directement perceptibles, il existe d'autres questions de fond auxquelles le Médiateur se heurte et dont la réponse gouverne, directement ou indirectement, l'amélioration des relations entre l'Administration et les administrés.

Parmi ces questions, celle qui concerne l'impossibilité pour ces derniers d'obtenir la réparation de certains préjudices apparaît essentielle. C'est pourquoi le Médiateur a décidé d'attirer particulièrement l'attention des pouvoirs publics dans le présent rapport, sur l'importance de ce problème et sur la solution qu'il pourrait recevoir.

B - UNE PROPOSITION POUR L'AVENIR


Une réforme qui s'impose : l'institution d'un système permettant une réparation plus rapide et plus complète des préjudices subis par les administrés.

SECTION 1 : Nécessité de ce système



I - LE PROBLEME :

Lorsqu'à l'issue de l'instruction d'une affaire par le Médiateur, le mauvais fonctionnement d'un service public et la matérialité du préjudice subi par le réclamant ont été établis, et que l'Administration en cause ne conteste pas sa responsabilité, entière ou partielle, deux éventualités peuvent se présenter :

- Si l'Administration procédait rapidement et intégralement à la réparation du préjudice, il n'y aurait évidemment pas de problème, et l'intervention du Médiateur serait alors pleinement efficace. Ce n'est malheureusement pas le cas le plus fréquent.

- Il arrive le plus souvent que l'Administration, bien qu'ayant admis sa responsabilité, ne veuille ou ne puisse procéder à la réparation intégrale qui pourtant lui incombe. Il arrive même qu'elle se refuse à toute réparation, ou s'emploie à retarder celle-ci par divers procédés dilatoires. Et ces attitudes peuvent être les siennes même lorsque sa responsabilité a été sanctionnée par une décision de justice.

On aboutit ainsi à des situations dans lesquelles, sans que le " fait de mésadministration " soit le moins du monde contesté - il a pu même, comme on vient de le dire, être confirmé par les tribunaux - l'administré se trouve obligé d'attendre, pendant une durée souvent excessive, la réparation du préjudice qu'il a subi, et parfois même n'obtient aucune réparation de son vivant : de telles situations sont évidemment inadmissibles.

On examinera plus loin les raisons qui peuvent expliquer pareils comportements de l'Administration. Mais on peut dès maintenant poser que le seul moyen d'améliorer cet état de choses serait d'instituer une procédure ad hoc, qui permettrait, par le recours à un fonds spécial d'indemnisation, la réparation aussi complète que possible, et surtout rapide, de tous les préjudices subis par les administrés du fait d'un mauvais fonctionnement de nos services publics.

Ainsi pourrait-il être mis fin à des situations souvent scandaleuses. Ainsi l'action du Médiateur pourrait-elle être à la fois élargie et rendue plus efficace. Ainsi les principes qui ont inspiré la loi du 3 janvier 1973 pourraient-ils même trouver de nouvelles applications, puisque la réparation des préjudices en question au moyen du système envisagé n'impliquerait pas nécessairement l'intervention du Médiateur.

II - LES DIVERS COMPORTEMENTS DE L'ADMINISTRATION RESPONSABLE FACE A L'OBLIGATION DE REPARER.

L'examen des dossiers instruits par le Médiateur permet de les classer en fonction de l'attitude plus ou moins répréhensible de l'Administration.

Mais avant de fournir des exemples de ce classement, certains doivent être préalablement écartés : ce sont ceux où, aussi douloureuse que puisse être la situation du requérant ou de leur famille, l'Administration n'est pas responsable et ne peut être tenue de réparer le préjudice subi. Ainsi des deux affaires suivantes :

- Affaire n° III-683 :

Le mari de la réclamante est décédé accidentellement dans un pays du Proche-Orient, des suites d'une collision avec un camion militaire. S'agissant d'un déplacement touristique, la législation sur les accidents du travail n'était pas applicable en l'espèce. Il ne restait donc à la veuve que la possibilité d'intenter une action civile auprès des juridictions du pays afin d'obtenir une indemnité.

Le Médiateur a naturellement saisi le Ministre des Affaires Etrangères pour que soient facilitées les démarches de l'intéressée. Mais, d'après ce Ministre, et compte tenu des antécédents jurisprudentiels dans ce domaine, il y a peu de chances que la réclamante obtienne gain de cause dans une action intentée contre les autorités militaires du pays.

- Affaire n° IV-2128 :

Les trois occupants d'une voiture sont écrasés par la chute d'un bloc de rochers. Le drame fait quatre orphelins, deux veuves et un veuf.

La famille des victimes porte plainte contre X, dans l'espoir d'obtenir une réparation matérielle pour le préjudice subi. Mais, après plusieurs années de procédure, la Cour de Cassation confirme que l'accident est dû à la force majeure.

Ainsi, non seulement la famille n'obtient rien, mais encore doit acquitter tous les frais de procédure, qui se sont élevés à plus de 30 000 F dont 6 000 F déjà acquittés.

Il est évident qu'une telle situation, si elle est conforme au droit, blesse profondément l'équité.

On voit qu'aucune de ces deux affaires ne met en jeu la responsabilité d'un de nos services publics. Mais il est impossible de rester indifférent aux problèmes humains qu'elles posent : ainsi pourraient-elles entrer dans la compétence de l'instance suprême du système d'indemnisation proposé à la Section 2 (c - solution avancée par le Médiateur).

a) L'Administration a commis une faute, mais le préjudice est incertain :
- Affaire n° III-2619 :

Un propriétaire est en litige avec les services de l'Equipement à propos de l'installation d'une ligne électrique sur son terrain. Il fait valoir que l'entreprise chargée d'effectuer les travaux d'électrification a commencé ces travaux avant même que l'enquête de servitude ne lui ait été notifiée.

Une irrégularité, due à la négligence de l'administration, a donc été commise, puisque les travaux incriminés ont été effectués sans autorisation.

Mais l'Administration se refuse à verser spontanément une indemnité puisque de toute façon, selon elle, l'installation de la ligne électrique se serait déroulée dans les mêmes conditions si la procédure suivie avait été parfaitement régulière.

Il ne reste à l'intéressé que le recours aux Tribunaux.

b) L'Administration reconnaît sa responsabilité, mais les règles de la dépense publique l'empêchent de procéder à la réparation du préjudice :
- Affaire n° III-1610 :

Le réclamant se plaint de ne pouvoir obtenir des services de la préfecture la suppression d'une mention erronée figurant sur un permis de conduire délivré en 1957 et qui lui interdisait de conduire sans " verres correcteurs " les véhicules automobiles de la catégorie B.

Il a fait valoir que cette annotation ne peut concerner que la catégorie C, aucun contrôle de la vue n'étant exigé en 1957 pour la conduite des véhicules de la catégorie B.

Or, le Tribunal Correctionnel l'a condamné à une amende sur la base de cette mention erronée.

Le Médiateur, saisi de cette affaire, a obtenu du Préfet qu'il fasse rayer sur le permis de conduire de l'intéressé la mention " devra porter des verres correcteurs ". Toutefois, il s'est déclaré incompétent sur le plan financier : il ne peut ordonnancer le remboursement d'une amende pénale dont le titre de recouvrement a été émis par l'autorité de justice.

Pourtant, il s'agit d'une faute incontestable du service des permis de conduire, et il apparaît bien que c'est à l'autorité administrative de réparer les conséquences dommageables de son action.

- Affaire n° III-2161 :

Le réclamant se plaint d'avoir dû payer une amende de 120 F au motif que la plaque d'immatriculation de son véhicule avait des numéros autocollants.

Bien que ces numéros soient en vente dans de nombreux magasins et que l'usine qui les fabrique ait produit photocopie d'un important bon de commande passé par la Gendarmerie Nationale... le Préfet de Police compétent a estimé que leur usage devait être proscrit.

Il est pourtant difficile de nier le caractère licite des numéros autocollants.

Par ailleurs, le gendarme qui a verbalisé contre l'intéressé, en exécutant les directives erronées données par ses supérieurs hiérarchiques, a engagé son service. Or, le Préfet en cause s'est déclaré incompétent pour effectuer le remboursement de l'amende à la suite d'une faute de service reconnue.

Les mêmes réflexions que dans l'affaire précédente s'imposent.

c) L'Administration reconnaît avoir commis une faute, qu'elle tarde par trop à réparer.
- Affaire n° III-1183 :

Une personne âgée avait cédé à l'Etat une parcelle de terrain d'environ 800 m2. Cette cession était faite sous réserve de l'acquisition par l'Etat du reste de la propriété (3 400 m2 environ).

L'Administration avait accepté cette réserve tout en précisant qu'elle ne pourrait compléter son acquisition que dans la mesure où l'opération serait dotée des crédits correspondants.

Or, l'Etat n'a pas donné suite à son projet, sans pour autant verser une indemnité de remploi ou de dévalorisation de la parcelle restante.

L'intéressée engagea alors une action devant la juridiction civile, mais elle en fut déboutée, uniquement parce que cette action était mal orientée.

L'Administration a agi dans l'espèce à la limite de la bonne foi. L'intéressée - et aujourd'hui ses héritiers - ont subi un préjudice certain.

Seule l'action persévérante menée par le Médiateur dans cette affaire a permis de leur faire proposer par l'Administration le versement d'une indemnité.

d) L'Administration a manqué de diligence, et se refuse à réparer, fût-ce en équité, le préjudice qui en est résulté pour l'administré :
- Affaire n° II-2341 :

Une réclamante s'est vue refuser l'attribution d'une prime à la construction deux ans après la demande qu'elle en avait faite, au motif que les crédits nécessaires n'existaient plus : et en effet, ils avaient été supprimés par le législateur.

L'octroi d'une prime à la construction n'a jamais été un droit. Mais, en instruisant la demande de prime avec un tel retard que sa décision est intervenue après la suppression des crédits, l'Administration a, incontestablement, commis une négligence fautive, qui mériterait d'être sanctionnée par le versement d'une indemnité à l'intéressée.

Et si celle-ci engageait dans ce but une procédure contentieuse, ses chances d'y triompher seraient presque inexistantes.

Le préjudice qu'elle a subi demeure donc sans réparation.

e) L'Administration se refuse à réparer la faute commise par son agent :
- Affaire n° II-1551 :

Le réclamant s'est présenté aux épreuves du permis de navigation de plaisance (catégorie A).

Un certificat provisoire de réussite lui fut remis par l'examinateur délégué, auquel l'intéressé remit un chèque de 120 F en paiement des droits.

Or, depuis 1974, et en dépit de multiples démarches, l'intéressé n'a pu obtenir la délivrance d'un permis définitif en remplacement du certificat provisoire, aucune mention de son nom ne figurant sur les documents transmis par l'examinateur.

Une enquête a révélé que ce dernier faisait passer irrégulièrement des permis et conservait par devers lui les droits versés par les candidats.

Cette affaire - au demeurant peu claire - laisserait au moins supposer que l'agent public en cause a commis une faute personnelle détachable du service, et passible de sanction sur le plan pénal.

Or, l'Administration s'est dérobée à tout remboursement de la somme perçue du réclamant et retenue dans des conditions illégales.

f) L'Administration, bien que tenue de réparer le préjudice résultant, pour un administré, de l'inexécution d'une décision de justice, n'en oblige pas moins cet administré à se pourvoir régulièrement devant les tribunaux pour obtenir le versement par fractions des dommages intérêts qui lui sont dus :
- Affaire n° III-2224 :

Une propriétaire - âgée de 81 ans - avait obtenu en 1965 l'expulsion de ses locataires par ordonnance du Tribunal de Grande Instance.

Or, depuis cette date, l'Etat se refuse à exécuter la décision en question, pour des motifs d'ordre public, liés en particulier au grand âge et aux infirmités de certains des occupants.

Ces motifs ne sont pas critiquables. Ce qui l'est davantage, c'est que l'Administration ait obligé la propriétaire à se pourvoir, par trois fois déjà, devant le Tribunal Administratif pour obtenir le paiement des dommages intérêts qui lui sont dus.

Ce n'est qu'à la suite d'une intervention pressante du Médiateur que le Ministre de l'Intérieur a décidé de faire régler périodiquement l'indemnité due à la réclamante, moyennant une simple demande de sa part.

g) L'Administration se dérobe derrière l'avis de son contrôleur financier pour repousser une évidente responsabilité :
- Affaire n° III-939 :

Le réclamant avait été amené à demander à l'autorité judiciaire la consignation d'une certaine somme. Or, le séquestre désigné pour recevoir ces fonds par le Président du Tribunal de Grande Instance, et décédé depuis, a dilapidé cette somme, laissant un passif successoral non couvert par l'actif. L'intéressé n'a donc jamais pu jusqu'ici rentrer en possession des sommes consignées.

Les conditions dans lesquelles ce séquestre - alors greffier en retraite - avait été désigné apparaissent d'ailleurs contraires aux usages suivis en la matière.

Mais le Ministère de la Justice, reprenant les arguments de son contrôleur financier, refuse non seulement le remboursement de la somme consignée, mais encore toute réparation d'un préjudice pourtant incontestable, et qui est assurément le fait, sinon le résultat de la faute, du service public de la Justice. Il rappelle notamment pour sa défense que d'après la loi, l'Etat n'est tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux de ce service qu'en cas de faute lourde ou de déni de justice.

Même si ce n'est pas une faute lourde que de désigner un séquestre en dehors de tous usages, la loi qui institue le Médiateur rend réparables tous les préjudices résultant d'un mauvais fonctionnement du service public quel qu'il soit.

C'est pourquoi, pour faire admettre sa responsabilité par le Ministre de la Justice, le Médiateur lui a adressé une recommandation, en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973.

Il se peut toutefois que même si le Garde des Sceaux se conforme à cette recommandation, le contrôleur financier maintienne son refus : on examinera plus loin ce genre de problème.

On voit par ces exemples que, quels que soient les obstacles que peut rencontrer l'Administration dans la réparation de certains préjudices, cette réparation aurait été assurée à l'amiable, et dans de brefs délais, si un système d'indemnisation tel que le Médiateur le propose avait pu jouer son rôle dans chacune des espèces citées.

III - EXPLICATION DE CES ATTITUDES DE L'ADMINISTRATION

Si l'on se demande, d'une façon plus générale, ce qui peut entraver ainsi l'action de l'Administration lorsqu'il s'agit d'indemniser ou de réparer, quatre principaux facteurs viennent aussitôt à l'esprit :

a) Facteurs psychologiques :
Que nos fonctionnaires aient conscience d'être les premiers responsables de l'emploi des deniers de l'Etat, nul ne saurait le leur reprocher.

Mais lorsque cette conscience apparaît à ce point aiguë qu'elle aboutit, comme on l'a vu, au refus de verser des sommes dues à des particuliers, on est obligé de conclure à une " intégration " excessive du fonctionnaire pris en tant qu'individu à la collectivité qu'il sert : tout se passe, pourrait-on dire, comme si les sommes dues par une collectivité publique devaient sortir de la poche de celui qui la représente...

En outre, il y a cette tendance à la facilité, à l'inertie, qui trop souvent pousse notre administration à ne rien faire avant d'y être forcée : ainsi s'explique, comme dans certains des exemples rencontrés, qu'elle attend la " sécurité du jugement ".

b) Obstacles d'ordre technique.
Il est souvent difficile à l'Administration d'évaluer elle-même le montant du préjudice subi par l'administré, voire d'en déterminer la nature exacte, ou de faire un partage de responsabilité : sur ce dernier point, la complexité de la jurisprudence n'est évidemment pas faite pour l'aider.

c) Absence ou pénurie de moyens.
Il peut arriver aussi que l'Administration se heurte à une insuffisance de moyens. Dans ce cas, elle ne pourra dégager sur son budget les crédits - même dérisoires - nécessaires à l'indemnisation de ses " victimes ".

Cela semble particulièrement vrai pour les collectivités décentralisées, qui ne disposent pas de crédits évaluatifs : on s'expliquerait ainsi l'impuissance du Préfet à ordonnancer l'indemnisation du préjudice dans les affaires n° III-1610 et III-2161 commentées plus haut.

d) Inadéquation des procédures.
Mais le principal obstacle en ce domaine semble bien résider dans l'inadéquation des procédures (cf. de nouveau à ce sujet les affaires III-1610 et III-2161 que l'on vient de citer).

Sans pièces justificatives reconnues par lui valables, le comptable refuse de payer. Or, la pièce justificative la plus courante dans la procédure d'indemnisation par la collectivité publique est, jusqu'à présent, la décision juridictionnelle - qui, pour l'Administration, est doublement déterminante, puisque à la fois : elle établit la faute du service public et elle évalue le préjudice subi par l'administré.

Certes, en théorie, rien n'empêche l'Administration de prendre de son plein gré la décision d'indemniser : il suffit à l'ordonnateur concerné de le vouloir. A cet égard, une note récente du Ministre des Finances au Médiateur rappelle qu'" aucun principe n'interdit aux administrations de l'Etat de régler par un accord amiable les réparations civiles dont celui-ci peut être le débiteur. Il appartient à chaque ministre, dans le domaine de compétence de son département, de liquider les sommes dues par l'Etat ".

Mais, dans la pratique, les choses se passent bien différemment, comme on l'a vu ; et c'est ici le lieu de rappeler les facteurs psychologiques qui sont la cause principale de cette inertie des ordonnateurs.

IV - CONSEQUENCES DE L'ETAT DE CHOSES ACTUEL.

Dans ces conditions, chaque fois que l'Administration ne peut - ou ne veut - réparer ses errements fautifs, l'administré risquera d'être victime d'un véritable déni de justice ou d'équité, car il ne lui reste que la solution du recours juridictionnel, avec les inconvénients qui lui sont inhérents : lenteur et coût de la procédure, aléas de la jurisprudence, difficulté pour le juge de prendre en considération l'équité, etc.

Encore est-il des cas où l'éventualité de ce recours s'évanouit, soit que l'intéressé se trouve déjà forclos, soit que le préjudice subi - le préjudice chiffrable - apparaisse trop minime pour qu'une action judiciaire puisse être envisagée.

Quant au Médiateur, il est lui-même à peu près désarmé devant de telles situations. Certes, l'article 11 nouveau de la loi du 3 janvier 1973 lui permet d'enjoindre l'Administration d'exécuter les décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée, et l'on pourrait, par une interprétation extensive de ce texte, soutenir que puisque la faute du service public est établie - à plus forte raison si elle est admise par l'Administration - l'injonction pourrait porter sur la réparation de cette faute. Mais, dans l'état actuel des textes et la jurisprudence du Médiateur, une telle extension apparaît au moins prématurée.

V – CONCLUSION : AVANTAGES A ATTENDRE D'UN SYSTEME D'INDEMNISATION NOUVEAU.

De tout ce qui précède se dégage avec force la nécessité d'une procédure par laquelle pourraient être réparés les préjudices résultant de la " mésadministration " au sens large - c'est-à-dire depuis la faute caractéristique du service jusqu'aux agissements contraires à la simple équité.

L'intérêt de cette procédure serait, comme on l'a signalé, outre de donner aux interventions du Médiateur la sanction efficace qui trop souvent encore leur fait défaut, de remédier rapidement et complètement à des situations souvent scandaleuses, que les règles budgétaires traditionnelles, notamment, ne permettent pas de redresser.

D'autres effets bénéfiques seraient à attendre de la mise en oeuvre d'une telle procédure, comme d'éviter les lenteurs de la justice ; d'obtenir un gain de temps et d'efficacité pour tous par le raccourcissement des procédures ; de rendre plus aisé le dialogue entre l'Administration et les administrés, plus confiant le climat de leurs relations : en particulier, on est en droit d'espérer un heureux changement de mentalité de la part de services publics rendus libres de régler leurs " dépenses de mésadministration " hors des contraintes d'une réglementation tatillonne.

SECTION 2 : L'économie du système



I - CONDITIONS DE FONCTIONNEMENT ET D'EFFICACITE

Pour que la procédure envisagée puisse fonctionner de façon efficace, trois conditions doivent être préalablement remplies.

1. L'accord de l'Administration en cause.
Il faut, à l'évidence, que l'Administration en cause reconnaisse l'existence du préjudice subi par l'administré de son fait ou par sa faute : la procédure envisagée est, fondamentalement, une procédure amiable autrement le cas tomberait dans la compétence du Médiateur ou dans celle des tribunaux.

2. La nécessité d'offrir à l'administré une réparation suffisante.
Il faut - et c'est également évident - que le résultat de la mise en oeuvre du système ne se limite pas à la simple réparation du préjudice, mais que l'on puisse aboutir selon les cas, soit à une intégrale " remise en état ", soit à une remise en état accompagnée d'une indemnité, soit à une compensation pécuniaire seulement, quand la remise en état n'apparaît pas possible.

3. Un préalable essentiel : la modification de la procédure de la dépense publique.
Indépendamment du contrôle, l'engagement, la liquidation, l'ordonnancement et le paiement des dépenses publiques sont régis par des règles strictes, dont il n'est pas question de contester la nécessité : la preuve a été faite de leur valeur et de leur efficacité.

Mais si l'on veut que le système envisagé permette la réparation rapide et complète des préjudices subis par les administrés, il n'est pas possible de ne pas modifier, dans le domaine étudié, certaines de ces règles.

On a vu en effet, par les exemples donnés plus haut :

a) que l'Administration pouvait ne pas disposer - ou prétendre ne pas disposer - des crédits nécessaires à l'indemnisation du préjudice (affaire n° III-1183).
- De là, l'idée d'un fonds spécial d'indemnisation, auquel pourrait être affectée une ligne spéciale du budget de l'Administration considérée.

L'argument de " pauvreté " avancé par certaines administrations - particulièrement savoureux d'ailleurs lorsqu'il s'agit de payer des sommes insignifiantes - tomberait ipso facto.

b) que la procédure de dépense, dans son état actuel, pouvait interdire le paiement des sommes dues par l'Administration, notamment quand le comptable ou le contrôleur financier s'opposaient à ce paiement (affaires n° III-1610, III-2161, III-939).
En particulier, dans l'affaire n° III-939, c'est sur le veto du contrôleur financier que l'Administration s'est appuyée pour refuser toute indemnisation.

L'attitude de ces fonctionnaires (comptables ou contrôleurs financiers) peut se fonder sur divers motifs : doute sur l'étendue du préjudice et par conséquent imprécision de la dépense ; crainte de voir l'indemnisé revenir à la charge, et provoquer une nouvelle dépense etc. On a même constaté, dans l'affaire citée ci-dessus, une attitude de refus assortie de considérations juridiques qu'il aurait semblé plus normal que l'Administration prenne elle-même à son compte.

La solution de ces problèmes techniques - et psychologiques - passe d'abord par la définition d'un ensemble de pièces justificatives conçues pour apaiser tout scrupule de la part du comptable et du contrôleur financier.

Actuellement, dans les situations étudiées, la seule pièce justificative susceptible d'autoriser, sans réticences, le paiement de l'indemnité est le jugement condamnant l'administration.

Le Médiateur propose - toujours dans le même domaine - que les pièces justificatives à fournir au comptable soient les suivantes :

l° - Un document attestant l'existence et l'étendue exacte du préjudice subi par l'administré. Pour présenter les garanties nécessaires d'impartialité, ce document serait établi sous l'autorité d'une personnalité indépendante (juge, expert...) et signé par elle.

2° - Un exemplaire de l'accord amiable passé entre l'Administration et l'administré (cf : ci-dessus, - a -).

3° - Une copie de l'acte de désistement en justice de l'administré - s'il a déjà engagé une instance, évidemment.

Mais si ces pièces, pourtant propres à dégager la responsabilité du comptable et à apaiser les craintes du contrôleur financier, sont quand même rejetées par l'un ou l'autre, alors il faut prévoir un degré d'appel.

On peut à cet égard songer à un appel hiérarchique, soit devant le Ministre des Finances, soit, à l'échelon local, devant le comptable supérieur. Mais il est à craindre que l'affaire ne soit examinée dans la même optique, et n'aboutisse au même refus.

Dans ces conditions, il semblerait préférable de confier l'appel de ces refus à un organisme collégial, fonctionnant selon les cas à l'échelon central ou local.

Cet organisme, de l'avis du Médiateur, ne pourrait être présidé que par une personnalité indépendante (Magistrat de la Cour des comptes au niveau central, magistrat de l'ordre judiciaire ou administratif au niveau local).

Il pourrait comprendre, outre des représentants des administrations concernées, d'autres fonctionnaires, ainsi que des personnes étrangères à l'administration.

Remarque : Le Médiateur sait bien que l'Administration a toujours le droit de passer outre au refus du payeur. Mais il sait aussi combien cet usage de l'autorité est délicat, et d'ailleurs peu fréquent. En outre, le Médiateur sortirait de son rôle d'arbitre impartial en le recommandant aux administrations.

Mais la procédure envisagée devrait permettre également de verser des " avances sur jugement ". Il arrive en effet que, sans qu'une décision judiciaire ne soit encore intervenue, l'Administration ait conscience de devoir perdre son procès. Dans cette hypothèse, rien ne s'oppose à ce qu'elle consente une avance sur la somme qu'elle devra verser à l'administré.

Les conditions de mise en oeuvre de la procédure spéciale dans cette hypothèse seraient, mutadis mutandis, analogues à celles qui ont été mentionnées ci-dessus : bien entendu, il n'y aurait pas désistement de l'administré, mais les pièces justificatives à fournir au comptable devraient comporter un exposé solide des problèmes juridiques soulevés par le cas pendant devant le Tribunal - avec la conclusion que l'échec de l'Administration est presque certain. Au besoin, l'administré pourrait être tenu de présenter une caution.

4. Condition de délai.
Aux trois conditions précédentes devrait s'ajouter une condition de délai : il ne faut pas, en effet, que la procédure étudiée fasse peser sur l'Administration une menace perpétuelle de remboursement.

La procédure en question devrait donc être soumise à la prescription quadriennale applicable aux créances ordinaires contre les personnes publiques. Cette prescription serait toutefois inopposable dans certains cas exceptionnels.

II - LES FORMES D'ORGANISATION POSSIBLES DU SYSTEME

Compte tenu des objectifs assignés dans ce qui précède au système d'indemnisation envisagé, il apparaît qu'un choix s'offre entre un système interne à l'administration et un système extérieur à celle-ci, avec, dans chacune de ces formules, l'option entre une procédure centralisée et une procédure décentralisée.

1. Un système interne à l'Administration
Dans ce système, l'Administration met elle-même en oeuvre la procédure d'indemnisation des préjudices de mésadministration. Elle prend pleine conscience de sa responsabilité, puisque c'est elle, directement, qui paiera pour réparer ses agissements fautifs : on peut donc espérer que s'amorcera ainsi une action auto-éducative.

Mais comme on l'annonçait, un nouveau choix se présente : la procédure sera-t-elle centralisée ou décentralisée ?

a) Une procédure centralisée
Il faut d'abord noter que dans cette hypothèse, les crédits nécessaires aux indemnisations seraient évidemment gérés au plus haut niveau.

Cela dit, les avantages de la formule étudiée seraient les suivants :

- l'indemnisation serait facilitée lorsque différentes administrations seraient à la fois concernées ;

- le regroupement des crédits permettrait la discrimination immédiate des différentes indemnités à verser, et, partant, d'identifier les services les plus dépensiers en ce domaine, c'est-à-dire, au fond, ceux qui fonctionnent le moins correctement ;

- les crédits disponibles étant groupés en un ensemble important, des interventions massives seraient possibles dans certaines situations.

Mais à ces avantages s'opposent deux principaux inconvénients :

- les services administratifs auteurs du préjudice se sentiraient moins " responsables ", parce que chaque réparation ne serait pas individualisée, mais noyée dans la masse d'un grand budget ;

- beaucoup de réparations porteraient, comme aujourd'hui, sur des sommes dérisoires : il serait peu efficace, à leur propos, de faire remonter l'affaire aux plus hauts niveaux de l'Administration, et de mettre en branle une organisation par hypothèse assez lourde.

En tout état de cause, l'institution d'une procédure centralisée apparaît indispensable pour régler les situations suivantes :

- responsabilité, dans une même affaire, de plusieurs collectivités publiques ;

- mise en cause de grands principes du droit ou de la jurisprudence (par exemple : principe de l'égalité devant les charges publiques, actes de gouvernement, fait du prince, etc).

b) Une procédure décentralisée
Dans cette formule, chaque service public doté d'un budget, quelle que soit son importance, disposerait des moyens de l'indemnisation et serait seul maître de les utiliser. Ainsi, tout établissement, toute collectivité responsable d'un préjudice le réparerait en utilisant les crédits figurant sur une ligne budgétaire spécialement prévue à cet effet.

Les avantages à en attendre seraient la souplesse et la rapidité de la procédure. De plus, chaque service serait amené à prendre conscience de sa responsabilité - début de cette action auto-éducative dont on a déjà parlé.

Mais la formule présenterait en contrepartie des inconvénients graves : problèmes de coordination lorsque plusieurs administrations seraient en cause ; différences de " poids " entre un organisme isolé et, par exemple, les services extérieurs ou locaux d'un département ministériel, appuyés sur leur hiérarchie verticale etc.

Par ailleurs, dans cette formule, la procédure ne pourrait porter que sur des sommes peu importantes, et des litiges faciles à résoudre.

2. Un système extérieur à l'Administration.
L'intérêt manifeste d'un tel système serait dans les garanties d'objectivité et d'indépendance qu'il offrirait vis-à-vis de l'Administration. En outre, il serait le seul à permettre le règlement rapide de certaines affaires complexes.

En revanche, transférer la responsabilité des services publics concernés sur un organisme étranger a de quoi faire hésiter : plus question évidemment, dans cette hypothèse, d'accroître le sentiment de responsabilité de notre Administration, ni de l'amener à s'éduquer.

Quoi qu'il en soit, là encore un choix se présente entre une formule centralisée et une formule décentralisée.

a) Formule centralisée
Il y aurait au niveau central un fonds unique, géré par un collège de hautes personnalités.

Ce fonds, alimenté par le budget de l'Etat, permettrait de traiter les affaires délicates, les affaires intéressant différents secteurs de l'Administration, celles aussi qui mettraient en cause les grands principes du droit ou de la pratique administrative.

Le Médiateur pourrait être le rapporteur devant cet organisme soit qu'il l'ait lui-même saisi, soit que le requérant se soit adressé directement à l'organisme en question. Ce faisant, il exercerait une influence tout à fait conforme à son rôle.

b) Formule décentralisée
Elle suppose évidemment l'existence au niveau local d'une " caisse " gérée par un collège indépendant de l'Administration.

Ce collège pourrait comprendre, par exemple, un élu local, un juge, un représentant des collectivités publiques concernées, un inspecteur du Travail, un représentant des Unions Familiales...

Mais les inconvénients sautent aux yeux :

- d'abord, à quel niveau placer ce collège ? Si c'est auprès de chaque grand service public, on aboutit à une multiplication fâcheuse de ces organismes ;

- d'autre part se pose la question de l'alimentation des différentes " caisses " ; de quel budget proviendraient leurs fonds ? On risque de devoir faire appel au concours, toujours délicat, des budgets des diverses catégories de collectivités publiques.

III - LA SOLUTION AVANCEE PAR LE MEDIATEUR

Comme on a pu le voir, les formules précédemment étudiées " échangent ", pour ainsi dire, leurs avantages et leurs inconvénients : ce sont ceux, complémentaires, de la centralisation et de la décentralisation ; ce sont également ceux d'une Administration laissée maîtresse de corriger ses agissements fautifs, ou au contraire dessaisie de sa responsabilité en ce domaine au profit d'organismes extérieurs à elle.

Cela ne pouvait que pousser le Médiateur à retenir une solution de synthèse, qui réunirait à ses yeux le maximum de ces avantages et le minimum de ces inconvénients.

La formule finalement choisie peut se résumer ainsi :

" Pour les litiges simples, responsabilité et indépendance de l'Administration. Pour les litiges plus complexes, centralisation et appel à des personnalités étrangères à l'Administration ".

Enonçons brièvement les éléments de cette solution mixte :

Chaque service public doté d'un budget disposerait des moyens de la procédure d'indemnisation : une ligne budgétaire spéciale sur ce budget lui donnerait les disponibilités nécessaires.

Au niveau central, serait créé un fonds unique alimenté par le budget de l'Etat, et géré par un collège de hautes personnalités, auprès duquel le Médiateur exercerait la fonction de rapporteur.

Ainsi, en application de ce système, le règlement des affaires citées à la Section 1 ci-avant se serait opéré de la manière suivante :

Auraient pu être traitées directement par l'Administration les affaires n° III-2619, III-1610, III-2161, III-1183, II-2341 et III-2224 ;

Auraient au contraire ressorti à la compétence de l'échelon central les affaires n° III-2619, II-1551, III-939, et, exceptionnellement, les cas n° III-683 et IV-2128 (voir ci-avant section 1 : les divers comportements de l'Administration responsable).

CONCLUSIONS


1° - Le système qui vient d'être esquissé n'aurait d'ailleurs rien de particulièrement original, car on en retrouve les éléments dans nombre d'" organismes d'indemnisation " déjà existants.

Ainsi la garantie de la responsabilité des notaires est assurée par des caisses régionales et une caisse centrale (décret du 20 mai 1955).

L'Agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer est administrée par un collège comprenant des personnalités étrangères à l'Administration (décret n° 70-982 du 27 octobre 1970).

De même, le système de garantie contre les calamités agricoles repose sur deux organismes : un fonds géré par la Société nationale de réassurance, et une commission nationale où siègent plusieurs membres non fonctionnaires.

De même encore, le fonds de garantie automobile, créé par la loi du 31 décembre 1951, est administré par un Conseil comprenant une forte proportion d'assureurs et de membres de professions touchant de près l'automobile.

Par ailleurs enfin, les indemnités dues en raison de préjudices résultant d'infractions (loi 77-5 du 3 janvier 1977) sont accordées par des commissions régionales et payées comme frais de justice criminelle - donc sur le budget de l'Etat.

2° - Pas plus qu'il n'est original, le système en question n'apparaît le seul possible. Si le Médiateur l'a jugé le meilleur, c'est pour des raisons auxquelles on aura, peut-être, reconnu quelque valeur : il ne l'a cependant exposé qu'à titre de suggestion, et il va de soi que l'économie du système qui serait finalement retenu pourrait être différente.

3° - Mais il faut que les pouvoirs publics se persuadent qu'un tel système s'impose, et qu'il est à la fois nécessaire, urgent, et possible d'organiser la réparation de tous les préjudices résultant de la mésadministration.

A défaut, le Médiateur conserverait le sentiment que les conditions dans lesquelles il exerce sa mission ne lui permettent pas de répondre dans tous les cas à ce que l'administré est en droit d'attendre de lui.

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