Année 1975


RAPPORT DE SYNTHESE




I - LES RESULTATS ACQUIS


A. LE REDRESSEMENT DE SITUATIONS INDIVIDUELLES


1. L'action quotidienne du Médiateur


Les situations individuelles qui ne font apparaître ni une cause durable dans le mauvais fonctionnement d'un service, ni une défectuosité de la règle appliquée dans l'espèce par l'Administration, sont à l'évidence les plus nombreuses et constituent pour ainsi dire le " pain quotidien " de l'institution. Leur redressement, quand il n'a pas requis l'usage du pouvoir de recommandation et de proposition défini à l'art. 9 de la loi du 3 janvier 1973, forme à son tour le principal - du moins en volume - des succès obtenus par le Médiateur.

Suivant leur résultat ou leur objet, les interventions du Médiateur en ce vaste domaine se répartissent en quatre catégories.

Elles peuvent avoir abouti :

- au déblocage d'un dossier en souffrance ;

- au redressement d'une erreur de l'Administration ;

- à un assouplissement de son attitude.

Plus rarement, elles peuvent avoir eu pour objet le contrôle de la régularité de certains actes administratifs ou l'interprétation du droit applicable en certaines matières.

Ces quatre catégories d'actions donnent lieu à un commentaire détaillé, que l'on trouvera plus avant (cf. Annexe A). Mais, dès maintenant, les points suivants méritent d'être soulignés :
La lenteur administrative n'en apparaît pas moins comme un phénomène général : les délais excessifs que l'on constate dans l'exécution et le paiement de travaux à la charge de collectivités publiques et les réponses tardives de l'Administration fiscale aux recours gracieux qui lui sont soumis en offrent deux exemples notables.

Le retard à répondre est d'autant plus choquant que, dans de nombreux cas, l'instruction de l'affaire par le Médiateur a fait apparaître que la demande de l'intéressé était fondée, et qu'elle aurait donc pu être satisfaite sans délai.
Mais il faut dire que souvent l'intervention du Médiateur a permis d'obtenir l'assouplissement souhaité. On notera à ce propos que les reproches d'inflexibilité si souvent adressés aux services fiscaux apparaissent très généralement mal fondés.
2. Les recommandations du Médiateur


Depuis la fin de 1974 et jusqu'au 31 décembre 1975 le Médiateur a émis, en exécution de l'article 9 de la loi du 3 janvier 1973, dix-sept recommandations tendant au redressement d'une situation individuelle (A noter que deux d'entre elles s'accompagnaient d'une " proposition tendant à donner une portée réglementaire à la mesure proposée en faveur du réclamant ").

Sur ce total :

- six ont recueilli l'accord de l'Administration concernée et, comme par le passé (Cf. Rapport de 1973 ; Rapport de 1974), sans qu'il soit besoin pour le Médiateur de les rendre publiques en suivant la procédure prévue au second alinéa de l'article 9 précité ;

- dix n'ont pas encore fait l'objet d'une réponse de l'Administration ou bien font l'objet de divergences avec celle-ci ;

- une a été abandonnée par le Médiateur qui s'est finalement rangé aux arguments développés par l'Administration.

Les recommandations auxquelles l'Administration a fait droit ont abouti aux résultats suivants. Le Médiateur a obtenu :
L'ensemble des recommandations du Médiateur émises pendant la période ci-dessus visée, qu'elles aient été ou non déjà suivies d'effet, est analysé en détail plus avant (cf. Annexe A).


B. LES AMELIORATIONS APPORTEES AU FONCTIONNEMENT DES SERVICES


1. Le concours de l'Administration (Cf. infra, Annexe A)


Le mauvais fonctionnement de certains services - notamment des organismes de sécurité sociale - peut naturellement être imputé au fait qu'ils sont surchargés de travail. Mais cette explication masque trop souvent un défaut d'organisation auquel il serait pourtant facile dans bien des cas de remédier, n'étaient la passivité et le manque d'initiative des personnels responsables.
Le Médiateur a également obtenu :
L'habitude administrative (et judiciaire) de convoquer tout le monde à la fois pour une séance qui peut durer jusqu'à une heure tardive a donc été au moins une fois abandonnée.


2. Les propositions du Médiateur


En exécution de l'article 9 précité de la loi du 3 janvier 1973, le Médiateur a émis, en 1975, trois propositions tendant à l'amélioration du fonctionnement d'un service et qui ont toutes reçu un accueil favorable des services concernés.

Deux de ces propositions concernaient le secrétariat d'Etat aux Postes et Télécommunications :
Ces trois propositions sont analysées en détail ci-après. (Cf. Annexe A).


C. LES MODIFICATIONS LEGISLATIVES ET REGLEMENTAIRES INTERVENUES DANS LE CADRE DES PROPOSITIONS DE REFORME


Les précédents Rapports ont montré comment, par la force des choses, le Médiateur avait été conduit, au-delà du cas individuel, à s'intéresser à la règle, législative ou de nature réglementaire, sur laquelle l'action de l'Administration s'appuie, et le cas échéant, à suggérer aux pouvoirs compétents la modification de cette règle.

L'activité du Médiateur en la matière se situe dans un contexte et présente une spécificité sur lesquels le Rapport de 1974 a particulièrement insisté. On se contentera ici de rappeler que les " réformes " qu'il suggère ont pour caractéristique d'être toutes fondées, non sur des considérations aprioristes, mais sur des situations concrètes vécues par les administrés, ce qui confère au Médiateur une place privilégiée par rapport à tous ceux qui concourent, en France, à l'entreprise de " réforme administrative " au sens large de cette expression.

On ajoutera que sa tâche ne consiste évidemment pas à se substituer au législateur ni au Gouvernement mais à leur signaler ici un vide juridique, là une anomalie ou une incohérence, ailleurs un manquement à l'esprit d'une législation.

Dans cette tâche, trois soucis essentiels l'animent.

Faire ce qui est en son pouvoir pour que le corps des lois et règlements assure de façon efficace la protection de l'administré, notamment en ce qui concerne l'information qui lui est due.

Contribuer à introduire dans cet ensemble de règles davantage encore de justice sociale, voire de justice tout court.

Aider enfin à rapprocher le droit du fait, en proposant la réforme de dispositions dépassées.

Depuis son entrée en fonctions, le Médiateur a émis 90 propositions de réforme. Sur ce total :

- 22 ont été satisfaites - c'est-à-dire (cf. infra) que les suggestions qu'elles contenaient ont été sanctionnées par une modification de la législation ou de la réglementation ;

- 7 doivent être considérées comme partiellement satisfaites ;

- 15 ont été différées ;

- 46 sont encore en cours d'examen.

Les propositions en cours sont analysées ci-après (cf. Annexe A).

On se bornera ici à énumérer, en rappelant brièvement leur objet, les propositions satisfaites et les propositions partiellement satisfaites (Les propositions de ces deux catégories dont il n'est pas fait mention aux Rapports de 1973 et de 1974 sont également analysées à l'Annexe A).

Les premières seront classées d'après la nature de l'acte (loi, arrêté, instruction, décret ou circulaire) qui a apporté la modification souhaitée.


Propositions satisfaites


1. Modifications apportées par une loi


- Affaires sociales :
- Economie et Finances :

- Equipement :

- Justice :

- Information :


2. Modifications apportées par un décret


- Affaires sociales :
- Justice :


3. Modifications apportées par un arrêt


- Economie et Finances :

4. Modifications apportées par une instruction ou une circulaire


- Affaires sociales :
- Economie et Finances :

- Anciens combattants et victimes de guerre :


Propositions partiellement satisfaites



- Affaires sociales :
- Economie et Finances :

- Equipement :
A la vérité, la presque totalité des propositions dont il vient d'être question se sont rencontrées avec des initiatives déjà prises par l'Administration elle-même et qui souvent avaient déjà reçu la sanction d'une disposition récente. Il était à cet égard d'autant moins probable que le Médiateur put se trouver seul à l'origine d'une " réforme " que la plupart de ses propositions intéressent, comme il est naturel, des matières dont notamment la matière sociale, qui sont actuellement le terrain d'un vaste mouvement législatif et réglementaire.

Mais il n'en retire pas pour autant le sentiment que ses interventions aient été inutiles :

D'abord parce que c'est à son initiative propre que l'on doit rapporter certaines mesures - comme l'émission d'une circulaire ou d'une instruction, la simplification d'une procédure (Cf. supra et infra, Annexe A)... - de faible ampleur assurément, mais qui ont permis de compléter le dispositif d'application de la mesure principale.

Ensuite - et c'est le cas des propositions dites partiellement satisfaites - parce que même mis en présence d'une disposition législative ou réglementaire allant dans le sens qu'il avait souhaité, il conserve le droit de juger cette disposition encore insuffisante, eu égard notamment aux desiderata que les administrés lui ont exprimés, et ne manquera pas alors de poursuivre son intervention auprès de l'Administration concernée. On a vu aussi que certaines de ces propositions, même rejetées par l'Administration, n'étaient que provisoirement abandonnées.

En définitive, même si le Médiateur n'est pas le seul à entreprendre des réformes, au moins y contribue-t-il par des avis toujours fortement motivés auxquels les pouvoirs publics peuvent ne pas se ranger, mais qu'il leur est difficile d'ignorer.

C'est d'ailleurs dans le but de renforcer l'audience de ses propositions qu'il les transmet depuis peu aux commissions compétentes des Assemblées parlementaires.


D. LES PROGRES REALISES EN MATIERE D'INFORMATION DU PUBLIC


Le problème de l'information du public (Cf. Rapport de 1973), dont le Médiateur a déjà déclaré qu'il était fondamental - le plus important, peut-être, de tous ceux dont il a à connaître - apparaît évidemment loin d'être complètement résolu.

Mais les actions que le Médiateur a menées et continue de mener en ce domaine, jointes aux initiatives de plus en plus nombreuses et concrètes dont il a par ailleurs connaissance, sont autant de jalons sur la voie d'une solution qui n'apparaît plus, aujourd'hui, aussi hors de portée que lors de la création de l'institution.

C'est pourquoi, au terme d'une étude qu'on trouvera développée, (cf. infra, Annexe A, p. 86), et qui s'appuie notamment sur les conclusions de la " Commission de coordination de la documentation administrative ", constituée auprès du Premier Ministre, il propose qu'une loi vienne, le plus tôt possible, poser en principe général le droit de tout administré à l'information avec les conséquences qui en découlent quant au régime de communication des documents administratifs, à la motivation des décisions administratives et à la nécessité de former nos fonctionnaires au " devoir d'information ".

Dès maintenant, obligation pourrait être faite à l'ensemble des Administrations, par la voie réglementaire, d'avoir à prendre, chacune en ce qui la concerne, les mesures propres à satisfaire à ces trois exigences.

S'il n'y a là qu'une proposition - encore que très pressante - du moins peut-on espérer qu'un résultat est en vue.


II - LES PROBLEMES NON ENCORE RESOLUS


La section II de l'annexe A se présente sous la forme d'une série de monographies consacrées chacune à un problème - parfois très important - qu'un nombre suffisant de réclamations convergentes ont posé au Médiateur, mais dont l'étude n'a pas encore débouché sur des propositions concrètes faites au ministère compétent. Au moins tous ces problèmes sont-ils appréhendés, et souvent de façon assez solide et complète pour que la solution qu'ils pourraient recevoir se dessine avec une suffisante précision.

On trouvera dans les pages suivantes un résumé des études auxquelles ils ont donné lieu.


A. LA MISE EN CAUSE DE PRINCIPES


Dans sa critique de la règle législative ou réglementaire, le Médiateur a pu aller jusqu'à la remise en question de plusieurs des principes qui dominent notre droit positif, et cela depuis les plus généraux (la non-rétroactivité de la règle de droit, les principes régissant le régime des forclusions, ou la situation de l'Etat débiteur), jusqu'à ceux dont l'application est limitée à un secteur particulier de la législation (annualité de l'impôt, intangibilité des pensions de sécurité sociale une fois liquidées, principe présidant à l'harmonisation des différents régimes de sécurité sociale).

Cette remise en question, bien entendu, ne saurait être que partielle : on se doute qu'elle vise davantage l'application du principe que le principe lui-même. Mais certaines des critiques formulées par le Médiateur paraîtront peut-être suffisamment nourries pour que les pouvoirs compétents se persuadent que la " majesté " d'un principe ne doit pas arrêter la réflexion ni condamner d'avance toute mesure de progrès.


1. Principes de portée générale(Cf. infra, Annexe A)


Le Médiateur a demandé au Conseil d'Etat sur le sujet une étude qui n'est pas encore achevée. Mais, dès maintenant, il croit pouvoir avancer que cette application systématique est dépourvue de tout fondement juridique ; il propose qu'elle laisse place à une conception beaucoup plus souple qui permettrait aux pouvoirs publics d'adopter des solutions moins dogmatiques, mieux adaptées à la réalité des situations, et en un mot plus humaines.

Ainsi le progrès de notre législation, notamment en matière sociale, pourrait-il se faire avec plus d'équité, de justice, et même de cohérence.
Le Médiateur estime donc souhaitable de développer au maximum l'information des titulaires de droits soumis à péremption et d'uniformiser dans la plus large mesure possible les délais de cette péremption. C'est dans cette double perspective qu'il a demandé au Conseil d'Etat d'étudier la question.
Observant qu'une jurisprudence récente du Conseil d'Etat relative à la matière fiscale (arrêt du 30 octobre 1975) a commencé de battre en brèche le principe selon lequel l'Etat ne peut être déclaré débiteur d'intérêts moratoires que lorsqu'il y a eu un jugement, le Médiateur estime que les exceptions à ce principe pourraient s'étendre à bien d'autres domaines (ventes effectuées dans le cadre d'une opération d'utilité publique, ou même simples ventes amiables, mesures de désintéressement gracieux, par exemple).

Il conclut que maintenir intacte la situation actuelle ne pourrait que confirmer les administrés dans le sentiment que certaines prérogatives de la puissance publique ne se justifient pas et que l'équité n'est pas ce qui caractérise leurs rapports avec celle-ci.


2. Principes régissant un secteur particulier de la législation (Cf. infra, Annexe A)


Le Médiateur propose, soit l'étalement de ce " revenu exceptionnel ", soit le rattachement de l'indemnité aux revenus de l'exercice suivant l'année du licenciement.
Il y a une intangibilité " absolue " qui fait que dès l'instant qu'un assuré a reçu notification de la liquidation de ses droits à l'assurance-vieillesse, cette liquidation - pourvu qu'elle ait été effectuée sur sa demande expresse - ne peut plus être remise en cause, notamment pour tenir compte de versements postérieurs à la date d'arrêt du compte. Cela veut dire en clair qu'un travailleur ne peut revenir sur sa décision de retraite, sous peine de reprendre une activité sans profit pour ses vieux jours.

Il existe aussi une intangibilité " relative " qui s'applique aux personnes ayant cotisé aux assurances sociales entre le 1er juillet 1930 et le 31 décembre 1945, mais que des circonstances diverses empêchent d'apporter la preuve, qui leur incombe, du versement de leurs cotisations.

La conclusion de l'étude est que, sans vouloir proposer l'abandon du principe en question encore que, tant du point de vue de la logique que de celui du droit, il ne paraisse nullement irréprochable - force est de constater que les mesures administratives ou réglementaires, récemment prises pour atténuer la rigueur de ses effets (" précalcul " de la retraite à 59 ans ; décret du 24 février 1975 permettant aux employeurs d'effectuer la régularisation de cotisations arriérées), paraissent bien tardives ou bien timides.
C'est ainsi qu'une série de mesures récentes, prises en faveur des ressortissants du régime général ou de régimes assimilés à celui-ci pour la circonstance, n'ont pas bénéficié aux ressortissants de certains régimes spéciaux (agents des secteurs public et parapublic, principalement). Il continue donc de se créer des déséquilibres directement contraires à la notion même d'harmonisation.

Pour le Médiateur, cette harmonisation vient bien tard - alors que dès la création en 1945 de la sécurité sociale, la fusion de tous les régimes avait été posée en principe - et ne saurait en tout cas aboutir à une égalité effective des citoyens devant les risques sociaux avant de longues années.

Le moment lui semble donc venu de repenser totalement notre système de sécurité sociale ; il propose dans ce sens une réforme d'une grande ampleur, centrée sur la création d'un régime unique de base, assurant à tous les Français des prestations minimales identiques, financé dans des conditions nouvelles, mais n'excluant pas le maintien ni le développement de régimes complémentaires.

A tout le moins, les dispositions libérales récemment prises, et notamment celles de la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975, devraient être étendues à l'ensemble des régimes.


B. L'AMENAGEMENT DE CERTAINES PROCEDURES (Cf. infra, Annexe A)


Il s'agit ici de problèmes d'un niveau théorique moins élevé mais qui n'en ont pas moins une grande importance. Ce sont ceux que soulèvent les conditions de déroulement ou le caractère même de certaines procédures : procédures subies en matière de cadastre ; procédures du remembrement ; aspects particuliers du problème posé par les procédures d'enquêtes publiques ; procédure de transmission au Parquet des procès-verbaux dressés par les fonctionnaires chargés de l'Inspection du Travail ; caractère non contradictoire de certaines mesures d'" instruction administrative " ; procédures juridictionnelles, en général, et leur lenteur.

Là encore on pourra rencontrer des critiques et des conclusions assez précises pour que des solutions s'en dégagent.
Mais ce qui rend le problème délicat, c'est que cette complexité et cette lenteur ont le plus souvent pour origine le souci de protéger les droits des propriétaires concernés, il semble donc difficile de les réduire, sans du même coup porter préjudice aux intéressés.

C'est pourquoi le Médiateur estime que demander aux Préfets de surveiller davantage l'activité des commissions en cause serait déjà de nature à hâter le déroulement des procédures tout en maintenant aux intéressés la légitime garantie de leurs droits.

Toutefois le Médiateur suggère qu'une procédure d'urgence soit instituée afin d'éviter que la décision de la commission départementale puisse être remise en cause trop tardivement pour qu'il soit possible d'en tenir compte sans provoquer une redistribution des terres pratiquement irréalisable.
L'étude figurant ci-après (cf. Annexe A, p. 119), attire l'attention sur deux aspects particuliers de ce problème : l'époque de l'enquête, trop souvent fixée dans une période de vacances, ou englobant de nombreux jours de vacances ; l'absence trop souvent constatée, du commissaire enquêteur au bureau où se déroule l'enquête.

Le Médiateur considère que de telles pratiques dénaturent en fait la procédure elle-même et inspirent aux intéressés la conviction que, de toutes façons l'Administration n'en fera qu'à sa guise : il y voit un obstacle d'importance aux progrès de l'esprit de concertation.
Il lui est apparu que les " supérieurs " de ces fonctionnaires (les directeurs départementaux ou régionaux) ne pouvaient en aucun cas s'opposer à cette transmission : ils ont simplement la possibilité de joindre leurs appréciations personnelles à un procès-verbal sur lequel ils seraient en désaccord au fond.

Ces conclusions ont été transmises au Premier Ministre.
Il lui faut donc accéder au stade contentieux - ce qui n'est pas souhaitable - pour obtenir les garanties d'une instruction vraiment contradictoire.

Cet état de choses choque le Médiateur qui souhaite vivement que ce qu'on peut appeler les " mesures d'instruction administrative " puissent se dérouler suivant une procédure plus équitable.
Après avoir analysé les diverses causes de ces lenteurs, le Médiateur ne peut que pousser à son tour un cri d'alarme devant les déplorables conditions de fonctionnement de certaines de nos juridictions, en particulier administratives, qui subissent une pénurie d'effectifs chronique.
Il demande par ailleurs que le problème des mesures d'instruction et des délais qu'elles requièrent fasse l'objet d'une étude approfondie : on ne peut en effet qu'être frappé de la place que tiennent, parmi les causes du retard à juger, le manque de diligence et dans certains cas, les erreurs des experts commis.


C. LA VALEUR JURIDIQUE DE CERTAINS DOCUMENTS ADMINISTRATIFS (Cf. infra, Annexe A)


On retrouve ici, une nouvelle fois, le Médiateur dans son rôle d'interprète du droit (cf. supra, p. 13).
La loi n° 71-581 du 16 juillet 1971 et le décret n° 72-613 du 3 janvier 1972 (art. L 410 et suivants du Code de l'urbanisme) ont voulu faire de ce document un acte administratif véritable. Mais les garanties qu'il comporte pour le constructeur se révèlent souvent illusoires : n'étant pas soumis à une publicité obligatoire, l'Administration peut le retirer sans condition de délai lorsqu'il est illégal, et les tiers le contester à tout moment ; de plus, les dispositions concernant les limitations administratives au droit de propriété, invoquées lors de la délivrance du certificat, peuvent être remises en cause également à tout moment.

Le Médiateur en conclut à la nature ambiguë du certificat d'urbanisme : plus qu'une notice de renseignements, mais moins qu'un acte administratif au sens plein tel que le permis de construire.

Et si l'on en faisait un acte véritablement créateur de droits, la question se poserait alors de savoir s'il conserverait une utilité pratique vis-à-vis de ce dernier.

En définitive, le Médiateur doute que la multiplicité des documents concernant le droit de construire soit de nature à accroître la sécurité juridique recherchée à la fois par les constructeurs et par les tiers.


III - VUES GENERALES SUR LE COMPORTEMENT DE L'ADMINISTRATION ET DES ADMINISTRES


Comme au cours des années précédentes, le Médiateur a été mis en présence, dans un nombre appréciable de cas, des défauts les plus classiques de l'Administration et des traits que l'on peut appeler génériques de son comportement.

Les précédents Rapports ont énuméré ces traits ou ces défauts : le mauvais accueil fait au public, l'insuffisance de l'information des administrés, la lenteur, le silence, l'excès de formalisme et le " légalisme ", la passivité, le manque d'initiative, l'irrégularité enfin, pouvant aller de la simple erreur à la faute caractérisée.

La liste est demeurée la même en 1975, et le contenu de ses rubriques substantiel : l'étonnant serait qu'il en fût autrement, la correction d'attitudes si invétérées étant à l'évidence une entreprise de longue haleine.

Mais on a vu, et l'on verra aux annexes de façon plus détaillée, que le Médiateur n'était resté inactif devant aucun des problèmes que pose l'information des administrés, les lenteurs imputables à l'Administration, aux juridictions, au Gouvernement même, le formalisme, la passivité, l'irrégularité sous toutes ses formes et même qu'il avait, en ces divers domaines, remporté des succès d'ampleur variable. On peut dire en somme que le Médiateur a maintenant sous les yeux le répertoire à peu près complet des défauts de notre Administration et que la connaissance de plus en plus nette qu'il en a acquise lui permet de les mieux combattre, en tout cas de les déceler à coup sûr.

L'Administration toutefois n'a pas que des défauts : c'est au contraire son esprit de libéralité, sa bienveillance, qui ont permis, comme on l'a vu ou le verra, de régler favorablement un nombre appréciable de litiges, quelquefois même en allant au-delà de ce que le réclamant demandait. Il est arrivé que le réclamant obtienne une autre satisfaction que celle qu'il avait en vue et même que l'Administration soit bien mal récompensée de ses efforts (réclamant refusant finalement l'emploi qui lui avait été trouvé avec beaucoup de difficultés ... ).

En outre, elle n'est pas seule à en avoir ; dans bien des cas, c'est le comportement de l'administré lui-même qui est à critiquer et le conflit qu'il soumet au Médiateur apparaît à l'analyse relever de sa propre responsabilité.

Ainsi, même en matière d'information, s'il est constant que l'Administration a tendance à retenir par-devers elle des renseignements ou des documents qu'elle aurait le devoir de diffuser, il faut bien constater que les administrés manifestent en ce domaine une passivité certaine, notamment lorsqu'une négligence, impossible à excuser, les a conduits à se laisser forclore.

Chose plus grave, la notion même de service public semble étrangère à certains réclamants. Ils ne comprennent pas que l'accomplissement d'une " mission de service public " puisse parfois aller à l'encontre de tel ou tel intérêt particulier (méconnaissance par un réclamant des objectifs économiques et sociaux du service publie de l'Emploi, par exemple).

On constate enfin chez l'administré une tendance nette à se décharger sur la collectivité de responsabilités qui devraient lui demeurer personnelles.

Aussi, tout en s'efforçant - ce qui est et demeure l'essentiel de sa mission - d'amener l'Administration à se corriger de ses défauts, le Médiateur n'oublie pas que les administrés ne sont pas toujours sans reproche, qu'ils ont des droits, mais qu'ils peuvent méconnaître des devoirs, bref, qu'il leur doit une protection vigilante, soutenue, passionnée parfois - jamais aveugle.


IV - CONCLUSIONS


A mesure que les années passent, l'action du Médiateur s'élargit et s'approfondit à la fois.

L'augmentation du volume des affaires ne laisse pas de poser quelques problèmes d'effectifs et de structure, dont il a été fait mention dans l'introduction. Mais l'extension de l'audience du Médiateur a aussi cette conséquence que les administrés ont de plus en plus tendance à s'adresser à lui sans avoir accompli, auprès de l'Administration avec laquelle ils se disent en litige, les " démarches nécessaires " prévues à l'article 7 de la loi du 3 janvier 1973.

Il en résulte un nombre excessif de réclamations en état " d'irrecevabilité provisoire ", et de plus souvent inutiles puisque, lorsque l'intéressé aura accompli les démarches nécessaires ou bien l'Administration concernée lui donnera satisfaction, ou bien il sera obligé de renouveler son appel au Médiateur.

L'accomplissement de démarches préalables est une condition de bon sens mise par le législateur à la saisine du Médiateur : il est indispensable qu'elle soit mieux respectée.

En s'approfondissant, l'action du Médiateur atteint aux vrais obstacles.

Il a été constaté que le plus souvent les injustices dont se plaignent les réclamants proviennent d'une mauvaise conception et surtout d'une inadaptation des textes, législatifs ou réglementaires, qui leur sont appliqués. A une époque d'évolution accélérée, les textes vieillissent si vite que l'idée vient immédiatement à l'esprit d'un " appareil " qui permettrait, dans le cadre des institutions actuelles, leur adaptation continue...

Devant de tels cas de distorsion entre le droit et le réel, l'Administration peut, on l'a dit plus haut, faire preuve de libéralisme. Mais il arrive aussi, et malheureusement trop souvent, qu'elle s'en tienne au texte tel qu'il est - c'est-à-dire à quelque chose qui peut déjà s'être fort éloigné de la vie - manifestant alors un formalisme, un rigorisme, un légalisme que le présent Rapport se doit de dénoncer comme ses devanciers.

Le Médiateur est amené dans ces conditions à lancer un pressant appel à notre Administration : il lui demande, même dans les cas où sa position juridique est inattaquable, où elle a sans conteste " raison ", mais où la règle qu'elle applique peut paraître mal adaptée, d'examiner l'affaire dans un très large esprit de conciliation.

Cette générosité pourrait n'être que provisoire et ne ferait pour ainsi dire qu'anticiper l'" avenir de la règle " si les réformes que le Médiateur propose voyaient le jour plus rapidement.

Il faut insister de nouveau sur le caractère réaliste de ses propositions de réforme, toutes issues de situations concrètes, toutes appuyées sur un grand nombre de réclamations convergentes : on en déduira qu'il y aurait le plus grand intérêt à les faire examiner rapidement, suivant une sorte de " procédure d'urgence ".

Le Médiateur estime que si, à partir d'une réclamation, se révèle une injustice qui est le fruit d'un texte défectueux, alors, la première et la plus naturelle des choses à faire est de modifier ce texte sans tarder.

Le Médiateur est au point de départ de ce " circuit de retour " - d'une espèce inconnue jusqu'à 1973 dans notre organisation institutionnelle - retour du fait sur le droit, de l'effet de la règle sur la règle elle-même.

Encore conviendrait-il que les " messages " qu'il lance reçoivent au plus tôt leur traduction concrète.



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