Année 1974


CHAPITRE PREMIER


CONSIDERATIONS GENERALES - FONCTIONNEMENT DE L'INSTITUTION





I. Considérations générales.

On pouvait craindre, avant même le vote de la loi du 3 janvier 1973, que l'adaptation à notre pays, aussi étudiée qu'elle pût être, de l'institution étrangère de l'ombudsman, rencontrât des obstacles propres à limiter le champ d'action du Médiateur et à diminuer l'efficacité de cette action.

En effet, le modèle - l'ombudsman nordique ou ses imitations anglo-saxonnes - était né et avait prospéré au sein de nations où les rapports entre l'Etat et le citoyen apparaissaient bien différents de ce qu'ils sont en France.

Ces nations ne connaissaient pas ce privilège de transcendance de l'Etat qui domine depuis des siècles l'ordre administratif français, et si leur propre appareil administratif, comme partout dans le monde, s'était étendu au point de sembler parfois insupportablement contraignant, le principe contraire de prééminence de la personne privée ne pouvait que favoriser la création dune institution chargée précisément de la défense de cette personne contre les " débordements " de l'Etat.

Rien de tel chez nous où l'institution nouvelle avait à se greffer sur un tissu institutionnel fondamentalement différent et à contrôler une Administration appuyée sur des règles auxquelles on reproche souvent leur complexité, sans se douter apparemment que d'un droit " personnalisé " à l'extrême ne peuvent naître que des règles d'une méticuleuse rigueur.

Comme le notait l'avocat général Lindon, " il ne faut pas se dissimuler que les complications, les exceptions aux principes, les contre-exceptions, et les exceptions à ces contre-exceptions, la variété infinie des situations qui tiennent compte de tant d'éléments de durée, de services, d'âge, de nombre d'enfants, de diversité de ressources, correspondent au voeu de la masse des citoyens qui, dans l'exercice du moindre de leurs droits, exigent la plus méticuleuse justice, en oubliant qu'elle entraîne nécessairement dans l'énoncé des règles, la plus raffinée complication ".

Une telle complexité dans les règles nécessite, pour sa mise en oeuvre, une Administration omniprésente et structurée, dont découle la création de corps de contrôle internes destinés à s'assurer que la règle a été correctement appliquée et celle d'une justice administrative efficace, ce qui empêche les abus les plus graves de voir le jour ou de persister.

Si l'on ajoute à cela l'importance que revêtent en France les interventions tant des Parlementaires que des élus locaux, parfaitement à même, de par leur connaissance des problèmes et des hommes, de régler maints litiges entre les particuliers et les Administrations, on comprendra que la place laissée à l'intervention du Médiateur soit nettement plus réduite que dans d'autres Etats. Sans supprimer - tant s'en faut - le domaine de la maladministration en France, les structures administratives et la mentalité française laissent à l'arbitraire peu d'occasions de s'épanouir. C'est peut-être là qu'il faut voir - en dehors des termes de la loi qui limite sa compétence - une des raisons pour lesquelles le Médiateur, pour la deuxième année consécutive, n'a pas eu à constater d'abus graves de l'Administration. Cela explique peut-être le fait, souvent constaté et parfois déploré, que ne parvienne au Médiateur que la " menue monnaie " (A. Legrand) de l'arbitraire administratif. Certains le regrettent, qui voudraient que soient soumis au Médiateur les vrais problèmes de notre société. Qu'il soit permis de répéter que le Médiateur est tenu de respecter la loi a institué sa fonction et que les problèmes qui lui ont été soumis jusqu'ici, ou bien ne recelaient pas d'abus grave, ou bien étaient hors de sa compétence.

Deux années d'expérience permettent aujourd'hui d'affirmer que l'institution du Médiateur a, en effet, rencontré, et rencontre encore, des difficultés. Nombre d'entre elles apparaissent à la fois comme la conséquence du donné administratif français et comme le résultat d'une certaine timidité - inévitable, sans doute, dans le contexte qui vient d'être rappelé - du législateur de 1972.

Etant donné l'esprit et les termes de la loi du 3 janvier 1973, le Médiateur ne s'étonne pas de ne recevoir que peu de réclamations concernant les libertés individuelles. Sans doute, en ce domaine, les plaintes visent davantage le comportement de l'Administration que son action proprement dite. Or, il est très difficile de cerner, de prouver un comportement, et cela d'autant plus que celui qui aurait à se plaindre d'un abus de ce genre se heurterait à l'article 7 de la loi qui exige de sa part des démarches préalables auprès de l'Administration en cause. Or, comment concevoir de telles démarches en matière de sévices de la police par exemple ? Il ne faut pas oublier par ailleurs que l'article 13 de la loi du 3 janvier 1973 permet à l'Administration d'opposer au Médiateur le secret dans les affaires intéressant la défense nationale, la sûreté de l'Etat ou la politique extérieure : cela ne supprime pas la compétence du Médiateur dans ces secteurs déterminés, mais rend son rôle plus malaisé du fait qu'il pourrait ne pas disposer des éléments du dossier.

Enfin, il est certain qu'à l'heure actuelle, en matière de libertés, l'appel au Médiateur a moins la faveur du public que l'action devant le juge. De même, l'appel au Médiateur est peu fréquent de la part des personnes incarcérées qui préfèrent porter leurs plaintes devant le Président de la République.

En ce qui concerne le tout-venant de la maladministration que constituent d'abord, et c'est le plus grave, le défaut d'information, puis les lenteurs, les négligences, l'excès de formalisme ou le mauvais accueil au public, il n'a pas jusqu'ici donné lieu à des actions spectaculaires du Médiateur. Cependant, si de nombreuses plaintes concernant, par exemple, des lenteurs administratives ont pu recevoir satisfaction par une accélération des procédures, les réclamations de cet ordre n'ont en général été formulées qu'à l'occasion d'affaires posant un problème plus précis. Sans pouvoir recevoir toujours de solution appropriée, la dénonciation de tous ces défauts a permis de faire apparaître aux yeux de l'Administration le mur d'incompréhension qui la sépare trop souvent du public. Elle a été ainsi incitée à modifier son comportement et son état d'esprit.

Mais, comme on l'annonçait précédemment, à ces constatations plutôt décevantes, s'en opposent d'autres beaucoup plus positives, et qui confirment la vitalité de l'institution.

Comme en 1973, le Médiateur a exploité à fond le domaine de compétence qui lui était assigné par la loi. Et si son action n'a pas abouti, dans l'ensemble, à des résultats spectaculaires, elle n'en porte pas moins la marque d'une volonté peut-être plus pressante : volonté d'agir en renforçant les moyens, en multipliant les contacts, en utilisant plus largement les pouvoirs ; volonté de faire agir aussi - quitte parfois à bousculer ; volonté enfin de mettre en œuvre un programme d'information sur l'institution du Médiateur.

Le rapport de 1973 soulignait déjà que les personnes qui s'adressaient au Médiateur critiquaient bien plus souvent l'application à leur cas de telle ou telle disposition réglementaire ou législative voire le bien-fondé de cette disposition - que la manière dont l'administration avait traité ce cas. Il s'ensuivait que, de très bonne heure, le Médiateur avait été conduit à s'orienter au moins autant vers la critique de la règle que vers la solution de difficultés individuelles concrètes.

Ainsi était-il, en maintes occasions, passé du rôle, attendu, de " redresseur de torts ", à celui, moins attendu, de " détecteur de réformes ".

Le contenu général des réclamations n'ayant pas sensiblement changé en 1974, il était naturel d'approfondir encore ce dernier rôle, en donnant à la " promotion de réformes " un rang éminent dans la hiérarchie des activités du Médiateur : c'est ce qui a été fait (cf. chap. II).

L'assise de l'institution s'est trouvée consolidée et élargie en 1974 par une " expansion horizontale " qui a revêtu divers aspects :

La collaboration avec les institutions organiquement chargées d'aider le Médiateur dans sa tâche (Conseil d'Etat, Cour des comptes) s'est poursuivie, et même approfondie, dans les meilleures conditions (cf. chap. II).

Le Médiateur a également travaillé à resserrer ses contacts ou à établir des liens avec les institutions ou organismes qui, dans quelque mesure, peuvent être intéressés par son activité, ou dont l'activité peut intéresser la sienne : mission " Entreprises-Administration ", Conseil des impôts, organisations diverses, et notamment professionnelles, etc. Sans oublier naturellement les récents Comités d'usagers, dont la mission est complémentaire de celle du Médiateur.

Ainsi se constitue peu à peu entre institutions ayant des centres d'intérêt voisins, une sorte de réseau informel où circulent les informations, où peut se faire la synthèse de ces nombreux " rapports " trop souvent étudiés, et oubliés, où l'un met à la disposition de l'autre ses possibilités en matière de diffusion de l'information, recevant en échange des renseignements techniques auxquels il n'aurait pas normalement accès.

D'autre part, le climat de collaboration confiante qui s'était déjà instauré en 1973 entre le Médiateur et les différentes administrations ou services, s'est maintenu en 1974. On peut même penser que cette collaboration est aujourd'hui solidement établie, comme en témoigne, entre autres faits, la création, dans les trois principaux départements ministériels concernés par les réclamations, de " cellules " plus spécialement chargées de traiter les affaires du Médiateur (cf. chap. I).

Quant aux résultats concrets de l'année 1974, ils manifestent, même à ne considérer que les chiffres (voir le détail en annexe), un progrès indéniable sur l'exercice précédent.

Il est vrai que le Médiateur a reçu cette année un peu moins de réclamations qu'en 1973 (1659 au lieu de 1773). Ce fléchissement a des explications : campagne présidentielle, démission du premier Médiateur, grève des Postes, qui ont eu pour effet de tarir provisoirement le flot des demandes (la lecture des statistiques mensuelles est à cet égard significative). Il s'agit donc d'un phénomène purement circonstanciel (Ce phénomène est confirmé par la progression très importante du nombre des affaires nouvelles enregistrées aux mois de janvier et février 1975. Si le rythme actuel devait se maintenir, le nombre des réclamations serait porté à 5.000 environ pour l'année 1975).

Mais parmi les affaires instruites d'une année sur l'autre les réclamations justifiées sont passées de 70 à 162 et les réclamations partiellement satisfaites de 112 à 170 soit respectivement environ 15 % et 16 % des affaires instruites, tandis que le nombre des réclamations irrecevables fléchissait légèrement (507 au lieu de 564).

Des progrès peuvent aussi être constatés si l'on se place d'un point de vue qualitatif : ainsi un certain nombre de recommandations et de propositions d'amélioration du fonctionnement des services ont-elles été émises et acceptées par les services concernés, alors qu'en 1973, le Médiateur n'avait pour ainsi dire pas usé de ce qui constitue le premier de ses " pouvoirs ".

L'action soutenue et volontaire du Médiateur dans le cadre de la mission définie par la loi, les voies nouvelles qui ont paru s'ouvrir à cette action comme les résultats obtenus, tout cela apparaît, en définitive, justifier une initiative qui est encore loin d'avoir porté tous ses fruits.


II. Le fonctionnement de l'institution


A. Les moyens de service et leur utilisation.


Les services du Médiateur ont continué à fonctionner en 1974 sur les mêmes bases qu'en 1973 : mêmes locaux, personnel sensiblement équivalent.

Deux points sont cependant à noter : on peut relever, d'abord, que les assistants chargés de l'instruction des dossiers possèdent tous à l'heure actuelle une formation juridique, qui a paru indispensable pour leur permettre d'apprécier, en droit et en équité, tant le bien-fondé des réclamations que le contenu des réponses des Administrations concernées, et la conformité des unes et des autres à la réglementation en vigueur. Ces assistants ont cependant reçu comme consigne de ne pas donner prise à une accusation de juridisme trop étroit et de s'élever au-dessus des pures considérations de textes.

La seconde innovation dans l'organisation des services du Médiateur a consisté dans le recrutement d'un conseiller technique plus particulièrement chargé de promouvoir des réformes de caractère général, à partir des litiges individuels qui, soumis au Médiateur, ne peuvent trouver de solution satisfaisante en raison de la réglementation en vigueur. Pour se faire, il prend contact avec les responsables administratifs et, par des discussions avec ses interlocuteurs, il les incite à mettre sur pied des projets de réformes qui répondent aux problèmes dont le Médiateur a eu connaissance par le biais des réclamations. L'accord des Administrations concernées est évidemment indispensable, puisque le Médiateur ne dispose d'aucun pouvoir d'initiative législative, et ce n'est qu'au moyen d une persuasion fortement étayée sur le plan du droit et sur celui de l'équité qu'il peut espérer un résultat favorable. Les premiers résultats de cette action sont relatés dans le chapitre Il sous le titre : La promotion de réformes.

Effectifs.

Outre le délégué du Médiateur et le conseiller technique (Entré en fonctions le 1er novembre 1974), les services du Médiateur ont occupé, en 1974, 10 assistants.
Le personnel d'exécution a varié de 7 à 9.

Le Médiateur continue à bénéficier du concours à temps partiel :

- d'un inspecteur général de l'Administration du Ministère de l'Intérieur, charge des rapports avec les autorités locales ;

- d'un haut magistrat honoraire chargé, dans les affaires mettant en cause l'organisation de la Justice, des contacts avec les procureurs généraux, de manière à obtenir des renseignements directs lorsque le recours à l'Administration centrale ne paraît pas utile ;

- de fonctionnaires spécialisés dans la gestion du personnel et la comptabilité, ceux-ci ne nécessitant pas, en raison des effectifs restreints, un personnel à temps complet.

Crédits.

Les crédits du Médiateur pour 1974, première année complète de fonctionnement de l'institution, ont été de 1.970.000 francs.

Il est apparu rapidement au premier Médiateur comme à son successeur, que la mise en place de la nouvelle institution n'irait pas sans difficultés, nées de l'appréciation plus ou moins juste de la compétence du Médiateur par ceux qui sont tentés de faire appel à lui. De fait, de nombreuses lettres et dossiers émanant directement de particuliers - et par là même irrecevables - sont parvenus et continuent à parvenir, tant au Secrétariat du Médiateur qu'à l'adresse personnelle de celui-ci. Dans ce dernier cas, les deux Médiateurs ont considéré qu'il était utile d'instituer dans la Loire, puis de développer à Grenoble un secrétariat décentralisé, chargé de réorienter les réclamants.

En présence d'une réclamation dont le fond paraît entrer dans le champ de la compétence du Médiateur, il est répondu à l'intéressé en l'invitant à transmettre sa demande par l'intermédiaire d'un parlementaire ; en présence d'une réclamation dont le fond même échappe à la compétence du Médiateur, l'intéressé est avisé qu'il n'a pas frappé à la bonne porte, mais reçoit souvent des indications qui lui permettront d'orienter sa demande au mieux de ses intérêts.

Le Secrétariat du Médiateur à Grenoble comprend au moment de la rédaction du présent rapport, un chargé de mission et un conseiller technique, chacun employé à mi-temps et deux secrétaires, dont une à mi-temps.


B. Les correspondants du Médiateur.


Les correspondants jouent un rôle essentiel dans l'action du Médiateur. Désignés par les ministres à l'intérieur même de leurs cabinets, ou au sein des corps d'Inspection, ils sont à la fois proches des ministres et, appuyés sur les corps de contrôle, en contact étroit avec leurs Administrations. C'est dans un esprit de réelle collaboration avec ses correspondants que le Médiateur a conçu sa mission.

Lorsqu'ils sont saisis d'une réclamation, les correspondants et, à travers eux, les responsables des services s'interrogent sur le fondement même de la décision prise, car c'est à l'occasion d'un tel examen que l'on peut espérer parvenir à l'amélioration du fonctionnement des services publics.

Considérées comme coopérant à cette oeuvre commune et non pas comme des organismes mis en accusation pour les erreurs ou les fautes qu'ils ont pu commettre, les diverses Administrations ont réservé un bon accueil aux dossiers transmis par le Médiateur. Il est répondu aux demandes d'éclaircissements du Médiateur d'une manière généralement précise et détaillée. Si le Médiateur est amené à lutter, dans un certain nombre de cas pour obtenir les réponses qu'il attend dans un délai raisonnable, il obtient une très efficace coopération dans d'autres, les plus nombreux, et en particulier des Administrations les plus souvent concernées par les réclamations. L'Inspection générale des Affaires sociales, par exemple, qui est l'un des plus " gros clients " du Médiateur, a mis sur pied, en son sein, une cellule composée de plusieurs membres de l'Inspection et d'un secrétariat indépendant, chargée de répondre aux demandes du Médiateur et d'effectuer, sur son intervention, des enquêtes auprès des organismes dont on souhaite vérifier le fonctionnement.

Un dispositif analogue a été mis en place au Ministère de l'Equipement et, au Ministère de l'Economie et des Finances, des contacts étroits sont assurés avec les principaux services, au premier rang desquels la Direction Générale des Impôts.

Ce sont également les correspondants des divers ministères qui sont les interlocuteurs privilégiés du conseiller technique du Médiateur pour élaborer, au terme d'études et de discussions approfondies, les réformes de textes dont la nécessité s'est fait sentir à travers des réclamations qui n'ont pu recevoir satisfaction en raison de la réglementation en vigueur (cf. les moyens de service).


C. Comment est traitée une réclamation.


1. Cas général :


Un dossier est ouvert au nom de toute personne qui fait parvenir par l'intermédiaire d'un parlementaire une réclamation au Médiateur. Ce dossier est fiché au nom du réclamant et au nom du parlementaire intervenant. L'Etat de la procédure, à ses différents stades, figure sur la couverture du dossier, de même que le numéro du département d'où provient la réclamation.

Le dossier est immédiatement transmis à la section d'instruction. Composée de quatre juristes, cette section fonctionne selon une spécialisation assez stricte. Trois grands secteurs : les affaires sociales, l'équipement, les problèmes fiscaux et de pensions occupent chacun un assistant, tandis que l'ensemble des autres secteurs est attribué à un quatrième assistant. Il est à noter que chaque phase de la procédure, chaque démarche est, avant d'être engagée, contrôlée à un triple niveau.

L'assistant en charge du dossier en prend connaissance et procède à une première étude concernant la compétence du Médiateur.

Parfois, le problème soulevé par la réclamation a fait l'objet, sur la demande du parlementaire, d'une étude préalable de la part des services de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Ces études permettent aux parlementaires de ne saisir le Médiateur qu'à bon escient dans les affaires délicates où la compétence du Médiateur n'est pas évidente. Ce n'est toutefois pas le cas général.

Si, au terme de ce premier examen, l'affaire ne paraît pas pouvoir entrer dans les limites de la compétence conférée au Médiateur par la loi, il est répondu au parlementaire en ce sens.

Si le litige, tout en se situant, au fond, hors de la compétence du Médiateur, paraît soulever un problème aigu d'intérêt général ou d'équité, le parlementaire est informé de cette incompétence en même temps que le dossier est porté à la connaissance du Ministre concerné pour étude. Le dossier est transmis aux Comités d'usagers, si un problème d'amélioration des procédures est en cause ou à la mission Entreprises-Administration, si la réclamation émane d'une société.

Enfin, si le problème soulevé paraît, à première vue, entrer dans les attributions du Médiateur, le parlementaire est informé que l'affaire est mise à l'instruction.

L'assistant s'assure que le dossier fourni est suffisamment complet pour que l'on puisse dégager le point précis qui fait l'objet du litige entre le réclamant et l'Administration. Si tel n'est pas le cas, il est demandé au parlementaire des éclaircissements ou telle pièce indispensable à la compréhension de l'affaire.

L'assistant établit une fiche détaillée sur laquelle il mentionne, après un résumé de la réclamation, le point litigieux sur lequel une réponse est souhaitée de la part de l'Administration concernée. Un exemplaire de cette fiche est adressé au correspondant du Médiateur dans le ministère dont relève le service administratif en question.

Après un délai pouvant aller de quelques semaines à deux mois selon la complexité du dossier et la diligence de l'Administration concernée (parfois plus malgré les efforts du Médiateur pour éviter cette cause essentielle de retard), le Médiateur reçoit une réponse aux questions posées. Cette réponse consiste en une analyse critique de la réclamation accompagnée de la position motivée du département ministériel concerné. Elle indique parfois également, en précisant si ces renseignements doivent rester confidentiels, tous éléments de nature à éclairer complètement le Médiateur sur la valeur de la réclamation.

S'y ajoutent les suggestions que le Ministre pourrait envisager, soit pour améliorer le fonctionnement du service si celui-ci s'avère défectueux, soit pour modifier la réglementation.

Aucun formalisme ne préside à l'établissement de cette réponse qui, selon le choix du correspondant, peut revêtir la forme de fiche technique, de note signée par lui, voire, s'il l'estime utile, de lettre signée par le ministre. L'essentiel pour le Médiateur est que cette note réponde de façon précise et complète aux arguments du réclamant.

Si tel n'est pas le cas, contact est pris directement avec le correspondant pour obtenir les éclaircissements souhaitables. Parfois, il est nécessaire de demander leur position à plusieurs départements ministériels ; parfois il est opportun de demander une étude au Conseil d'Etat, a la Cour des comptes, ou de charger un corps de contrôle de procéder à une enquête. Ce n'est que lorsque le Médiateur, au vu des renseignements recueillis, peut se faire une opinion tout à fait nette sur le bien-fondé de la réclamation que l'instruction est considérée comme terminée.

Si l'argumentation de l'Administration paraît fondée, il adresse au parlementaire intervenant une lettre lui indiquant que la réclamation est rejetée, mais en lui fournissant toutes les informations de nature à éclairer la compréhension du problème, informations dont le réclamant n'a souvent jamais eu connaissance.

Si, au contraire, c'est le réclamant qui paraît être dans son droit et avoir été victime d'un mauvais fonctionnement du service (erreur, retard, mauvaise volonté...) il est rare que l'Administration ne conjugue pas ses efforts avec ceux du Médiateur pour rétablir la situation du réclamant : le parlementaire est alors informé de l'heureuse solution du litige.

Si l'Administration se montre réticente pour reconnaître le bon droit du réclamant et si les efforts de persuasion du Médiateur se sont révélés inefficaces, reste l'arme de la recommandation. Le Médiateur en use peu car il a peu besoin d'en user. Les réponses reçues à l'heure actuelle aux recommandations préparées par le Médiateur ont été satisfaisantes sans qu'il ait fallu avoir recours à une publication dans les formes prévues par la loi.

Comme on l'a déjà souligné dans le rapport de 1973, le cas le plus fréquent reste cependant celui du réclamant qui se plaint du tort qui lui est causé par la réglementation en vigueur ou qui voudrait se voir appliquer telle réglementation plus favorable, mais entrée en vigueur postérieurement au règlement de sa situation. En pareil cas, le Médiateur ne peut qu'opposer au réclamant le principe de la non-rétroactivité des lois.

Mais dans les cas où les textes paraissent au Médiateur déboucher sur une anomalie ou encore devant le silence des textes, il tente d'obtenir, en liaison avec les Administrations concernées, une réforme de la réglementation incriminée. (Cf. chap. II, la promotion de réformes).


2. Cas particulier : les instructions comportant " pré-enquêtes " par l'intermédiaire du Préfet.


L'instruction des réclamations se fait en principe, comme on vient de le voir, suivant un circuit qui passe par le correspondant du Médiateur, et donc, en fait, par les services centraux du ministère concerné avant de se refermer, définitivement ou provisoirement chez le Médiateur.

Mais il est apparu de bonne heure que certaines affaires pourraient tout aussi utilement être instruites ou commencer de l'être, à l'échelon local et cela, avec le concours du Préfet. En effet, sa qualité de représentant de l'Etat, l'étendue de l'autorité qu'il exerce sur la plupart des services extérieurs de l'Administration, son rôle enfin de tuteur des collectivités locales le désignent tout naturellement comme " correspondant " du Médiateur à l'échelon départemental, voire régional.

Les affaires de cette sorte (ce sont en général, mais pas exclusivement, des litiges opposant un administré à une collectivité ou à une autorité locale) sont confiées à l'inspecteur général de l'Administration, chargé de mission auprès du Médiateur. Celui-ci prend souvent contact personnellement avec le Préfet compétent, s'instruit auprès de lui des circonstances exactes de l'affaire, et tente, au besoin en réunissant sur place les parties, de les amener à conclure leur différend par un accord amiable - à tout le moins de faire en sorte qu'elles soient exactement informées de leurs positions respectives.

Cette procédure décentralisée présente l'avantage évident de soulager les correspondants du Médiateur dans les ministères, dont la tâche est pour certains devenue très lourde, de la besogne inutile que représenterait l'évocation à leur niveau, avec le retard supplémentaire qui s'ensuivrait, d'affaires dont la nature ne semble pas appeler de décision à l'échelon central.

Elle permet aussi au Médiateur de ne pas limiter ses rapports aux seuls correspondants désignés par les ministres - comme la loi, il faut le dire, semble l'y inviter - mais, en approchant les réalités locales, de donner à sa mission une consistance nouvelle et une extension indispensable.

Ce système de " pré-enquête " a donné dans l'ensemble de bons résultats. Les réponses des préfets parviennent en général plus rapidement que celles des ministères, et ont permis de donner une suite favorable à un même pourcentage de dossiers.

L'important est que les préfets ne se bornent pas à transmettre les résultats de l'enquête effectuée à leur demande par le service compétent, que ce dernier appartienne ou non à la Préfecture. Ils doivent, après examen du rapport qui leur est adressé, prendre personnellement position et motiver leur conclusion tant sur le plan de l'équité que sur celui de la légalité.

En ce qui concerne ce dernier point, l'expérience a montré que les préfets - comme certains l'ont déjà fait - pourraient parfois consulter avec profit le Tribunal administratif sur certains aspects des réclamations dont le Médiateur les saisit. La compétence personnelle que possèdent les magistrats de l'ordre administratif les met, en effet, en mesure de donner des avis utiles fondés non seulement sur le terrain du droit positif mais aussi sur celui d'une bonne administration.

Mais ce n'est pas à dire que toutes les instructions menées de la sorte aboutissent à un résultat définitif : des difficultés peuvent s'élever, des problèmes nouveaux et plus amples se découvrir, qui ne sauraient être réglés au niveau local. Alors la transmission du dossier au correspondant ministériel s'impose, et son instruction se poursuivra désormais comme dans le " cas général " précédemment décrit.

Et c'est la raison pour laquelle le Médiateur parle, non des enquêtes, mais des " pré-enquêtes " qu'il fait mener auprès des préfets.


3. Cas particulier : les instructions comportant " pré-enquêtes " auprès des procureurs généraux.


Dans les affaires portant sur des réclamations concernant le fonctionnement de la Justice, à l'échelon local, le Médiateur s'est assuré le concours d'un haut magistrat honoraire de l'ordre judiciaire.

La création de ce poste au cours de l'année 1974 correspondait au désir d'éviter une trop grande concentration de l'instruction des affaires à l'échelon de l'administration centrale.

La présence d'un magistrat, rompu par son expérience à la pratique des Cours et Tribunaux, est de nature à alléger la tâche de l'Administration, mais aussi d'établir un contact avec les plaideurs par l'intermédiaire du représentant de l'autorité judiciaire la plus proche de son domicile.

Le magistrat chargé de mission examine les plaintes parvenues au Médiateur : si elles lui paraissaient susceptibles d'entrer dans le cadre de sa compétence, il sollicite l'avis du Procureur Général du ressort de la Cour d'appel où réside l'intéressé sur les circonstances qui ont provoqué la réclamation et sur les suites que celle-ci lui paraissent devoir comporter.

Ce haut magistrat, soit directement, soit par son substitut, le Procureur de la République près du Tribunal le plus proche de l'auteur de la réclamation, réunit tous les éléments d'appréciation utiles en procédant dans la plupart des cas à l'audition du plaignant lui-même, de sorte que le Médiateur se trouve en état de se faire une opinion précise sur la valeur des critiques dont il a été saisi.

Ces critiques portent en général sur les difficultés que rencontre le plaideur pour se faire entendre de son juge, difficultés résultant de l'issue malheureuse d'un procès ou de la durée d'une procédure dont la complexité représente à ses yeux une barrière infranchissable pour l'exercice de ses droits.

Dans ce domaine, le principe de la séparation des pouvoirs consacré par l'article II de la loi réduit dans de très notables proportions les possibilités d'action du Médiateur, en s'opposant à son intervention dans une procédure engagée devant une juridiction et à la remise en cause du bien-fondé d'une décision juridictionnelle.

C'est pourquoi une majorité de réclamations ont dû être déclarées irrecevables, comme se heurtant à l'interdiction formelle de l'article 11.

Toutefois, lorsqu'un plaignant est avisé de l'irrecevabilité de sa requête, il lui est fait part des possibilités de recours mises à sa disposition par la loi en la matière - à la condition qu'il soit encore dans les délais utiles pour les exercer - ou il lui est suggéré, le cas échéant, d'engager son action par une voie différente de celle qu'il avait choisie et qui a abouti à son échec, un préjudice étant parfois susceptible d'être réparé en faisant appel aux dispositions du Code civil relatives à la responsabilité délictuelle, mettant en jeu le principe de la faute préjudiciable à autrui.

En ce qui concerne la durée des procédures, les retards dans leur déroulement (ce qu'il est convenu d'appeler les " lenteurs " de la Justice), il faut admettre qu'ils ne sont pas toujours le fait de ceux qui contribuent à préparer et à rendre les décisions juridictionnelles (magistrats, avocats, greffiers, huissiers, etc…), mais qu'ils sont dus aussi à l'inadaptation de certains textes ou même de certaines institutions aux nécessités de la vie moderne ou de l'évolution des mœurs.

Il est ainsi de la procédure du divorce, des mesures d'exécution complexes et coûteuses pour des dettes modiques, de l'organisation défectueuse des juridictions prud'homales, toutes institutions susceptibles d'être améliorées et qui font d'ailleurs, à l'heure actuelle, l'objet de propositions de réforme législative.

Dans le cadre où elle doit s'exercer, compte tenu des textes existants, l'action des Procureurs Généraux ne manque pas d'être efficace.

En se gardant de faire échec au principe de l'article 11, ils peuvent intervenir dans la phase préparatoire du procès, comme aussi à l'issue de celui-ci, dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice et par conséquent dans l'intérêt propre des plaideurs.

Si la situation de l'auteur d'une réclamation, à qui a été refusée l'aide judiciaire, lui paraît digne d'intérêt, le Médiateur peut demander au Procureur général d'étudier la possibilité de faire appel de la décision de première instance. En la matière le Parquet seul, à l'exclusion des plaideurs, est habilité par la loi à se pourvoir en appel contre les décisions des Bureaux d'aide judiciaire et ce n'est pas méconnaître les dispositions impératives de l'article 11 que de suggérer au représentant du Parquet de soumettre à l'appréciation du Bureau de la Cour d'appel la question de savoir si l'action que se propose d'intenter le réclamant est irrecevable ou dénuée de fondement selon les termes de la loi du 3 janvier 1972 sur l'aide judiciaire.

Le Procureur général peut également intervenir soit pour hâter le déroulement de certaines mesures d'instruction (expertise, enquête, opération de liquidation de communauté ou de succession) soit pour atténuer dans la mesure du possible la rigueur d'une décision en invitant, par exemple, le débiteur malheureux et de bonne foi à solliciter les délais de paiement s'il est victime de la situation économique, conformément à l'article 1244 du Code civil.

Il apparaît au vu des cas d'espèce étudiés en 1974 que les difficultés, auxquelles se heurtent les justiciables pour se faire rendre justice, sont bien souvent provoquées par une insuffisance manifeste d'information.

Il arrive notamment que des plaintes susceptibles d'entraîner des poursuites pénales soient classées sans suite sans que le plaignant en soit avisé. L'intervention du Procureur général auprès du Parquet qui a effectué ce classement peut être déterminante pour apaiser les inquiétudes de l'auteur de la plainte et redresser sa situation en l'invitant à fournir les éléments plus précis d'information, et le cas échéant à se constituer partie civile devant le juge d'instruction.

L'action du Médiateur par la personne interposée du Procureur général a donc comme objectif, dans une mesure certes très modeste, d'améliorer les rapports entre l'administration de la Justice et ses administrés.





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