Année 1973


TROISIEME PARTIE


CONCLUSIONS






La jurisprudence du Médiateur - étendue de son rôle.

La méconnaissance de la loi du 3 janvier 1973.

Le champ d'intervention du Médiateur.

Résultats chiffrés ; conclusion sur le fonctionnement des services.

L'usage des moyens et des pouvoirs du Médiateur ;

sa nécessaire collaboration avec l'administration.

1. En prenant ses fonctions, le Médiateur avait à mettre en oeuvre des dispositions rapidement votées, constituant pour notre droit une innovation importante, et dont certaines pourraient donner lieu à des interprétations diverses, sinon divergentes.

Il a donc dû, dès le début, développer une sorte de jurisprudence, notamment en ce qui concernait la recevabilité des réclamations qui lui parvenaient, en nombre appréciable dès le début.

Comme on l'a vu dans la première partie, cette " jurisprudence " a été généralement libérale : non seulement l'un des deux cas exprès d'incompétence prévus par la loi a été considéré comme ne s'étendant pas, ou du moins pas systématiquement, à la situation des agents retraités des administrations et organismes assimilés ; mais encore nombre de réclamations déclarées irrecevables ont donné lieu à l'ouverture d'une procédure d'" information ", qui, si elle ne pouvait par hypothèse aboutir au règlement de la situation individuelle dénoncée, a permis de rappeler à l'autorité compétente l'existence du problème soulevé par cette situation, et, dans certains cas, de mettre sa solution à l'étude.

A ce dernier sujet, il importe de rappeler avec quelle rapidité les circonstances ont amené le Médiateur à la conviction que son rôle ne se bornait pas à tenter de redresser les situations individuelles qui lui étaient soumises, et que le moindre objectif de son action n'était pas d'informer les pouvoirs publics, à partir de ces situations, des défauts qu'il était amené à constater, non seulement dans le " fonctionnement ", au sens concret du terme, de nos administrations, mais encore dans la réglementation, voire la législation, qu'elles appliquent - bref de participer, à sa manière et dans sa mesure, à l'entreprise de réforme administrative.

Il existe, assurément, un Ministère chargé des réformes administratives, qui est qualifié pour étudier et pour faire aboutir des projets d'envergure. Mais il n'est sans doute pas inutile qu'une action plus modeste soit conduite, sur la base éminemment concrète que fournissent les réclamations des administrés, par une personnalité indépendante.

Il est vrai que jusqu'à présent, les sujets de réformes proposés par ces réclamations apparaissent quelque peu disparates : cela tient, évidemment, à la jeunesse de l'institution. Mais, déjà, il est significatif que certains soient plus fréquents que d'autres, et on ne peut douter que du jour où le Médiateur aura pu prendre une vue complète des critiques adressées à notre administration, il ne joue pleinement son rôle de " détecteur de réformes ".

Cette nécessité de dépasser l'individuel sera sans doute considérée comme caractéristiques de notre mentalité nationale ; elle s'est, en tout cas, imposée au Médiateur, et elle fournit la première conclusion d'ensemble à tirer de son action.

2. En dépit du caractère libéral de ces positions du Médiateur, le nombre des réclamations jugées irrecevables atteignait, à la fin de l'année 1973, près du tiers du total.

Cela ne peut s'expliquer que par une insuffisante information du public, suivie d'une certaine méconnaissance, par les parlementaires, du rôle d'examinateur primaire des réclamations, du point de vue de la recevabilité et de l'intérêt, que l'alinéa 2 de l'article 6 de la loi leur attribue.

Ce défaut d'information a d'autres conséquences : encore à l'heure actuelle, bien des administrés ignorent l'intermédiaire obligé des parlementaires, et submergent directement le Médiateur d'un flot de demandes dont beaucoup ne sauraient entrer raisonnablement dans sa compétence.

La deuxième conclusion qui s'impose, au terme de cette première année d'activité, est donc la nécessité de faire mieux connaître de tous la loi instituant le Médiateur.

Celui-ci a jugé inopportun d'entreprendre un tel effort d'information avant le dépôt de son premier rapport : il lui a en effet semblé, d'une part, qu'il devait réserver la primeur de ses conclusions aux destinataires de ce rapport, d'autre part qu'une véritable information sur ses activités ne pouvait se développer qu'à partir de ce document.

Mais, une fois le présent rapport déposé, il entend donner régulièrement au public, avec les résultats obtenus, les exemples les plus significatifs des types de réclamations reçues, pour qu'il s'instruise de ce qu'il peut attendre du Médiateur, et aussi de ce qu'il ne peut pas lui demander.

Les différents moyens de diffusion, en particulier la presse, pourront jouer là, s'ils le désirent, un rôle important pour l'avenir de l'institution.

3. On a déjà relevé, dans la deuxième partie de ce rapport, la grande diversité des questions soulevées par les réclamations adressées au Médiateur : la grande majorité des services publics, la presque totalité des ministères ont déjà été mis en cause auprès de lui.

On a remarqué aussi que la plupart des personnes qui ont fait appel à la nouvelle institution se plaignaient, de ce qu'elles considéraient comme une insuffisance de la législation, bien plus qu'elles ne mettaient en cause le comportement des services, ou le comportement personnel, des agents de l'administration.

Cet état de fait n'a pu que confirmer le Médiateur dans sa tendance, dont il a été question ci-dessus, à dépasser les situations individuelles pour se saisir des problèmes plus généraux qu'elles évoquaient.

Mais il faut peut-être en voir la cause naturelle dans l'existence d'une procédure de saisine, qui, pour légère qu'elle soit, suppose quand même un certain retard dans le règlement des affaires, et peut par conséquent décourager les administrés de soumettre au Médiateur les situations les moins durables, telles que celles résultant d'un simple comportement, d'une simple attitude de l'administration, et qu'aucune " décision " véritable n'a concrétisées.

Ainsi s'expliquerait, par exemple, le nombre infime de réclamations mettant en cause l'attitude des services de police.

On a fait observer aussi que le Médiateur n'avait été somme toute saisi que de " petits " problèmes, qui ont évidemment une grande importance pour les personnes qui les ont soulevés, et pour le technicien de l'administration, mais ne font pas un ensemble très spectaculaire - alors que les " grandes " affaires, celles dont on parle dans la presse, lui ont généralement échappé.

Mais, d'une part, ces affaires ont le plus souvent donné lieu à des procédures déjà profondément engagées, notamment devant la justice, ce qui exclut l'intervention du Médiateur ; d'autre part, nombre d'entre elles mettent en cause l'exercice de la fonction gouvernementale ; or le rôle du Médiateur français, tel qu'il a été défini par le Parlement, semble bien limité à un certain contrôle de la fonction administrative.

Le Médiateur ne refuse pas pour autant de s'occuper de telles affaires : mais chaque fois qu'il y a été invité, il s'est vu contraint de demander à l'intervenant d'apporter la preuve qu'il avait été personnellement victime d'un mauvais fonctionnement du service public, au sens des articles 1 et 6 de la loi du 3 janvier 1973, ce qui n'est pas toujours facile, et constitue moins souvent encore le principal de l'" affaire ".

La conclusion, ici, sera qu'un certain nombre de facteurs ont joué pour restreindre le champ d'intervention possible du Médiateur, que l'on aurait pu croire à l'origine beaucoup plus large, sinon illimité.

Il appartiendra aux pouvoirs compétents d'apprécier cette situation. Mais on doit dès maintenant signaler qu'en raison de ces restrictions de fait, il serait manifestement incorrect de vouloir tirer de l'expérience du Médiateur plus que ce qu'elle a pu contenir en réalité.

4. A considérer le sort qu'elles ont connu, les réclamations reçues du Médiateur peuvent être classées en cinq catégories :

a) les réclamations absolument irrecevables, c'est-à-dire déclarées irrecevables, sans autre forme d'instruction ;

b) les réclamations déclarées irrecevables, mais qui ont donné lieu à une information du Médiateur ;

c) les réclamations recevables, mais rejetées après instruction ;

d) les réclamations recevables, rejetées quant à leur objet principal, mais dont l'instruction a permis de donner partiellement satisfaction au réclamant ;

e) les réclamations reconnues justifiées.

- A quoi il faudrait ajouter :

f) le très petit nombre (deux au total) de demandes qui ont été retirées par leur auteur après un début d'instruction.

Le tableau statistique figurant au présent rapport donne les chiffres correspondants aux cinq catégories principales, les catégories a) et b) n'ayant pu toutefois être ventilées.

On ne reviendra pas sur le volume représenté et les problèmes posés par les réclamations irrecevables, sinon pour signaler qu'un petit nombre de celles qui sont reprises en statistiques - donc transmises par un parlementaire - avaient un objet n'entrant manifestement pas dans la compétence du Médiateur (demande tendant à favoriser l'accès du réclamant à une dignité dans un Ordre, par exemple).

En ce qui concerne les réclamations recevables, on notera l'importance des réclamations rejetées, ou partiellement satisfaites, par rapport à celles qui ont été reconnues comme entièrement justifiées (70 en tout).

Ce petit nombre, sur un total de 1.773 interventions, témoigne que, dans le champ d'intervention qui a été le sien, le Médiateur a rencontré relativement peu de cas de fonctionnement critiquable de nos services publics, et certainement pas de faute grave : cette nouvelle conclusion vaut évidemment d'être soulignée, même si, comme il a été dit, il serait imprudent d'en conclure que tout va au mieux dans l'administration française - mais ce qu'on peut dire, et il faut y insister, c'est que si quelque chose de grave s'y passe, le Médiateur n'en a pas eu connaissance.

Les résultats de l'activité du Médiateur ne forment donc, ni par leur volume, ni par leur nature, un ensemble impressionnant.

Ils sont cependant importants, non seulement par la quantité des affaires traitées, mais plus encore peut-être par le nombre des questions mises à l'étude avec le concours des différents ministères, et qui devraient aboutir à des solutions dans le courant de 1974.

Le poids, sinon le volume, des interventions du Médiateur devrait donc augmenter pendant l'année en cours, qui fait suite à une année de mise en place et d'expérience de l'institution.

5. On a vu dans la première partie que, pour parvenir à ces résultats, le Médiateur avait utilisé à plein ses moyens, mais fait peu d'usage de certains de ses pouvoirs, et notamment du pouvoir de " recommandation " organisé à l'article 9 de la loi.

Cette modération s'explique d'abord par le fait que le contenu des réclamations était tel que la plupart des instructions ont consisté avant tout en un éclaircissement de la règle appliquée dans l'espèce ; et quand il y avait lieu de redresser la situation du réclamant, c'est sans difficulté que le Médiateur a obtenu de l'administration compétente qu'elle prenne les mesures nécessaires. En outre, il faut tenir compte de ce qu'un nombre important de problèmes soulevés par les réclamations ont été mis à l'étude.

Mais, d'autre part, le Médiateur se trouvait invité par la loi elle-même à une collaboration étroite avec l'administration : il lui fallait donc habituer celle-ci à cette collaboration.

Il lui fallait faire comprendre, d'abord, que les réclamations transmises par le Médiateur n'ont nullement pour objet de faire obtenir des faveurs, et n'ont donc rien de commun avec les interventions auxquelles l'administration est habituée.

Plus profondément, celle-ci devait se persuader que la mission du Médiateur est de la conduire à réfléchir sur les motifs et la valeur de son action ; à la redresser quand elle est inéquitable ; à l'expliquer clairement quand elle est normale, car, comme on l'a vu, si le fonctionnement de nos services publics soulève un problème important, c'est celui du défaut d'information des administrés.

Une telle attitude, pour ainsi dire pédagogique, s'oppose évidemment à celle de censeur sourcilleux, et a priori hostile, que le Médiateur aurait pu prendre, s'il n'avait été convaincu dès l'origine qu'il serait parfaitement vain d'espérer améliorer du dehors le fonctionnement de notre administration, sans obtenir d'elle une participation consciente à l'oeuvre entreprise.

Ainsi conçue, la collaboration entre le Médiateur et les différentes administrations apparaît en bonne voie de développement.

Elle rencontre toutefois une difficulté d'ordre pratique le temps mis par les services à examiner les dossiers qui leur sont transmis apparaît dans l'ensemble excessif.

Certes, ces dossiers sont généralement complexes ; mais l'application paraît insuffisante, surtout si l'on considère que le Médiateur n'est pas seul à déplorer de tels retards : les parlementaires à propos des ses à leurs questions écrites, les tribunaux administratifs à propos du dépôt des conclusions des services, font des constatations analogues.

Il y a donc là l'indice d'un certain comportement d'ensemble ; peut-être faut-il y voir un signe du sérieux avec lequel l'administration envisage ses tâches, mais on ne peut se défaire de l'impression que celle-ci agit encore trop souvent repliée sur elle-même, dans un confortable isolement.

Mais le Médiateur n'entend pas rester indéfiniment victime de cette lenteur administrative qu'il est chargé d'atténuer, sinon de faire disparaître ; et des mesures sont à l'étude pour réduire au minimum le délai d'instruction des dossiers.

Sous cette réserve, il faut conclure que le Médiateur se maintient, tout en demeurant vigilant, dans la voie d'une collaboration étroite, et même confiante, avec nos administrations.

 



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