Année 1973


PREMIERE PARTIE


LA LOI DU 3 JANVIER 1973 ET SA MISE EN OEUVRE



Les dispositions de la loi qui a institué le Médiateur peuvent être étudiées sous cinq rubriques :

1. La compétence.

2. La procédure de saisine.

3. Les pouvoirs.

4. Les moyens de fonctionnement.

5. L'indépendance de la fonction et de son titulaire.

Chacune de ces rubriques donnera lieu, dans les pages qui suivent, à un rappel des solutions adoptées dans la loi du 3 janvier 1973, suivi d'un bref exposé de celles qui sont applicables aux institutions analogues fonctionnant dans divers pays étrangers. Après cette tentative pour situer l'institution française dans le droit comparé, on exposera comment les dispositions étudiées ont été mises en oeuvre, et les constatations qu'une année d'expérience permet de dégager à propos de chacune d'elles.


1. LA COMPETENCE DU MEDIATEUR


La compétence du Médiateur est définie positivement à l'article premier alinéa 1 et à l'article 6 alinéa 1 de la loi. Les articles 8 et 11 traitent de deux cas exprès d'incompétence.

LE CRITERE DE COMPETENCE

1. Il résulte de la combinaison des articles premier et 6 que le Médiateur est compétent pour instruire toute réclamation formée par une personne physique qui estime, à l'occasion d'une affaire la concernant, qu'une administration de l'Etat, une collectivité publique territoriale, un établissement public, ou tout autre organisme également investi d'une mission de service public, n'a pas fonctionné conformément à cette mission.

On doit constater que cette compétence a été conçue de façon on ne peut plus large, sa définition reposant manifestement, non sur un critère organique, mais sur le critère " matériel " fourni par la notion de " service public " : ce n'est pas la nature juridique, ni la structure administrative d'un organisme qui fait entrer celui-ci dans le champ d'investigations du Médiateur, mais la " mission de service public " dont cet organisme est investi.

2. Les exemples étrangers révèlent qu'il existe deux méthodes pour définir la sphère d'activité d'un Ombudsman. Ou bien, comme en France, cette définition se réfère à un critère général de compétence. Ou bien elle résulte d'une énumération, de caractère limitatif, des administrations et organismes susceptibles de faire l'objet des investigations.

Parfois, ce critère détermine les agents appelés à répondre de leurs actes ou omissions devant l'Ombudsman. Il en va ainsi en Suède et en Finlande.

En Suède, la juridiction des Ombudsmans s'étend à l'ensemble des fonctionnaires et agents publics investis d'une responsabilité de fonctions. Cette responsabilité personnelle concerne les fonctionnaires de l'Etat intégrés à la hiérarchie administrative (directions centrales et services extérieurs), le personnel des établissements d'intérêt public (employés des caisses d'assurances sociales, par exemple) et même les agents intérimaires (tels que le mandataire du tribunal dans une faillite).

En Finlande, la juridiction de l'Ombudsman se réfère à la définition de l'agent public que contiennent les dispositions du Code pénal relatives à la répression des délits et des fautes de service. Cette définition, extrêmement large, englobe pratiquement tous les collaborateurs des services publics (y compris, pour leurs actes séculiers, les autorités ecclésiastiques de l'Eglise évangélique luthérienne et de l'Eglise orthodoxe). Ce critère de compétence, fondé sur la responsabilité personnelle des agents publics, s'explique par les pouvoirs dont sont investis les procureurs du parlement des deux pays dans lesquels l'institution est d'abord apparue. Ces pouvoirs sont en effet ceux qui appartiennent aux magistrats du ministère public. Les Ombudsmans suédois et finlandais peuvent, entre autres, entamer eux-mêmes devant les juridictions pénales des poursuites contre les agents convaincus de fautes de service.

Le plus souvent, le critère utilisé pour déterminer la compétence de l'Ombudsman est un critère organique. Au Danemark, la loi sur l'Ombudsman charge celui-ci du contrôle " de l'administration civile et militaire de l'Etat et de l'administration des communes ". En Norvège, la loi sur l'Ombudsmann assigne à ce dernier pour mission de veiller à ce que " l'administration publique " ne commette point d'injustice à l'égard d'un citoyen. Il en va de même aux Etats-Unis et au Canada, dans les Etats membres de l'Union qui ont institué la charge d'Ombudsman. Ainsi les lois sur l'Ombudsman des Hawaï, sur l'Avocat public du Nebraska, sur l'Auxiliaire du Citoyen de l'Iowa confèrent à ces officiers compétence à l'égard de " tout acte et de tout organisme administratif " ; la loi sur le Protecteur du Citoyen du Québec se réfère à la notion " d'organisme du Gouvernement ". Les lois des provinces anglophones du Canada, très proches du modèle néo-zélandais, visent également les actes administratifs imputables aux Ministères ou organismes du Gouvernement.

Les lois canadiennes toutefois ne s'inspirent qu'à moitié, à cet égard, du précédent néo-zélandais. Elles se bornent, en effet, à donner une définition générale de la juridiction de l'Ombudsman. En Nouvelle-Zélande, la loi sur le Commissaire aux Investigations donne à celui-ci pour mission d'enquêter sur tous actes ou carences, en matière d'administration, imputables à l'un des Ministères ou organismes énumérés en annexe. L'annexe de la loi contient l'énumération exhaustive des services publics concernés par sa surveillance. Toutes les administrations centrales du pays et vingt-deux établissements publics à compétence nationale dotés de plus ou moins d'autonomie y figurent. La méthode rend possible la modification de cette liste au moyen d'une procédure simplifiée. En cas de création ou de suppression de services publics, l'annexe peut en effet être amendée par vole d'ordonnance en Conseil.

Le système de l'énumération a été également retenu par le législateur de certains Etats membres du Commonwealth australien. Ainsi la loi sur le Commissaire parlementaire d'Australie occidentale contient une liste des organes ainsi que des matières susceptibles de faire l'objet d'investigations.

A l'instar de la loi néo-zélandaise, l'Act instituant le Commissaire du Parlement pour l'administration du Royaume-Uni ne soutient pas non plus de définition globale de sa juridiction. Celle-ci s'étend aux actes des départements et des autorités énumérées dans son annexe 2. Cette énumération vise la plupart des grandes administrations centrales. Inversement certains actes imputables à des administrations centrales sont expressément exclus de la juridiction du Commissaire par l'annexe 3 de la loi. Ces dérogations concernent essentiellement les relations du Gouvernement avec les puissances étrangères, les questions d'administration des territoires coloniaux, la police judiciaire et la protection de la sécurité de l'Etat, les règles de la procédure civile et pénale et, plus généralement, toutes les questions relevant de la compétence des Cours de justice, les conditions d'exercice du droit de grâce, le fonctionnement des hôpitaux, les contrats administratifs et autres opérations à caractère commercial, les problèmes touchant le statut et la discipline du personnel des forces armées et du Civil Service. L'annexe 2 peut être modifiée par simple ordonnance en Conseil. Pareils amendements doivent cependant bénéficier de l'approbation tacite du Parlement, étant donné qu'ils peuvent être annulés par une résolution de l'un ou l'autre Chambre. La même procédure peut être utilisée pour la révision de l'annexe 3, mais uniquement, cette fois-ci, dans le sens de la réduction du nombre des cas d'incompétence.

En Israël, la méthode énumérative est également employée, mais la liste des organes soumis à la surveillance du Contrôleur de l'Etat est incorporée dans le texte même de la loi.

Qu'elle soit analytique ou synthétique, qu'elle revête la forme d'une énumération détaillée ou d'un critère général, la définition du domaine d'intervention d'un Ombudsman ne saurait jamais être assez précise pour prévenir toute difficulté d'application dans les cas d'espèces douteux. Presque toujours la solution des problèmes de frontières susceptibles de surgir incombe à l'Ombudsman lui-même, que la loi laisse juge de sa propre compétence. A cet effet, il jouit d'ailleurs, le plus souvent, d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation de la recevabilité des requêtes qui lui sont soumises. Parfois, cependant, l'hypothèse où des questions d'interprétation des dispositions relatives à la compétence viendraient à se poser a été prévue par le législateur. Il en va ainsi, notamment, en Nouvelle-Zélande, où le Commissaire, en cas d'incertitude quant aux limites de sa juridiction, peut saisir la Cour suprême d'une demande d'interprétation des articles qui lui paraîtraient obscurs ou ambigus. De Même, au Canada (dans les provinces anglophones) et en Australie, l'Ombudsman a aussi le pouvoir, s'il préfère ne pas se prononcer personnellement, de consulter la juridiction suprême de l'Etat fédéré.

3. L'application du critère de compétence posé par la loi n'a pas jusqu'ici soulevé de difficulté importante.

Mais c'est peut-être que la presque totalité des réclamations à propos desquelles ce genre de difficultés auraient pu s'élever mettaient en cause des organismes de statut privé qui se trouvaient investis, sans conteste possible, d'une mission de service public : les organismes de Sécurité sociale, visés par de très nombreuses réclamations, en fournissent l'exemple le plus net.

Or, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat en date du 13 mai 1938 (" caisse primaire Aide et Protection "), et quelles que soient les atténuations que la jurisprudence et la doctrine ultérieures aient pu apporter à la primauté du critère " matériel ", l'applicabilité, en ce cas, de la notion de service public n'est contestée par personne.

On pouvait se demander, en revanche, si la nature même de la fonction du Médiateur ne devait pas conduire celui-ci à se déclarer compétent pour instruire toute réclamation mettant en cause une administration, et en général une institution de statut public ou proche du statut public, même lorsque cette administration ou cette institution n'apparaîtrait pas exercer dans l'espèce une activité de service public.

Le Médiateur n'a eu que deux occasions de prendre position - quoique de façon incidente - sur ce point : à propos de réclamations mettant en cause, l'une la Régie nationale des usines Renault (n° 435), l'autre la gestion par une commune de son domaine privé (n° 894).

A chaque fois, il a considéré que l'organisme concerné n'était pas investi d'une " mission de service public ", ou n'exerçait pas dans l'espèce une activité d'intérêt général.

Cette position est conforme à la jurisprudence et à la doctrine traditionnelles ; elle paraît de plus commandée par la rédaction même de la loi : l'article premier, en employant l'expression : tout " autre " organisme, semble avoir mis en facteur commun la nécessité, pour tous les organismes, même publics, susceptibles d'être mis en cause par les réclamations, d'accomplir une " mission de service public " ; le texte de l'article 6 confirme cette interprétation, en visant tout organisme - public ou non - qui n'aurait pas " fonctionné conformément à la mission de service public qu'il doit assurer ".

LES LIMITATIONS DE COMPETENCE

1. La mise en oeuvre de la compétence du Médiateur se heurte à des limitations que l'on peut appeler " naturelles ", car elles résultent de l'organisation des Pouvoirs publics et de leurs prérogatives ; à des limitations implicites, déduites, a contrario, des prescriptions " positives " des articles premier et 6 de la loi ; à des limitations expresses formulées aux articles 8 et 11 du texte.

2. La sphère de compétence assignée à l'Ombudsman est, selon les pays, plus ou moins étendue. Celle du Médiateur français est large. Celle du Commissaire du Parlement britannique est assez étroitement limitée. Celles des justitie-ombudsmäns, suédois et, surtout, de leur homologue finlandais, excèdent celles de toutes leurs imitations existant aujourd'hui dans le monde.

Mais une étude comparée des diverses solutions retenues permet de dégager certaines constantes : les différents pays qui ont successivement adopté l'institution se sont heurtés à des problèmes de cantonnement identiques.

Ceux-ci concernent l'extension de la compétence de l'Ombudsman aux Pouvoirs publics politiques (Parlement, Gouvernement) aux collectivités locales, à l'organisation judiciaire enfin.

Partout où existe un Ombudsman, le Chef de l'Etat (le Gouverneur dans les Etats fédérés) est, bien entendu, à l'abri de ses critiques. Il en va de même du Parlement et des parlementaires. Néanmoins, les services administratifs des Assemblées n'échappent pas, en général, à sa surveillance. En revanche, les solutions varient s'agissant des Ministres, que caractérise l'ambivalence de leurs attributions. Participant à l'exercice du pouvoir politique en tant que membres du Gouvernement, ceux-ci assument un rôle clairement administratif lorsqu'ils agissent en qualité de chefs d'une administration. La question n'a soulevé aucune difficulté, à vrai dire, dans le pays d'où l'institution tire son origine. Les Ministres suédois échappent totalement au contrôle des Ombudsmans en raison de la structure administrative sui generis de la Suède. Celle-ci se singularise en effet par l'existence d'une séparation organique des fonctions politique et administrative. Les directions des grandes administrations centrales ne sont pas hiérarchiquement subordonnées aux Ministres. Quant aux départements ministériels proprement dits, ce ne sont que des Etats-majors de proches collaborateurs aux effectifs réduits. Toutefois, la plupart des pays, à la différence de la Suède, ne connaissent pas le principe de la séparation du Gouvernement et de l'administration. L'unité de l'exécutif entraîne la subordination des administrations centrales aux différents membres du Gouvernement. Dès lors se pose le problème de la compatibilité de la compétence de l'Ombudsman et de la responsabilité ministérielle devant le Parlement. A ce problème des solutions opposées ont été apportées.

Dans certains pays, le principe du régime parlementaire a paru devoir faire obstacle à ce que les Ministres aient à répondre de leurs actes simultanément devant les Assemblées et devant l'Ombudsman. C'est la solution qui a été retenue lors de la première transplantation de l'institution hors de Scandinavie. En Nouvelle-Zélande, le Commissaire, en principe, n'a pas compétence pour apprécier les actes des Ministres. Il ne lui, appartient de porter des jugements qu'à l'égard du travail effectué à l'intérieur des Ministères. Ce principe n'implique cependant pas, dans la Pratique, une incompétence aussi radicale qu'on pourrait le penser à première vue. Dans le système néo-zélandais, en effet, une censure indirecte reste possible, par le biais des avis que le Commissaire peut émettre sur les actes préparatoires des décisions ministérielles. La limitation de la compétence de l'Ombudsman aux seules propositions faites aux Ministres, à l'exclusion des décisions prises par ceux-ci, se retrouve en Australie occidentale et dans certaines provinces du Canada (Alberta, Manitoba).

Dans la plupart des pays, cependant, la compétence de l'Ombudsman s'étend aux décisions prises par les Ministres. Des limites doivent alors être assignées à son domaine d'investigations, afin de tenir compte du caractère strictement administratif du contrôle qu'il lui appartient d'exercer.

Tantôt la distinction est faite entre l'action individuelle et l'action collective des Ministres, seule la première pouvant faire l'objet de ses enquêtes. En Norvège, par exemple, l'Ombudsmann ne saurait connaître des décisions prises collégialement par le Conseil des Ministres, tandis qu'il lui est possible d'apprécier les mesures prises par les Ministres agissant individuellement, en qualité de chefs d'une administration. Le même critère a été retenu en Israël et dans certaines provinces du Canada (Québec, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse).

Tantôt la délimitation de la compétence de l'Ombudsman dépend d'une analyse du contenu de chaque acte. Au Danemark, par exemple, les Ministres ne sont passibles des critiques de l'Ombudsmand qu'à raison des arrêtés qu'ils signent en tant qu'autorité administrative suprême : ils en sont exempts pour leurs décisions à caractère politique. De même, en Grande-Bretagne, la compétence du Commissaire du Parlement, à la différence de celle de son homologue néo-zélandais, n'est pas limitée à la seule appréciation des actes préparatoires des décisions ministérielles. Elle s'étend à ces décisions elles-mêmes, à condition qu'il s'agisse de faits de " maladministration ".

La notion de maladministration est, certes, assez difficile à cerner, d'autant que l'Act n'en donne pas de définition claire, laissant au Commissaire le soin d'en préciser les contours. En gros, celle-ci interdit la critique, d'une part, des choix politiques, d'autre part, des appréciations d'opportunité. Située entre ces deux domaines d'incompétence ratione materiae, la maladministration, qui est seule susceptible de faire l'objet des interventions du Commissaire, recouvre, selon la jurisprudence de ce dernier, l'action (ou l'inaction) administrative fondée sur des considérations ou accompagnée de procédés incorrects. Comme exemples de conditions incorrectes, on peut citer l'arbitraire, la malveillance, la partialité, la discrimination. Par procédés incorrects, il faut entendre les pertes de dossiers, les retards injustifiables, l'inobservation des procédures prescrites, le défaut de prise en considération des éléments pertinents d'une affaire, etc. Le Commissaire distingue la maladministration " liée aux activités exécutives du Gouvernement " et " celle liée aux décisions discrétionnaires du Gouvernement ". Dans la première hypothèse, il recherche si l'acte administratif visé est entaché de maladministration en prenant en considération, à la fois, ses éléments subjectifs et ses éléments objectifs. Dans la seconde hypothèse, s'agissant de décisions prises dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, il ne s'autorise à apprécier que les seuls éléments objectifs, les procédés accompagnant l'acte, c'est-à-dire, en somme, la façon dont l'affaire a été présentée au Ministre : il se refuse, en revanche, à prendre position sur le fond de la décision. Au Danemark et en Angleterre, l'application des critères sus-indiqués entraîne, bien entendu, l'exclusion des délibérations du Cabinet du ressort de l'Ombudsman.

Il en va différemment en Finlande. Dans ce pays, l'Ombudsman du Parlement a le droit d'assister aux réunions du Conseil des Ministres ou de se faire communiquer les procès-verbaux des séances. Aucun aspect de l'activité des Ministres ne saurait de ce fait échapper à sa surveillance. Toutefois, les décisions ministérielles ou gouvernementales sont examinées exclusivement sous l'angle de leur légalité. En outre, les poursuites pénales éventuellement entreprises contre un membre du Gouvernement ne sauraient l'être qu'à la demande du Parlement.

En fait il n'est pas rare qu'un Ombudsman mette un ou plusieurs Ministres en accusation devant la Haute Cour et il arrive que ces procès aboutissent à des condamnations.

La détermination de l'étendue de la compétence de l'Ombudsman ne pose pas seulement le problème du contrôle des décisions ministérielles. Il pose aussi celui de la surveillance des collectivités territoriales. Le principe de l'autonomie locale est ici en jeu.

Dans bien des cas l'administration municipale échappe purement et simplement au ressort de l'Ombudsman. La question est alors résolue par la négative. Il en va ainsi en Nouvelle-Zélande et au Canada (sauf en Nouvelle-Ecosse).

En Grande-Bretagne, l'incompétence du Commissaire en matière de gouvernement local a été justifiée à l'origine par la crainte que celui-ci ne se trouve dès ses débuts submergé par un afflux de plaintes auquel il n'aurait pu faire face. Le Gouvernement, dans son Livre blanc de 1965, indiquait cependant qu'une extension des pouvoirs de l'institution pourrait être envisagée lorsqu'elle aurait fait ses preuves dans le domaine de l'administration centrale. Le problème du contrôle de l'administration locale a fait l'objet, au cours de ces dernières années, de nombreuses discussions, de savants rapports et d'un Livre blanc publié par le Gouvernement travailliste en 1970. Actuellement, le Gouvernement conservateur, reprenant la question pour son compte, a entamé une procédure législative en vue de la mise en place d'un système de commissaires régionaux (une dizaine pour l'ensemble du pays) chargés d'examiner les réclamations de maladministration dirigées contre les autorités et les élus locaux.

Dès 1969, une première expérience d'Ombudsman régional avait été tentée en Irlande du Nord. En juin 1969 un Act instituait la charge de Commissaire parlementaire pour l'Irlande du Nord, en s'inspirant de l'exemple du Royaume-Uni. Par l'intermédiaire des membres de l'Assemblée de l'Ulster, ce Commissaire reçoit les requêtes dirigées contre les départements relevant du Gouvernement provincial. En novembre de la même année, un nouvel Act autorisait la désignation, à côté du Commissaire parlementaire, d'un second officier, le Commissaire aux Réclamations, qui reçut pour mission d'examiner les plaintes dont les citoyens le saisissent directement et d'enquêter auprès des autorités locales ainsi que des services publics, notamment des services de santé dotés d'autonomie vis-à-vis des Ministères de Belfast. Le Commissaire aux Réclamations de l'Irlande du Nord cumule donc les fonctions d'Ombudsman régional pour l'administration locale et de Commissaire pour les services de santé.

Dans certains pays, la compétence de l'Ombudsman ne subit aucune limitation en ce qui concerne l'administration locale. Il en va ainsi en Israël et aux Etats-Unis. En Finlande, depuis l'origine, tous les échelons des Gouvernements locaux entrent dans la juridiction de l'Ombudsman et celui-ci n'hésite pas à apprécier le comportement de conseillers municipaux élus, lorsqu'il relève des cas d'exercice illégal de leur mandat.

En Suède, au Danemark et en Norvège, la compétence de l'Ombudsman a été étendue après coup aux autorités locales et, dans les trois pays, certains aménagements ont été introduits afin de prévenir tout risque d'empiètement abusif sur le self-government. En Suède, à l'origine, l'Ombudsman n'avait pas compétence à l'égard des autorités locales. Depuis une réforme, introduite en 1957, il a droit de regard, non seulement sur les agents des collectivités territoriales, mais aussi sur les membres des municipalités et des commissions départementales. A l'égard de ceux-ci, toutefois, son intervention est limitée aux cas de fautes lourdes et aux affaires posant une question de principe ou présentant un intérêt général. En outre, les membres élus des conseils municipaux et généraux échappent à sa juridiction. De même, au Danemark, depuis 1962, la surveillance de l'Ombudsmand a été étendue aux actes des agents communaux, contre lesquels un recours est possible devant une autorité de l'Etat. Les délibérations des conseils municipaux, en revanche, qu'elles soient ou non susceptibles de recours, lui échappent. Il n'en irait autrement que dans les cas où seraient lésés des intérêts juridiques essentiels et où l'Ombudsmand ferait usage de son pouvoir d'action d'office. En Norvège également, depuis 1969, l'administration locale appartient au ressort de l'Ombudsmann. Toutefois, celui-ci ne saurait apprécier les décisions que les conseils municipaux et généraux sont seuls légalement habilités à prendre.

Un troisième problème de frontière lié à la délimitation de la compétence de l'Ombudsman mérite d'être mentionné. Dans de nombreux pays, celle-ci touche au pouvoir politique et à l'autonomie locale. Dans deux d'entre eux, la Suède et la Finlande, elle met en cause l'indépendance du judiciaire. En Suède, les Ombudsmans surveillent le comportement des magistrats des juridictions inférieures et du ministère public, des autorités pénitentiaires et de police et, d'une manière générale, de tous ceux dont la mission est de concourir à l'administration de la justice. Les juges de la Cour suprême et de la Cour administrative suprême, toutefois, ne sauraient faire l'objet de critiques de la part des procureurs du Parlement qu'en ce qui concerne leurs actes juridictionnels et, uniquement, dans l'hypothèse où, contre toute attente, ils rendraient un arrêt manifestement injuste et contraire aux " lois formelles et à l'évidence des faits dûment établis ". Pratiquement cette limitation met les membres des deux Cours suprêmes à l'abri de toutes poursuites. En Finlande, le droit de regard du justitie-ombudsman sur le fonctionnement de la justice n'est même pas, comme en Suède, limité en ce qui concerne les Cours suprême, judiciaire et administrative, du pays. Tous les juges, sans aucune exception, sont soumis à son contrôle, sans que, pour autant, l'indépendance du judiciaire, que proclame solennellement la Constitution, soit considérée comme menacée. L'Ombudsman, en effet, ne saurait modifier une sentence, ni intervenir dans une procédure légalement engagée. En revanche, il a le pouvoir de veiller au fonctionnement régulier de la justice et d'entamer le cas échéant des poursuites contre les auteurs de délits ou de fautes commises dans le service.

Le contrôle des Ombudsmans suédois et finlandais sur les tribunaux s'explique essentiellement par des motifs historiques. Délégataires de la prérogative royale de reddition de la justice, les juges furent longtemps placés sur le même plan que les administrateurs, nulle séparation organique claire n'opposant justice et administration. Ce contrôle devait rester une curiosité constitutionnelle. Aucun des pays dans lesquels, depuis vingt ans, l'institution d'origine suédo-finlandaise a été organisée n'a retenu cet aspect sui generis des pouvoirs de l'Ombudsman.

Au Danemark et en Norvège, l'ensemble de l'activité des Cours de justice se situe en dehors du rayon d'action de l'Ombudsman. L'incompétence de ce dernier concerne non seulement les actes juridictionnels mais aussi les actes purement administratifs des organes judiciaires. Elle n'existe toutefois qu'à l'égard des juridictions proprement dites. L'Ombudsman peut en revanche connaître de l'activité des commissions contentieuses spécialisées, organes quasi-juridictionnels chargés de l'examen en premier ressort de bon nombre de réclamations administratives. Dans les pays anglo-saxons, on trouve la même incompatibilité radicale à l'égard de tout ce qui touche à l'organisation judiciaire. En Nouvelle-Zélande, par exemple, sauf quelques " tribunals " à compétence administrative, toutes les Cours de justice sont en dehors du ressort du Commissaire. Il en va de même au Canada, en Australie, aux Etats-Unis, en Israël. En Grande-Bretagne, le commissaire est membre de droit du " Council on Tribunals " qui coiffe l'ensemble du système britannique d'organes quasi-juridictionnels chargés du contentieux administratif.

EXCLUSION DES LITIGES INTERESSANT LES AGENTS PUBLICS

Seuls les administrés sont admis à solliciter l'intercession du Médiateur dans leurs démêlés avec l'administration. L'article 8 interdit aux collaborateurs des services publics de porter devant lui les difficultés nées à l'occasion de cette collaboration. En vertu de cette disposition, le Médiateur n'intervient que dans les rapports de l'administration avec le public. Il n'a pas à connaître du fonctionnement interne de celle-ci. Etant donné la diversité des moyens dont les fonctionnaires disposent, en France, pour se faire reconnaître leurs droits, il eût peut-être été superfétatoire de leur offrir une garantie supplémentaire. Il était en tout cas dans la logique de l'institution, conçue comme devant contribuer à humaniser les contacts de la population avec les bureaux, de privilégier les requérants extérieurs. Cependant la plupart des lois étrangères n'instituent par cette limitation de compétence ratione personae.

Dans aucun des Etats nordiques, en effet, les fonctionnaires ne se trouvent empêchés de soumettre à l'Ombudsman leurs problèmes de carrière. En Suède, la possibilité qui leur est offerte de s'adresser à lui est même d'autant plus importante et d'autant plus fréquemment utilisée qu'il n'existe pas de voies de recours juridictionnelles contre les décisions intéressant leur situation personnelle. Aussi les réclamations provenant de leurs rangs sont-elles nombreuses. Les universitaires, notamment, comptent parmi ses habitués les plus invétérés.

Au Danemark, il n'est pas davantage mis obstacle à la faculté pour les agents publics de déposer plainte. Ceux-ci sont libres d'écrire à l'Ombudsmand directement, sans emprunter la voie hiérarchique. Au cours des discussions qui précédèrent l'adoption de l'institution, les syndicats de fonctionnaires manifestèrent une vive opposition au projet, allant jusqu'à adresser une protestation solennelle aux Pouvoirs publics. Ils craignaient que la réforme n'entraînat une atteinte au principe de l'anonymat des services et une aggravation de la responsabilité personnelle des agents. Leurs réticences aboutirent à l'insertion dans la loi d'un paragraphe autorisant tout fonctionnaire mis en cause à exiger que l'Ombudsmand se dessaisisse et que l'affaire soit instruite selon la procédure disciplinaire ordinaire. Si cette exception avait été fréquemment soulevée le succès de l'institution aurait été gravement compromis. Le consentement des contrôlés conditionnait la réussite du système. Le premier titulaire de la charge le sentit fort bien et il prit soin de ne point braquer les services en les heurtant de front et de ne pas susciter l'hostilité des syndicats par une rigueur excessive. Avec patience et psychologie, il s'efforça de se faire accepter par ses justiciables. Très rapidement les fonctionnaires comprirent que leurs intérêts étaient soigneusement pris en considération par l'Ombudsmand. La possibilité dont ils bénéficiaient de se présenter eux-mêmes devant lui comme plaignants fut pour beaucoup dans cette prise de conscience. Aujourd'hui, ils ont très souvent recours à lui et l'apprécient davantage comme avocat qu'ils ne le craignent comme censeur.

En adoptant l'Ombudsman, la Grande-Bretagne ne retint pas la solution libérale en vigueur dans les Etats nordiques. Dans le souci de limiter au maximum l'accès à la barre du parliamentary commissioner, le législateur de 1967 multiplia les dispositions tendant à réduire son champ d'action. Le civil service fut l'un des principaux domaines qui, dans ce but, se trouvèrent soustraits à sa compétence. L'annexe 3 de l'Act interdit donc au Commissaire de connaître des actions ayant trait aux nominations, aux révocations, aux traitements, à la discipline, aux retraites et, d'une manière générale, à toute autre question intéressant la situation du personnel de l'administration. On trouve des dispositions comparables dans la loi sur le Contrôleur de l'Etat d'Israël. Les problèmes de fonction publique sont également exclus de la compétence de celui-ci, interdiction est faite à tous les agents publics (y compris les officiers de police et les surveillants de prisons) de se plaindre devant lui des conditions dans lesquelles s'accomplit leur service.

Au Québec, le Protecteur du Citoyen ne peut pas davantage faire enquête sur les actes ayant rapport aux " relations de travail " à l'intérieur de la fonction publique. Toutefois, cette disposition a fait l'objet dans la pratique d'une interprétation souple. Le premier rapport annuel québécois nous apprend en effet que toutes les demandes de fonctionnaires relatives à leur emploi ne sont pas pour autant systématiquement écartées. Sont considérées comme n'étant pas du ressort du Protecteur du Citoyen les questions relatives à l'organisation et à la gestion de la fonction publique elle-même (organisation du travail, rapports hiérarchiques, partage des tâches). En revanche, sont regardées comme relevant de sa compétence toutes celles qui touchent à la situation personnelle de l'agent au sein de la fonction publique (entrée en service, avancement en cours de carrière, départ volontaire ou forcé). Des termes proches de ceux de la loi québécoise figurent dans la loi du 23 novembre 1972 instituant un Ombudsman en Australie méridionale.

Ces limitations de compétence en matière de fonction publique n'existent pas ailleurs. Il en va ainsi en Nouvelle-Zélande en ce qui concerne les relations des fonctionnaires de l'Etat avec l'administration nationale. C'est essentiellement sur ce point que les domaines d'investigations des Commissaires de Londres et de Wellington diffèrent. Il en va de même dans toutes les provinces anglophones du Canada, dans les Etats américains et en Australie occidentale pour ce qui touche les rapports des agents publics avec l'administration provinciale.

Les solutions apportées aux problèmes de compétence concernant les fonctionnaires civils n'ont pas été partout étendues aux personnels militaires. Les règles spéciales régissant la discipline des armées sont en effet en cause. La question ne se pose, il est vrai, qu'au niveau des Etats internationalement souverains. Tous les Ombudsmans dont les fonctions sont circonscrites au cadre d'un Etat fédéré voient les affaires militaires échapper à leur juridiction. La Défense nationale, par définition, fait partie des attributions fondamentales du Gouvernement fédéral. Tout au plus peut-on relever le fait qu'aux îles Hawaï l'Ombudsman peut être amené à apprécier le comportement de certains gradés obéissant à l'autorité du Gouvernement local. Mais il est, bien entendu, impuissant à l'égard des membres de l'armée des Etats-Unis. En Irlande du Nord, on observe la même incompétence vis-à-vis des représentants des forces armées du Royaume-Uni.

Pour une autre raison, cette dernière lacune n'est pas compensée par un contrôle qui partirait de Londres. Aucun droit de regard n'est en effet accordé au Commissaire britannique en ce qui concerne les litiges intéressant les serviteurs de l'Etat, quels qu'ils soient. Cette inaptitude vise non seulement les fonctionnaires, mais aussi les militaires, qu'il s'agisse des soldats du contingent ou des cadres de carrière, de l'active ou de la réserve. En Nouvelle-Zélande également, le Commissaire est compétent à l'égard des personnels militaires, mais uniquement à l'égard de ceux-ci. Au demeurant, les forces armées n'échappent pas, en tant que telles, à ses investigations. Il lui est seulement interdit d'apprécier les conditions d'exécution du service et la manière dont le commandement est exercé et la discipline assurée. Sa sphère d'action en la matière se trouve de ce fait étroitement circonscrite, mais elle n'est pas réduite à néant.

Dans les pays nordiques, semblables incapacités n'entament pas les pouvoirs de l'Ombudsman. Au Danemark, celui-ci exerce son contrôle indistinctement sur l'administration civile et militaire de l'Etat. De même, en Finlande, il est exclusivement compétent pour recevoir les plaintes des soldats et gradés : depuis 1933, le Chancelier de Justice lui transmet automatiquement toutes les requêtes d'ordre militaire qui lui parviennent. En Suède, depuis 1968, les armées entrent dans le domaine d'investigations de l'un des trois justitie-ombudsmän.

Avant 1968, il existait en Suède un Ombudsman militaire ou Militie-ombudsman (MO), uniquement chargé de l'examen des plaintes mettant en cause les autorités militaires et de l'inspection des conditions de vie dans les unités des trois armes. Cette institution avait été créée pendant la Première Guerre mondiale, en 1915, pour compenser l'atteinte aux libertés résultant de l'adoption, rendue nécessaire par la situation internationale, du principe du service militaire général et obligatoire. Premier en date des Ombudsmans militaires, le MO devait inspirer la création, après la Seconde Guerre mondiale, de fonctions analogues, en Norvège et en République fédérale d'Allemagne. En Norvège, l'Ombudsmaniz militaire, né en 1952, précéda de dix ans l'Ombusmann civil. Relèvent en principe de la compétence du premier tous les personnels soumis au statut militaire (y compris les objecteurs de conscience astreints au service national), tandis que sont du ressort du second les personnels civils des armées. En Allemagne fédérale, la création, en 1957, d'un Wehrbeauftragte, ou Délégué parlementaire à la Défense, répondit au désir d'éviter la renaissance de l'esprit de caste qui avait pu animer l'ancienne Reichswehr, et de s'assurer que la nouvelle Bundeswehr resterait une armée de " citoyens en uniforme ". L'Ombudsman militaire allemand ne manque pas de travail, bien qu'il ne s'occupe que de l'armée, puisque, au cours de l'année 1972, il a été saisi de non moins de 7.789 plaintes. L'extension du système de l'Ombudsman du domaine militaire au domaine civil a été longuement discutée outre-Rhin. Il semble cependant qu'on préfère pour l'instant se borner à accroître les pouvoirs des commissions des pétitions du Bundestage et des Landtag. A l'instar des armées norvégienne et allemande, les armées israélienne et suisse sont aujourd'hui, elles aussi, dotées d'un Ombudsman militaire et des propositions de cette nature ont vu le jour en Italie.

RECOURS JURIDICTIONNELS PARALLELES

L'article 11 doit être interprété à la lumière de la disposition figurant à l'alinéa 2 de l'article 7. La loi française n'a pas subordonné la saisine du Médiateur à l'épuisement préalable par le requérant des voies de recours juridictionnels parallèles. Cette saisine peut avoir lieu nonobstant l'existence de tels recours. Bien plus : elle n'en interrompt par les délais. Il s'ensuit qu'un administré est en droit d'intenter, simultanément ou successivement, deux actions, l'une devant le Médiateur, l'autre devant les tribunaux compétents. Des risques d'interférence entre les deux instances en résultent. Aussi le Médiateur se voit-il interdire d'intervenir dans une procédure juridictionnelle, à partir du moment où une telle procédure a été engagée. En outre, bien entendu, une fois l'arrêt rendu, l'autorité de la chose jugée s'impose à lui et nul ne saurait lui en demander la réformation.

Ces dispositions, passablement complexes, correspondent à une intention elle-même parfaitement claire. Le système français de protection des administrés par les tribunaux, tant administratifs que judiciaires, est on ne peut plus élaboré. En créant un Médiateur, le législateur n'entendait pas mettre un nouveau magistrat en concurrence avec les juges dans leur rôle de gardiens de la légalité et des libertés. Il voulait instituer une voie de recours, qui ne s'insérât pas dans les procédures existantes, mais qui leur fût simplement juxtaposée. D'où la règle de la non-interruption des délais de recours, complétée par l'affirmation de la primauté des tribunaux.

La Suède et la Finlande paraissent être à première vue, parmi les pays dotés d'un Ombudsman, ceux dont la situation se rapproche le plus de celle de la France. Ces deux Etats sont en effet les seuls à posséder, à côté des Cours de justice ordinaires, un système de tribunaux spécialisés dans l'examen des causes administratives. En Suède, le recours administratif de droit commun est le recours hiérarchique. Ce recours, profondément ancré dans les mœurs du pays, est beaucoup plus généralement utilisé qu'il ne l'est chez nous. Il aboutit, en dernière instance, dès lors que des questions de droit sont en jeu, devant la Cour administrative suprême. En matière de fiscalité et de sécurité sociale, l'appel est d'abord porté devant des tribunaux spécialisés. En Finlande, la Cour administrative suprême coiffe un système de Conseils de préfectures, investis d'une compétence de droit commun, tout à fait comparable à celui qui fonctionne en France depuis la réforme de 1953. Corrélativement, dans les deux pays, les Cours de justice ordinaires n'interviennent que dans les cas où l'administration a usé de procédés de droit privé, c'est-à-dire exceptionnellement.

Malgré l'existence d'un ordre de juridictions spécialisées, l'interférence du justitie-ombudsman dans le fonctionnement de la justice administrative n'a pas paru devoir être redoutée. Rappelons que le Justitie-ombudsman bénéficie d'un pouvoir discrétionnaire d'appréciation de la recevabilité des plaintes. Il en use, à cet égard, avec une particulière circonspection, s'abstenant d'intervenir chaque fois qu'une procédure est engagée devant une juridiction ou qu'une voie de réformation reste ouverte à l'encontre d'une décision de justice. Toutefois, il s'autorise à renoncer à sa réserve en cas de violation manifeste par un fonctionnaire de ses obligations de fonction. En Suède et en Finlande, les relations entre le Justitie-ombudsman et les tribunaux sont depuis longtemps rodées et exemptes de conflits de compétence.

En dehors de la Suède et de la Finlande, tous les pays qui ont adopté l'Ombudsman (mis à part la France), attribuent aux tribunaux ordinaires compétence pour connaître des litiges administratifs. Les systèmes juridiques comprenant un seul ordre de juridictions ne s'opposent cependant pas à ceux qui en ont deux de manière radicale. Dans la plupart des cas en effet, il existe, à côté des juridictions proprement dites, des organes quasi-juridictionnels (appelés " commissions des réclamations " au Danemark et en Norvège, " tribunaux " dans les pays de Common Law), spécialisés dans les différentes branches du contentieux administratif. En Grande-Bretagne, l'ensemble des tribunals est coiffé, depuis 1958, par un Council on Tribunals. Il n'en reste pas moins vrai que, ni quant à leur organisation ni quant à leur fonctionnement, ces organes contentieux ne constituent de véritables juridictions.

Au Danemark et en Norvège, aucune disposition n'oblige les requérants à s'adresser aux Cours avant de saisir l'Ombudsman. Ce dernier est compétent, même si une voie de recours juridictionnelle est ouverte. En pareil cas, cependant, il conseille généralement au plaignant de se tourner vers la justice et, au besoin, il intervient auprès des autorités compétentes pour lui faire obtenir le bénéfice de l'assistance judiciaire. Dans l'hypothèse où une procédure juridictionnelle était déjà engagée au moment de sa saisine, il s'abstient, normalement, de se prononcer, sauf, parfois, s'il s'agit d'un point de droit.

Dans les pays anglo-saxons, la primauté des juridictions a été, lors de l'introduction de l'Ombudsman, beaucoup plus strictement garantie. En Nouvelle-Zélande, défense absolue est faite au Commissaire d'enquêter chaque fois qu'un recours existe devant une cour ou devant un tribunal, même si le requérant a épuisé ce recours ou s'il est forclos. Cette fin de non-recevoir catégorique est prévue de la même manière en Alberta, au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Nouvelle-Ecosse.

En revanche, les lois du Manitoba et du Saskatchewan, ainsi que celles des Etats australiens, ont consacré la solution britannique, laquelle est moins sévère. En Grande-Bretagne, en effet, le requérant est normalement débouté chaque fois qu'il a la possibilité de s'adresser à une Cour de justice ou à un tribunal. Mais le Commissaire peut discrétionnairement en décider autrement, s'il a lieu de penser que des circonstances exceptionnelles empêchent l'intéressé de faire valoir ses droits. On retrouve des dispositions semblables en Israël.

Aux Etats-Unis, l'Ombudsman apprécie librement l'opportunité de ses interventions. Il refuse de prendre fait et cause pour un requérant chaque fois que celui-ci pouvait " raisonnablement " utiliser d'autres moyens d'obtenir satisfaction. La nature de ces " moyens " n'est pas précisée par les statuts.

L'EXPERIENCE DES LIMITATIONS DE COMPETENCE

LIMITATIONS NATURELLES

Selon l'article premier de la loi, le Médiateur apprécie le " fonctionnement " des administrations et organismes assimilés, " dans leurs rapports avec les administrés ".

Il en résulte que son domaine d'intervention apparaît s'étendre et se limiter à la fois - comme il est naturel, compte tenu de l'objet de l'institution - aux modalités concrètes et aux incidences individuelles de l'exécution du service public.

A la différence du juge administratif, le Médiateur n'a donc pas besoin d'un " acte " administratif pour que sa compétence soit engagée : une simple " prise de position " de l'Administration, un " comportement ", une " attitude ", pourvu que le réclamant ait un intérêt personnel à les contester, entreront dans le champ de ses investigations.

Mais si l'examen d'une affaire l'amène à vérifier la régularité d'un acte, ce ne pourra jamais être que celle d'une décision individuelle - la légalité de l'acte de portée générale qui habilite cette décision, échappe entièrement à son appréciation.

Peu de réclamants ont demandé directement au Médiateur d'intervenir dans l'abrogation, la modification ou la prise d'un acte réglementaire ou d'une disposition législative.

Beaucoup plus nombreuses, par contre, ont été les réclamations qui, pour être satisfaites, auraient exigé une telle intervention, c'est-à-dire un empiètement sur les domaines réservés à la compétence exclusive du Gouvernement ou du Parlement.

Dans l'une et l'autre hypothèse, la réclamation a été déclarée irrecevable. Mais, comme le Médiateur considère qu'il est de sa fonction, non pas seulement de tenter de redresser les situations individuelles qui lui sont soumises, mais aussi d'informer les Pouvoirs publics des défauts qu'il aurait été amené à constater dans telle disposition réglementaire ou législative, un bon nombre de ces réclamations ont donné lieu à l'ouverture d'une information auprès de l'autorité compétente, à l'effet d'examiner les fondements et l'amélioration possible de la disposition incriminée.

Cette procédure d'information est d'ailleurs loin de n'avoir été suivie qu'à l'occasion de réclamations jugées irrecevables : chaque fois que cela lui a paru possible, le Médiateur a au contraire cherché à aller au-delà des situations individuelles, en faisant porter son effort sur la solution du problème d'ensemble auquel elles se rattachaient.

Les exemples de réclamations ayant ainsi donné lieu à une étude d'ensemble abondent dans la deuxième partie du présent rapport. La fin de cette deuxième partie est d'ailleurs consacrée à un relevé des dispositions réglementaires dont le Médiateur a eu à connaître, et dont la modification semble souhaitable, aussi bien que des dispositions législatives dont l'application lui a paru entraîner des difficultés notables.

LIMITATIONS IMPLICITES

Il résulte des dispositions combinées des articles premier et 6 de la loi que, pour tomber dans la compétence du Médiateur, toute réclamation qui lui est adressée doit répondre aux conditions suivantes :

1° Elle doit émaner d'une personne physique - ce qui exclut qu'il puisse être saisi par une personne morale : on reviendra sur ce cas d'incompétence ratione personae a propos de la procédure de saisine.

2° Elle doit avoir trait à une situation individuelle née, pour le réclamant, d'une exécution critiquable du service public, ce qui exclut :

a) Les réclamations ne faisant pas état d'un litige existant entre le réclamant et l'administration ou l'organisme qu'il met en cause : c'est le cas, par exemple, des interventions, reçues en nombre appréciable par le Médiateur, où le réclamant se limitait à des critiques d'ordre général, ou à des suggestions tendant à améliorer le fonctionnement de l'administration, sans référence à une situation particulière (nos 179, 191, 453, 1075 notamment).

b) Les réclamations à la lecture desquelles il apparaîtrait que le réclamant n'a pas " intérêt " au règlement de la situation exposée : par exemple, l'intervention où serait dénoncée l'attitude de l'administration envers une autre personne que le réclamant. Une seule affaire est à citer à ce titre (n° 171).

c) Les réclamations ne tendant pas au règlement d'une situation individuelle, c'est-à-dire les demandes visant à la satisfaction d'intérêts collectifs.

Il en a été ainsi, notamment, des interventions suivantes, faites au profit :

- des cadres administratifs communaux (n° 38)

- des enseignants d'une école nationale d'ingénieurs (n° 432) ;

- des professeurs d'enseignement technique dépendant des collectivités locales (n° 444) ;

- des membres d'une société civile immobilière (n° 567).

Toutefois, le Médiateur a admis dans de nombreux cas que lorsque le réclamant se trouvait personnellement concerné par la situation collective qu'il dénonçait, sa demande pouvait néanmoins être instruite.

3° Elle doit mettre en cause une administration, ou tout autre organisme " investi d'une mission de service public ", à laquelle ou auquel il est reproché de n'avoir pas fonctionné conformément à cette mission.

Cette exigence ne soulève pas seulement le problème d'application du critère général de compétence du Médiateur dont il a été question ci-avant. On en déduit aussi - a contrario, et la pratique en a fourni de nombreux exemples - que doivent être considérées comme irrecevables a priori :

a) Les réclamations à la lecture desquelles il apparaîtrait qu'aucune administration, aucun organisme investi ou susceptible d'être considéré comme investi d'une mission de service public n'est en cause. C'est le cas, abondamment représenté dans la pratique, des litiges opposant un particulier à un autre particulier, sans qu'aucune institution publique ne soit en cause que, le cas échéant, les tribunaux de l'ordre judiciaire.

b) Les réclamations portant sur le fonctionnement d'un organisme public étranger (n° 56 notamment : mise en cause d'une Ambassade étrangère en France).

c) Celles qui posent une question d'organisation, plutôt que de fonctionnement, des services publics (nos 145, 153, notamment).

Dans bien des cas, un examen rapide de la réclamation a permis de constater que si une administration ou un organisme d'une mission de service public était bien en cause, il apparaissait immédiatement qu'aucun défaut de fonctionnement ne pouvait lui être reproché - et la réclamation a été déclarée irrecevable.

Il ne s'agit pas là, toutefois, d'une véritable irrecevabilité, puisqu'elle a supposé, pour être déclarée, un examen au fond de la demande, aussi bref qu'il ait pu être.

CAS EXPRES D'INCOMPETENCE

Article 8.

L'article 8 de la loi exclut de la compétence du Médiateur " les différends qui peuvent s'élever entre les administrations et organismes visés à l'article premier et leurs agents ".

Le texte précise même que ces différends " ne peuvent faire l'objet de réclamations auprès du Médiateur : c'est dire qu'il y a là un cas d'incompétence absolue obligeant le Médiateur à opposer une fin de non-recevoir pure et simple aux demandes faisant état de tels différends.

Mais le Médiateur a très rapidement acquis la conviction que la qualité d'agent public, et à plus forte raison d'ancien agent public, ne pouvait suffire à entraîner son incompétence : le nombre des réclamations émanant d'agents publics, principalement retraités, et l'importance des problèmes qu'elles soulevaient, l'ont renforcé dans cette conviction.

Elle se fonde sur les considérations suivantes :

- L'objet de la loi du 3 janvier 1973 était de permettre d'améliorer la situation des bénéficiaires ou tributaires des différents services publics - c'est-à-dire de protéger les " administrés ", mais non pas ceux qui participent à l'exécution de ces services publics les " agents ", les " administrants ".

Il fallait donc, par une disposition expresse, exclure de la compétence du Médiateur, toutes les réclamations susceptibles de mettre en cause la participation du réclamant à l'exécution d'un service public : tel a été le but de l'article 8.

- Mais, outre que tout agent public peut se trouver, dans certaines circonstances, l'" administré " de son administration ou d'une autre, il est manifeste qu'un retraité même lorsqu'il s'agit d'un retraité de la fonction publique, soumis de ce fait à certaines obligations résiduelles - ne participe plus à l'exécution du service public, et ne possède plus, par conséquent, la qualité d'" agent " visée à l'article 8.

- On peut même soutenir qu'il existe un véritable " service public " des retraites, parmi les bénéficiaires duquel on ne voit pas de raison décisive de distinguer les retraités des collectivités publiques.

- Tout en admettant la recevabilité de principe des réclamations émanant de retraités, le Médiateur n'en a pas moins, soigneusement, veillé à ce que l'instruction de ces réclamations ne puisse porter sur un acte pris par l'autorité incriminée dans l'exercice de son pouvoir hiérarchique : la nécessité de soustraire de tels actes à ses investigations fournissait d'ailleurs un autre fondement à l'article 8 étudié.

En définitive, la réclamation émanant d'un agent public, et mettant en cause une administration ou un organisme investit d'une mission de service public, ne peut être instruite par le Médiateur qu'à la double condition :

- que le réclamant ne puisse pas, ou ne puisse plus, être considéré comme l'agent de cette administration ou de cet organisme ;

- que l'instruction de la demande ne puisse conduire le Médiateur à remettre en cause l'exercice du pouvoir hiérarchique.

Cette position de principe a été appliquée à l'occasion de l'examen d'un très grand nombre de réclamations, dont il sera question dans la suite de ce rapport, au chapitre consacré aux " personnels des collectivités publiques ".

Elle a été explicitée dans plusieurs réponses aux parlementaires intervenants (nos 251, 252, 440, 1155, 1177, 1239, notamment).

Article 11.

Aux termes de l'article 11 de la loi " Le Médiateur ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction, ni remettre en cause le bien-fondé d'une décision juridictionnelle ".

Cette disposition recouvre deux situations de fait bien distinctes, dont la seconde ne soulève aucune difficulté : lorsqu'une décision juridictionnelle est intervenue dans l'affaire soumise par le réclamant au Médiateur, celui-ci ne peut rien faire qui puisse aller à l'encontre de la décision des juges. Si l'objet de la réclamation est de remettre en cause la moindre des conséquences de cette décision, il ne peut donc que se déclarer incompétent.

En revanche, lorsqu'aucune décision juridictionnelle n'a encore été rendue, on pouvait s'interroger sur le sens à donner à la défense faite au Médiateur d'" intervenir " dans la procédure déjà engagée.

Une interprétation large aurait conduit à prendre le mot " intervenir " dans son sens strictement juridique : le Médiateur aurait pu alors instruire la réclamation, à condition de s'abstenir de tout acte de procédure dans lequel il attrait figuré en nom.

Mais, même ainsi limité, l'exercice des pouvoirs du Médiateur ne pourrait pas, dans la pratique, ne pas influer sur le cours de la procédure : le juge s'en trouverait gêné, et l'administration en cause, obligée à la fois de collaborer avec le Médiateur dans l'instruction du cas, et de soutenir sa position au contentieux, risquerait de connaître des situations délicates.

Il a donc été décidé que, dès l'instant que le cas exposé dans la réclamation aurait déjà été porté devant un organisme juridictionnel quelconque, le Médiateur se déclarerait incompétent - il ne pourrait en être autrement que si l'affaire présentait un caractère d'urgence inconciliable avec les délais normaux des procédures juridictionnelles, ou si son examen faisait apparaître des manoeuvres dilatoires de l'Administration.

Mais, comme il va de soi, et comme il ressort du deuxième alinéa de l'article 7 (la réclamation " n'interrompt pas les délais de recours, notamment devant les juridictions compétentes "), la saisine du Médiateur n'empêche nullement le réclamant de se pourvoir ensuite devant les juridictions compétentes.

La position ainsi arrêtée apparaît en définitive conforme au fondement même de l'article 11, qui est d'interdire au Médiateur toute action tendant à remettre en cause le principe de l'indépendance des juges, résultant de la séparation des pouvoirs, et à l'opinion, plusieurs fois exprimée devant le Parlement, selon laquelle il importe, au premier chef, que l'institution du Médiateur s'insère, sans la troubler, dans l'organisation administrative et juridictionnelle française.

Cette position a été explicitée, notamment, dans la réponse faite au parlementaire intervenant à propos de la réclamation n° 137. Mais très nombreuses sont les réclamations qui ont conduit à faire jouer l'une ou l'autre des dispositions de l'article 11.


2. LA SAISINE DU MEDIATEUR


Elle est réglée à l'article 6 de la loi. L'article 7 ajoute à ses conditions, et précise certains de ses effets.

LES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 6

1. L'intervention du Médiateur est déclenchée, comme on l'a rappelé, par une réclamation individuelle émanant d'une personne physique (alinéa 1 de l'art. 6). Le réclamant, cependant, n'a pas le droit de le saisir directement : il doit s'adresser à un député ou à un sénateur, qui ne transmettent sa réclamation au Médiateur que " si elle leur paraît entrer dans la compétence et mériter l'intervention " de ce dernier (alinéa 2).

2. La procédure à deux degrés qui caractérise le mode de saisine du Médiateur s'inspire du mécanisme institué en Grande-Bretagne pour la saisine du Parliamentary Commissioner. L'exigence de l'entremise d'un membre du Parlement constitue l'une des principales originalités par lesquelles les systèmes français et britannique s'opposent à tous les autres systèmes comparables existant dans le monde. Partout ailleurs, en effet, les requérants peuvent adresser leur plainte à l'Ombudsman directement.

Les motifs pour lesquels le mode de saisine indirect a été préféré au mode de saisine direct, au Royaume-Uni, en 1967, méritent d'être rappelés. Pour la première fois, en effet, l'institution d'origine scandinave était transplantée dans un pays de plus de 50 millions d'habitants. Toutes les imitations antérieures du modèle suédois avaient vu le jour dans des pays dont la population n'atteignait pas 10 millions d'habitants (8 millions en Suède, 4 à 5 millions dans les autres Etats nordiques, 3 millions en Nouvelle-Zélande). On objectait volontiers, avant que l'expérience anglaise ne fût tentée, que si l'institution en question était à la mesure de pays de dimensions modestes, il était inconcevable de l'introduire dans de grands pays, car l'ombudsman eût risqué d'y être submergé de plaintes. Aussi s'efforça-t-on, pour parer à ce danger, de multiplier les précautions de nature à diminuer le nombre des causes susceptibles d'être portées devant le Commissaire. L'une de ces précautions consista à circonscrire minutieusement le domaine de ses interventions de manière à limiter au maximum l'étendue de sa compétence. La saisine indirecte parut devoir procurer un résultat analogue et contribuer également à prévenir le risque de surcharge de son rôle. Les députés, pensait-on, assureraient le filtrage des réclamations en les soumettant d'abord, comme par le passé, aux procédures d'examen classiques (correspondance avec les Ministres, questions, débats sur l'ajournement, etc.) et en les transmettant ensuite au Commissaire, en cas d'insuccès de leurs premières tentatives. On y voyait en outre un moyen de renforcer les prérogatives traditionnelles des représentants en les dotant d'un instrument nouveau permettant l'étude, par un organe impartial, du bien-fondé des critiques formulées contre des agissements de l'administration.

Le Gouvernement, dans son projet, ne suivit pas les recommandations du rapport Whyatt, publié sous les auspices de la section britannique de la Commission internationale des juristes, lequel avait proposé que la saisine indirecte ne soit adoptée que pour la durée d'une période transitoire d'adaptation, à l'issue de laquelle, l'institution s'étant rodée, la saisine directe par les citoyens aurait été rendue possible. Il ne voulut pas davantage investir les membres des deux Assemblées du pouvoir de transmettre les griefs des particuliers : seuls les membres de la Chambre des Communes ont cette faculté. Le plaignant n'est pas, cependant, obligatoirement tenu de s'adresser à l'élu de sa circonscription. Il peut confier son affaire à n'importe quel parlementaire. Il doit, en tout cas, expressément consentir à ce que celle-ci soit, le cas échéant, soumise au Commissaire. Ainsi est soulignée l'intention du législateur de faire de la saisine de ce dernier une ultima ratio à laquelle le député ne devrait normalement avoir recours que si ses interventions personnelles ne lui ont pas permis d'obtenir d'emblée satisfaction.

La saisine indirecte a encore été adoptée lors de la création, en 1969, d'un Commissaire parlementaire pour l'Irlande du Nord. Celui-ci est saisi, par l'intermédiaire des membres de l'Assemblée, des réclamations des citoyens visant les Ministères du Gouvernement de l'Ulster. En revanche, la méthode a été abandonnée, au profit du mode direct de saisine, avec la mise en place des nouveaux Commissaires institués récemment au Royaume-Uni. Le premier essai remonte à 1969. En Irlande du Nord, un Commissioner for Complaints est venu doubler le Parliamentary Commissioner, afin d'examiner les plaintes visant les autorités locales et les établissements publics autonomes dont les particuliers le saisissent directement. Les deux postes, d'ailleurs, bien que régis par des textes distincts, ont été confiés au même titulaire. De même, la principale différence opposant les Health Service Commissioners institués en 1973 pour l'Angleterre et le Pays de Galles, au Parliamentary de Grande-Bretagne concerne les modes de saisine de ces officiers. Les nouveaux Commissaires reçoivent les plaintes que les usagers des services hospitaliers régionaux leur envoient directement. Une seule personne, au demeurant, s'est vue, ici aussi, confier la responsabilité des trois charges.

En dehors du Royaume-Uni, aucun des Etats dotés d'un système d'ombudsman n'a établi d'écran entre l'organe habilité à intervenir et l'auteur de la réclamation sur laquelle se fonde l'intervention. Au Royaume-Uni, même la saisine directe tend, sinon à se substituer à la saisine indirecte, du moins à la compléter.

Dans tous les pays où l'institution existe, la saisine de l'ombudsman a le plus souvent pour origine une réclamation, dirigée contre l'administration ou contre l'un de ses agents. Indépendamment de son mode d'acheminement (direct ou par personne interposée), la réclamation est généralement assujettie à quelques conditions de recevabilité, dans l'ensemble extrêmement libérales, qui se retrouvent, à peu de chose près, partout. Ces exigences sont relatives, les unes à l'auteur de la requête, les autres à la requête elle-même.

Les différentes institutions qui, sous l'appellation d'ombudsman ou de Commissaire parlementaire, ont fait leur apparition un peu partout dans le monde depuis vingt ans n'ont retenu du modèle suédois qu'un seul trait : le mode de protection extrêmement commode, souple et efficace qu'il procure au simple citoyen contre les abus de l'administration. Aussi semble-t-il aller de soi, lors des premières transplantations du système, que les destinataires du nouveau mécanisme de défense institué fussent les individus isolés, les petites gens, victimes de l'arbitraire bureaucratique. Dans aucun des Etats nordiques le cas des groupements ne fut formellement envisagé. Celui-ci commença à être pris en considération lors des premières adaptations réalisées dans le monde anglo-saxon. En Nouvelle-Zélande le droit de présenter une requête fut expressément ouvert à toute personne physique ou morale, formule reprise en Alberta et en Australie occidentale. Au Québec, les groupes de personnes peuvent s'adresser au Protecteur du Citoyen dans les mêmes conditions que les individus. En Grande-Bretagne, la réclamation peut être le fait de toute personne ou groupe de personnes, associées ou non, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'une collectivité locale, d'une entreprise nationalisée ou d'un groupement composé de membres nommés par le Gouvernement ou financé grâce à des fonds alloués par le Parlement. Dans les autres statuts, rien n'est spécifié. Il est loisible de penser que les personnes morales sont englobées dans le concept de personne tout court.

Nulle part il n'est exigé du requérant une condition de nationalité. Les étrangers sont toujours protégés au même titre que les nationaux. En Grande-Bretagne, une limitation de compétence ratione loci est prévue : le requérant doit résider au Royaume-Uni, ou, à tout le moins, il doit y avoir résidé à la date des actes incriminés (ainsi sont couverts les étrangers de passage), ou bien encore, la réclamation doit concerner les droits ou les obligations nés au Royaume-Uni (ainsi peuvent être englobées des personnes habitant en dehors du Royaume-Uni).

Le plus souvent, un traitement privilégié est réservé aux plaintes dont les auteurs ont été, à des titres divers, privés de leur liberté. Pareilles dispositions se rencontrent en Suède, en Finlande, au Danemark, en Norvège, en Nouvelle-Zélande, en Alberta, au Nouveau Brunswick, au Québec, au Manitoba, en Nouvelle-Ecosse, aux Hawaï, en Iowa, en Australie occidentale, en Israël. Ces articles prévoient en faveur des condamnés détenus dans les prisons, des malades mentaux internés dans les hôpitaux ou asiles psychiatriques, des mineurs placés en maisons de correction et de toutes autres personnes astreintes à résider dans des établissements surveillés, la transmission immédiate, sous enveloppe close, des lettres qu'ils adressent à l'Ombudsman. Il arrive que les précautions soient poussées jusqu'à prévoir pour ces plis le bénéfice de la dispense d'affranchissement. On attend de ces mesures un effet psychologique. Elles sont destinées à procurer aux intéressés un sentiment de sécurité en les assurant que leur correspondance avec l'Ombudsman sera remise directement à l'abri de toute censure et que, par conséquent, ils ne risqueront pas de représailles de la part des autorités de l'établissement.

Outre les conditions relatives à l'auteur de la requête, certaines conditions touchant la requête elle-même sont très généralement posées. L'absence de formalisme constitue, assurément, l'un des principaux intérêts de l'institution. Le respect d'un minimum de règles n'en demeure pas moins légitimement exigible. Presque partout les statuts envisagent la présentation de la réclamation sous la forme d'un écrit, accompagné de l'indication du nom et de l'adresse du requérant, et dûment signé. Cette dernière condition permet d'écarter purement et simplement les dénonciations anonymes, à moins que l'Ombudsman, faisant usage de son pouvoir d'action d'office, ne décide d'exploiter pour son propre compte certaines informations parvenues jusqu'à lui de cette manière. Parfois, l'exigence d'un écrit n'est pas considérée comme faisant obstacle à l'examen d'une plainte déposée oralement. Ainsi, en Suède et en Finlande, bien qu'aucun texte ne mentionne cette possibilité, les intéressés peuvent à leur gré rendre visite à l'Ombudsman pour lui exposer leur cas ou lui fournir leurs explications verbalement. A cet effet, périodiquement, ses bureaux sont officiellement ouverts au public à certaines heures. Aux Etats-Unis il a été jugé opportun d'abandonner à l'Ombudsman lui-même le soin de définir les formes de sa saisine. Aux Hawaï et au Nébraska, par exemple, il accepte d'être averti par simple appel téléphonique, Parfois, le plaignant est invité à joindre à sa lettre toutes les pièces probantes en sa possession. Il est toujours dispensé, bien entendu, du ministère d'avocat. Mais, s'il n'est pas tenu de se faire assister, il peut, dans certains pays, être représenté. Ainsi, en Grande-Bretagne, en cas de décès ou d'incapacité, la réclamation peut valablement être rédigée en son nom par un membre de sa famille ou par un tiers qualifié. La gratuité du recours est généralement considérée comme un de ses caractères essentiels, destiné à le faire préférer aux recours juridictionnels, toujours onéreux. La loi britannique va jusqu'à prévoir pour le Commissaire de faculté d'allouer au requérant (comme aux témoins cités) une indemnité destinée à compenser les frais occasionnés par ses démarches et le temps perdu à les poursuivre. La loi néo-zélandaise est la seule à avoir prévu l'acquittement d'un droit, léger il est vrai (1 £ en devises de Nouvelle-Zélande, c'est-à-dire approximativement 12 F). On a pensé décourager ainsi les quémandeurs dépourvus de sérieux. Le Commissaire peut d'ailleurs en exonérer les plaignants dignes d'intérêt et il n'est pas rare qu'il le fasse.

En dehors des conditions de forme proprement dites il est souvent exigé, pour que la réclamation soit recevable, qu'elle fasse apparaître un intérêt personnel du réclamant au règlement du litige. Dans les deux premières versions de l'institution, aucune condition de cet ordre ne devait logiquement être posée. En Suède et en Finlande, en effet, les procureurs du Parlement doivent, ès qualité, pouvoir être éclairés par n'importe quelles dénonciations, fût-elle simplement motivée par le souci de l'intérêt général. Lors de la transplantation de l'Ombudsman au Danemark, cette formule libérale parut mériter d'être retenue. En fait, malgré tout, l'Ombudsmand hésite à déclencher une procédure lorsqu'il appert que l'intéressé n'est pas directement concerné par l'affaire. En Norvège, le législateur crut bon d'introduire l'exigence d'un intérêt à agir. Cette exigence se retrouve dans la plupart des lois postérieures (Nouvelle-Zélande, Canada, Etats-Unis, Australie, Israël). En Grande-Bretagne, l'Act déclare que le requérant doit se plaindre d'avoir été victime d'une injustice imputable à un fait de maladministration.

En Suède et en Finlande, l'exercice du recours n'est pas davantage subordonné à des conditions de délai. Cette exigence est cependant de nature à faciliter le rejet, sans autre justification, des dossiers trop anciens. C'est pourquoi elle fut introduite au Danemark. La plupart des pays suivirent ensuite l'exemple du Danemark. Le délai fixé est généralement de douze mois. Il court, selon les pays, soit à compter de la date de l'acte administratif incriminé (Danemark, Norvège), soit à compter de celle où l'intéressé a eu connaissance de cet acte (Nouvelle-Zélande, Grande-Bretagne, Canada, Australie). Au Danemark et en Norvège, les démarches administratives entreprises auprès de l'autorité supérieure interrompent le délai, lequel recommence à courir à compter de la date de la réponse obtenue. Aux Etats-Unis, la durée du délai n'est pas déterminée, le législateur ayant préféré laisser l'Ombudsman libre de décider dans chaque cas si une plainte lui paraît concerner des faits trop anciens pour mériter intervention. D'ailleurs, dans aucun des pays où l'exigence a été posée (sauf en Grande-Bretagne) l'expiration du délai ne constitue une fin de non-recevoir absolue. Rien n'empêche en effet l'Ombudsman de faire usage du pouvoir d'action d'office qui lui est très généralement reconnu et de donner suite, s'il le juge bon, proprio motu, à une réclamation présentée hors délai.

Dans la plupart des pays, en effet, l'exercice par l'Ombudsman ou le Commissaire de son pouvoir d'enquête n'est pas exclusivement subordonné à sa saisine par une réclamation. Presque partout il a le droit d'intervenir également, le cas échéant, de sa propre initiative. En Suède et en Finlande, il allait de soi que les procureurs du Parlement pussent déclencher l'action publique. En pratique, sans aller nécessairement jusqu'à entamer des poursuites, ils sont souvent incités à s'intéresser à des affaires au sujet desquelles leur attention a été attirée, par exemple, par des articles parus dans la presse. L'Ombudsmand danois fut lui aussi investi d'un pouvoir d'action d'office. A sa suite, tous les autres Ombudsmans ou Commissaires furent dotés de la même prérogative (Norvège, Nouvelle-Zélande, Canada, Etats-Unis, Australie). Une seule exception à cette règle générale peut être citée : le Parliamentary Commissioner britannique, à la différence de tous ses homologues, se voit interdire la possibilité de procéder à des enquêtes de son propre mouvement. L'Act a consacré cette lacune en dépit des recommandations du rapport Whyatt, selon lesquelles pareil pouvoir aurait été de nature à permettre au Commissaire " de mieux remplir son rôle constructif de garant de l'équité et de l'efficacité de l'action administrative ".

La réclamation et l'action d'office représentent les deux modes de saisine de droit commun, en quelque sorte, de l'Ombudsman. Dans quelques pays, d'autres modes de saisine ont été imaginés qui viennent s'ajouter aux deux premiers. C'est ainsi qu'en Nouvelle-Zélande, les Commissions du Parlement ont la faculté de transmettre au Commissaire, pour enquête et compte rendu, les pétitions qui leur ont été adressées. Dans cette hypothèse, celui-ci effectue des recherches, dans les limites de sa compétence et, le cas échéant, selon les directives particulières de la Commission, puis présente à cette dernière un rapport sur l'affaire. La saisine par le biais de la transmission des pétitions a été également introduite dans toutes les provinces du Canada (sauf au Québec). En Australie occidentale, le Commissaire peut être chargé, par une Chambre ou par une Commission, d'enquêter, non seulement à propos d'une pétition, mais sur n'importe quelle affaire.

Semblable procédure n'a pas été jugée incompatible avec l'indépendance qui caractérise le statut du Commissaire. Dans les Etats nordiques, au contraire, cette indépendance a semblé devoir s'opposer radicalement à ce que le Parlement ait le pouvoir d'adresser à l'Ombudsman des directives d'enquête particulières. Il n'a que le droit de fixer, dans une instruction, les modalités permanentes d'exercice de ses attributions.

Au Manitoba, l'Ombudsman peut être chargé de toutes enquêtes, non seulement par l'Assemblée, mais même par le Lieutenant-Gouverneur en Conseil. On est loin de l'esprit de l'institution scandinave.

L'EXPERIENCE DE L'ARTICLE 6

L'article 6 de la loi ne fixe pas seulement, à l'alinéa 2, les modalités de la saisine du Médiateur : le premier alinéa avait auparavant défini sa compétence ratione personae en ce qui concerne le demandeur.

LA QUALITE DU RECLAMANT

L'alinéa premier de l'article 6 ouvre l'accès au Médiateur, sans restriction aucune, à toutes les " personnes physiques ", c'est-à-dire à tous les individus, quels que soient leur statut civique, leur nationalité, le lieu de leur résidence, qui estiment avoir à se plaindre du fonctionnement d'un service public (il faut naturellement ajouter : d'un service public français).

Ainsi, un ressortissant étranger qui, au cours d'un séjour en France ou à raison d'un bien situé en France aura rencontré des difficultés auprès de l'administration française, pourra adresser au Médiateur une réclamation recevable : deux ressortissants canadiens se sont trouvés dans ce cas.

Bien que la loi et ses travaux préparatoires soient muets à cet égard, il devrait, semble-t-il, en être de même de l'étranger qui se prétendrait en litige avec un service français fonctionnant à l'étranger : rien en tout cas ne l'interdit formellement.

Mais il faut que le réclamant soit une personne physique, ce qui paraît exclure, non pas seulement les institutions dotées du statut juridique complet de la " personne morale ", mais, plus généralement, tout ce qui " n'est pas personne physique " : donc les sociétés commerciales et les associations placées sous le régime de la loi de 1901, mais aussi tous les groupements d'intérêts quelconques, quelle que soit la forme de leur représentation.

Les réclamations n'émanant pas d'une personne physique - ou plus exactement ne tendant pas à la défense exclusive des intérêts d'une personne physique - ont été nombreuses, et dans la plupart des cas déclarées irrecevables.

Dans la plupart des cas seulement, car, comme on l'a déjà signalé, le Médiateur a considéré, dès son entrée en fonctions, que lorsque l'auteur de la réclamation était lui-même concerné par la situation collective qu'il dénonçait, sa demande pourrait être admise.

Ces tempéraments à l'exclusion légale ont été apportés, non seulement à l'occasion de réclamations émanant de représentants d'associations (n° 301, notamment : association pour la défense des intérêts de copropriétaires d'immeubles d'un département), mais encore à propos de demandes formées par des dirigeants de sociétés commerciales (n° 242, notamment : gérant d'une S.A.R.L.), dès lors qu'il apparaissait que ces dirigeants étaient intéressés, sur leurs biens personnels, au règlement des difficultés sociales qu'ils exposaient.

Il n'appartient évidemment pas au Médiateur d'apprécier la restriction de sa compétence, voulue par le législateur, aux réclamations émanant de " personnes physiques ". Mais, outre les nécessaires tempéraments dont il vient d'être question, il faut bien observer que le fond des réclamations dirigées contre le fonctionnement de nos services publics n'entretient a priori aucun rapport logique avec la qualité de la personne qui les formule. Aussi peut-il paraître paradoxal que tel problème de fiscalité, par exemple, entre dans la compétence du Médiateur si c'est un particulier qui le soulève, mais lui échappe en principe s'il est évoqué à propos des difficultés d'une société.

L'observation vaut d'ailleurs pour toutes les conditions de recevabilité posées par la loi : le fond se soucie peu de la forme ". Et l'on aperçoit là le principal motif qui a poussé le Médiateur à développer ses " demandes d'information " à propos de réclamations légalement irrecevables : si son rôle est d'améliorer les rapports entre l'administration et les administrés, il ne peut se désintéresser, ni de l'extension collective des situations individuelles, ni des problèmes généraux qui se profilent derrière leur exposé ; et si ce supplément de " compétence " lui est accordé, il ne peut - il n'a pu - l'exercer que par le moyen d'un mode spécial d'intervention, lui permettant de prendre connaissance de l'état d'une réglementation et de son amélioration possible, mais impliquant le rappel à l'intervenant du caractère légalement irrecevable de sa réclamation.

LA PROCEDURE DE SAISINE

Il n'appartient pas au Médiateur de porter un jugement critique sur les principes du mécanisme de saisine auquel s'est arrêté le législateur.

Tout au plus peut-il faire observer, à propos du fonctionnement de ce mécanisme, que dans de nombreux cas, l'expérience a montré qu'il était difficile aux parlementaires de procéder à cette instruction préliminaire de la réclamation, du point de vue de la compétence et de l'intérêt de la question soulevée, que la dernière phrase de l'article 6 met à leur charge.

Il peut noter d'autre part qu'aussi " informelle " qu'ait été voulue la procédure de saisine du Médiateur, encore la réclamation doit-elle, pour être recevable, satisfaire à deux conditions :

- elle doit porter la signature du réclamant l'expérience a montré que cette exigence, pourtant modeste, n'était pas satisfaite dans certains cas ;

- le réclamant doit y demander expressément que l'affaire qu'il expose soit soumise au Médiateur : cela résulte de la rédaction même de l'article 6 de la loi.

Là encore, l'expérience a fourni des exemples où, faute de cette manifestation de volonté explicite, la recevabilité de la demande était d'appréciation délicate.

Sous ces réserves, la forme de la réclamation est absolument libre - tout comme le choix du parlementaire chargé de sa transmission éventuelle : contrairement à ce que trop d'administrés ont cru, il n'est nullement indispensable de s'adresser à un parlementaire de sa circonscription.

L'ARTICLE 7 :

nécessité des démarches préalables ; l'appel au Médiateur et l'exercice des voies de recours traditionnelles.

1. L'article 7 dispose, d'une part, que la réclamation faite au Médiateur doit avoir été précédée des démarches nécessaires auprès des administrations intéressées.

En précisant, d'autre part, que cette réclamation n'interrompt pas les délais des recours ouverts à l'intéressé, " notamment devant les juridictions compétentes ", il écarte la fin de non-recevoir susceptible d'être tirée de l'existence de ces voies de recours, gracieux ou contentieux.

2. La loi française, en obligeant le requérant à ne saisir le Médiateur qu'après avoir tenté des " démarches " préalables auprès des administrations intéressées, reproduit, en en atténuant toutefois la rigueur, une règle très généralement admise à l'étranger. L'appel aux bons offices de l'Ombudsman ne constitue pas une voie de recours ordinaire, qui se situerait sur le même plan que les autres, l'administré étant laissé maître de choisir librement le remède à ses yeux le plus approprié. Le caractère fondamental de ce recours est d'être un recours subsidiaire. Il appartient donc à l'Ombudsman de veiller à ce que l'examen des causes litigieuses suive d'abord leur cours régulier. Il n'a d'ailleurs qu'avantage, en vue d'éviter l'encombrement de sa barre, à inciter les plaideurs à emprunter les canaux de droit commun. Le recours administratif, par lequel l'administré s'adresse au supérieur hiérarchique de l'auteur de la décision critiquée, paraît à ce point appartenir à l'ordre naturel des choses que, dans bon nombre de pays, il est considéré comme étant ouvert même sans textes.

Il arrive néanmoins fréquemment que les particuliers n'utilisent point cette possibilité d'appel. Ils défèrent souvent des mesures prises par des fonctionnaires inférieurs au contrôle direct de l'Ombudsman. Le phénomène avait été observé en Suède et l'Ombudsman y avait pris l'habitude, en pareilles hypothèses, soit de répondre au requérant en lui indiquant la possibilité dont il disposait d'en appeler à l'autorité supérieure, soit de renvoyer lui-même la plainte, directement, à l'autorité administrative compétente. Cette pratique fut codifiée en 1967 et assortie de la réaffirmation expresse du pouvoir discrétionnaire de l'Ombudsman de décider le classement pur et simple des affaires " dépourvues d'intérêt d'un point de vue public ou privé ". Il s'ensuit qu'aucune condition de recours hiérarchique préalable n'est, en définitive, posée. Quand une affaire peut être examinée par une autre autorité, l'Ombudsman, en effet, est tenu de la renvoyer à cette dernière. Mais il n'a jamais l'obligation d'entreprendre l'examen d'une affaire au fond et il peut toujours, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, rejeter les dossiers qu'il juge insignifiants.

Au Danemark, au contraire, la nécessité d'un recours hiérarchique préalable fut expressément édictée. D'après le texte de la loi " une plainte concernant des décisions qui peuvent être changées par une autorité administrative supérieure ne peut être portée devant l'Ombudsmand avant que cette autorité ait pris une décision dans l'affaire ". Toutefois, en cas de non-recours devant l'autorité supérieure, l'Ombudsmand n'est nullement tenu, pour ce seul motif, au rejet systématique de la requête. Rien ne l'empêche d'user de son pouvoir d'action d'office pour ouvrir, s'il le veut, une instruction. En Norvège, le système danois a été repris et complété. Lorsqu'un recours hiérarchique existe et n'a pas été épuisé, l'Ombudsmann rejette la requête. Il peut cependant, lui aussi, exceptionnellement, prendre, de sa propre initiative, la décision inverse, s'il a de bonnes raisons de penser qu'une intervention immédiate s'impose, ou si les circonstances l'incitent à venir en aide à un requérant privé de recours administratif pour cause de forclusion. Les textes norvégiens ne se contentent pas, au demeurant, d'affirmer la nécessité d'un recours hiérarchique préalable. Ils envisagent, en outre, la solution de quelques unes des difficultés que l'application de la règle ne saurait manquer de faire apparaître. Au nombre de celles-ci figure la question de savoir jusqu'à quel échelon de la hiérarchie administrative le recours devra être porté pour ouvrir droit à la saisine de l'Ombudsman. Faudra-t-il que le requérant remonte la filière hiérarchique jusqu'à l'autorité administrative suprême ? Se contentera-t-on au contraire de démarches moins poussées ? Afin de parer à tout risque d'incertitude sur ce point, les statuts précisent que l'obligation de recours préalable vise tous les appels à l'autorité supérieure, à l'exception du recours au Roi. Dans la plupart des cas, cela signifie que l'affaire devra être parvenue jusqu'au niveau du Ministère.

Les exemples suédois et dano-norvégien montrent que pouvoir discrétionnaire de rejet et pouvoir d'action d'office sont, en la matière, étroitement liés. Dans le premier cas, la latitude dont bénéficie l'Ombudsman lui permet d'écarter les réclamations dont il estime qu'elles ne méritent pas son intervention. Dans le second cas, cette latitude joue, en quelque sorte, en sens inverse. Elle l'autorise à décider d'examiner les réclamations qui, nonobstant leur irrecevabilité, retiennent son attention. Dans le système dano-norvégien, la loi détermine des conditions de recevabilité des plaintes. Dans le système suédois, ce soin est laissé à l'Ombudsman lui-même. Il n'y a pas lien, cependant, d'exagérer la dissemblance des deux mécanismes. Les résultats pratiques de l'un et de l'autre se confondent. La plupart des adaptations subséquentes de l'Ombudsman réalisées hors de Scandinavie, le démontrent, puisqu'elles ont retenu à la fois la formule danoise et la formule suédoise. Des critères de recevabilité ont été énumérés dans les lois, facilitant, pour l'Ombudsman, la motivation de ses rejets. Simultanément un pouvoir d'action d'office lui a été reconnu, afin de lui permettre de tempérer dans certains cas d'espèce les inconvénients d'un formalisme trop rigide. Et, de surcroît, un pouvoir discrétionnaire de rejet lui a été en outre attribué, en vue de l'autoriser à s'épargner certaines pertes de temps.

C'est ainsi qu'en Nouvelle-Zélande il est loisible au Commissaire de refuser d'ouvrir ou de poursuivre une enquête dans les hypothèses suivantes : existence d'un recours adéquat autre que le droit d'adresser une pétition au Parlement ; expiration du délai de douze mois fixé pour sa saisine ; caractère insignifiant ou injurieux de la requête ou mauvaise foi du requérant ; absence d'intérêt suffisant pour agir. D'une manière générale, pouvoir discrétionnaire lui est en outre reconnu de décider d'interrompre ses investigations quand l'examen des circonstances de l'affaire révèle l'inutilité de plus amples recherches. La plupart des lois canadiennes, australiennes, américaines contiennent des dispositions semblables. Ces articles ont pour but d'affranchir l'Ombudsman de l'obligation d'instruire toutes les affaires portées devant lui, soit afin d'alléger son rôle, soit pour tenir compte de l'inutilité évidente de certaines plaintes. Les énumérations données par les lois l'autorisent à décider le rejet, sans pour autant l'y contraindre ni l'empêcher de choisir le parti contraire. Ce système paraît à première vue se confondre avec le système danois. Il semble cependant que l'on puisse déceler, entre l'un et l'autre, une légère différence. Au Danemark et en Norvège, le texte énonce des causes d'irrecevabilité : ce n'est qu'exceptionnellement que l'Ombudsman y dérogera. En Nouvelle-Zélande, au Canada, en Australie, aux Etats-Unis, des motifs de rejet sont proposés, mais l'Ombudsman a pouvoir discrétionnaire d'apprécier dans chaque cas l'opportunité d'en faire état. Il n'y a là qu'une nuance. Elle n'en indique pas moins la volonté de conférer à l'Ombudsman une latitude encore plus grande.

L'existence d'un recours administratif non utilisé figure généralement (mais pas toujours) dans ces listes. On peut donc supposer que, normalement, ]'Ombudsman indiquera au plaignant la voie à suivre. Mais s'il arrive que des remèdes théoriquement disponibles se révèlent, pour certains, pratiquement inutilisables - en raison de leur lenteur, par exemple -, il pourra tenir compte de ces situations individuelles.

En Grande-Bretagne, la loi est muette en ce qui concerne les recours hiérarchiques. Le Commissaire jouit d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier la recevabilité des requêtes. Le recours n'a pas d'effet suspensif et n'oblige pas l'administration à interrompre son action dans l'affaire.

3. Les travaux préparatoires de la loi montrent qu'en stipulant que la réclamation faite au Médiateur n'interrompt pas les délais de recours, " notamment devant les juridictions compétentes ", les rédacteurs de l'article 7 ont entendu viser, non seulement les recours contentieux, mais aussi les recours administratifs hiérarchiques et gracieux ouverts à l'administré : l'emploi de l'adverbe " notamment " n'a pas d'autre explication.

Cela signifie que si la saisine du Médiateur n'a pas été précédée d'une démarche pouvant être assimilée à un recours administratif gracieux ou hiérarchique, l'intéressé devra, s'il entend conserver le délai qui lui est ouvert au contentieux, former ce recours administratif dans les deux mois - en général - de la décision qu'il incrimine ; et cela implique, ipso facto, que la démarche préalable puisse dans certains cas ne pas consister dans un véritable recours administratif, hiérarchique, Ou même gracieux.

Le caractère informel de la procédure devant le Médiateur, sur lequel il a été plusieurs fois insisté au cours de la discussion du projet de loi conduit d'ailleurs à considérer qu'en employant le mot " démarches ", le législateur avait en vue n'importe quelle manifestation de l'administré auprès de l'organisme dont il critique le fonctionnement, à la condition, évidente, que cet organisme ait été invité par cette manifestation à prendre position sur l'affaire.

Il ne s'agit donc pas nécessairement d'un recours gracieux, et encore moins d'un recours hiérarchique.

Cette conception large, mais conforme à la loi et à ses travaux préparatoires, de la notion de " démarche nécessaire ", a été mise en oeuvre par le Médiateur avec beaucoup de suite dans le cours de sa première année d'activité.

Il est cependant deux domaines du service public la fiscalité, et l'action des organismes de Sécurité sociale, où un correctif a dû lui être apporté.

Dans ces deux domaines, en effet, le recours administratif ouvert aux administrés a fait l'objet d'une réglementation détaillée, précisant les personnes ou organismes auxquels doit s'adresser le recours, et fixant les délais dans lesquels ils doivent répondre, avant que s'ouvre la voie du recours contentieux.

En matière de fiscalité, la loi du 27 décembre 1963 impose au contribuable qui entend contester la créance du Trésor d'adresser sa réclamation au directeur des Impôts dont dépend le lieu d'imposition ou au directeur du lieu de la situation des biens dont la valeur vénale serait en cause.

En matière de Sécurité sociale, chaque organisme est doté d'une commission de recours gracieux compétente pour examiner les réclamations et ouvrir ensuite, éventuellement, par sa décision, la voie de l'action contentieuse.

Il apparaissait dès lors difficile au Médiateur d'intervenir avant que le premier fonctionnaire ou le premier organisme prévu dans ces réglementations du recours administratif ait été lui-même mis en mesure d'intervenir : agir autrement - et le Ministère de l'Economie et des Finances le lui a fait remarquer - conduisait à soumettre à l'autorité compétente des affaires à propos desquelles on ne pouvait soutenir que l'administration ait réellement pris position, et dont les éléments d'instruction s'avéraient de ce fait insuffisants.

Aussi libérale qu'ait été l'interprétation par le Médiateur de l'alinéa premier de l'article 7, un certain nombre de réclamants se sont vu opposer l'" irrecevabilité provisoire " prévue par cette disposition.

Dans chaque cas, le Médiateur a naturellement pris soin de préciser à l'intervenant que l'instruction de l'affaire pourrait être reprise lorsque les démarches nécessaires auraient été accomplies.


3. LES POUVOIRS DU MEDIATEUR


1. Pour l'accomplissement de sa mission, la loi a doté le Médiateur d'un certain nombre de pouvoirs :

- Ses pouvoirs d'investigation sont étendus ; il a, notamment, le droit d'interroger, ou même de convoquer les agents mis en cause ; celui de se faire communiquer les documents ou dossiers nécessaires à ses enquêtes - sauf exceptions fondées sur le caractère secret ou confidentiel de ces pièces, en matière de secret concernant la défense nationale, de sûreté de l'Etat, ou de politique extérieure (art. 12 et 13).

- Son enquête peut se conclure par une recommandation adressée à l'autorité responsable de l'organisme mis en cause, où celle-ci sera invitée, soit à régler dans le sens proposé les difficultés de l'espèce, soit à prendre des dispositions tendant à améliorer le fonctionnement du service concerné (art. 9).

- A défaut de réponse satisfaisante, il peut rendre ses recommandations publiques, sous la forme d'un rapport spécial, publié et présenté dans les mêmes conditions que son rapport annuel d'activité (art. 9, renvoyant à l'art. 14) : il dispose donc de ce qu'on peut appeler un large " pouvoir de publicité ".

- Dans l'exercice de son pouvoir d'investigation, il peut d'ailleurs faire appel à des aides extérieures importantes (art. 13), dont il sera question au paragraphe consacré aux moyens du Médiateur (cf. ci-après, 4).

2. L'article 9 confère au Médiateur le pouvoir dont tous les Ombudsmans sont investis et qui constitue l'une des caractéristiques essentielles de l'institution, à savoir le pouvoir de critiquer ou de conseiller. Il ne saurait, en effet, décider il ne peut que suggérer. Il ne saurait annuler les actes administratifs, il ne peut que faire connaître son avis à l'administration. Son contrôle diffère en cela fondamentalement du contrôle juridictionnel. Grâce à cela il ne fait pas double emploi avec celui-ci. Ne risquant pas de s'immiscer dans l'administration active, il est libre de pousser son appréciation des comportements administratifs bien au-delà de ce qu'autorise un contrôle de légalité, même très largement interprété, et il lui est loisible, le cas échéant, de se prononcer en équité.

Le simple pouvoir d'incitation comporte encore l'avantage de permettre la formulation d'opinions dont la portée ne soit pas limitée au cercle des parties au litige. Le législateur français a habilité le Médiateur à faire non seulement des recommandations de nature à régler les cas d'espèce qui lui sont soumis, mais aussi des propositions tendant à améliorer le fonctionnement des services.

La faiblesse de semblables suggestions, juridiquement dépourvues de force obligatoire à l'égard de leurs destinataires, réside dans le risque qu'elles encourent de ne pas être entendues. Afin d'éviter qu'elles demeurent des protestations platoniques, la loi pourvoit le Médiateur de moyens d'action complémentaires revêtus d'une certaine puissance coercitive. Ces moyens sont de deux ordres. Le premier est l'appel à l'opinion publique. Obligation est faite à l'administration d'informer le Médiateur de la suite donnée à ses interventions et, si celui-ci n'est pas satisfait, il peut rendre publiques ses recommandations sous la forme d'un rapport spécial. Le second moyen coercitif est envisagé par l'article 10. Il consiste en la possibilité qui lui est donnée, en cas de carence de l'autorité compétente, de se substituer à celle-ci en vue d'engager contre un agent responsable une procédure disciplinaire. Ce pouvoir est complété par la faculté, le cas échéant, de déposer une plainte au parquet, en vue d'une action répressive.

Le pouvoir de recommandation est un des éléments constitutifs essentiels de la définition de l'institution. Il est l'arme normale de tout Ombudsman. Il y a lieu de se demander comment a pu naître et se développer la conception de ce contrôle exercé par persuasion.

On sait qu'en Suède et en Finlande, pays dans lesquels l'institution est enracinée depuis le plus grand nombre d'années, l'Ombudsman présente un caractère spécifique : celui d'être un procureur du Parlement. Par son statut et par ses pouvoirs, il s'apparente au Procureur de la Russie soviétique et des pays de l'Est européen. La qualité d'accusateurs publics, qui distingue les justitie-ombudsmän suédois et finlandais de toutes leurs imitations subséquentes, s'explique par l'existence, dans les deux pays, pour des raisons tenant à l'histoire commune de l'un et de l'autre, d'un régime très particulier de responsabilité personnelle des agents publics. A partir du XVIIe siècle, en effet, les serviteurs de la Couronne furent soumis à une rigoureuse responsabilité pénale, liée à l'attribution de la qualification de " délit de fonction " à toute faute ou négligence commise dans le service. La géographie et le climat de ces contrées permettent de comprendre une sévérité, à première vue surprenante chez des peuples aussi réfractaires à la tyrannie. La plupart des agents royaux exerçaient leurs activités dans des localités très éloignées de la capitale, dont l'accès était toujours malaisé et qui souvent, l'hiver se trouvaient complètement isolées. Les difficultés de transmission empêchant le pouvoir central d'imposer ses ordres, ces officiers jouissaient d'une indépendance de fait considérable, Une stricte responsabilité, mise en jeu a posteriori, était donc indispensable pour pallier l'absence de subordination hiérarchique effective. Le système juridique de la Suède fut conservé par la Finlande, après sa sécession, intervenue en 1809. Encore de nos jours, la responsabilité de fonctions caractérise le droit administratif des deux pays. Elle y remplit le rôle, on l'a déjà dit, de critère de la compétence des Ombudsmans.

Un siècle et demi de jurisprudence permit aux justitie-ombudsmän suédois de développer les pouvoirs qu'on leur connaît aujourd'hui et que l'étranger leur a empruntés " Au lendemain de sa création le justitie-ombudsman ne disposait que du pouvoir normalement attribué à un magistrat du ministère public : celui d'entamer des poursuites contre les auteurs présumés d'infractions aux lois et règlements. Il apparut toutefois rapidement que le déclenchement d'une action publique, quelque extensive que fût l'interprétation donnée à la notion de " faute de service ", ne pouvait intervenir que dans les affaires présentant un degré minimum de gravité. Aussi les justitie-ombudsmän prirent-ils l'habitude, sans qu'aucun texte les y invitât, de se contenter, lorsqu'ils entendaient censurer une négligence mineure, d'adresser au fonctionnaire intéressé une simple admonestation ou " avertissement ". Au milieu du XIXe siècle, la pratique de ces critiques dépourvues de sanction était bien établie. A une époque plus récente, franchissant une troisième étape, les Ombudsmans suédois achevèrent de diversifier leurs moyens d'action en se reconnaissant le droit d'adresser aux services des recommandations et des directives dépourvues de caractère réprobateur. Ils s'appuyèrent, pour s'arroger cette faculté, sur le raisonnement suivant : Afin de déterminer si les agissements d'un agent constituent ou non une faute passible de sanction, tout procureur, soutinrent-ils, doit préalablement interpréter la loi ; or, lorsqu'il a été procédé à semblable interprétation et que celle-ci n'a pas mis en évidence l'existence d'une faute, rien ne s'oppose à ce qu'elle soit néanmoins publiée ; le justitie-ombudsman fera donc connaître sa façon de voir, étant donné que son travail d'exégèse pourra utilement servir de référence dans tous les cas analogues. La possibilité de donner des " interprétations de la loi " a été largement utilisée au XXe siècle. Elle a puissamment contribué à conférer à l'institution suédoise sa signification moderne. Le justitie-ombudsman finlandais, créé en 1919 et calqué sur son prédécesseur, possède lui aussi les trois pouvoirs d'intenter des poursuites, de signifier des avertissements et de formuler des recommandations.

Lorsque le Danemark décida, à son tour, en 1953, d'adopter l'institution, il ne retint de celle-ci que les éléments aisément transposables dans son ordre juridique. Le droit public danois ignore la responsabilité de fonctions sui generis qui pèse sur les fonctionnaires suédois et finlandais. Héritière d'une longue tradition de monarchie absolue, l'administration danoise présente une structure hiérarchisée comparable à celle de toutes les administrations du continent européen. Il ne pouvait être question, dans ces conditions, de conférer à l'Ombudsmand la qualité de procureur, que seul le milieu juridique à part dans lequel avaient grandi ses deux prédécesseurs justifiait. Aussi lui attribua-t-on comme moyen d'action normal celui dont les justitie-ombudsmän s'étaient pourvus au fil des années : le pouvoir de " présenter à la personne en cause sa manière de voir l'affaire ". Cependant, il ne parut pas inutile de renforcer la magistrature morale que ce faisant l'on instituait et de mettre à cette fin à la disposition de l'Ombudsmand certains moyens coercitifs, de nature à accroître le poids de ses sentences dans les cas graves. Sans aller jusqu'à l'investir des prérogatives des membres du parquet, comme en Suède et en Finlande, on lui conféra un pouvoir d'injonction, d'une part vis-à-vis du ministère public, en vue d'une action répressive devant les juridictions compétentes, d'autre part vis-à-vis de l'autorité hiérarchique, en vue de l'ouverture d'une procédure disciplinaire.

La version danoise devait faire recette auprès de tous les autres pays. Encore n'en retint-on le plus souvent, pour en doter les nouvelles générations d'Ombudsmans, que le seul pouvoir de recommandation. Le pouvoir d'injonction en matière pénale et disciplinaire ne suscita pas l'intérêt de manière aussi unanime. Ainsi, en Norvège, l'Ombudsmann a seulement le droit " d'exprimer son opinion sur les faits relevant de sa compétence ".

En Nouvelle-Zélande, la loi de 1962 envisage deux situations : d'une part, lorsque, après enquête, une réclamation se révèle justifiée, le Commissaire doit faire connaître son avis à l'administration intéressée et il peut, en outre, lui faire les recommandations appropriées ; d'autre part, si, en cours d'enquête, un fonctionnaire est convaincu de prévarication, il doit transmettre l'affaire à l'autorité compétente. Le Commissaire ne possède donc en propre que le pouvoir de recommandation. L'obligation qui pèse sur lui de se dessaisir le cas échéant, au profit de l'autorité répressive ou disciplinaire, ne saurait être confondue avec la faculté qu'a, en pareilles hypothèses, l'Ombudsmand danois d'adresser des injonctions au parquet ou à l'administration. Seule cette dernière peut-être considérée comme un véritable pouvoir. Néanmoins, la formule néo-zélandaise se retrouve dans la plupart des provinces du Canada (Alberta, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Ecosse, Saskatchewan), aux Etats-Unis et en Australie.

En Grande-Bretagne et dans les autres provinces du Canada (Manitoba, Québec), la possibilité de saisir l'organe habilité à mener des poursuites n'est pas prévue. Il parut sans doute superflu d'instituer un pouvoir qui n'en est pas un, étant donné que le fait de déférer une cause à l'autorité compétente laisse celle-ci maîtresse de l'opportunité d'ouvrir une procédure.

En revanche, la comparaison des législations montre que le pouvoir de recommandation est d'une manière très générale assorti de la possibilité de recourir en dernier ressort à l'arbitrage de l'opinion, par la publication d'un rapport spécial. Il s'agit là en effet d'un complément logique de ce pouvoir, plutôt que d'un moyen d'action autonome. Une sorte de dialogue est instituée entre l'Ombudsman et l'administration. Cet échange de demandes et des réponses s'établit, d'abord, au cours de l'enquête. Il est susceptible de se poursuivre après la clôture de celle-ci, dans l'hypothèse où l'administration, malgré un blâme, persévérerait dans ses errements. En pareil cas, grâce au rapport spécial, l'Ombudsman est assuré d'avoir le dernier mot.

En Suède, à vrai dire, les choses se présentent un peu différemment. Depuis l'origine, le justitie-ombudsman a été investi de pouvoirs coercitifs puissants. En outre, il a été doté, également dès sa création, d'un pouvoir d'initiative en matière législative. A côté de sa mission de contrôle de l'application des lois, un rôle lui a été attribué dans l'élaboration même de ces lois. Contemporains du siècle des lumières, les constituants se fondaient sur la croyance en l'excellence d'une impulsion législative, qui ne provint pas uniquement des autorités constituées, niais qui émanât aussi d'une opinion publique éclairée, dont le justitie-ombudsman alerté par les doléances des assujettis aux lois, aurait été le porte-parole naturel. En réalité, depuis cent cinquante ans, l'activité de contrôle du justitie-ombudsman l'a emporté de beaucoup sur sa contribution au travail législatif. Il n'en conserve pas moins le droit, encore de nos jours, de faire en cours d'année, presque toujours au Gouvernement, rarement au Parlement, toutes propositions d'amélioration aux lois et règlements. Ses rapports spéciaux ont donc normalement pour objet l'exposé de questions d'intérêt général. Parfois, cependant, le justitie-ombudsman utilise également la procédure de rapport spécial au Gouvernement clans le but d'obtenir de celui-ci une décision d'indemnisation au profit d'un particulier lésé.

Au Danemark, le pouvoir de recommandation constitue le moyen d'action principal de l'Ombudsmand. La loi autorise simultanément ce dernier à adresser des rapports spéciaux au Parlement ou au Ministre compétent, dans deux hypothèses : soit, en vue d'informer les Pouvoirs publics de fautes ou de négligences graves dont il aurait connaissance ; soit, dans le but d'attirer leur attention sur les lacunes qu'il remarquerait dans les textes en vigueur. Dans la pratique, l'Ombudsmand rédige, à l'occasion, des rapports spéciaux, tantôt pour forcer la main à une autorité réticente dans les affaires qui lui tiennent à coeur, tantôt pour signaler des maladresses de rédaction ou des défauts d'administration.

Les lois subséquentes, à l'instar de la loi danoise, firent place à la possibilité pour l'Ombudsman ou le Commissaire de saisir le Gouvernement et le Parlement d'un rapport spécial, conçu comme un moyen, soit d'amener l'administration à résipiscence dans un cas d'espèce, soit de publier des études, dépourvues de lien avec une réclamation particulière, et exposant sur telle ou telle question d'intérêt général ses vues d'amélioration. On trouve des dispositions de cette nature en Nouvelle-Zélande, au Canada, aux Etats-Unis, en Australie. En Grande-Bretagne, le Commissaire parlementaire doit, pour chaque affaire, rendre compte à celui des membres du Parlement qui l'a saisi des résultats de l'enquête. En outre, il lui est loisible de soumettre aux deux Chambres, soit un rapport spécial, lorsqu'il appert qu'une injustice par lui dénoncée n'est pas réparée, soit un rapport ad hoc, lorsqu'il lui semble opportun de faire une communication relative à l'exercice de ses fonctions.

En conférant au Médiateur le moyen d'investigation normal de tout Ombudsman qu'est le droit de prendre connaissance des documents administratifs, l'article 13 pose en même temps la règle, fondamentale, selon laquelle le caractère secret des pièces ne saurait lui être opposé. L'affirmation de ce principe est accompagnée de limitations classiques concernant le secret en matière de Défense nationale, de Sûreté de l'Etat et de politique extérieure. La publicité ainsi donnée aux opérations administratives par l'intermédiaire du Médiateur ne doit cependant pas risquer d'entraîner des atteintes au principe du secret professionnel. C'est à ce souci que répond la disposition figurant au dernier alinéa de l'article, relative à l'obligation pour le Médiateur de ne point laisser transparaître l'identité des personnes impliquées dans les affaires qu'il a instruites.

Ces règles, très importantes, sont parfaitement conformes à l'esprit de l'institution de l'Ombudsman. On en trouve le pendant dans toutes les lois étrangères. Dans la plupart des pays, en effet, la création de la magistrature dont il s'agit a été en grande partie motivée, précisément, par la volonté de combattre les excès du secret administratif.

Le principe du libre accès de l'Ombudsman aux documents, y compris ceux que l'administration classe elle-même dans les catégories confidentielles, est toujours admis. En Grande-Bretagne, en Nouvelle-Zélande, en Australie, les autorités se voient interdire de s'abriter derrière le traditionnel " privilège de la Couronne " pour refuser les communications demandées par le Commissaire. Souvent, comme en Finlande, en Nouvelle-Zélande, au Canada, il est établi que les documents d'ordre interne n'échappent pas à la règle. Parfois, comme en Norvège, les pouvoirs de l'Ombudsman à cet égard sont assimilés à ceux des juges.

L'affirmation du principe est non moins unanimement assortie de restrictions imposées dans l'intérêt général. Au Danemark, l'Ombudsmand doit s'incliner devant l'exception tirée du secret d'Etat. En Nouvelle-Zélande, le Commissaire doit interrompre ses recherches si l'Attorney General déclare que la production d'une pièce risque de nuire à la sécurité du pays ou à ses relations extérieures ou de révéler des décisions que le Cabinet entend soustraire à la publicité. Dans les provinces du Canada et de l'Australie, l'Ombudsman doit également respecter le caractère confidentiel de certains actes du Gouvernement. Au Royaume-Uni, le Commissaire doit renoncer à connaître les délibérations du Cabinet et des Comités ministériels, quelles qu'elles soient. En outre, certaines informations ne lui sont pas refusées, sous réserve qu'il n'en laisse rien transpirer au dehors de son service. Il doit, en effet, déférer à toute interdiction de divulguer un renseignement préjudiciable à la sûreté de l'Etat ou à l'intérêt général que lui notifierait un Ministre.

Des règles protectrices du secret professionnel sont également très généralement prévues. Au Danemark et en Norvège, ce secret lie l'Ombudsman même après la cessation de ses fonctions. Dans tous les pays anglo-saxons, l'obligation de discrétion pèse également sur l'Ombudsman ou le Commissaire ainsi que sur ses adjoints et collaborateurs. En Nouvelle-Zélande, au Canada et en Australie, il est tenu de prêter serment de ne point enfreindre ce devoir. La formule du serment est souvent donnée par l'Act. Presque partout, il est interdit à l'Ombudsman d'identifier les personnes dans ses rapports. Parfois, comme au Danemark, si un agent mis en cause est finalement blanchi, il peut expressément demander à ce que son nom soit cité.

En outre, dans les pays de Common Law, le principe fondamental selon lequel l'enquête est conduite " en privé " est invariablement proclamé. Le secret de l'enquête est la plus efficace des garanties de respect de l'anonymat des fonctionnaires.

C'est aussi un pouvoir commun à tous les Ombudsmans que celui dont bénéficie le Médiateur, en vertu de l'article 14, de publier chaque année dans un rapport le bilan de son activité. En France, ce document est présenté au Président de la République et au Parlement.

Il est rare que le rapport annuel d'un Ombudsman soit présenté à l'exécutif en même temps qu'au législatif. On peut cependant citer des exemples de semblable procédure. Aux Etats-Unis (Hawaï, Nebraska, Iowa), le gouverneur et la législature sont simultanément destinataires du rapport. En Australie méridionale, celui-ci est remis au Gouvernement qui le transmet aux deux Chambres du Parlement.

Dans tous les autres pays, le rapport est présenté uniquement au Parlement, devant lequel l'Ombudsman est responsable. Aux Hawaï, ainsi qu'en Australie occidentale et méridionale, il est adressé à chacune des deux Chambres. Dans les Etats nordiques, en Grande-Bretagne et en Israël, avant d'être approuvé par le Parlement, il est remis pour examen et rapport à l'une de ses commissions spécialisées : première Commission des lois en Suède, Commission des lois constitutionnelles en Finlande, Commission des affaires judiciaires en Norvège, Commission permanente de la Knesset en Israël, Commission de l'Ombudsmand au Danemark, Select Committee on the Parliamentary Commissioner en Angleterre.

Les Commissions parlementaires chargées du contrôle des Ombudsmans scandinaves font, généralement, quelques sondages parmi les affaires relatées dans les rapports et, parfois, expriment des conclusions divergentes. Dans l'ensemble, cependant, ces examens sont quelque peu routiniers. Le select committee créé par la Chambre des Communes, en revanche, exerce sur le Parliamentary Commissioner une surveillance beaucoup plus approfondie et il s'associe beaucoup plus activement à son travail. Le Comité examine systématiquement tous les paragraphes de ses rapports. Il lui demande des explications et lui adresse des critiques ou des encouragements. Bien plus, il questionne également et, le cas échéant, il convoque les fonctionnaires supérieurs des Ministères intéressés. Ses rapports aux Communes, solidement étayés, ont de ce fait un grand poids. Le Comité a puissamment contribué à valoriser le rôle du Commissaire, à promouvoir l'extension de sa sphère d'action et à accroître l'impact de ses recommandations sur le Gouvernement.

Le mode de présentation des rapports du Commissaire a contribué à faciliter la tâche du Comité. Depuis l'origine jusqu'à 1971, les rapports annuels contenaient le texte intégral, expurgé de tout nom propre, d'un certain nombre des rapports rédigés à la suite de chaque réclamation. Depuis 1972, cette présentation a été abandonnée. Désormais, le Commissaire remet au Parlement, quatre fois par an, des rapports partiels contenant le texte intégral, mais anonyme, de la totalité des rapports adressés aux députés pendant le trimestre. Grâce à ces matériaux, le Comité peut avoir une vue exhaustive des affaires traitées. Cette pratique réduit le rapport annuel proprement dit aux dimensions d'un mince fascicule, d'une quinzaine de pages, où ne figurent que quelques conclusions d'ensemble et quelques tableaux de statistiques.

L'article 12 énumère trois moyens grâce auxquels le Médiateur pourra faire le jour sur les errements qui lui sont signalés. L'article 13 en ajoute un quatrième, de portée plus générale. Ces moyens d'investigation sont les suivants : le Médiateur peut poser des questions aux agents et éventuellement leur adresser des convocations ; il peut faire faire des vérifications et des enquêtes par les corps de contrôle ; il peut demander des études au Conseil d'Etat ou à la Cour des comptes ; enfin, il peut prendre connaissance des documents administratifs concernant les affaires dont il est saisi. La mise en oeuvre de chacun de ces moyens (sauf le troisième) est subordonnée à l'autorisation, en dernier ressort, du Ministre. Cette règle ne doit pas être interprétée, cependant, comme conférant à ce dernier un droit de veto. D'une part, en effet, obligation lui est expressément faite de faciliter la tâche du Médiateur. D'autre part, cette obligation comporte une sanction : en cas de refus de prêter main-forte, le Ministre engagerait ipso facto sa responsabilité politique devant le Parlement. Ainsi sont conciliés l'accomplissement par le Médiateur de sa mission de surveillance et la sauvegarde du principe de la responsabilité ministérielle. La comparaison avec les exemples étrangers révèle l'existence dans les autres pays de moyens d'investigation souvent plus étendus.

Dans l'ensemble, la procédure suivant laquelle les Ombudsmans et les Commissaires parlementaires conduisent leurs enquêtes est caractérisée par une absence presque totale de formalisme. L'Ombudsman a les mains libres pour choisir comme il l'entend les méthodes qui lui paraissent dans chaque cas les plus propres à l'éclairer. Toutes facilités doivent lui être accordées par les autorités afin de lui permettre d'atteindre le but de son action : la découverte de la réalité des faits. La qualité de procureurs parlementaires des deux premiers Ombudsmans, ceux de Suède et de Finlande, est à l'origine des traits fondamentaux de cette procédure.

Très schématiquement, on peut distinguer une procédure écrite et une procédure orale. Le plus souvent, en effet, la simple communication du dossier de l'affaire par l'administration visée suffit pour permettre d'atteindre le résultat recherché. Au besoin, des explications complémentaires sont demandées au fonctionnaire concerné ou au supérieur hiérarchique. Afin de faciliter cet échange direct de correspondances, deux règles se retrouvent donc, sans exception, dans toutes les lois : l'obligation pour les autorités de communiquer à l'Ombudsman tous documents et tous dossiers ; celle pour les agents de l'assister et de le renseigner. Dans les lois récentes, deux règles complémentaires sont fréquemment édictées, à la charge, cette fois, de l'Ombudsman : l'obligation pour celui-ci d'informer l'autorité hiérarchique de l'ouverture de l'enquête ; celle de mettre tout fonctionnaire personnellement mis en cause en mesure de présenter ses observations. Dans la grande majorité des cas l'enquête ne va pas au-delà de la phase écrite.

La procédure orale est destinée à permettre de pousser les recherches plus loin lorsque, dans des affaires difficiles, les moyens d'investigation normaux se révèlent insuffisants. Les lois prévoient donc, très généralement, la faculté de procéder à la convocation et à l'interrogatoire de certains agents, ainsi que la possibilité de citer des témoins ou des experts. En outre, l'Ombudsman bénéficie presque toujours d'un droit d'accès aux locaux administratifs qui l'autorise à opérer une descente sur les lieux et à effectuer sur place toutes vérifications utiles.

Le plus souvent, des moyens coercitifs sont prévus, dans le but de vaincre tout refus de communiquer les informations nécessaires. En Suède, l'ombudsman peut infliger des amendes ; au Danemark, il peut citer des témoins devant un tribunal et mettre en mouvement la procédure de l'interrogatoire d'enquête ; en Nouvelle-Zélande, il peut interroger les fonctionnaires sous la foi du serment et tout refus de déférer à ses demandes constitue une " offense " passible d'amende ; en Grande-Bretagne, il peut, en cas d'obstruction, traduire tout récalcitrant devant la High Court. Il est juste d'ajouter qu'en fait, d'ailleurs, cet arsenal ne sert jamais, car il obtient sans peine tous les renseignements qu'il désire.

L'un des moyens d'investigation les plus utiles à l'ombudsman est le droit que lui reconnaissent bon nombre de lois d'effectuer des visites d'inspection dans les services. En Suède, au XIXe siècle, celles-ci représentaient l'essentiel de l'activité du Justitie-ombudsmän. Au XXe siècle, l'accroissement du volume des réclamations entraîna corrélativement une diminution du nombre des inspections. Chacun des justitie-ombudsmän n'en consacre pas mois, à l'heure actuelle, quatre à cinq semaines par an à des visites. Celles-ci touchent toutes les branches de l'activité publique, judiciaire et administrative, municipale et étatique, décentralisée et centralisée. En Finlande, le Justitie-ommbudsmän possède en principe des pouvoirs encore plus étendus que ses homologues suédois, mais en fait ses tournées concernent essentiellement le domaine des prisons et autres lieux de résidence surveillée et celui des casernements et postes militaires. Il visite environ 90 établissements par an. Au Danemark, l'Ombudsmond est aussi habilité à inspecter les lieux de travail des services publics (à l'exception des Palais de justice). Toutefois, il use de ce droit de manière beaucoup moins systématique que ses collègues suédois et finlandais : en 1972, il ne consacra que six jours à des déplacements de cette nature. Dans les trois pays, la visite par l'Ombudsman des établissements pénitentiaires fournit aux détenus l'occasion d'avoir avec lui, s'ils le désirent, un entretien particulier, en dehors de la présence de leurs gardiens. En Norvège, l'Ombudsmann a le droit de procéder à des vérifications sur place à l'occasion d'une plainte, mais les inspections systématiques indépendantes de l'activité contentieuse ne sont pas envisagées par les statuts.

S'inspirant des précédents scandinaves, toutes les lois subséquentes (sauf deux) ont expressément prévu le droit de pénétrer dans les locaux administratifs. Il en va ainsi en Nouvelle-Zélande, dans toutes les provinces du Canada (sauf le Québec) et en Australie occidentale et méridionale. Ces textes ne permettent toutefois pas les descentes inopinées, car ils instituent l'obligation d'avertir de la visite les autorités de l'établissement. Le Commissaire néo-zélandais et les Ombudsmans de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick effectuent quelques inspections, toujours à propos d'affaires pendantes devant eux. La pratique des autres Ombudsmans canadiens et australiens n'a pas encore eu le temps de s'établir. Aux Etats-Unis, le droit d'entrée dans les services n'est subordonné à aucune formalité aux Hawaii, au Nebraska, en Iowa.

En Grande-Bretagne, l'Act ne prévoit pas expressément la possibilité pour le Commissaire de visiter à tout moment ou à l'occasion d'une enquête les locaux administratifs. Toutefois, la lecture du contexte permet d'affirmer que, s'il n'a pas le droit de se fixer un programme d'inspections systématiques, il a en revanche le pouvoir implicite d'effectuer sur place les vérifications rendues nécessaires par l'examen d'une réclamation.

L'USAGE DE SES POUVOIRS PAR LE MEDIATEUR

1. Le Médiateur n'a rencontré aucune difficulté dans l'utilisation de ses moyens d'investigation : tous les Ministères et organismes mis en cause lui ont ouvert leurs dossiers de bonne grâce. Il faut dire qu'aucune affaire n'a jusqu'ici présenté le caractère de " secret " visé à l'article 13 de la loi.

Seule s'est posée - mais de façon incidente, et sans rapport direct avec une situation concrète - la question de savoir dans quelle mesure le secret médical était opposable au Médiateur, notamment à l'occasion de l'instruction des affaires concernant la Sécurité sociale.

Le problème est encore à l'étude, mais il semble bien qu'il soit impossible au Médiateur d'exiger la communication de dossiers médicaux.

D'autre part, il n'a pas eu jusqu'ici à user du droit de convoquer les agents responsables que lui accorde l'article 12.

2. C'est très rarement que le Médiateur a fait usage de son pouvoir de " recommandation ", du moins sous la forme solennelle que semble lui donner l'article 9 de la loi, on verra ci-après dans la troisième partie les raisons de cette attitude.

Il faut noter toutefois dès maintenant que le caractère tranché de la division faite par le texte entre les " recommandations ", tendant à régler les difficultés d'une affaire, et les " propositions ", visant à améliorer le fonctionnement d'un service, n'a pas résisté à l'épreuve des faits. Dans la réalité, et quelle qu'ait été la forme donnée aux conclusions du Médiateur, l'amélioration du fonctionnement des services, et, derrière elle, celle des règlements qui les régissent, est apparue en général inséparable du redressement des situations particulières (cf. également ci-après, IIIe partie).

3. Aucune recommandation, ni en général aucune conclusion du Médiateur, n'ont fait l'objet de la publicité prévue à l'article 9.

Les mêmes raisons qui sont à l'origine de la rareté des recommandations, expliquent cet état de fait.

4. Comme on le verra plus loin (cf. IIe partie : " Observations d'ensemble ") très peu de réclamations ont, jusqu'ici, mis personnellement en cause un agent public.

La gravité des fautes reprochées ne justifiait pas, en tout cas, que le Médiateur fasse usage du pouvoir d'engager une action disciplinaire ou pénale que lui reconnaît l'article 10 de la loi.


4. LES MOYENS DE FONCTIONNEMENT DU MEDIATEUR


1. L'article 15 traite des crédits et du personnel dont le Médiateur dispose pour faire fonctionner son service. Des garanties sont posées tendant à écarter le risque d'atteintes à son indépendance statutaire par le biais du contrôle des moyens matériels nécessaires à l'accomplissement de sa mission. Il n'est pas soumis au contrôle des dépenses engagées. Il n'a de comptes à rendre qu'à la Cour des comptes. Il choisit librement ses collaborateurs. A l'expiration du mandat ou en cas de congédiement, ceux-ci bénéficient, s'ils sont fonctionnaires, de garanties de réintégration dans leurs corps d'origine.

Le libre choix par l'Ombudsman de ses collaborateurs est une règle unanimement admise. On peut la considérer comme tenant à l'essence même de l'institution. Elle présente en effet un double intérêt : sur le plan des principes, elle garantit son indépendance ; sur le plan pratique, elle lui assure un haut degré d'efficacité et de souplesse. En Grande-Bretagne, toutefois, le Commissaire ne nomme ses collaborateurs que sous réserve de l'approbation de la trésorerie en ce qui concerne leur nombre et leur rémunération, disposition peu compatible avec le principe d'indépendance. Il y a lieu de rappeler ici que les adjoints ou les suppléants, quand il y en a, sont nommés suivant une procédure voisine de celle qui préside à la désignation du titulaire.

Les effectifs employés varient en fonction de l'importance de la population du pays et de la charge de travail du service.

La sauvegarde de l'indépendance financière du service a plus rarement fait l'objet de préoccupation des législateurs. La plupart du temps, dans les pays nordiques et anglo-saxons, les sommes nécessaires sont inscrites dans le budget de fonctionnement du Parlement ou dans un budget autonome voté par le Parlement. Bien souvent, les statuts sont muets sur la question. En Grande-Bretagne, les dépenses du Commissaire sont imputées sur les crédits alloués par le Parlement, dans la limite fixée par la Trésorerie.

L'importance du budget du service, d'un pays à l'autre, dans d'assez notables proportions. Il atteint environ : en Suède, S.K. 3.900.000 (soit environ 4.150.000 F) en Grande-Bretagne, £ 200.000 (soit 2.260.000 F) en Alberta (Canada), 190.000 (soit 950.000 F) ; aux Hawaï (Etats-Unis), 185.000 (soit 925.000 F). Le montant du traitement perçu par l'Ombudsman lui-même donne une assez juste idée de la place qui lui est attribué dans l'Etat. Les exemples suivants sont significatifs à cet égard :

SUEDE : Environ 110.000 S.K. (soit 117.000 F). Même traitement que celui d'un magistrat de la Cour suprême.

NOUVELLE-ZELANDE : Environ £ 4.100 (soit 46.300 F). Traitement fixé par le Gouvernement. Inférieur à celui d'un magistrat de la Cour suprême. Le poste est conçu pour être occupé par une personnalité retraitée ou proche de la retraite ayant acquis une grande expérience.

GRANDE-BRETAGNE : £ 8.600 (soit 97.200 F). Traitement fixé par la loi. Equivalent à celui d'un directeur dans un Ministère important.

ALBERTA : $30.000 (soit 150.000 F). Traitement fixé par la loi.

QUEBEC : Environ $30.000 (soit 150.000 F). Traitement fixé par l'Assemblée législative.

HAWAII : Environ $ 27.500 (soit 137.500 F). Traitement fixé par la législature au niveau de celui d'un juge itinérant.

2. La somme allouée au Médiateur pour 1973 (1.000.000 F) à titre provisionnel a pu suffire grâce à une augmentation très progressive des effectifs, calculés strictement en fonction de l'accroissement des affaires. Il convient en effet de noter que les locaux retenus pour le Médiateur, s'ils sont fonctionnels et bien situés, entraînent par le fait même qu'il s'agit d'une location du secteur privé et non d'une affectation d'un immeuble domanial, des frais très importants qui ont représenté en 1973, charges comprises, 45 % des crédits.

LES EFFECTIFS

Les effectifs ont pu être particulièrement réduits - ce qui correspondait au désir de ne pas créer une nouvelle administration - grâce aux liaisons établies avec les services des Assemblées, au recours à des correspondants désignés dans les administrations et aux études demandées notamment au Conseil d'Etat.

De ce fait le personnel permanent employé par le Médiateur a compris, outre son délégué :

- d'une part des assistants dont le nombre s'est accru au cours de l'année de 5 à 7 et qui sont chargés :

* 4 de l'instruction des réclamations ;

* 1 des rapports avec le Parlement et des relations publiques ;

* 1 des travaux de synthèse ;

* 1 des tâches de secrétariat et de gestion ;

- d'autre part, des agents d'exécution dont le nombre a été porté en cours d'année de 4 à 7 ;

Indépendamment de ce personnel permanent, un concours à temps partiel (de l'ordre d'une demi-journée par semaine) a été apporté au Médiateur par :

- un inspecteur général de l'administration du Ministère de l'Intérieur, chargé des rapports avec les autorités locales ;

- un universitaire chargé, pour la première année, d'une analyse détaillée des expériences étrangères ;

- deux fonctionnaires spécialisés en matière de gestion du personnel et de comptabilité, qui ont pu éviter la création d'une cellule permanente.

LES CONCOURS EXTERIEURS

PARLEMENT

La possibilité pour les parlementaires de faire examiner par les services administratifs des Assemblées la recevabilité des réclamations, tout en restant seuls juges de leur transmission, a permis d'éviter que le Médiateur ne soit saisi d'un certain nombre de dossiers irrecevables, même si les statistiques figurant dans le présent rapport montrent que le pourcentage de ceux-ci est encore élevé.

ADMINISTRATION

Chacun des Ministres a désigné à la demande du Premier Ministre un correspondant du Médiateur figurant parmi ses proches collaborateurs et ayant une autorité suffisante sur l'ensemble des services et organismes rattachés, tant de l'administration centrale que des services extérieurs, des corps de contrôle ou des établissements publics ; dans les Ministères faisant l'objet du plus grand nombre de réclamations, ont en outre été désignés des fonctionnaires au niveau des directions. Cette organisation permet au Médiateur de disposer plus aisément des dossiers détenus par l'administration et de les comparer de façon précise aux réclamations.

Pour éviter que l'institution du Médiateur ne se traduise par une concentration excessive de l'instruction des affaires à l'échelon des administrations centrales, les préfets ont été invités directement à faire part de leurs observations chaque fois qu'était critiqué une administration placée sous leur autorité ou leur tutelle, des enquêtes complémentaires étant menées sur place à l'initiative du Médiateur lorsque les dossiers ainsi constitués ne pouvaient pas lui permettre de se prononcer.

CONSEIL D'ETAT ET COUR DES COMPTES

La possibilité de demander des études à ces deux organismes n'a été utilisée qu'une fois par la Cour des comptes en raison de la nature des réclamations adressées au Médiateur. Le Conseil d'Etat, quant à lui, a été saisi trente-sept fois, et a procédé à des études non seulement sur le plan du droit, mais aussi sur celui de l'équité. Au-delà de l'examen des cas individuels, ces études ont permis au Médiateur d'examiner de manière approfondie, en vue d'intervenir auprès des Ministres compétents, des questions de réglementation et même de législation.


5. L'INDEPENDANCE DU MEDIATIEUR


La loi a multiplié des dispositions tendant à garantir l'indépendance de la fonction, et même de la personne, du Médiateur.

Bien qu'il soit nommé par l'exécutif, son indépendance, vis-à-vis de tous les Pouvoirs publics, est assurée dès sa nomination :

- il ne peut être mis fin à ses fonctions que dans des conditions bien précises (art. 2, et décret n° 173-253 du 9 mars 1973) ;

- le fait que son mandat ne soit pas renouvelable le met à l'abri des pressions et des tentations que la perspective d'une nouvelle désignation pourrait faire naître (art. 3) ;

- l'alinéa 2 de l'article premier, précise que " dans la limite de ses attributions, il ne reçoit d'instruction d'aucune autorité " - comme le Médiateur n'agit, par hypothèse que dans la limite de ses attributions, on doit en conclure que sa liberté d'action est totale ;

- il bénéficie d'ailleurs d'une immunité de juridiction pénale pour tous les actes accomplis et pour toutes les opinions émises dans l'exercice de ses fonctions (art. 3) ;

- enfin, les incompatibilités prévues aux articles 3 et 4, et dans la loi organique n° 73-637 du 11 juillet 1973 apportent des garanties supplémentaires d'indépendance, tant à la personne qu'à la fonction.

LES SOLUTIONS ETRANGERES EN MATIERE DE GARANTIE D'INDEPENDANCE

NOMINATION - MANDAT - DESTITUTION

L'article 2 de la loi instituant le Médiateur fixe les conditions de nomination et de destitution de celui-ci ainsi que la durée de son mandat, lequel n'est pas renouvelable. L'étude du statut des autres Ombudsmans ou Commissaires parlementaires révèle les points de ressemblance et de divergence suivants :

1. Le mode de désignation du Médiateur le distingue d'un certain nombre de ses homologues qui sont, non point nommés par le Gouvernement, mais élus par le Parlement. Il y a lieu, cependant, de se garder de tomber à ce sujet dans des systématisations excessives et de ne point exagérer le particularisme du système français. L'élection par la Chambre unique du Parlement (par acclamation en Suède, au scrutin secret en Finlande) représente assurément un trait essentiel de l'institution telle qu'elle est apparue dans les Etats nordiques. Au Danemark et en Norvège, la désignation de l'Ombudsman a lieu après chaque élection législative ordinaire, ce qui accentue encore son caractère de fondé de pouvoir du Parlement. En dehors de la Scandinavie, toutefois, la désignation par le législatif seul, sans intervention de l'exécutif, ne se rencontre que dans trois Etats membres de l'Union nord-américaine. Aux Hawaï, l'Ombudsman est élu au scrutin majoritaire au cours d'une réunion plénière des deux Chambres ; au Nebraska, l'Avocat public est choisi par la législature (Chambre unique) à la majorité des deux tiers ; en Iowa, l'Auxiliaire du citoyen est nommé par le Conseil législatif, émanation des deux Chambres, sur l'avis conforme de celles-ci acquis à la majorité qualifiée. Partout ailleurs le mode de désignation retenu fait place à l'intervention de l'exécutif.

Tantôt l'initiative appartient aux Assemblées, sous réserve de ratification par le Gouvernement. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, le Commissaire est nommé, au début de chaque législature, par le Gouverneur général, sur proposition de la Chambre des Représentants (Chambre unique). La formule néo-zélandaise a été généralement adoptée au Canada anglophone (nomination par le Lieutenant-Gouverneur en Conseil sur proposition de l'Assemblée législative provinciale). Au Manitoba, l'Assemblée désigne à cet effet en son sein une Commission ad hoc, dont la mission est de rechercher les personnalités susceptibles de remplir la fonction. En Israël également, le Contrôleur de l'Etat est nommé par le Président sur proposition de la Knesset (Commission permanente).

Tantôt, au contraire, l'initiative appartient à l'exécutif agissant en collaboration avec le Parlement. Au Québec, le Protecteur du Citoyen est nommé par l'Assemblée législative sur proposition du Premier Ministre. Dans l'Ile Maurice, aux Iles Fidji, en Guyane, l'Ombudsman est nommé par le Gouverneur général, sur proposition du Premier Ministre et après consultation du Leader de l'Opposition.

Tantôt, enfin, la désignation appartient à l'exécutif seul. C'est le cas en Grande-Bretagne où le Commissaire du Parlement est nommé par Lettres-Patentes, c'est-à-dire par la Couronne, sur proposition du Premier Ministre. En Irlande du Nord, en Nouvelle-Ecosse (Canada), en Australie occidentale, c'est également le Gouverneur qui nomme, sans intervention de l'Assemblée provinciale. La désignation de l'Ombudsman par le Parlement est donc loin de constituer la règle générale. L'exemple britannique est significatif à cet égard.

Dans tous les pays qui ont institué a charge, celle-ci est confiée à un titulaire unique ; en Suède, cependant, la personnalisation de la fonction, après avoir été la règle pendant un siècle et demi, a cessé de l'être depuis 1967. Désormais, trois " justitie-ombudsmän " se partagent sur pied d'égalité les tâches qui leur incombent dans les limites de la compétence dont ils sont collectivement investis. L'un exerce sa surveillance sur les tribunaux, le parquet, la police et les armées ; le second, s'occupe des affaires sociales, de l'éducation nationale, de l'information et de la presse ; le troisième connaît des affaires concernant le reste de l'administration (contributions, équipement, environnement, transports, etc...).

Il semble que l'Angleterre s'oriente actuellement, elle aussi, vers une conception pluraliste de l'institution, comparable à certains égards à celle de la Suède. D'une part, en effet, la création de Commissaires régionaux est aujourd'hui en cours de discussion. D'autre part, s'il est vrai que la loi de 1967 (annexe 2) donne compétence au Commissaire du Parlement à l'égard du Ministère de la Santé publique, cette compétence n'englobe que les services de santé administrés directement par le Ministre. L'annexe 3, dans l'énumération qu'elle donne des secteurs soustraits à ses investigations, mentionne expressément l'organisation hospitalière régionale. Or cette lacune devait être comblée par une loi du 5 juillet 1973 portant réorganisation du Service national de Santé. Ce texte institue en effet deux Commissaires pour les Services de Santé d'Angleterre et du Pays de Galles, compétents, dans leurs limites territoriales respectives, à l'égard des services et établissements régionaux de la santé publique. Leur statut s'inspire étroitement de celui du Commissaire du Parlement pour l'administration et, il est vrai, l'actuel commissaire, Sir Alan Marre, est appelé à cumuler au début les trois fonctions.

En dehors de la Suède et bientôt de l'Angleterre, la charge d'Ombudsman reste personnalisée. Toutefois, dans certains pays, le titulaire se voit désigner des adjoints ou des suppléants, suivant des procédures voisines de celle qui préside à sa propre nomination. En Finlande, l'Ombudsman est secondé par un Ombudsman-adjoint, élu suivant la même procédure que lui. En Israël, le Directeur du Bureau des Réclamations institué au sein des services du Contrôleur de l'Etat est nommé par la Commission de la Chambre sur proposition de ce dernier. De même, au Québec, le Protecteur du Citoyen peut proposer au Lieutenant-Gouverneur en Conseil la nomination d'un adjoint. Deux suppléants sont également désignés à titre permanent en Suède et un en Finlande. Dans les deux pays, ils sont élus par le riksdag comme l'Ombudsman lui-même. Partout ailleurs, la suppléance n'est pas assurée de manière régulière et continue. Elle est, néanmoins, souvent prévue, en cas d'empêchement, mais les désignations n'ont pas lieu d'avance.

Dans plusieurs pays, des qualifications spéciales sont expressément requises des candidats aux fonctions d'Ombudsman. Il s'agit généralement de compétences juridiques. Cette exigence est considérée dans les Etats nordiques, comme essentielle. Il faut, en Suède, être " réputé Pour sa connaissance des lois et sa parfaite intégrité ", en Finlande être " un juriste distingué ", au Danemark, " avoir une formation juridique ", en Norvège, " posséder les qualifications exigées d'un juge à la Cour Suprême ". En dehors de la Scandinavie, les statuts ne spécifient pas les compétentes requises. Les deux Etats continentaux des U.S.A., toutefois, exigent " l'aptitude à analyser les problèmes de droit, d'administration et de gestion des affaires publiques ainsi que l'abstention de tout militantisme actif ". Même en l'absence de tout texte, les titulaires de l'emploi sont souvent choisis en considération de leur formation juridique, soit parmi les universitaires, soit parmi les praticiens du droit ou les magistrats. En Nouvelle-Zélande et en Grande-Bretagne, on a préféré rechercher de hauts fonctionnaires ayant une grande expérience du Civil Service.

2. La durée du mandat est extrêmement variable. Nulle part elle n'a paru devoir être inférieure à trois ans (Danemark, Nouvelle-Zélande). La Finlande fit à l'origine la mauvaise expérience d'un mandat trop bref (un an). Dès 1933 celui-ci fut porté à trois ans, puis, en 1957, à quatre ans. C'est cette même durée qui prévaut également en Suède, en Norvège, en Iowa. Elle est fixée à cinq ans en Alberta, au Québec, au Canada, en Australie occidentale, en Israël. Les durées les plus longues sont six ans (Manitoba, Hawaï, Nebraska) et même, mais l'exemple est unique, dix ans au Nouveau-Brunswick. En Grande-Bretagne, la durée du mandat du Parliamentary Commissioner est indéterminée. Il est uniquement tenu de se retirer à la fin de l'année au cours de laquelle il atteint l'âge de 65 ans.

Parfois cette durée est fixée de manière à coïncider avec celle du mandat parlementaire. Tel est le cas au Danemark, en Norvège, en Nouvelle-Zélande. En Finlande, bien qu'elle soit la même que celle de la législature, il n'y a pas nécessairement coïncidence : une dissolution n'affecterait pas le mandat de l'Ombudsman.

Presque tous les mandats dont la durée est déterminée sont, la loi le prévoit expressément, renouvelables. Parfois le nombre des renouvellements possibles est limité : une seule fois au Manitoba, deux fois aux Hawaii. Jamais la reconduction n'est exclue.

3. Souvent les dispositions relatives au statut de l'Ombudsman envisagent l'éventualité de sa destitution. Aucun pays n'a suivi l'exemple de la Finlande où le souci de garantir l'indépendance du titulaire de la charge est poussé jusqu'à la défense faite au Parlement de destituer l'Ombudsman avant l'expiration de son mandat. La seule sanction dont le riksdag dispose et la non-réélection. Presque partout ailleurs des procédures de destitution en cours de mandat sont prévues.

Le rôle réservé aux Assemblées est généralement plus important en matière de destitution qu'en matière de nomination. Ainsi est affirmé le principe de la responsabilité de l'Ombudsman ou du Commissaire devant le Parlement. On peut distinguer l'hypothèse de la destitution par le législatif seul et celle de la destitution par l'exécutif et le législatif agissant en collaboration.

En Suède et au Danemark, la responsabilité de l'Ombudsman devant le Parlement est plus marquée qu'ailleurs. En Suède, les justitie-ombudsmän peuvent être destitués par le riksdag en cours de mandat à la demande de la Commission chargée d'examiner la manière dont ils s'acquittent de leur mission. De même, au Danemark, l'Ombudsman peut être relevé de ses fonctions par le Folketing. Dans les deux pays, il suffit que l'Ombudsman cesse de jouir de la confiance du Parlement : aucune condition de majorité n'est requise. Il en va autrement clans les pays où l'on a recherché dans l'exigence de semblables conditions un renforcement de son indépendance. La destitution par une résolution de la Chambre unique acquise à la majorité des deux tiers est prévue en Norvège, au Québec, au Nebraska, en Israël. La destitution par un vote des deux Chambres législatives acquis à la majorité qualifiée est envisagée aux Hawaï et en Iowa.

Partout ailleurs l'exécutif intervient à côté du législatif dans la procédure de destitution. En Nouvelle-Zélande le Commissaire peut être destitué par le Gouverneur général à la requête de la Chambre des Représentants. En Grande-Bretagne, il peut l'être par la Reine sur une adresse des deux Chambres du Parlement. En Australie occidentale, il peut également l'être par le Gouverneur à la demande des deux Chambres et au Canada (Alberta, Nouveau-Brunswick, Manitoba, Nouvelle-Ecosse) par le Lieutenant-Gouverneur ou le Gouverneur à la requête de la Chambre unique de l'Assemblée législative provinciale.

Il arrive que les motifs de destitution soient limitativement énumérés par la loi. Ainsi, en Nouvelle-Zélande, celle-ci ne peut intervenir qu'en cas d'incapacité, de faillite, de prévarication ou d'inconduite. Semblables hypothèses sont envisagées par certaines lois canadiennes et américaines. Dans d'autres Etats la survenance des cas d'empêchement prévus entraîne simplement la suspension de l'intéressé. Diverses dispositions organisent alors l'intérim jusqu'au retour du titulaire ou jusqu'à son remplacement. Parfois les modalités de la suppléance en cas de vacance intervenant pour une autre cause (démission, décès) sont également décrites dans les statuts.

IMMUNITES

L'article 3 stipule en faveur du Médiateur une immunité de juridiction pénale. Au problème de la protection personnelle du Médiateur est lié celui des voies de recours susceptibles d'être ouvertes Contre ses décisions.

Dans aucun des Etats nordiques les textes statutaires ne recherchent la garantie de l'indépendance de l'Ombudsman dans l'édiction d'immunités de juridiction. En Suède, la question s'est posée de savoir si une responsabilité de fonctions pesait sur l'Ombudsman lui-même. En pratique nul texte n'habilitant qui que ce soit à le traduire en justice, il ne saurait, de facto, faire l'objet de poursuites. Toutefois, étant soumis à la responsabilité et tenu aux devoirs qui incombent aux magistrats du ministère public, il aurait à répondre dans les mêmes conditions que ceux-ci de tout acte d'accusation faussement ou inexactement motivé. La même solution prévaut en Finlande, seul pays, en dehors de la Suède, où l'Ombudsman présente le caractère original et spécifique d'être un Procureur du Parlement. Les lois danoise et norvégienne sur l'Ombudsman passent purement et simplement sous silence la question de l'immunité de juridiction.

Celle-ci a été abordée pour la première fois par le législateur néo-zélandais et les dispositions introduites par lui à ce sujet ont ensuite été reprises, avec plus ou moins de fidélité, par les auteurs des lois canadiennes, américaines, australiennes. En Nouvelle-Zélande, non seulement le Commissaire personnellement, mais aussi ses collaborateurs, sont protégés contre toute action civile ou pénale intentée contre eux à raison des opinions qu'ils émettent ou des actes qu'ils accomplissent dans l'exercice de leurs fonctions. Cette immunité disparaît toutefois en cas de mauvaise foi. Par ailleurs, ni le Commissaire, ni ses collaborateurs ne sauraient être assignés devant une Cour de justice pour y faire une déposition ayant trait à des renseignements obtenus dans l'exercice de leurs fonctions. Avec quelques variantes de détail les mêmes articles se retrouvent dans tous les Etats fédérés du Canada, des Etats-Unis, de l'Australie. Grâce à ces dispositions l'Ombudsman jouit des mêmes immunités de juridiction que les juges. En Australie occidentale, les conditions de mise en œuvre de l'exception de mauvaise foi sont précisées : aucune action civile ou pénale ne peut être intentée contre le Commissaire ou contre l'un de ses collaborateurs sans l'autorisation préalable de la Cour suprême, laquelle s'assure du bien fondé des allégations de mauvaise foi portées contre eux.

L'immunité de juridiction de l'Ombudsman s'accompagne généralement de l'affirmation du caractère définitif de ses décisions. La question a d'abord été agitée en Suède par certains fonctionnaires qui se plaignaient de ne point pouvoir faire appel de ses critiques. Il est rapidement apparu que, dans le système suédois, il s'agissait là d'un faux problème. Aussi bien, en cas de poursuites pénales ou disciplinaires, l'affaire est portée devant les tribunaux, de plein droit ou à la demande de l'intéressé, et celui-ci bénéficie alors des garanties offertes par une procédure contradictoire. Au contraire, en cas de simples recommandations, celles-ci ne comportent aucune injonction et, au demeurant, un fonctionnaire trop susceptible, s'il entendait à tout prix être blanchi, pourrait, à la limite, attirer l'attention de la première Commission des lois qui a mission d'examiner les résultats de l'activité de l'Ombudsman. La situation se présente en termes identiques en Finlande et similaires au Danemark. En Norvège, l'Ombudsman disposant uniquement d'un pouvoir de recommandation, l'inutilité de l'appel a soulevé encore moins de doutes. Dans tous les Etats nordiques, le principe même d'une voie de réformation est considéré comme incompatible avec l'indépendance de l'Ombudsman.

En Nouvelle-Zélande, pour la première fois, la question a été expressément envisagée par les statuts. Ceux-ci précisent qu'aucun recours West possible devant une Cour de justice contre un acte ou une décision quelconque du Commissaire. Cette règle n'est toutefois formellement affirmée qu'afin de l'assortir d'une exception, visant l'hypothèse où un doute apparaîtrait quant à sa compétence. Il a semblé en effet nécessaire d'instituer un recours préjudiciel en interprétation des dispositions de la loi relative à la délimitation de la sphère d'action du Commissaire, les Cours apparaissant comme les organes les plus qualifiés pour trancher les questions de compétence. Le système néo-zélandais a été adopté tel quel dans la plupart des provinces anglophones du Canada. En Australie occidentale, il est ajouté que seule la Cour suprême peut être saisie d'un recours incident en interprétation des dispositions relatives à la compétence. Aux Etats-Unis et en Israël, tout recours est expressément prohibé contre une décision rendue à la suite d'une plainte. Il n'est pas fait d'exception en ce qui concerne le recours en appréciation de la compétence.

INCOMPATIBILITES

Les articles 4 et 5 se réfèrent au problème général des incompatibilités. La solution française est, dans l'ensemble, plus libérale que les solutions étrangères. Seule est prévue l'incompatibilité avec le mandat de parlementaire d'une part, avec ceux de conseiller général et de conseiller municipal d'autre part. Encore, dans ce dernier cas, est-elle assortie d'exceptions visant l'hypothèse où le Médiateur exerçait déjà pareils mandats antérieurement à sa nomination.

Une loi organique ultérieure a ajouté l'inéligibilité aux fonctions législatives et présidentielles. En revanche, aucune incompatibilité n'est prévue avec un mandat public ou une activité professionnelle autre qu'un mandat électif.

Les incompatibilités les plus fréquemment envisagées à l'étranger visent également les mandats électifs. Les mandats locaux et municipaux sont rarement mentionnés comme tels (sauf en Israël, dans l'Ile Maurice, aux Iles Fidji), mais ils sont souvent englobés dans l'expression générique de " charge publique ". Le mandat parlementaire, en revanche, est toujours, sans aucune exception, considéré comme incompatible avec celui d'Ombudsman. Aux Etats-Unis il est même précisé que nul ne saurait occuper la charge s'il a exercé un mandat parlementaire au cours des deux années précédant sa nomination ou même, simplement, s'il est engagé dans la vie politique. En Australie occidentale, le Commissaire ne doit pas avoir été, au cours des trois années précédant sa nomination, membre de l'un quelconque des Parlements des Etats fédérés, ni membre du Parlement fédéral.

En dehors des incompatibilités relatives aux mandats électifs, la plupart des statuts spécifient en outre des interdictions d'exercer toute autre activité, publique ou privée. C'est le cas au Danemark, en Nouvelle-Zélande, au Canada, aux Etats-Unis, en Australie. Ainsi, la loi sur le Protecteur du Citoyen du Québec dit que ce dernier " doit s'occuper exclusivement des devoirs de ses fonctions et ne peut occuper aucune autre fonction, charge ou emploi ".

En ce qui concerne les fonctions publiques et activités privées autres que les mandats électifs, néanmoins, des dérogations expresses, dans certains pays, peuvent être exceptionnellement accordées par une autorité qui est, tantôt le Premier Ministre (Nouvelle-Zélande), tantôt le Parlement (Nouveau Brunswick, Québec, Nouvelle-Ecosse, Australie occidentale).

Les incompatibilités édictées contre le titulaire de la charge s'appliquent également aux adjoints et aux suppléants lorsqu'il y en a.





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