Le divorce pour faute


La société a toujours été régie par des lois ou des coutumes dont la fonction était de maintenir la cohésion du groupe social. L'une de ces règles est la consécration du couple (hétérosexuel), fondation nécessaire de la famille et garant, de ce fait, de la pérennité de la société. Ce lien institutionnel, souvent intimement, voire exclusivement lié à la religion dans les temps anciens et même récents (confusion entre le lien civil et religieux dans les religions chrétiennes et musulmanes, au moins pendant un temps; aspect élitiste dans le système des castes en Inde, interdit du mariage entre des personnes de confessions différentes...), s'apparente par bien des aspects à un contrat synallagmatique: l'union entre les deux personnes exige de chacune d'elle des concessions sur sa vie personnelle, des engagements envers le conjoint qu'il faudra remplir sous peine de se placer en faux par rapport à l'éthique sociale et à la double demande qui émane de l'époux et du groupe humain (ainsi sont répudiées les épouses présumées stériles dans les cultures primitives).

La rupture des liens entre les membres du couple peut être issue de la transgression des règles de ce " contrat ", mais elle peut résulter aussi de causes relatives au manque d'affinités entre les époux. La simple " incompatibilité d'humeur ", résultat d'un consentement vicié au moment du mariage ou, plus prosaïquement, d'une dégradation de la qualité des relations conjugales au cours du temps, est une source de désagrément difficile à supporter lorsque l'union est définitive - à défaut d'être éternelle. A l'origine d'une telle situation, on trouve les mariages d'intérêt, ceux faits sur un " coup de tête ", ou encore le comportement fautif d'un des membres du couple. La solution la plus évidente est alors la séparation, qu'elle soit de fait ou de droit. Mais la séparation de droit, en brisant officiellement le couple, brise du même coup la structure sociale de base. Dans le cadre du mariage religieux, norme sociale pendant longtemps, la consécration de l'union devant Dieu (autorité morale suprême) empêche une révocation qui serait assimilée à un reniement de la parole donnée. De plus, d'un simple point de vue social, d'aucuns ont pu penser que la légalisation du divorce, séparation définitive rendue institutionnelle par le fait du législateur, serait la porte ouverte à toutes les formes de débauche et, surtout, à l'instabilité familiale. Mais il serait malsain de nier la réalité au profit de conventions qui ne servent que des apparences.

En France, dès lors que l'autorité royale (laïque, en tous cas par opposition aux règles édictées par la religion) a été remplacée par l'autorité ecclésiastique, c'est-à-dire peu avant l'an Mille, c'est le système chrétien qui a prévalu: le mariage est un sacrement, un engagement devant Dieu, et il acquiert donc un caractère indissoluble. Voilà pour le principe. En fait, de nombreux cas de nullité existent (14 dirimants, et 6 prohibitifs...) et la séparation de corps pouvait être ordonnée par les autorités religieuses. De la sorte, le lien n'était pas directement rompu, et les apparences étaient sauvegardées. De toute façon, et au moins en ce qui concerne les faits, rien n'a jamais empêché un couple de se séparer (cf système de l'union libre romaine, où chaque époux pouvait rompre unilatéralement)... A la suite de la Révolution de 1789, un divorce par consentement mutuel fut instauré; il était également possible de divorcer unilatéralement, en invoquant l'" incompatibilité d'humeur " existant dans le couple, un tel cas de divorce s'apparentant à une véritable répudiation. Il est à noter que l'égalité des sexes était pleinement respectée quant à la procédure. Les conséquences de l'instauration du divorce furent simples: on assista à une cascade de séparations, suite logique des mariages d'intérêts ou forcés en vigueur sous l'Ancien Régime. La Restauration, renouant avec la religion, supprima les deux types de divorce, niant les individus au profit d'une façade sociale " honorable ". Ce système perdura jusqu'en 1884; la loi Naquet (du nom du député qui proposa la loi) permit alors de demander le divorce lorsqu'une faute pouvait être reprochée à l'autre époux. C'est une application de la théorie dite du " divorce-sanction ", qui permet de punir le conjoint qui s'est montré coupable d'une transgression des lois matrimoniales. Malgré l'évident bon sens de cette loi, le débat n'en fut pas moins passionné, les conservateurs craignant une loi qui ferait le bonheur de l'infidélité...

Le système Naquet subsista jusqu'en 1975, le divorce pour faute cachant parfois un divorce par consentement mutuel, l'adultère étant une cause péremptoire de divorce... La réforme générale du droit de la famille, en 1975, n'épargna pas une législation désuette qui n'avait pas particulièrement poussé à l'infidélité. Cette réforme banalisa le divorce en le faisant coïncider avec les réalités sociales. Surtout, elle fixa au divorce pour faute un cadre juridique suffisamment stricte pour éviter des abus lourds de conséquences (I), et suffisamment souple pour permettre au juge et au couple de s'adapter à toutes les situations possibles (II).

I LA FAUTE: ENTRE LA LOI ET LE FAIT


Toute la difficulté, pour le législateur, fut de faire entrer la définition de la faute dans un cadre à la fois souple et exigeant, de sorte que la subjectivité (tant de la part des parties que de la part du juge), nécessaire à l'appréciation au cas par cas d'une situation familiale, donc particulière et privée, ne prenne une trop grande importance dans le traitement de l'affaire.

A. Une main de fer dans un gant de velours
caractéristiques et énumération des fautes



1) Classification et définition des fautes:
Le Code Civil fait une première distinction entre les fautes péremptoires et celles directement issues des obligations du mariage, dont l'appréciation varie en fonction des situations.

Les fautes péremptoires : l'article 243 du Code Civil dispose que le divorce pour faute " peut être demandé par un des époux lorsque l'autre a été condamné à une des peines prévues par l'article 131-1 du Code Pénal ". En l'espèce, il s'agit des condamnations à la réclusion criminelle ou à la détention criminelle, c'est-à-dire de 10 à 30 ans en cas de réclusion et perpétuité pour la détention (droit commun). La présomption d'innocence doit être respectée, à moins que l'époux fautif n'ait reconnu les faits (Nancy, 25 janvier 1994; JCP 94 IV 1008); la condamnation doit être effective pour devenir une cause péremptoire. Le but de cette mesure est de ne pas faire partager le déshonneur du coupable au conjoint innocent. Par contre, si ledit conjoint est complice, ou qu'il a approuvé - même tacitement - le comportement de son conjoint, l'article 243 ne peut être appliqué.

Les causes facultatives ou fautes matrimoniales : L'article 242 du Code Civil dispose que " le divorce peut être demandé par un époux pour des faits imputables à l'autre lorsque ces faits constituent une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage et rendent intolérable le maintien de la vie commune ". Plusieurs conditions sont donc exigées pour qu'un comportement puisse entraîner le prononcé d'un divorce pour faute. Il doit d'abord s'agir de faits imputables à l'autre conjoint, ce qui exclue les faits commis durant une période de démence (a contrario, ceux commis lors d'un intervalle de lucidité sont visés: Civ.2, 4 janvier 1964, bull.civ. II 12 p.9), ceux non intentionnels (cas du viol par exemple: TGI Niort 21 novembre 1960, D 61 p. 247; toutefois, le fait commis avec discernement, mais sans l'intention de nuire, est susceptible de constituer une faute: Civ.2, 2 mai 1958, D 58 p. 509). Il doit s'agir de violations graves ou renouvelées des obligations du mariage: l'accumulation de faits véniels et la violation grave sont mises sur le même plan: peu importe que la violation soit grave ou renouvelée, il suffit qu'il y ait violation. L'adultère, malgré sa gravité, n'est plus une cause péremptoire de divorce. C'est au juge d'apprécier souverainement les faits et de leur conférer (ou non) la qualification de violation des obligations du mariage. Enfin, la condition capitale, dont le contrôle (de forme) est effectué par la Cour de Cassation (Civ.2, 25 mai 1994, bull.civ. II 137), est l'intolérabilité du maintien de la vie commune. C'est-à-dire que les violations des obligations du mariage (quelles qu'elles soient) ont un caractère tel que la vie de couple ne pourra plus reprendre normalement. Il ne s'agit pas des heurts épisodiques, des rares " bêtises " de l'un ou de l'autre, mais d'un véritable empoisonnement de la vie conjugale, qui rend la vie en couple par trop malsaine. Par exemple, l'adultère consenti réciproquement n'est pas une faute (la vie du couple s'organise autour de cette réalité).

2) Enumération des fautes :
La vie de famille est subordonnée à de nombreux aléas que le législateur ne peut prévoir qu'en partie. Le comportement des uns et des autres est rarement prévisible, et c'est le mérite du législateur que d'avoir prévu une formule qui s'adapte assez souplement aux diverses situations rencontrées. La Loi et la jurisprudence ont permis de cerner avec précision les devoirs conjugaux et, par voie de conséquence, les fautes qui en découlent.

Les obligations légales : elles sont définies par les articles 212 à 215 du Code Civil. La fidélité (art. 212 Code Civil) est la plus connue: l'adultère est une faute, mais il faut y ajouter un élément intentionnel qui prime plus que tout. Ainsi, les relations équivoques avec une tierce personne peuvent constituer une faute, tout comme l'infidélité intellectuelle avec...un évêque (Paris 13 février 1986, GP 1986 p.216). Aux Etats-Unis, il a pu être relevé un cas d'infidélité via Internet... Le secours et l'assistance (art. 212 Code Civil) concernent plus précisément les contributions aux charges du mariage (proportionnelles aux moyens de chacun des époux), avec une exception lorsque la situation est due à un élément extérieur non intentionnel (chômage...). Le terme d'" assistance " revêt une signification plus psychologique et peut s'apparenter aux soins (médicaux ou apportés à la maison: Civ.2, 17 juillet 1960, bull.civ. II 532). L'article 213 renvoie à la " direction morale et matérielle de la famille " et à " l'éducation des enfants ": le fait de négliger l'éducation des enfants peut constituer une faute (Civ.2, 2 mai 1963, bull.civ. II 338). On peut le rapprocher des aliments au sens large (nourriture, entretien...). L'article 214 prévoit la violation grave du régime matrimonial et plus généralement l'absence de contribution aux charges du mariage (cf supra). Enfin, l'article 215 vise la communauté de vie, c'est-à-dire tant la vie en commun (refus par l'un des époux d'accepter un domicile en théorie choisi conjointement: Paris, 2 juin 1977, GP 77 II 675) que les relations sexuelles (le refus -Civ.2, 16 décembre 1963, D 64 p. 227- comme l'excès -TGI Dieppe 25 juin 1970, GP 70 II 243- sont constitutif de faute). Il faut noter que les résidences peuvent être séparées (notamment pour des raisons professionnelles) et que la femme n'a plus l'obligation de suivre son mari dans le choix du domicile.

Les obligations édictées par la jurisprudence : c'est la conséquence du caractère forcément insuffisant des définitions des obligations matrimoniales. Il s'agit davantage des relations qui peuvent exister entre deux individualités: le couple social n'empêche pas la protection de la personne. De ce fait, les violences physiques (en plus du caractère pénal de poursuites éventuelles: Civ.2, 31 mars 1978, bull.civ. II p.74), les injures devant les tiers ou en privé (y compris les " scènes "; cf Civ.2, 21 février 1964, bull.civ. II 272), les comportements abusifs vis-à-vis de l'autre (Civ.2, 9 février 1986, GP 86 pan.246), le manquement au devoir de loyauté (tant sur les faits antérieurs au mariage, qui peuvent être à la source d'une annulation pour erreur sur la personne, que sur les faits contemporains au mariage: cf Guyon: L'obligation de sincérité entre époux: RTD civ. 1964, p.473), le détournement d'affection (pour les enfants), les injures envers la famille (Civ.2, 22 mai 1963, bull.civ. II 368), etc... La jurisprudence et l'imagination des hommes étant en constante évolution, cette liste n'est pas limitative...

B. La preuve de la faute


Les faits invoquées par l'une ou l'autre partie relèvent de la vie familiale, c'est-à-dire a priori privé. A l'exception de certains cas, tels que les scènes publiques ou les injures aux tiers, tout se passe dans un cadre restreint aux membres du couple, voire aux enfants. Le caractère intime, les relations de confiance qui existent malgré les difficultés passagères et, tout simplement, la densité de la vie de famille expliquent aisément l'absence de précaution prise pour préserver les traces des agissements de l'un ou l'autre conjoint. Par ailleurs, si une telle suspicion existait au sein d'un couple, ne pourrait-on parler de comportement abusif ? La preuve incombe au demandeur, qu'il s'agisse d'une demande à titre principal ou d'une demande reconventionnelle. Le Juge aux Affaires Familiales (JAF), successeur du Juge aux Affaires Matrimoniales, apprécie librement les faits et les preuves qui les appuient: on parle de l'appréciation souveraine du juge du fond, par opposition au contrôle exercé par la Cour de Cassation sur le droit. La preuve se fait par tous moyens... et ils sont nombreux.

1) Le témoignage :
Il peut être écrit ou passé devant le Juge. Celui-ci n'a aucun pouvoir d'enquête, et ne peut réclamer l'audition de quelque témoin que ce soit : seules les parties peuvent présenter des témoins. Le juge n'est pas lié et apprécie souverainement la qualité des témoignages. Ceux-ci étant peu objectifs, il y a le plus souvent recoupement avec d'autres moyens de preuve. Toute personne peut témoigner (famille, amis, employeur...), à l'exception des enfants et des descendants (légitimes, naturels, adoptifs, y compris les brus et les gendres sauf le cas des concubins), comme le dispose l'article 205 du Nouveau Code de Procédure Civile. Une telle prohibition peut paraître étonnante: ce sont le plus souvent les spectateurs et les victimes -involontaires- directs des crises familiales. Toutefois, cette interdiction a pour fonction d'éliminer toute tentative de pression sur des personnes fragiles, ou au moins sous influence de la part de l'un des époux. Le secret professionnel ne peut pas non plus être transgressé (cas d'une assistante sociale: Civ.2, 24 juin 1992, bull.civ. II 173).

2) Les lettres :
Le secret des correspondances est garanti par l'article 9 du Code Civil; l'écrivain crée une valeur qu'il peut exploiter, à condition de ne pas aller à l'encontre des intérêts du destinataire, notamment lorsqu'il s'agit de faits à caractère confidentiel. Néanmoins, le destinataire va pouvoir utiliser l'écrit qu'il a reçu, et qui lui appartient matériellement. Dans un couple, les biens sont plus ou moins mis en commun; en particulier, ils se trouvent dans un lieu (le domicile) dont l'autre a la jouissance. Par conséquent, les lettres peuvent se retrouver aisément dans les mains du conjoint, y compris lorsqu'elles ont un caractère strictement confidentiel... Les lettres sont admises en tant que preuve à condition qu'elles n'aient été obtenues " par violence ou par fraude " (art. 259-1 du Code Civil). La violence se passe de commentaire, mais il y a fraude lorsque l'un des conjoints effectue des investigations dans les affaires privées de l'autre ou intercepte la lettre avant réception par le conjoint destinataire (Civ. 25 juillet 1950). Se pose alors le problème de l'accessibilité de la lettre, évaluée souverainement par le juge aux affaires familiales (Civ.2, 26 novembre 1975, D 76 371). Presque paradoxalement, on suppose qu'il n'y a pas fraude; cette présomption simple doit être contrée par l'époux défendeur, qui doit apporter la preuve de la fraude ou de la violence. Cette preuve est difficile à apporter, et reconnaître le caractère très intime du contenu de la lettre, justifiant par la-même des précautions mises en oeuvre pour la soustraire aux yeux du conjoint, peut sembler constituer un ersatz de preuve par écrit... La présomption de la bonne foi et la nécessité d'obtenir une preuve difficile à obtenir sont donc à l'origine de la violation du secret des correspondances.

3) Le constat d'adultère :
Le respect de la vie privée pose le principe d'inviolabilité du domicile (art. 9 Code Civil). Mais il est toujours possible de faire faire un constat dans un lieu public ou dans un lieu dont on a soi-même la jouissance, c'est-à-dire à son domicile ou à sa résidence: le " coupable " s'expose à ses risques et périls. L'exception concerne le cas du domicile d'un tiers. Pour ne pas violer la loi, il est nécessaire de demander une autorisation judiciaire en référé au Juge aux Affaires Familiales ou, à défaut, au Président du Tribunal de Grande Instance (Nancy, 14 mars 1979, JCP 79 II 19210); celui-ci va autoriser - ou non - le recours au constat d'huissier en fonction des éléments soumis à son appréciation par le demandeur. Il peut imposer des formes au constat (utilisation d'un serrurier). Un représentant de la force publique est présent.

4) L'aveu judiciaire, preuve parfaite :
Il est prévu par l'article 259 du Code Civil. Autrefois interdit (car il pouvait dissimuler un divorce par consentement mutuel), il peut être explicite ou implicite (lorsque le juge le déduit de la façon dont se présentent les faits). Il est à distinguer de l'aveu extra-judiciaire, c'est-à-dire qui a été obtenu en dehors de l'instance (cas d'une lettre, par exemple), en tant qu'il est fait devant le juge, au cours de l'instance. L'indivisibilité est théorique, mais le juge peut apprécier souverainement le contenu de l'aveu grâce à l'évolution de la jurisprudence: une vérification est demandée.

5) Divers procédés aux valeurs variables :
Les enquêtes sociales ne peuvent concerner que le règlement des conséquences du divorce; le témoignage d'une assistante sociale ne peut donc être pris en compte, malgré sa valeur intrinsèque. Les écoutes téléphoniques ne pouvant être réalisées que par l'Etat et dans des circonstances particulières (sûreté civile, espionnage...), elles constituent un délit pénal lorsqu'elles émanent d'un particulier (Crim. 3 mars 1982, D 82 579). Par contre, il est possible au juge de demander la communication d'un numéro de téléphone inscrit sur liste rouge. On retrouve là le principe du faisceau de présomption utilisé pour constituer une preuve. Enfin, il est important de signaler que les éléments recueillis lors de la tentative de conciliation devant le juge ne peuvent être repris lorsque l'instance se fait contentieuse. En principe seulement, puisque rien n'empêche le juge de remonter les pistes mises en évidence à ce moment.

La souplesse des textes de loi relatifs au divorce pour faute, qu'il s'agisse, comme on l'a vu, de la faute elle-même, ou qu'il s'agisse de la procédure mise en place, permet au couple en voie de rupture d'obtenir un traitement véritablement humain de leur affaire. Tout est mis en oeuvre pour que les uns et les autres soient protégés, et que l'affaire puisse prendre un tour différent de celui du contentieux.

II LA LOI, LE JUGE ET LE COUPLE
UNE PRISE DE CONSCIENCE EFFICACE DES REALITES


Le législateur a imposé toute une série de mesures destinées à empêcher que le demandeur et ses proches ne soient soumis à des pressions (puisqu'on reste dans un milieu familial, et qu'aucune mesure préventive d'éloignement ne peut être prise sauf exception); mais ces mesures permettent aussi de garantir les droits de la défense et la qualité de la vie de famille, bien que celle-ci soit déjà sévèrement atteinte.

A. La procédure


Elle tient compte du fait que la vie de famille (ou au moins celle du couple) ne cesse pas d'exister au moment où la requête en divorce est déposée. Il s'agit de régler deux types de difficultés: celle qui concerne l'aspect matériel de la vie de couple (la vie en commun, si elle n'a pas déjà cessé, est difficilement envisageable lorsqu'un couple se déchire), et celle qui qui s'attache à la présence d'enfants au sein du couple. Tout est orienté autour de la réalité suivante: il s'agit d'une affaire de vie privée qui doit être résolue le plus rapidement et le mieux possible...

1) La publicité des débats :
C'est normalement la règle en droit commun. Mais, pour respecter la pudeur des uns et des autres, et faciliter l'exposé de situations dont le caractère strictement privé n'est pas à démontrer, les rencontres avec le juge se font à huis-clos. Les époux peuvent être assistés de leurs avocats. C'est l'article 248 du Code Civil qui pose ce principe. Néanmoins, il ne s'agit que des " débats sur la cause, les conséquences du divorce et les mesures provisoires ". Le jugement qui officialise le divorce est public. Ces dispositions s'appliquent à tous les types de divorce. Une exception est admise dans le cas du divorce pour faute: l'article 248-1 du même Code précise que " le juge peut se limiter à constater dans les motifs du jugement qu'existe des faits constituant une cause de divorce sans avoir à énoncer les torts et griefs des parties ". Le juge constate alors dans ses motifs qu'il existe des torts à la charge de l'un ou de l'autre (exemples: Paris 22 janvier 1985, D 85 IR 494; TGI Fontainebleau, 10 mars 1982, JCP 1982 II 19853).

2) La requête et son examen:
La capacité juridique des parties : d'ordinaire, aucun problème ne se pose puisque les époux sont soit majeurs soit émancipés par le mariage. La difficulté se situe donc au niveau des personnes placées sous un régime de protection, quel qu'il soit. Le demandeur en curatelle fait sa demande assisté de son curateur (249 al. 2 du Code Civil), tandis que le demandeur sous tutelle voit la demande présentée par le tuteur autorisé par le conseil de famille et après avis du médecin traitant (249 al. 1 du même Code). Dans le cas du défendeur, l'article 249-1 du Code Civil prévoit que le curatellaire se défende avec l'aide de son curateur et que le tutellaire voie l'action en divorce exercée contre le tuteur. Lorsque le tuteur ou le curateur se trouve être le conjoint du majeur protégé, il est spécialement remplacé (249-2 du Code Civil). Enfin, la sauvegarde de justice doit être remplacée par un régime de protection plus stricte (249-3 du Code Civil). L'ensemble de ces mesures s'applique également aux autres types de divorce.

Le dépôt de la requête : le demandeur présente la requête en divorce pour faute au Tribunal de Grande Instance, par ministère d'avocat, et sans qu'il y ait besoin de préciser les griefs retenus à l'encontre du défendeur. C'est au Juge aux Affaires Familiales que revient l'examen de l'affaire. En principe, c'est le TGI du défendeur qui est compétent, dans le cas où la résidence est différente. Toutefois, lorsqu'il y a présence d'enfants au sein du couple, il appartient au TGI du lieu de résidence de l'époux ayant la charge des enfants de juger l'affaire. Il s'agit bien sûr de faciliter le règlement du conflit en pénalisant le moins possible les enfants.

La tentative de conciliation : c'est la dernière chance qui est donnée au couple avant d'entamer la procédure contentieuse. Le JAF fixe une date pour cette tentative, au cours de laquelle les époux se rencontreront pour tenter de faire taire leur différend (article 251 du Code Civil). Pour faciliter la discussion et permettre aux époux de vider intégralement leur querelle, tout " ce qui [est] dit ou écrit à l'occasion d'une tentative de conciliation (...) ne pourra être invoqué pour ou contre un époux ou un tiers dans la suite de la procédure " (article 252-3 du Code Civil). En effet, comment les conjoints pourraient-ils tenter de régler chacun des problèmes qui les a menés devant le tribunal alors que pèse sur eux le risque de voir l'autre utiliser ses propres mots ou les faits qu'il a pu reconnaître ? L'article 252 du Code Civil précise le déroulement de la tentative: le juge s'entretient personnellement avec chacun des époux, puis les réunit; les avocats peuvent alors, si leurs clients le souhaitent, entrer en jeu. Trois solutions sont alors envisageables:

- il y a conciliation entre les époux, qui renoncent au divorce; un procès-verbal de constatation est dressé par le juge, et la procédure prend fin.

- un délai de réflexion est demandé par le ou les conjoint(s); l'article 252-1 du Code Civil prévoit alors qu'il y a suspension et reprise de la tentative dans une limite de 8 jours, sans aucune formalité; par contre, il y a formalité lorsque le magistrat suspend la procédure afin " de recourir à une nouvelle tentative de conciliation dans les 6 mois au plus ", sans préjudice de la mise en oeuvre de mesures provisoires.

- c'est l'échec: le demandeur reçoit l'autorisation d'assigner le défendeur devant le TGI; la procédure reprend alors son cours. C'est le cas le plus fréquent, dû au manque de magistrats (donc au peu de temps disponible) et au caractère tendu des relations conjugales (il s'agit tout de même d'un divorce pour faute; lorsque la situation est moins explosive, on recourt en général au divorce par consentement mutuel).

Les mesures provisoires : elles tentent de résoudre les difficultés posées par l'introduction du divorce dans la vie courante de la famille (couple, enfants... et biens). C'est la qualité de la vie familiale qu'on cherche à sauvegarder: pour éviter l'envenimement de relations déjà difficiles, des décisions vont être prises, concernant tant les personnes que les biens de la famille. On prévient ainsi les risques liés à l'éclatement de la cellule familiale. Ces mesures sont prises par le JAF dans le cadre du divorce pour faute, alors qu'elles sont réglées par les époux eux-mêmes lorsqu'il s'agit d'un divorce par consentement mutuel.

- les mesures urgentes : elles sont prises lorsqu'il existe un danger physique, psychologique ou matériel pour le demandeur ou les enfants, dû à la réaction du défendeur. Elles sont demandées personnellement au JAF par l'époux qui les requiert. L'article 257 du Code Civil dispose que le juge peut autoriser les époux à résider séparément (il fixe alors la résidence des enfants), peut ordonner des mesures conservatoires sur des biens, peut en fixer les conditions d'usage (220-1 du Code Civil et sauvegardes instituées par le régime matrimonial). Ces mesures, provisoires par nature, doivent être limitées dans le temps: elles ne peuvent être ordonnées pour une durée supérieure à 3 ans.

- les mesures provisoires : elles servent à régler les problèmes de la vie quotidienne tout le temps que va durer l'instance. L'article 255 du Code Civil en précise non exhaustivement le rôle: il s'agit en général de permettre la résidence séparée, de préciser le sort des enfants, de fixer le montant de la contribution aux charges du mariage (éducation quasi-unilatérale des enfants...) au travers d'une pension alimentaire (les " aliments " sont entendus au sens large)... Toute la difficulté est de lier deux réalités contradictoires: d'une part l'existence d'une famille encore unie légalement, donc soumise à des lois et des constatations propres (communauté de biens et de vie, existence d'enfants, voire de chiens: Paris, 11 janvier 1983, GP 83 II 412), et d'autre part la réalité de la séparation et de l'impossibilité de forcer deux personnes en conflit à respecter cette union d'apparence. Le couple peut présenter au juge un projet de règlement de la situation, dont le juge " peut " tenir compte (art. 252-2 du Code Civil). L'appel est possible durant 15 jours; il ne peut y avoir de cassation. Une révision est possible dans le cas où un élément nouveau apparaîtrait, justifiant un tel changement.

- l'extinction de ces mesures : ces mesures à caractère non définitif ne peuvent prendre fin que si le divorce n'est plus susceptible d'aucune voie de recours, ou que le demandeur n'a fait aucun acte durant 6 mois, ou si la demande en divorce a été rejetée, sauf le cas où la séparation de corps a été organisée judiciairement.

B) Un divorce sous contrôle des parties


Il s'agit d'un système qui permet une protection relative des adversaires et laisse ouverte une porte de sortie vers un arrêt des hostilités, ou encore une orientation moins brutale de la séparation.

1) La demande reconventionnelle pour faute :
Le procédé de la demande reconventionnelle existe déjà dans le cadre du divorce pour rupture de la vie commune. Il permet ainsi l'obtention d'un divorce pour faute alors qu'une procédure pour rupture de la vie commune est déjà engagée (art. 241 du Code Civil). Dans le contexte du divorce pour faute, il s'agit, de la part du défendeur, d'atténuer ses fautes et de contre-attaquer en faisant valoir les propres fautes du demandeur. La loi Naquet de 1884 connaissait déjà ce système de demandes croisées. En l'absence d'une demande reconventionnelle, le JAF va examiner les griefs imputés au défendeur et prononcer (ou non) le divorce pour faute; les torts sont alors soit partagés, soit attribués exclusivement au défendeur, en fonction de ce que les débats auront mis en évidence (art. 245-3 du Code Civil). La demande reconventionnelle n'est pas nécessaire à la défense de l'époux attaqué, mais elle lui permet de se montrer plus agressif et de retourner entièrement les torts sur le demandeur. Il ne peut y avoir de prononcé de divorce au torts exclusifs du demandeur si le défendeur n'a rien demandé (Civ.2, 24 février 1993; cf bull.civ.). L'accueil des deux demandes entraîne le prononcé du divorce aux torts partagés (art. 245 al. 2 du Code Civil).

2) La réconciliation :
Elle est prévue par l'article 244 du Code Civil. Il s'agit d'une fin de non-recevoir, qui met fin à la procédure, la demande devenant irrecevable. Elle est néanmoins conditionnelle, et soumise au comportement de l'un et de l'autre époux.

Les deux aspects de la réconciliation : un aspect intentionnel et un aspect matériel. L'époux contre lequel une faute est retenue se voit pardonné; bien sûr, un pardon réciproque est possible lorsque les époux ont chacun quelque chose à se reprocher. La réconciliation ne peut concerner que certains faits: ceux-ci doivent être passés et connus par l'époux qui souhaite pardonner à son conjoint. En effet, il ne peut s'agir d'un pardon valable pour le futur, et il ne s'agit pas non plus d'une absolution pour l'ensemble du passé du fautif. Celui-ci doit d'ailleurs être d'accord et accepter la réconciliation (TGI Seine, 12 mars 1965, GP 65 I 416). Le pardon empêche l'époux qui l'a accordé de redemander le divorce sur le fondement d'une faute comprise dans ce même pardon. Une fois l'absolution donnée, encore faut-il qu'un élément matériel vienne corroborer les promesses de l'un et de l'autre. Cet élément est la reprise de la vie commune. Celle-ci doit être effective, et manifester la volonté de chacun de retrouver une vie de couple normale. Ainsi, n'est pas considérée comme une réconciliation le simple fait de vivre ensemble, ou même d'avoir des relations sexuelles (Paris, 13 mars 1974, D 74 733): on retrouve l'exigence d'une réconciliation véritable et sincère. L'alinéa 3 de l'article 244 prévoit d'ailleurs que le fait de reprendre la vie commune afin de protéger les enfants ne peut être qualifié de réconciliation. Paradoxalement, c'est une protection pour les époux, qui n'auront pas à trouver une faute supplémentaire pour demander plus tard le prononcé d'un divorce pour faute.

L'exception: la nouveauté : la réconciliation ne vaut, on l'a vu, que pour les faits anciens et connus par l'époux supposé pardonner. Mais si celui-ci découvre des faits nouveaux, constitutifs d'une faute, survenus dans le passé du conjoint, ou même après qu'il y ait eu réconciliation, il lui est possible de demander un divorce pour faute, fondé tant sur la nouvelle faute que sur les faits antérieurs pourtant pardonnés. On retrouve ici l'idée selon laquelle le pardon est conditionnel (art. 244 al. 2 du Code Civil; Civ.2, 17 décembre 1969, D 70 188).

3) Les autres fins de non-recevoir qui dépendent directement des parties :
On exclue ici les fins de non-recevoir du droit commun, telles que l'autorité de chose jugée, la prescription trentenaire (qui n'a jamais été observée dans le cas de faits constitutifs de faute au sens de l'article 242) et la péremption (si aucun acte n'est fait dans les deux ans: article 386 du Nouveau Code de Procédure Civile).

La provocation : l'un des conjoints, qui n'a rien de tangible à reprocher à l'autre, va tout faire pour pousser celui-ci à la faute. Avant la réforme de 1975, le caractère de faute péremptoire octroyé à l'adultère rendait la provocation de celui-ci efficace, même grâce à un complice (Civ. 14 juin 1950, JCP 50, 5782; critiques nombreuses de la part de la doctrine). De nos jours, grâce à une application de l'adage nemo auditur, la provocation ne peut permettre la prise en compte de la faute provoquée (Civ.2,, 30 novembre 1977, D 78 IR 262).

L'irresponsabilité non fautive : on rejoint ici la condition d'imputabilité posée par l'article 242 du Code Civil. Pour qu'il y ait faute, il faut une intentionnalité dans la réalisation de l'acte; il n'est pas besoin, par contre, d'avoir voulu nuire à la personne. De ce fait, même lorsqu'un élément matériel existe, la faute ne peut exister si elle ne peut être imputée à la personne. C'est le cas du viol (cf supra, TGI Niort), ou de la maladie. Pour cette dernière, un état dépressif ne suffit pas (Civ.2,, 21 juillet 1975, bull.civ. II 186); la maladie qui va rendre possible l'existence de faits rendant intolérable la vie commune enlève la responsabilité de la vie commune. Mais comme il ne s'agit pas forcément d'aliénation mentale, il n'est pas assuré que l'utilisation du divorce pour rupture de la vie commune puisse être envisageable (article 238 al. 1er; rapport médical établi par 3 médecins experts choisis par le JAF et " établissant la réalité de la situation prévue à cet article ": art. 1125 NCPC). Enfin, le conjoint qui provoque son irresponsabilité par l'utilisation substances propres à atténuer son sens du discernement ne peut se prévaloir de son état (alcoolique, drogué...).

4) Du contentieux au règlement en douceur :
Il a été institué un système de passerelle qui permet au couple de passer d'un type de divorce contentieux à un divorce sur requête conjointe. Les époux tombés d'accord sur le règlement du conflit qui les oppose utilisent le procédé de l'article 246 du Code Civil pour présenter au JAF une convention qui devra être homologuée par le magistrat. Cette institution a le mérite de sauvegarder, tant que le divorce n'a pas été prononcé, un règlement à l'amiable du différend existant entre les époux. Le traitement de l'affaire s'assimile alors à la procédure du divorce sur requête conjointe.



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