STAGE ET ESSAI

Par Pascale ETIENNOT

Maître de Conférences à la Faculté de Droit de NANCY



Stage, essai professionnel, période d'essai, sont des termes évocateurs pour ceux qui travaillent ou qui souhaitent accéder à l'emploi. Il peut même être ajouté que ces techniques sont de plus en plus fréquemment considérées comme des passages "obligés" pour accéder à l'emploi ou pour évoluer dans l'emploi. Cela concerne l'étudiant à qui l'on propose ou impose un stage en cours d'études, la personne qui rencontre des difficultés d'accès à l'emploi à qui le législateur offre des formules d'insertion ou de réinsertion professionnelle et ces techniques sont encore applicables au candidat à un emploi ou à celui qui est déjà salarié.

Le thème d'étude de cette journée de travail consacrée à l'embauche en général nous conduit à exclure de cette communication les diverses formules légales plus ou moins récentes qui organisent la situation juridique de personnes présentant des difficultés d'insertion ou de réinsertion. Notre réflexion portera donc sur les formules de stage, essai, qui peuvent être offertes de façon générale à toute personne qui travaille ou qui est candidate à un emploi et pour laquelle aucun statut légal particulier n'est défini.

Sur ce point, on peut être étonné que le juriste ait quelque peu dédaigné le sujet tant il soulève de difficultés d'ordre juridique. Celles-ci sont d'autant plus accrues que les situations de stage et d'essai sont fréquemment enchevêtrées, de manière volontaire ou non. On est confronté à un véritable imbroglio. Nous allons tenter de clarifier les différentes situations et d'analyser dans quelle mesure elles sont admises d'un point de vue juridique.

Dans un premier temps nous verrons que le simple candidat à un emploi peut se voir soumis à ces épreuves d'essai professionnel ou d'un stage, puis nous constaterons que ces formules ne disparaissent pas, loin s'en faut, avec la conclusion du contrat, et qu'elles y connaissent même une fortune particulière, même si un autre objectif leur est assigné. C'est ce que nous envisagerons alors dans la deuxième partie.

PREMIERE PARTIE
LES TESTS ET STAGE COMME PREALABLE A L'EMBAUCHE

L'employeur qui recrute un salarié est soucieux de sélectionner une main d'oeuvre dont les qualités et capacités professionnelles sont certaines. L'on peut dire que dans sa quête de salarié immédiatement utilisable, directement productif, le chef d'entreprise fera appel à différents procédés de sélection. Aux traditionnels curriculum vitae et entretiens peuvent s'ajouter des tests dits " d'essai professionnel ", où le candidat à l'embauche devra prouver ses capacités, ou encore des stages de formation destinés à adapter le candidat à l'éventuel emploi proposé. Après avoir cerné ces notions d'essai professionnel et de stage, nous nous interrogerons sur la situation du candidat pendant cette période.

I - LES NOTIONS D'ESSAI PROFESSIONNEL ET DE STAGE

A. L'essai professionnel

L'essai professionnel connu également sous d'autres vocables, tel celui d'épreuve d'essai, d'exercice d'essai, d'essai du travail, est une pratique qui s'inscrit au même titre que les autres procédés habituels de sélection dans une phase pré-contractuelle. En réalité, il s'agit pour l'employeur de faire un premier choix parmi les différentes candidatures. Mais deux éléments permettent de le singulariser. A la différence des autres procédés de sélection, il s'analyse tout d'abord comme une épreuve technique permettant à l'employeur de vérifier la qualification professionnelle et l'aptitude technique du candidat à occuper l'emploi postulé. Le terme technique ne doit pas être pris dans son acceptation courante mais dans celle de réalisation d'une tâche bien précise. Il en découle que ce test peut être proposé à des personnes qui ont des qualifications très diverses. Si c'est fréquemment le personnel d'exécution qui y est soumis, tel un tourneur à qui on demande la réalisation d'une pièce, une secrétaire à qui on demande de taper une lettre, on peut tout à fait imaginer qu'un cadre, un enseignant, puisse subir également une telle épreuve.

Un deuxième élément permet de caractériser l'essai professionnel. Il s'agit de la brièveté de sa durée. Fréquemment l'épreuve sera de quelques heures, voire d'une journée. Cette affirmation nous est directement suggérée par les rares décisions jurisprudentielles rendues en la matière. La majorité des auteurs explique aisément ce caractère par le souci d'équité et de prudence qui doivent être de mise en la matière. La doctrine décide qu'une durée courte permet d'éviter que l'employeur ne détourne cette technique de son but et cherche à l'utiliser à des fins économiques, en faisant réaliser gratuitement toute une pièce par le candidat.

Dans cette logique, les auteurs avec le renfort de certaines dispositions conventionnelles, se déterminent pour une requalification systématique de la relation en contrat de travail lorsqu'un lien suffisamment durable est créé entre l'employeur et la personne qui a fourni une pièce, sous les ordres et selon les directives de l'employeur.

B. le stage

Si nombreuses sont les formules retenues pour rendre compte de l'essai professionnel, toutes aussi diverses sont celles utilisées pour caractériser la situation de stage. Ainsi au détour des situations tranchées par les tribunaux, on voit apparaître des formules sibyllines, tel que stage, stage de formation, stage professionnel, période de stage.

Toutefois force est de constater qu'aucune définition n'est donnée du terme de stage. La doctrine s'est souvent révélée discrète sur ce point. Tout au plus trouve-t-on que le stage a pour objectif la formation. Les juges, quant à eux, se sont davantage bornés à rejeter ou admettre la qualification de stage en raison des faits qui leur étaient soumis, plutôt qu'à en donner une définition. Il faut cependant reconnaître que leur attitude n'est pas dénuée d'utilité dans le tracé de la notion de stage. Ainsi il semble que trois éléments caractérisent le stage.

Le stage suppose en premier lieu la fourniture d'une formation théorique ou pratique exclusive de toute mise en situation réelle de travail. Cette condition ressort directement d'une décision déjà ancienne de la Cour de cassation (1) qui n'a jamais été démentie depuis. Dans cette décision, la Haute Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir mis en avant le fait qu'il s'agissait simplement d'un stage (préalable à l'embauche), en relevant que l'activité du stagiaire avait consisté exclusivement à suivre des cours et conférences, à se soumettre à des interrogations sur ses connaissances théoriques et qu'à aucun moment il n'avait effectué durant le stage un essai de travail, de visite, pour le compte d'une entreprise. Par cette condition posée, il semble que le stage se distingue de l'essai par son objectif. Alors que l'essai a pour but de tester les qualités professionnelles techniques ou non du salarié qui vient d'être embauché, le stage a pour finalité de permettre au candidat à l'emploi, d'acquérir des connaissances qui lui seront utiles dans son éventuel emploi futur.

Parfois les juges vont encore plus loin et déduisent la qualification de stage par un simple rejet de l'existence d'une période d'essai aux faits qui leur sont soumis.

C'est ainsi notamment qu'il fut jugé que le stage antérieur à l'engagement du candidat, pendant lequel celui-ci recevait des cours théoriques et une formation technique et pratique sanctionnée par un examen ne constitue pas une période d'essai, car cette personne n'était pas liée par un contrat de travail et ne fournissait pas de travail productif. Toujours dans cette logique les juges décidèrent que ne peut être qualifié de stage l'engagement d'une personne en vue de lui confier une responsabilité qui s'apparente en fait à une période d'essai, puisque l'intéressé n'avait reçu aucune formation quelconque ni même une aide technique de son employeur (2).

Il faut préciser que si la formation est un élément nécessaire et indispensable à la qualification de stage, elle n'en constitue cependant qu'une composante. La détermination d'une durée est un deuxième élément mis en avant par certains juges. En effet, il semble résulter de quelques décisions, que la formation ne se conçoit que dans le cadre d'un effort progressif et continu, qui implique le respect de la durée de la formation prédéterminée par les parties (3).

A ces conditions positives semble s'en ajouter une troisième qui est négative. En effet, il ressort de certaines décisions récentes rendues par la Cour de cassation (4) que les juges tiennent le plus grand compte du fait que l'activité contestée ne s'exécute pas dans un état de dépendance et de subordination vis à vis de l'employeur. En effet, cette seule constatation apparaît suffisante pour exclure la qualification de stage au profit de celle de contrat de travail pouvant comporter une période d'essai. Il nous semble qu'on ne peut qu'approuver ces dernières solutions.

II - LA SITUATION DU CANDIDAT PENDANT CETTE PERIODE

Placée dans une situation d'essai professionnel ou de stage, la personne ne bénéficiera pas de la qualité de salarié, aucun contrat de travail n'ayant été conclu. Pour autant, sera-t-elle dépourvue de toute protection ? Il semble que la réponse doit être nuancée. En la matière, il appartient de distinguer la situation de cette personne pendant le déroulement de la mesure et à son échéance prévue.

A. la situation pendant l'épreuve

La caractéristique essentielle de cette période réside dans son absence de statut organisé. Pour autant, on doit constater que ponctuellement certains droits ou contreparties seront accordés à la personne placée dans l'une de ces situations. Comme nous l'avons vu précédemment, l'essai professionnel se situe dans une période pré-contractuelle. Le contrat de travail n'ayant pas été conclu, les règles relatives au versement d'un salaire ne s'appliquent pas. Le principe de gratuité est donc de mise en la matière. Toutefois, il ne s'agit pas d'un principe absolu. En effet, certaines atténuations peuvent être apportées par des dispositions conventionnelles. En effet, plusieurs conventions collectives prévoient la possibilité d'une gratification lorsque l'épreuve dépasse un certain nombre d'heures. Son montant sera alors fréquemment calculé en référence au salaire minimum de la catégorie professionnelle (5) et plus rarement en fonction du taux du salaire d'embauche (6). La doctrine, quant à elle, semble assez favorable au versement d'une contrepartie pécuniaire dès lors que les travaux réalisés peuvent présenter un quelconque intérêt pour l'entreprise. Nous avons vu précédemment que les juges admettent que la convention de stage est nécessairement déterminée. Ils en déduisent alors que l'employeur ne peut sans motif légitime rompre cette convention. A cet égard ils relèvent notamment, que l'employeur qui met hâtivement fin à un stage sans motif légitime commet une faute entraînant le versement de dommages et intérêts au stagiaire (7) .

B. la situation du candidat à l'échéance normale de l'épreuve

Une question délicate se pose à l'issue de ces périodes, l'employeur est-il tenu d'engager l'intéressé ? Dans la mesure où l'essai professionnel et le stage sont destinés à sélectionner des candidats, il faut admettre que l'employeur éventuel ne s'est implicitement engagé à recruter que ceux ou celui qui triomphent à l'épreuve sélective finale. Toutefois, étant donné que l'employeur n'est pas tenu de motiver les raisons qui l'ont conduit à retenir telle ou telle candidature plutôt qu'une autre, il apparaît que le candidat évincé disposera de peu de chance d'obtenir une indemnisation. Il n'en serait autrement que dans deux hypothèses. Ce serait le cas tout d'abord si après avoir considéré le stage concluant, l'employeur ne l'embauchait pas parce qu'il renonçait à pourvoir le poste. Dans cette hypothèse, le juge pourrait condamner l'employeur à verser des dommages et intérêts au stagiaire en raison de la légèreté blâmable de l'employeur. Il en serait encore ainsi si l'employeur décidait de ne pas recruter le candidat qui a réussi les tests d'aptitude ou un stage et ce pour un motif discriminatoire.

Comme on peut le constater, le candidat soumis à de telles épreuves dispose de très peu de garantie. On peut même ajouter qu'embauché ultérieurement, il risque de connaître encore pour un certain temps une situation de précarité. L'employeur pourra le soumettre à une période d'essai en situation réelle de travail pendant laquelle la précarité ne fera aucun doute, car, comme le précise Monsieur POULAIN (8), il devra faire, cette fois-ci, la preuve de son aptitude à s'intégrer dans l'entreprise, cette appréciation étant laissée à la discrétion de l'employeur (9).

DEUXIEME PARTIE
ESSAI ET STAGE POSTERIEURS A L'EMBAUCHE

Les épreuves de stage ou d'essai sont encore souvent imposées au salarié immédiatement après son recrutement, dans la mesure où elles sont essentiellement axées sur la formation ou l'adaptation aux techniques particulières de l'entreprise (I-). Toutefois, cette simplicité n'est pas toujours de mise dans le monde du travail contemporain. Et de fait, il n'est pas rare de voir l'employeur en cours de contrat imposer au salarié un stage de perfectionnement, de recyclage ou encore une période d'essai (II-). La question de la licéité de ces pratiques se pose alors.

I - LA SOUMISSION DU SALARIE A CES EPREUVES AUSSITOT LE RECRUTEMENT

Il est des cas dans lesquels le contrat de travail vient d'être conclu et dans lesquels l'employeur, peu au fait des subtilités juridiques ou au contraire très conscient de l'ambiguïté de ces qualifications, fasse se succéder des périodes dont les unes sont qualifiées de stages et les autres d'essais. Jusqu'à récemment, l'ordre de succession de celles-ci n'était pas indifférent du point de vue des conséquences et il en résultait des situations de plus ou moins grande précarité pour le salarié nouvellement recruté. Mais nous verrons également qu'au cours de l'année 1997, par différents arrêts, la Cour de cassation paraît faire sonner le glas de ces montages.

A. les solutions antérieures à 1997

Lorsqu'un litige s'élevait sur le régime juridique applicable à ces hypothèses, le juge, conformément à la mission qui lui est impartie, étudiait la situation de fait qui lui était soumise afin d'en déterminer les caractères essentiels, de façon à admettre la qualification de stage ou d'essai. Mais ce qui était important, c'est que lorsque la situation était qualifiée, il en résultait des solutions hybrides pour le salarié selon l'ordre des choses adoptées.

Mais l'étude des solutions montrait l'émergence d'une figure différente lorsque le contrat était rompu à un stade ultérieur c'est à dire pendant la période d'essai.

Si Madame SINAY a précisé à une époque qu'un contrat qui prévoit une période d'essai est un contrat à consolidation progressive, il est possible de dire ici que l'écoulement du temps n'avait pas pour effet de consolider la relation, mais au contraire de la fragiliser pendant un temps qui pouvait atteindre au demeurant parfois jusqu'à une année.

Manquait assurément à cet ensemble hétérogène de situations un cadre cohérent qui uniformiserait quelque peu le début d'exécution du contrat. C'est à cette tâche que s'est employée la Cour de cassation en 1997.

B. Les solutions posées en 1997

Par un arrêt du 25 février 1997 (13) confirmé par une autre décision du 24 octobre 1997 (14), la Cour de cassation semble condamner, ou plutôt limiter en partie, de tels montages. Dans la première affaire qui lui était soumise un salarié avait été engagé par la société Aymiot en qualité de premier assistant contrôleur à compter du 29 août 1991. Son contrat de travail prévoyait une période d'essai de 3 mois. En outre l'employeur avait imposé au salarié de participer à un séminaire de formation pendant une semaine, quelques semaines après le salarié avait averti par lettre l'employeur qu'il rompait le contrat et avait quitté l'entreprise le jour même. L'entreprise a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une somme à titre de préavis de démission non respecté. Elle soutenait qu'à cette date l'essai était terminé et que l'engagement était définitif. Le salarié prétendait que la période d'essai n'était pas terminée à cette date, que son point de départ avait été différé du fait de sa participation au stage.

La Cour d'appel, conformément à la jurisprudence dominante jusqu'alors, avait débouté la société de sa demande en prenant le soin de relever qu'au cours de ce séminaire théorique le salarié n'avait pas été conduit à exercer ses fonctions d'assistant contrôleur, qu'il s'ensuivait que la durée du stage s'ajoutait à celle de l'essai et que le salarié avait ainsi pu se libérer sans avoir à acquitter de préavis. La Cour de cassation ne partage pas cette analyse. Elle casse l'arrêt en précisant dans la formulation générale " que la période d'essai se situe au commencement de l'exécution du contrat de travail". Elle ajoute que la seule circonstance que l'employeur impose au salarié en début de contrat de participer à un séminaire de formation pendant lequel il est soumis aux obligations de son contrat de travail ne peut avoir eu pour effet de différer le point de départ de l'essai.

Dans la deuxième affaire la nature du contrat était différente. Il s'agissait d'un contrat de qualification. La Cour de cassation a repris la solution énoncée précédemment, quand bien même les premières semaines du contrat de qualification étaient consacrées au suivi par le salarié d'une formation théorique hors de l'entreprise.

Par ces arrêts la Cour de cassation clarifie les solutions en précisant qu'il faut s'attacher au point de départ de la relation contractuelle proprement dite et non pas au début de l'exécution de la tâche pour laquelle le salarié a été embauché.

De telles prises de position ne peuvent laisser indifférents. D'un côté, elles méritent l'approbation dans la mesure où ces solutions apparaissent empreintes de logique au nom du principe de l'ordre public social.

Toutefois, il ne faut nier que, par certains aspects, de telles formules, rigides pour nombre d'entreprises, peuvent surprendre. Il en est ainsi au regard la finalité de la période d'essai. En effet celle-ci consiste pour l'employeur à procéder à une appréciation des capacités professionnelles et techniques du salarié, c'est-à-dire en situation de travail. Or cette règle ne risque-t-elle pas d'être quelque peu battue en brèche notamment dans les contrats de travail alliant formation et prestation de travail, dans la mesure où de tels contrats débutent très fréquemment par une période de formation théorique.

Comme le souligne Madame ROY-LOUSTAUNAU (15), l'employeur désireux à l'avenir de tester un jeune salarié recruté selon ces formules aura intérêt à faire débuter le contrat par une prestation effective sur le poste de travail, avant de l'envoyer en formation théorique. Mais en réalité l'employeur a-t-il vraiment la maîtrise de l'organisation des cours de formation ?

En résumé il semble qu'on entre dans une aire de clarification en ce qui concerne ce début d'exécution. En somme, soit le contrat est conclu de manière définitive dès le départ, soit il existe une période de précarité mais celle-ci ne peut constituer une période d'essai. En d'autres termes il semble que l'on aille vers la condamnation de cette période floue où on alliait tout à la fois garantie d'emploi, précarité, et engagement définitif.

II LE SALARIE SOUMIS A UNE PERIODE D'ESSAI OU A UNE FORMATION EN COURS DE CONTRAT

Il nous reste un dernier point à voir. C'est celui de l'admission des périodes d'essai et de stage alors que le contrat est déja exécuté depuis un certain temps. Nous serons bref sur ce point car il déborde quelque peu le thème de l'embauche, mais il n'en demeure pas moins qu'on ne pouvait aborder ce thème d'essai stage sans en dire quelques mots.

A. l'essai en cours de contrat

Nous avons vu antérieurement que la stipulation d'un essai est analysée comme un assouplissement du droit de résiliation dans la phase initiale du contrat. Mais alors dans cette perspective, dès lors que le contrat est définitif, que le salarié est en poste parfois depuis plusieurs années et qu'il est connu de l'employeur, il ne devrait plus y avoir de place pour une telle période quand bien même de nouvelles fonctions seraient confiées au salarié. Et pourtant, la pratique nous révèle que les employeurs recourent très fréquemment à ces procédés, à ces formules.

A nouveau la lecture et l'analyse du contentieux est riche d'enseignements en ce qui concerne ce procédé.

Jusqu'à récemment certaines décisions admettaient la licéité de l'essai en cours de contrat en se fondant sur un critère objectif, à savoir la nécessité pour l'employeur de s'assurer de l'aptitude d'un salarié à exercer de nouvelles fonctions (19). Mais la question de la légitimité de ses solutions restait entière. Il est vrai que lorsqu'on analysait la situation sous l'angle de l'intérêt des entreprises, ces solutions semblaient justifiées en ce qu'elles permettaient le cas échéant à l'employeur de pouvoir se séparer de salariés devenus indésirables sans avoir à justifier d'un quelconque motif. Mais d'un point de vue juridique ces solutions ne pouvaient à notre sens qu'être condamnées. En effet, en agissant ainsi les juges portaient une atteinte injustifiée aux droits du salarié. Ils faisaient supporter au seul salarié les risques de la rupture et faisaient également fi de la règle posée à l'article L 122.14.7 du Code du travail.

Puis une ligne d'évolution annonçant de la part de nos juridictions et plus particulièrement de la part de la Cour de cassation un rejet de la qualification période d'essai se dessina peu à peu. Dans un arrêt du 17 janvier 1993 (20) la Cour de cassation a clairement condamné de telles pratiques dans l'hypothèse de la rétrogradation du salarié pour faute de celui-ci. Elle justifie sa solution en précisant que l'employeur ne peut pour le nouvel emploi, imposer une période d'essai qui aurait pour effet de lui permettre de rompre le contrat de travail sans avoir à justifier d'un quelconque motif. Un pas de plus fut encore franchi dans différents arrêts du 18 juin 1996 (21) et 22 janvier 1997 (22). Dans ces décisions la Cour de cassation nous précisait de manière certes implicite mais très opportune que la période d'essai devait se situer au début du contrat. Elle excluait ainsi la possibilité d'opposer une période d'essai à un salarié en cas de transfert d'entreprise. C'est enfin par une décision rendue le 25 février 1997 (23) que la Cour de cassation leva toutes les ambiguïtés sur cette question. Alors qu'elle était amenée à statuer sur le cas particulier de la période d'essai différée, elle a répondu par une formulation qui dépasse ce strict cadre. En effet, en énonçant de façon générale que la période d'essai se situe au commencement de l'exécution du contrat, la Haute Cour condamne, de manière très nette, le report d'essai mais également, de manière tout aussi indiscutable, l'essai convenu en cours de contrat.

A l'inverse, il faut ajouter cependant que cet arrêt ne semble pas remettre en cause ce que certains auteurs dénomment les clauses d'essai (24) ou période d'adaptation. La différence de régime qui devrait leur être réservée par la Cour de cassation devrait s'expliquer à notre sens par la différence d'objet qui existe entre les dites clauses et la période d'essai. En effet, dans ces clauses il est prévu qu'en cas d'échec du salarié dans ses nouvelles fonctions, le salarié dispose d'un droit de retour sur son emploi d'origine (25). Il en résulte qu'elles ne confèrent pas à l'employeur un droit de libre rupture du contrat. Elles ne remettent pas en cause le lien contractuel existant entre l'employeur et le salarié, mais éventuellement et seulement l'affectation à un nouveau poste.

De la même manière, l'arrêt Boydron du 25 février 1997 ne paraît pas condamner de manière évidente la stipulation d'un essai en cas de novation, puisque l'essai se situera bien dans ce cas au commencement de l'exécution du nouveau contrat auquel les parties se sont liées. C'est alors un autre débat que de s'intéresser sur les conditions d'admission ou non de la novation en droit du travail.

B. Le stage en cours de contrat

Du fait que le contrat a vocation à régir les rapports entre les parties pendant un temps qui peut être long, il n'est pas rare que l'employeur ne soit plus en mesure à un certain moment de fournir exactement la prestation convenue lors de l'embauche et qu'il propose à son salarié de suivre une formation. Lorsqu'il se trouve placé dans cette hypothèse le salarié n'est pas libéré de la subordination vis à vis de son employeur. Il est en effet clairement admis que sa participation au stage constitue seulement une simple modalité particulière d'exécution du contrat de travail au service des intérêts de l'entreprise. En conséquence, d'un point de vue juridique, les relations employeur salarié ne devraient souffrir aucune modification du fait de la formation. Or la représentation judiciaire qui a pénétré le régime juridique du stage au fil des années semble, quant à elle, être marquée, tout au moins jusqu'à ces dernières années, par un regain, un renforcement des prérogatives patronales et corrélativement par une augmentation des sujétions pour le salarié. En effet, non seulement ce dernier est tenu de suivre et de réussir la formation, mais il lui appartient à son retour dans l'entreprise de faire preuve de compétence (26).

Pour conclure nous pouvons dire que la Cour de cassation est entrée dans une logique qui mérite l'approbation lorsque ces épreuves se situent après la conclusion du contrat. Il reste toutefois à espérer qu'elle sache poser avec autant de clarté ce qui relève de la simple épreuve de sélection et ce qui appartient déjà à l'exécution d'un contrat de travail.



RETOUR AU SOMMAIRE DU COLLOQUE
RETOUR AU SOMMAIRE DU JURIPOLE