DE QUELQUES ASPECTS DU DROIT ANGLAIS DE L'EMBAUCHE

Par Tara BRILL

Maître de Conférences à la Faculté de METZ

 

L'ampleur du sujet interdit une analyse approfondie de tous les problèmes juridiques posés en matière d'embauche en Angleterre. Mais, afin d'avoir une vue d'ensemble du système anglais, il a paru intéressant d'examiner très brièvement les solutions du droit anglais sur les différents thèmes abordés dans le cadre des rapports présentés aujourd'hui.

I - LA PERIODE PRECONTRACTUELLE (1)

Avant la conclusion ferme d'un contrat de travail, tout comme en droit français, il peut exister une période précontractuelle. Mais, à la différence du droit français, celle du droit anglais paraît beaucoup plus simple (2). Cette simplicité s'explique par deux raisons. Tout d'abord, le droit anglais a tendance à ne raisonner qu'en termes d'offre et d'acceptation. En effet, le droit anglais ne connaît pas la promesse, telle qu'elle existe en droit français. Ensuite, parce qu'en pratique lorsque l'employeur propose un emploi, il le fait systématiquement sous condition de la conclusion d'un contrat : " subject to contract ". Cette condition l'autorise à ne pas donner suite à sa proposition et à rompre à tout moment les négociations engagées, même très avancées. Il s'ensuit, qu'en droit anglais s'agissant de la période précontractuelle, il faut distinguer trois phases : les pourparlers (A), l'offre (B) et l'acceptation (C).

A. Les pourparlers (invitation to treat)

Dans le cadre des pourparlers, l'offrant c'est-à-dire en pratique l'employeur, n'entend pas être lié par son acceptation d'entrer en pourparlers. Pour lui, lors de cette phase, chacun est libre ou non de conclure le contrat. Pour admettre l'absence ou la présence de cette intention, les juges se livrent à une appréciation objective des faits et circonstances de l'espèce.

B. L'offre

En pratique, l'offre se distingue des pourparlers selon le niveau de précision des termes fixés par les parties (3). L'offre peut être conditionnelle ou ferme.

En ce qui concerne l'offre conditionnelle, elle ne lie pas l'employeur. Toutefois, les tribunaux considèrent que l'employeur doit examiner les conditions exigées en toute bonne foi. Ainsi, lorsqu'il y a une offre d'embauche sous réserve de références satisfaisantes, l'employeur a seulement l'obligation de considérer ces références de bonne foi. Les juges refusent d'examiner si celles-ci sont satisfaisantes ou non, en décidant qu'il s'agit de considérations purement subjectives qui relèvent du pouvoir discrétionnaire de l'employeur (4).

S'agissant d'une offre ferme, jusqu'à l'acceptation, l'employeur peut à tout moment la révoquer sans engager sa responsabilité. Néanmoins, la Case-Law (jurisprudence) considère qu'il doit informer l'autre partie de cette révocation (5). Par ailleurs, s'il a été précisé que l'offre resterait ouverte pendant un certain laps de temps, au-delà de ce délai, l'offre devient caduque. De même, l'offre devient caduque en cas de contre proposition du destinataire.

C. Acceptation

L'acceptation de l'offre lie l'employeur. Celle-ci peut être donnée par tous moyens ; verbalement, par lettre, par la signature d'un contrat ou tacitement par son comportement. Ainsi, l'employeur qui révoquerait l'offre avant la date d'exécution du contrat engage sa responsabilité. Le salarié a droit à des dommages-intérêts pour rupture de contrat. La réparation sera fonction du préjudice subi. De manière générale, la jurisprudence considère que ce préjudice correspond à l'indemnité de préavis légal auquel le salarié putatif (putative employee) aurait eu droit s'il avait commencé son travail (6). Une telle analyse rejoint celle adoptée en France par la Cour de cassation (7).

II- LA PROTECTION DES DROITS FONDAMENTAUX DU CANDIDAT A L'EMBAUCHE

Il n'existe pas en droit anglais de dispositions générales telles que prévues en droit français par les articles L.122-45, L.121-6, L.123-1 du Code du travail ou l'article 225-1 du Code Pénal. En revanche, en Angleterre de nombreux textes spécifiques visent à la protection des droits fondamentaux du candidat à l'emploi.

Il convient d'examiner d'une part, l'étendue de la protection et, d'autre part, les limites de la protection.

A. L'étendue de la protection

Le principe de non-discrimination eu égard au candidat à l'embauche, est énoncé par de nombreux textes spécifiques. Ces différents textes recouvrent diverses situations prévues en droit français. Ces dispositions sont les suivantes :

Parmi ces dispositions, il importe de s'attacher au principe de non-discrimination posé par les Sex and Race Discrimination Acts et au Rehabilitation of Offenders Act, dans la mesure où ces textes se démarquent du droit français.

a) Non-discrimination résultant des Sex and Race Discrimination Acts Le Sex Discrimination Act interdit toute discrimination fondée sur le sexe de la personne ou de sa situation matrimoniale. Par ailleurs, la femme enceinte candidate à un emploi peut se fonder sur ce texte en cas de refus d'embauche lié à son état. Quant au Race Relations Act, il prohibe toute discrimination fondée sur la couleur, la race, la nationalité ou les origines ethniques ou nationales, en ce qui concerne les offres d'emploi ou les termes du recrutement. Ce texte s'applique non seulement aux employeurs mais aussi aux agences de recrutement, aux agences de formation etc ... Ces deux textes sont très proches et visent la discrimination directe et indirecte. La discrimination indirecte, qui n'est pas développée en droit français, peut se définir ainsi. Il y a discrimination indirecte lorsqu'une personne impose une condition à une autre, alors que la proportion des personnes d'un même sexe ou d'une même race qui peut satisfaire une telle condition est considérablement inférieure à celle de l'autre sexe ou de l'autre race ; la condition exigée n'est pas justifiée et la personne de l'autre sexe ou de l'autre race ne peut satisfaire une telle condition. Ainsi par exemple, il y aurait discrimination indirecte dans le cas d'une offre d'emploi visant un employé homme ou femme ayant une grande barbe, sauf à démontrer que la condition exigée est justifiée (9). Pour décider si la condition requise est justifiée, les juges anglais se demandent si l'objectif est légitime et si les moyens utilisés sont raisonnables (10). Les tribunaux bénéficient en la matière d'une très large liberté d'appréciation. En ce qui concerne la preuve de la discrimination liée au sexe ou à la race, c'est à la personne qui se plaint d'une discrimination qu'incombe la charge de la preuve. Toutefois, dans la mesure où il n'est pas aisé de rapporter la preuve directe de cette forme de discrimination, les tribunaux anglais ont tendance à inverser la charge de la preuve. Ainsi, lorsque la victime peut faire état d'un certain nombres d'éléments rendant vraisemblables les faits allégués, les tribunaux estiment que dans ce cas, c'est à l'employeur de démontrer qu'il n'y a pas eu d'acte discriminatoire (11). Au regard de la charge de la preuve, il apparaît que la victime est mieux protégée qu'en droit français. Enfin, l'originalité du droit anglais en matière de discrimination sexiste et raciale réside en la mise en place des Commissions, ayant pour rôle de rendre plus efficace la mise en oeuvre des textes. La Commission de Equal Opportunities (égalité de chances), dont les membres sont nommés par le Secrétaire d'Etat à l'Intérieur (Home Secretary), a pour attribution de promouvoir l'égalité de chances et d'éliminer les discriminations. A ce titre, elle peut procéder à des enquêtes et peut ester en justice. C'est ainsi qu'elle peut saisir le tribunal industriel en vue d'obtenir une injonction en cas de discrimination indirecte (12). La Commission for Racial Equality a quant à elle non seulement un pouvoir d'investigation et d'information, mais elle peut également émettre un rapport comportant des recommandations. Par ailleurs, lorsque dans le cadre de ses investigations, elle aboutit à la conclusion qu'une telle personne a commis un acte illégal au regard de la loi sur la discrimination raciale, elle peut notifier un avertissement à cette personne. S'il y a répétition d'un tel acte au cours d'une période de 5 ans à compter de l'avertissement, la Commission peut obtenir en justice une injonction, interdisant à la personne de commettre de nouvelles pratiques discriminatoires. Il apparaît ainsi que ces commissions ont un rôle important à jouer en matière de prévention ou de répression. Toutefois, certains auteurs (13) considèrent qu'elles n'utilisent pas toutes les " armes " mises à leur disposition.

b) The Rehabilitation of Offenders Act de 1974 Cet acte prévoit la " purge " d'une condamnation, si à la suite d'une période de réhabilitation, le délinquant ne commet aucun délit sérieux. La période de réhabilitation dépend de l'âge du délinquant au moment de la condamnation et de la peine prononcée. Cette période varie de 6 mois en cas d'acquittement (absolute discharge) (14) jusqu'à 10 ans pour une peine de 2 1/2 ans. Au-delà d'une peine de 2 1/2 ans il n'y a pas de purge. En vertu de ce texte, la personne bénéficiant de la réhabilitation peut nier avoir fait l'objet d'une quelconque condamnation pénale dans le cadre d'une procédure de recrutement ou refuser de répondre à toute question sur ce point. Néanmoins, ce texte comporte des limites. En effet, certaines catégories d'emploi sont exclues (notamment dans le secteur hospitalier, le domaine social, les professions judiciaires, etc.). Par ailleurs, l'Employment Law qui fait référence à cette période de réhabilitation ne prévoit aucun " remède " (remedy) pour la personne réhabilitée en cas de refus d'embauche (15). En dépit de sa portée limitée, ce texte a le mérite de permettre à certaines personnes de bénéficier d'une " purge " et d'un " droit de mensonge " pendant la phase de recrutement.

B. Les limites de la protection des droits fondamentaux du candidat à l'embauche

Ces limites résultent essentiellement des lacunes de la loi anglaise en ce domaine. Mais il faut également y ajouter les tempéraments apportés par la loi et les difficultés inhérentes à la matière.

a) Les lacunes de la loi Tout d'abord, en l'absence de textes à vocation générale, toutes les situations non expressément prévues par la loi sont a priori autorisées. C'est ainsi qu'en droit anglais, il n'existe aucune protection du candidat à l'emploi en raison de ses opinions politiques ou de ses convictions religieuses. Toutefois, en ce qui concerne la religion, l'Employment Appeal Tribunal a considéré dans la décision Seide c/Gillette Industries de 1980 (16), que même si la religion ne figure pas parmi les dispositions de la loi, le terme " juif " (jew) peut signifier soit l'appartenance à une race ou groupe ethnique ou bien un membre d'une certaine pratique religieuse. Il s'ensuit que si la discrimination vise la personne en tant qu'elle appartient à une race et non en tant que membre d'une religion, un tel acte constitue une discrimination raciale. En revanche, un tel raisonnement n'a pas été retenu en ce qui concerne les " rastas " (rastafarians) (17). A cet égard, certains auteurs (18) estiment qu'il faudrait une disposition expresse du législateur interdisant toute discrimination fondée sur la religion. Ensuite, contrairement au droit français, aucune disposition du droit anglais ne réglemente les méthodes et techniques d'aide au recrutement ou d'évaluation. Or, ces pratiques peuvent donner lieu à des abus. Enfin, au regard des sanctions, force est de constater qu'aucune sanction pénale n'a été prévue en cas de violation des textes (19). Or, de telles sanctions constituent indiscutablement un moyen de dissuasion efficace. De surcroît, jusqu'en 1996, la victime d'une discrimination indirecte ne pouvait obtenir des dommages et intérêts lorsque celle-ci était non intentionnelle (20).

b) Tempéraments apportés par la loi Parmi les exceptions au principe de non-discrimination apportées par le législateur, il importe de mentionner celle fondée sur le " genuine occupational qualification " prévue par les Race Relations and Sex Discrimination Acts. En effet, les sections 5 du Race Relations Act et 6 du Sex Discrimination Act, autorisent les discriminations fondées, en matière d'embauche, sur le sexe ou la race, lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe ou à une race constitue la condition déterminante de l'exercice d'une activité professionnelle (21). Une liste de ces activités est énumérée par les textes en question (22). Parmi celles-ci, il convient de relever les suivantes :
Il faut souligner que les tribunaux admettent plus largement les exceptions fondées sur le sexe que sur la race. Il n'en demeure pas moins que ces tempéraments légaux limitent la portée de la protection instituée par les textes en ce domaine.

C. Difficultés inhérentes à la matière

Ces difficultés sont au nombre de deux :


III - FORME ET CONTRAT DE TRAVAIL (24)

Trois points seront très brièvement examinés : l'absence de formalisme (A), les limites à l'exclusion du formalisme (B) et la nature juridique du document écrit (C).

A . L'absence de formalisme

En France comme en Angleterre, le contrat de travail n'est soumis à aucune condition de forme. Il peut être oral ou écrit.

B. Les limites à l'exclusion du formalisme

Dans certains cas, le législateur anglais impose la rédaction d'un écrit. Sont visés les contrats d'apprentissage et les contrats dans la marine marchande. < En revanche, contrairement au droit français l'écrit, n'est pas exigé pour le contrat à durée déterminée, le contrat à temps partiel. < En outre, dès 1963, le Contract of Employment Act, modifié par l'Employment Protection Act de 1978, faisait obligation à l'employeur de remettre au salarié travaillant au moins 16 heures par semaine, un document écrit dénommé " Written statement ", au plus tard 13 semaines après son entrée en fonction (25). Ce document écrit devait mentionner les éléments principaux de l'emploi tels que l'identification des parties, date de début de l'emploi, les conditions générales d'emploi, les taux, montant et mode de calcul de la rémunération, horaire de travail, etc. < Toutefois, certaines catégories de salariés ne pouvaient pas exiger ce " written statement ", soit parce que la loi les en écartait ou bien parce que l'employeur s'était acquitté autrement de cette obligation. Parmi les salariés exclus, il convient de mentionner ceux travaillant moins de 16 heures par semaine jusqu'à ce qu'ils puissent justifier d'une durée hebdomadaire de travail d'au moins 8 heures pendant 5 ans. Ce texte prévoyant la remise d'un " written statement " a été modifié en 1993, afin de se conformer aux exigences de la directive européenne du 14 octobre 1991, sur la preuve des relations du travail (26). S'est posée la question de savoir quelle est la nature juridique du document écrit ?

C. La nature juridique du document écrit

A l'instar du droit français, le droit anglais considère que le " written statement " n'est pas un contrat. Mais la Case-Law (jurisprudence) admet qu'il puisse éventuellement servir à établir la preuve des termes contractuels. Par ailleurs, lorsque le document écrit ne contient pas toutes les mentions prévues par la directive, le tribunal industriel saisi peut enjoindre à l'employeur de combler ces lacunes. Enfin, il faut relever que le " written statement " est important pour les contrats à durée déterminée pour lesquels la loi n'exige aucun écrit. En effet, c'est le document écrit remis par l'employeur qui détermine la date d'échéance d'un tel contrat.

IV - STAGE ET ESSAI (probation or trial period)

Le droit anglais ne distingue pas le stage de l'essai. En effet, les même règles juridiques s'appliquent dans l'une ou l'autre situation.

Par souci de clarté, cette étude se réfère au seul cas de la période d'essai. A l'instar du droit français, les parties peuvent convenir qu'une période d'essai précédera l'engagement définitif. Le droit anglais considère que l'essence même de la période d'essai est de permettre à l'employeur de mettre fin à l'engagement après une période spécifiée, sur le fondement notamment de l'inaptitude professionnelle du salarié ou de son incompétence. Toutefois, il importe de souligner que la fixation d'une période d'essai n'est pas une pratique courante en Angleterre. En effet, d'une part, en Common Law, l'employeur peut licencier pour n'importe quel juste motif. Et, d'autre part, le salarié pour bénéficier de la protection légale contre un licenciement abusif (unfair dismissal) doit avoir une ancienneté de deux ans. Il s'ensuit que l'insertion d'une période d'essai dans le contrat est sans utilité pour l'employeur. Et même lorsqu'elle est prévue, une période d'essai d'une durée inférieure à 2 ans ne soulève pas de véritables problèmes juridiques. En principe, l'existence et la durée de la période d'essai résultent du contrat individuel de travail. Toutefois, dans certains cas particuliers, la loi impose une période d'essai. Il s'agit d'une période d'essai d'une forme spécifique qu'il convient d'examiner séparément.

A. La période d'essai " normale "

Si au regard des principes applicables, le droit anglais est proche du droit français, il existe néanmoins certaines différences entre les deux systèmes. Trois points seront abordés : les sources de la période d'essai (a), la durée (b) et la rupture en cours d'essai (c).

a. Les sources de la période d'essai En droit anglais, la fixation de la période d'essai doit être expressément prévue par le contrat individuel de travail. Ainsi, contrairement au droit français, la période d'essai ne peut résulter d'un usage et la convention collective n'intervient pas en la matière.

b. Durée de la période d'essai Les parties sont libres de déterminer la durée de la période d'essai. Il faut cependant relever qu'en droit anglais, il existe de nombreux exemples de période d'essai d'une durée supérieure à deux ans, notamment dans l'enseignement supérieur. Mais dans ces hypothèses, la Case-Law considère que l'employeur doit démontrer qu'il existe des raisons valables justifiant une telle durée (27).

c. Rupture en cours d'essai La jurisprudence anglaise décide que pendant la période d'essai, les règles relatives à la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables. Il apparaît donc que sur ce point, les deux systèmes ne diffèrent pas. En cours d'essai, l'employeur anglais est ainsi libre de rompre le contrat à tout moment, sauf clause expresse ou implicite contraire (28). De même, il a été jugé qu'une décision de mettre fin à un contrat de travail en cours d'essai peut être justifiée alors qu'une telle décision ne le serait pas nécessairement s'il s'était agi d'un contrat de travail dépourvu de période d'essai (29). Toutefois, lorsque la période d'essai fixée est supérieure à deux ans, il semble que les juges considèrent qu'il convient d'appliquer les règles statutaires contre la rupture abusive (unfair dismissal) (30). Ainsi, l'employeur doit invoquer un juste motif (31) et montrer qu'il a agi raisonnablement, c'est-à-dire sans hâte, ni légèreté et en respectant la procédure prévue par la charte disciplinaire. Enfin, comme en droit français, le droit de mettre fin à l'essai est susceptible d'abus. En droit anglais, l'abus résultera notamment du fait que l'employeur n'a pas en cours d'essai offert au salarié la possibilité de faire ses preuves. Tel est le cas, lorsque l'employeur ne l'a pas conseillé utilement ou ne l'a à aucun moment averti de ses insuffisances en cours d'essai (32).

B. La période d'essai " spécifique "

Cette période d'essai " spécifique " résulte de la section 138 de l'Employment Rights Act de 1996. Il convient d'analyser brièvement les situations visées par la loi, la durée de la période d'essai et les conséquences de la rupture en cours d'essai.

a. Situations visées par la loi La section 138 de l'Employment Rights Act énonce que si à la suite d'un licenciement (dismissal) par l'employeur (33), de l'expiration d'un contrat à durée déterminée (34) ou bien encore d'un " constructive dismissal " (35), le contrat de travail est renouvelé ou si l'employeur propose au salarié un nouveau contrat, sur la base de termes nouveaux ou de nouvelles conditions de travail, le nouveau contrat ou le contrat renouvelé doit comporter une période d'essai (trial period). Cette période d'essai statutaire a pour objectif de permettre au salarié de vérifier que la nouvelle tâche lui convient. Il s'agit donc en quelque sorte d'une période d'essai édictée spécifiquement en faveur du salarié (36).

b. La durée La durée de la période d'essai prévue par la loi est de 4 semaines. Toutefois, la section 138 énonce que les parties peuvent prévoir une durée supérieure par une stipulation expresse du contrat de travail. Cet allongement de la période d'essai doit avoir pour but la formation (retraining) du salarié en raison de son nouveau contrat.

c. Rupture Si au cours de la période d'essai l'employeur met fin au contrat de travail du salarié pour un motif lié au nouveau contrat, le salarié sera considéré comme ayant été licencié à la date à laquelle son contrat de travail précédent avait pris fin et pour les motifs invoqués lors de cette rupture. Cette disposition permet au salarié d'obtenir les indemnités de licenciement (redundancy payment) résultant de la précédente rupture. Cependant, lorsqu'en cours d'essai le salarié met fin au contrat de manière déraisonnable, il n'a pas droit à l'indemnité de licenciement à laquelle il aurait droit eu égard au licenciement intervenu auparavant (37). De même, si le salarié met fin au contrat après la période de 4 semaines, il sera considéré comme démissionnaire et ne pourra pas réclamer une indemnité de licenciement (38). Enfin, il convient de souligner qu'en cas de refus de l'employeur de prévoir la période d'essai édictée par l'Employment Rights Act de 1996, tout licenciement intervenu sera considéré abusif (unfair) (39). Cette disposition du droit anglais n'a pas d'équivalent en droit français. Sa transposition serait possible et souhaitable.

V - LE CHOIX DES CLAUSES DU CONTRAT DE TRAVAIL

Les raisons conduisant à inclure telle ou telle clause dans un contrat de travail sont identiques des deux côtés de la Manche. Il est donc inutile d'examiner ce thème sous l'angle de la stratégie de l'employeur en ce domaine, étude qui a été excellemment développée par Monsieur le Professeur VERKINDT. Aussi m'a-t-il paru plus intéressant d'aborder ce thème, en examinant brièvement quelques unes des clauses essentielles qui figurent dans un contrat de travail anglais. Cette analyse mettra l'accent sur les différences caractéristiques entre les deux droits. Mais, avant d'étudier ces différentes clauses, il importe de souligner au préalable que l'insertion des clauses ayant un effet contractuel, en cours d'exécution du contrat, nécessite l'accord du salarié. En effet, l'absence d'accord de ce dernier emporte la modification substantielle du contrat (variation of contract) et constitue une " brèche au contrat ". Parmi les clauses qui peuvent figurer dans un contrat de travail, il importe de mentionner notamment la clause de non-concurrence, de mobilité, de non-grève, de dédit-formation, de responsabilité ou d'exclusion des droits à l'indemnité de licenciement dans le cadre d'un contrat à durée déterminée et enfin de renvoi temporaire ou de chômage technique. Certaines de ces clauses ne sont pas inconnues du système français ; tel est le cas de la clause de non-concurrence. D'autres n'existent pas en France. On peut citer notamment la clause de non-grève et celle de renvoi temporaire ou de chômage technique. Ces trois clauses seront examinées successivement.

A - La clause de non-concurrence (covenant in restraint of trade)

Comme en droit français, l'insertion d'une telle clause peut être prévue lors de la conclusion du contrat ou en cours d'exécution (40). S'agissant de la licéïté de la clause, il faut souligner qu'en droit anglais, dès le 19ème siècle, la Chambre des Lords a affirmé le principe de la nullité de toutes clauses restreignant la liberté de commerce et de l'industrie (41). Elle apportait néanmoins des exceptions à ce principe. Ainsi, de telles clauses étaient valables s'il était établi qu'elles étaient raisonnables, c'est-à-dire qu'elles n'accordaient qu'une protection adéquate aux intérêts légitimes de l'employeur et étaient limitées dans le temps, dans l'espace et quant à la nature de l'activité du salarié (42). Ces clauses font l'objet d'une interprétation plutôt restrictive en droit anglais (43). En ce qui concerne le sort des clauses de non-concurrence irrégulières, il convient de relever qu'à l'instar du droit français, la clause irrégulière est déclarée nulle. De même, la révision de la clause est admise tout en étant enfermée dans certaines limites. C'est ainsi par exemple, que la révision ne peut concerner qu'un point sans grande importance ou d'ordre technique ; elle ne doit pas nécessiter l'adjonction des termes ou la modification même des termes de la clause existante. Enfin, s'agissant de la mise en oeuvre de la clause et plus précisément des événements donnant naissance à l'obligation de non-concurrence : à l'inverse du système français, l'obligation est écartée en cas de licenciement abusif. La Case-Law décide que cette règle s'applique, quand bien même une disposition de la clause aurait-elle prévu expressément son application en cas de licenciement abusif. En effet, dans une telle hypothèse, les tribunaux considèrent qu'il serait déraisonnable d'admettre l'application de la clause de non-concurrence car cela équivaudrait à garantir un droit de coercition de l'employeur en dépit du non-respect de ses propres obligations contractuelles (44). Cette analyse du droit anglais ne peut qu'être approuvée et il reste à souhaiter que la jurisprudence française modifie sa position en la matière.

B - Les clauses de non-grèves (no-strike clauses)

Le droit français interdit de telles clauses. En revanche, en droit anglais, ces clauses sont valables, sous réserve du respect de certaines conditions prévues par la section 180 de la Trade Union and Labour Relations Consolidation Act de 1992. Ainsi ces clauses ne sont admises que :


C. Clauses de renvoi temporaire ou de chômage technique (Lay- off or Short-time working)

En droit français, une telle clause est contraire à l'article L.141-11 du Code du travail. En Common Law, le renvoi temporaire ou le chômage technique sans paiement du salaire constitue une rupture du contrat, sauf s'il existe une clause expresse en ce sens (45). Certaines décisions ont considéré que la clause autorisant le " Lay-Off " doit être d'une durée raisonnable. En revanche, d'autres ont admis l'insertion d'une clause autorisant le " Lay-off " pour une durée indéterminée, notamment dans la construction (building industry). Dans cette dernière hypothèse, le salarié ne peut pas considérer que la mise au chômage technique pour une durée déraisonnable constitue un " constructive dismissal " (licenciement dû à un comportement de l'employeur) (46). Toutefois, lorsque le " Lay-off " dépasse 4 semaines consécutives ou plus de six semaines non consécutives à l'intérieur d'une même période de 13 semaines, le salarié peut par écrit faire savoir à l'employeur qu'il entend réclamer une indemnité de licenciement économique. L'employeur dispose d'un délai de 7 jours à compter de la réception de la lettre pour renvoyer une contre-note, s'il a des motifs raisonnables de penser que dans les 4 semaines à venir, le travail reprendra pour une durée prévisible d'au moins 13 semaines. Il dispose de 3 semaines pour retirer sa contre-note. Si la contre-note est retirée ou si les 13 semaines de travail ne se matérialisent pas, le salarié a droit à l'indemnité de licenciement pour motif économique. Il faut souligner que même lorsque le chômage technique est prévu par le contrat, un salarié en vertu de la section 29 de l'Employment Rights Act de 1996, peut prétendre à une garantie de paiement pendant le " Lay-off " sous réserve qu'il ne s'agisse pas de journées perdues ou amputées pour cause de grève, lock-out ou autres actions revendicatives. Par ailleurs, certaines conditions doivent être remplies. Ainsi, aux termes des sections 28 à 35 de l'Employment Rights Act de 1996, le salarié doit : travailler depuis au moins un mois pour le même employeur s'il s'agit d'un contrat à durée indéterminée ou depuis 3 mois s'il s'agit d'un contrat à durée déterminée ; travailler au moins 16 heures par semaine, ne pas avoir refusé sans raisons légitimes un autre poste approprié. En ce qui concerne le montant de la garantie, le paiement est dû pour chaque jour ou heure pendant lequel le salarié aurait réellement dû travailler. La garantie porte sur les cinq premiers jours de chômage au sein d'une période de 3 mois. Au-delà de 3 mois, les seules indemnités exigibles par le salarié sont celles prévues éventuellement par son contrat ou la convention collective. Il faut souligner que l'allocation de chômage technique ne se cumule pas avec l'allocation de chômage des demandeurs d'emploi.

CONCLUSION

Telles sont à mon sens les divergences caractéristiques entre les deux droits qui méritaient d'être signalées.

Celles-ci ou du moins certaines d'entre elles ne font que souligner combien le droit comparé constitue ou peut constituer un gisement d'idées qui mérite pour le moins discussion et réflexion.



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