LA REFORME DE LA COMMISSION EUROPEENNE
Alexandra TOSELLO
La conférence intergouvernementale qui débute le 29 mars
1996, va certainement entreprendre une modification et une refonte du
système institutionnel communautaire.
La réforme de la Commission contribuera à l'amélioration
du fonctionnement de l'Union Européenne.
L'ensemble des travaux préparatoires à cette conférence,
des institutions européennes elles-mêmes, ou encore des groupes de
réflexion mis en place à cet effet, des différents partis
politiques des Etats membres et enfin, d'organisations non gouvernementales
tendent à montrer que deux grandes préoccupations, relatives
à la Commission, seront à l'ordre du jour.
Les deux objectifs, et cela compte tenu de l'expérience de son
fonctionnement et des défauts du système antérieur,
manifestent principalement une volonté de restaurer sa
légitimité, ce qui par là même entrerait dans
l'intention générale de rendre les institutions communautaires
plus proches des citoyens, et d'accroître son efficacité ainsi que
l'effectivité de son rôle.
1. Assurer la légitimité de la Commission.
Il est très probable que la conférence de 1996 va
poursuivre, sur ce point, l'objectif posé par le Traité de
Maastricht : rendre les institutions communautaires plus démocratiques.
Pour l'atteindre, ou s'en approcher le plus possible, il est
préconisé d'accroître la responsabilité de la
Commission vis-à-vis des autres organes communautaires et plus
particulièrement, du Parlement européen. Cette nouvelle
légitimité ne pourrait être perçue qu'avec la
restauration de la responsabilité de ses membres et permettrait de
dépasser le système établi par le Traité de
Maastricht. Elle ne demeurerait plus simplement théorique, comme le
remarque justement le Comité d'action pour l'Union Européenne.
Si l'on s'en tient, dans un premier temps, à l'organe dans son ensemble,
les réflexions se sont tournées vers une nécessité
de développer son contrôle, par le Parlement européen.
Aussi, le Groupe français de réflexion précise-t-il que
"la responsabilité de la Commission doit être rationalisée
en tant que responsabilité d'un organe collégial". Cette
responsabilité doit se traduire, à ce niveau, par une
responsabilité politique. De quelle manière ? A la suite du
rapport annuel de présentation des activités de la Commission par
son président, par l'obtention d'un vote du Parlement européen
approuvant ou non, la conduite et l'accomplissement de ses fonctions. Comme
l'affirme le Parlement lui-même, cela améliorerait une
possibilité qui, jusqu'à présent, dépend de
mécanismes inadaptés, ou tout au moins inefficaces.
C'est dans cette lignée que les mécanismes de la motion de
censure, telle qu'elle est prévue à l'article 144 du TUE
devraient être améliorés, notamment en supprimant les
modalités actuelles de vote, au profit d'un vote à la
majorité absolue, sans aucune autre condition. Cela aurait, de plus,
l'avantage de clarifier et surtout de simplifier la procédure,
permettant de rendre cette hypothétique censure du Parlement, plus
accessible et plus concrète.
Le Groupe de réflexion a lui aussi ressenti la nécessité
d'un tel contrôle.
Ajoutons qu'à coté de cette responsabilité, germe
l'idée de développer celle des membres de la Commission. Il
pourrait devenir possible de les censurer individuellement, en donnant au
Parlement la possibilité de demander leur démission d'office.
Mais il faut dès à présent nuancer cette
possibilité et le Parlement lui-même en a soulevé
l'inconvénient principal. Bien que la censure collective soit
considérée comme trop radicale, cette censure individuelle risque
de remettre en cause le principe de la collégialité de la
Commission. Or ce principe doit être maintenu, il est le fondement
même du fonctionnement de cette institution qui, ne l'oublions pas,
représente les intérêts de l'Union Européenne.
Il propose alors et cela, ne remettrait pas en cause ce principe, que lui soit
permis, au même titre que le Conseil des ministres de l'Union et la
Commission elle-même, de demander à la Cour de justice des
Communautés européennes de prononcer la démission d'office
des commissaires, pour non respect de leurs obligations, sur le fondement des
articles 157 et 160 du Traité de Maastricht. On remarque ici sa
volonté d'être associé aux autres institutions. Cela
traduirait un contrôle plus démocratique sur la Commission.
Certains députés français demandent davantage, une
responsabilité de la Commission devant le Conseil européen. Elle
se manifesterait par un vote similaire à celui du Parlement
européen. Mais ne pourrait-elle pas être censurée par le
Conseil européen, sur proposition du Conseil des ministres de l'Union
Européenne ? Certains députés européens
émettent cette autre possibilité, la censure pouvant intervenir
ainsi, à tout moment.
Quoi qu'il en soit, pour que cette responsabilité soit pleinement
efficace, il est indispensable de développer le rôle
exécutif de la Commission (cf. supra).
L'ensemble des réflexions relatives à la Conférence
intergouvernementale montre que pour apporter une réponse favorable aux
exigences démocratiques et atteindre ce premier objectif, il faudra
certainement passer par une modification du mode de nomination des membres
de la Commission,. associant davantage le citoyen à la vie de
l'Union Européenne, par le biais du Parlement. Le point qui suscite
déjà, le plus de discussions concerne la désignation du
président.
La composition de la Commission s'opérerait en deux temps ; par la
nomination de son président, tout d'abord, puis du reste de ses
membres.
Le Parlement européen demande que lui soit conféré le
pouvoir de désigner ce président.
S'il est constant que la volonté générale entend le faire
davantage intervenir dans la composition de la Commission de l'Union,
président y compris, le mode de nomination n'est pas arrêté
précisément et cela laisse présumer un moment important du
débat. Tout le problème est de savoir s'il faut maintenir des
commissaires issus de négociations et de discussions entre chefs d'Etat
et de gouvernements et donc, d'organes intergouvernementaux, ou si l'on veut
s'orienter vers une intervention plus grande de l'organe qui traduirait le
mieux les intérêts des citoyens, détachant par
là-même les commissaires de leur Etat d'origine. Cela aurait le
mérite de restaurer l'indépendance de la Commission. Plusieurs
options sont envisagées.
Si le président était désigné par le Parlement,
chaque parti politique représenté pourrait proposer un candidat
à cette présidence, lors de sa campagne électorale et il
serait choisi indirectement par les citoyens, votant pour l'un ou l'autre de
ces partis politiques. L'idée de l'élaboration d'une liste de
candidats potentiels, par le Conseil européen, sur laquelle le choix du
Parlement serait effectué ensuite est avancée. Il est
incontestable que cette nomination par les députés
européens renforcerait le lien institutionnel entre ces deux acteurs,
puisque l'on passerait d'un système de désignation,
confirmé par le Parlement européen, à une élection
(c'est à dire un suffrage démocratique), par les
députés européens qui sensibiliserait peut être
davantage, l'opinion publique aux élections européennes.
Il faudrait, selon certains, une confirmation ultérieure de cette
désignation, par le Conseil des ministres.
Cette méthode ne recueille pas la majorité des avis. Le Groupe
français de réflexion, notamment, attend une désignation
plus intergouvernementale, par le Conseil européen, après
consultation du Parlement (avis conforme). Ce qui, somme toute, n'apporterait
pas de grands changements au système actuel. La Commission
elle-même estime que son président devrait être nommé
par le Conseil européen, le parlement n'intervenant que pour approuver
cette désignation.
Des turbulences sont donc à prévoir, d'autant plus qu'une
tendance qui consiste à confier au président de la Commission la
présidence de l'Union toute entière se manifeste.
Mais à quelle majorité ce président devra-t-il être
désigné, unanimité, majorité simple,
majorité qualifiée ? Il ne semble pas qu'une réponse
précise ait été donnée mais elle s'inscrit dans la
lignée des changements prévus dans ce domaine.
C'est après sa nomination, que le Président désignerait
les commissaires, en accord avec les Etats membres et avant que la Commission,
dans son ensemble, ne se présente devant le parlement, pour obtenir
l'investiture finale.
Ce dernier ne devrait-il pas agréer individuellement chaque commissaire
? Mais dans ce cas, ne risquerait-on pas de le voir récuser
systématiquement les commissaires n'appartenant pas à sa
majorité politique ?
Les efforts pour accroître la légitimité de la Commission
ne peuvent, à eux seuls, combattre les défauts de fonctionnement
de celle-ci, très souvent critiquée pour sa bureaucratie
grandissante. Si bien que la Conférence Intergouvernementale va
certainement tenter de lui donner les moyens d'assurer plus efficacement la
fonction qui est, ou qui devrait être la sienne, dans l'Union. Il ne sera
pas superflu de qualifier ou re-qualifier clairement son rôle.
2. Accroître l'efficacité et l'effectivité de la
Commission
Doit-elle conserver les fonctions qui lui ont été
dévolues par le Traité de Rome ? Les a-t-elle remplies de la
façon la plus adéquate, pour les intérêt de l'Union
? Son fonctionnement interne lui a-t-il permis d'agir efficacement ?
C'est en répondant à toutes ces questions que les participants
vont essayer d'établir les moyens lui permettant de s'améliorer
et surtout, de s'adapter aux exigences de l'Union, dont les
élargissements futurs paraissent toujours plus proches.
2.1 Organisation de la Commission
Toutes les réflexions se sont penchées sur sa
réorganisation interne. Il est important de lui permettre de conserver
une certaine efficacité, qui soit compatible avec les
élargissements futurs.
Beaucoup s'accordent à voir comme condition de cet accroissement, une
réduction du nombre de commissaires, jugé trop encombrant ou
non adapté à son évolution.
Plusieurs options sont prévues .
La restauration du caractère collégial et indépendant de
la Commission ne peut fonctionner qu'avec un nombre de commissaires
inférieur à celui des Etats membres.
Tout le problème sera de trouver comment organiser la "nouvelle"
Commission afin que les "petits" Etats ne soient pas lésés et
pour qu'elle traduise un mode de fonctionnement qui s'appuie sur une certaine
égalité des Etats. Il est important de tenir compte de ces deux
exigences. Peut être sont elles antinomiques ?
Ainsi le Parlement européen prévoit-il une Commission
constituée d'un collège restreint d'individus, donc plus
solidaires car moins nombreux.
Certains députés français voient également une
Commission réduite, à dix membres par exemple, possédant
chacun un portefeuille qui aurait la même valeur qualitative, la
même importance. D'une manière plus générale, les
partisans de ce changement attendent une Commission qui ne serait pas
composées de plus de douze ou treize commissaires. Dans ce contexte, les
Etats ne posséderaient plus un droit à être
représentés, mais l'idée d'un fonctionnement
égalitaire devrait être abandonnée.
Comment donc déterminer le nombre de commissaires ?
Une solution est peut être trouvée dans une nouvelle
répartition. Le nombre de commissaires ne dépendrait plus de
celui des Etat membres. Ils seraient nommés par zone géographique
(par tranches de 40 000 habitants, par exemple). Il ressort clairement des
réflexions menées sur l'évolution de la Commission, que le
principe "un Etat, un commissaire" sera de moins en moins
adapté à la situation.
Certains, et la France parmi les intéressés, voient cependant la
nécessité de laisser aux "grands" Etats leur siège, sans
pour autant maintenir le nombre de deux commissaires actuellement en place. La
Commission pourrait alors comprendre un commissaire par "grand" Etat et les
autres commissaires, issus d'Etats plus modestes, entreraient en fonction par
un système de rotation, compte tenu des zones géographiques
dégagées. Cela aurait pour principal avantage de renforcer leur
indépendance. Ils rompraient ainsi tout lien avec leur Etat d'origine ou
l'atténuerait pour les plus "grands". Mais est-ce bien égalitaire
? On peut se le demander et c'est face à cette préoccupation que
d'autres solutions ont été envisagées.
On pourrait désigner une Commission dont le nombre de membres ne serait
pas inférieur à celui de l'actuelle Commission, composée
de commissaires titulaires et de commissaires adjoints, ces derniers ne
possédant pas le droit de vote aux délibérations. Dans la
perspective des élargissement futurs, cela ne va-t-il pas rendre encore
plus difficile, le fonctionnement de cette institution, puisque le nombre des
commissaires augmenterait ?
Alors, d'autres, enfin, voient une Commission organisée et fonctionnant
comme un gouvernement ou un "quasi gouvernement", composée sans
encombre, d'un nombre important de commissaires (20, 30, 40), sans tenir compte
de la nationalité des Etats membres. Plusieurs commissaires d'une
même nationalité pourraient alors y remplir des fonctions. C'est
ce que préconise le Groupe de réflexion français.
Il n'est pas contestable que les commissaires gagneraient une certaine
indépendance dans la mesure où leur mode de désignation
s'attacherait davantage à leurs compétences ou à leur
sensibilité politique, qu'à leur nationalité. Mais les
Etats sont-ils prêts à renoncer à une organisation actuelle
qui, d'une certaine manière, leur assure de voir leur nationalité
représentée ? Tous ne le sont pas, si bien qu'ils demandent le
maintien de son organisation actuelle.
Le dernier aspect qui fera l'objet d'une discussion lors de la
Conférence, va certainement résider dans la clarification des
compétences de la Commission.
2.2. Pouvoirs de la Commission
La plupart des groupes de travail prévoient le maintien des
trois fonctions essentielles de la Commission, garanties par le
Traité de Rome et ensuite, de Maastricht, à savoir, Commission
gardienne des Traités, organe d'exécution des actes du Conseil
des Ministres et action d'impulsion, d'initiative dans l'élaboration des
actes communautaires.
Ne pourrait-elle pas, dans son rôle de gardienne, accentuer celui de
lutte contre la fraude, notamment en matière de budget
communautaire, ou encore celui de contrôle administratif,
principalement en matière de concurrence. Il faudrait rendre son
contrôle du respect des règles communautaires plus efficace, comme
le voudrait d'ailleurs, le Parlement européen, en lui accordant un
pouvoir général d'investigation et non plus simplement
ponctuel, par le biais de différents règlements communautaires.
Elle devrait bénéficier d'un droit d'accès à
certains documents, nécessaires à l'accomplissement de ses
fonctions, dans les différents Etats membres ainsi que dans leurs
administrations territoriales. Il est primordial de lui permettre d'user de
moyens plus efficaces afin que les règles de fonctionnement de l'Union
soient appliquées correctement.
Son monopole d'initiative, en matière législative, doit
être maintenu. Il est le gage d'un bon équilibre institutionnel.
C'est dans sa fonction exécutive que la Conférence
intergouvernementale pourra le plus clarifier son rôle.
Elle partage, d'une certaine manière, cette tâche avec le Conseil
des ministres. Ne devrait-on pas la lui confier exclusivement ? Elle serait
ainsi l'organe responsable des mesures d'exécution des actes pris par le
Conseil des ministres, tout en pouvant se faire assister d'un comité
consultatif pour l'élaboration de ces mesures. Mais il ne faut pas
perdre de vue que la procédure d'élaboration actuelle pourrait
subir quelques modifications, dans un souci de simplification.
L'idée d'une organisation bicamérale, Commission, Conseil a
été proposée.
La Commission, suivie de la majorité des intéressés,
estime qu'il serait efficace de confier, dans ce domaine, une fonction de
coordination à son président qui disposerait d'une voix
prépondérante dans les débats.
Cette fonction ne peut être séparée du débat relatif
à la naissance éventuelle d'une nouvelle distinction des actes
communautaires, parmi lesquels des actes réglementaires qui
ressortiraient exclusivement de la compétence exécutive de la
Commission.
En vertu de l'article 228 du Traité de Maastricht, le Conseil peut lui
conférer des mandats de négociation, en matière de
contrats internationaux. Cette possibilité va certainement être
abordée.
Compte tenu de l'expérience acquise dans ce domaine, il semble important
de déterminer précisément l'étendue et le contenu
de ces mandats. Certains prévoient même, une information
systématique du Conseil par la Commission, sur l'évolution des
négociations. C'est enfin, le problème de la
représentation internationale de l'Union Européenne qui
devrait être étudié. La Commission doit-elle continuer
à remplir ce rôle ou un organe plus intergouvernemental, comme le
Conseil serait-il mieux placé pour agir ? Ne pourraient-ils pas la
partager ?
La Commission va-t-elle sortir transformée de la Conférence
Intergouvernementale de 1996 ?
Elle évoluera avec le visage futur que les Etats entendront donner
à l'Union Européenne. Tout le problème est de savoir si
l'on entend la faire évoluer vers une organisation de coopération
intergouvernementale marquée par un accroissement constant des pouvoirs
du Conseil et en contrepartie, une diminution de ceux de la Commission.
Certains groupes de pensée français voient une Commission qui
n'agirait que sur mandats précis du Conseil des ministres. Ou, au
contraire, adapter les institutions communautaires à un
dépassement des intérêts nationaux, au profit de ceux de
l'Union, dans le but d'atteindre les objectifs tracés dès
l'origine et tendant vers un modèle fédéral.
La Commission ne pourrait-elle pas prendre le monopole de la fonction
exécutive, au même titre qu'un gouvernement ? Il suffit
d'appréhender le débat qui va concerner les deuxième et
troisième piliers, pour constater que son évolution future est
loin d'être facilement déterminable.
Le débat est ouvert !
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