PROPOSITIONS CONCERNANT L'INTRODUCTION D'UNE HIÉRARCHIE DES NORMES AU
NIVEAU COMMUNAUTAIRE
Anne SERVOIR
La question de la hiérarchie des normes n'est pas nouvelle, elle
avait déjà fait l'objet de discussions lors de la
conférence préparatoire à la signature du traité
sur l'Union européenne. Cependant, les négociations sur ce sujet
ayant échoué, une déclaration (ndeg. 16) fut
annexée au traité signé en 1992 ; ce texte confiait
à la conférence intergouvernementale de 1996 la mission
d'examiner "dans quelle mesure il serait possible de revoir la classification
des actes communautaires en vue d'établir une hiérarchie
appropriée entre les différentes catégories de normes".
Ainsi, tout naturellement, cette question a-t-elle donné lieu à
de nombreuses discussions ainsi qu'à des propositions faites aussi bien
par les institutions de l'Union européenne que par des mouvements
indépendants ou des groupes de réflexion mis en place au niveau
communautaire.
1. Objectifs et implications de l'introduction d'une hiérarchie des
normes
Pour ses défenseurs, une telle réforme aurait le
mérite de clarifier les rôles de chacune des institutions
intervenant dans le processus d'élaboration des règles
communautaires. En adoptant une hiérarchie plus intelligible, il serait
alors plus aisé de définir avec précision qui fait quoi
en matière législative.
Pour les partisans de l'établissement d'une hiérarchie des
normes, il s'agit d'organiser l'ordre juridique communautaire d'une
manière plus conforme à celui qui existe au niveau national. En
d'autres termes, les partisans de cette réforme entendent rapprocher la
hiérarchie des normes communautaires du modèle de la pyramide de
Kelsen. La mise en place d'une hiérarchie des normes est conçue
comme un moyen de redistribuer les attributions de chacune des institutions
communautaires.
Il serait possible de simplifier l'ensemble des procédures
communautaires en ajustant la procédure législative selon
l'importance de la matière à traiter. Ainsi qu'Alain Lamassoure,
alors ministre français des Affaires européennes, en exprimait le
souhait, il faudrait distinguer entre l'adoption de principes
généraux par les autorités politiques et
l'élaboration des décisions d'application de ces mêmes
principes qui serait alors du ressort des autorités administratives ou
techniques.
Ainsi, pour le gouvernement néerlandais, est-il nécessaire de
distinguer entre l'essentiel et le secondaire; la lourde procédure de la
codécision devrait être réservée à l'adoption
des règles essentielles tandis que, pour l'élaboration de la
législation secondaire, on devrait plutôt recourir à une
procédure plus légère et rapide, sous la surveillance du
législateur principal.
Cependant, l'adoption d'une telle réforme ne serait pas innocente en ce
qui concerne l'organisation des pouvoirs au niveau de la Communauté. En
effet, la mise en place d'une hiérarchie des normes ressemblant à
celle que connaissent, au niveau national, de nombreux États membres
sous-tend une conception bien définie de la tâche
particulière devant être dévolue à chacune des
institutions communautaires ainsi que la répartition des pouvoirs entre
elles.
2. En quoi consisterait la hiérarchie des normes au niveau
communautaire
La plupart des projets envisagent la création de plusieurs
niveaux de règles. Ils précisent la procédure à
suivre pour l'adoption de chacune d'entre elles ainsi que les pouvoirs
respectifs que se verraient alors attribuer les institutions.
Dans le rapport qu'il a établi pour le Parlement européen en
1994, M. Herman, suivi dans cette voie par le Mouvement Européen
International propose une construction à 5 étages qui
distinguerait l'ensemble des règles communautaires en : lois
constitutionnelles, lois organiques, lois ordinaires, règlements
d'exécution, décisions individuelles.
Certains membres du groupe de réflexion de M. Westendorp sont
également partisans de la définition d'un nouvelle organisation
de l'ordre juridique communautaire. Ils envisagent, à l'instar du
gouvernement italien, une hiérarchie à trois niveaux: normes
constitutionnelles, normes législatives et textes réglementaires
d'application.
Pour les députés, l'adoption des lois constitutionnelles
nécessiterait l'application de la codécision ainsi que
l'approbation par une majorité surqualifiée au Conseil.
Mais, le Mouvement Européen et les membres du groupe de réflexion
se montrent plus stricts que le Parlement sur la procédure d'approbation
de ces normes. Ils estiment, en effet, qu'il faudrait également que les
lois ou normes constitutionnelles soient validées par un certain nombre
d'États - voire tous - selon leurs procédures constitutionnelles
nationales. Toujours selon le Mouvement Européen, le pouvoir constituant
se limiterait aux fondements de la Communauté, c'est-à-dire,
entre autres, les caractéristiques de l'ordre juridique communautaire,
la garantie de la règle de droit, le respect des droits fondamentaux.
Les lois organiques relèveraient des domaines organisés par le
traité et seraient adoptées selon une procédure de
majorité renforcée au sein du Parlement et du Conseil. Selon les
membres du groupe de réflexion, suivis en cela par l'Italie, les normes
de nature législative, proposées par la Commission, seraient
également votées par le Conseil et le Parlement mais selon la
procédure de codécision. Pour le Mouvement Européen, les
lois organiques devraient s'apparenter aux lois-cadres (au sens allemand de
Rahmengesetz) que connaissent certains droits nationaux ; ce type de
norme devrait déterminer les principes fondamentaux, les orientations
générales et les éléments essentiels permettant sa
mise en uvre.
Dans l'ensemble des projets que l'on vient de présenter, la Commission
exercerait alors un contrôle sur le respect, par le législateur,
des caractéristiques de la loi. C'est elle qui adopterait les
règlements destinés à exécuter les lois et les
décisions individuelles ou collectives. Elle se verrait donc pleinement
investie du pouvoir exécutif, sous la surveillance du Conseil et du
Parlement.
Enfin, le Mouvement Européen propose même une règle de
répartition pour les autorités responsables de l'exécution
des lois : la Commission se verrait reconnaître le pouvoir
exécutif, les États membres assurant la mise en uvre
effective des lois.
On le voit, la plupart des projets relatifs à l'introduction d'une
hiérarchie des normes induisent une nouvelle répartition des
pouvoirs entre les différentes institutions de l'Union : le Conseil et
le Parlement deviennent les autorités législatives alors que la
Commission est investie d'un réel pouvoir exécutif.
Pour ses défenseurs, cette réforme aurait également
l'avantage de permettre la suppression de la comitologie, dispositif
complexe, réglé en pratique par une décision en 1987, qui
permet au Conseil de confier à la Commission, sous certaines conditions,
l'exécution des normes communautaires. Mais ce mécanisme ne
semble satisfaire personne. En effet, la comitologie sert à
répartir le pouvoir exécutif. Or les constructions
proposées ne représentent pas seulement un changement
d'appellation ni une réforme de la classification de la
législation communautaire mais un véritable choix politique quant
à l'architecture des pouvoirs au niveau de la Communauté.
Seul le projet de Charte des États-Unis d'Europe mis au point par
le groupe X-Europe qui évoque également la question de la
hiérarchie des normes communautaires n'induit pas une redistribution des
pouvoirs aussi claire. Selon l'article 3, les lois émises par les
États-Unis d'Europe se divisent en 4 catégories: lois
constitutionnelles, lois organiques, lois d'approbation, lois ordinaires. Et
c'est seulement dans le cadre de ces lois, que les autorités
chargées de leur exécution - on ne sait pas qui elles sont -
édictent des règlements et prennent des décisions
individuelles.
3. Comment atteindre les mêmes objectifs, sans introduire de
hiérarchie entre les normes
Il n'est pas certain que l'on voit aboutir les propositions relatives à
la mise en place d'une hiérarchie des normes communautaires lors de la
conférence intergouvernementale de mars 1996. En effet, il existe un
courant de pensée opposé à l'introduction de cette
réforme.
Tout d'abord au sein même du groupe de réflexion
présidé par M. Westendorp, certains membres considèrent
que l'introduction, dans le corps du Traité, d'une hiérarchie des
normes serait source de complications inutiles. D'autres y sont hostiles car
ils voient dans cette réforme la volonté d'introduire, à
l'échelon communautaire, une séparation des pouvoirs semblable
à celle existant dans l'ordre constitutionnel national de certains
États mais ils ne veulent pas d'une telle organisation pour la
Communauté. Selon eux, elle ne doit pas fonctionner suivant ce
schéma, étant une construction juridique à part, en marge
de celle que peut connaître un État classique. Ils estiment que
les normes communautaires telles qu'elles existent aujourd'hui sont mieux
adaptées au fonctionnement de l'Union et qu'il suffirait d'en revenir
à une pratique plus proche de l'esprit du Traité, la
directive devant se conformer à sa vocation initiale et laisser au
règlement le soin d'être plus précis.
Dans un document de travail sur la typologie des actes juridiques de l'Union et
leurs interrelations, Willi Rothley reconnaît que l'affirmation d'une
réelle distinction entre les règles de nature législative
et les autres constitue le principe de base pour l'établissement d'une
hiérarchie des normes communautaires. Cependant, il fait remarquer qu'il
n'existe aucun critère absolu pour la séparation
envisagée. Pour lui, la réforme voulue par le Parlement sur la
question ne changerait rien au fonds du problème.
De plus, il considère que la transposition, dans le droit communautaire,
des notions nationales de loi est quasi impossible, de même que le
développement d'une loi européenne autonome car la
législation communautaire est trop diversifiée et la
différenciation en directives, d'une part, et règlements de
l'autre, compliquerait grandement l'exercice. Ainsi, M. Rothley estime-t-il
plutôt qu'il suffirait d'une simple clarification terminologique pour les
actes législatifs délégués ayant un
caractère exécutif.
Comme on l'a dit, la hiérarchie des normes sous-tend une conception de
la structure des pouvoirs des institutions communautaires. Or certains auteurs
ne sont pas d'accord avec une telle démarche. F. Vibert, au nom de
l'European Policy Forum, considère qu'il n'est pas indispensable, dans
le but de simplifier les procédures communautaires, de mettre en place
une hiérarchie des normes ; pour lui, il suffit d'améliorer les
mécanismes de décision déjà existants.
Les procédures législatives au Parlement européen peuvent
être rationalisées sans qu'il soit besoin de faire
référence à aucune hiérarchie des pouvoirs ou des
institutions. Concernant l'entrée en vigueur des directives, le
dispositif pourrait être renforcé si elles devaient être
approuvées par les Parlements d'un certain nombre d'États
membres. Enfin, il faudrait s'assurer que les autorités communautaires
respectent bien le principe de subsidiarité lorsqu'elles prennent des
mesures (en particulier des directives) dans une matière
donnée.
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