CLARIFICATION ET SIMPLIFICATION
DU SYSTEME DECISIONNEL
Sylvie RIVOL
Il existe un large consensus sur la nécessité de clarifier et de
simplifier le fonctionnement des institutions communautaires. Tout le monde
reconnaît une dérive considérable de la pratique vers une
complexité croissante du système décisionnel, ce qui
entraîne son opacité. Cette évolution a eu deux
conséquences majeures. D'une part, l'efficacité du système
s'en est trouvée affectée. D'autre part, cela pose le
problème de l'éloignement des institutions communautaires du
citoyen européen.
Au regard de ces problématiques, il semblerait donc que l'on s'achemine
vers trois types de réformes lors de la Conférence
Intergouvernementale : d'abord améliorer la participation du citoyen
européen, ensuite simplifier les procédures, enfin clarifier la
répartition des compétences.
Le Parlement européen a résumé le défi qui s'impose
à l'Union dans le domaine qui nous intéresse :
"efficacité, transparence et démocratie".
1. Améliorer la participation du citoyen
La Déclaration ndeg.17 annexée au Traité sur l'Union
Européenne consacre la volonté de l'Union de renforcer "le
caractère démocratique des institutions ainsi que la confiance du
public envers l'administration". Les Conseils européens de Birmingham,
d'Edimbourg et de Copenhague ont tous réaffirmé leur souhait de
rapprocher l'Union des citoyens. Pour le groupe de réflexion, ce sera
là un des trois thèmes dominants de la Conférence
Intergouvernementale.
Il semble que cette volonté politique passe d'abord par l'affirmation
du principe général de l'accès du public aux documents de
l'Union. Ce principe (déjà reconnu dans une communication du
6 décembre 1993 par le Conseil et la Commission) devrait pour certains
être inclus dans le Traité ; ceci garantirait aux citoyens de
l'Union la possibilité de défendre devant la Cour de Justice leur
droit d'accès aux documents, du fait de l'existence d'une base
juridique. Il est aussi souligné que les citoyens doivent pouvoir
accéder non seulement aux actes définitifs, mais aussi aux
propositions faites par les différentes institutions, afin d'être
en mesure de participer aux débats antérieurs à l'adoption
des actes, et de défendre leurs intérêts.
En effet, il est envisagé d'élargir la consultation des
milieux concernés avant toute proposition législative
substantielle. Dans cette optique, la publicité de ces propositions doit
être améliorée. Le Parlement souhaite imposer aux Etats une
obligation d'information, concernant la diffusion du droit communautaire. Mais
d'autres insistent sur la nécessité de poursuivre la politique
communautaire de communication mise en place par la Commission (pratique des
livres verts et blancs, consultation des milieux économiques et sociaux,
etc.) en mettant notamment l'accent sur des aspects jusqu'à
présent négligés, comme la publicité du contenu des
accords interinstitutionnels.
Mais ces mesures en faveur d'une amélioration de l'information du public
seraient insuffisantes au regard de l'exigence de démocratie, si elles
n'étaient pas accompagnées d'une politique visant une plus
grande clarté et une meilleure qualité des textes
législatifs : il faudrait notamment supprimer les articles
obsolètes des Traités et poursuivre la démarche de
codification et de refonte de la législation actuelle,
déjà entreprise par la Commission. L'ensemble de ces mesures
viserait à terme le renforcement du sentiment d'appartenance à la
citoyenneté européenne, la fondation d'un véritable pacte
de citoyenneté, en améliorant la lisibilité du droit
communautaire et en renforçant la participation du citoyen à la
construction communautaire.
2. Simplifier les procédures de décision
Aujourd'hui, on dénombre plus de vingt procédures de
décision différentes, au sujet desquelles la Commission a
dégagé trois faiblesses essentielles : d'une part, le
décalage persistant entre les procédures législatives et
la procédure budgétaire, d'autre part, la complexité du
système, et enfin, le manque de logique dans le choix des
différentes procédures, entre les domaines d'action respectifs.
Face à cette situation, beaucoup souhaitent l'extension de la
procédure de codécision, qui devrait donc devenir, selon le
Parlement européen, "la procédure d'application
générale pour tous les cas de vote à la majorité
qualifiée". Pour la Commission, cette procédure devrait au
moins s'appliquer aux domaines régis actuellement par la
procédure de coopération, qui devrait disparaître.
Selon E. Guigou, qui synthétise l'ensemble des propositions, il faut
ramener le nombre de procédure à trois : - Pour le vote des
lois, majorité qualifiée au conseil, associée à la
codécision
- Pour la révision des Traités, la signature d'accords
internationaux et l'élargissement, pour la fixation des ressources
propres, majorité qualifiée renforcée, associée
à l'avis conforme du Parlement
- Pour la Politique Extérieure et de Sécurité Commune,
majorité qualifiée, associée à l'avis conforme du
parlement.
La Commission et le Parlement ont fait des propositions similaires, sauf dans
le cas de la modification des Traités, pour lesquels ils souhaitent
conserver le vote à l'unanimité.
Cette réduction du nombre des procédures devrait aussi
s'accompagner d'une simplification de la procédure de codécision,
pour la rendre plus rapide et plus efficace : il est notamment proposé
de supprimer la phase d'intention de rejet en deuxième lecture au
Parlement, de supprimer la troisième lecture et de permettre l'adoption
de l'acte, s'il y a accord en première lecture entre le Parlement et le
Conseil.
Le problème de la simplification se pose aussi en matière de
mesures d'exécution. La comitologie alourdit
considérablement la délégation du pouvoir
d'exécution du Conseil à la Commission. Le Parlement, exclu de
cette procédure, souhaite sa suppression. En remplacement, la Commission
propose l'instauration d'une nouvelle procédure permettant au Parlement
et au Conseil de s'opposer à un projet de mesure, proposé par la
Commission ; la mesure serait alors adoptée selon la procédure de
codécision.
3. Clarifier la répartition de compétences
C'est sans doute concernant ce problème que les opinions sont les plus
divergentes. Si tout le monde s'accorde à dire qu'il est
nécessaire d'assurer une répartition claire des
compétences entre l'Etat et l'Union, en se fondant sur le respect du
principe de subsidiarité, la définition et les conditions
de mise en oeuvre de ce principe suscitent de nombreux débats. On
distingue deux points d'achoppement.
Beaucoup pensent qu'il serait nécessaire de préciser la
définition de la subsidiarité dans le Traité : cela va
de la requalification du principe, qui deviendrait le principe de
proximité, au remaniement total du texte, en passant par le rajout d'une
phrase affirmant le respect par les institutions des compétences des
Etats, ou la suppression d'une autre, concernant la compétence exclusive
de la Communauté. Certains proposent aussi d'introduire dans le
Traité les conclusions du Conseil Européen d'Edimbourg, qui
précisaient les conditions d'application du principe. Le European Policy
Forum propose de soumettre l'exercice des compétences à la
réunion d'un certain nombre de conditions très précises :
pour que l'Union soit compétente, il faudrait que les
intérêts d'une majorité d'Etats soient affectés, que
l'action d'un seul risque de causer des dommages aux autres, que l'action de
l'Union soit plus efficace, qu'elle ait été évaluée
financièrement, que l'on ait effectué un test
"coût/bénéfice".
On sent bien qu'en réalité il ne s'agit pas ici d'un simple
problème technique de transparence ou d'efficacité, mais d'une
démarche politique, visant à contenir, ou non, l'extension des
compétences de l'Union, visant à choisir ou non d'avancer vers un
système de plus en plus fédéral. Le groupe de
réflexion, bien conscient de cet enjeu, a donc
préféré conserver en l'état la rédaction de
l'article 3B, pour avancer sur le terrain des conditions de sa mise en
oeuvre.
Mais là encore les opinions sont divisées. Qui peut
contrôler son application ? La Cour de Justice ? Elle deviendrait alors
une véritable Cour Constitutionnelle. Et si elle assurait cette mission,
qui pourrait la saisir ? Etats membres, parlements nationaux, institutions
communautaires. Il semblerait que la demande du Comité des
Régions, visant être autorisé à saisir la Cour en
cas de non application du principe, ne pourrait qu'être rejetée
(dans la mesure où les régions n'ont pas à intervenir dans
la répartition de compétences entre l'Union et les Etats). Une
autre possibilité serait la création d'une "chambre de la
subsidiarité", sorte de comité consultatif de haut niveau,
composé de délégués des parlements nationaux, qui
indiquerait, a priori, si la subsidiarité est bien appliquée.
Pour faciliter sa mise en oeuvre et diminuer les sources de conflits, il a
aussi été proposé d'établir une liste des
compétences de l'Union, comme cela existe actuellement dans certains
états fédéraux. Bien que cela clarifierait la
répartition de compétences et stabiliserait l'équilibre
des pouvoirs, en se rapprochant du modèle fédéral, il
semble relativement délicat d'établir une telle liste à ce
stade là de la construction communautaire. L'Union est encore en pleine
gestation et a besoin d'une certaine souplesse institutionnelle, qui puisse
s'adapter à l'originalité de ses buts et de ses besoins.
La Conférence Intergouvernementale s'est ouverte le 29 mars dernier.
Dans ses conclusions, la Présidence a souligné qu'il est
"essentiel de renforcer la nature même de la construction
européenne, qui doit conserver et développer ses
caractéristiques de démocratie, d'efficacité, de
solidarité, de cohésion, de transparence et de
subsidiarité". Elle a d'autre part défini les grands axes
dans lesquels les représentants des gouvernements devraient travailler :
entre autres, il leur faudra oeuvrer pour une Europe plus proche des citoyens
(respect du principe de subsidiarité) et pour des institutions plus
démocratiques et plus efficaces (simplifier procédures
législatives, étendre champ d'application de la
codécision). Les grandes lignes dessinées par les
différents groupes de réflexion semblent donc
confirmées.
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