LA PRÉSIDENCE
ET
LA NOUVELLE ARCHITECTURE DE L'UNION

Florence RAMILLON




L'Europe va être confrontée dans un proche avenir à de multiples défis comme la réussite de la PESC, la troisième phase de l'UEM et surtout l'élargissement. En effet, l'élargissement vers l'Est semble s'imposer, J. Chirac parle même "de devoir moral et politique" et estime que c'est une "condition essentielle de la paix sur notre continent". Notons que tous les discours politiques abondent dans ce sens.
La Conférence Intergouvernementale a alors pour mission de relever ces défis et sera l'occasion d'envisager des réformes de l'Union. Les deux axes principaux de ces réformes sont : le renforcement de l'Union politique et la préparation de l'élargissement. Il est vrai que si l'on a abandonné le débat "Élargissement ou Approfondissement", aujourd'hui on ne peut entreprendre l'élargissement sans un approfondissement de l'Union pour éviter que l'Europe ne devienne une zone de libre échange. Ce renforcement des institutions s'explique par la nécessité d'obtenir l'adhésion de l'opinion publique et de rendre les institutions prêtes à accueillir les cinq, sept ou plus, nouveaux États et à fonctionner efficacement dans cette Europe élargie (les révisions seront plus difficiles à 25 !). En fait "l'élargissement jouera un rôle majeur en tant que principal motif de modification institutionnelle" (N. Ersboll, RMC & UE, janv. 96). On peut d'ailleurs constater à travers tous les écrits sur la CIG, quels que soient les partis politiques, les groupes de réflexion ou les travaux des institutions européennes, un consensus quasi général sur la nécessité de réviser les institutions. Cependant, nous ne retrouvons pas ce consensus dans le contenu des différentes propositions de réforme.
Nous étudierons au sein de cette vaste réforme les points particuliers relatifs à la Présidence de l'Union et au devenir de la structure de l'Union. Cette conférence est cruciale en ce sens qu'elle préfigurera la future architecture de l'Europe.


1. La question de la Présidence


Cette question se pose du fait de l'éventuel accroissement du nombre des États de l'Union. Le système actuel attribue la Présidence du Conseil des Ministres à chaque État à tour de rôle pour une durée de six mois. Ce système de rotation est remis en cause à double titre :
- parce qu'il manque de stabilité vis-à-vis de l'extérieur. Les partenaires mondiaux voient "un nouveau visage" tous les six mois. Rappelons aussi que l'art. J5 du T.U.E. dispose que "la Présidence représente l'Union pour les matières relevant de la politique étrangère".
- parce qu'avec 24 États membres par exemple, chaque État exercera la Présidence de façon plus espacée, ici tous les 12 ans.

Aussi, tout le monde (États, Conseil, Commission, groupes de réflexion…) s'accorde sur la nécessité de modifier le fonctionnement de la Présidence.

Diverses propositions peuvent retenir notre attention :

* L'une d'elles consiste à porter le mandat de la Présidence à un an. Mais cela ne règle pas le problème de la fréquence de rotation.

* certains préconisent une Présidence collégiale composée d'un grand État et de trois ou quatre autres États. La répartition des responsabilités devrait être débattue. Le mandat pourrait être de un an, deux ans ou plus. "Cette idée concilierait l'exigence de stabilité et de présence régulière de tous les États" (CHATIEL F.). Le Royaume-Uni se joint volontiers à cette proposition et estime que "ceci conviendrait particulièrement à la PESC où la Présidence dans chaque équipe d'un des "grands" États membres donnerait plus de crédibilité à la représentation extérieure de l'Union Européenne, suite à d'ultérieurs élargissements" (Livre Blanc sur la CIG. British Embassy, 19/03/96).
L'inconvénient de cette proposition pourtant attrayante, est qu'elle jette un doute finalement sur la capacité des "petits" États à présider l'Union. Elle risque de rencontrer leur hostilité, d'ailleurs ils n'ont pas tardé à faire connaître leur position. En effet, le Portugal a affirmé qu'il veillerait à ce que la réforme de la CIG ne marginalise pas les petits et moyens pays et, pour cette raison, insistera sur le maintien de la rotation à la Présidence du Conseil." "La rotation est une expression de l'égalité entre États, un élément important de la visibilité de l'intégration européenne par les opinions publiques et donc un facteur de mobilisation de chaque pays en faveur du projet européen et un enrichissement pour l'Union elle-même" (Agence Europe, 16/03/96). La Grèce a suivi en faisant savoir qu'elle oeuvrera afin de préserver l'équilibre entre "petits" et "grands" États membres (Agence Europe, 18/03/96). De tels arguments peuvent relancer le débat. Dans la publication de son avis, la Commission reconnaît aussi que la Présidence est “un service et une charge que chaque État assume au nom de l'Union et qui mobilise son opinion publique autour d'une idée européenne”. Et elle ne laisse entrevoir que l'examen des différentes modalités de renforcement des pouvoirs d'action de la Présidence, ainsi que l'ordre des rotations semestrielles (Agence Europe, 08/03/96).

* c'est pourquoi d'autres penchent pour la simple amélioration du système actuel en réorganisant la rotation de la Présidence afin de permettre à l'un des cinq grands État d'être toujours présent dans la troïka dans la conduite de la PESC sur 18 mois. (La Présidence dure 6 mois. Dans un souci de continuité, le Président en exercice est assisté dans le domaine de la PESC par le Président précédent et par le suivant, ce que l'on appelle le système de la troïka).

* on peut noter aussi la proposition d'un Président de l'Union élu par le Conseil Européen, exerçant ses fonctions à plein temps pour un mandat renouvelable de 2 ou 3 ans. Il n'aurait alors aucune autre fonction possible (abandon du mandat national).
D'autres suggèrent cette même élection du Président, mais au sein d'un Conseil Européen élargi à des personnalités ayant assumé antérieurement de hautes fonctions dans la Communauté. Le Président de l'Union assumerait aussi les fonctions de la Commission. Dans le même ordre d'idée, J. Delors a proposé la désignation par le Conseil Européen d'une personnalité exerçant la Présidence de l'Union pendant 2 ans et demi et la Présidence de la Commission sous réserve de l'accord du Parlement Européen.

Les idées sur la question de la Présidence ne manquent pas. Cependant, on ne peut à l'heure actuelle préjuger de la solution qui sera retenue. Les changements ne seront peut-être pas très profonds ?

Pour finir, si la question de la Présidence est importante, elle ne constitue pas la seule réflexion menée au sujet du Conseil des Ministres. Dans un souci de transparence, l'idée a surgi que le Conseil des Ministres devrait siéger en séance publique lorsqu'il agit en tant qu'autorité législative. Et les votes devraient être rendus publics "dans tous les cas et non comme aujourd'hui, seulement si le Conseil ne s'y oppose pas."
Une Union plus transparente, plus accessible, tel est le leitmotiv de la future Europe.


2. Doit-on conserver la structure actuelle de l'Union Européenne ?


La CIG, nous l'avons dit, a pour objectif de rendre l'Union plus proche du citoyen et plus adaptée à une Europe élargie. Pour cela, il est temps aujourd'hui de simplifier le fonctionnement de l'Union. Les institutions européennes doivent être plus simples, plus efficaces et plus démocratiques. Comment ? En premier lieu, on retire des discours une volonté réelle de s'engager vers une simplification des traités pour obtenir cette adhésion de l'opinion publique. Et en second lieu, beaucoup de propositions s'orientent vers une réforme plus profonde de l'Union en modifiant sa structure même.


2.1 Simplification des Traités

Il s'agit ici de combattre les accusations d'opacité, de complexité et de technocratie. Nous avons tous entendu les multiples reproches faits à la "bureaucratie bruxelloise" : "Bruxelles est loin des préoccupations des citoyens… les fonctionnaires européens ont trop de pouvoir…". Aussi, au cours des travaux préparatoires, plusieurs propositions ont été formulées pour remédier à ce problème. La majorité des personnes pense qu'il y a une impérieuse nécessité à clarifier le fonctionnement de l'Union. Comment ?

- d'une part, il faut simplifier le texte même du Traité afin que son contenu soit plus clair et plus lisible : en supprimant les dispositions caduques, en procédant à une numérotation des articles et "en remplaçant la série des Traités se chevauchant et comprenant 8 piliers par un seul texte restreint et simple qui ne contiendrait qu'un nombre limité de procédures" (E. Guigou). On peut ajouter à cela la volonté à l'avenir d'accroître la clarté et la qualité des textes législatifs.

- d'autre part, il faut énumérer clairement les compétences de l'Union et des États membres. Expliquer qui fait quoi. (Cela requiert donc des efforts permanents des institutions et du monde politique dans tous les États membres pour mieux informer. On souhaite aussi éviter par là-même l'expérience de Maastricht).


Des propositions plus originales ont suivi :

* Marcelino Oreja (membre de la Commission) suggère de rédiger un traité "qui ne contiendrait que les éléments du pacte de citoyenneté, du pacte constitutionnel et donc les principes, les droits des citoyens, les institutions et les procédures ; tandis que les politiques seraient décrites dans des protocoles ou des annexes au Traité, ayant, en principe, la même valeur que celui-ci." Ce projet est possible si les modifications sont neutres, c'est-à-dire qu'on ne touche pas au contenu (ni aux règles de fonctionnement, ni aux obligations des parties), on fait seulement un partage Traité/protocole.
De plus, l'existence de protocoles ne doit pas permettre aux États de faire un choix d'y adhérer ou non, il n'offre pas la mise en place d'une Europe à la carte. (Revue du Marché Unique Européen, 3/1995).

* un autre choix serait d'adopter un "Traité-Charte" unique et plus simple. On remplacerait les divers traités actuels (T.U.E., T.C.E., T.CECA, T.CEEA, T. de fusion, AUE…) par un seul Traité-Charte. On aurait ainsi un Traité plus facile à comprendre ; il n'y aurait qu'une entité : l'Union, disposant de la personnalité juridique et de la capacité de conclure des Traités. (Rappelons que l'Union ne s'est pas vue conférer la personnalité juridique alors qu'elle seule est apte à traiter de la politique étrangère !). Le problème, c'est qu'une fusion des traités rendrait le Traité-unique tout de même trop long ; d'où l'utilité du "Traité-Charte" traitant des principes et des affaires institutionnelles et des protocoles traitant eux des matières spécifiques comme le marché intérieur, les politiques communes… (RTDE, la CIG de 1996, Justus Lipsius).

* le Parti Socialiste français propose d'élaborer une véritable Constitution Européenne qui affirme les objectifs de l'Union - (il rappelle aussi son souhait de créer une fédération d'Etats-Nations) (Hebdomadaire des Socialistes, 08/03/96).

Pour finir, relatons une proposition "plus spectaculaire" :
Deux auteurs (Mr D. INDJOUDJIAN et C. MATHURIN) ont travaillé sur l'élaboration d'une "Charte pour l'Europe Unie". Le cadre institutionnel y est modifié en profondeur. C'est un nouveau texte de nature constitutionnelle qui est en fait proposé pour que l'Union puisse répondre aux besoins de demain. Les principaux éléments de cette charte sont :
- "L'Europe Unie est une Union politique, démocratique et sociale ouverte à tout pays européen qui respecte les valeurs de nos civilisations.
- Elle se substitue à l'Union Européenne et aux 3 Communautés. Elle est dotée de la personnalité juridique.
- Elle est constituée d'un Président, d'un gouvernement et d'un parlement bicaméral."

Président                - élu pour 5 ans par le Congrès (députés européens et députés   
                         nationaux)
                         - il veille au respect de la Charte, représente l'Europe Unie                                                   
Gouvernement (1er        - le 1er ministre est élu par l'Assemblée sur proposition du    
ministre & ministres)    Président
                         - il détermine et conduit la politique de l'Europe    
                           Unie, il est responsable  devant l'Assemblée. Il dispose de     
                           l'Administration et de la Force Armée                           
Parlement                2 chambres :
                            * Chambre des États (chaque État nomme ses représentants)
                            * Assemblée (députés élus pour 5 ans par les     
                                  peuples européens)                                              

(Groupe X-Europe)

C'est une modification radicale qui est proposée et qui n'aura sans doute comme effet que de relancer le débat "Traité/Charte/Constitution" !

Le simplification ne concerne pas seulement la question de la rédaction du Traité mais aussi celle de la structure de l'Union. Il faut en effet avec le futur élargissement éviter tout bricolage qui peut-être assurerait tant bien que mal la continuité de l'Union mais qui, surtout, alimenterait le flou actuel. La structure de l'Union doit aussi être clarifiée.


2.2 Définir la nouvelle architecture de l'Union

La réflexion doit porter sur la nouvelle architecture de l'Europe et il convient d'innover en la matière.
C'est ainsi que se dessine l'idée d'une Europe à géométrie variable ou d'une intégration différenciée. Cela signifie qu'à l'intérieur de l'Union, plusieurs États peuvent être régis par des règles différentes afin de tenir compte des capacités et volontés de chacun d'aller vers une intégration plus poussée, une "Union plus étroite".
Certains parlent d'une Europe avec un noyau dur (CDU/CSU) qui rassemble les États qui veulent et peuvent aller plus loin. Ils pourront ainsi constituer le moteur de cette Union sans cesse plus étroite entre les peuples européens. Ce noyau dur doit être ouvert, offrant la possibilité aux autres États de le rejoindre (Mr Deubner a opposé l'idée d'un noyau dur fermé ayant une structure institutionnelle distincte, idée fortement rejetée). On peut entrevoir la volonté d'entériner, voire d'institutionnaliser l'Europe à géométrie variable. Cela s'explique par le fait qu'elle représente la condition pour que l'Europe ne reste pas limitée à une coopération intergouvernementale. Il est vrai qu'à 20, 25 États membres, les décisions ne pourront systématiquement obtenir l'adhésion de tous et cela risquerait d'entraîner à long terme un ralentissement de l'activité européenne. Il faut être conscient que le risque de dilution de l'Union est bien présent. Il importe donc de ne pas rejeter a priori la géométrie variable.
D'autres parlent de l'Europe en cercles ( notamment E. Balladur ).
L'Europe serait par exemple constituée de 3 cercles :
- un cercle de droit commun (marché unique, politiques communes, PESC)
- un cercle plus large lié à l'Union par des accords de coopération, commerciaux...
- des cercles restreints permettant des coopérations approfondies.

Que l'on emploie l'expression de noyau dur, de cercles, la géométrie variable fait son chemin. Rappelons que cette technique a été utilisée avec le Traité de Maastricht : dans le cadre de l'UEM, de la politique sociale en acceptant le refus du Royaume-Uni d'y participer, des dispositions relatives à la défense en faisant bénéficier le Danemark d'une dérogation. Certes, ces clauses n'avaient d'autre justification que de faire accepter le Traité de Maastricht, c'était l'ultime recours.
Il y a donc une nécessité de bien encadrer l'utilisation de la géométrie variable ou de l'intégration différenciée. Il est important de ne pas tomber dans le travers des clauses "d'opting out" qui permettent à un État de décider de façon discrétionnaire de participer ou non à un domaine d'action commune de l'Union. "C'est l'antithèse de l'Union". OUI à l'Europe à plusieurs vitesses, NON à l'Europe à la carte.
La Commission est formelle sur ce point, elle rejette fermement l'idée d'une Europe à la carte (Agence Europe, 08/03/96). Elle adopte le concept de flexibilité. C'est cette flexibilité qui permettra à des États membres désireux de progresser plus vite dans la réalisation du Traité de s'engager dans une coopération renforcée.

Cette flexibilité devra suivre certains principes :

- toute intégration différenciée doit être compatible avec les objectifs du Traité.
- elle doit être la solution de dernier recours. Elle doit servir l'intérêt de l'Union.
- elle doit respecter le cadre institutionnel unique (tout le monde plaide en faveur de l'unité institutionnelle).
- elle doit avoir une ouverture permanente aux États qui voudraient la rejoindre.
Nous nous permettons d'insister sur ce point. Les États participants à l'intégration renforcée devront sans cesse démontrer aux autres États que leur intérêt est de s'y associer. L'Union, c'est l'engagement de tous les États membres de participer à des objectifs communs ( assurer la paix et la prospérité à ses peuples, créer un marché unique puis une union économique et monétaire et une politique étrangère et de sécurité commune...). On ne peut pas se contenter d'avoir définitivement des niveaux d'intégration différents au risque de dénaturer l'essence même de l'Union.
- l'acquis communautaire ne doit pas être remis en cause.

Le Bénélux, dans son mémorandum s'est rallié à cette proposition tout comme le Royaume-Uni, la France…

La mise en place de la flexibilité dans le fonctionnement de l'Union devra être acceptée et respectée par tous. En effet les États qui auront convenu d'intensifier leur coopération, devront continuer à respecter leurs obligations imposées et les autres États non participants devront s'abstenir d'affecter cette coopération (RMUE - 03/95- Différenciation accrue ou uniformité renforcée).
Il faudra aussi prévoir un arbitre : la Commission, la CJCE ?

On peut en conclure que tout le monde semble convaincu que l'intégration différenciée sera de plus en plus utilisée. C'est la voie qui permettra à l'Union d'être efficace, pragmatique et cohérente.



Quelles que soient les solutions données à la question de la Présidence ou à la nouvelle architecture de l'Europe, elles doivent suivre la ligne de conduite affichée depuis des mois de créer une Europe plus démocratique, plus simple, plus transparente. La CIG doit donner un nouvel élan indispensable à la construction européenne.





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