Doctorante en Droit Communautaire dans le cadre du Groupe d'Etude et de Recherche sur l'Europe (GERSE) du Centre Européen Universitaire de Nancy II
Cependant, le contentieux communautaire ne cessant de croître et de se diversifier, la Conférence Intergouvernementale de 1996 aura pour mission de proposer des réformes tant de l'organisation des juridictions que de leurs compétences afin de renforcer l'effectivité et la légitimité démocratique du système juridictionnel de l'Union Européenne.
A l'origine des Communautés, les juges à la CJCE étaient sept c'est-à-dire un par Etat et un juge supplémentaire pour assurer l'impartialité.
Ensuite, avec les élargissements successifs, le nombre des juges est passé à 13.
Enfin, avec l'adhésion de l'Autriche, de la Finlande et de la Suéde, la Cour est aujourd'hui composée de 15 juges comme la Cour Internationale de Justice. Ce nombre est considéré comme un maximum techniquement raisonnable. Les perspectives d'élargissements vont, à terme, porter ce nombre à 25 environ, risquant de faire passer la CJCE d'une juridiction collégiale à une véritable assemblée délibérante.
Le phénoméne se retrouve au niveau du Tribunal de Premiére Instance, crée en 1988.
La question qui se pose est de savoir si cette croissance constante ne risque pas d'amener des problèmes de cohérence et d'homogénéité dans la jurisprudence, plusieurs solutions sont avancées.
Pour sauvegarder la cohérence de la jurisprudence, certains pensent qu'il va sans doute falloir déroger à la régle "Un Etat, Un Juge" car il semble difficilement acceptable qu'il y ait autant de juges que d'Etats dans la future Europe élargie aux pays de l'Est et à certains Etats méditerranéens ; mais comment éviter les oppositions politiques nationales qui ne manqueront de naître ? Car il est évident qu' au nom du respect du principe d'égalité, chaque Etat membre voudra qu'un juge de sa nationalité siége à la Cour et au TPI (bien que le lien entre la nationalité et l'appartenance à la Cour ne soit pas consacré par les traités).
D'autres, au contraire, considérent que cette augmentation des juges au rythme des élargissements successifs permettra d'affronter la croissance du contentieux d'autant plus qu'il leur paraît logique et souhaitable que chaque système juridictionnel national soit représenté.
Une solution intermédiaire, pour la CJCE, consisterait à tenir compte pour ce qui est de la participation nationale, non seulement des juges mais aussi des avocats généraux dont la CJCE prône la participation à la désignation parmi les juges, du Président de la Cour (cela nécessite une modification de l'article 167 5éme alinéa).
On pourrait certes augmenter le nombre de juges du Tribunal de Premiére Instance pour accélérer la marche de la justice, ce qui serait moins risqué que d'augmenter le nombre de juges à la CJCE en raison du double degré de juridiction.
Une des solutions envisagées est donc de créer au sein de la Cour, des chambres spécialisées composées de 3 ou 5 juges. Cependant, cela entraîne un risque de divergences de jurisprudence entre les chambres.
Monsieur Fernand GREVISSE, ancien juge à la CJCE, défend le schéma d'une Cour "polymorphe comprenant à la fois un noyau de généralistes (7 à 11 juges) et des formations spécialisées qui pourraient compter de 3 à 7 juges selon l'importance ou la nature de leurs attributions."
On peut partager la Cour non seulement en chambres mais aussi en deux sections pléniéres au risque de créer deux jurisprudences distinctes sauf si on envisage "une Cour composée de 28 membres (1 juge par Etat membre) répartis en deux chambres pléniéres de 15 membres chacune, le Président et un vice-président participant au jugement de toutes les affaires dans les deux chambres afin d'assurer une parfaite cohérence de la jurisprudence". (Position de Monsieur Justus LIPSIUS)
Il est aussi question de créer des Cours Régionales Communautaires mais cela pose des problèmes de délimitation de la compétence de chaque Cour, de l'autorité de la chose jugée des arrêts, de la détermination de la composition et du siége de chaque juridiction. Cette solution paraît au Mouvement Européen International prématurée pour la CJCE mais en ce qui concerne le TPI, la régionalisation ne semble pas exclue, à plus long terme, avec les élargissements.
Cependant, pour être efficaces, ces cours régionales devraient alléger la tche de la CJCE mais la masse de travail de cette derniére concerne les questions préjudicielles qui doivent justement rester de la compétence d'une cour suprême ; cela rend donc inutile une telle création.
La Cour de Justice est favorable à la création de nouvelles juridictions communautaires spécialisées car elle considére que "la multiplication des organes judiciaires ne met pas en péril l'unité de la jurisprudence du moment que l'on maintienne une juridiction suprême saisie par les mécanismes du pourvoi et des questions préjudicielles".
Certains avancent l'idée de créer des tribunaux de premiére instance spécialisés dans une matiére: propriété industrielle, fonctionnaires, tarif douanier, droit social etc...En effet, on constate que le contentieux économique ne cesse d'augmenter et surtout que les litiges relatifs à la propriété intellectuelle se multiplient. Il faudrait par conséquent instaurer ces tribunaux qui se chargeraient des litiges concernant une matiére particuliére.
Le TPI dans son rapport propose la nomination de rapporteurs-adjoints, experts de haut niveau, chargés de l'étude du dossier et de la rédaction de conclusions sous la responsabilité d'un juge. Ils seraient nommés en raison de leurs qualifications particuliéres et de leur spécialisation dans certains domaines.
Dans le même ordre d'idée, il est envisagé une certaine spécialisation à l'intérieur de la juridiction par la création de chambres spécialisées dans telle ou telle matiére.
En effet, on constate que le contentieux sur la marque communautaire, celui sur les dessins et modéles ou encore les litiges concernant les obtentions végétales se développent tout particuliérement au sein du TPI.
Mais, la spécialisation des juges n'est jamais une bonne chose car cela peut entraîner le développement de véritables "écoles de pensées" mettant en danger le principe de neutralité de la Cour. On pourrait néanmoins éviter cet écueil en prévoyant une rotation des juges ou alors en adjoignant aux juges généralistes des collaborateurs spécialisés de haut niveau.
Dans le souci de garantir l'indépendance des juges, le Groupe de Réflexion a prévu d'étendre leur mandat à 9 ans. (il est actuellement de 6 ans). Le rapport du Mouvement Européen International et le programme de réforme proposé par Monsieur Werner WEIDENFELD de l'Europaîsche Strukturkommission vont même jusqu'à souhaiter une extension à 12 ans.
Mais tous s'accordent pour instaurer un mandat non renouvelable alors qu'actuellement les renouvellements se font par moitié tous les trois ans. En général, les juges restent en fonction à la Cour pendant deux mandats.
Pour renforcer le caractére démocratique de leur investiture, on pourrait faire intervenir le Parlement Européen (le Mouvement Européen International propose un avis conforme, M.Jean-Victor LOUIS avance l'idée d'un simple avis). Cette "approbation" par le Parlement peut aussi conduire à une certaine politisation de la désignation des juges alors que cette derniére ne doit être motivée que par des considérations de qualification professionnelle. Il faudrait donc que les auditions des candidats devant le Parlement Européen se fasse selon un certain code de conduite pour éviter toute dérive à l'américaine.
Le Groupe des Belles Feuilles propose que les juges soient nommés par vote conjoint du Parlement Européen et du Conseil parmi une liste de personnalités compétentes pour assurer les plus hautes fonctions juridictionnelles dans chaque Etat.
Chaque Etat membre étant libre d'organiser la procédure de désignation des juges de son choix selon ses propres mécanismes constitutionnels, politiques et légaux, il peut aussi faire intervenir son parlement national, notamment par le biais de la commission parlementaire compétente mais cette audition de chaque candidat devant des commissions parlementaires risque de faire sortir le postulant de la réserve à laquelle il est tenu.
La Délégation des Barreaux de France propose de faire désigner les magistrats de la CJCE et du TPI par un "Comité de la magistrature communautaire" afin de mieux garantir le principe de la séparation des pouvoirs. Cette autorité supranationale serait composée de personnalités indépendantes. Encore faut-il préciser ce que l'on entend par là.
En ce qui concerne particuliérement le TPI, la durée actuelle des mandats avec possibilité de renouvellement peut être maintenue car les juges siégent en chambres spécialisées puisque le TPI est plutôt une juridiction de droit économique.
Le Parlement Européen envisage une solution consistant à retirer aux Etats le pouvoir de nommer les juges pour le confier soit à un jury de concours, soit aux institutions européennes (proposition de la Commission, agrément individuel du Parlement européen et décision du Conseil).
Les réformes organiques du système juridictionnel communautaire sont nécessaires mais ne deviendront indispensables qu'aprés la réalisation des élargissements prévus, en revanche, il faut dés maintenant développer les compétences juridictionnelles de la CJCE et du TPI afin que la sécurité juridique soit renforcée au sein de l'Union Européenne.
La Cour doit être en mesure d'exécuter plus rapidement les sanctions qu'elle impose.
Elle doit aussi améliorer ses services de traduction afin d'en réduire les délais. On peut envisager que les arrêts ne soient plus traduits intégralement dans toutes les langues de l'Union comme c'est le cas actuellement mais seulement dans la langue de procédure ainsi que dans trois ou quatre langues de base choisies et en version abrégée dans les autres langues de la Communauté ; cette mesure aurait en outre pour effet de réduire les frais de fonctionnement.
On envisage aussi de faciliter l'usage de la procédure du référé et la création d'une procédure spécifique en matiére de concentration d'entreprises.
Le Groupe de réflexion souhaite que les effets rétroactifs des arrêts soient limités et est favorable à l'institution d'un droit de recours.
Une large majorité du groupe projette la modification de l'article 188 proposée par la Cour elle-même afin de la doter du pouvoir d'établir son réglement intérieur à l'instar des autres institutions de l'Union. (sous réserve d'une approbation, même tacite du Conseil ; cette approbation étant réputée acquise dés lors qu'une décision de rejet ne serait pas prise, sur proposition de la commission ou d'un Etat membre, à la majorité qualifiée).
Il faut aussi réviser l'article 171 qui permet à la Cour d'infliger à un Etat membre, qui ne se serait pas conformé à son arrêt, le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte en supprimant l'actuel avis motivé de la Commission émis au préalable, à l'Etat défaillant.
Le Parlement Européen, dans son rapport sur le fonctionnement du TUE dans la perspective de la CIG, considére qu'il suffirait d'une information de la CJCE par la Commission sous la forme d'un rapport annuel synthétisant l'exécution des arrêts de la Cour et sur la base duquel la CJCE enjoindrait aux Etats défaillants de prendre les mesures nécessaires.
Il faut renforcer les fonctions de la Cour notamment dans les domaines liés à la justice et aux affaires intérieures ( c'est-à-dire les matiéres relevant du "Troisième Pilier" comme le suggére en particulier le gouvernement néerlandais)) mais aussi, de maniére générale, dans tous les domaines d'activités du Traité (y compris les affaires connexes couvertes par le Traité de Schengen).
Il faut aussi que la Cour puisse connaître des litiges entrant dans le cadre de la politique étrangére et de sécurité commune (actuellement, l'interprétation et l'application des dispositions du "Deuxième Pilier" sont soustraites en vertu de l'article L du TUE à la compétence de la Cour de Justice). Ce renforcement des fonctions de la Cour améliorera la sécurité juridique dans l'Union et garantira la protection des droits individuels qui pourraient être affectés dans ces domaines.
La Commission ne devrait pas avoir des compétences quasi-juridictionnelles en matiére de droit de la concurrence, une autorité administrative indépendante (sorte d'Autorité de la Concurrence comme le propose F.VIBERT de l'European Policy Forum) devrait exercer ces compétences et les décisions de cette autorité devraient être susceptibles de recours devant la Cour.
La CJCE n'estime pas nécessaire la modification de l'Article 168 A du TUE concernant la répartition des tches entre le TPI et la CJCE alors que le TPI voudrait sa réforme car un même acte peut, en fonction de la qualité du requérant être attaqué simultanément devant la Cour et devant le Tribunal, ce qui pose, selon lui, des problèmes de coordination entre les deux juridictions. Le TPI propose que lui soient attribués tous les recours visés à l'article 168 A indépendamment de la qualité du requérant. Le Parlement Européen projette la création d'une instance régulatrice paritaire composée d'un nombre limité de magistrats issus du TPI et de la CJCE, présidée par le Président de la Cour (qui aurait voix prépondérante) et chargée d'assurer entre les deux juridictions une répartition rationnelle des tches.
Certains voudraient donc modifier l'alinéa 4 de l'article 173 afin d'ouvrir l'accés des particuliers à la justice communautaire mais en ce qui concerne le contrôle de légalité des actes de caractére réglementaire, cela pose deux problèmes:
Il faut cependant veiller, comme le souligne M. Enrico FERRI, à ce que le recours direct à la Cour "n'ait pas pour effet de détourner le citoyen de son instance judiciaire naturelle qui est le juge national".
Il faut aussi prévoir une saisine de la CJCE par les institutions et les Etats membres afin d'obtenir de cette derniére une interprétation des dispositions des traités touchant à l'organisation des pouvoirs.
Le Parlement Européen est favorable à un élargissement des conditions de saisine de la Cour de Justice afin que chaque institution de l'Union ait la possibilité (outre le recours de l'article 173) de saisir la Cour dés lorsqu'elle estime que ses droits ont été lésés du fait qu'une autre institution ou un Etat membre n'a pas rempli une obligation inscrite dans le Traité.
Avec le passage de l'intégration économique à la véritable union politique, les institutions se dotent de pouvoirs qui relévent de la sphére constitutionnelle. Pourtant, est envisagée la création d'une Cour Constitutionnelle à côté de l'actuelle Cour de Justice. Cependant, la CJCE exerce déjà dans l'ordre juridique communautaire les attributions d'une cour constitutionnelle ( Jean-Victor LOUIS : " La Cour de Justice est appelée à être plus que jamais, la Cour constitutionnelle de l'Union") et cette dualité de juridictions risque de poser des problèmes de délimitation de compétence entre la CJCE et la nouvelle juridiction constitutionnelle.
Pour le TPI, il faudrait qu'il soit mentionné à l'article 4 du Traité car il ne figure pas en tant qu'institution, ce qui est surprenant puisque même certains organes exerant des fonctions purement consultatives (Conseil Economique et Social, Comité de Régions ) sont énumérés dans cet article.
En ce qui concerne la protection des droits fondamentaux (envisagée de faon peu précise à l'Article F&2 du TUE), le Professeur O.AUDEOUD envisage un renvoi de la CJCE à titre préjudiciel devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme ; cette proposition induirait l'adhésion de l'Union Européenne à la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Le Président de l'Association Franaise pour l'Etude des problèmes de l'Union Européenne (AFEUR), M.R.TOULEMON envisage de régler le problème de la répression de la criminalité internationale et des délits commis au détriment de l'Union par la création de tribunaux pénaux mixtes composés en nombre égal de juges nationaux et de juges d'autres nationalités. Ces tribunaux appliqueraient une législation pénale harmonisée dans le cadre de l'Union.
Pierre angulaire de la construction européenne, le système juridictionnel communautaire est le garant du bon fonctionnement des rapports entre Etats membres et entre les institutions communautaires et les Etats membres. Comme tout système issu de la volonté commune des peuples, il est perfectible, et c'est dans cette optique que la Conférence Intergouvernementale devra adopter des réformes qui, sans être radicales, permettront sans doute de renforcer les rôles respectifs du Tribunal de Premiére Instance et de la Cour de Justice.